Les conférences du Ciron. |
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Histoire anecdotique des voies bordelaises. La rue Sainte Catherine et les Cours du Chapeau Rouge et de l'Intendance.
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Les images présentes
dans ces pages sont libres de droits. |
Jean DARTIGOLLES. |
Première partie le 12 mars 2009 à Bommes : La rue Sainte Catherine. Deuxième partie le 26 mars 2009 à Preignac : Les Cours du Chapeau Rouge et de l'Intendance. |
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Retour au répertoire. |
La rue Sainte Catherine. |
Cours du Chapeau Rouge et de l'Intendance. |
Première partie | Deuxième partie |
Les origines. |
Le Fossé de Tropeyte. |
La catastrophe de 276. |
Un lieu bien fréquenté. |
La rue Sainte Catherine. |
Le Chapeau Rouge. |
Pourquoi Sainte Catherine ? | Louis
XIV ne fait pas dans la dentelle. |
Première extension de la Ville. | Avant
de quitter la place Jean Jaurès. |
Le drame de 1206. | Un
escalier audacieux. |
L'expansion de la ville se poursuit. | De
l'élixir à la liqueur : Marie Brizard. |
Le reconquête de l'urbanisme. | De
la fleur des champs à la fleur des trottoirs. |
Et maintenant commençons la visite. | La
Douane et la Poste. |
Une pollution insoutenable. | Quand
Louis XIII rencontre Anne d'Autriche |
La Galerie Bordelaise. | Soyons indulgents, il n'avait que 14 ans |
Les Dames de France. | De
l'hôtel de Saize à la Préfecture. |
Le marché aux moules. | Quand
on décide de construire le Grand Théâtre. |
Nicolas Beaujon, un destin hors du commun. | Un
bien curieux personnage. |
Les feux de la passion. | Bonnafé, un homme chanceux. |
La chapelle Sainte Catherine. | |
Les pères de la Merci et les pirates barbaresques. | Un
coup d'oeil sur les Allées de Tourny. |
La place Saint Projet. | La
maison Gobineau. |
On apprend que
le Cardinal de Richelieu
souffrait d'hémorroïdes. |
Le
Cours du XXX juillet. |
Que peut-on faire quand votre femme infidèle ... | |
Le séjour des poètes. | Les
débuts de l'aventure automobile. |
Le Peugue. | Le
Cours de l'Intendance. |
Un collège célèbre et l'Hôtel de ville. | Une
demeure imposante : l'Hôtel Pichon. |
Le secret des Grands Carmes, le vinaigre à tête noire. | Les
soubresauts de la Fronde à Bordeaux. |
Hôpitaux et couvents, les Augustins. | Deux
jeunes mariés : Louis XIV et Marie Thérèse. |
Une importante colonie israélite. | Mettons nous à l'abri. |
Abraham Gradis. | Le
commerce du blanc et le passage Sarget. |
La déplorable aventure de Moïse Gradis. | |
Samuel Peixotto. | Là
où Francisco Goya perdit la tête. |
Les pérégrinations de la Synagogue. | Le
Théâtre Français. |
Fripiers, gantiers et parfumeurs. | La
Porte Dauphine. |
De la porte Saint Julien à la porte d'Aquitaine. | Les
origines de la Place Gambetta. |
Le marché des produits résineux. | Un
environnement sinistre. |
Un dernier coup d'oeil sur la place de la Victoire. | Les
Portes. |
La grande vedette du Second Empire. | La
construction des immeubles qui l'entourent. |
Le premier autobus bordelais. | Un
épisode sinistre. |
Pour conclure, la permanence de l'Histoire. | La fin de son histoire. Pour conclure |
Sources. | Sources |
Remerciements. | Remerciements. |
Les Cours du chapeau Rouge et de l'Intendance. |
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Lors de notre première
encontre, il y a de cela quinze jours, nous avons parcouru la rue Sainte
Catherine très exactement tracée sur l'axe du Cardo de l'antique
Burdigala. Nous l'avons vue un
moment réduite aux dimensions du Castrum gallo romain après l'invasion
barbare survenue en 276 et nous avions suivi pas à pas sa reconquête du
terrain perdu au fil des siècles qui ont suivi. Nous allons parcourir aujourd'hui l'autre axe majeur de l'antique Burdigala, son Décumanus que le rempart du IVème siècle avait désormais laissé hors les murs. Ce
Décumanus, avions nous dit, avait donné naissance bien plus tard,
à nos Cours,du Chapeau Rouge et de l'Intendance, tandis que le vaste
forum gallo-romain devenait notre
place de la Comédie. Nous
voici donc maintenant à pied d'oeuvre pour entreprendre ce nouveau
parcours en partant de la Garonne à la hauteur de la place Jean Jaurès. Il ne vous reste
plus qu'à suivre le guide, restez groupés, ne vous égarez pas ... |
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Le Fossé de Tropeyte.Ici, l'histoire va se montrer beaucoup plus radicale. Au lendemain de la catastrophe de 276, le Décumanus a tout simplement disparu. Sur son emplacement, on a creusé un fossé au pied
du mur nord du rempart du Castrum et assurant sa protection. Ce fossé sera alimenté en eau par un ruisseau local
dénommé "le Tropeyte". De ce ruisseau, aujourd'hui enterré, il ne reste
qu'un seul souvenir, celui du pont qui le franchissait près de son
confluent avec la Garonne, et qui se dénommait "le Pont de la
Mousque". Il a donné son nom à la rue toute proche qui suivait
le Cours,du Tropeyte. Pendant des siècles, là, il ne va rien se passer
sinon que les vastes terrains qu'avaient drainé les Romains vont
rapidement retourner à l'état de marais. Et puis, lorsque l'on construit le rempart du XIV ème siècle on va ménager là, en bordure du fleuve une lourde porte médiévale, la porte dite "du Fossé de Tropeyte" donnant accès à la Garonne. Ce sera désormais par cette porte que se feront les
entrées solennelles dans la ville de tous les visiteurs de marque. |
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Un lieu bien fréquenté.C'est par
là qu'entre Charles Quint le 1er
décembre 1539, c'est là que l'on accueille la fille du roi,
Henri II en 1559 lorsqu'elle se rend en Espagne pour y épouser son Roi,
c'est là que se forme le cortège nuptial de Louis XIII, le 25 novembre
1615, en chemin pour Saint André avec Anne d'Autriche, sa jeune épouse,
c'est encore là que l'on accueille Philippe V le nouveau Roi d'Espagne le
30 décembre 1700, précédé de 100 gardes suisses à cheval et de 6
régiments au complet, c'est toujours là que l'on reçoit les nouveaux
archevêques tel Mgr de
Maniban, le 20 novembre 1730, pour lequel on a spécialement construit ce
que l'on appelle une "maison navale" tendue de velours et
de damas et pilotée par 65 matelots, tous vêtus de neuf d'habits à
galons d'argent. Restons
en là, car il y en a bien d'autres, mais je voulais simplement vous
montrer que nous étions en bonne compagnie car c'est par là que nous
allons commencer la visite.
Juste
en face de nous se dresse la porte du
XIV ème siècle. C'est Tourny qui la fera démolir pour
dégager la vue du fleuve vers l'enfilade des cours. Il la fait remplacer
par une belle grille en fer forgé. On l'a, depuis lors déposée, mais ne vous affligez pas trop vite, allez plutôt l'admirer, c'est elle qui sert de porte au jardin Public, Cours,de Verdun, juste en face du Cours,de Gourgues. Après la construction du rempart du XIV ème siècle, le fossé de Tropeyte devenait parfaitement inutile. On le combla. Et sur ce nouvel espace on commença à construire des immeubles mais, cette fois-ci, alignés et ménageant sur l'ancien fossé, une large avenue. |
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Le Chapeau Rouge.C'est en 1511 qu'elle va devenir un établissement de très grand standing. Une sorte de 4 étoiles de luxe de la ville. Seuls les hôtes de marques, tel le duc de Guise en 1630, peuvent envisager d'y descendre. Les prix
qui s'y pratiquent étaient inabordables pour le commun des mortels. Au
XVI ème siècle la pension complète s'élevait à 24
écus par jour ce qui pouvait représenter l'équivalent de plusieurs mois
de salaire d'un manœuvre du port. Cet établissement
célèbre sera impitoyablement rasé sur ordre de Louis XIV en 1676. Elle ne fut pas la seule à connaître ce triste
sort. |
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Louis XIV ne fait pas dans la dentelle.A la
suite d'une révolte des bordelais partie des quartiers St Michel et Ste
Croix, un Arrêt du Conseil d'Etat en date du 24 novembre 1675 décida de
raser 300 maisons dans cette zone pour dégager le champ de tir des canons
du château Trompette en direction de la ville. Et pour
faire bonne mesure, le même Arrêt décide de descendre les cloches de St
Michel et Ste Croix, coupables d'avoir sonné le tocsin pour appeler à l'émeute,
ce qui fut fait, et de démolir la flèche de St Michel, ce qui
heureusement ne fut pas fait, faute d'avoir pu trouver quiconque acceptant
d'entreprendre un tel chantier. |
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Avant de quitter la place Jean Jaurès.Ne nous
engageons pas encore dans le Cours, sans avoir noté la présence, à
notre droite d'un terre-plain, actuelle place Jean Jaurès qui s'est
d'abord appelée du "Marché aux Vins" avant de devenir
place Richelieu puis Jean Jaurès.
Il s'y
tenait un important marché spécialisé dans la vente des produits de
boulangerie, des beurres fermiers, de la chandelle, de la viande et des
produits exotiques. S'y ajoutait chaque samedi matin un marché à la
volaille vivante venue de toute la région. Tournons nos regards vers l'axe du cours. Dès le XVIème siècle la voie est déjà très animée mais les constructions riveraines sont assez banales d'aspect, c'est du moins l'avis de l'Ambassadeur de Venise qui nous le dit après être passé par là. Mais il
ne reste rien de cet urbanisme puisque détruit après l'Arrêt de 1675. Tout va changer à partir du XVIII ème siècle qui va voir s'édifier les immeubles que nous connaissons encore. Vers 1750, Tourny veut en faire une très belle voie urbaine et y fait planter deux rangées d'arbres qui seront d'ailleurs arrachés dès 1773, on ne sait trop pourquoi. On
les verra revenir à l'aube du XXI ème siècle. |
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Un escalier audacieux.A notre droite, l'immeuble d'angle avec la place Jean Jaurès est l'Hôtel Fonfrède déjà évoqué et qui occupe donc l'emplacement de l'ancienne hostellerie.
Construit de 1775 à 1776, c'est la première oeuvre de l'Architecte Louis, le concepteur du futur Grand Théâtre.
A l'intérieur de cet hôtel et malheureusement exclu de toute visite parce que se situant dans un domaine privé, se trouve un magnifique escalier constituant une vaste spirale littéralement suspendue dans le vide en un mouvement ininterrompu jusqu'au 3 ème étage. On peut y monter à cheval. Cet ouvrage est étudié dans toute les écoles d'architecture et et ils sont peu nombreux ceux qui osé retenter l'expérience, du moins en pierre, car en béton on fait à peu près ce que l'on veut. |
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De l'élixir à la liqueur : Marie Brizard.A gauche, côté pair, dans l'un des premiers immeubles qui donnent d'un côté sur le cours, et de l'autre sur le rue du Pont de la Mousque, à la fin du XVIII ème siècle était installée la fabrique de Marie Brizard. Marie était
la fille d'un charpentier, elle avait 14 frères et soeurs. Très jeune,
elle se consacra aux soins des nécessiteux, et c'est ainsi qu'elle aurait
recueilli la recette secrète de sa liqueur d'un esclave noir qu'elle
aurait soigné et qui lui aurait ainsi témoigné sa reconnaissance. Utilisée d'abord comme remède pour les malades anémiés, le Maréchal de Richelieu, Gouverneur de la province l'apprécia beaucoup et en fit servir à la Cour de Versailles. Ce fut tout de suite un grand succès commercial. Il fallut bientôt un local plus grand, du même côté du cours, un peu plus haut, au N° 40. La fabrique y demeura jusqu'en 1854. Entre
temps, Marie Brizard était morte, mais, octogénaire, elle s'était
signalée en cachant dans sa maison, sous la Terreur, et au péril de sa
vie, plusieurs prêtres insermentés. Toujours à notre gauche, le N° 16(Banco Pinto) est le plus anciens des immeubles du cours. Il a réchappé,
on ne sait trop pourquoi, aux destruction de 1676, ainsi que, un peu plus
loin, l'hôtel Laubardemont, mais là, nous verrons que nous savons
pourquoi. |
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De
la fleur des champs
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Il a été construit par Bonnaventure Journu, 3 ème fils de Claude Journu qui avait, dit-on, 22 enfants.
En dépit
des recherches entreprises dans les registres paroissiaux de Bordeaux, on
n'en a jamais retrouvé que 18 ce qui n'est tout de même, convenons-en, déjà
pas si mal.
Ce
Bonnaventure était un grand collectionneur naturaliste et avait fait de
son hôtel un véritable musée largement connu. A telle enseigne qu'un
catalogue de ses collections fut dressé et envoyé en Suède au grand spécialiste
Linné qui en fit son profit dans les recherches qu'il menait et qui
devaient aboutir à la classification botanique universelle dont nous
utilisons encore les principes.
A sa
mort, Journu fit don des ses collections à la ville, en 1805 et ce fut le
premier fond constitutif de notre muséum d'histoire naturelle.
A droite
au N° 19, après la Terreur et jusqu'au Directoire, se trouvait un
marchand d'estampe dénommé Jogan. C'est là que sous le comptoir, on
vous vendait :
"l'almanach
des plaisirs ou Répertoire des jolies femmes de Bordeaux vouées au
plaisir public."
Le titre est un peu long, mais la chose est bien dite. Il y en avait 120, avec un luxe de détails, âge, qualités, défauts, spécialités, etc ...
Revenons sur le côté gauche, au N° 40 pour découvrir l'hôtel Laubardemont construit un peu avant 1615. C'est, avec le N° 16 l'un des seuls rescapés de la destruction du quartier en 1676. Mais ici, vous ai-je dit, la raison en est connue.
Cet hôtel imposant était en effet l'hôtel des Fermes Générales du Roi et la résidence personnelle de ses fermiers.
Il conservera cette destination jusqu'au 1er juillet 1738, date à laquelle fut inauguré l'hôtel des Douanes, en bordure du fleuve et premier édifice de ce qui allait bientôt devenir la place de la Bourse.
Tous les
services administratifs des Fermes Royales y furent alors transférés et
l'hôtel Laubardemont, devenu disponible fut alors affecté, entre autre
choses à la Direction des Postes qui l'occupera jusqu'à la fin décembre
1795.
En 1795,
il y avait 7 facteurs distributeurs dans Bordeaux qui assuraient une
distribution quotidienne. En 1820, leur nombre fut porté à 9 puis à 16
en 1828.
Le facteur ne montait pas dans les étages.
Il
remettait le courrier aux concierges et, à défaut appelait le
destinataire à hauts cris en lui laissant, précise le règlement :
" un
temps raisonnable pour descendre".
Ce n'était pas par hasard que l'on avait installé le Direction des Postes en ce lieu.
C'est en effet du bas du Cours du Chapeau Rouge, dans les premiers cent mètres que se situait le point de départ des malles de poste en particulier de Paris et de Toulouse.
De ce fait, il régnait là une grande animation permanente.
Mais
revenons à l'hôtel Laubardemont. C'est de la fenêtre centrale du
premier étage que le 25 novembre 1615 Marie de Médicis, veuve d'Henri
IV, regarda passer le somptueux cortège du mariage de son fils Louis XIII
avec Anne d'Autriche, se rendant à Saint André par le Cours,du Chapeau
Rouge, la rue Sainte Catherine et la rue du Loup, chacune de ces voies
subsistant encore en l'état.
Ici, je
ne résiste pas à l'envie de vous conter un épisode d'histoire peu connu
et qui précède tout juste cette mémorable journée.
Le mariage de Louis et d'Anne avait été célébré par procuration en la cathédrale de Burgos en présence d'Anne, mais en l'absence de Louis. Depuis lors, la jeune épouse cheminait en carrosse à petites journées accompagnées des gens de sa maison et d'une délégation de dignitaires de la Cour de France.
Le temps
était épouvantable, les lourds carrosses s'enlisaient souvent dans les
chemins défoncés. Elle passe par Dax et Mont de Marsan. Le 19 novembre,
elle fait étape à Bazas. Le 20, deux jurats de la municipalité de
Bordeaux accompagnés du Maréchal de Roquemaure, Gouverneur de Guyenne,
viennent l'accueillir à Podensac.
Cette rencontre s'est déroulée au carrefour de l'actuel feu rouge. La progression est lente, le 21 au soir, elle fait étape à Castres. Louis XIII est déjà là, incognito. N'oublions pas que les jeunes époux ne se connaissent pas et qu'ils ne se sont jamais rencontrés.
Louis
avait été un petit garçon très vivant et qui adorait son père qui le
lui rendait bien. Il avait 9 ans au moment de l'assassinat d'Henri IV et
subit là un traumatisme profond. Il ne trouva aucun réconfort auprès de
sa mère qui ne l'aimait pas. D'ailleurs Marie de Médicis n'a jamais aimé
personne. Il devint bègue et sa mère allait jusqu'à se moquer
ouvertement de son travers devant toute la Cour.
Depuis 6 ans, c'est un enfant malheureux. Et là, attendant le cortège, il bout littéralement d'impatience. N'oublions pas non plus qu'il a 14 ans, et elle aussi.
Du point
de vue âge, on ne saurait rêver d'époux mieux assortis. Elle est née
le 22 septembre 1601 et lui 5 jours plus tard, le 27 du même mois.
Il est
donc là incognito, vêtu très sobrement et se cache derrière le
Cardinal de Guise qui présente ses respectueux hommages à la jeune
reine. Mais ce qu'il ne sait pas c'est qu'elle, elle sait qu'il est là,
car quelqu'un de sa suite l'en a informée.
Dans la nuit, Louis apprendra qu'elle savait ...
Le 22
novembre au matin, Anne remonte dans son carrosse et là, deux versions
s'affrontent et les témoins sont aussi crédibles d'un côté comme de
l'autre. Ne sachant vous dire qu'elle est la bonne, je vous rapporte les
deux, les abandonnant à votre choix.
Selon la
première version, Louis remonte lui aussi dans son carrosse et les deux
voitures roulent un moment de front. Il se penche à la portière et, se désignant
du doigt, il lui crie en italien, car il ne parle pas espagnol, mais il parle
bien italien (sa mère est italienne)
"Io
son incognito"
Et elle
comprend sans peine car en espagnol la même chose se serait dite :
Yo soy de incognito".
C'est
tout comme. Tout ceci parce qu'Anne ne parle pas encore un seul mot de
français.
Selon la seconde version, Louis s'approche du Carrosse d'Anne et le fait arrêter. Tous deux se regardent, il ôte son chapeau mais ne dit rien. Elle ôte ses gants et, joignant les deux mains, elle les élève un peu et salue de la tête, toujours sans un mot.
Vous pourrez tout-à-l'heure débattre entre vous du choix
qu'implique
ces deux versions et de l'importance de la question. Dans les deux cas, et
à partir de là, tout le monde est de nouveau d'accord, Louis abandonne
son carrosse, saute sur un cheval et rentre à Bordeaux à bride abattue
pour se préparer à recevoir Anne officiellement.
Le cortège
solennel, nous l'avons vu défilera sur le Cours,du Chapeau Rouge le 25,
se rendant à St André où l'on procédera à la confirmation du mariage
en présence de l'Evêque de Saintes et non du Cardinal Archevêque François
de Sourdis dont c'eût été normalement le rôle. Mais pour lors,
celui-ci, en délicatesse avec la justice du Roi, se trouvait tout
bonnement en fuite.
L'accueil
populaire à la jeune Reine fut incontestablement chaleureux.
Le
lendemain matin, tel un jeune coq triomphant Louis proclama haut et fort
devant quelques dizaines de courtisans réunis :
"je
lui ai pissé dans le ventre ..."
On a
connu des propos plus courtois, mais personne ne s'en formalisa. C'était
un temps où l'on s'exprimait très crûment à la Cour de France, et
puis, soyez indulgents, il n'avait que 14 ans.
Quand à
la réalité de la chose les historiens en doutent très fortement, et ils
ont raison d'en douter car l'histoire nous enseigne que l'événement ne
se produisit en fait que dans la nuit du 25 janvier 1619, soit donc plus
de 3 ans plus tard. Et encore fallut-il que le jeune homme fut, au préalable,
très utilement conseillé par des personnes d'une grande expérience en
ce domaine.
Rappelons
tout de même que le premier fils du jeune couple, Louis XIV, ne devait naître
qu'en 1638, soit donc 23 ans après cette première expérience ...mais
ceci est une autre histoire.
Et ceci nous ramène au Cours,du Chapeau Rouge loin duquel nous nous sommes un temps égarés. Revenons-y bien vite et tournons nos regards vers la droite, côté impair où s'élève l'imposant hôtel de Saize, l'ancienne préfecture, édifié par l'architecte Louis pour le compte de M. de Saize, Avocat Général auprès du Parlement.
Commencé
en 1775, il avait exigé de Louis, par contrat, que son hôtel serait
terminé avant le Grand Théâtre voisin que le même Louis était entrain
de bâtir. Et il le fût, mais d'extrême justesse en 1780.
M. de
Saize, entre temps devenu maire de Bordeaux fut guillotiné sous la
Terreur en 1793. En 1808, sa veuve mit l'hôtel en vente. C'est l'Etat qui
l'acheta par un décret de Napoléon pris à Bayonne où il avait pris ses
quartiers pendant la guerre d'Espagne.
Il en fit
la préfecture de la Gironde qui s'y installa au mois d'août 1809.
L'un des
petit fils de M. de Saize, Aurélien, connaîtra à Cauterets en 1825
une idylle brûlante et passionnée avec sa cousine, qui a alors 21
ans et qui sera connue plus tard sous le nom de Georges Sand. Son premier
roman s'intitulera "Indiana",tout comme la soeur d'Aurélien.
Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? ...
Au plus
près s'élève le Grand Théâtre. Nous n'allons certes pas le visiter
ensemble mais il faut tout de même en dire quelques mots.
Le théâtre
de la ville qui l'avait précédé avait brûlé en 1755. Pour des raisons
financières, la municipalité se proposait de le reconstruire à peu près
à l'identique.
Mais le Duc de Richelieu, Gouverneur de la province ne voulait pas entendre parler d'une telle mesquinerie.
Il voulait un théâtre somptueux qui soit à la hauteur du prestige de la Ville.
Il s'ensuivit un conflit qui s'éternisa pendant plusieurs années. Le Duc voulait, mais ne finançait rien, et la municipalité qui finançait, elle, ne voulait pas. Au surplus, il y avait là-dessous un conflit d'architectes.
Le Duc de
Richelieu préférait Louis mais nombreux étaient ceux qui préféraient
son concurrent Laclotte. Rrichelieu finit par s'imposer en 1772.
Le fait que Richelieu et Louis fussent tous deux Francs Maçons n'a peut-être pas été étranger à ce choix. L'architecture de l'édifice comporte d'ailleurs de nombreux signes maçonniques.
Ce sera
donc Louis et l'ouvrage que vous connaissez, aux frais des bordelais bien
sûr car aucun concours financier extérieur n'y a contribué.
Curieux
personnage que ce Richelieu, arrière petit neveu du Cardinal Ministre.
Grand Seigneur, fantasque, imprévisible, grand amateur de jeu et de
femmes, surtout jeunes et jolies et cynique avec elles.
Lors de
son arrivée à Bordeaux en tant que Gouverneur de la Province, en juin
1758, il exige une réception époustouflante dont le coût approchera l'équivalent
de 500.000 de nos Euros à la charge des contribuables locaux.
Il organise des soupers galants et des dîners de 400 couverts. Tout est dans la démesure, mais aussi dans le panache et le grand théâtre qu'il a fini par imposer à la municipalité et aux bordelais en est la preuve.
On raconte qu'un jour, une solliciteuse demande à le rencontrer pour lui remettre un placet afin d'obtenir l'appui de son autorité. Il s'enquiert de son aspect.
Elle est, lui dit-on, jeune et jolie.
Il la reçoit et la culbute illico sans lui laisser le temps d'exposer son affaire. Et quand la jeune personne est repartie, il ouvre le pli et prend alors connaissance du placet.
C'est
ainsi qu'il découvre qu'elle venait se plaindre d'un médecin qui l'avait
mal soignée d'une maladie vénérienne.
Cela ne
l'empêcha pas, à l'âge de 84 ans de convoler en justes noces avec une
fille de 20 ans. Il mourra à 92 ans.
Et
pourtant les bordelais ne lui ont pas trop tenu rigueur de ses frasques
puisqu'ils lui ont dédié un quai à la hauteur du Cours d'Alsace. Car
c'est bien de lui qu'il s'agit là et non du ministre.
Regardons
enfin de nouveau vers la gauche, et au N° 54, découvrons l'hôtel Bonnafé
qui a la particularité assez rare d'avoir trois façades, l'une sur le
Cours, une autre sur la rue Sainte Catherine et la troisième sur la rue
de la Maison Daurade.
Le rez-de-chaussée a longtemps été occupé par un bureau de l'Agence Havas, désormais
dédié à une succursale de crédit Agricole.
C'est
l'architecte Laclotte qui l'a construit, le grand rival de Victor louis,
et ceci en 1780 alors que s'achevait le Grand Théâtre. Piqué de
jalousie, il voulut le surpasser : "boli l'escana" répétait-il,
"je veux l'étrangler". Et de fait, l'hôtel Bonnafé est
légèrement plus haut que le Grand Théâtre.
Venu du
Tarn à Bordeaux pour y chercher fortune, François Bonnafé avait été
surnommé " l'hurruss " autrement dit "l'heureux"
par les bordelais littéralement snobés par sa chance. Et de fait il
devait son immense fortune à un coup de chance au début de sa carrière.
Pendant
la guerre de l'Indépendance Américaine, sa flottille marchande avait réussi
à forcer le blocus des escadres anglaises là où les autres n'avait pas
réussi à passer.
Ce fut un
coup de bourse sensationnel qui lui permit de se lancer dans de grandes
affaires. En 1791 sa fortune fut estimée à 20 millions de Livres/or,
sans parler de plusieurs navires au long cours, de 23 immeubles et de 2
propriétés rurales. En 1796, il sera le contribuable le plus fortement
imposé de Bordeaux.
Sous la
Terreur, il fut un moment en grand danger. La foule, un jour, afflua sous
ses fenêtres pour venir l'arrêter. Grand seigneur, du haut du balcon de
son hôtel, lequel est toujours en l'état, il lui lança les clefs de sa
cave que tout un chacun savait fort bien garnie. Et pendant que le peuple
se ruait sur l'aubaine, il s'esquiva. Certes, il perdit ses médocs, mais
il sauva sa vie ....
C'est en
des temps apaisés, au cours de l'été 1809, et sur ce même balcon du 1er
étage,
qu'il mourut subitement, dans son fauteuil en regardant l'animation de la
place de la Comédie.
Avant de
nous engager sur le Cours de l'Intendance, nous allons faire une halte sur
la place de la Comédie.
Nous sommes là très exactement sur l'emplacement du Forum gallo-romain, place centrale de Burdigala vers laquelle convergeait toutes les activités de la cité.
Il se situait, ainsi que nous l'avons déjà dit, au carrefour de l'axe central nord/sud le Cardo, notre rue Sainte Catherine , et le Décumanus que nous venons de parcourir.
Après les destructions de 276, il ne restait là qu'un champ de ruines qui servit de carrière pour bâtir le mur d'enceinte du IVème siècle.
Désormais cet emplacement allait se trouver hors les murs de la ville, au
delà du rempart nord, et laissé dans un total abandon.
Le temps passant, ce terrain revint à son état de nature. Mais la nature, ici, on l'avait un peu oublié du temps de la splendeur de la ville antique, c'était un marécage que les romains avaient assaini au prix de travaux considérables.
Bientôt, tout l'espace sur lequel nous nous trouvons aujourd'hui, la Comédie, le Grand Théâtre, les allées de Tourny, etc. redevient un marais.
Les bordelais ne devaient pas le voir d'un mauvais oeil, car il leur offrait une protection au devant de leur rempart, contre les entreprises d'un éventuel agresseur.
Une chaussée prolongeant le Cardo traversait cette zone et,
par le tracé actuel des allées de Tourny et de la rue Fonfaudège, se
dirigeait vers le Médoc.
Rappelons que, par la suite, au Moyen Age, ainsi que nous l'avons évoqué lors de notre dernière rencontre, sur l'emplacement de l'actuel Grand Hôtel de Bordeaux et de la Maison des Vins de l'Intendance, s'élevait un énorme charnier de déchets de boucherie s'amoncelant de part et d'autre de la rue Mautrect.
Le nettoyage de ce lieux pestilentiel était confié aux oiseaux venus de la Garonne, au pullulement des rats et aux chiens errants.
Du point
de vue sanitaire, on aurait pu trouver mieux.
Cette situation va tout de même évoluer dans un sens favorable car, à partir du début du XIVème siècle, cet espace va se trouver à l'intérieur du nouveau rempart. Quelques travaux vont venir améliorer cette situation et ces terrains vont commencer à être progressivement assainis.
Il a fallu tout de même attendre la fin du XVIIIème siècle pour que cette place prenne son aspect monumental.
C'est l'architecte Louis qui l'aménagea en 1778, tout juste avant de construire le Grand Théâtre.
Cet
ensemble fut alors complété par la construction de l'Hôtel de Roly qui
est devenu le Grand Hôtel de Bordeaux.
Cette place s'ouvre sur deux grandes perspectives, celle des Allées de Tourny et celle du Cours du XXX juillet.
Un coup d'oeil sur les Allées de Tourny.
Sans nous
engager dans une visite trop détaillée qui nous entraînerait trop loin
de notre itinéraire principal, disons que ces Allées et ce Cours,ont mis
pas mal de temps à s'établir. La construction de leurs immeubles s'est
effectuée en deux temps.
Le côté
gauche des Allées, vu depuis la Comédie s'est édifié le premier, et,
au grand dépit de Tourny, sans recherche d'homogénéité architecturale.
Il aurait
souhaité voir là une enfilade de maison, toutes identiques, limitées à
un seul étage et surplombée d'un comble à l'italienne. Mais les propriétaires
bâtisseurs, soucieux de rentabiliser au mieux le prix de leur terrain,
cherchaient tout au contraire à multiplier les étages.
Le résultat, assez hétérogène, fut ce que vous connaissez aujourd'hui.
Ces Allées avaient été inaugurées au mois de mars 1749 et la construction de cette première phase, côté gauche fut menée tambours battants.
Dès 1755, six ans plus tard, la totalité de l'alignement était construite jusqu'à l'actuelle place Tourny.
C'est au rez-de-chaussée de certaines de ces maisons que l'on vit alors s'ouvrir les premiers cafés bordelais. Grande nouveauté pour l'époque car, jusque là, dans la ville, on n'avait jamais connu que des tavernes.
Le quartier y gagna tout aussitôt en notoriété et ces Allées allaient désormais constituer un lieu de promenade très apprécié. C'est là que l'on vit apparaître les premières chaises de location qu'à connu Bordeaux, à raison d'un sol pour une après-midi entière.
Beaucoup plus tard, à la fin du XIXème siècle, très exactement le 28 décembre 1895, c'est encore là, dans les salons de l'immeuble N° 10 des Allées de Tourny, que se déroula la première séance de projection du cinématographe des frères Lumière ; une séance privée devant des journalistes et quelques notables de la ville.
Une
plaque de marbre commémore l'évènement.
Cette
enfilade d'immeubles, côté gauche, objet de la première phase de
construction, resta longtemps sans vis à vis. En effet, selon l'Arrêt du
Conseil d'Etat de 1675, déjà évoqué, et toujours en vigueur à l'époque,
toute construction était rigoureusement interdite sur l'aire s'étendant
jusqu'à l'actuelle place des Quinconces, afin de dégager le champ de tir
des canons du château Trompette en direction de la ville. Cette
disposition fut abrogée en 1785.
Tout
aussitôt, Victor Louis, qui venait de bâtir le Grand Théâtre,
entreprit la construction de la Maison Gobineau, à l'angle des Allées et
du Cours,du XXX juillet. Elle est aujourd'hui le siège de CIVB.
Cet
immeuble est très important car Louis l'avait conçu comme devant
constituer le modèle architectural de tous les édifices à construire du
côté droit des Allées depuis que l'interdiction avait été levée.
Au surplus, il devait définir l'alignement de tout ce qui allait sortir de terre dans cette seconde phase pour parachever le site des Allées.
Cette Maison Gobineau fut effectivement construite, telle que nous la connaissons encore et définit bien l'alignement souhaité, mais elle resta isolée. La Révolution survenant, les autres immeubles qui devaient s'y adjoindre, tous identiques, jusqu'au fond des Allées ne furent pas construits.
Cette
maison resta ainsi pendant toute la Révolution et l'Empire et jusqu'à la
Restauration, comme un îlot isolé au fond de la place de la Comédie.
Isolé n'est pas, d'ailleurs, le mot convenable car, en fait, au fil du temps, tout le glacis du château Trompette s'était couvert de constructions disparates et passablement branlantes et ceci, dans le plus grand désordre.
Certes, de 1675 à 1785, il avait été interdit de construire en dur sur ce glacis, mais dans le même temps, la ville avait concédé à son profit quantités de locations à titre précaire sur lesquelles s'étaient élevées 328 boutiques provisoires parfaitement hétéroclites parmi lesquelles on trouvait des artisans, des cabarets, des entrepôts, des écuries, que sais-je encore ?
Un espèce
de capharnaüm peu engageant.
Et cette situation va perdurer jusque sous la Restauration, moment auquel, à partir de la maison Gobineau, on voit reprendre les constructions d'immeubles qui, sur l'emplacement du bidonville, allaient définir l'alignement du côté droit des Allées de Tourny et le Cours,du XXX juillet.
Et ce fut
là la seconde et dernière phase de l'opération.
Ce
Cours,du XXX juillet a une vocation spécifique à porter des noms de
dates anniversaires. Lorsqu'il fut tracé, sur les décombres du
bidonville, on lui attribua le nom de Cours du XII mars
commémorant la date de la restauration du trône de Louis XVIII en
1814.
Si l'on
excepte la Maison Gobineau, construite en 1785, le premier immeuble qui
s'y édifia fut l'Hôtel Coupat, en 1820. Ce Coupat était alors le
tailleur le plus en vue, le plus chic, et aussi bien sûr le plus cher de
Bordeaux.
En 1830,
cet hôtel se transforma en café, le Café Montesquieu dans lequel
Stendhal eut, un moment ses habitudes lors de son séjour à Bordeaux.
Relisez
donc ses "Mémoires d'un Touriste" et vous y trouverez
ses notes sur le Bordeaux du printemps 1838. Il y remarque en particulier
la singulière beauté des sourcils des bordelaises, ce qui est bien la
preuve d'une observation particulièrement scrupuleuse.
Depuis
lors, cet hôtel est devenu l'Office du Tourisme de la ville.
Lors de
la Révolution de juillet 1830 qui chassa Charles X au profit de
Louis-Philippe, ce Cours fut débaptisé et, le 19 octobre 1830, prit le
nom de XXX juillet que nous lui connaissons encore.
Tout proche de là, et sur le même trottoir, au N° 6, s'élève l'hôtel des Quatre Soeurs qui existe encore et toujours sous le même nom. Il fut le théâtre d'un bien curieux épisode.
Sous le Second Empire, Richard Wagner avait pour maîtresse Mme Laussot, épouse d'un négociant bordelais. Il lui écrit une lettre que l'on peut résumer en un mot : "j'arrive ..."
Or, le
mari intercepte cette lettre et, dans un premier temps ne voit d'autre
solution que de tuer sa femme. A l'époque, cela faisait parti des bons
usages. Il ne risquait pas grand chose car on aurait difficilement trouvé
un jury d'Assises pour condamner un mari trompé rapportant, avec cette
lettre, une preuve aussi évidente de son infortune.
Mais après réflexion, M. Laussot réalise qu'il ne pourrait pour autant éviter les longues tracasseries judiciaires d'un inévitable procès. Pendant les mois qui allaient suivre, il allait être immanquablement perturbé dans la gestion de ses affaires.
Alors il se ravise et opte pour une solution qui offre moins de panache mais qui est tout de même plus simple.
Il prend
sa femme avec lui et l'emmène en voyage. Mais avant de quitter Bordeaux,
il s'adresse aux autorités de police et, preuve à la main, demande qu'un
comité d'accueil musclé soit réservé à Richard Wagner lors de son
arrivée à Bordeaux.
Un
Richard Wagner qui, pour lors, ignorait encore tout de l'affaire.
Et voilà que Wagner
débarque à l'hôtel des Quatre Soeurs. Il n'a pas plus tôt déposé son
bagage qu'il est immédiatement encadré de forces de police qui
l'invitent, avec beaucoup de fermeté et sans perdre un instant, à
quitter la ville et à partir au loin. Et de fait, Wagner partit précipitamment
et courut se réfugier en Suisse.
Certains
musicologues prétendent que le duo dramatique chanté par Siegmund et
Sieglinda dans la Walkirie se réfère à cet épisode de la vie du
compositeur. Je n'ai pas les compétences nécessaires pour vous proposer
une idée sur la question.
Ne quittons pas ces lieux sans avoir évoqué le souvenir de cette journée de 1890 où l'on vit évoluer la première voiture automobile qui ait jamais circulé à Bordeaux
C'est en
effet sur la place de la Comédie que Paul Legendre devint le premier
automobiliste bordelais au volant du tricycle à vapeur qu'il venait tout
juste d'acheter.
Il ne
fallait pas manquer d'audace, à l'époque, pour se lancer dans une
pareille aventure. Et de l'audace, Paul Legendre n'en manquait pas, et
d'imagination non plus. Ne le vit-on pas, quelques années plus tard
traverser la Garonne, debout sur des flotteurs de son invention dénommés
"Podoscaphe".
Mais en
1890, nous n'en étions pas là. Ses évolutions automobiles n'en firent
pas moins sensation, et il y avait de quoi, car j'ai bien dit qu'il
s'agissait d'une automobile à vapeur, ce qui supposait, à l'arrière,
une plate forme et une réserve de charbon dans laquelle puisait un
chauffeur qui alimentait la chaudière. Porté par ce succès, il annonça
son impensable projet de relier ainsi Bordeaux à Arcachon.
Et il le fit, ou plutôt tenta de le faire, car il ne put dépasser Marcheprime où il tomba définitivement en panne. Son engin fut rapatrié sur Bordeaux remorqué par une paire de boeufs, disent certains, quand d'autres assurent que le Chemin de Fer s'en chargea.
Une aventure aussi folle aurait pu rester sans lendemain, mais il se trouve que, jusqu'à nos jours, d'autres Bordelais, nombreux, ont renouvelé l'expérience et sont parvenus à Arcachon et en bien d'autres lieux.
Paul
Legendre était un précurseur.
Mais il
est maintenant grand temps de reprendre le Cours,de notre visite là où
nous l'avions laissé, juste à l'entrée du Cours,de l'Intendance.
Le
Cours,de l'Intendance, longtemps dénommé Fossé de Campure a été établi,
tout comme le Chapeau Rouge sur le comblement du fossé protégeant le
pied du rempart gallo-romain.
Ce fossé
devint en effet lui aussi inutile lorsque la protection de la ville fut
assurée par le nouveau rempart du XIVème siècle. L'espace
ainsi récupéré sera livré à la construction.
En 1707,
le Roi acheta à la famille Candale d'Epernon leur vieux château érigé
sur la hauteur du Puy Paulin, le point le plus élevé de Bordeaux.
L'intendant que le Roi vient de nommer arrivant à Bordeaux va le faire démolir
pour se faire construire sur cet emplacement un Hôtel digne de sa
fonction.
Cet hôtel
sera assez vite détruit par un incendie et c'est Tourny qui le fera
reconstruire à partir de 1743. De cette construction,
il ne reste que la moitié d'une tour qui empiète sur la rue au N°
4 de la rue Paul Painlevé, derrière le magasin des Galeries Lafayette.
Mais ce
qui est plus intéressant, c'est de savoir que les fondations de ce
vestige sont établies très précisément sur les fondations de l'une des
tours de défense du mur gallo-romain du
IVème siècle qui s'élevait à cet endroit.
Cette résidence
de l'Intendant dominait le Fossé de Campure qui, à partir de 1707 va
s'appeler de ce fait "Fossé de l'Intendance". Il ne prendra le
nom de Cours que beaucoup plus tard, au
XIXème siècle.
Les
bordelais ont très longtemps conservé en mémoire cette notion de
"Fossés". C'est ainsi que mon père qui avait vécu à Bordeaux
de 1907 à 1914 ne m'a jamais parlé que du Fossé Victor Hugo, où il
habitait, alors que le site en était remblayé depuis déjà six siècles.
Ce n'est guère qu'avec ma génération que la notion de Cours,a fini par
s'imposer.
Ainsi
donc nous voilà face au Cours,de l'Intendance et nous allons le parcourir
en partant de la Comédie.
Tout de suite, côté pair, à gauche, au N° 4 nous allons découvrir l'Hôtel Pichon.
Il se
construit tout au début du XVIIème
siècle entre 1610 et 1614 pour François Pichon président du Parlement.
François Pichon est le premier magistrat qui va abandonner le quartier
Saint Pierre.
Depuis
1462, date de la création de l'institution par Louis XI, tous les
magistrats du Parlement s'agglutinaient dans ce quartier au plus près du
siège de leur tribunal. Et ils étaient nombreux. Par exemple, en 1543 on
dénombre 7 Présidents de Chambres, et 55 Conseillers, sans parler de
tout le personnel judiciaire qui les entoure, avocats, greffiers,
huissiers, etc
Dans le
quartier aux ruelles étroites et déjà surchargées de commerces divers
et d'artisans, la place fait cruellement défaut. Les demeures
parlementaires sont richement meublées et décorées, certes, mais elles
sont sombres et étroites.
François
Pichon est le premier à sortir de là pour s'installer au large sur de
libres espaces et s'y faire construire un hôtel plus représentatif de sa
fortune et de son rang. Très rapidement, il sera suivi par beaucoup
d'autres.
Regardez bien cet hôtel. Il fut somptueux, mais il a passablement été défiguré lorsque le magasin de la Belle Jardinière, aujourd'hui disparu, l'a aménagé à son usage.
Le beau portail qu'il comportait a été démonté pour
faire place à 3 arcades. Mais rassurez-vous, il ne fut pas pour autant détruit.
Il fut transporté et reconstruit au N° 27 du Cours d'Albret à l'usage
de l'Hôtel de Poissac qui abrite aujourd'hui le Rectorat.
Somptueusement
meublé, cet hôtel Pichon abrita bientôt de très belles collections
d'oeuvres d'art et il se donna là des fêtes mémorables à la hauteur de
la fortune de son propriétaire .
Hélas !
Un très grave avatar allait survenir au moment des guerres de la Fronde.
Ce n'est
point ici le lieu de vous conter l'histoire de la Fronde à Bordeaux, des
heures entières n'y suffiraient pas. Rappelons simplement qu'elles ont vu
s'affronter le parti des Princes, les Conti, les Condé et de tous les
Grands Seigneurs contre le parti de ceux qui étaient restés fidèles au
jeune Roi, sous l'autorité de Mazarin.
La Ville
de Bordeaux avait, dès l'origine pris résolument le parti des Princes et
le mouvement se déroula en 2 étapes successives.
D'abord la phase parlementaire au cours de laquelle les magistrats du Parlement prirent la direction de la révolte en voyant là une excellente occasion de secouer le joug de l'administration royale, notamment en matière fiscale.
Puis,
dans une seconde phase, ce sont les masses populaires de l'Ormée qui
s'emparent de l'initiative et constituent une véritable Commune un peu
semblable à la Commune de Paris en 1870. Pourquoi l'Ormée ?
Parce que
ses dirigeants avaient pris l'habitude de se réunir sur une esplanade
plantée d'ormeaux, située près de Sainte Eulalie.
De véritables
idées républicaines s'y manifestent. Et là, les parlementaires prennent
peur. Les choses vont trop loin pour eux, et surtout, leurs privilèges
sont menacés. Ils font alors volte face et se rallient au parti du Roi.
Les leaders de l'Ormée se retournent alors contre eux et leur font un
mauvais sort.
C'est
exactement ce qui s'est passé pour François Pichon qui, à l'origine, a
pris la tête du mouvement de révolte et qui, quelques mois plus tard,
est obligé de s'enfuir pour éviter le massacre. Son hôtel est alors
pris d'assaut par le peuple, en 1653 et pillé de fond en comble et même
passablement détérioré. Seul l'incendie lui fut épargné.
Le calme
revenu, il faudra des années de travaux pour le restaurer et permettre à
son propriétaire de le réinvestir. Ce sera, alors, de nouveau, l'un des
plus beaux immeubles de la ville.
La preuve
en est que c'est là, en son premier étage, l'étage noble, qu'en juin
1660, on logera Louis XIV et son épouse la Reine Marie-Thérèse au
Cours,de leur étape à Bordeaux en revenant de Saint Jean de Luz où ils
venaient tout juste de célébrer leur mariage.
Ne
phantasmez pas sur cette jeune reine, elle a 22 ans. Les contemporains, et
pas seulement les mauvaises langues, nous disent qu'elle avait les dents
laides et tachées de noir, le visage petit, et grave et les yeux vitreux.
Un témoin résume le tout en disant "une fille de cuisine déguisée
en Reine"
Ne vous
laisser pas prendre au piège des portraits officiels, ils savaient tout
aussi bien retoucher l'ingratitude des visages que n'importe lequel de nos
ordinateurs.
Sa soeur
cadette était bien plus jolie, mais la raison d'Etat voulait que Louis épousât
l'aînée. Ce qui fut fait. La cadette sera pour l'Empereur Léopold et
deviendra autrichienne. Restons en là.
Nous
rappellerons tout de même, pour mémoire que ces jeunes époux qui ne s'étaient
jamais rencontrés avant leur mariage étaient pourtant de très proches
parents. Ils étaient en effet deux fois cousins germains et avaient très
exactement en commun leurs quatre mêmes Grands Parents.
Ceci ne fut peut-être pas sans conséquences sur l'avenir de leur postérité. Par suite des décès prématurés successifs dans leur descendance Louis XV n'est que l'arrière petit-fils de Louis XIV.
Cela explique peut-être un peu ceci.
Presqu'en
face, au N° 5 se dresse l'Hôtel Acquart, plus modeste et nettement plus
tardif. Construit en 1785 c'est le dernier immeuble du Cours,édifié sous
l'Ancien Régime.
Acquart était un armateur bordelais, jurat de la ville et devenu baron par la suite.
On
remarquera les 2 tritons qui supportent le balcon, ils ont été sculptés
pas Deschamps, le maître du Néo-classicisme français sous Louis XVI.
Cet hôtel Acquart, à la belle époque et jusque dans les années 1920, hébergeait un grand magasin hautement spécialisé puisqu'il ne vendait que des ombrelles et des parapluies. C'était la Maison Négrevérone.
La bonne
société bordelaise ne pouvait guère s'abriter que sous l'un de leurs
modèles. Ce fut longtemps un incontournable magasin de la mode.
A la mode
? Et bien parlons-en.
Tournez
vos regards vers la gauche, côté pair, pour évoquer en passant, au N°
16, le souvenir de la Grande Maison du Blanc, également connue sous le
nom de Fournier et Maysonnave. Ouvert en 1887, ce magasin a longtemps
connu les faveurs des bordelaises. Il a eu employé jusqu'à 30 brodeuses
à la main dans son atelier de lingerie. Il a disparu en 1958.
Revenons
vers la droite, au N° 19 aboutit la Passage Sarget, ouvrage beaucoup plus
tardif que la Galerie Bordelaise puisqu'il ne fût inauguré que 44 ans
plus tard, en 1878.
Sarget,
autre armateur bordelais, propriétaire des lieux, était déjà mort
depuis 1851, il n'en vit pas la réalisation car c'est son fils qui réalisa
l'opération.
A
l'occasion de ces travaux, on découvrit en sous-sol les mosaïques de très
beaux termes gallo-romains datant de la première époque de Burdigala et
qui se trouvaient donc établis en bordure du Décumanus. Et plus en
dessous encore les fouilles révélèrent quelques vestiges gaulois
attestant d'une présence en ce lieu antérieure à la période romaine.
A l'occasion de ces travaux, on découvrit en sous-sol les mosaïques de très beaux termes gallo-romains datant de la première époque de Burdigala et qui se trouvaient donc établis en bordure du Décumanus.
Et
plus en dessous encore les fouilles révélèrent quelques vestiges
gaulois attestant d'une présence en ce lieu antérieure à la période
romaine.
Ce passage resta longtemps la propriété de la famille Sarget qui acceptait d'en laisser le libre usage aux clients de la galerie marchande tout aussi bien qu'au simple passant.
Ce n'est que lorsqu'il fut question de le fermer, dans le cadre d'une opération immobilière, que la Ville de Bordeaux le racheta, en décembre 1919, pour l'inclure dans la voirie urbaine.
A
quelques pas de là, au N° 21, avant la guerre de 14, se tenait le
restaurant du Louvre.
Les
familles bourgeoises de nos villages s'y donnaient volontiers rendez-vous
pour déjeuner lorsqu'elles se rendaient à Bordeaux pour leurs affaires.
Outre la
carte on y trouvait des menus à prix fixe pour 2 frs 50 à midi et 3
francs pour le dîner du soir.
Cet établissement
avait une grande notoriété et faisait beaucoup de publicité, notamment
dans les indicateurs de chemin de fer. Une tradition venue je ne sais d'où,
voulait que, dans nos campagnes, le lundi fut le jour privilégié pour
ces voyages.
Faisons encore quelques pas sur le même trottoir pour trouver l'Hôtel Montré sous lequel se trouvent de magnifiques caves voûtées qui, situées dans un domaine privé, ne se visitent pas.
Ce sont
les caves de l'ancien couvent des Recolets, lequel s'étendait sur ses
arrières jusqu'à l'église Notre Dame.
Au 57 se trouve la maison mortuaire du peintre Francisco Goya qui vécut là de 1824 à 1828.
Sa maîtresse
adorée, Léocadia Zorilla avait dû fuir l'Espagne en 1823 en raison de
ses idées libérales qui n'entraient pas vraiment dans les vues du
gouvernement espagnol de l'époque.
Elle vint
se réfugier à Bordeaux. Goya vint l'y rejoindre, mais là, coupé de sa
clientèle et de ses mécènes, il sombra bientôt dans une misère noire.
Il fut alors littéralement recueilli dans cette maison par son ami Pio de
Molino.
Là, il dessine et peint encore. C'est le temps de la série connue sous le nom des "Taureaux de Bordeaux" et aussi de la très connue "Danseuse Espagnole".
Mais sa
vue baisse. Il ne travaille plus qu'avec deux paires de lunettes superposées
avec, en plus, bien souvent, le secours d'une loupe. On ne voit pas très
bien comment il pouvait s'accommoder d'un système optique aussi complexe.
Il finit par mourir chez son ami le 16 avril 1828 et fut enterré dès le lendemain dans le cimetière de la Chartreuse. Il avait 82 ans.
Animée d'une reconnaissance un peu tardive, l'Espagne réclama son corps en 1888.
On l'exhuma et c'est alors que l'on découvrit qu'il n'avait plus sa tête.
On n'a jamais su dans quelles conditions ni à quel moment elle a été tranchée.
Beaucoup
plus tard on a fini par savoir qu'elle était peut-être détenue par une
grande famille espagnole dont un descendant en distribuait quelques
fragments à ses amis à titre de reliques.
En 1907, on inaugura une plaque commémorative du décès de ce grand homme que l'on apposa en grande pompe, mais par erreur sur la façade du N° 39.
Erreur qui a été corrigée depuis lors par l'apposition d'un médaillon sur la bonne maison qui est bien le N° 57.
Sa forme
triangulaire adoucie par un péristyle arrondi lui confère un aspect
architectural tout à fait original auquel, l'habitude aidant, nous
n'accordons plus d'attention.
Il fut
inauguré le 20 novembre 1800 avec une représentation de "Tartuffe",
pièce classique s'il en est.
Un
incendie le détruisit en 1855, on le reconstruisit en deux ans en
conservant son aspect d'origine. Il rouvre ses portes en 1857. Mais il
rebrûlera le 5 février 1920 pour être reconstruit l'année suivante,
toujours en respectant son architecture primitive.
Pendant
la dernière guerre il fut réquisitionné par l'armée allemande pour
devenir le "Soldaten Kino", autrement dit le cinéma réservé
aux loisirs des forces d'occupation.
C'était
une porte fortifiée, que l'on dénomma Porte Dauphine
en l'honneur du futur Louis XIII qui avait alors 4 ans.
Voulant dégager
la perspective visuelle du Cours, Tourny la fit démolir et remplacer par
une belle grille en fer forgé faisant, en cette extrémité du Cours, le
pendant de celle qu'il avait fait ériger en bord de Garonne à l'entrée
du Cours du Chapeau Rouge. Ceci fut réalisé en 1753.
Cette
grille se situait à la hauteur du N° 70 de l'Intendance. Elle fut démontée
en 1793 pour fabriquer des piques destinées à armer les sans-culottes.
Et voici
que la place Gambetta s'ouvre devant nous.
A considérer
un plan de Bordeaux on voit bien que les places Tourny, Jean Jaurès et de
la Victoire constituent des pôles excentrés. Seule la Comédie et
Gambetta pourraient prétendre constituer le coeur de la ville.
L'administration a choisi Gambetta. C'est là en effet que l'on trouve l'origine du bornage de toutes les routes de la région.
La borne mère, toujours en place se situe devant le N° 9. A la vérité, elle ne constitue plus qu'un symbole car, partout en France, désormais, les bornages partent de l'Hôtel de Ville local.
Mais,
ici, la borne est restée à sa place
d'origine et a même fait l'objet d'un classement comme monument
historique.
La création
de cette place fut décidée par la Jurade, à la demande de Tourny, dans
sa séance du 4 janvier 1746.
Deux
portes de la ville débouchaient alors sur le site. L'une, très ancienne,
était la Porte Dijeaux, porte médiévale du XIV ème siècle,
lourde et massive, ouverte dans le rempart et située à l'emplacement de
la porte actuelle. Elle était protégée en avant par une demi-lune de
fortifications occupant une partie de la place actuelle.
L'autre,
beaucoup plus récente, était celle que l'on avait ouverte dans le
prolongement de notre Cours,de l'Intendance, en 1605, et dont nous avons déjà
parlé tout à l'heure, à savoir la Porte Dauphine.
La porte
Dijeaux donnait accès au chemin de Pont Long que nous appelons maintenant
rue Georges Bonnac et, qui au-delà se dirigeait vers Mérignac. La
Dauphine donnait accès à la rue Judaïque desservant le lointain
faubourg Saint Seurin.
Quel était alors l'environnement ?
Eh bien
c'était tout simplement l'horreur, l'horreur pure et simple.
A côté
de la porte Dijeaux, dans l'espace défini par les actuelles rues Bouffard
et Gensonné, dont une bonne part est maintenant occupée par le magasin
Virgin, on avait crée un immense dépotoir dans lequel, depuis des siècles,
on déversait les ordures de la ville.
C'était
devenu un immense tas d'immondices pourrissantes dont on nous dit que le
niveau atteignait, d'autres disent, dépassait, la hauteur du rempart
voisin situé sur le tracé de l'actuelle rue des Remparts. "Une
barrière répugnante et sombre" note un Conseiller d'Etat qui
passait en ces lieux.
Non loin
de là, à l'angle de l'actuelle rue Georges Bonnac se trouvait le cimetière
de l'hôpital Saint André comportant en permanence une grande fosse
ouverte dans laquelle on jetait les cadavres des défunts et que l'on ne
refermait, pour en ouvrir une autre, que lorsqu'elle était pleine avec
pour conséquence un dégagement d'odeurs insupportables.
Sur le
restant de ce qui constitue la place actuelle, et jusqu'à l'angle de la
rue Judaïque, ce n'était guère mieux. Des dizaines d'échoppes imbriquées
les unes dans les autres dans une grande confusion avaient été détruites,
presque 100 ans auparavant pendant les guerres de la Fronde en 1653.
Elles
n'avaient jamais été reconstruites et, dans ce labyrinthe inextricable
s'était développé une sorte de cour des miracle qu'il valait mieux ne
pas trop approcher. Il fallait donc d'abord nettoyer tout cela et ce ne
fut pas une mince affaire. Les résistances furent nombreuses, à
commencer par celle de l'Archevêque à qui appartenait le cimetière et
qui ne voulait pas s'en séparer.
En 1746, on décida de démolir les deux portes : la porte Dijeaux, médiévale et la porte Dauphine qui n'avait que 150 ans, et l'on entreprit aussitôt la construction de 2 nouvelles portes tout à fait différentes.
Tout d'abord, en 1748, la porte Dijeaux, en forme d'arc triomphal, tel que nous la connaissons encore aujourd'hui.
Compte tenu de la nature du sol, il fallut, pour la construire prendre quelques précautions.
Elle est
entièrement bâtie sur pilotis.
Avez-vous jamais détaillé les sculptures qu'elle porte sur ses frontons ?
Côté place, c'est l'extérieur, disons presque "l'étranger", tout ce qui n'est pas le Ville.
Et là, elle porte les armes de la France et, à la voûte un curieux lion dont on ne sait trop ce qu'il fait là.
Et côté rue, c'est à dire du côté où l'on est "chez soi" il porte les armes de la Ville avec un personnage barbu dans lequel on croit voir un Neptune à qui Bordeaux au XVIII ème siècle devait une bonne part de sa fortune.
Mais rien n'est sûr, allez savoir ....
La porte Dauphine connut un sort très différent puisque 5 ans plus tard, en 1753, elle fut remplacée par une grille en fer forgé qui, nous l'avons déjà vu, devait être débitée en piques pour armer les sans-culottes de 1793.
Elle n'a
donc pas duré plus de 40 ans.
Puis,
l'espace étant enfin dégagé, pendant 25 ans, de 1746 à 1771 on se mit
à construire de façon intensive en commençant par les immeubles les
plus proches de la porte Dijeaux et en tournant vers l'actuelle rue
Georges Bonnac.
Le style architectural primitif a toujours été respecté, mais avec des variantes. Les premiers immeubles sont de style Louis XV, les suivants sont Louis XVI, caractérisés par la sculpture de guirlandes en façades.
Ne manquez pas de prendre le temps de regarder attentivement les mascarons qui décorent ces façades.
L'imagination des sculpteurs s'est donnée libre cours avec ses soleils, ses lunes, sa tête de Céres à épis, son joueur de cornemuse
En 1767
cette place est pavée et entourée d'une ceinture de bancs de pierre
destinés aux promeneurs.
Le 16 mai
1770, en l'honneur du mariage du Dauphin, futur Louis XVI avec Marie
Antoinette, cette place fut dénommée Place Dauphine. En fait elle était
donc 2 fois Dauphine puisqu'elle s'ouvrait déjà sur la porte Dauphine,
mais se référant à 2 Dauphins différents : Louis XIII et Louis XVI, à
165 ans d'intervalle.
On avait décidé de commémorer ce mariage par l'érection d'une fontaine monumentale qui se serait située à l'emplacement du N° 10. Mais on s'aperçut bientôt qu'elle se serait située sur l'un des points les plus haut de la ville et qu'il aurait fallu concevoir une machinerie très complexe pour l'alimenter en eau.
On tergiversa, et finalement elle ne fut jamais construite. Son emplacement demeura vacant pendant près d'un siècle.
Il ne fut
comblé qu'en 1859 par la construction du dernier immeuble bouclant définitivement
le tour de la place.
A noter que M. Doazan, Académicien bordelais, construisant l'immeuble du N° 46 en avait situé les écuries, tout en respectant le style de l'ensemble, dans l'angle de l'actuel Cours,Georges Clémenceau.
C'est
dans ces écuries que devait, plus tard, s'installer le Café du Régent.
Le 17 décembre 1790 cette place Dauphine devint la place Nationale.
Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1793, au centre de la place et orientée vers le vide laissé par l'absence de la fontaine initialement prévue, on dressa les bois de la guillotine bordelaise.
Elle devait fonctionner là jusqu'aux jours suivant le 9 Termidor. Elle connut 302 exécutions, soit 260 hommes et 42 femmes.
La dernière
tête à tomber, au lendemain du 9 Termidor fut celle du citoyen Lacombe,
Président du Tribunal Révolutionnaire local, celui-là même qui avait
envoyé tous les autres à l'échafaud.
A la
naissance du fils de Napoléon 1er , en 1811, la place devint ,
la place du Roi de Rome. Cette appellation fut tout à fait éphémère
puisque 3 ans plus tard, lors de la Restauration, elle devait retrouver
son nom primitif de place Dauphine.
Cette
place va devenir le lieu traditionnel de toutes les manifestations
bordelaises, celles des célébrations officielles comme celle des
contestations. Son vaste espace libre et dégagé invite aux
rassemblements.
C'est en
1870 qu'elle devient un square arboré dans le style d'un jardin anglais.
On l'entoure alors d'une grille qui ne disparaîtra qu'en 1933. Elle avait
pris le nom de place Gambetta le 16 janvier 1883.
Il serait
fastidieux d'évoquer tous les commerces qui ont animé cette place, tel
la bijouterie Servan qui s'installa au N° 2 en 1785 et y demeura deux siècles,
ne laissant subsister que sa célèbre horloge en façade.
Citons néanmoins
à titre d'anecdote, toute proche, au N° 5 la pâtisserie qui ouvrit ses
portes sous Louis XVIII et qui en 1900 fut reprise par M. Darricau. Il était
le chef pâtissier personnel du Tsar Nicolas II, mais saisi par le mal du
Pays, il revint à Bordeaux et reprit ce commerce.
Parmi les
derniers avatars qu'a connu cette place signalons enfin le creusement du
souterrain, au carrefour du Cours,de l'Intendance que certains d'entre
vous ont dû connaître et dont les bordelais boudèrent l'usage. Il fut
fermé après seulement 5 ans d'expérience décevante, au moment de la
dernière guerre.
Pour conclure.
C'est ici
que nous mettrons un terme à notre promenade. Je serais vraiment heureux si
elle a pu vous révéler quelques aspects nouveaux de ces lieux que nous
connaissons si bien, mais que nous parcourons trop vite et qui ont pourtant
tant de choses à nous apprendre.
Pour en savoir davantage :
De très nombreux ouvrages ont été consacrés à
l'histoire anecdotique des rues de Bordeaux. Ceux qui ont été le plus
sollicités pour le présent travail sont :
·
La vie
quotidienne de Bordeaux au XVIIIème
siècle, de Paul Butel et Jean Pierre Poussous. Editions : Hachette.
·
Naissance
et vie des quartiers de Bordeaux d'Albert Rèche. Editions : Seghers.
·
Dix siècles
de vie quotidienne à Bordeaux d'Albert Rèche. Editions Seghers.
·
Guide
de Bordeaux de Délie Muller et Jean Yves Boscher. Editions : Sud Image.
·
Rues de
Bordeaux de Roger Galy. Editions : de l'Orée.
·
Bordeaux
secret et insolite de Philippe Prévot. Editions : Les Beaux Jours.
Etc., car il y en a bien d'autres et souvent très
riches en détails pittoresques.
Les Archives Départementales de la Gironde et les
Archives Municipales de la ville ont été également utilisées et offrent
une mine quasiment inépuisable de renseignements et d'anecdotes.
Ils iront tout particulièrement à Mme Marie-Jo
Mazeau à qui je dois la réalisation des photos illustrant l'exposé, et à
M.M. Christian Flages et André Cochet du Club Informatique de Pujols sur
Ciron qui en ont réalisé le montage.
Que tous soient remerciés pour la disponibilité
toute spontanée et la compétence dont ils ont fait preuve en concourant à
ce travail.
Jean DARTIGOLLES.
Réalisée le 25 avril 2009 |
André Cochet |
Mise sur le Web le mai 2009 |
Christian Flages |