Visages |
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Tome II. |
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Le Testament du Sire de Frandelet. |
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FARCE. |
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Le Sire
de Frandelet habitait un castel au sommet de la côte portant son nom,
castel tout petit ne comportant plus que deux pièces habitables, une
cuisine et une chambre à coucher, adossées à un reste de donjon carré
tapissé d'un pied de vigne antique. Toute sa
vie, il avait vécu d'expédients, surtout de chasse et de pêche; il
passait pour le meilleur braconnier de la région. Il
dressait des chiens et apprivoisait des geais, des merles, des pies et même
des éperviers. Il vendait presque tout son gibier, lièvres, bécasses,
ortolans et brochets à son voisin et cousin le baron de Saint-Cricq. La
chasse à la palombe l'occupait tout l'automne. Cette
année-ci, il avait construit sa cabane rustique sur un gros chêne de La
Hontète et placé ses appeaux sur un pin, à portée de fusil. Il y
passait des journées entières et y prenait même ses repas. Depuis
plusieurs jours soufflait le vent de noroît, aigre au possible, et bien
qu'il lui arrivât de grelotter, notre chasseur restait à son poste jusqu'à
la nuit. Mais un
après-midi, n'y tenant plus, il descendit précipitamment de son chêne,
serra ses appeaux et regagna vite sa demeure. Maria !
Maria !... Ça ne va pas. Allume moi vite un grand feu dans la cuisine et prépare
moi un grand saladier de vin chaud, avec beaucoup de sucre et de cannelle ! Aussitôt
dit, aussitôt fait; mais malgré la flamme et le vin bouillant, il grelotte
encore. Il court à son lit, passe son bonnet et se glisse sous les
couvertures, toujours poursuivi par le froid et tremblant comme une feuille
morte. Maria,
un autre bol de vin chaud ! Il se brûle
la langue sans parvenir à se réchauffer. Sire, je
vais aller chercher le Docteur ? Non,
foutre pas ! Car il se fait toujours payer comptant et il emporterait mon
dernier écu. Le Notaire et le Curé me feront crédit, vas vite les prier
de venir. Le
Notaire, arrive avec sa serviette. Eh bien
! Sire de Frandelet, comment ça va-t-il aujourd'hui ? Mal, mal !
Et je crois qu'il va falloir dresser mon testament. Pas
encore. Si, si,
Installez-vous dans mon fauteuil près du guéridon et écrivez : Nous,
Sire de Frandelet, sain de corps et d'esprit, sur le point de mourir et
demandant pardon à Dieu de tous nos péchés, dictons ce qui suit comme
dernières volontés : "
Je lègue à mon cousin, le Baron de Saint-Cricq, tous mes chiens courants,
a condition qu'il les nourrisse bien et les engraisse un peu; comme
souvenir, qu'il prenne dans ma bibliothèque mon Traité de fauconnerie par
Albert de Luynes. Je légue
à mon ami Bastot tous mes appeaux et mon fusil, à condition qu’il fasse
réparer le ressort cassé et entretienne l'arme avec de l'huile de première
qualité. A mes
oiseaux apprivoisés, je rends la liberté. Qu'on ouvre leurs cages et
qu'ils s'envolent dans les bois. Que Dieu me pardonne de leur avoir appris
à parler et à mentir et à dire des sottises. Qu'ils perdent la parole et
reprennent leurs innocents caquets. Je lègue
mon castel à ma gouvernante Maria pour ses bons et loyaux services; elle
n'aura qu'à fermer les gouttières et payer les hypothèques avec l'argent
qu'elle retirera de la vente de mes hardes. Quant à
mon neveu Jehan, vicaire à Bordeaux, je lui lègue tous mes livres, à
condition qu'il fasse relier mes Voltaires, mes Contes de Boccace et mes
Femmes galantes de Brantôme en peau de mouton. Maria, j'ai froid, apporte-moi un autre verre de vin chaud.
Au
Couvent des Chartreux, je laisse tous les lopins de terre que j'ai parcourus
en chassant et que j'ai désirés en propriété. Je lègue
toutes mes bouteilles, bouchées ou non, aux amis qui avaient l'habitude de
trinquer avec moi à la Saint Martin. (Il boit à petites gorgées.) Je ne
veux pas oublier M. le Curé; à lui mon dernier écu, s'il en reste, pour
qu'il m'enterre chrétiennement et dise des messes pour le repos de mon âme. Maître,
je n'ai rien oublié ? Reposez-vous,
mon ami, et ménagez vos force. Où désirez-vous que votre corps soit mis
en terre ? Pas dans
un caveau, mais dans une cave; pas n'importe laquelle, sous une barrique de
Haut-Barsac, et vous ferez inscrire comme épitaphe en belles lettres
gothiques : Ci-git le Sire de Frandelet, de son vivant Capitaine de louveterie »,
et n'oubliez pas mes armes :
un merle picorant une grappe de raisin argenté sur un champ semé d'or et d'azur.
Je
vous en prie, assurez-moi que tout cela sera fait... Je
porterai cela à votre compte. Maria,
Maria, un peu de vin chaud. Maître,
il n'y en a plus; le saladier est vide et la cave aussi. Ah ! c'est bien
fini. Je peux mourir maintenant ! Je clos
le testament et je signe mon grimoire : "
En la prévoté de Barsac, le 18 novembre 1778, Voisenon, notaire royal.
" On frappe à la porte, et Curé entre.
Trop
tard. Le Sire de Frandelet venait de rendre le dernier soupir, et toujours généreux,
il avait légué la totalité de ses biens et même au delà, y compris des
hypothèques. Le Curé
récita la prière des morts et se signa. Maria pleurait. Près du lit de
son maître, la chienne Léda aboyait à la mort. En
franchissant le seuil, le Notaire ajouta : Pas d'héritier réservataire,
c'est un petit testament. Quant au
Curé : Ah ! le bougre, il ne m'a jamais gâté de son vivant; il n'a jamais
donné un sou à la quête et cependant, pour sauver son âme, je suis obligé
de l'enterrer gratuitement et de lui dire quatre messes par an. Que Dieu lui
fasse miséricorde et également à ceux qui sont en vie. Ainsi
soit-il ! P.S. On trouva dans les papiers du castel la note manuscrite suivante : « Quant
à son temps bien sut le dispenser; « Deux parts en fit, dont il « SOULAIT » passer « L'une à dormir et l'autre à ne rien faire. » trinquer chasser (Epitaphe
de LA FONTAINE par lui-même.) On
remarquera les deux mots dormir et trinquer et leur remplaçant, ce qui
trahit l'hésitation du Sire de Frandelet devant le choix de ses activités,
et on comprendra également que, malgré la référence littéraire de ce
projet, celui-ci ait été sans doute trouvé par lui trop roturier. PASCAUD
(Guillaume), 1946. |
Réalisée le14 avril 2004 | André Cochet |
Mise ur le Web le avril 2004 |
Christian Flages |