Les conférences du Ciron. |
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à Pujols sur Ciron, le jeudi 27 mars 2014. |
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Jean DARTIGOLLES. | |
L'incroyable destin de Paulin, un enfant du pays au IVe siècle. |
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A la fin du IVème siècle, Paulin a occupé des fonctions importantes dans le gouvernement de l'Empire romain. D'Athènes à Saint Pétersbourg et de Moscou au fond de la Sibérie, son souvenir, toujours bien vivant, est encore célébré de nos jours. De Budos à Langon, son pays d'élection, nul n'en a plus conservé la mémoire. Comment réparer cet oubli ? Fils d'une richissime famille de l'Empire romain, Paulin est né à Bordeaux où, élève du poète Ausone, il reçut une éducation très soignée. Entre bien d'autres propriétés allant du littoral de l'océan en Saintonge et en Dordogne, il possédait dans notre pays un immense domaine qu'il faisait exploiter par des centaines d'esclaves. Et ceci, sans préjuger de propriétés tout aussi vastes que sa famille détenait au sud de l'Italie dans la région de Naples. Pendant longtemps, il mena une vie de riche oisif, toujours fidèle à notre région à laquelle il manifestait beaucoup d'attachement. Il parcourut une brillante carrière politique qui le fit sénateur de l'Empire romain, gouverneur de province et même, pendant un temps, véritable bras droit de l'Empereur. S'étant converti au christianisme, il se fit baptiser, libéra ses esclaves, vendit tous ses domaines et en distribua le prix aux plus pauvres de son temps. Devenu prêtre à Barcelone, il finit ses jours comme évêque de Nole au sud de l'Italie. L'église en a fait un grand saint. Bien oublié en occident, les Eglises orthodoxes de l'Orient ont conservé un souvenir bien vivant de sa mémoire et de sa piété. Jean Dartigolles Au IVe siècle, Paulin a été, dans le monde romain, un personnage illustre qui a vraiment marqué son temps. Le IVe siècle! Voilà qui peut vous paraître bien lointain. Nous n'avons guère l’habitude de nous égarer aussi loin dans l'histoire. Certes. Nous savons à peu près tout ce qui s'est passé dans nos familles au cours des deux générations qui nous précèdent. Avec quelques recherches, nous pouvons remonter un peu plus loin. Et avec beaucoup de travail, du temps, de la patience et un peu de chance aussi, chacun de nous pourrait à peu près remonter jusqu'au XVIIe siècle. Au-delà, sauf exception, c'est l'inconnu. Alors, pensez donc! Au IVe siècle ! Et pourtant ! Pourtant, en effet, même dans une si lointaine période, nous avons eu de la famille. Aurait-il manqué un seul de ces ancêtres que nous ne serions pas là ici ce soir. Au temps de Paulin, ici ou ailleurs, nous avons tous eu des parents qui ont été ses contemporains et qui l'ont bien connu. Paulin est né et a vécu longtemps dans nos contrées et nous en avons pourtant perdu la mémoire alors que tout l'orient orthodoxe, d'Athènes à Moscou et jusqu'en extrême-orient la célèbre encore avec fidélité. Nous allons donc essayer ce soir de reconstituer les grandes lignes de sa vie et tenter de réparer cette regrettable injustice. Car Paulin est des nôtres. Et son parcours est peu banal. Richissime Sénateur Romain, proche du gouvernement de l'empire, il va se faire chrétien, renoncer à son immense fortune pour devenir Évêque de Nole, au sud de l'Italie. Et tout d'abord, comment vit-on sur les bords de Garonne au IVe siècle ? Environ 3 siècles avant notre ère ce sont les Bituriges Vivisques, une tribu gauloise de la région de Bourges qui, entrés en migration sont venus s'installer sur le site qui allait devenir Burdigala. Et ils fondèrent là, une ville, un port et un marché. Un marché sur lequel ils vont développer un remarquable filon commercial. Les romains étaient en effet de gros consommateurs de bronze et pour faire du bronze, il faut de l'étain. De l'étain qu'ils n'ont pas et qu'ils importent des mines du sud-ouest de l’Angleterre. Longtemps ce minerai a cheminé à travers le nord de la Gaule pour atteindre la Saône et le Rhône. Or, voilà qu'en l'an 118 avant Jésus Christ, les Romains conquirent la Provence et la Narbonnaise jusqu'à mi-chemin entre Narbonne et Toulouse. Et là, les Bituriges Vivisques vont leur proposer de transporter cet étain par voie maritime jusqu'à Burdigala, et de là, par voie fluviale, jusqu’à Toulouse. Cet acheminement étant plus rapide et surtout plus sûr, le marché fut vite conclu, et ce fut le début de la fortune de Burdigala car, en retour, les Romains proposèrent leurs vins italiens dont les Gaulois étaient très friands la vigne étant encore inconnue chez eux. Des vins que les Bituriges Vivisque se chargèrent de distribuer sur toute la façade atlantique. Ceci nous expliquera pourquoi les Aquitains furent parmi les rares tribus gauloises qui ne répondirent pas à l'appel de Vercingétorix pour reconquérir Alésia assiégée. On y regarde à deux fois avant d'entrer en conflit avec son meilleur client. Et tout mêmement, la conquête de l'Aquitaine par Crassus, le lieutenant de César en 50 avant Jésus Christ revêtit l'aspect d'une promenade de santé plutôt que d'une opération militaire. Très vite, les commerçants romains vont affluer jusqu'à Burdigala pour développer ces courants d'échanges qui existaient déjà. Mais en dehors de la ville, nos campagnes du val de Garonne ne connaissaient encore jusque là qu'une population diffuse alors que la richesse de son sol pouvait manifestement nourrir beaucoup plus de monde. Dès lors, notre contrée devint, pour nombre de romains, un véritable farwest, sorte de terre disponible offrant toutes sortes de possibilités nouvelles. Cet attrait ne se limita pas aux seules populations modestes en quête d'aventure. Il concerna aussi de grandes familles possédant déjà en Italie de vastes propriétés agricoles et c'est ainsi que nous allons tout à l'heure rencontrer en bordelais la richissime famille de Paulin déjà détentrice d'immenses domaines agricoles en Campanie, dans la région de Naples. Burdigala devient alors une ville opulente, largement déployée sur de vastes surfaces, desservie par de larges avenues, dotée d'un forum entouré de prestigieux monuments. Les temples, les palais se parent de marbres importés des Pyrénées et même d'Italie. L'eau courante dessert les maisons et les thermes publics. Elle disparaîtra dès la première invasion barbare et ne reparaîtra, et encore très modestement, que 16 siècles plus tard, à la fin du Second Empire. Dans le même temps, s'élèvent dans nos campagnes d'imposantes et magnifiques villas, sièges d'immenses propriétés agricoles. Ce sera, par exemple celles de Saint Médard d'Eyrans, de Podensac, de Loupiac, de Léogeats et tant d'autres encore dont celle d'Hébromagus, séjour de Paulin, que nous allons retrouver tout à l'heure. Ces villas n'ont rien de commun avec les constructions balnéaires que nous connaissons. Nous avons peine à imaginer ce que pouvait représenter de tels domaines et quelle démesure ils pouvaient parfois atteindre. L'une de ces villas la mieux conservée dans notre Sud-Ouest aquitain est celle de Montmorin, au pied des Pyrénées. Elle comportait 200 pièces réparties autour de 4 cours reliées par de vastes portiques à colonnades. On y trouvait le vaste logis du maître, richement décoré, mais aussi des thermes, des magasins, des ateliers de boulangerie, forge, etc. sans parler du logement de centaines et de centaines de serviteurs et d'esclaves. Cette villa de Montmorin sur laquelle nous sommes assez bien renseignés, s'étendait sur environ 8.000 hectares, soit 4 fois la commune de Budos, et ceci dans un temps où tous les travaux se faisaient à la main. Toutes les villas n'avaient peut-être pas d'aussi importantes dimensions, mais tout porte à croire que celle de Paulin était fort importante. La cohabitation Romains/Gaulois semble bien, dans l'ensemble, avoir été assez pacifique. En milieu urbain on a poursuivi et mieux encore, développé les relations commerciales déjà établies, et ceci pour le plus grand bénéfice de tous. Et en milieu rural, l'implantation des villas s'est faite sur des espaces qui étaient assez largement disponibles. Reste qu'un choc culturel aurait pu se produire, en particulier sur le plan religieux. S'il a existé, il est resté très modeste et n'a guère laissé de traces. Les Gaulois avaient leurs Dieux, les Romains avaient les leurs et ils les ont assez rapidement plus ou moins réunis et confondus. Toutefois, les Romains apportaient le culte de leur empereur dont les Gaulois n'avaient pas grand chose à faire. Ils semblent n'en avoir fait qu'un modeste étalage. L'ensemble de ce pays, ville et campagne était paisible et prospère. Ce fut pendant l'espace de trois siècles, le temps heureux de la « pax romana ». Or, soudain, alors que rien ne laissait prévoir que cette sérénité pouvait être troublée par quoi que ce soit, on vit déferler sans crier gare une horde de barbares germains : les Vandales. La frontière du Rhin, rigoureusement défendue jusque là par l'armée romaine, venait de céder sur un coup de butoir inattendu de ce peuple barbare. Cette invasion fulgurante traversa toute la Gaule en diagonale, pillant et détruisant tout sur son passage. Et après ravagé l'Aquitaine, poursuivit sa route pour aller se perdre au delà des Pyrénées. C'était en l'an 276. Burdigala était une ville ouverte sans la moindre défense. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le ville fut pillée, incendiée et détruite au point qu'il n'en resta pierre sur pierre. Tous les habitants qui n'avaient pas pu fuir furent massacrés ou capturés comme esclaves. Ce fut un déferlement dévastateur, rapide comme l'éclair, car ces vandales ne firent que passer et poursuivirent leur chemin vers l'Espagne. On sait ce qui se passa à Burdigala, on sait beaucoup moins ce qui se passa en nos campagnes, ni quel fut le sort des villas qui y étaient implantées. Un indice nous est néanmoins fourni par la villa de Montmorin. Les fouilles entreprises ont formellement démontré que les somptueuses constructions du IVème siècle dont nous explorons les vestiges ont été édifiées sur les ruines de bâtiments incendiés et détruits un siècle auparavant. Certes, Montmorin est loin du pays bordelais, mais les dates concordent bien. Et il est assez tentant de penser qu'une horde déchaînée venant de piller et détruire Burdigala se soit engouffrée dans la riche vallée de la Garonne, pillant une à une les belles villas sans défense qu'ils y découvraient plutôt que de s'engager vers le sud dans une traversée des Landes inhospitalières qui n'avaient rien à offrir à leur soif de brigandage. Bien que sans preuves formelles, je serais tenté de croire que les villas de notre vallée connurent, elles aussi un sort funeste. Après ces évènements, très brefs mais absolument catastrophiques, l'empereur Dioclétien autorisa Burdigala à se reconstruire à l'intérieur d'un rempart. L'étude des vestiges que nous retrouvons de ces murs montre que l'on a pris du temps pour les construire et que leur érection n'a connu aucune improvisation. Mais la belle cité largement ouverte de Burdigala, dispersant ses magnifiques monuments au long de larges avenues et sur des centaines d'hectares, allait désormais s'inscrire dans un périmètre de hautes murailles définissant une modeste superficie de 32 hectares. Pourtant, peu à peu, la confiance se rétablit. Certes, la ville ne sera jamais plus ce qu'elle était, mais elle revit et rétablit ses activités commerciales. Sur décision impériale, elle se voit conférer le statut de « Civitas », c'est à dire de Cité se gouvernant elle-même, sous l'autorité d'un sénat local. Qui dit sénat, dit sénateur. Des sénateurs élus et qui dit élus dit aussi élections avec les campagnes et les luttes d'influence qu'elles supposent. La politique apparaît. Les grands propriétaires terriens briguent ces postes car ils assurent à leurs titulaires des exemptions d’impôts. Ausone, le maître et l'ami de Paulin chante en ses poèmes la grandeur du Sénat burdigalien dont il est membre. Au milieu du IVème siècle, la vie a donc repris, la confiance est revenue. Et pourtant, aux frontières de l'empire, la situation est mauvaise. Rome repousse trop loin ses limites et ne dispose plus de la puissance militaire nécessaire pour endiguer les tentatives d'invasion qui se manifestent sur tous les fronts à la fois, sur le Rhin, en Europe Centrale, en Syrie, en Afrique. Les burdigaliens devraient s'alarmer de cette situation, mais ils n'ont vraiment pas de vocation militaire. Lorsque par deux fois, en 354 et en 358, l’Empereur leur demande, de façon pressante de lui fournir des renforts de troupes sur la frontière du Rhin, le Sénat Burdigalien lui fournit quelques provisions de blé, mais pas de soldats. Ainsi donc, voilà le cadre dans lequel se déroule la vie de Paulin. Dans un pays qui a connu une somptueuse prospérité pendant trois siècles, qui s'est effondré en quelques jours, tout au plus, quelques semaines dans l'épouvantable désastre de 276, qui s'est reconstruit dans des conditions radicalement nouvelles en milieu urbain, mais presque semblable au passé en milieu rural et qui, enfin, vaque activement à ses affaires dans une confiance revenue alors que de lourdes menaces se manifestent pourtant sur les lointaines frontières. Meropius Pontius Anicius Paulinus est né à Burdigala vers l'an 353, dans une famille de haute noblesse. Dans leurs multiples articulations les noms romains constituaient de véritables cartes de visite qu'il faut savoir décrypter. Ici, le terme important est « Anicius ». Il signifie que Paulin appartenait à la « Gens Anitia », autrement dit, à la famille Anitia, l'une des plus riches et des plus influentes de l'époque, comme nous parlerions aujourd'hui des Rothschild, Bettancourt ou Pinaut. Le poète Claudien avait déjà dit d'eux que leur famille « se comptait par les fastes consulaires » ce qui veut dire que l'on pouvait désigner chacune de ses générations par le consul qu'elle avait offert à l'Empire. Un peu comme si actuellement une même famille, à chaque génération, de père en fils, fournissait un Premier Ministre à l’État. Et Paulin ne dérogera pas à cette brillante lignée puisque, nous le verrons tout à l'heure, il sera lui même consul de l'Empire. Nous ignorons quand et comment cette branche de la famille Anitia est venue s'installer en Aquitaine où elle a acquis de vastes domaines agricoles sans renoncer pour autant aux immenses propriétés qu'elle possédait en Campanie, berceau de la famille. Dès son jeune âge, Paulin va recevoir une éducation très soignée. Son père le confie au poète Ausone, le plus célèbre des professeurs de Burdigala. Un maître qui avait déjà de sérieuses références, puisque, nous allons le voir dans un instant, l'empereur lui avait déjà confié l'éducation de son propre fils, Gratien. Ausone et Paulin, le maître et l'élève, resteront par la suite liés par une indéfectible amitié qui durera toute leur vies. Ausone était un personnage assez complexe. Il avait 44 ans de plus que Paulin. Très tôt, il fut un brillant rhéteur, enseignant remarqué, entouré de nombreux étudiants et dont la renommée s'étendait bien au delà de Burdigala. Ausone entame alors une carrière politique auprès de l'empereur Valentinien qui l'apprécie et lui confie l'éducation de son fils Gratien. A la mort de Valentinien, survenue en 376, Gratien devient empereur à son tour et va garder Ausone auprès de lui. Et ce fut là sa fortune. La carrière politique qu'il avait entamée sur le plan régional auprès du Sénat de Burdigala va prendre soudain une toute autre dimension, une dimension à l'échelle de l'Empire. C'est entre temps, que le père de Paulin lui avait confié l'éducation de son fils. Paulin apprit ainsi l'art de la rhétorique, les règles du beau langage et toutes les subtilités de la poésie latine. Il en resta profondément marqué jusqu'à la fin de ses jours. Le style de ses écrits, bien après sa conversion au christianisme, porte encore un fort témoignage de tout ce qu'Ausone avait pu lui enseigner. A la mort de son père, survenue en 377, Paulin hérita d'une immense fortune assise sur sur ses possessions d'Aquitaine et surtout celles de Campanie, dans la région de Naples. Au surplus, du fait de cette succession, il devenait membre de droit du Sénat Impérial à Rome. En Aquitaine, parmi bien d'autres propriétés, sa résidence principale était établie à Hebromagus. Et cela nous le savons par l'Epitre 21 d'Ausone qui, au détour d'une phrase, nous dit : « jusqu'à la demeure de Paulin, je veux dire, Hebromagus.» Ausone est d'ailleurs un familier du lieu puisque dans son Epitre 22, il écrità Paulin :« Après avoir, grâce à l'hospitalité de tes gens, déposé à Hebromagus des marchandises que j'ai achetées de toutes parts.» Mais où donc se situait Hebromagus ? Voilà bien la question, et elle n'est toujours pas résolue, bien que quelques indices nous permettent d'avancer une prudente hypothèse. Ce domaine était situé assez près de la Garonne. Dans son Epitre 22, parlant d'une tierce personne, Ausone écrit à Paulin :« maintenant qu'il a abordé près de ton Hebromagus, il a loué un emplacement pour ses marchandises, et de là, par un nausus compte transporter ses grains pour notre usage.» Un nausus était une barque gauloise à fond plat. Ce domaine ne pouvait pas se situer non plus très loin de la route venant des Pyrénées jusqu'à la Garonne. En effet, parlant de Paulin à un tiers, Ausone écrit dans son Epitre 25 : « il quitte les neiges des villes ibériques, il passe dans la campagne de Tarbes, il entre dans sa maison d'Hebromagus, il pénètre sur les terres voisines de son frère et descend ensuite le cours du fleuve » Cet itinéraire, Paulin a du le parcourir bien des fois. Nous verrons tout à l'heure qu'il s'était marié à Barcelone et qu'il y avait conservé des liens étroits. Quand à Paulin lui même, il ne parle d'Hebromagus qu'une seule fois, et encore de façon si incidente qu'elle ne nous apprend rien de plus, sinon que ce domaine lui avait bien appartenu. Cette allusion se rencontre dans la 11ème Epitre de Paulin lorsque, après l'avoir vendu, il dit à son correspondant : « car, comme tu l'écris, je n'ai pas abandonné Hebromagus à cause de la qualité de sa terre.» C'est tout ce que nous en saurons, sinon que cette propriété était immense. Dans son Epitre 25, Ausone la qualifie de « regna Paulini » autrement dit «les royaumes de Paulin ». Elle pouvait bien s'étendre sur le territoire de 4 ou 5 de nos villages actuels. Ausone lui-même nous fournit une échelle d'appréciation lorsque, vers 380, il écrit à Paulin en l'informant qu'il vient de recevoir un tout petit héritage dont il lui fournit le détail en terres labourables, vignes, près et bois, et qui représente tout de même 260 hectares alors qu'il insiste sur la modicité du bien. Je vous ai dit tout à l'heure que j'avancerai une prudente hypothèse. Le moment est venu de vous en faire part. Il existe à Budos un hameau que vous connaissez bien et qui s'appelle Paulin et tout autour, plusieurs vestiges gallo romains incontestables ont été exhumés à l’occasion de labours et de travaux divers. Les propriétaires des lieux préfèrent rester discrets sur ce qu'ils ont trouvé et ne tiennent pas à ce qu'une publicité soit faite à leurs découvertes. Aucune recherche spécifique ne peut donc être entreprise. Mais on peut s'interroger. Et si ce site était celui d'Hebromagus ? Sinon la villa elle-même, du moins une de ses annexes. Mais en ce cas, une annexe importante car les dimensions conséquentes de certains de ces vestiges laissent augurer de bâtiments très imposants. Ce rapprochement du nom de Paulin et de son site archéologique ne laisse pas d'être intéressant. Le grand historien Camille Jullian, orfèvre en la matière n'a pas hésité à écrire dans le tome 2 de son grand ouvrage sur les « Inscriptions Romaines » : « s'il m'était prouvé que la localité appelée Paulin dans la commune de Budos est ancienne, je n'hésiterais pas à y placer une dépendance du célèbre domaine de Paulin, Évêque de Nole.» Or Camille Jullian ne peut avoir eu connaissance des vestiges qui ont été découverts bien après qu'il ait publié ce texte. Il n'est pas douteux, que s'il les avait connus, sa conviction en aurait alors été confortée. L'importance de ces vestiges est telle qu'elle nous impose l'idée de bâtiments très conséquents. Des fûts de colonne cannelés dont la dimension, à peu près, approche celles du Grand Théâtre de Bordeaux ne peuvent pas avoir été destinées à supporter des cabanes à lapins. Ce qu'il avait là était à coup sur très conséquent. Au surplus, parlant d'Hebromagus, la villa de Paulin, dans le langage courant, avec l'accent tonique latin, on entendait Bromagous ce qui a fort bien pu ,au fil du temps devenir Margés qui est tout proche de Paulin. Les recherches archéologiques privées étant désormais interdites, il y a bien peu de chances pour que les services de l’état s’intéressent à ce site avant bien longtemps. Les maigres crédits qui leur sont affectés sont prioritairement consacrés aux fouilles préventives sur les territoires des grands chantiers qui s'ouvrent, tels les autoroutes et autres TGV et sur quelques sites de recherche déjà en cours depuis longtemps. Faute de moyens on en vient même à recouvrir sans y toucher des chantiers identifiés afin de les protéger des pillages, en remettant leur exploration au bon vouloir des générations futures. Il n'y a donc aucune chance avant bien longtemps, de voir engager autour de Paulin la recherche d'un site nouveau aussi imposant qu'il puisse être. Nous en resterons là car, faute de preuves formelles, il serait difficile d'en dire davantage. La villa d'Hebromagus se cache-t-elle sous Paulin ? Ceux qui viendront après nous finiront par le savoir. Mais en attendant, avouez que l'hypothèse est bien tentante. Revenons maintenant à l'éducation qu'avait reçu Paulin. Celle-ci terminée, il va mener la vie dorée de ces riches fils de famille, propriétaires fonciers, se partageant entre les plaisirs de la campagne et les intrigues politiques se nouant autour de sénat de Burdigala. Dans son histoire de la littérature latine, René Pichon, nous dresse de cette première partie de sa vie un portrait tout en finesse et plus vivant que je ne saurais le faire. Il nous dit combien Paulin pouvait se plaire : « dans ce pays d'Aquitaine où la vie est facile et l'humeur douce, pays d'impressions fines et légères, de grâce nonchalante, de bon sens net et un peu superficiel.» Comme Ausone et (beaucoup) plus tard Montaigne, il gardera toujours quelque chose de la bonhommie gasconne. Il passe toute sa jeunesse dans une société brillante et lettrée où l'on prend gaiement la vie et où la poésie est aimée comme un des plaisirs les plus raffinés. Nous avons quelques-unes des pièces de vers qu'il adressait alors à ses amis. Ce sont de jolies bagatelles destinées à accompagner l'envoi de menus cadeaux, livres rares, oiseaux ou bourriches d’huîtres. C'est par ces divertissements futiles et badins qu'il égaie les loisirs de son existence de fonctionnaire. Ce n'est qu'un homme bien élevé, assez habile versificateur, bon serviteur de l’État, (très ) riche. Bien posé dans son pays et bien en cour auprès du maître. A la mort de son père, en 377, il se rend en Campanie. Il est désormais l'héritier des immenses domaines qu'y possède sa famille. Jusqu'ici plus aquitain que latin, il n'y est pas encore très connu. Il est donc indispensable qu'il aille s'y montrer et s'y affirmer nouveau maître en ses domaines. C'est là qu'il se trouve en l'an 378, lorsque le consul Valens trouve la mort au cours de la désastreuse bataille d'Andrinople, un peu à l'est de Constantinople. Il faut donc désigner d'urgence ce que l'on appelait un « consul sufectus »,c'est à dire un successeur provisoire pour achever le mandat du défunt. Et là, le Sénat romain, dont Paulin est membre de droit depuis le décès de son père, le choisit et le propose à l'approbation de l'Empereur, seul habilité à ratifier cette nomination. Or cet Empereur n'est autre que Gratien, l'autre disciple d'Ausone. Cette nomination est donc acquise sans difficulté et Paulin fait, à Rome, une entrée triomphale dont il remercie le peuple en lui offrant, à ses frais, de brillantes réjouissances. Voici donc, pour une temps, Paulin, devenu le second personnage de l'Empire romain tout entier. Il n'est pas sûr qu'il ait été bien préparé à l’exercice de cette haute fonction, en particulier sur le plan militaire. Au terme de ce bref mandat dont il ne briguera pas le renouvèlement, Gratien le nomma Gouverneur de Campanie, une responsabilité beaucoup plus conforme à sa formation dans une Province dont il était déjà l'un des principaux notables. Nous sommes là en 379 et dans les débuts de ce séjour, il poursuit sa vie de jeune aristocrate fortuné tout en assumant sa fonction politique et administrative de gouverneur. Au cours de l'année suivante, en 380, il est d'abord intéressé, puis vivement intrigué par la ferveur populaire qui se développe autour du tombeau de Saint Félix ancien Évêque de Nole. C'est pour lui une véritable découverte. Mais ce n'est pas pour autant, comme on l'a dit quelques fois une illumination soudaine qui l'aurait fait passer de l'incrédulité à une foi brûlante. Sa découverte de la foi chrétienne ne l'a pas transformé dans l'instant. En bon intellectuel qu'il était, il va se mettre à la lecture des Écritures et à la réflexion. Ce travail en profondeur va s'étaler sur une longue période qui va durer des années. Entre temps Paulin revient en Aquitaine et se marie avec Térasia, fille d'une très riche famille de Barcelone et qui, elle, est déjà chrétienne. Très vite, ils vont avoir un fils. Cette évolution constitue pour son entourage une immense surprise. Certains de ses amis ironisent, d'autres plus dévoués le supplient littéralement de revenir charmer leurs réceptions mondaines qui se poursuivent à Burdigala. Ausone, son ami de toujours lui écrit lettre sur lettre. Lui qui n'a jamais connu rien de meilleur que la fréquentation de la bonne société et le culte de la poésie multiplie ses supplications pressantes. Peine perdue, Paulin, cet homme de cour si urbain en toutes choses lui répond gentiment, certes, mais de plus en plus fermement. Six ans passent ainsi. En 386, Paulin va rencontrer Martin, Évêque de Tours, une rencontre qui, à terme, va se révéler décisive. Martin, le futur Saint Martin, avait d'abord suivi une carrière militaire. Il était alors officier dans l'armée romaine lorsqu'il se convertit au christianisme au contact d'Hilaire, Évêque de Poitiers. Saint Hilaire était un moine très austère et d'un fort tempérament. Martin le prit pour modèle et s'engagea lui aussi dans une vocation monastique et bien qu'il fut devenu « mal vêtu et mal peigné », comme nous le décrit son biographe, le clergé et les fidèles de Tours le choisirent comme Évêque. Il devait d'ailleurs s'y montrer assez peu conventionnel. Il est important de bien définir le personnage de Martin, car c'est à son contact, à partir de 386, que Paulin va découvrir une forme de spiritualité qu'il n'avait encore jamais rencontrée. On imagine mal cette rencontre entre Martin, l'ermite « mal vêtu » et le richissime Sénateur Paulin. Martin justifie son choix de vie sur un passage du Chapitre 10 de l’Évangile de St Marc, lorsqu'un jeune homme aborde Jésus en demandant à le suivre et s'entend répondre : « Va et vends tout ce que tu as et donne le aux pauvres, puis viens et suis-moi. » et ce malheureux garçon s'éloigne car il était très riche. Dès lors, Paulin commence à douter sérieusement de la vie qu'il mène encore. Cette découverte d'un détachement radical de tous les biens de ce monde, va jouer un rôle capital dans les décisions qu'il allait prendre quelques années plus tard. C'est pendant cette longue période de maturation et de recherche de 379 à 389 qu'il va s'intéresser à la vie de l'église d'Alingo devenue notre Langon. Au terme de cette lente évolution en 389, Paulin se sent prêt et demande le baptême. Or le baptême d'un personnage aussi important que pouvait l'être Paulin exigeait une solennité toute particulière. Ce fur Saint Delphin lui-même, Évêque de Burdigala que le lui conféra. Ce fut là un moment important dans la diffusion du christianisme en Gaule. Jusque là, sauf dans les provinces du Sud-Est, romanisées depuis longtemps, les fidèles s'étaient majoritairement recrutés dans les basses couches de la société urbaine. Le petit peuple des villes avait mieux répondu à l'appel que les intellectuels et la haute société. On ne peut pas dire que la conversion de Paulin ait été l'élément déclencheur du développement de la foi dans l'aristocratie gallo-romaine, mais elle s'inscrit dans un courant porteur qui se manifeste et s'amplifie à partir du milieu du IVème siècle, et elle en constitue en tous cas, un excellent exemple. Mais voilà que, soudain, et en très peu de temps, qu'une série de malheurs vient frapper la famille de Paulin. Leur fils unique meurt au seuil de l'adolescence. Le frère de Paulin décède à son tour dans des conditions assez obscures sur lesquelles nous sommes très mal renseignés mais qui laissent penser à la possibilité d'un assassinat. Il s'ensuit une sombre intrigue dont nous ne connaissons rien sinon quelques allusions voilées qui transparaissent dans la correspondance d'Ausone. Il se pourrait bien que, pour des raisons politiques quelques malveillants aient essayé d'impliquer Paulin dans la mort de son frère. Les textes sont tellement imprécis qu'il serait hasardeux de former la moindre hypothèse à ce sujet. Mais ce qui est certain, c'est qu'à un moment donné Paulin a été très gravement affecté par cette affaire. C 'est sous le coup de ces malheurs successifs qui l'accablent que Paulin prend conscience de la vanité de la vie qu'il mène. A quoi peut bien lui servir son immense fortune ? Il se sent petit et désemparé. En quelques mois à peine la voie que lui a montré Saint Martin finit par s’imposer et, en plein accord avec son épouse Térasia, elle-même très pieuse, il libère tous ses esclaves et décide de se défaire de tous ses biens et d'en faire don aux pauvres. Cette décision retentit comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Saint Martin de Tours l'approuve vivement, elle allait tout à fait dans le sens de sa vocation personnelle. Mais il ne faut pas croire qu'elle fit l'unanimité parmi les chrétiens de son temps . Ainsi, par exemple, le fougueux Saint Ambroise, Évêque de Milan, la désapprouve formellement. Il estimait en effet que le rang social de Paulin constituait une chance considérable pour l'église dans sa quête de notoriété auprès des hautes classes de la société. Rien n’aurait empêché Paulin de faire un large usage de sa fortune dans des oeuvres de charité dont on avait bien besoin, mais il était important qu'il conserve le prestige de son rang. Le fait est que de voir un puissant sénateur romain devenir chrétien constituait pour l'église une remarquable opération de communication. Ne parlons pas des réactions de la haute société impériale en général et de l'aristocratie burdigalienne en particulier. Elles furent proprement cataclysmiques. En trois lettres successives Ausone tenta de dissuader Paulin de prendre une aussi funeste décision. Son idée générale était de lui dire :« Ne nous fais pas pleurer la dispersion et le pillage des richesses de ta maison et leur morcèlement entre cent nouveaux maîtres ; ce sont les royaumes de tes vieux ancêtres. » Ces admonestations sont littéralement pathétiques. On sent bien, dans les termes qu'il emploie que la décision de Paulin l'attriste profondément mais aussi, et peut-être surtout, l'inquiète. Ausone est, et reste en effet, un fidèle soutien de Rome et de son empire, dans un temps où ses frontières sont, de nouveau, sérieusement menacées par la pression des barbares. Dans cette situation périlleuse, Ausone a horreur de tout désordre intérieur, quel qu'il soit et, dans son esprit, les troubles religieux doivent nécessairement dégénérer tôt ou tard en troubles politiques. Des troubles dont le gouvernement de l'Empire n'a certes pas besoin en ce moment difficile. Dans cette perspective, Paulin n'avait, à son avis, pas le droit de susciter le séisme social qu'il envisageait. Rien n'y fit et Paulin maintint sa décision tout en conservant pourtant, par devers lui quelques disponibilités ainsi que nous allons bientôt le voir. Il se rend à Barcelone, chez son épouse et là, sous la pression populaire, et semble-t-il contre son gré, il finit par accepter d'être ordonné prêtre en 392. Deux ans plus tard, en 394, toujours accompagné de Térasia, il revient se fixer à Nole, au sud de l'Italie, auprès du tombeau de Saint Félix, en ce lieu où il avait été touché par la grâce. Avec le consentement de Térasia, ils vivent ensemble comme frère et soeur. C'est lui-même qui le dit à Ausone avec lequel il est toujours en correspondance. Dans sa lettre n° 10, rédigée en forme de poème, il dit que Térasia est devenue sa « soror ». Mais, dans le même document, il précise bien que, pour avoir embrassé la vie d'un ascète, il ne s'est pas pour autant « retiré au désert », ce sont ses propres mots. Pendant cette période Paulin entretient une importante activité épistolaire. Avec Martin de Tours, son modèle monacal, avec Sulpice Sévère, disciple et grand admirateur de Martin, avec Ambroise Évêque de Milan et Victrice, Évêque de Rouen, sans oublier évidemment Delphin, Évêque de Burdigala qui, dans une de ses réponses, ne manque pas de lui rappeler que c'est lui qui l'a baptisé. Au fil du temps, Paulin ne va cesser d'élargir le cercle de ses correspondants. C'est ainsi qu'il va communiquer avec le grand Saint Augustin, Évêque d'Hippone, dans l'actuelle Algérie. Une ville que nous avons ensuite connue sous le nom de Bône et qui s'appelle désormais Annâba. Saint Augustin fut un contemporain presque parfait de Saint Paulin. Il était né un an après lui, avait été baptisé deux ans avant lui et devait mourir tout juste un an avant lui. Mais Paulin correspond aussi avec Saint Jérôme, l'un des plus grands exégètes de ce siècle et qui, lui, résidait à Bethléem, ainsi qu'avec Alypius, un proche de Saint Augustin et bien probablement avec d'autres encore dont les correspondances sont perdues. Le style de ces échanges n'est ni sévère, ni ennuyeux. Bien au contraire, il est souvent enlevé et poétique, d'une poésie résolument précieuse. Paulin n'a jamais pu se défaire, ni cherché d'ailleurs, des leçons qu'il avait reçues d'Ausone. Il s'exprime très souvent en vers et use et abuse d'images (métaphores audacieuses). Très souvent, il aime plaisanter sur tout et sur rien, sur de menus incidents domestiques de la vie quotidienne. Et ces textes sont parfois révélateurs de son mode de vie qui n'est pas, à proprement parler, celui d'un ermite coupé du monde. Il s'amuse par exemple sur les comptes de son cuisinier ou sur les travers de son barbier. C'est bien la preuve que, même s'il est pauvrement vêtu et a banni tous signes extérieurs de richesse, il a néanmoins conservé la disposition de quelques moyens. Par dessus tout, en tous cas, il fait toujours preuve d'une grande humilité et ne prétend à aucune compétence en matière de théologie ou d'exégèse. Il se présente toujours comme un disciple, et jamais comme un maître, disciple en particulier de Saint Augustin qu'il vénère beaucoup. Il se dit lui même pauvre pêcheur ignorant et incapable de gouverner quiconque. C'est ce qui explique sa vive réticence à accepter la charge de l'évêché de Nole devenue vacante. Ce n'est finalement que sous une très forte pression populaire qu'il finira par s'y résoudre en l'an 409. Il y a déjà 15 ans qu'il est revenu à Nole et le peuple a eu tout loisir de le connaître et d’apprécier la Sainteté de sa vie. Nous avons eu l'occasion de penser qu'il avait conservé quelques restes de sa fortune. La preuve en est qu'il dispose encore des moyens suffisants pour fonder à Nole un hospice destiné à accueillir les vieillards, les malades, les pauvres et plus généralement tous les laissés pour compte de la société locale. Et pour bien signifier son implication dans cette entreprise, il s'établit parmi eux et va de plus en plus partager leur vie. De même fait-il édifier un complexe religieux dédié à la vénération de Saint Félix sur le lieu même où, en 379, à l'âge de 26 ans, il avait ressenti son premier éveil à la foi. Le temps a passé, son maître et ami Ausone est mort depuis 395, mais son enseignement a manifestement marqué Paulin pour la vie. Le style de ces courtes pièces de vers est toujours aussi précieux et passablement alambiqué, usant, à l'occasion de mots rares et de tournures complexes. Ce qu'il faut surtout en retenir, quel que soit le mode d'expression, c'est le coeur qu'il y met et qui, lui, est tout à fait sincère. Paulin va vivre assez longtemps pour voir son Aquitaine natale envahie et pillée par les Alins en 408, immédiatement suivis un an plus tard par les Suèves, eux-mêmes suivis par les Wisigoths en 410. Des Wisigoths qui, eux, s'installent et prennent possession définitive de tout notre Sud-Ouest. La même année 410 d'autres Wisigoths s'empareront de la ville de Rome, elle même et la pilleront… Paulin sera témoin de cette disparition de l'Empire qui marque la fin du monde antique. La mort de Paulin, en 431, à l'âge de 78 ans nous est contée en détail par le prêtre Uranius. Il avait reçu la visite de deux évêques voisins qui étaient venus concélébrer au pied de son lit. Il aurait eu alors la vision de Saint Janvier, défunt Évêque de Naples et de Saint Martin de Tours qui seraient venus à sa rencontre en l'invitant à les suivre. Ses derniers mots furent bien dans le style de l'art poétique qu'il avait appris dans sa jeunesse :« Paravi lucernam christo meo, Domine decantavi »« J'ai préparé ma lampe pour mon Christ, Seigneur » et le dernier mot « decantavi » est plein d’ambigüité. C'est un de ces mots rares qu'affectionnait Paulin et qui, ici, peut avoir deux sens : il peut tout aussi bien signifier :« Je n'ai jamais cesser de chanter » ou tout aussi bien :« j'ai fini de chanter. » Ce qui n'est pas tout à fait la même chose, et nous ne saurons jamais lequel de ces deux sens choisir. Peut-être d'ailleurs faut-il y voir une toute dernière pirouette littéraire dont Paulin ne fut jamais avare. Au fil des siècles, la vénération de la mémoire de Saint Paulin a connu des hauts et des bas. Presque oubliée pendant longtemps, elle a retrouvé en France un notable regain de ferveur au XVIIème siècle. De nombreuses confréries s'en réclament alors, en particulier vers 1665/70 et surtout à partir de 1685, date à laquelle la France accueille quelques unes de ses reliques qui lui sont envoyées d'Italie. C'est alors que dans les classes populaires se dessinent les vocations particulières de Paulin. On va l'invoquer pour la guérison des coliques et je n'en connais pas la raison, mais aussi pour assurer une bonne croissance des fruits et des légumes, ce qui en fait le Saint patron des jardiniers. Mais là, je crois savoir pourquoi. Dans une de ses lettres , il accumule les métaphores tirées du jardinage. Il compare par exemple la foi à un arbre que l'on vient de planter et qu'il faut arroser de prières et de bons conseils. Ce pourrait bien être la source de cette vocation particulière. La vénération ne se limite pas à la France et au sud de l'Italie, les pays germaniques l'honorent également. Je me souviens par exemple d'avoir vu un grand vitrail qui lui était dédié dans la cathédrale de Linz, en Autriche. Paulin est également reconnu et honoré par les églises orthodoxes jusqu'au fin fond de la Sibérie. On le fête le 22 juin.
Puissiez -vous, désormais, lui ménager une
petite place dans vos mémoires et, à tant que faire, n'oubliez pas davantage
Terasia qui a si discrètement accompagné Paulin tout au long de sa vie. Jean
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Réalisée le 9/mai2021 | André Cochet |
Mise ur le Web le 10 mai 2021 |
Christian Flages |