TémoignageS

Mémoire de Bommes, livre 5

   SOUVENIRS DE Mr Guy DAMON à Barsac

 

En Italiques, compléments d'information. 

Sommaire: La Pêche
Les enfants
Les inondations
Les autres témoignages

Monsieur Guy DAMON est né au Port de Barsac en 1919. Il y a vécu jusqu'en 1930. Sa famille tenait le restaurant LAFON, sur le haut de la digue.

 Sa mère, épouse DAMON, était une LAFON. Son père avait une gabarre. Bon nombre des habitants du Port avaient ainsi une double activité, toutes liées à la rivière. C'est ainsi que le propriétaire de l'épicerie avait aussi une gabarre et naviguait. 

Il y avait 5 ou 6 gabarres et un bateau à vapeur attachés à l'activité du Port. Le bateau à vapeur appartenait à Emile LAFON ; mais d'autres bateaux accostaient, en particulier ceux qui descendaient parfois du canal ou qui y remontaient. 

En 1897, on recensait 21 bateaux pour 2103 tonnes de jauge. Dam les années vingt, il y en avait donc déjà quatre fois moins. 

Les gabarres et péniches accostaient au quai haut qui existe encore.

Tirant d'eau maximum de 2 m 20 pour une longueur maximale de 29 mètres.

Chaque gabarre portait une yole, petite embarcation de secours ou de service dont on se servait également, à l'occasion, pour aller à la pêche. Chacune était équipée de 2 à 3 marins qui assuraient le chargement, la navigation et le déchargement à l'arrivée. Ces gabarres partaient avec la marée et revenaient à vide avec le flot remontant mais pas toujours dans la même journée, cela dépendant des horaires des marées.

Peut être à vide dans les années 20, mais en 1897 elles ramenaient des bois merrains et de la houille. Les gabarres marchaient à la voile quand c'était possible ou à rames (très longues) ou encore par halage sur le chemin en bordure de Garonne.

Monsieur DAMON n'est jamais allé à Bordeaux sur la gabarre de son père.

Les radeaux descendaient du Ciron et abordaient au Port Bas, en Garonne, un peu en aval, en direction de Bordeaux. Ce port étant en pente, les radeliers se présentaient à marée haute et poussaient latéralement leurs radeaux au plus près de la terre afin que le flot descendant les échoue sur la rive en pente.

 On coupait alors les cordes retenant les poteaux de bois. Ces cordes mouillées n'avaient pas pu être défaites. Elles n'étaient pas récupérées. Les radeliers ne reprenaient que la corde servant à assujettir leur perche. Les bois étaient ensuite transportés et chargés "à l'épaule" sur les bateaux fluviaux.

C'était un travail pénible auquel les radeliers ne participaient pas. Leur mission se terminait à l'issue du flottage et ils repartaient aussitôt chez eux en direction de VILLANDRAUT. Tous parlaient gascon et arrivaient mouillés jusqu'aux os du fait des passages en passelis sous les moulins du Ciron.

M. DAMON a vu couper les cordes et avance l'argument que l'on n'aura pu les dénouer du fait qu'elles étaient mouillées. C'est un argument sérieux mais de nombreux témoignages affirment que les radeliers repartaient avec leurs cordes et leur perche de 5 à 6 mètres d'où pendaient les cordes. Compte tenu de leur prix considérable à l'époque, c'est tout à fait probable. Par contre, il semble que ce que M. DAMON a vu couper ce sont les noeuds en bout de corde, que l'on n'aurait effectivement pas pu défaire.

D'autres témoignages rapportent que les poteaux étaient stockés à terre "en faisceaux" verticaux en attente de rechargement et que cela leur permettait de sécher sur place. Les chargements de bateaux commençaient le matin de très bonne heure.

 Il n'y avait pas de radeaux tous les jours. Il pouvait en arriver 2 ou 3 par semaine et c'était une attraction toujours renouvelée pour les enfants. Vers la fin de la période, à partir de 1927, cette activité a commencé à baisser. Diverses grèves, tant en France qu'en Angleterre, ont fini par contrarier ce trafic.

Le développement du transport routier a certainement pesé plus lourd que les grèves dans cette évolution. Il semble que le dernier radeau ait circulé en mars 1931

Les bois provenant des communes les plus proches, BUDOS, PUJOLS, LANDIRAS parvenaient par la route, ces transports étant assurés par des muletiers.

Lorsqu'ils arrivaient avec leur charrette, ils appelaient au moyen d'une cloche et l'on venait ouvrir la cabane du poids publie afin de peser leur chargement et leur délivrer un ticket de pesage. Deux personnes assuraient ces réceptions sur deux bascules différentes, l'une tenue par M. Raphaël LAFON et l'autre par Mme DANGLADE, pour le compte de M. BEAUMARTIN, le grand négociant en bois. On ne pesait pas les billons arrivant par radeaux, l'imprégnation de l'eau aurait faussé toutes les données.

Les envois de vin en barriques étaient aussi très importants. Ces charrois arrivaient de BUDOS, LANDIRAS, PUJOLS. Plusieurs propriétaires se groupaient parfois sur une même charrette.

Des témoignages confirment qu'il en venait également d'ILLATS. Mais beaucoup signalent que ces expéditions ont cessé au début des années 30 du fait de nombreux litiges pour vidange partielle provoquée par les marins Les premiers camions venus de Bordeaux se sont avérés très sûrs et le transport fluval a été abandonné vers 1932.

La Maison BERT portait une partie de ses vins à la gare et l'autre partie au Port. Elle disposait pour cela d'un camion sur lequel Jean, le chauffeur, faisait monter les enfants du village. C'était une attraction. Ce camion roulait à vitesse très réduite. Aurait-il pu faire mieux que le pavage de la Route Nationale 113 s'y serait opposé, tout comme il s'opposait à la circulation des vélos. Ce pavage allait du Bourg de BARSAC au carrefour de la route du Port, laquelle n'était évidemment pas revêtue ; c'était une route blanche.

Au sein de tout le trafic navigant sur la Garonne, on remarquait l'Armand DUMEEAU, bateau à vapeur assurant le transport des voyageurs entre LANGON et BORDEAUX. Il ne desservait pas le Port de BARSAC et ne faisait que passer, mais il signalait son approche au moyen de sa sirène, et les enfants se précipitaient pour le voir en criant : "Voilà l'Armand DUMEAU ......

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Les enfants et les loisirs.

Les enfants allaient à l'école au Bourg de BARSAC. 1 km 800

Ils y allaient à pied en portant leur sac et leur gamelle pour le déjeuner de midi qu'ils faisaient réchauffer à l'école.

En été, ils aimaient se baigner sur la plage de sable fin qui s'étendait en aval du confluent du CIRON, mais ils restaient dans les eaux de la GARONNE, celles du CIRON étant nettement plus froides. C'est également là qu'ils faisaient leur grande toilette.

Les distractions étaient diverses. Quand un cirque venait s'installer au Bourg tout le monde partait en bande, toujours à pied, et revenait de même.

Les incidents survenus sur la rivière formaient spectacle. Une fois, une péniche coula devant le Port. Pour la renflouer, il fallut faire appel à un scaphandrier et M. DAMON a conservé un souvenir très précis de cet épisode.

Normalement, les péniches passaient sans s'arrêter au Port, mais parfois; voyant qu'elles étaient trop attardées pour atteindre le canal avant la nuit, certaines faisaient escale à BARSAC et ne repartaient que le lendemain matin. C'est l'une d'entre elles qui, au soir tombé et à l'occasion d'une fausse manoeuvre avait ainsi coulé devant le port,

La procession des Rogations, venant de BOURG, chaque 5 mars, constituait également un événement. Les gens du Port dressaient deux reposoirs, l'un chez LAFON et l'autre chez CASTAING et chacun dans une sorte de compétition s'ingéniait à faire le sien plus beau que l'autre, dans la limite des moyens dont on disposait évidemment.

Le pèlerinage annuel à VERDELAIS était de tradition. M. DAMON y est allé plusieurs fois.

On s'y rendait à pied en traversant la Garonne par le Bac de PREIGNAC dont le service était assuré par le Père POURQUEY. Il n'y avait pas de passeur à BARSAC. Et l'on continuait, toujours à pied, sur l'autre rive, jusqu'à VERDELAlS. On revenait le soir dans les mêmes conditions.

6 km 5 à l'aller et autant au retour. 

Deux fois par an, il y avait des courses de chevaux dans le pré du GRAND COULADAN.

Les courses de chevaux constituaient un événement mondain local. Elles étaient organisées par M. LACOSIE, le négociant en vin bordelais Mme LACOSTE y portait toujours des chapeaux remarqués.

 

Les GRAND et PETIT COULADAN sont deux ruisseaux descendant du Château ROLAND. Le petit est un simple fossé. On le nettoyait à l'occasion des courses et il servait d'obstacle pour les épreuves. Tous ces chevaux et les jockeys avec leurs casaques mettaient beaucoup d'animation ces jours-là entre le Port et la Route Nationale. Plus tard, il n'y a plus eu qu'une seule course par an.

N'oublions pas les feux de la Saint‑Jean qui offraient l'occasion d'une grande fête réunissant tous les habitants du Port, non plus que la fête organisée par la Société de Pêche du BOUSIC PREIGNACAIS, à laquelle tous étaient très assidus. Elle comportait un concours de pêche le matin et des jeux nautiques l'après-midi, dont une rituelle course aux canards.

 Mais les canards étaient fournis par Mme CERISIER qui les élevaient au Port de Barsac. Sitôt lâchés à PREIGNAC, ces canards revenaient tout droit à leur volière natale, au grand dam des concurrents qui ne pouvaient les rattraper. Mais Mme CERISIER récupérait ainsi les canards qu'elle avait vendus la veille aux organisateurs.

 Un peu plus tard, des bals ont été organisés chez la tante de M. DAMON.

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La pêche

On pratiquait plusieurs sortes de pêches dans le CIRON et sur la GARONNE. Elles se partageaient en deux modalités : les pêches en rivière sur bateau et les pêches depuis les rives.

Au bord de l'eau on pêchait à poste fixe au moyen de "platusses", vastes filets carrés suspendus par les coins à une corde descendant d'un mât incliné planté sur la rive. On y pêchait le carrelet.

A la saison, c'était aussi la pêche aux pibales pratiquée de la rive au moyen d'une grande épuisette, la nuit, à la vive lumière d'une lampe acétylène. Une fois, M. DAMON se souvient que le moment favorable était survenu alors que son père était à Bordeaux. Il était parti à cette pêche avec sa mère afin de ne pas laisser passer cette occasion. Ils s'étaient chargés de pibales. On les portaient dès que possible à la gare où les acheteurs les pesaient sur place et les payaient comptant avant de les expédier par le train. C'était une pêche de très bon rapport.

On pêchait également les lamproyons à la hauteur du moulin lorsqu'ils remontaient dans le CIRON.

En rivière, on pêchait en bateau, à l'épervier, surtout les poissons blancs, mais aussi au "birol". Il s'agissait d'un filet. tournant au courant, un peu comme une roue à aube, au flanc du bateau et qui, dans sa rotation continue, prenait les lamproyons dans l'eau et les élevaient jusqu'à la verticale. Ils tombaient alors d'eux-mêmes sur un grillage incliné qui les dirigeait vers le fond du bateau.

Devant le Port on ne pêchait guère l'alose, pas plus que la lamproie ; leurs prises étaient rares. Ces pêches se pratiquaient plutôt vers CADILLAC et BEGUEY ou en face de PREIGNAC. En bateau on allait également à la pêche à la foène sur le CIRON. Le pêcheur se tenait debout à l'avant, la foène à la main tandis qu'un compagnon ramait doucement à l'arrière.

Les marins étaient habiles aux travaux de fil et de corde. Le père de M. DAMON faisait ses filets. Lui-même, enfant en avait appris les rudiments de M. DUPUY, son instituteur. Son père savait également clisser les bouteilles et les bombonnes au moyen de cordelettes soigneusement ajustées. Ces travaux étaient étroitement liés aux traditions de la rivière.

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Les inondations

 

Les inondations étaient fréquentes. Une certaine année, la Garonne déborda 5 fois jusqu'au pas de la porte de M. DAMON, et le CIRON 6 fois. Les crues les plus sévères furent celles de 1927 et 1930, lorsque l'eau monta jusqu'à l'étage de sa maison. Il y avait alors 1 m 25 d'eau dans les chambres.

En cas de grosses crues les péniches fluviales venaient se mettre à l'abri des courants et des remous dans le CLRON jusqu'au moulin il existe des photos de cette situation. C'est pour cela que la passerelle sur le CIRON près de l'embouchure, peut se lever en cas de besoin.

Lorsque les crues restaient modestes on pouvait s'en protéger au moyen de batardeaux en planches dont l'étanchéité était assurée par du ciment ou du plâtre. Au-delà, il n'y avait plus qu'à déménager.

Ces crues étaient correctement annoncées. Le préavis était donné par ALCIDE, le tambour municipal qui venait informer les habitants de la hauteur des eaux à TONNEINS, MARMANDE et LA REOLE. D'expérience, chacun savait en tirer les conséquences et savait quelles mesures prendre dans sa propre maison. Lorsqu'intervenait une modification rapide de la situation, le génie maritime en communiquait l'information par téléphone installé chez M. LAFON, le seul poste qu'il y eût au Port et pendant très longtemps.

Cela pouvait en effet parfois aller très vite. M. DAMON évoque le souvenir d'une occasion où, alors qu'il était enfant, son père étant à Bordeaux et sa mère au bourg, il avait reçu un avis de crue imminente. De lui-même, il avait emballé la vaisselle du ménage et tout ce qui était transportable et avait monté le tout à l'étage. Tout était déjà presque fait lorsque sa mère, revenue en toute hâte, rentra à la maison.

Paradoxalement, ces périodes d'inondations étaient vécues comme un moment convivial au cours duquel se manifestait un grand élan de solidarité.

D'autres témoignages confirment ces communications en précisant toutefois que toutes les maisons n'en bénéficiaient pas.

 Les maisons communiquaient entre elles au niveau de l'étage et l'on pouvait ainsi passer de l'une à l'autre par des ouvertures que l'on refermait, après l'épisode et jusqu'à la fois suivante. On pouvait ainsi aller de l'une à l'autre et l'on faisait même des crêpes et des beignets à l'étage tandis que le rez-de-chaussée était submergé. Les maisons étaient d'ailleurs conçues pour assumer ce genre de situation. 

C'est ainsi que tous les intérieurs étaient blanchis à la chaux. On y aurait vainement cherché une tapisserie qui eût été décollée à la première crue.

Les enfants n'étaient pas trop fâchés de l'événement ils accompagnaient les hommes qui partaient en bateau au ravitaillement. C'était un peu Venise. Mais les parents, on s'en serait douté, appréciaient beaucoup moins. Lorsque la crue était alimentée par le Tarn, la rivière charriait des boues rouges tenaces qui salissaient beaucoup. 

En fin de crue, la survenance des eaux claires du CIRON, qui n'avaient pu s'écouler jusque là, permettait un bon nettoyage. Elles ne parvenaient qu'au moment de la décrue. Après ce retrait, il fallait nettoyer les puits qui avaient été envahis et on apportait du village un peu de bois sec pour allumer du feu et amorcer le séchage. 

1927 et surtout 1930 ont constitué un paroxysme du phénomène. En 1930, M. DAMON était encore devant sa porte à 15 heures. En pareil cas, il fallait percer des trous à la tarière dans le plancher afin de libérer la pression de l'eau, sinon la pression exercée aurait soulevé le plafond. On rebouchait ces trous avec des bondes de barrique lorsque l'eau s'était retirée.

La digue longue de 7 km protège l'intérieur des terres jusqu'à une hauteur d'eau de 9 m 10. En 1930, elle a été submergée mais non rompue. Elle a été construite en 1855 et est entretenue jusqu'à nos jours par un syndicat de propriétaires riverains et de communes.

D'autres témoignages précisent que ces trous existent encore et qu'ils ont encore été utilisés en 1952.

En 1930, l'eau a déferlé de l'autre côté de la digue avec une force incroyable. La Garonne charria des tas de choses : une charrette de fumier, une armoire, des troncs d'arbres qui pouvaient heurter les maisons ; ce que M. DAMON a heureusement évité. Un jour, il a vu passer un coq sur une épave. D'autres auraient vu un porc... 

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INDICATIONS COMPLEMENTAIRES TIREES DES AUTRES TEMOIGNAGES

 

Au moulin de PERNAUD, les radeliers engageaient leur radeau sur le passelis, sautaient sur la rive, contournaient le moulin en courant et retrouvaient leur radeau en aval pour en reprendre la direction afin qu'il ne se brise pas sur les rives.

 

Le service maritime de la DDE détient tous les plans de l'ancienne situation du confluent CIRON/GARONNE et du PORT de BARSAC.

 

Parmi les productions locales on retiendra le marché aux asperges de PUJOLS/GIRON, le marché aux petits pois de CERONS et la pêche dite de BARSAC, fruit remarquable du mois d'août. Cette dernière production a disparu du fait de l'incompatibilité des pêchers et de la vigne.

 

Lors de la crue de 1936, le flot emporta d'énormes ballots de coton que l'on blanchissait au moulin pour en tirer de la cellulose destinée à la poudrerie de St‑Médard. Une fois gorgés d'eau, on ne put plus les récupérer. Il fallut attendre qu'ils sèchent sur place. La même crue dispersa un important lot de queues de vaches qui étaient traitées dans l'usine au prix d'une odeur insupportable.

 

Les gabarres sont encore au fond du Port, recouvertes par les alluvions. Un certain nombre a coulé en 1930.

Témoignage recueilli par:   

Mémoire de Bommes, livre 5.

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Réalisée le 14 mars 2002  André Cochet
Mise ur le Web le  mars 2002

Christian Flages

Mise à jour le