Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 51.

 

 

L'âme du vin.

 

                       

 

Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :

 « Homme, vers toi, je pousse, ô cher déshérité,

Sous ma prison de verre et mes cires merveilles,

Un chant plein de lumière et de fraternité.

 

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,

De peine, de sueur et de soleil cuisant,

Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme;

Mais je ne serai point ingrat, ni malfaisant.

 

Car j'éprouve une joie immense quand je tombe

Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,

Et ma chaude poitrine est une douce tombe

Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

 

Entends-tu retentir les refrains des dimanches ?

Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?

Les coudes sur la table et retroussant les manches,

Tu me glorifieras et tu seras content.

 

J'allumerai les yeux de ta femme ravie;

A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs

Et serai pour ce frêle athlète de la vie

L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs,

 

En toi, je tomberai, végétale ambroisie,

Grain précieux jeté par l'éternel semeur,

Pour que de notre amour naisse la poésie

Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur. »

 

BAUDELAIRE.

 

 

 

 

Réalisée le10 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages