Visages
de
Barsac.

Page 98.

Le Passeur passe...et trépasse.

Il passe les vivants avec leurs soucis, 
Leurs joies et leurs peines, 
Mais il passe aussi 
Les âmes en peine.

 

I

Ohé passeur ! accours bien vite; 
Ma femme m'attend pour souper; 
Si je ne regagnais le gîte, 
La pauvre ne ferait que pleurer. 
Glisse, glisse ma yole 
De Sarraute, jusqu'à Viole 
De Loupiac 
A Barsac.

 

II

Ohé ! passeur, souque dur ta nacelle,
Car Margot m'attend pour danser; 
La musique du bal m'appelle, 
Mon coeur a déjà passé. 
Glisse...

 

III

Ohé ! passeur, nous sommes Scouts de France.
Nous voulons gravir le coteau; 
Les sacs sont bien lourds, mais on pense 
Bientôt camper près du château 
Du Cros, 
Là-haut. 
Glisse...

 

IV

Ohé ! passeur, le temps presse, 
Car voilà sept ans je partis; 
J'ai vu Toulon, Alger et puis la Grèce, 
Et laissé ma jambe en Lybie
Glisse…

 

V

Ohé ! passeur, je suis toute tremblante
A l'idée de passer l'eau !
N'ayez crainte petite charmante,
Faites confiance à mon bateau.
Berce, berce ma gondole 
De Sarraute jusqu'à Viole, 
Mon beau rêve 
D'amour.

 

VI 

En débarquant sur l'autre rive, 
La fillette fit un faux pas; 
Notre jeune passeur agile 
La cueillit entre ses bras. 
Chante, chante ma gondole, 
De Sarraute jusqu'à Viole, 
La douceur d'un baiser 
Volé !…

 

VII

Ohé ! Ohé ! malgré l'orage, 
Le vent qui fait rage, 
Les flots agités, 
Il me faut passer. 
Je suis l'âme errante 
Plaintive et souffrante 
Des marins noyés. 
Laisse, laisse ma yole 
De Sarraute jus qu'à Viole, 
Pour les trépassés, 
Laisse-moi 
Prier.

 

VIII

Oh! Là, passeur, le courant nous entraîne. 
Nos avirons ont déjà disparu... 
J'entend le chant mortel des Sirènes, 
Sainte Vierge, je suis perdu 
Roule, roule, la Yole
Au fond de l'eau,
Avec son matelot, 
Au gré 
Des flots.

P. G... (avril 1945).

NOTE. L'ancien passage sur la Garonne, de Barsac à Loupiac, avait pour débarcadère : Sarraute, sur la rive gauche, à Barsac; Viole, sur la rive droite, à Loupiac.