Visages
de

Barsac.

Tome I.

Page 82/83.

 

 

 

 Contenant et Contenu.
                       

 

Divagations sur les boîtes y compris les futailles et les bouteilles.

(Traduit de l'urbinatalien)

 

Les bimanes civilisés vivent presque toujours dans des parallélépipèdes rectangles, vulgo boîtes.

 

Des boites entassées les unes sur les autres, forment une maison. Des trous y sont pratiqués afin de donner accès aux habitants, au vent et à la pluie, aux huissiers, aux souris et aux chats.

 

Il y a différentes catégories de boîtes suivant l'usage auquel on les destine. Ainsi la boîte destinée à l'amour et au dodo s'appelle chambre à coucher ; mais il arrive que l'on fasse l'amour dans une boîte destinée à une autre activité, par exemple dans la cuisine ; bien que cette dernière boîte soit consacrée aux petites boîtes : boîtes de conserves, à cirage, boîtes d'allumettes.... etc.

 

Il y a des boîtes que l'on remplit plus ou moins d'eau, ce sont les salles de bain. Ces genres de boîtes sont assez rares. Les personnes qui n'en sont point pourvues se font généralement appeler du nom de pauvres par celles qui en possèdent.

 

Les gens qui ont des boites spéciales pour la conversation, les repas et l'amour, dites salon, salle à manger, salle de billard, fumoir, boudoirs, garçonnières ou studios, ces gens là on les appelle des riches.

 

Il y a aussi des boîtes que l'on remplit plus ou moins de vin et qu'on appelle chais, caves et cuviers. Dans ces boîtes, il y en a d'autres plus petites, rondes et ventrues, alignées sur des tins ou des étagères, qu'on appelle tonneaux ou bouteilles.

 

Ces bouteilles et ces tonneaux sont le plus souvent affublés d'une pièce d'identité ornée de figures et de chiffres, et parfois d'un blason seigneurial. Les vins à appellation contrôlée ne voyagent qu'avec un passeport de couleur verte, délivré par une boîte publique, les indirectes dont les employés sont désignés par ces mots : les rats de cave.

 

En changeant de mains, bouteilles et tonneaux se transforment en marchandises, qu'on appelle « billets de banque » ou plus exactement « Biais de banque ».

 

Mais il circule d'autres billets : les billets de chemin de fer, les billets de confession, les billets doux. Tous n'ont en général, qu'une valeur éphémère.

 

Les pauvres n'ont en général ni cave, ni cuvier, et la seule boîte ronde qu'ils possèdent voisine en tète à tête sur la table avec la boite à eau dite pichet.

 

Le nombre de ces boîtes rondes et des « biais de banque » est en général inversement proportionnel au nombre d'enfants. Plus il y en a (des enfants) moins il y en a (des tonneaux, des bouteilles et des biais de banque).

 

Y a-t-il égalité dans l'ivresse ?

 

Mais pas du tout. Lorsque les vapeurs du vin pénètrent dans la boîte crânienne, elles chloroforment les misères des pauvres et électrisent les désirs des riches, qui fument alors un gros cigare et terminent la fête dans une boîte de nuit, à moins qu'ils ne préfèrent jouer le grand duo sur une boîte à quatre pieds dite canapé, oubliant que Montaigne recommande la tempérance pour les nuits où l'on veut faire des enfants.

 

Seuls quelques petits verres de « Barsac » peuvent procurer à tous une félicité sans égale.

 

Depuis que nous sommes en IVème République, tous les dimanches, les gens majeurs vont mettre dans une ou plusieurs boîtes, des enveloppes de diverses couleurs, non affranchies de passion politique.

 

On a remarqué, que les illettrés votent les yeux fermés. Le soir les scrutateurs sortent ces enveloppes des urnes, les comptent puis les remettent en paquets pour qu'elles puissent resservir. Car les électeurs souffrent de la crise du papier, et comme cela se doit dans une démocratie égalitaire, seuls les candidats, ces roitelets éventuels, on droit aux affiches et au papier hygiénique. C'est ce qui explique la multiplicité des listes.

 

Les mineurs, eux, passent leur temps à tirer les cigarettes de leur boîte, à courir après un ballon rond ou ovale, à faire voltiger en l'air des sortes d'oranges blanches avec des poêles percées, tenues par la queue le bras tendu.

 

Ces oranges ne peuvent circuler que dans une boîte grillagée, sorte de cage aux lions et aux lionnes où l'on n'entre que chaussé d'espadrilles blanches.

 

Quand la partie est finie, les demoiselles sortent leur boîte à poudre et leur « boîton de rouge.

 

Les bimanes ont depuis longtemps remarqué que le rouge met certains quadrupèdes en fureur, notamment les grenouilles et les taureaux, mais ce rouge produit ici un effet exactement contraire, et lorsque les lionnes relèvent la tête avec un provocant sourire qui veut dire : « Please ! », chaque partenaire masculin, mis en train par le jeu de la poêle, répond hardiment : « Ready "

 

Le samedi soir, les lycéens scouts quittent la boîte et vont camper dans la forêt. Ils portent des sacs énormes et des noms sauvages : Zébu, Ourson, Wapiti, Tigre, etc...

 

Ils font une cuisine qui sent la résine; ils domptent les escargots et les lézards, et si un écureuil est aperçu, ils se croient obligés de pratiquer une marche guerrière.

 

Les jambes marbrées d'égratignures, emportant dans leur boîte pectorale (ou poitrine) un bol d'air pur et dans leurs poches un long rapport où ils racontent leurs exploits, ils reviennent le soir se remettre en boîte pour la semaine.

 

Avec l'âge, on perd la santé, et l'on va parfois dans une grande boîte hospitalière qu'on appelle clinique ou hôpital; et on nous fait boire les boîtes des pharmaciens qui sont, en général, assez petites et qu'on désigne des noms de cachets ampoules et flacons. Il peut arriver qu'on fasse machine en arrière et qu'on nous administre des clystères.

 

Puis, un beau jour, la coupe de tisane ou de potion glisse entre nos doigts, on casse sa pipe, et la mort, avec sa faux égalitaire, nous fait mettre dans une boite qu'on appelle sapin ou cercueil, qu'on porte dans un tas de boîtes dites caveaux où il n'y a que des morts et des ossements : c'est le cimetière.

 

Le film est achevé; le disque s'arrête; la comédie est finie ! Acabade la coumédië ! Cependant l'âme est immortelle et celle des Justes s'envole dans une bonbonnière dite paradis. C'est la boîte du Bon Dieu.

 

C'est celle que je vous souhaite... le plus tard possible.

 

Et si vous voulez m'en croire,

Pour que Saint Pierre vous ouvre les portes sans contrôle, Réservez-lui une bonne "boîte" de Barsac 1937.

Une seule suffira.

 

P. G. 1945.

 

 

 

 

Réalisée le12 avril  2004  André Cochet
Mise ur le Web le   avril  2004

Christian Flages