La VIE d'un TONNELIER,

écrite par lui-même.  

  1849  

Bordeaux Typographie et lithographie de E. Mons rue Arnaud Miqueu N° 3 

Collection: Brigitte FAURE.            

Mémoire de Bommes Livre 13  

Note: Ce texte est écrit dans un langage où se mêlent le gascon, le français et des expressions de métier.
Il peut être un témoignage de cette époque où le français pris progressivement la place du gascon dans le langage populaire.

Traduit par: Mme Andrée PUZOS
Corrections de M. Jean DARTIGOLLES

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* Indique une précision..

Messiurs et Chers amis,


Nous boici donc réunis; 
Si je monte à la trivune, 
Soyez-en sûrs, c'est sans rancune, 
Et certes, en boici la raison : 
Il s'agit de ma bie de garçon, 
Que je publie et mets au grand jour, 
Abec ses valoches et son amour. 
Personne, je pense, ne troubera mal, 
Et quand même cela me serait égal, 
A ce que j'engage filles et garçons 
A puiser dans ma bie de vonnes leçons 
Oui, je dis de vonnes leçons,
Et pour cela j'ai des raisons;

Messieurs et Chers amis,


Nous voici donc réunis; 
Si je monte à la tribune, 
Soyez-en sûrs, c'est sans rancune, 
Et certes, en voici la raison : 
Il s'agit de ma vie de garçon, 
Que je publie et mets au grand jour, 
Avec ses valoches et son amour. 
Personne, je pense, ne trouvera mal, 
Et quand même cela me serait égal, 
A ce que j'engage filles et garçons 
A puiser dans ma vie de bonnes leçons 
Oui, je dis de bonnes leçons,
Et pour cela j'ai des raisons;

4

Car pour bien bibre
Il faut être libre;
De plus connaître le vien et le mal
Et ne pas bibre comme un paubre animal.
Accourez donc, torts et bossus,
Dussiez-bous être tous pendus,
Entendre ce famux récit
Qui sort de la plume d'un vandit.
Je bais commencer mon vavardage,
Tandis qu'on me prépare un potage,
Et si bous m'écoutez, ça sera mon vonhur,
Car, bous le sabez, je ne suis pas mentur.
Boyons, un coup à boire,
Cela rappelle la mémoire :
Messiurs et dames, vien à botre santé,
Je lèbe le coude……, escamoté.

4

Car pour bien vivre
Il faut être libre;
De plus connaître le bien et le mal
Et ne pas vibre comme un pauvre animal.
Accourez donc, torts et bossus,
Dussiez-vous être tous pendus,
Entendre ce fameux récit
Qui sort de la plume d'un bandit.
Je vais commencer mon bavardage,
Tandis qu'on me prépare un potage,
Et si vous m'écoutez, ça sera mon bonheur,
Car, vous le savez, je ne suis pas menteur.
Voyons, un coup à boire,
Cela rappelle la mémoire :
Messieurs et dames, bien à votre santé,
Je lève le coude……, escamoté.

4

Dès l'âge de quatorze ans
Je suibais les junes gens; 
J'allais à Noaillant ; 
Que faire, l'insolent. 
J'y abais une vonne amie 
Que j'aimais à la folie, 
Et sans mentir, ma foi , 
Elle balait plus que moi.

4

Dès l'âge de quatorze ans
Je suivais les jeunes gens; 
J'allais à Noaillan ; 
Que faire, l'insolent. 
J'y avais une bonne amie 
Que j'aimais à la folie, 
Et sans mentir, ma foi , 
Elle valait plus que moi.

5

Mes compagnons de boyage, 
Qui pas un n'était sage, 
S'abisèrent un soir au val, 
Ét ça fut un grand mal, 
De faire les freluquets. 
Ah ! Il fallait boir ces cadets 
De l'Anglés, Peyremat, la Boueyrique, 
Touts munits d'esbentails à bourrique, 
Bitoun, Castigues et Targos, 
Daou même esbentail nous briset lous os. 
Quand je me rappelle, le Diavle m'emporte, 
Comme nous passâmes la porte 
D'une salle de danse,
Tous en grande cadence; 
Passer de long en large et en trabers 
Par dessus femmes et filles à l'enbers. 
C'était un soir, au quartier de Cachats, 
Qu'on nous fit perdre le goût des entrechats. 
Ces professurs nous donnèrent le pas 
A coups de triques, fourches, échalats. 
Jugez si j'eus pur pour ma june peau, 
Moi élebé à la douçur d'un château; 
C'était pour moi la première affaire, 
Aussi montrai-je du caractère. 
Si du moins la braboure existe en fuyant, 
Croyez-moi, j'étais pas le plus faignant;
J'abais pourtant l'occasion de pousser une botte, 
Et je poussai mes souliers bers la Saubote;

5

Mes compagnons de voyage, 
Qui, pas un n'était sage, 
S'avisèrent un soir au bal, 
Et ce fut un grand mal, 
De faire les freluquets. 
Ah ! Il fallait voir ces petits 
De l'Anglés, Peyremat, la Boueyrique, 
Tous munis d'éventails à bourrique,*
Bitoun, Castigues et Targos, 
Du même éventail nous brisèrent les os. 
Quand je me rappelle, le Diable m'emporte, 
Comme nous passâmes la porte 
D'une salle de danse, 
Tous en grande cadence; 
Passer de long en large et en travers 
Par dessus femmes et filles à l'envers. 
C'était un soir, au quartier de Cachats, 
Qu'on nous fit perdre le goût des entrechats. 
Ces professeurs nous donnèrent le pas 
A coups de triques, fourches, échalas.
Jugez si j'eus peur pour ma jeune peau,
Moi élevé à la douceur d'un château;
C'était pour moi la première affaire,
Aussi montrai-je du caractère.
Si du moins la bravoure existe en fuyant,
Croyez-moi, j'étais pas le plus faignant;
J'avais pourtant l'occasion de pousser une botte,
Et je poussai mes souliers vers la Saubote;

*(Il s'agit d'un fouet.)

 6

Et d'une horrible pur,
Je fuyais comme un bolur
A trabers le pré de Pierre Ménat;
J'en franchis le pont miux qu'un chat.
Mes camarades qui m'abaient suihi de près,
L'un tombe et le signal est donné;
Ils jurent entr'ux de ne pas céder la place
Qu'au dernier os vrisé de lur carcasse.

Effectibement,

Mais doucement,
Les coups de poings sont donnés à discrétion,
Sans qui me bint à l'idée d'en prendre portion :
J'étais là sul, j'abais pur du comvat;
Fuir plus loin, j'abais pur du savat.
Que faire. J'abais mon fusil douvle sur le vras,
Alors je tire en l'air pour faire mes emvarras.

A ce vruit,

Les hommes quittent fur lit,
Courent au secours abec des vadines d'assomurs,
Poursuibant nos vrabes comme des bolurs.
En cridant : arrebire aqui ! arrebire là-bas !
Té, n'én bala un que passe én d'aquet pas.
Et tout ça benait dans ma direction.
Bous croyez que j'ai attendu, pas si crayon.
Un frissonnement me prit de la tête aux pieds,
Et pour driber plus bite, je quitte mes souliers;
J'en pris un à chaque main,
Et je partis aussi prompt qu'un lapin.

 6

Et d'une horrible peur,
Je fuyais comme un voleur
A travers le pré de Pierre Ménat;
J'en franchis le pont mieux qu'un chat.
Mes camarades qui m'avaient suivi de près,
L'un tombe et le signal est donné;
Ils jurent entre eux de ne pas céder la place
Qu'au dernier os brisé de leur carcasse.

Effectivement,

Mais doucement,
Les coups de poings sont donnés à discrétion,
Sans que me vint à l'idée d'en prendre portion :
J'étais là seul, j'avais peur du combat;
Fuir plus loin, j'avais peur du sabat.
Que faire. J'avais mon fusil double sur le bras,
Alors je tire en l'air pour faire mes embarras.

A ce bruit,

Les hommes quittent leur lit,
Courent au secours avec des badines d'assommeurs,
Poursuivant nos braves comme des voleurs.
En criant : regarde ici ! regarde là-bas !
Tiens, en voila un que passe à cet endroit.
Et tout ça venait dans ma direction.
Vous croyez que j'ai attendu, pas si couillon.
Un frissonnement me prit de la tête aux pieds,
Et pour courir plus vite, je quitte mes souliers;
J'en pris un à chaque main,
Et je partis aussi prompt qu'un lapin.

7

C'est des ailes que j'aurais boulu;  
Je lur aurais montré mon c...  
J'arribe donc à la Saubotte tout essouflé ;  
Mais un nommé Cague-Saou m'abait debancé,  
Car sitôt qu’il me bit,  
De honte il pâlit.  
Tiens, te boilà dit-il; ou sont les autres ?
Ils s'amusent dis-je, à se brosser les côtes;  
Car s'ils abaient fait comme nous dux,  
Fuir le comvat comme des petux,  
Ils auraient au moins gagné à fuir  
La conserbation de lur cuir.  
Oui , sans doute, dit Cague Saou,  
Mais tout aco ne guérit pas lur maou.  
A ma foi, mon ami, qu'y faire ?  
Saube qui put, c'est mon affaire.  
Il est brai qu'ils bont nous traiter de lâches,  
De drôles, de poltrons et de ganaches.  
Eh vien !  nous répondrons à cette interpellation  
Par l'épée, la canne, le demi-espadron;  
Par-là nous ferons boir que nous sommes des gaillards  
A ne pas souffrir qu'on nous traite de vavillards,  
Et s'ils ont le malhur de nous parler sabatte,  
Je les démolis à coups de patte.  
Eh vien ! Cague-Saou, comment troubes-tu ce récit.  
Jeu troby, me respound, qu'as fort bien méntit,  
Et bédy qu'es de l'abis daou Testut de Carasse,  
Que dit : n'es pas méntir per counserba sa carcasse.  

7

C'est des ailes que j'aurais voulu;  
Je leur aurais montré mon c...  
J'arrive donc à la Saubotte tout essoufflé ;  
Mais un nommé Cague-Sel m'avait devancé,
Car sitôt qu’il me vit,  
De honte il pâlit.  
Tiens, te voilà dit-il, où sont les autres ?

Ils s'amusent dis-je, à se brosser les côtes;  
Car s'ils avaient fait comme nous deux,  
Fuir le combat comme des péteux,  
Ils auraient au moins gagné à fuir  
La conservation de leur cuir.  
Oui , sans doute, dit Cague-Sel,  
Mais tout ceci ne guérit pas leur mal.  
A ma foi, mon ami, qu'y faire ?  
Sauve qui peut, c'est mon affaire.  
Il est vrai qu'ils vont nous traiter de lâches,  
De drôles, de poltrons et de ganaches.  
Eh bien !  nous répondrons à cette interpellation  
Par l'épée, la canne, le demi-espadon;  
Par là nous ferons voir que nous sommes des gaillards  
A ne pas souffrir qu'on nous traite de babillards,  
Et s'ils ont le malheur de nous parler savate,  
Je les démolis à coups de patte.  
Eh bien ! Cague-Sel, comment trouves-tu ce récit.  
Moi je trouve que tu as fort bien mentit,  
Et je vois que tu es de l'avis du Têtu de Carasse,  
Qui dit : n'est pas mentir pour conserver sa carcasse.  

8

Et jou tapaou, que didi coume Biquette de l'Ardit:  
Pas tant d'aounou, un petit mey de proufit.  
Cé que ma pet à jou jogue un grand rôle,  
Et préféry la counserba, épuey passa per drôle;  
Car si n'ère estat de la bitesse de mous pés,  
Que me l'aouren, sur ma foey, birade à l'enbés;  
Epuey si parly coume un capoun ,  
Saby que n'in a daoutes,  
Et préféry aquet renoun  
Que d'habita dani les taoupes.  
Mais tu que parles espade, espadroun épuey canne, Absolumén coume un bourcou de cràne,  
Ban beyre toutare, dichan‑lous arriba,  
Si aouras espade, espadroun à proposa;  
Toutare que parlabes de poussa une botte,  
Et déns un moumént feras caca déns ta culotte.  
Si proposes, certes te préndran aou mot,  
Et sabes qui, Grigouille de Manot,  
Que jogue d'aco coume Tayau de la flûte,  
Et que ne sera pas lou darney à cerca dispute,  
Car si leou arribat, acos un duel proposat;  
Et tu, praoube, de t'escapa à trabers sègue et barat  
Dam la rapiditat daou praoube Minoche,  
Une came debat lou bras et lou pé déns sa poche;  
Et jou que parly coume S. Paul, la bouque ouberte,  
Ne saby pas trop si n'aourey pas moun alerte,  
Si ne serey lancat et esperounat à moun tour  
Coume Folly pur sang de Carayon-Lalour,  

8

Et moi je dis comme Biquette de l'Ardit:  
Pas tant d'honneur, un peut plus de profit.  
C'est que ma peau à moi  joue un grand rôle,  
Et préfère la conserver, et puis passé pour drôle;  
Car si n'avait été la vitesse de mes pieds,  
Qu'ils me l'auraient, sur ma foi, tournée à l'envers;  
Et si je parle comme un peureux,  
Je sais qu'il y en à d'autres,  
Et je préfère ce renom  
Que d'habiter avec les taupes.  
Mais toi qui parles épée espadon  et puis canne,  
Absolument comme un bourreur de crâne,  
On va voir tout à l'heure, laissons les arriver,  
Si tu auras  épée, espadon à proposer;  
Tout à l'heure que tu  parlais de pousser une botte,  
Et dans un moment tu feras caca dans ta culotte.  
Si tu proposes, certes, ils te prendront au mot,  
Et tu sais qui, Grigouille de Manot,  
Qui joue de ça comme Tayau de la flûte,* 
Et qu'il ne sera pas le dernier à chercher dispute,  
Car sitôt arrivé, ça, c'est un duel proposé;  
Et toi, pauvre, de t'échapper à travers chaumes et haies  
Avec la rapidité du pauvre Minoche,  
Une jambe sous le bras et le pied dans sa poche;  
Et moi qui parle comme Saint Paul, la bouche ouverte,  
Ne sais pas trop si n'aurais pas mon alerte,  
Si je ne serais pas lancé et éperonné à mon tour  
Comme Folly, pur sang de Carayon-Lalour,  

* (Tayau, nom de chien.)

9

Ou tannat, flagelle coume Jou chibaou de Moiselle, Treynat per soun cabalié, est amey la selle.  
Coume bédes que n'aourés jamais dit  
Que Cague-Saou ère un homme d'esprit.  
Soubén un ménsounge baou mey qu'une béritat,  
Tant per lou brabe coume per lou scélérat,  
Et nous aoutes faou sustène qu'en assistat  
Sur lou prat aou coumbat de Peyre Menat;  
Si nous demanden à beyre les blessures,  
Diran que n'an feyt que nous applatir les coutures,  
Et si trop benen nous turlupina,  
Te lous émbiy à touts à caga.  
Lons bala qu’arriben, mettén-nous de coustat,  
Et Coumpreni Laguine, que dit m'an pelat.  
Effectibement, nous comprîmes Laguine  
Qui disait en patois, 
Mais à haute boix ;  
Pardiu, m'an jolimént broussat l'esquine;  
Car si n'ère maimselle Coquille, 
Qu'es pu nariouse qu'une canille,  
Et que bindren aci nous fa tana la pet,  
Ma foey acos bien trop per un pareil aoudet.  
Oui, dit lou Monte, tu dides coume bos,  
Et jou, sans elle m'aouren brisat lous os,  
Car tant que m'a cachat et mis én sûretat,  
Un aoute es éntrat et l'y a tout rougat.  
Et tu trobes qu'acos bien feyt !  
La hala séns pan, ni cruchade, ni farine déns la meyt.  

9

Ou tanné, flagellé comme le cheval de Moiselle,  
Traîné par son cavalier, et aussi la selle.  
Comme vous voyez que n'aurais jamais dit  
Que Cague-Sel était un homme d'esprit.  
Souvent un mensonge vaut mieux qu'une vérité,  
Tant pour le brave comme pour le scélérat,  
Et nous il faut soutenir qu'on à assisté  
Sur le pré au combat de Peyre Menat;  
S'ils nous demandent à voir les blessures,  
Nous dirons qu'ils n'ont fait qu'aplatir les coutures,  
Et si en plus, ils viennent nous turlupiner,  
Je te  les envoie tous à caguer.  
Les voila qui arrivent, mettons-nous de côté,  
Et je comprends Laguine, qui dit, ils m'ont pelé.  
Effectivement, nous comprîmes Laguine  
Qui disait en patois, 
Mais à haute voix ;  
Pardieu, ils m'ont joliment brossé l'échine;  
Car si ce n'était mademoiselle Coquille, 
Qui est plus sale qu'une guenille,  
Ils viendraient ici nous faire tanner la peau,  
Ma foi ce serait bien trop pour un pareil oiseau.  
Oui, dit le Monte, tu dis comme tu veux,  
Et moi, sans elle ils m'auraient brisé les os,  
Car pendant qu'elle m'a caché et mis en sûreté,  
Un autre est entré et lui a tout mangé.  
Et tu trouves que c'est bien fait !  
La voila sans pain, ni cruchade, ni farine dans la maie.  

10

Praoube g.... ! pot mette ses dénts aou planchat,
Car tout ce qu'abébe, l'y a rougat.  
Eh bé, ma foey d'aounou, dit Lilos daou Mouret,  
Bas beyre que me la baou mena à Naoutet.  
Eh bé ! ne feras pas maou, dit Jeantillot de la Brousse, Seras bien gansourat. dam aquère trousse,  
Et te promèty qu'es une fort bonne pet;,  
Un cop bien polide, fera un boun mantet,  
Boun à résista à la pluge, à la neige, à la grêle,  
Même aou bounbardemént d'une citadelle.  
Bèdes-tu, moun cher, acos une pèce de rempart;  
Aco es imprenable un cop bracat,  
Epuey ne parlen pas mey d'aquelle bêtise,  
Car ban de l'aban coume l'escribisse;  
Ce que me tarde  d'arribr aou cabaret,  
Pénsy qu'y trouberan Cague-Saou epuey Espagnet.
Aqui saouran si an assistat  
Sur lou prat aou coumbat de Peyre Menat.  
Oui, oui, dit Cague-Saou, y ey assistat,  
Et m'y suey battut én désespérat.  
Ah! ah! te bala, dit Laguine, approche,  
Saouran s'es exant de reproche.  
Alors nous abançons sur la pointe des piés,  
Comme dux héros couberts de l'auriers;  
Là nous troubons une armée en déroute,  
Vien disposée à croquer une croûte;  
De suite nous entrons ensemvle chez Laillic;  
Mais Laguine continue à faire la bernic;  

 

10

Pauvre garce ! Elle peut mettre ses dents au plancher,
Car tout ce quelle avait, il l'a mangé.  
Eh bien, sur mon honneur dit  Lilos du Mouret,  
Tu vas voir que je vais me l'emmener à  Nautet.  
Eh bien ! tu ne feras pas mal, dit Jeantillot de la Brousse,
Tu seras bien bridé avec cette trousse. 
Et je te promets qu'elle a  une fort bonne peau;  
Un foi bien polie elle fera un bon manteau,  
Bon à résisté à la pluie, à la neige, à la grêle,  
Même au bombardement d'une citadelle.  
Vois-tu mon cher, ceci est une pièce de rempart;  
Ceci est imprenable un fois branché,  
Et puis ne parlons plus de cette bêtise,  
Car allons de l'avant comme je l'écris;  
Ce qu'il me tarde. d'arriver au cabaret,  
Je pense qu'on y trouvera Cague-Sel et Espagnet.  
Là on saura s'ils ont assisté  
Sur le pré au combat de Peyre Menat.  
Oui, oui, j' y ai assisté, dit Cague-Sel,
Et je m'y suis battu en désespéré.  
Ah! ah! te voila, dit Laguine, approche,  
Nous saurons si tu es exempt de reproche.  
Alors nous avançons sur la pointe des pieds,  
Comme deux héros couverts de lauriers;  
Là nous trouvons une armée en déroute,  
Bien disposée à croquer une croûte;  
De suite nous entrons ensemble chez Laillic 
Mais Laguine continue à faire le difficile;*

*  (En matière de nourriture.)

  11

Il commence par nous apostropher,  
Nous tenant par le collet; c'était trop près.  
A çà, dit Cague-Saou,  
Bédy qu'aco finira maou.  qu bos ?  
Dis doun, Laguine, acos à jou qu’én bos ?  'èn  
0, positibemént à tu, Moussu Lados,  
Perqué faou t'appela per toun noum.  
Lados et Cague-Saou ne soun qu'un polissoun,  
Tabé coume l'aoute freluquet,  
Per ne pas dire qui, Espagnet,  
Que s'es escapat coume une bourrique,  
Dam la rapiditat daou télégraphe électrique.  
Moi m'entendre appeler bourrique !  
Cela me fit gonfler comme une varrique;  
Cette insulte sonna si mal à mon oreille,  
Que j'armai mon vras d'une grosse vouteille,  
Et je la brandis en l’air  
Abéque la rapidité de l'éclair.  
Apprenez, lâches, que quand il s'agit d'honnur,
Pas un miux que moi pour espectatur,  
Et que jamais je ne recule une affaire,  
N'importe quelle arme, sans adbersaire,  
Et je bous prie à tous de croire  .  
Que j'ai autant de cur que le père Grégoire.  
A la bonne hore, dit La France,  
Bala un lapin de grande espérance;  
Faou doun bouta aille nadaou,  
Et qu'un chacun poupi soun maou,  

11

Il commence par nous apostropher,  
Nous tenant par le collet; c'était trop près.  
A çà, dit Cague-Sel,  
Je vois que cela finira mal.  
Dis donc, Laguine, c'est à moi que tu en veux ?  
Oui, positivement à toi, Monsieur Lados,  
Puisqu'il faut t'appeler par ton nom.  
Lados et Cague-Sel ne sont qu'un polisson,  
Tout comme l'autre freluquet,  
Pour ne pas dire qui, Espagnet,  
Qui s'est échappé comme une bourrique,  
Avec  la rapidité du télégraphe électrique.  
Moi m'entendre appeler bourrique !  
Cela me fit gonfler comme une barrique;  
Cette insulte sonna si mal à mon oreille,  
Que j'armai mon bras d'une grosse bouteille,  
Et je la brandis en l’air  
Avec la rapidité de l'éclair.  
Apprenez, lâches, que quand il s'agit d'honneur,  
Pas un mieux que moi pour spectateur,  
Et que jamais je ne recule une affaire,  
N'importe quelle arme, sans adversaire,  
Et je vous prie à tous de croire  .  
Que j'ai autant de coeur que le père Grégoire.  
A la bonne heure, dit La France,  
Voila un lapin de grande espérance;  
Faudra donc mettre ..?..?*. Noël, 
Et que chacun tète  son mal,  

*(terme incompris)

12

Epuèy trinqua, dam une boune rasade,  
A l'aounou d'aquère mémorable journade  
Faou l'appela la bataille de Peyre Menat,  
Et fa graba sur ladite peyre,  
Per une man fort leougeyre,  
Lou noumbre qu'un chacun a tuat.  
Oh ! én d'aquet mot de graba,  
Fallut lou beyre se quilla.  
Jou me sucy battut coume cinq,  
Trés seran morts aou matin.  
Jou, aou béntrut de la Moulière,  
D'une paoumade l'ey réduit én poussière.  
Un aoute a courut én fier goujat,  
D'un cop de griffe l'ey escartelat.  
Jou, à Cadet de l'Hercule,  
D'un cop de pé l'y ey coupat la gule.  
Jou, aou tignous de la Rouquette,  
L'y ey jolimén tapat sur la berette.  
Jou, aou grand blanc de Larquey,  
L'ey saisit per la braguette et lou cintey,  
En l'air te l'ey émbiat,  
A l'hore qu'es n'es pas toumbat;  
Lou crédy crouchat à la lune,,  
On bien à la planète de Saturne.  
Grand Diu ! Mon Diu ! dit Cague-Saou,  
Que de morts et blassats à l'hespitaou;  
Jamey ne s'es bis déns un si petit billatche  
Un si affrus et si cruel carnatche,  

12

Et puis trinqué, avec une bonne rasade,  
A l'honneur  de cette mémorable journée  
Il faut l'appeler la bataille de Peyre Menat,  
Et il faut graver sur ladite pierre,  
Par une main fort légère,  
Le nombre que chacun a tué.  
Oh ! à ce mot de graves 
Il fallu les voir se lever.  
Moi je me suis battu comme cinq,  
Trois seraient morts au matin.  
Moi, au ventru de la Moulière,  
D'un coup de paume je l'ai réduit en poussière.  
Un autre a couru en fier goujat,  
D'un coup de griffe je l'ai écartelé.  
Moi, à Cadet de l'Hercule,  
D'un coup de pied je lui ai coupé la gueule.  
Moi, au méchant de la Rouquette,  
Je lui ai joliment tapé sur la tête.  
Moi, au grand blanc de Larquey,  
Je l'ai saisi par la braguette et la ceinture,  
En l'air je l'ai envoyé,  
A l'heure qu'il est il n'est pas encore retombé;  
Je le crois accroché à la lune,  
On bien à la planète de Saturne.  
Grand Dieu ! Mon Dieu ! dit Cague-Sel,  
Que de morts et blessés à l'hôpital;  
Jamais il ne n'est vu  dans un si petit village  
Un si affreux et si cruel carnage,  

 13
   
Car si ne tapouen tout aco,
Marchandise que ne baou pas un so,  
Et les y dire un de profundis,  
Ban, lou diable m'émporte, infecta lou péis.  
Enfin, bous boyez cette mortalité,  
Eh bé ! pas un sul n'était vlessé,  
Car nos casse-bras, casse-reins  
Abaient fui à pleines jamves et perdu les chémins,  
Et moi, en brai luron,  
J'étais caché derrière un buisson.  
Mais j'en ai déjà fait l'abu,  
Que j'étais un paubre puru.
Non, si c'était de se vattre en gourmand,  
Oh ! là j'ai la balur du chibalier Rolland,  
Car si le gastronome est d'un grand mérite,  
Je dois aboir la décoration de la marmité.  
Nous quittâmes la Saubotte à dux hures duaco,
Et un chacun des héros prit son chemin.  
De Vernille j'étais sul; sans pur  
J'attrape la grille, je franchis le mur  
Du parc du château.  
Que c'était veau !  
Qu'un polisson de ma taille  
Franchisse fossés, grilles et muraille !  
Les gens du château se disaient,  
Ah ! finira maou aquet cadet;  
Beyrats qu'aquet lapin  
Quaouque matin,  

13
   
Car si on enterre pas tout ça,
Marchandise qui ne vaut pas un sou,  
Et leur dire un déprofondis,  
Ils vont, le diable m'emporte, infecter tout le pays.  
Enfin, vous voyez cette mortalité,  
Eh bien ! pas un seul n'était blessé,  
Car nos casse-bras, casse-reins  
Avaient fuit à pleines jambes et perdu les chemins,  
Et moi, en vrai luron,  
J'étais caché derrière un buisson.  
Mais j'en ai déjà fait l'aveu,  
Que j'étais un pauvre peureux.
Non, si c'était de se battre en gourmand,  
Oh ! là j'ai la valeur du chevalier Rolland,  
Car si le gastronome est d'un grand mérite,  
Je dois avoir la décoration de la marmite.  
Nous quittâmes la Saubotte à deux heures du matin,
Et un chacun des héros prit son chemin.  
De Vernille j'étais seul; sans peur  
J'attrape la grille, je franchis le mur  
Du parc du château.  
Que c'était beau !  
Qu'un polisson de ma taille  
Franchisse fossés, grilles et murailles !  
Les gens du château se disaient,  
Ah ! Il finira mal ce cadet;  
Vous verrez que ce lapin  
Quelque matin,  

14

Lou trouberan én d'un grinchoun  
Péndillat coume un jamboun,  
On se sera tuat  
Én franquissant foussat.  
Pénsy qu'aco finira leou,  
Car lou ban mette tounelié à Bourdeou..  
A Bourdeou ! ma foey  
Gare la chichoey;  
Fera couine lou champignoun,  
N'y restera rés de boun.  
Paubre créature !  
Boilà certes ta vonne abanture,  
Et sans faire d'enquête, de comodo et incomodû,  
Ces varvares m'expédièrent à Vordeaux,­  
En apprentissage aux Chartrons,  
Chez Barrière, rue des Retaillons.  
Arribé là, je fus un ermite,  
J’allais de l'attelier à la marmitte;  
J'y fis là dux ans d'apprentissage,  
Autrement dit, dux ans d'esclabage.  
Ce pu de temps me semvlait une éternité,  
Tant, j'aspirai ce veau jour de liverté.  
Elle arriba cette journée liveratrice  
Qui déchaîna cet ange de. Satan sans bice  
Jugez si j'étais countent de moun sort,  
Plus qu'un forçat qui quitte Rochefort.  
J’abais donc gagné la clé des champs,  
Et je n'employais pas mal mon temps  

14

On le trouvera sur une grille  
Pendu comme un jambon,  
Où, il se sera tué  
En franchissant le fossé.  
Je pense que cela finira bientôt,  
Car on va le mettre tonnelier à Bordeaux 
A Bordeaux ! ma foi  
Gare à la chichoey;  
Il fera comme le champignon,  
Il ne  restera rien de bon.  
Pauvre créature !  
Voilà certes ta bonne aventure,  
Et sans faire d'enquête, de comodo et incomodo,  
Ces barbares m'expédièrent à Bordeaux,
En apprentissage aux Chartrons,  
Chez Barrière, rue des Retaillons.  
Arrivé là, je fus un ermite,  
J’allais de l'atelier à la marmite;  
J'y fis là deux ans d'apprentissage,  
Autrement dit, deux ans d'esclavage.  
Ce peu de temps me semblait une éternité,  
Tant, j'aspirai ce beau jour de liberté.  
Elle arriva cette journée libératrice  
Qui déchaîna cet ange de Satan sans vice  
Jugez si j'étais content de mon sort,  
Plus qu'un forçat qui quitte Rochefort.  
J’avais donc gagné la clé des champs,  
Et je n'employais pas mal mon temps  

15  

A fureter du côté de la place Dauphine;  
Bous boyez que ça prend vonne mine. 
J'arribe donc au miliu de la place  
Et je bis à droite, à gauche et en face  
Plus d'une croisée qui abait sa poupée,  
Non de bingt-huit sous, mais d'une guinée.  
Un flanur qui se troubait dans ce parage  
Me dit : bois-tu ces oiseaux au veau plumage,  
Car nous sommes ici, Coco, en grand pays giboyux;  
Mais ça ne baut rien pour nous, mon biux;  
C'est trop fin, c'est trop chicard,  
Ca ne se vaisse pas pour ramasser nu liard;  
Quoiqu'elles soient avonnées au Français,  
Ca n'est pas toujours ce qu'il y a de plus frais.  
Bire, bire de vord; gagne le Vaux-Hall,  
Elles sont fraîches, elles sortent de l'hôpital  
Moi, content d'une si grande découberte,  
A bisiter ce liu je fus très alerte,  
Et sans faire un grand détour,  
J'enfile la rue Bieille-Tour.  
Oh ! là j'étais content,  
Je gonflais en passant  
De boir ces vijoux  
Me faire les yux doux,  
M'appeler mon ami,  
J'en étais transi.  
Entrez, dit une des velles,  
Chamarrée de dentelles;  

15  

A fureter du côté de la place Dauphine;  
Vous voyez que ça prend bonne mine. 
J'arrive donc au milieu de la place  
Et je vis à droite, à gauche et en face  
Plus d'une croisée qui avait sa poupée,  
Non de vingt-huit sous, mais d'une guinée.  
Un flâneur qui se trouvait dans ce parage  
Me dit : vois-tu ces oiseaux au beau plumage,  
Car nous sommes ici, Coco, en grand pays giboyeux;  
Mais ça ne vaut rien pour nous, mon vieux;  
C'est trop fin, c'est trop chic,  
Ca ne se baisse pas pour ramasser un liard;  
Quoiqu'elles soient abonnées au Français,  
Ca n'est pas toujours ce qu'il y a de plus frais.  
Vire, vire de bord; gagne le Vaux-Hall,  
Elles sont fraîches, elles sortent de l'hôpital  
Moi, content d'une si grande découverte,  
A visiter ce lieu je fus très alerte,  
Et sans faire un grand détour,  
J'enfile la rue Vieille-Tour.  
Oh ! là j'étais content,  
Je gonflais en passant  
De voir ces bijoux  
Me faire les yeux doux,  
M'appeler mon ami,  
J'en étais transi.  
Entrez, dit une des belles,  
Chamarrée de dentelles;  

16     

Moi, content d'une si grande affabilité,
Je m'arrêtais immobile et tout électrisé;
Je ne sabais donc que fâÎre
Là, en présence de ma jolie commère;
Mais une réflexion, me bint à l'instant
Que faire? Pas d'argent. 
Aussi poche bide craint pas d'escroc,
Et je me pilotai sur la rue Saint Roch
De loin je sentis cette rue
Exhalant l'odur de molue.
J'arribe, je tomve à l'arrêt, comme Médor,
D'un millier de filles qui étaient dehors,
Assises sur des chaises, les jamves en l'air,
Que l'odur de ces f ...............   en infectaient l'air.
Allignées sur dux rangs,
Montrant aux passans
                       
( Debinez )
Ce quelque chose où l'on ne met pas le nez,
Je ne poubais être plus capon qu'un autre,
Et j'inspectai les rangs d'un bout à l'autre;
A tribord on m'appelait cousin, mon ami,
A babord, cousin, biens donc ici.
Grand Diu ! dis-je, tout ça ma famille !
Ah! la sale pacotille !
J'entrai dans un café
Pour hoir danser
La galope, la chahue
A une Margot aux trois-quarts nue

16

Moi, content d'une si grande affabilité,
Je m'arrêtais immobile et tout électrisé,
Je ne savais donc que faire
Là, en présence de ma jolie commère;
Mais une réflexion me vint à l'instant:
Que faire ? Pas d'argent.
Aussi, poche vide ne craint pas l'escroc
Et je me pilotais sur la rue Saint Roch,
De loin je sentis cette rue
Exhalant l'odeur de la morue.
J'arrive, je tombe à l' arrêt, comme Médor
D'un millier de filles qui étaient dehors,
Assises sur des chaises, les jambes en l'air
Que l'odeur de ces fesses en infestait l'air.
Alignées sur deux rangs,
Montrant aux passants,
                            Devinez ?
Ce quelque chose où l'on ne met pas le nez.
Je ne pouvais être plus capon qu'un autre,
Et j'inspectais les rangs d'un bout à l'autre.
A tribord, on m'appelait cousin, mon ami,
A bâbord, cousin, viens donc ici.
Grand Dieu dis-je, tout ça ma famille !
Ah ! La sale pacotille.
J'entrais dans un café
Pour voir danser
La galope, la chabine
A une Margot au trois quart nue.

17

D'autres, sautant, fringant, 
Se dandinant, se querellant.
L'une, aux prises abec un marin, 
Qui me paraissait très-malin; 
Qui, d'un gros coup de poing,
La démolit dans un coin.
Ciel de Diu ! quel train !
Brai, j'y perdais mon latin.
Et puis, rebenir dans rue Saint Roch ! ut !
Autant bau-il l'écorcherie du Mut.
Je file mon nud ben les Chartrons
Pour prendre chez Barrière, rue des Retaillons,
Mon paquet et le porter dans rue Doidy,
Chez Madame Lafargue, qui logeait en garni
A quatre francs par mois; mais une compagnie
Du sexe masculin. Boyez quelle infamie !
Je m'installai là comme font tous les crânes,
Et j'eus pour camarade de lit Tibau de Brannes.
Le matin il fit jour, il fallait trabailler;
C'était de rigur, il fallait déjuner
Tibau se lèbe et me dit:
Benez abec moi au vout de rue Saint Esprit;
De rue Saint Esprit au bout de rue Raze
Nous sommes par sept à huit cents sur place.
Je me lèbe, et je m'aville,
Et je me joins à la grande famille.
Je commençais à m'y faire de la bille,
Quand je bois arriber le maître de Capdebille,
 

17

D'autres, sautant, fringant,
Se dandinant, se querellant,
L'une aux prises avec un marin,
Qui me paraissait très malin;
Qui, d'un grand coup de poing,
La démoli dans un coin.
Ciel de Dieu, quel train !
Vrai, j'y perdais mon latin.
Et puis revenir rue Saint Roch ! zut !
Autant vaut-il l'écorcherie du Mut.*
Je file vers les Chartrons
Pour prendre, chez Barrière, rue des retaillons,
Mon paquet et le porter dans la rue Doidy,
Chez Mme Lafargue, qui logeait en garni
A quatre francs par mois; mais une compagnie
Du sexe masculin, voyez cette infamie !
Je m'installais là comme tous les crânes,
Et j'eus comme camarade de lit, Thibau de Brannes.
Le matin il fit jour, il fallait travailler.
C'était de rigueur, il fallait déjeuner
Thibau se lève et me dit:
Venez avec moi au bout de la rue Saint Esprit;
De la rue Saint Esprit au bout de la rue Raze
Nous sommes sept à huit cents sur place.
Je me lève et je m'habille,
Et je me joins à la grande famille.
Je commençais à m'y faire de la bile,
Quand je vois arriver le maître de Capdeville,

*(Nom propre signifiant "le muet".)

18

Qu'on appelle maitre Martin,  
Qui bint nous prendre à sept hures du matin,  
Nous disant : il m'en faut sept,  
Et arribez de suite au quatre-bingt-sept.  
Jugez si nous étions contents,  
Surtout moi, rapport à mes dents,  
Qui  n'aiment pas à rester sans rien faire,  
Comme le reste du corps qui ferait le contraire.  
J'arribe donc au chai tout essoufflé;  
Je demande en entrant : a-t-on déjuné ?  
Comment déjuner ! dit le contre-maitre Espagne,  
On dirait que bous sortez de la montagne  
Bous saurez que, l'on dèjùne à huit hure ;  
Installez-bous et ne comptez pas les hures.  
Pardon, maitre, mais abant de commencer,  
Combien dois-je gagner ?  
Pardiu, comme dans un autre attelier.  
A quarante sous la peau du tonnelier.  
Çà n'est pas malin.  
Non, dit maître Martin :  
Eh vien! si cela ne bous contente pas l'ami,  
Retournez à la place, et tout sera fini.  
Retourner à la place !  
Je lui fis 1a grimace.  
Oui ! bas-t-en boir s'ils biennent, Jean  
Bas-t-en boir s'ils biennent.  
Bous êtes trop von enfant,  
Pour qu'à bous l'on ne tienne.  
   

18

Qu'on appelle maître Martin,  
Qui vint nous prendre à sept heures du matin,  
Nous disant : il m'en faut sept,  
Et arrivez de suite au quatre-vingt-sept.  
Jugez si nous étions contents,  
Surtout moi, rapport à mes dents,  
Qui  n'aiment pas à rester sans rien faire,  
Comme le reste du corps qui ferait le contraire.  
J'arrive donc au chai tout essoufflé;  
Je demande en entrant : a-t-on déjeuné ?  
Comment déjeuner ! dit le contremaître Espagne,  
On dirait que vous sortez de la montagne  
Vous saurez que, l'on déjeune à huit heure ;  
Installez-vous et ne comptez pas les heures.  
Pardon, maître, mais avant de commencer,  
Combien dois-je gagner ?  
Pardieu, comme dans un autre atelier.  
A quarante sous la peau du tonnelier.  
Çà n'est pas malin.  
Non, dit maître Martin :  
Eh bien! si cela ne vous contente pas l'ami,  
Retournez à la place, et tout sera fini.  
Retourner à la place !  
Je lui fis la grimace.  
Oui ! vas-t-en voir s'ils viennent, Jean  
Vas-t-en voir s'ils viennent.  
Vous êtes trop bon enfant,  
Pour qu'à vous l'on ne tienne.  
   

19

Oui , c'était le moment de se rincer le vec,  
Et j'abais déjà à senti l'odur du bifeteck,  
Qui se chauffait sur un énorme gril,  
Qu'à le boir je m'en grattais le nombril.  
Et puis leber l'ancre; pas si vête, Coco,  
Ce tour surpasserait çux de Vosco  
Le grand escamotur,  
Equilibriste, jonglur,  
Qui à ma place,  
Le grand cocace,  
Aurait certainement  
Escamoté le bifeteck lestement.  
Boilà, dit le maitre , une varrique à réparer,  
Et mettez-la en rose abant le déjuner.  
Déjuner ! c'est que je n'ai ni argent, ni pain.  
Eh vien ! tant miux, bous déjunerez demain.  
Mais en disant cela, il riait entre ses dents,  
Mit la main à la poche, en retira dux francs.  
Là, anats bous quère daou frico et daou pan;  
Si mingeats tout anueyt, n'aourats rés deman.  
Abets une gargote aqui déns la ruye,  
Que bous béndra de la mouluye,  
Daou camajot, daou martrame,  
Daou merlus, de la baoudane,  
Dos chancres, et même de l'andouille.  
Croyez-bous que ça me chatouillait la bredouille ?  
J'enfile le corridor ,  
D'un bond je suis dehors,  
   

19

Oui , c'était le moment de se rincer le bec,  
Et j'avais déjà à senti l'odeur du bifteck,  
Qui se chauffait sur un énorme gril,  
Qu'à le voir je m'en grattais le nombril.  
Et puis lever l'ancre; pas si vête, Coco,  
Ce tour surpasserait ceux de Vosco  
Le grand escamoteur,  
Équilibriste, jongleur,  
Qui à ma place,  
Le grand cocasse,  
Aurait certainement  
Escamoté le bifteck lestement.  
Voilà, dit le maître, une barrique à réparer,  
Et mettez-la en rose avant le déjeuner.*
Déjeuner ! c'est que je n'ai ni argent, ni pain.  
Eh bien ! tant mieux, vous déjeunerez demain.  
Mais en disant cela, il riait entre ses dents,  
Mit la main à la poche, en retira deux francs.  
Là, allez vous chercher de la viande et du pain;  
Si vous mangez tout aujourd'hui, vous n'aurez rien demain.  
Vous avez une gargote là dans la rue,  
Que vous vendra de la morue,  
Du talon de jambon, de la raie,  
Du colin, de la baoudane,  
Des moules, et même de l'andouille.  
Croyez-vous que ça me chatouillait la bredouille ?  
J'enfile le corridor,  
D'un bond je suis dehors,  
(Pour la réparer, les cercles sont otés d'un bout, la barrique s'ouvre en corolle.)  

20

J'achète un voudin.  
Je rentre, et j'entends maître Martin  
Qui disait : crédi ne pas me troumpa gaeyre,  
Qu'an aqui un famux acabaeyre;  
Sa mine me dit qu'es un aoudet  
A ne pas fa graney de sa pet; ,  
Car jou didi, et ey toujours dit,  
Qu'un june homme séns argént es un bandit.  
Bous n'abez pas tort,  
Que je lui dis d'avord :  
Après bingt-quatre mois d'apprentissage,  
Sans gagner un son ,que mon esclabage,  
Et c'est ma duxièmê journée de liverté,  
Jugez comme je dois être remonté.  
Aussi, je ne fis pas grand cas de son récit,  
Sachant qu'une autre chemise logeait le vandit.
Il commande son déjuner, frappant sur une varrique,  
Abec le ton, l'orgueil d'un président de république,
Qui n'a certes pas comme lui  
L'abantage d'être si vien ovéi.  
Je prends mon pain ainsi que mon voudin,  
Et boilà l'arsenal des boraces en train :  
Poêle, poêlon, gril, casserole,  
La patte au plat, fourchette à la créole.  
Moi j'étais sul, les autres étaient douvles,  
Mangeant cur de buf et du gradouyle.  
Jugez que poubait être dans mon bentre un voudin;
C’était un goujon dans la gule d'un requin :  

20

J'achète un boudin.
Je rentre, et j'entends maître Martin  
Qui disait : je ne crois guère me tromper,  
Que nous avons là un fameux achevé;  
Sa mine me dit qu'il est un oiseau  
A ne pas faire grand chose de sa peau ;  
Car je dis et ai toujours dit,  
Qu'un jeune homme sans argent est un bandit.  
Vous n'avez pas tort,  
Que je lui dis d'abord :  
Après vingt-quatre mois d'apprentissage,  
Sans gagner un sou, que mon esclavage,  
Et c'est ma deuxième  journée de liberté,  
Jugez comme je dois être remonté.  
Aussi, je ne fis pas grand cas de son récit,  
Sachant qu'une autre chemise logeait le bandit.  
Il commande son déjeuner, frappant sur une barrique,  
Avec le ton, l'orgueil d'un président de république,  
Qui n'a certes pas comme lui  
L'avantage d'être si bien obéi.  
Je prends mon pain ainsi que mon boudin,  
Et voilà l'arsenal des voraces en train :  
Poêle, poêlon, gril, casserole,  
La patte au plat, fourchette à la créole.  
Moi j'étais seul, les autres étaient doubles,  
Mangeant coeur de boeuf et du gras double.  
Jugez que pouvait être dans mon ventre un boudin;  
C’était un goujon dans la gueule d'un requin :  

21

Aussi, j'entendais ma bredouille  
Qui faisait le chant de la grenouille.  
Il me fallait pourtant remplir ce bide.  
Et par quel moyen, si ce n'est par le liquide.  
Tout-à-coup, je m'aperçois de l'enfer  
Armé d'un grand coco de fer,  
De suite je lui pousse une bisite,  
A ce démon d'un grand mérite,  
Et je lui donne cinq à six vaisers de grand cur,  
Et sur ma vonne foi, sans là moindre horrur.  
L'enfer ! qu'elle vètise ! Plutôt le purgatoire,  
Car rien n'y manque, pas même le voire;  
Et si le Diavle traitait comme çà ses amis,  
Le Vondieu n'aurait pas un tourin en paradis.  
Allons, dit le maître, à l’oubrage,  
Le déjuner dure une hure, pas dabantage.  
Je reprends ma varrique, je la couche, je la mâte,  
Je la belte, je l'a jauge et je la gratte,  
Et je relèbe la vonde, qui était trop plate,  
Tout aussi adroitement qu'un cochon de sa patte.  
Il me restait donc à la contre‑varrer;  
Je la faisais tourner sans jamais commencer.  
Gidal s'aperçut de ma gaucherie.  
bous n'abez jamais contre-varré, je parie;  
Mais non.  
Eh vien ! c'est von;  
Mettez-bous là, à côté de moi,  
Et dans huit jours aucun ne bous fera la loi..  

21

J'entendais ma bredouille  
Qui faisait le chant de la grenouille.  
Il me fallait pourtant remplir ce bide.  
Et par quel moyen, si ce n'est par le liquide.  
Tout-à-coup, je m'aperçois de l'enfer  
Armé d'un grand bol de fer, * 
De suite je lui pousse une visite,  
A ce démon d'un grand mérite,  
Et je lui donne cinq à six baisers de grand coeur,  
Et sur ma bonne foi, sans la moindre horreur.  
L'enfer ! qu'elle bêtise ! Plutôt le purgatoire,  
Car rien n'y manque, pas même le boire;  
Et si le Diable traitait comme çà ses amis,  
Le Bon Dieu n'aurait pas un tourin en paradis.  
Allons, dit le maître, à l’ouvrage,  
Le déjeuner dure une heure, pas davantage.  
Je reprends ma barrique, je la couche, je la mâte,  
Je la lève, je la jauge et je la gratte,  
Et je relève la bonde, qui était trop plate,  
Tout aussi adroitement qu'un cochon de sa patte.  
Il me restait donc à la contre-varrer;  
Je la faisais tourner sans jamais commencer.  
Gidal s'aperçut de ma gaucherie.  
Vous n'avez jamais contre-varré, je parie;  
Mais non.  
Eh bien ! c'est bon;  
Mettez-vous là, à côté de moi,  
Et dans huit jours aucun ne vous fera la loi. 

*(Le coco est le plus souvent un bol en bois.)

22

D'avord , c’était un famux luron que Gidal;  
Son oubrage luisait comme du cristal.  
Quoique ses chebilles fussent coupées à l'hace,  
On s'y boyait comme dans une glace.  
Je debais donc m'associer à ce grand génie,  
Pour attraper de lui son secret et sa manie;  
Aussi, je ne me fis pas tirer 1'oreilIe  
Pensant que j'allais faire merbeille.  
 
Il s'y prêta de grand cur, et je l'en remercie vien,  
Qu'en moins d'un mois mon oubrage balut le sien.  
Jaloux comme une furie de tous mes progrès,  
Les autres le boyaient et faisaient esprès.  
Ils n'abaient qu'à dire, pour le faire vondir en rage : Bibe Espagnet ! pour le contre-varrage.  
Il fallut pourtant me séparer de çet être;  
Il ne poubait souffrir que l'apprenti balut le maitre  
Je m'associais alors à un autre plat,  
Abec l'ami Gautier et l'ami Granlat;  
Mais Gidal ne cessait de me taquiner,  
Àu point qu’un jour il se fit calotter.  
Par derrière, il me faisait des chimagrées,  
C'était amusant, cela causait des risées.  
Je me retourne, il faisait sur moi le macaque;  
Je lui tombe dessus et lui applique une claque  
Il tombe entre le chapus et la bartabelle.  
Je lèbe le pied pour lui vroyer la cerbelle,  
Quand un remords de grande compassion  
Me dit: laisse bibre ce petit polisson.  

22

D'abord, c’était un fameux luron que Gidal;  
Son ouvrage luisait comme du cristal.  
Quoique ses chevilles fussent coupées à la hache,  
On s'y voyait comme dans une glace.  
Je devais donc m'associer à ce grand génie,  
Pour attraper de lui son secret et sa manie;  
Aussi, je ne me fis pas tirer 1'oreilIe  
Pensant que j'allais faire merveille.  
Il s'y prêta de grand coeur, et je l'en remercie bien,  
Qu'en moins d'un mois mon ouvrage valut le sien.  
Jaloux comme une furie de tous mes progrès,  
Les autres le voyaient et faisaient exprès.  
Ils n'avaient qu'à dire, pour le faire bondir en rage :  
Vive Espagnet ! pour le contre-varrage.  
Il fallut pourtant me séparer de cet être;  
Il ne pouvait souffrir que l'apprenti valut le maître  
Je m'associais alors à un autre plat,  
Avec l'ami Gautier et l'ami Granlat;  
Mais Gidal ne cessait de me taquiner,  
Au point qu’un jour il se fit calotter.  
Par derrière, il me faisait des simagrées,  
C'était amusant, cela causait des risées.  
Je me retourne, il faisait sur moi le macaque;  
Je lui tombe dessus et lui applique une claque  
Il tombe entre le chapus et la bartabelle.  
Je lève le pied pour lui broyer la cervelle,  
Quand un remords de grande compassion  
Me dit: laisse vivre ce petit polisson.  

23

Il se lèbe, dégourdi comme un crapaud,  
Il fait son paquet et prend son chapeau;  
Il part sans nous dire adiu,  
Et il n'a plus reparu en ce liu.
Pardiu, abés bien feyt, dit meste Martin,  
Couménçabe à m'anuja tout aquet trin.   
Amey jou, dit lou countre-meste Espagne,  
Sous airs me dounaben jolimént la cagne; ‑  
Tamillou que sie partit, dit l'amic Gautier,  
Aouran douman la paix déns l'attelier.  
Oui, Diu merci, dit l'amic Granlat,  
Fa tant de trin, aquet petit escaoudat,  
Que n'es qu'un esquelette mountat sus ses cames  
Que ne pèse pas quarante kilogrammes.  
Es qu'Espagnet ne baou pas Gidal ?    
Epuey ne parlen pas mey d'aquet original.  
Mais bous, anats quitta boste francés,  
Et parleras coume lous aoutes lou patois bourdelés.  
Eh vien ! oui. Puisque bous me faites ce reproche,  
Je bais bous parler de la main gauche.  
Firy dounc déns aquet chaey une boune campagne,  
Abéque la protectioun, de meste Espagne.  
Péndént aquet témps remountéry ma garde-raoube:  
N'én abéby besouing, car ère bien praoube;  
Mais charlatan coume un bil charlatan,  
Espédiéry une lettre adressade à maman.  
Et bala soun countenu,  
Gueytats si éry un broey moussu;  

23

Il se lève, dégourdi comme un crapaud,  
Il fait son paquet et prend son chapeau;  
Il part sans nous dire adieu,  
Et il n'a plus reparu en ce lieu. 
Pardieu, avez bien fait, dit maître Martin,  
Cela commençait à m'ennuyer tout ce bruit.   
Même moi dit le contremaître Espagne,  
Ses airs me donnaient joliment la flemme;  
Tant mieux qu'il soit parti, dit l'ami Gautier,  
Demain nous aurons la paix dans l'atelier.  
Oui, Dieu merci, dit l'ami Granlat,  
Il fait tant de bruit ce petit échaudé,  
Qui n'est qu'un squelette monté sur ses jambes  
Que ne pèse pas quarante kilogrammes.  
Est-ce qu'Espagnet ne vaut pas Gidal ?    
Et puis ne parlons plus de cet original.  
Mais vous, vous allez quitter votre français,  
Et parlerez comme les autres, le patois bordelais.  
Eh bien ! oui. Puisque vous me faites ce reproche,  
Je vais vous parler de la main gauche.  
Je fis donc dans ce chai une bonne campagne,  
Avec la protection, de maître Espagne.  
Pendant ce temps je remontais ma garde-robe:  
J'en avais besoin car elle était bien pauvre;  
Mais charlatan comme un vrai charlatan,  
J'expédiais une lettre à maman.  
Et voilà son contenu,  
Regardez si j'étais un joli monsieur;  

24

Très chère maman ,  
Boici vientôt un an  
Que botre garçon  
Bit en bagabon,  
Comme le chien errant  
Qui attrape en passant  
Au coin de la rue  
Un os de poulet ou de molue.   
Abouats qu'escribe de la sorte ère une infamie  
Esposa maman à une attaque d'apoplexie.  
Praoube femme !  
Et jou si infàme !  
N'empêche pas que la lettre fit soun effet;  
M'achetet tout un rechange, hormis la pet :  
Habit blu, giletot épuey un capet gris.  
Me ficelaby touts lous diménches coume un marquis  
Pantaloun blanc à blouses et à braguette,  
Me tenéby bandat coume lou cousin Marquette;  
Vottes à fer d'ase, crabate en satin bioulet,  
Jamey n’aourets dit :  acos Espagnet.  
Lou capet sur l'aoureille, lou calicot sur l'uil,  
Eri pu crâne que lou banquier Samazuil.  
Lou decey anaby à Giloutin ou aou Francés;  
Applaudisséby toujours, pire qu’un Anglés,  
Surtout quand jougaben lou Sourdat Labourur,  
Barbe-Rousse, ou Bruno lou Filur;  
Lou plaisir qu'y prenéby estripabe ma bourse,  
Ne déchéry lou Sourdat, Bruno amey Barbe-Rousse,  
   

24

Très chère maman ,  
Voici bientôt un an  
Que votre garçon  
Vit en vagabond,  
Comme le chien errant  
Qui attrape en passant  
Au coin de la rue  
Un os de poulet ou de morue.   
Avouez qu'écrire de la sorte est une infamie
Exposer maman à une attaque d'apoplexie.  
Pauvre femme !  
Et moi si infâme !  
N'empêche pas que la lettre fit son effet;  
Elle m'acheta tout un rechange, hormis la peau :  
Habit bleu, petit gilet  et puis un chapeau gris.  
Je me ficelais tous les dimanches comme un marquis Pantalon blanc à blouses et à braguette,  
Je me tenais raide comme le cousin Marquette;  
Bottes à fer d'âne, cravate en satin violet,  
Jamais on aurait  dit :  ça c'est Espagnet.  
Le chapeau sur l'oreille, le calicot sur l'oeil,  
J'étais plus fier que le banquier Samazuil.  
Le soir j'allais au Giloutin ou au Français;  
J'applaudissais toujours, pire qu’un Anglais,  
Surtout quand ils jouaient le Soldat Laboureur,  
Barbe-Rousse, ou Bruno le Fileur;  
Le plaisir que j'y prenais étripa ma bourse,  
Que je laissais le Soldat, Bruno et même Barbe-Rousse,

25  
   
Pas séns regret d’une broye actrice,  
Que n'aoury d'abord feyt moun caprice ;  
Car si abéby ahut ce que n'abéby pas,  
Pribat d'aco, fallut s’èn counsoula;  
Boly dire lous milliouns de moussu Aguado,  
Et per la petite Eliza aouré bien fallut aco,  
Per la fa roula à la grande dosmouns,  
Quatre chibaous et dus postillouns,  
Dux lacays bigarrats de mille coulous  
Calinant coucuts et jamais un espous.  
Oh ! la couquine ! ère un jolit boucin de biande,  
Mais pas toujours de la mey friande.  
Ere graciouse, croquante, séduisante, coquette.  
Falèbe la beyre jouga Séns Tambour ni Troumpette:  
Habillade én sourdat,  
Lou sabre aou constat,  
Lou maniant aoussi bien que lou pu malin,  
Et lous tres quarts daou temps négade déns lon bin;  
Tabé lou rôle d’ibrougne l’y anabe à merbeille :  
Aban de débuta, se passabe une  bouteille  
D'aquet famus bin de Lunel;  
S'ibrougnabe y épuey jougabe aou naturel.  
En sourtén des coulisses, éntrant sur scène,  
Partében d’un ride à fa peta la bedenne,  
De la beyre dam aquet air si polissoun ,  
Débuta si bien et pas se téne d'aploun.  
Quaou doumatche qu'aquet boun sutjeyt  
Sie un aoussi méchant sutjeyt !  
25  
   
Pas sans le regret d’une jolie actrice,  
Qui n'aurait d'abord fait mon caprice ;  
Car si j'avais eu ce que n'avais pas,  
Privé de ça, il fallut s’en consoler;  
Je veux dire les millions de monsieur Aguado,  
Et pour la petite Eliza il aurait bien fallu tout ça,  
Pour la faire rouler à la grande d'Aumont, *
Quatre chevaux et deux postillons,  
Deux laquais bigarrés de mille couleurs  
Câlinant cocus et jamais un époux.  
Oh ! la coquine ! Elle était un joli bout de viande,  
Mais pas toujours de la plus friande.  
Elle était gracieuse, croquante, séduisante, coquette.  
Il fallait la voir jouer sans Tambour ni Trompette:  
Habillée en soldat,  
Le sabre au côté,  
Le maniant aussi bien que le plus malin,  
Et les trois quarts du temps noyée dans son vin;  
Ainsi le rôle d'ivrogne lui allait à merveille :  
Avant de débuter, elle buvait une  bouteille  
De ce fameux vin de Lunel;  
Elle s'ivrognait et puis jouait au naturel.  
En sortant des coulisses, entrant sur scène,  
Nous partions d'un rire à faire péter la bedenne,  
De la voire avec cet air si polisson ,  
Débuter si bien et ne pas se tenir d'aplomb.  
Quel dommage que ce sujet  
Soit un aussi mauvais sujet !  

*(Grand attelage de prestige.)

26

Coume coumprenne ? 
Anats m'énténde : 
Eliza es un grand méchant sutjeyt, 
Eliza es un grand grand antjeyt. 
Bala pertant duyes grandes béritats, 
Et toutes les duyes an ses qualitats; 
Mais y a une différénce de l'une à l'aoute, 
Coume lou can et lou gat à jouga de la paoute. 
Cesséry doun d'ana aou Francés, 
Mais anaby aillours que n'ère gaeyre pu frés 
Chez Léoun, déns rue Chapelle Saint-Martin, 
Fa, coume lous aoutes, moun libertin. 
Léoun boulèbe me fa soun héritey, 
De compagnie d'un béritable fumey; 
Mais estury assez délicat 
Per prenne én horrur un pareil marcat. 
Cé qu'appartenén à une famille honeste, 
Dibéby m'assoucia à quaoucarés de pu modeste, 
Et s'én anabe témps que changessy de directioun; 
M'én anabi pusca, cassa, ou fa collatioun, 
Aou marais, chez Ribière ou chez Darnail, 
Car ère aqui lou grand attirail 
Daous puscaeyres, cantaeyres et cassaleyres, 
Enfin tout ce qu'appelleù lous acabaeyres. 
Faou lous beyre arriba, lou fusil én bandoulière, 
Lou paon, à crosse, une grande carnacière 
Boundade de sits, périnclettes et alaoudettes; 
Bous plumen tout aco, bous féden des brouquettes.

26

Comment comprendre ?
Vous allez m'entendre,
Elisa est un grand mauvais sujet,
Elisa est un grand grand sujet.
Voila pourtant deux grandes vérités
Et toutes les deux ont ses qualités
mais il y a une différence de l'une à l'autre,
Comme le chien et le chat de jouer de la patte.
Je cessais donc d'aller au Français
Mais j'allais ailleurs qui n'est pas plus frais 
Chez Léon dans la rue Chapelle Saint Martin
Faire comme les autres, mon libertin
Léon voulait me faire son héritier
En compagnie d'un véritable fumier,
Mais je fus assez délicat
Pour prendre en horreur un pareil marché,
C'est qu'appartenant à une famille honnête,
Je devais m'associer à quelque chose de plus modeste,
Et il s'en allait temps que je change de direction,
Je m'en allais pécher, chasser ou faire collation
Au Marais chez Rivière ou chez Darnail,
Car c'était là le grand attirail
Des pêcheurs, chanteurs et chasseurs
Enfin tout ce que l'on appelait les finisseurs* 
Il fallait les voir arriver le fusil en bandoulière,
Le bâton à crosse(le fusil), une grande carnassière
Remplie de grives, mésanges et alouettes,
Ils vous plumaient tout ça, vous faisaient des brochettes,
*(avec le sens de ceux qui dilapident leur  héritage.)

27

Daoutes, pus hurus an quouque ranle caille; 
Se counéchen touts,  mélangen la ripaille.
Loue puscaeyres arriben cargats d'attirails, 
Foines, esparbeys, manches et trémails. 
Mouillats dinques à la pet, faou changea de guenilles, 
Tandis que daoutes escorchent les anguilles, 
Que metten à bouillir déns un padroun 
Rasat de bin ; acos un courbouilloun, 
Et n'y a pas de potage, seloun ets, de si boun 
Que la soupe aou bin, et baoucop de bouilloun.
Un cop escaoufats, lou chant couménce; 
L'un n'a pu finit que l'aoute recouménce 
Entr'ets ne counéchen pas de tour de rôle, 
Tabé féden l'accord de tres caillaous déns une casserole
Lous cassaeyres, nas à nas, se disputent lou talent, 
Lous puscaeyres, aou coustat, n'en féden aoutant; 
Lous jardineys, ets, entr'ets, 
Ne parlen que bouquets,
Epuey caouflous, radis, councoumbres, asperges; 
Aqui, anguilles, tanques, brouchets et perges, 
Bécassines, canards, ranle caille, ranle gris; 
Enfin, quaou es lou meste ? lou qni mey méntis. 
Lou saout couménce, èpuey lou tour de force; 
Aco ne finis jamey séns quaouque éntorse: 
Lou saout daou paou es lou préfèrat, 
Ce qu'aqui béden lou mey desgageat. 
Bous planten lou paou aou mitan d'un riou, 
Et bous observy qu'aco, se feyt mey que l'estiou;

27

D'autres plus heureux ont quelques râle-caille,
Ils se connaissaient tous, mélangeaient la ripaille,
Les pêcheurs arrivaient chargés d'attirails,
Fouënes, éperviers, manches et trémails?
Mouillés jusqu'à la peau, il faut changer de guenilles,
Tandis que d'autres pèlent les anguilles,
Mettant à bouillir dans un grand poêlon
Rempli de vin, ceci est un court bouillon,
Il n'y a pas de potage, selon eux, de si bon.
Que la soupe au vin et beaucoup de bouillon.
Une fois échauffés, le chant commence,
L'un n'a pas fini que l'autre recommence,
Entre eux ils ne connaissent pas de tour de rôle,
Aussi ils faisaient l'accord avec trois cailloux dans une casserole,
Les chasseurs nez à nez se disputant le talent,
Les pêcheurs à côté en font tout autant,
Les jardiniers, eux, entre eux,
Ne parlent que bouquets
Et puis choux-fleurs, radis, concombres, asperges,
Ici, anguilles, tanches, brochets et perches
Bécassines, canards, râle caille, râle gris,
Enfin quel est le maître, celui qui a le plus menti
Le saut commence, et puis le tour de force,
Cela ne finit jamais sans quelque entorse,
Le saut de la perche est le préféré,
C'est là qu'on voit le plus dégagé,
Ils vous plantent le piquet au milieu du ruisseau
Et je vous dis que ça se fait mieux que l'été,

28

Bous limilen Ion saout abéque une gaze,
Y faou toumba dessus, ou toumba déns la base;  
Ce qu'arribe soubén, qu'aou lin de toumba de pés,
Toumben aou mitan daou riou én trabés.  
Jugeats coume aco amuse lou public,  
De lous beyre énbasats dinqu'à l'énbounic,  
Mais lous crânes saouten séns paou,  
Quoi qu'agi doutze à quinze pés, acos égaou :
Lous bala gilet à bas, la manche retroussade,  
Se passen la man déns lou péou, mais séns poumade.  
Bottes, capet, crabate, tout aco es mis de constat;  
Lou pu crâne couménce, se lance coume un gat :  
Si franquis, es countén, parce qu`es applaudit;  
L'adbersaire se sarre lou bénte, parech  pu languit :  
Lou bala partit à la grande course,  
Ce que l'y pèse lou mey, n'es jamey la bourse.  
Lou bala qu'arribe que n'es ni mort ni biou,  
Sous pés ban aou tap, et soun cap déns lou riou.  
Aqui faou beyre lous sadouts saou gazoun,  
Bous oubren une gule à recèbe un jamboun.  
De lous beyre basous coume une ténque,  
Car ce qu'an de mey sec, acos la léngue.  
Faou changea de tout, hormis la pet,  
Et resta quatre ou cinq hores mudat déns un mantet
Que Darnail tént à la dispositioun  
D'aquets flambeaux que bolen se fa un noum,
Ce que m'arribet à jou, que ne suey pas lou pérou,
De sourti daou riou méns sec que de l'amadou.  

28

Ils délimitent le saut avec un carré d'herbe, 
Il faut tomber dessus ou tomber dans la vase,
Ce qui arrive souvent, au lieu de tomber de pied,
Tombent au milieu du ruisseau en travers.
Jugez, comme cela amuse le public,
De les voir envasés jusqu'au nombril,
Mais les plus forts sautent sans perche,
Quoi qu'ils n'y ait douze ou quinze pieds c'est égal,
Les voila gilet à bas, les manches retroussées
Se passe la main dans les cheveux, mais sans pommade.
Bottes, chapeau, cravate, tout est mis de côté;
Le  plus fier commence, se lance comme un chat :
S'il franchit, il est content parce qu'il est applaudit;
L'adversaire se serre le ventre, paraît plus hésitant :
Le voila parti à la grande course,
Ce qui lui pèse le plus n'est jamais la bourse.
Le voila qui arrive, il n'est ni mort ni vif,
Les pieds vont au bord et sa tête dans le ruisseau.
Là il faut voir les ivrognes sur le gazon,
Ils vous ouvrent une gueule à recevoir un jambon.
De les voir vaseux comme une tanche,
Ce qu'ils ont de plus sec, c'est la langue.
Il faut changer de tout, sauf la peau,
Et rester quatre ou cinq heures plié dans un manteau
Que Darnail tient à disposition
De ces flambeurs qui veulent se faire un nom,
Ce qui m'arriva à moi qui ne suis pas le Pérou.
De sortir du ruisseau moins sec que l'amadou.

29 

Estrénaby aquet diménche un pantalon de nankin,  
Et cadançaby ma marche coume un faquin.  
Arriby chez DarnaiI,  
Bédy lou mème attirail,  
Lou paou pitat aou même éndreyt.  
Anén, dissury-jou, bején si serey pu adreyt  
Qu'aquère besty de l’aoute tantos,  
Que se trémpet de base dinque aous os.  
Paousi ma beste et moun capet saou gazoun  
Saisissy Ion paou , que n’ère pas trop boun,  
Et qu’aou liu de me pourta de l’aoute coustat,  
Se casse , me f… déns lou foussat.  
Ah ! poudets creyre qu’émpéchéry de ploura  
Une bande qu'ére debat un aouba,  
Surtout un que bramabe coume un taou.  
Aquets b ..     ne riden que quand tout baey maou !  
Et faou bous dire que si n'ère estat d'un cop-de-man,  
Que m'y sery, sur ma foey, négat coume un can.  
Me sorten daou riou, me treynen saou tap,  
Que n'y bedéby pas mey daou quiou que daou cap.  
Mais se troubet aqui Auguste Darnail,  
Que m'angut quére ses peilles de trabail;  
Les mennes esturen labades et mises à séca  
Capsus les branques d'un aouba :  
Camise, pantaloun, gilet façounnat,  
Qu'aourets dit un nabiou paboisat.  
Abéby aougut lou souin de tira las espèces,  
Coumprenets bien, n'abéby pas de pèces :  
   

29

J'étrennais ce dimanche là un pantalon de Nankin,
Et cadençais ma marche comme un faquin.
J'arrive chez Darnail,
Je vois le même attirail,
La perche plantée au même endroit,
Allez, dis-je, voyons si je suis plus adroit
Que cette bête de l'autre tantôt,
Qui s'est rempli de vase jusqu'aux os.
Je pose ma veste, mon chapeau sur le gazon
Je saisis la perche qui n'était pas trop bonne,
Et qu'au lieu de me porter de l'autre côté,
Se casse, me f.... dans le fossé
Ah ! Vous pouvez croire que j'empêchais de pleurer
Une bande qui était sous un aubier,
Surtout un qui bramait comme un taureau.
Ces c... ne rient que quand tout va mal !
Et il faut vous dire que si ce n'avait été d'un coup de main,
Je me serais noyé, sur ma foi comme un chien.
Ils me sortent du ruisseau, me traînent sur le bord,
Que je n'y voyais pas mieux du cul que de la tête.
Mais se trouva là Auguste Darnail,
Qui partit me chercher ses vêtements de travail;
Les miens furent lavés et mis à sécher
Sur les branches d'un aubier :
Chemise, pantalon, gilet façonné,
Vous auriez dit un navire pavoisé.
J'avais eu le soin de sortir les espèces,
Comprenez bien je n'avais pas de pièces :

30

Cinquante gros sos me rémpliben lou boursie,
Qu'imitabe la bourse de moussu Malartic.  
Conséntiry doun à coulla sur ma pet  
Les peilles d'Auguste, au liu daou mantet.  
Un cop ficelat, parlèren de fa collatioun,  
Et délibéra ce que mingerén de boun;  
Lous gratte-pailleys esturen mis de l'aban,  
Cartey d'agnet, fragues trémpades aou bin blanc,  
Et lou tout accoumpagnat d'une bonne salade,
En respirant lou grand air debat une trillade.  
Countént, joyux coume un milord,  
Même apétit, même boulountad, mais pas d'or.  
Quoiqu'aquet métal jaoune sie d'un grand mérite,  
M'ayme coume lou diable l’aeygue bénèdite ;  
Tabé lou cuibre, coume l'argént blanc,  
Me courent darney coume la lèbre aou can.  
N'abéby doun que d'aquet métal de cloche,  
Que transbasey déns lou boussie de Roche,  
Car, pas mey que jou, n'abébe déns lou boussie  
Que d'aquère matière qu'éngéndre l'arsenic;  
Mais, quoique poueyson, produisit soun effet,
Nin abut tout juste per nous rémplir la pet.  
En sourtén de taoule poudében fa aou saouteleyt dessus  
Séns crainte de perdre un so entre tous lus dus.  
Mais après la disette bingut l'aboundance;  
Tabé, éry pu hurux qu'un rey de France.  
Aquère aisance passet coume l'esturbeil,  
L'argént foundut coume la rousade aou soureil. 
   

30

Cinquante gros sous me remplissaient la bourse, 
Cela imitait la bourse de Monsieur Malartic.
Je consentis donc a coller sur ma peau
Le vêtement d'Auguste au lieu du manteau.
Une fois ficelé, ils parlèrent de faire collation,
Et délibérèrent de ce que nous mangerions de bon;
Les gratte-pailliers* furent mis en avant,
Quartier d'agneau, fraises trempées au vin blanc, 
Et le tout accompagné d'une bonne salade,
En respirant le bon air sous une treille.
Content, joyeux comme un milord,
Même appétit, même volonté, mais pas d'or,
Quoique ce métal jaune ait un grand mérite,
Il m'aime comme le diable l'eau bénite;
Aussi le cuivre comme l'argent blanc,
Me courent derrière comme le lièvre au chien.
Je n'avais donc que ce métal de cloche,
Que je transvasais dans la bourse de Roche,
Car, pas plus que moi, il n'avait rien dans sa bourse
Que de cette matière qu'engendre l'arsenic;
Mais quoique poison, il produisit son effet,
Nous en eûmes tout juste pour nous remplir la peau.
En sortant de table nous pouvions faire de la trampoline
Sans crainte de perdre un sou entre tous les deux.
Mais après la disette, vint l'abondance;
Aussi j'étais plus heureux qu'un roi de France,
Cette aisance passa comme l'esturbeil,
L'argent fondit comme rosée au soleil

*(Meules de paille.)

 31  

Eren quate assouciats déns la même boutique,  
Epuey, bien énténdut, de la même clique;  
Gagnaben de l'argént én bloc et én masse,  
Tabé jougaben lous escuts aou pile ou face.  
Aco ère déns l'annade dix-hueyt cént bingte-trés,  
Que fabricaben des barriques chez Nantés  
A cinquante francs per doutzenne;  
N'én fédében trés chacun, mais pas séns peine :  
Aco duret à-pu-près un més et demi,  
Que dissuren : an assez gagnat, faou nous diberti.  
Ba coume dit, nous bala d'accord,  
Faou appela lou meste, épuey régla d'abord.  
Maître, nous ne boulons plus trabailler,  
Et nous boulons connaître la bie d'un rentier  
C'est de nous leber à dix hures,  
Déjuner au restaurant,  
Faire collation à Bruges  
Et souper à Caudéran;  
Aller et rebenir en boiture,  
Comme des conseillers de préfecture;  
N'importe quelle en soit la durée,  
Il faut que des pabés en sorte la fumée.  
Bous boyez que nous sommes résolus;  
Eh vient ! pas d'obserbations, des écus.  
Des écus, morblu !  
J'en ai au trou du c…  
Comment, malhurux, me quitter soudain,  
Quand le Médoc ne sait que faire de son bin !

 31  

Nous étions quatre associes dans la même boutique,  
Et puis, bien entendu, de la même clique;  
Nous gagnions de l'argent en bloc et en masse,  
Aussi nous jouions les écus à pile ou face.    
Ceci était dans l'année dix huit cent vingt trois,  
Que nous  fabriquions des barriques chez Nantés  
A cinquante francs par douzaine;  
Nous en fabriquons trois chacun, mais pas sans peine :  
Cela dura à peu près un mois et demi,  
Nous nous sommes dit: On a assez gagné il faut nous divertir.  
Ca va comme dit, nous voilà d'accord,  
Il faut appeler le maître, et puis régler d'abord.  
Maître, nous ne voulons plus travailler,  
Et nous voulons connaître la vie d'un rentier  
C'est de nous lever à dix heures,  
Déjeuner au restaurant,  
Faire collation à Bruges  
Et souper à Caudéran;  
Aller et revenir en voiture,  
Comme des conseillers de préfecture;  
N'importe quelle en soit la durée,  
Il faut que des pavés en sorte la fumée.  
Vous voyez que nous sommes résolus;  
Eh bien ! pas d'observations, des écus.  
Des écus, morbleu !  
J'en ai au trou du c…  
Comment, malheureux, me quitter soudain,  
Quand le Médoc ne sait que faire de son vin !

32
Saint-Julien, Saint-Estèphe et Château-Margaux,  
Qui bont faire du bin comme de l'eau;  
Et puis, me quitter à l'instant,  
Abec une pareille commande du Montferrant;  
Oli non ! en grâce, ne faites pas les têtus,  
Et contribuez à conserber le bin d'un pareil cru,  
Car je bous jure ma parole. d'honnur,  
Foi d'honnête bolur,  
Qui baudrait mieux profiter du bent qui souffle  
Que de trainer dans quinze jours la pantoufle.  
Boyez, réfléchissez‑y vien,  
Car le trabail seul est botre vien.  
Je sais que , je bous dois de l'argent,  
Et bous me forcez à régler à l'instant;  
Mais abant, boyons :  
Boulez‑bous trabailler, oui ou non.  
 
Eh vien ! non ; de l'argent, ou si non  
Nous allons bous mettre à la raison.  
Tant pis pour bous, mauvais garnemens,  
Et je bais bous compter bos douze cents francs;  
Mais ne bous présentez plus à ma voutique,  
Car je bous casse les reins à coups de trique.  
Gueytats, nous cassa lous reins à cops de trique !  
Aco faillit me douna la coulique.  
F.... bête ! f.... grand Jean Madu !  
Aquère espressioun me fit ride tout blu.  
Bous demandy, et bous déchy à debina,  
Si un june homme qu'a céns escuts demande a trabailla !  
32
Saint Julien, Saint Estèphe et Château Margaux,  
Qui vont faire du vin comme de l'eau;  
Et puis, me quitter à l'instant,  
Avec une pareille commande du Montferrant;  
Oh non ! en grâce, ne faites pas les têtus,  
Et contribuez à conserver le vin d'un pareil cru,  
Car je vous jure ma parole. d'honneur,  
Foi d'honnête voleur,  
Qui vaudrait mieux profiter du vent qui souffle  
Que de traîner dans quinze jours la pantoufle.  
Voyez, réfléchissez-y bien,  
Car le travail seul est votre bien.  
Je sais que je vous dois de l'argent,  
Et vous me forcez à régler à l'instant;  
Mais avant, voyons :  
Voulez-vous travailler, oui ou non.  
Eh bien ! non ; de l'argent, ou si non  
Nous allons vous mettre à la raison.  
Tant pis pour vous, mauvais garnements,  
Et je vais vous compter vos douze cents francs;  
Mais ne vous présentez plus à ma boutique,  
Car je vous casse les reins à coups de trique.  
Regardez, nous casser les reins à coups de trique !  
Cela faillit me donner la colique.  
F.... bête ! f.... grand Jean Madu !  
Cette expression me fit rire tout bleu.  
Je vous demande, et vous laisse à deviner,  
Si un jeune homme qui a cents écus demande à travailler !  

 33

Mais nani;  
Boou se diberti.  
Coume firen. 
Partiren quate à fa lous moussus;  
Duret méns que la taille, que toumbèren de c…,  
Couméncèren à débuta per la Gaillardine,  
En prenén un fiacre à la place Dauphine  
Aco se rancountret précisemént un dilus  
Que nous métamorphosèren én moussus;  
Lou dimars, countinuèren la ripaille,  
Aou Petit amey aou Grand Bersaille  
Lou dimécre, tour de gule à la Médoquine,  
Rafresquissemént aou Roupie épuey à la Tartine;  
Lou dijaou, béntrade d'esgargots à Caouderan,  
Lou decey, julienne et macaroni aou restaurant;  
Lou dibéndre, déjuna aou Toundut, dina à Mérignac,  
Collatioun à Bruges, et soupa aou Bouscat;  
Lou dissate, grande casse à l'alléye de Boutaou.  
Casse én boiture ne pot que fini maou,  
Surtout la casse aou fusil;  
Acos boun à Schikler épuey Rotchil;  
Lou diménche, tour de force aou Brouchet.  
Ma foey, aqui qu'acabéry lou paquet,  
Epuey firy un tour de la pu grande souttisse,  
Saoutéry daou pount de peyre saou pount de serbice.  
Sourten d'aqui, ban à la salle Mouill-Quiou,  
Moun boussic sec coume moun traouc de quiou.
Estury doun pribat,
 
Et certes bien countrariat  
   

33

Mais non;  
Il veut s'amuser.  
Comme nous fîmes. 
Nous Partîmes quatre à faire les messieurs;  
Cela dura moins que la taille, nous tombâmes de c…,
Nous débutâmes par la Gaillardine,  
En prenant un fiacre à la place Dauphine  
Ceci se fit précisément un lundi  
Que nous nous métamorphosâmes en monsieur;  
Le mardi continuèrent la ripaille,  
Au Petit et puis au Grand Versailles,  
Le mercredi, tour de gueule à la Médoquine,  
Et puis rafraîchissement au Roupie et puis à la Tartine;  
Le jeudi, ventrée d'escargots à Cauderan,  
Le soir, julienne et macaroni au restaurant;  
Le vendredi  déjeuner au Tondu, dîner à Mérignac,  
Collation à Bruges, et souper au Bouscat;  
Le samedi, grande chasse à l'allée de Bouteau.*  
Chasse en voiture ne peut que finir mal,  
Surtout la chasse au fusil;  
Ceci est bon à Schikler et puis Rotchil;  
Le dimanche, tour de force au Brochet.  
Ma foi, ici j'avais le paquet,  
Et puis je fis un tour de la plus grande sottise,  
Je sauter du pont de pierre sous le pont de service.  
Nous sortons de là, allons à la salle Mouille-cul,  
Ma bourse sèche comme mon trou du Cul.  
Je fus donc privé,

Et certes bien contrarié  

*(Elle existe encore à Bordeaux.)

34

De fa dansa les marchandes de ris,  
De castagnes, chancres, esquiris,  
Chardines, petouncles et eous frés,  
Enfin, ce qu'appellen les reynes daou marés;  
Et lou tout per ma faoute, per ma faoute,  
Et per ma trop grande faoute;  
De qué ! surtout de me rouga cént escuts,  
Déns une semane qu'esturen descousuts.  
Et ne pas me rappela lou tort de Baraquet,  
Que disébe ; drôle, garde une père per la set.  
Et jou que n'ey gardat ni père, ni poume, ni abricot,  
Qu'ey bibut coume lou Cafre épuey l'Otentot,
Qu'es toujours, countént si sa pénse es counténte,  
Epuey droumi coume lou boussut de Malénte.
Mous praoubes escuts !  
Bous bala doun founduts,  
Epuey escamoutats de l'adresse de Bireboquet,  
Per ainsi dire, d'un tour de gobelet.  
A bous aoutes que m'adressy, junesse ;  
Si boulets bioure hurus, méprisats la paresse,  
Car lou trabail donne la santat, procure l'appétit  
Entretént la bourse et rénd l'homme desgourdit.  
Gueytats lou flanur de suite plounjat déns lou bice,
Si leou qu'es desbourdat per la faignantisse :  
Lou bedets tout ébétat, épuey de méchante mine,  
Sale, desguenillat, et rounjat per la bermine.  
Certes n'es pouin déféndut de fa quaoque baloche;
Mais si abets dux escuts, que l'un garde la poche.  

34

De faire danser les marchandes de ris,  
De châtaignes, moules, anchois,  
sardines, pétoncles et oeufs frais,  
Enfin, ce que l'on appelle les reines des marées;  
Et le tout par ma faute, par ma faute,  
Et par ma trop grande faute;  
De quoi ! surtout de dépenser cent écus,  
Dans une semaine ils furent liquidés  
Et de ne pas me rappeler du conseil de Baraquet,  
Que disait ; drôle, garde une poire pour la soif.  
Et moi qui n'ai gardé ni poire, ni pomme, ni abricot,  
Que j'ai vécu comme le Cafre et puis l'Hottentot,
Qui est toujours, content si sa panse est contente,  
Et puis dormir comme le bossu de Malente.
Mes pauvres écus !  
Vous voilà donc fondus,  
Et puis escamotés par l'adresse de Bireboquet,
Pour ainsi dire, d'un tour de gobelet.  
A vous je m'adresse, jeunesse ;  
Si vous voulez vivre heureux, méprisez la paresse,  
Car le travail donne la santé, procure l'appétit  
Entretient la bourse et rend l'homme dégourdit.  
Regardez le flâneur de suite plongé dans le vice,  
Sitôt qu'il est pris par la  fainéantise :  
Vous les voyez tout hébétés, et puis de méchante mine,  
Sales, déguenillés, et rongés par la vermine.  
Certes il n'est point défendu de faire quelque bamboche;  
Mais si vous avez deux écus, que l'un garde la poche.  

35  

D'aquère manière serats l'amic daou tort de Baraquet,  
Parce qu'aourats gardat une père per la set.  
Et jou qu'ey feyt coume lou peysan Destiou,  
Que m'ey rougat la cousty amey lou costiou,  
Paille, paillasse, épuey lous matelas,  
Asture que didi: t'én soubindras, Martin de Landiras.  
Lou léndeman me réndiry à la place,  
Et baci lou coumble de ma disgrâce;  
Rés mey à fa,  
Qu’à me proumena,  
Per énténde mijour souna,  
Séns saougé oun ana dîna.  
Et moun praoube bénte crusat coume un tunel,  
Et per lou bourra, pas une patate aou naturel.  
Fallut doun me débia et courre de chaey én chaey,  
Désempuey Lormount dinque aou Pount de la Maey; Y réncountraby toujours quouqu'amic d'énfance,  
Me sarraben la man, et me rampliben la pance.  
Toujours én course, coume lou Juif Errant,  
Cercant plegues et bosses, coume un Grand groumand;  
Ficellat, mailloutat déns moun grand habit blu,  
Quoique raspat, m'appellaben moussu.  
Mous souliers, estalounats et presque séns semelles,  
Lou capet traoucat, duyes cordes per bretelles,  
De mes caousses lou jarret debingat lou taloun ,  
Lous grenadiers à l'esquine, amey fedéby lou lioun.  
Oh ! la sale bie que la bie de bandit !  
Tantos éry sadout, tantos éry languit,  
   

35  

De cette manière vous serez de l'avis de Baraquet,  
Parce que vous aurez gardé une poire  pour la soif.  
Et j'ai fait comme  le paysan Destiou,  
Je me suis mangé la côte et le côté,
Paille, paillasse, et puis le matelas,  
A cette heure je dis: tu t'en souviendras, Martin de Landiras.  
Le lendemain je me rendis à la place,  
Et voici le comble de ma disgrâce;  
Plus rien à faire pour moi. 
Qu’à me promener  
Pour entendre midi sonner,  
Sans savoir ou aller dîner.  
Et mon pauvre ventre creux comme un tunnel,  
Et pour le remplir, pas une patate au naturel.  
Il fallu donc me décider et courir de chai en chai,  
Depuis Lormont jusqu'au  Pont de la Maye;  
J'y rencontrais toujours quelque ami d'enfance,  
Il me serait la main et me remplissait la panse  
Toujours en course, comme le Juif Errant,  
Cherchant plaies et bosses, comme un Grand gourmand;  
Ficelé, mailloté, dans mon grand habit bleu,  
Quoique râpé, ils m'appelaient monsieur.  
Mes souliers, sans talons et presque sans semelles,  
Le chapeau troué, deux cordes pour bretelles,  
De mes chaussettes, le mollet devint le talon ,  
Les grenadiers à l'échine, je sentais le lion. 
Oh ! la sale vie que la vie de bandit !  
Tantôt j'avais mangé, tantôt j'avais faim,   

36

Me fallut quitta la bille, gagna la campagne ,  
Net, poulit coume un baquey de Bretagne;  
Ery résolut d'habita Beychebelle ou Macaou,  
Lous uns disében feras bien, lous aoutes feras maou;  
Daoutes, à ta place, m'én anguery à Preignac,  
Daoutes, à Sauternes, Boumes ou Barsac,  
Et jou ey préférat la coumune de Saouterne,  
Et m'y bala installat coume Croqùe Mitaine.  
Aoury certes pouscut habita Preignac,  
Que n'én sery pas méns rafalat,  
Macaou tabé, coume Beychebelle  
Tant sery jou f   à l'ancre coume à la belle.     
Coume bédes qu'ey feyt la boumbërôumbette,  
 
Asture baou bous régala d'une cansounnette.  

36

Il me fallut quitté la ville, gagner la campagne,  
Net, poli comme un vacher de Bretagne;  
J'étais  résolu d'habiter Beychevelle ou Macau,  
Les uns disaient, tu feras bien, les autres, tu feras mal;  
D'autres, à ta place, j'irais à Preignac,  
D'autres, à Sauternes, Bommes ou Barsac,  
Et moi j'ai préféré la commune de Sauternes,  
Et m'y voilà installé comme Croque Mitaine.  
J'aurais certes pu habité Preignac,  
Que je n'en serai pas moins "rafalat",  
Macau aussi, comme Beychevelle  
Tant serait-je foutu,  à l'ancre comme à la belle.  
Comme vous voyez j'ai fait la bamboula,  
 
A cette heure je vais vous régaler d'une chansonnette.  


Chanson joyeuse

Air connu.  

1

Gueytats ma blague épuey mous gestes, 
Si n'ey pas l'air d'un charlatan,  
Déclaman coume aquéres bestes,  
Dam mes allures de gourmand;  
Que n'ey déns ma poche  
Qu'une brioche  
Per appaisa moun grand appétit;  
Et gueytats ma bourse.  
Toute clabouse,  
Ne countént pas un praoube ardit.  
Coume fa doun per fa lou fière,  
Si n'és l'audace épuey lou froun,  
Faou doun que fédy lou lioun                        (bis)  
Per troumpa la misère.  

1

Regardez mon bavardage et puis mes gestes,
Si je n'ai pas l'air d'un charlatan,
Déclamant comme c'est bêtes,
Avec mes allures de gourmand;
Je n'ai dans ma poche
Qu'une brioche
Pour apaiser mon grand appétit;
Et regardez ma bourse.
Tout efflanquée,
Elle ne contient pas un pauvre denier.
Comment faire pour faire le fier,
Si ce n'est l'audace et puis le front,
Il faut donc que je fasse le lion    (bis)
Pour tromper la misère.

2.  

Ridets, sadouts, d'aquère farce,  
Ridrats d'un aoute béritat :  
Pénsy n'agé quaouqu'un én face  
Coume jou, pas trop remountat;  
Que rit de me beyre,  
Et doun pot me creyre,  
N'ey pas lou so per me rinça  lou bec,  
Et doun un june homme  
N'és qu'un fantôme,  
Pribat d'énguén, que passe per pec.  
Coume fa doun, etc.  

 

 2

Riez, vous qui avez le ventre plein , de cette farce,
Vous rirez d'une autre vérité:
Je pense n'avoir quelqu'un en face
Comme moi, pas trop remonté;
Qui rit de me voir,
Et donc peut me croire,
Je n'ai plus le sou pour me rincer le bec,
Et donc un jeune homme
N'est qu'un fantôme,
Privé d'onguent, qui passe pour sot.
Comment faire donc...etc.

3.

Bibe l'aisance épuey la chère,  
Bibe la lune et lou souleil;  
Bibe lou bént, bibe la terre,  
Bibe surtout lou boun soumeil  
Acos communiste,  
Acos socialiste,  
N'in a per touts, même séns distinctioun;  
Mais la boune chère,  
Enténds, ma bergère,  
N'ey pas soubént, d'indigestioun.  
Coume fa doun per fa lou fière,  
Si n'és l'audace épuey lou froun,   
Faou doun que fédy lou lioun                   (bis).  
Per troumpa la misère.  

 3.

Vive l'aisance et puis la chère,
Vive la lune et le soleil;
Vive le vent, vive la terre,
Vive surtout le bon sommeil
Ces choses là communiste,
Ces choses là socialiste,
Il y en a pour tous, même sans distinction;
Mais la bonne chère,
Entend ma bergère,
Je n'ai pas souvent d'indigestion.
Comment faire pour faire le fier,
Si ce n'est l'audace et puis le front,
Il faut donc que je fasse le lion    (bis)
Pour tromper la misère.

Sauterne, le 25 Juillet 1849.  

 Espagnet.

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Réalisée le 19 juin  2002  André Cochet
Mise ur le Web le  juillet 2002

Christian Flages

Mise à jour le

                 

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