Mémoire de Bommes, livre 4
tome 70, 1973, CRSM, n°8.
POIGNARDS
ET POINTE DE LANCE EN BRONZE DE BARSAC (Gironde)
par
Julia ROUSSOT-LARROQUE
Les trois
objets de bronze que nous présentons, deux poignards et une pointe de lance,
ont été recueillis en plusieurs fois, de 1952 à 1982, dans une carrière
d’extraction d’argile à briques située en bordure de la rive droite du
Ciron, dans une prairie au lieu-dit Tournet, commune de Barsac (Gironde). Ils
sont toujours en possession de leurs inventeurs, MM Marcel et Henri Filliâtre,
de Preignac [1].
Le premier poignard, de petite taille, possède une languette subtrapézoïdales étroite, percée de 4 trous de rivets disposés 2 et 2; les deux rivets du bas sont encore en place. Les bords effilés sont légèrement convexes, la pointe est ogivale.
La lame, de section losangique, présente une arête médiane adoucie. On note une légère asymétrie dans le sens latéral. Les trous de rivets, irréguliers, paraissent faits après la fente ; les deux supérieurs sont un peu plus grands que les inférieurs.
Les deux rivets sont faits de tiges de section plus
ou moins circulaire aplaties par martelage à chaque extrémité. La patine extérieure
est d’un vert foncé brillant, un peu bleuâtre. On remarque des stries
longitudinales sur toute la surface de la pièce; entre les deux rivets inférieurs,
sur chaque face, de fines entailles dessinent un cercle irrégulier comme si
l’on avait projeté de forer un cinquième trou de rivet.
longueur
: 83,6 mm;
largeur
maximale : 27,2;
épaisseur
maximale : 3,2;
longueur
des rivets : 8;
diamètre
de la tige : 4;
diamètre
des têtes de rivets : 5,2. 5. 5,6. 4,7.
Le second poignard n’a que deux rivets, dont l’un est encore en place. La languette, très courte, est arrondie au sommet ; elle présente une asymétrie accentuée par le fait qu’elle se trouve accidentellement rabattue près du rivet manquant.
La ligne des bords bien effilés souligne cette asymétrie : l’un est droit, l’autre légèrement concave. La pointe est émoussée. La lame, de section losangique, présente une arête médiane très adoucie tandis que la languette, très mince, est de section lenticulaire.
Les trous de rivets semblent faits après la fonte, mais leur forme est cependant régulière.
Le rivet subsistant est fait d’une
lige de section ronde aplatie par martelage aux deux extrémités. Patiné
d’un vert foncé noirâtre; stries longitudinales et obliques sur chaque face.
Quelques traces de martelage suggèrent la forme de l’emmanchement.
longueur
: 124,2 mm;
largeur
maximale : 80,8;
épaisseur
maximale : 4,5;
longueur
des rivets : 11;
diamètre
de la tige : 5;
diamètre
des têtes de rivets : 6,1 et 6.
Les ailerons sont peu développés; les bords en sont coupants mais ne forment pas de tranchants individualisés. On note un léger décalage des valves du moule dans le sens latéral. Bien qu’élancée, cette pièce est massive et lourde; l’exploration montre que le creux de la douille se termine à 42,5 mm de la pointe, alors qu’à l’extérieur le renflement médian se poursuit normalement jusqu’à l’extrémité de la pièce.
Patine noirâtre peu épaisse, laissant paraître la
couleur jaune du métal; forte corrosion superficielle, semblable à celle de
certains bronzes ayant séjourné dans de la tourbe ou de Pallos.
longueur totale : 188 mm;
longueur
de la douille : 87;
largeur
maximale de la douille : 20,9;
largeur
maximale des ailerons : 82;
épaisseur
maximale : 20;
diamètre
des trous de goupille : 5,5 et 5,6;
profondeur
de la douille : 140.
Les conditions de trouvaille des bronzes de Barsac ne permettent pas de penser qu’il s’agissait d’un dépôt; la différence des patines et des états de surface confirme que chacun de ces objets doit être considéré isolément.
La nature exacte du gisement ne peut être actuellement précisée, compte tenu des destructions opérées par l’exploitation de la terre à briques. On peut se demander s’il n’y eut pas en cet endroit un groupe de sépultures.
Un crâne humain fut d’ailleurs recueilli en ces lieux; il tomba en poussière par la suite et ne fut pas conservé. Il est cependant impossible de dire si ce crâne appartenait à l’âge du Bronze ou aux époques plus récentes dont le site a livré des vestiges (monnaies, etc...).
Dans le vaste ensemble des poignards à languette trapézoïdale du Bronze moyen, les exemplaires à 4 rivets occupent une position chronologique relativement ancienne (Vogt, 1959; Millotte, 1963).
Dans l’Allemagne du sud-ouest, ils apparaissent dès le début de la civilisation des Tumulus. Ainsi, par exemple, dans un tumulus de Mülthal, Gde. Leutstetten, Ldkr. Starnberg, en Bavière, un poignard à languette trapézoïdale et 4 rivets accompagne une épingle à renflement gravé perforé et une hache de type bohémien, le tout rapporté au Bronze B de Reinecke, c’est à dire au début du Bronze moyen (Torbrügge et Uenze, 1908, p.153).
A Veylaux (canton de Vaud, Suisse) le poignard à 4 rivets est associé à une hache à bords cintrés de type sonabe (Vogt, 1959), tandis qu’à Haguenau, dans le tumulus 84 de Kirchlach, une hache à talon sans anneau et une épingle à tête discoïde surmontée d’un cône accompagnaient un autre poignard à 4 rivets auprès d’un squelette inhumé (Schaeffer, 1926).
Ce dernier exemple semble indiquer que l’usage des
poignards à 4 rivets s’est prolongé un certain temps pendant le Bronze
moyen. Quoi qu’il en soit, le poignard à 4 rivets de Barsac pourrait se
classer au Bronze B ou C+ de Reinecke, c’est à dire dans la première moitié
du Bronze moyen.
Le second poignard, avec ses deux rivets, se rattache à un groupe beaucoup plus répandu en France bien qu’il soit, comme celui des poignards à 4 rivets, directement inspiré de la Civilisation des Tumulus de l’Allemagne du Sud Ouest.
Apparu probablement au début du Bronze moyen, mais très souvent associé à des objets un peu plus tardifs (Reinecke C1 et C2), ce type de poignard a pu rester en usage en France jusqu’à l’extrême fin de cette période, dans la phase de transition Bronze moyen-Bronze final;
C’est ce que semblerait indiquer la présence d’un fragment d’arme de ce type dans le dépôt de Malassis (Briard, Cordier et Gaucher, 1969, fig. 10, n°48) tout comme à Vernalson ou à Porcleu-Amblagaleu.
Cependant, comme ces grands dépôts livrent souvent
des objets de récupération antérieurs à la date d’enfouissement de
l’ensemble, rien ne s’opposerait à ce que l’on place le poignard isolé
de Barsac dans la phase C1 de Reinecke, comme beaucoup de ses homologues (Millotte,
1963, p.108), même si la réduction de la languette apparaît comme un caractère
plutôt tardif.
L’asymétrie des poignards de Barsac pourrait faire penser à un emmanchement transversal, du type hallebarde, d’autant qu’à Haguenau C.-F.-A. Schaeffer a noté, sur une arme du même type, des restes de manche en bois dont les fibres étaient perpendiculaires à l’axe de la lame (Schaeffer, l.C.).
Néanmoins, on pense que ces « poignards »
étaient en réalité utilisés comme couteaux de poche et de ce fait l’asymétrie
de nos deux pièces peut être purement accidentelle.
La pointe de lance de Barsac, avec sa longue douille peu profonde et sa massivité, ne doit pas être beaucoup plus récente que les deux poignards décrits précédemment. Elle présente certaines ressemblances avec les pointes de lance du groupe breton de Rosnoën (Bronze final 1), généralement moins massives cependant (Briard, 1965);
Plus près de nous, la pointe de lance du dépôt du
Temple (Saint Vivien de Médoc, Gironde) et celle des Piloquets à Barzan
(Charente-Maritime), en contexte Bronze moyen, présentent des caractères
analogues.
Les influences de la civilisation des Tumulus du Bronze moyen du sud-ouest de l’Allemagne, n’ont guère été jusqu’ici remarquées en Aquitaine. Nous avons toutefois déjà attiré l’attention sur de telles influences à propos de l’épingle à renflement perforé découverte en 1968 dans la grotte de Font de Gaume, en Dordogne (Roussot-Larroque, 1969).
La richesse un peu écrasante du Médoc et même du Libournais ont jusqu’ici retenu l’attention aux dépens du reste de l’Aquitaine et leur originalité - on pourrait dire même leur particularisme- continuent à poser bien des problèmes.
La vallée du Ciron, située à l’écart de ces
deux zones riches en trouvailles, tout comme la vallée de la Vézère, livrent
au contraire des éléments moins abondants mais peut-être plus éclairants.
Les poignards à languette trapézoïdale et arête médiane de Barsac, tout
comme l’épingle à renflement perforé de Font-de-Gaume manifestent que les
influences de la civilisation des Tumulus, déjà reconnues dans le Centre de la
France (Millotte, 1961) ont atteint aussi le Nord de l’Aquitaine. Leur rôle
dans la constitution des groupes régionaux du plein Bronze moyen ne doit
certainement pas être sous-estimé[2].
MILLOTTE J.P., - Le
Jura et les plaine de la Saône aux Ages des métaux, Paris, les Belles
Lettres, 1963, 452 p., 77 pl.
ROUSSOT-LARROQUE J., - Vestiges de l’Age du Bronze
dans la grotte de Font-de-Gaume, Quaternaria,
t. 11, 1969, pp. 133-140, 2 fig.
SCHAEFFER C.-F.-A., - Les tertres funéraires préhistoriques dans la forêt de Haguenau, t.1
: Les tumulus de l’Age de Bronze. Haguenau, Imprimerie de la Ville, 1926, 279
p.
Résultat de l’analyse métallographique : Poignard
à 4 rivets : Cu (89), Sn : 10, Pb : 0,05,As : 0,10, Sb : 0,10, Ag : 0,04, Ni :
0,60, Bi : 0,003, Fe : 0,010, Zn : 0,001, Mn : 0,04. Poignard à 2 rivets : Cu
(92), Sn : 7, Pb : 0,05, As : 0,03, Sb : 0,10, Ag : 0,03, Ni : 0,04, Bi : 0,007,
Fe : 0,50, Zn : 0,02, Mn : 0,005. Rivet du 2ième poignard : Cu (86), Sn
: 12, Pb : 0,05, As : 0,50, Sb : 0,025, Ag : 0,03, Ni : 0,50, Bi : 0,002, Fe :
0,30, Zn : 0,001, Mn : 0,03. Analyses effectuées par J. Bourhis au Laboratoire
d’Anthropologie Préhistorique de Rennes, dirigé par P.-B. Giot, que nous
assurons de notre gratitude.
OBJETS PRESENTES
par Mr RENE DESTANQUE
de BARSAC,
33
Hache polie de la commune de Preignac (Gironde)
Lieu-dit « Côte de Sanche », sur les
bords du Ciron, rive droite hache polie en silex jaune clair patiné à méplats
latéraux; traces de brûlure probablement récentes; tranchant intact. Trouvée
par M. Filliâtre Henri au mois de Juillet 1973 après les orages de grêle du
mois de juin 1973.
Cette pièce appartient au Néolithique ou au
Chalcolithique, soit entre 5000 et 2000 environ avant J.C.
Bordeaux le 11 décembre 1973
Julia Roussot-Larroque, agrégée de l’Université,
Chargée de recherches au Centre National de la Recherche Scientifique.
[1] Nous tenons à exprimer notre vive gratitude aux propriétaires, MM. Filliâtre frères, à Preignac, qui ont bine voulu nous prêter ces objets pour étude et en autoriser l’analyse, ainsi qu’à M. René Destanque, de Barsac, à qui nous en devons la connaissance.
[2] Laboratoire de Géologie du Quaternaire et Préhistoire, Université de Bordeaux I (L.A. 133); adresse personnelle : 81, cours Victor Hugo, 33000 Bordeaux.
Mémoire
de Bommes Livre 4
Transcrit par Isabelle DUCOUSSO.
Réalisée le 13 mars 2002 |
André Cochet |
Mise ur le Web le mars 2002 |
Christian Flages |
Mise à jour le |
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