Notre Garonne était
déjà gonflée,
Quand un beau jour, ensemble et tout d'un coup,
S'enflèrent l'Aveyron, le Tarn et l'Agoût.
Ceux qui, de loin, entendirent la trombe,
Epouvantés, gagnèrent les coteaux,
Et, du versant, virent comme une trombe
Arriver la masse des eaux.Tel un seul bloc de chevaux à la charge,
Le flot passe, si puissant et si large.
Qu'en peu d'instant, des fermes aux châteaux,
Sur ses deux bords, il changea tout en tombe.
Il emportait dans ses rudes bouillons
Les gens avec les biens roulés en tourbillons.
Dans la distance, en pleines eaux bâties,
Saint Macaire et Langon semblaient sur pilotis.
Une heure encore, et de toute la plaine,
Sous la bise aigre et les oiseaux criards,
Il ne restait qu'un laguneux domaine,
Les platanes pour nénuphars
Où les hameaux, les villages, les villes,
Pour un moment formaient de faibles îles,
Où, soit rangés, soit vaguement épars,
Peupliers, tours, poteaux pointaient à peine,
Jusqu'à noyer digues et parapets
Montaient les flots plus noirs, plus lourds et plus épais.
Et des objets, des corps de toutes sortes
Filaient sur l'eau; des hommes retournés,
La croupe au ciel, et puis des femmes mortes,
Montrant au contraire le nez.
Se dandinant passaient de grosses outres;
C'étaient des boeufs. Tout droit, fonçaient les poutres.
Des bâtiments, par morceaux, entraînés;
Les toits rompus couraient après les portes.
Suivaient ce train des poulets par milliers,
Des cortèges d'habits, de coiffes et de souliers.
Comme tonneaux, au penchant des collines,
Cela roulait, sur les piles des ponts,
Rebondissait, se cognait aux ruines,
S'empêtrant dans les faibles fonds.
Les grands noyers
semblaient chargés de singes;
Gens qui hurlaient en agitant des linges;
D'autres, montés aux faîtes
des maisons,
Contre le flot raidissaient leurs poitrines;
D'aucuns, leur porte, ou leur toit pour radeau,
Ramaient, à moitié nus, drapés dans un rideau.
Si loin, pourtant, les
ondes étalées
Ralentissaient leur redoutable cours,
Puis dégageaient digues, routes, allées,
Bancs de boue et restes de bourgs,
Et dans la vase, au
tiers ensevelies,
Reparaissaient des maisons démolies.
On appelait des gens qui restaient sourds;
On appelait des bêtes envolées.
Les canards seuls, par
des cris incongrus,
Répondaient, préservés, au nom des disparus.
Ainsi la terre était assez marrie;
A peine était un seul souffle tiré
De tout ce qui, dans la calme prairie,
Avait récemment respiré.
Trop bien avait de la
rude Garonne
Avait à ses doux bords paru l'âme félonne.
Trop avaient cieux, ondes et nuit conspiré,
Et maintenant, comme une moquerie,
Peignant de frais épaves
et toits béants,
L'inutile arc-en-ciel brillait sur ce néant.