Les conférences du Ciron. |
Les Foires et les Marchés
dans au XVIII
ème siècle.
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à Bommes, le 18 mars 2004. |
Jean DARTIGOLLES. |
Transcrit par Domo de PINOS. |
Sommaire. |
Origine
des Foires et Marchés.
Les
foires et les marchés constituent l’une des plus anciennes institutions
qu’ont connu les sociétés humaines.
Dès
l’instant où un homme a disposé d’un bien en sus de ses besoins immédiatement
prévisibles, il a cherché à l’échanger contre un autre bien qu’il
convoitait entre les mains de son voisin. Dès lors, le commerce était né.
Mais
un échange entre deux personnes prises isolément, pouvait aboutir à de
malencontreuses erreurs d’appréciation. Seule une confrontation plus élargie
de l’offre et de la demande permettait de mieux définir la juste valeur des
choses et des services. Dès lors, les foires et les marchés ont eu droit de
cité.
C’est
ainsi que les premières villes du Monde Antique les ont découverts et pratiqués.
Il y avait déjà des foires et des marchés à Sumer, à Babylone en Egypte,
comme il y en eu ensuite, de proche en proche et jusqu’à nos jours.
Il
a fallu attendre les 40 dernières années que nous venons de vivre pour voir
leur rôle se réduire sous la pression grandissante de la grande
distribution.
Rappelons,
toutefois qu’un quart environ du commerce alimentaire en France se traite
encore sur nos foires et nos marchés et que cela suscite bien des convoitises
de la part du grand commerce. Saurons-nous préserver ce dernier espace de convivialité marchande ?
La
question est désormais posée…
Foires
et Marchés.
Il
n’y a pas de différence fondamentale de nature entre une foire et un marché, sinon
que la foire est plus rare, à des dates précises, 2, 3 ou 4 fois par an ,
et que son caractère d’exception attire une clientèle plus large venue de
contrées plus lointaines. Ce faisant, elle rassemble des marchands porteurs de
produits plus diversifiés, plus rares et même quelquefois plus exotiques.
Le
marché, généralement hebdomadaire a de moindres prétentions et se cantonne,
pour l’essentiel, dans les échanges de productions locales, des échanges qui
n’en sont pas moins parfois, fort importants.
Ajoutons
que les foires constituaient à l’époque, presque systématiquement des
occasions de larges transactions portant sur les bestiaux.
De
telles transactions n’étaient certes pas totalement exclues des marchés
locaux, mais n’y connaissaient pas l’ampleur qu’elles pouvaient atteindre
dans le cadre d’une foire.
Enfin,
dans bien des cas, et ceci jusqu’au début du siècle dernier, une foire était
liée à une fête religieuse :
Foire
de la Saint Michel, de la Saint Justin, de la Saint Martin, de la Saint Clair ou
autre saint local, et s’associait à une dévotion voire, même, à un pèlerinage
particulièrement suivi, tel la
foire de Saint Clair à Saint Léger de Balson aux premiers jours de Juin.
Les
foires maîtresses de la province depuis le Moyen Age et jusqu’au XVIIIème
Siècle, furent celles de Bordeaux, deux fois par an aux mois de mars et
d’octobre. Celles qui donnaient le ton à toutes les autres. C’est de là
que partaient les produits nouveaux et les propositions innovantes. N’allons
peut-être pas jusqu’à parler de mode, mais reconnaissons leur un rôle de
moteur commercial.
Elles
rassemblaient des marchands venus de toute l’Aquitaine certes, mais aussi de
bien plus loin, de toutes les provinces et même de l’étranger, sans oublier
les produits exotiques venus de ce que l’on appelait alors les Isles : le
sucre, la vanille et le rhum.
C’était
aussi le moment en octobre, où les négociants versaient aux vignerons des
avances sur le prix de leur récolte ou en mars, sur le solde de leurs ventes de
vin.
Cet
apport d’argent frais relayé ensuite, de proche en proche, par les marchés
locaux se diffusait progressivement dans toute la province.
Une
bonne récolte bien vendue, donnait un coup de fouet au commerce jusque dans la
Haute Lande et même plus loin encore. Tout au contraire, une mauvaise année
engendrait souvent une morosité générale.
Sur
ces foires on trouvait un peu de tout dans un invraisemblable déballage.
Les
étoffes de toutes sortes s’exposaient
dans les boutiques en plein vent :
-
des Cadix d’Aignan tissés dans le Gers, ou de Montauban, très appréciés
-
des molletons de Mazamet.
-
ou des Cordillas de Castres dans le Tarn, une sorte de gros tissu de
feutre.
-
des toiles de lin et chanvre
-
d’autres beaucoup plus fines.
-
des draperies flamandes également.
Les
étaminiers présentaient les échantillons de leurs pièces aux fenêtres des
maisons qui les hébergeaient car eux vendaient en chambre, des chambres dans
lesquelles on trouvait également de la dentelle du Puy, de Paris et
d’ailleurs.
Mais
n’oublions pas pour autant les produits domestiques.
-
les huiles et les savons venus de la lointaine Provence
-
les divers poissons salés et fumés
-
toutes sortes d’objets de quincaillerie que ne pouvaient fabriquer les
forgerons de village
-
ainsi que les produits des Isles déjà évoqués, aussi bien sur.
Une
foule dense, bruyante et colorée grouillait littéralement tout au long du port
et dans les rues du vieux Bordeaux dans le quartier Saint Pierre, rue de la
Rousselle, rue des Bahutiers et bien d’autres …
La
meilleure image que l’on puisse donner de tout cela est celle de l’ambiance
qui règne encore dans un souk marocain avec ses mouvements de foule, ses
couleurs et ses odeurs.
La
distribution des Marchandises.
Une
bonne part de tout cela allait ensuite se distribuer dans toute la province par
le relais de foires et marchés locaux.
Ces
marchandises, nous allons aussi les retrouver dans le tarif du péage instauré
à Castelnau de Cernès sur la
paroisse de Saint Léger de Balson. C’était l’un des points de passage
obligé des échanges entre Bordeaux et la Lande.
Ce
tarif (j’ai déjà eu l’occasion de vous en parler l’an dernier),
est un document précieux car, lorsqu’il institue une taxe sur une
marchandise, c’est bien parce qu’elle se présentait habituellement en son
point de péage.
Et
que trouvons nous là ?
De
la toile, du drap, de la laine, de la mercerie, des étains, du fer et de la
vaisselle de terre. Des poissons de toutes espèces
-
merlus
-
morues
-
harengs
-
sardines
de
la quincaillerie etc..etc…
Et
tout cela le plus souvent sous la forme de 3 conditionnements
·
par charrette
·
par cheval
·
ou par homme chargé « à col »
Ce
qui nous suggère bien des images :
· du gros marchand transportant ses produits par charrettes entières, voire même en convoi.
· du marchand plus modeste acheminant son bien sur un simple animal de bât.
·
et du pauvre gagne petit portant quelques morues sur ses épaules ou
quelques harengs autour du cou.
Tout
ces gens-là allaient en foire ou au marché ou bien en revenaient.
Il
n’était pas facile de créer une foire ou un marché. Seul le Roi en son
conseil avait pouvoir de les autoriser.
Plutôt
avare de ces autorisations, il n’en déléguait le pouvoir à personne. Et
pourtant, le bon peuple aurait bien aimé les voir se multiplier, il en aimait
bien l’ambiance et les distractions que ces manifestations lui apportaient.
Mais il faut bien dire aussi, autre argument, que l’état général des routes
était si mauvais que l’on appréciait de voir se tenir un marché à sa porte
plutôt que d’avoir à courir au diable vauvert.
Peine
perdue, le pouvoir estimait que ces manifestations étaient déjà trop
nombreuses, beaucoup trop nombreuses même, au dire de certains.
Le
Curé de Sendets, une paroisse du bazadais, écrivait :
«
que la grande quantité de foires détourne les habitants de la culture de leurs
terres …» et il proposait froidement d’en supprimer la moitié….
C’était
aussi l’avis, évidemment de toutes les villes et villages qui détenaient déjà
une foire ou un marché régulièrement autorisé par un privilège royal.
La disparition de quelques unes de ces manifestations concurrentes aurait
évidemment donné davantage d’importance à la leur.
Ouverture
d'un marché "sauvage" à Villandraut.
Lorsque dans les années 1730, on voit s’instaurer à Villandraut un marché sauvage, non autorisé, qui commence à drainer dangereusement les grains récoltés dans la Lande pour les offrir aux vignerons des coteaux de Garonne, on voit Bazas crier au scandale et demander fermement à l’Intendant de fermer ce marché.
Dans une lettre du 26 mars 1732, les Jurats de Bazas se plaignirent en effet à l’intendant de Bordeaux en exposant que le nombre de foires et de marchés se multipliait dangereusement ; ils en recensaient 38 dans le pays dont 20 seulement, à leur dire, auraient été réguliers.
Ils estimaient que, du fait
de cette dispersion abusive, chacune de ces manifestations n’avaient plus désormais
une importance suffisante pour survivre et, qu’en fin de compte, tout le monde
y perdait beaucoup de temps et d’argent.
Ils
rappelaient, en cette occasion, que 12 ans auparavant, en 1725, ils étaient déjà
intervenus dans le même sens directement auprès du cabinet du Roi et que cette
démarche avait été suivie de peu d’effets. Cette fois-ci, ils visaient plus
spécialement le marché de Villandraut dont ils faisaient leur bête noire, précisément
parce qu’il prenait de l’importance. Ils demandaient à l’Intendant de
l’interdire et de prévoir une amende :
-
de 400 livres à l’encontre du Seigneur du lieu pour la tenue de chaque
prochain marché,
-
et de 100 livres pour chaque marchand qui s’y présenterait,
-
sans préjudice de la saisie au bénéfice du Roi, de toute marchandise
qui y serait exposée.
Les
Jurats de Bazas, dans leurs propositions de sanction n’y allaient pas avec le
dos de la cuillère, mais bien plutôt en larges louches généreuses !
Villandraut
est sommé de justifier
ses
droits à la tenue de son marché.
A
la réception de ce courrier très ferme, l’Intendant réagit en demandant aux
officiers du Seigneur de Villandraut, de lui fournir les lettres patentes
royales qu’ils pourraient éventuellement détenir
et qui autorisaient la tenue de ce marché.
Mis au pied du mur, ceux ci répondirent qu’ils ne les avaient pas dans leurs archives locales mais que le seigneur les détenaient sûrement, ajoutant au surplus que ces autorisations étaient fort anciennes et qu’elles remontaient à plus de 200 ans…seulement voilà, leur Seigneur pour lors était à Berlin et sa femme à Paris.
Cela leur permit de gagner du temps. On chercha ces
documents à Paris, on ne les y trouva pas. Finalement, après bien des échanges
de correspondances inutiles et à la grande joie des Bazadais, l’Intendant
finit par interdire la tenue du marché de Villandraut, c’était le 9 avril
1738.
Comment
sortir de l'impasse ?
Tout
cela était fort bien dire, mais le pont de Villandraut sur le Ciron était
toujours à peu près impraticable, et pour faire bonne mesure celui de
Cazeneuve venait d’être emporté par une crue. Bazas était devenu
pratiquement inaccessible aux landais qui ne savaient plus où porter leurs
grains. Un marché noir s’instaura donc bientôt autour de Villandraut tandis
que Bazas attendait toujours ces fameux grains landais qui ne pouvaient
l’atteindre.
Après
quelques années de cette clandestinité , la situation devint intenable,
c’est alors, au début de 1744, qu’une nouvelle idée se fait jour. Le comte
de Pons, Seigneur de Villandraut, détenait des droits, incontestables ceux-là
sur la tenue d’un marché hebdomadaire auprès de son château de Cazeneuve,
à côté de Préchac ainsi que sur quelques foires annuelles auprès de ses châteaux
-
de Cazeneuve déjà cité
-
et de Castelnau de Cernès près de Saint Léger de Balson.
Ce marché de Cazeneuve vivotait plutôt mal que bien ; les landais s’y seraient rendus volontiers mais les gens de Garonne le trouvaient beaucoup trop éloigné. Une dizaine de Kilomètres au delà de Villandraut, tout au plus.
Cela ne nous paraît guère, mais pour eux, cela faisait beaucoup.
10 km pour un attelage de bœufs, à 3KM/H cela faisait dans les 3 heures
de route en plus et autant au retour qu’il fallait ajouter à une journée déjà
très chargée. Bref, de Barsac à Podensac, un marché à Cazeneuve ne tenait
plus dans une seule journée.
Ce
sont là des choses que nous avons bien du mal à comprendre, mais qui étaient
alors tout à fait capitales. C’est donc sur ce constat qu’apparut l’idée
nouvelle. Et si le Seigneur de Villandraut demandait au Roi de transférer ses
droits à la tenue d’un marché de Cazeneuve à
Villandraut… ?
C’est
exactement ce qu’il fit au début de l’été 1744.C’est le Chancelier d’Aguessau
en personne qui prit cette affaire en main au Conseil du Roi
demandant à l’Intendant Tourny de procéder à une enquête sur place
dont l’important dossier nous a été conservé.
Je vous en épargnerai l’analyse car elle nous conduirait bien trop loin. Mais sachez que l’on y trouve bon nombre d’indications fort intéressantes sur les usages du commerce local.
Les curés furent priés d’informer leurs
ouailles sur ces projets à l’occasion des prônes des dimanches 11 et 18
octobre 1744. On recueillit ensuite les observations formulées, au demeurant peu nombreuses,
sauf celles de Bazas bien sur, vivement opposé à ce projet mais vous vous en
seriez douté.
Sautons
maintenant tout droit aux conclusions. Le 11 décembre 1744, le Chancelier donna
son accord et le Conseil du Roi siégeant à Versailles, autorisa la régularisation
du marché de Villandraut qui se tiendra le mercredi jusqu’au XIXème siècle
et autorisa de même le transfert de quatre foires annuelles le 3 janvier, 19
mars, 22 août et 7 septembre.
Police
des Foires et Marchés.
Ces
foires et marchés étaient soumis à de très stricts règlements de police qui
à quelques détails près, se retrouvaient partout à peu près à
l’identique. On ne pouvait y acheter aucune denrée alimentaire avant 10
heures du matin en été et 11 heures l’hiver. C’est le temps imparti aux
marchandages et à la formation des prix. Sitôt l’heure venue, on peut
passer à l’acte et acquérir la marchandise.
Mais
en période de pénurie lorsque tel produit tend à devenir un peu rare, les
acheteurs vont au devant des bouviers et les arrêtent avant qu’ils n’aient
atteint le marché et leur achètent le produit convoité sur le bord du chemin.
C’est, vous le pensez bien, formellement interdit et sanctionné par une
lourde amende au profit du seigneur organisateur du marché. Mais les agents du
Seigneur sont peu nombreux et ont souvent la réputation de ne pas se lever de
très bonne heure, ce qui facilite évidemment ce genre de fraude.
Contrôle
des Viandes.
Tout ce qui touche aux viandes était très contrôlé, du moins dans la mesure des moyens dont on disposait à l’époque. Les règlements défendaient explicitement de vendre, selon l’expression du temps « chair malade pour chair saine ». Mais ils veillaient également à ce que l’on ne vende pas « chair femelle pour chair mâle ».
Nos ancêtres avaient
une très mauvaise opinion de la viande de vache et de brebis. Le bœuf et le
mouton étaient beaucoup plus appréciés et les prix correspondants, s’éventaillaient
évidemment en conséquence.
Si
ces braves gens revenaient en notre temps, ils auraient bien du mal à se faire
à l’idée, qu’en dépit de nos prétention à la traçabilité, les étals
de nos bouchers ne soient pas à même de préciser le sexe des animaux exposés.
Contrôle
des poids et des mesures.
Un
autre motif de stricte surveillance était le domaine des poids et des mesures .
et il y avait là matière à bien des fraudes, arnaques et contestations
Un
seul mot pour résumer la situation i-ni-ma-gi-na-ble !
Chaque
contrée et souvent même chaque
village avait son propre système de poids et de mesures et y restait indéfectiblement
attaché.
Le poids d’une livre était généralement accepté pour 489 grammes, c’était à peu près la seule unité commune à tous . Toutes les autres variaient joyeusement d’un clocher à l’autre selon la plus grande fantaisie.
Entendons nous bien… Le fait que la livre représentait 489 grammes ne
constitue pas une difficulté en soi. Ce chiffre ne nous paraît bizarre que par
rapport à notre gramme. Cette unité de base était une convention.
Mais
notre gramme aussi est une convention, une convention pure et simple. Si au lieu
de prendre pour base de définition notre unité de poids, le centimètre cube
d’eau, on avait choisi par exemple le centimètre cube d’or, notre unité
aurait représenté 19g50, un point c’est tout et le système métrique s’en
serait tout aussi bien accommodé en divisant cette unité conventionnelle ou en
la multipliant par 10, 100 ou 1000.
Convention
pour convention, le choix de l’unité est sans importance. Mais ce qui est
capital, c’est le système qu’on lui applique. Il faut que le système soit
rationnel. Alors que notre système métrique l’est, celui de l’Ancien Régime
ne l’était pas. Jugez-en plutôt :
Il
y avait 2 MARCS dans une LIVRE
-
et 8 ONCES dans chacun de ces MARCS
-
Chaque ONCE se subdivisait en 8 GROS
-
qui chacun à son tour valait 3 SCRUPULES
-
lesquels se subdivisaient à
leur tour, en 24 GRAINS
Si
vous avez bien compté, si du moins vous avez essayé de le faire, vous devez
trouver 9216 GRAINS dans une LIVRE ! !
La
plupart de ces mots là sont restés dans notre vocabulaire, quelques fois avec
un sens dérivé. Il m’arrive encore d’acheter une livre de fruits, mais
vous avez tous, j’espère, une once de bon sens , en plus léger vous vous faîtes
parfois quelques scrupules mais aussi peut-être vous offrez-vous un grain de
folie.
Tout
ceci est bel et bon, mais imaginez-vous un instant sur un marché ou un champ de
foire en train de procéder à une pesée un peu fine au moyen d’une balance
romaine tenue à bout de bras, la seule balance qui fut alors utilisée dans nos
contrées. Quoi que vous en puissiez
penser, jusqu’ici tout est simple.
Tout
est simple parce que, vous ai-je déjà
dit, la livre est à peu près partout acceptée pour le même poids.
Mais si nous abordons les mesures de capacité, cela devient rapidement du délire.
Le POT BAZADAIS assez répandu jusque dans les Landes se subdivisait en 4 PINTES
contenant chacune 4 PINTONS.
Ces
pintons là représentaient donc 1/16ème de POT. Mais allez donc
savoir pourquoi…
7
paroisses disséminées dans le bazadais utilisaient un pot spécial dit: POT à
COMPTE RAMON, lequel contenait ¼ de plus que le pot de Bazas. Mais ce n’est
pas tout ! !
Tenez
vous bien.…
2
paroisses : Uzeste et Captieux utilisaient encore un autre pot. Un pot
cette fois, plus petit que celui de Bazas et dans un rapport, écoutez bien, de
11 à 9.50. Je vous laisse apprécier la commodité du calcul. C’est dire que
cette mesure singulière représentait les 86 centièmes du pot Bazadais et les
69 centièmes d’un Pot dit « à compte Ramon ».
Essayez
donc d’imaginer le dialogue et les calculs d’un vigneron de Noaillan vendant
sur un marché quelques pots de son vin mesuré à Compte Ramon à un aubergiste
de Captieux qui lui comptait dans sa mesure locale. ! !
Et
ajoutez par dessus tout cela, cerise sur le gâteau, qu’aucun des deux très
probablement ne savait ni lire, ni écrire.
N’allons pas plus loin car il serait aisé de rapporter des situations bien plus
complexes encore.
Mais cela me parait suffire pour vous donner une idée de l’importance que pouvait revêtir les contrôles locaux sur les poids et les mesures. Et cela dura jusqu’à la mise en service du système métrique le 1er juillet 1794.
Du moins en théorie, car en fait cette
situation perdura pendant une bonne partie du XIXème siècle, en dépit des
efforts de l’administration et de la chasse aux anciennes mesures que l’on
ouvrit sur les marchés, près de deux générations les utilisèrent encore
dans nos contrées, et même de nos jours puisque la Livre ici ou là a encore
quelques droits de cité.
Et
dans le même ordre d’idées, gageons que les références au franc ont
encore, face à l’Euro, quelques beaux jours devant elles.
On se rendait à la foire ou au marché en charrette à bœufs pour le commun des mortels , à cheval pour quelques notables ou tout simplement à pied. L’état des chemins était tout à fait déplorable, seuls les chemins de sable, l’été offraient de conditions de roulage à peu près acceptables, mais traversant au plus droit les Landes mal drainées, il étaient , par places, coupés de fondrières qui se réactivaient dès les premières pluies d’automne.
Il était tout à fait courant qu’un attelage s’enlise et
qu’une charrette s’enfonce jusqu’au moyeu. Aussi circulait-on beaucoup en
convoi d’un même village ou d’un hameau voisin afin de pouvoir, à
l’occasion, se prêter assistance en attelant plusieurs paires de bœufs pour
tirer le malchanceux de l’enlisement dans lequel il avait sombré.
Ce genre d’incident ne manquait pas de retarder une progression qui était
déjà très lente. On pratiquait beaucoup le co-voiturage et l’auto-stop
avant la lettre, à ceci près que les rôles étaient inversés : à moins
qu’il ne fut le dernier des ours mal léchés, un bouvier rencontrant un piéton
sur le chemin du marché, n’aurait jamais manqué de l’inviter à monter sur
sa charrette. Cette coutume s’est perpétuée très longtemps et je l’ai
encore vu pratiquer dans ma famille dans le courant des années 30.
Nos
ancêtres étaient des couche-tôt faute d’éclairage pour prolonger leurs
veillées. C’est pourquoi, ils n’hésitaient pas à se lever très tôt pour
se rendre au marché. Pour un marché situé à une quinzaine de kilomètres de
distance, ils se levaient entre 2 et 3 heures du matin pour arriver à pied d’œuvre
sur le coup de 8 à 9 heures. Comptez une heure pour se lever, déjeuner après
avoir allumé le feu bien sur, soigner les bœufs, les atteler, le tout
pratiquement sans lumière.
Comptez
ensuite 5 heures de route à 3kms/heure de vitesse utile. C’est un ordre de
grandeur tout à fait commun. Et il en fallait tout autant, le soir, pour
rentrer, une bonne part de ces trajets s’effectuant de nuit.
La
quasi totalité des cours d’eau était à franchir à gué car les ponts étaient
rarissimes. L’existence d’un pont déterminait littéralement un courant
commercial car il avait été lancé en un point où aucun passage à gué n’était
raisonnablement envisageable et il devenait, de ce fait, un point de passage
obligé.
Sa
rupture pouvait provoquer la ruine d’une foire ou d’un marché. C’est la
raison pour laquelle le pont de Villandraut a revêtu longtemps une importance
qui nous paraît aujourd’hui démesurée. On se préoccupait de son état à
Langon, à Barsac mais tout autant à Sore et à Luxey. Nous pourrions passer
une soirée entière à éplucher tous les dossiers qui nous sont parvenus sur
cet ouvrage. : sur son état, sur les projets qu’il suscite, sur les
travaux qu’il exige etc…..
Partout
ailleurs, on passait donc à gué et bien souvent de nuit rappelons-le si nécessaire.
Et en dépit de ces conditions
plus que défavorables, les foires et les marchés attiraient des gens
venus quelques fois de très loin.
Ainsi,
par exemple, à Villandraut, outre les gens de Garonne, on rencontrait des Landais venus de Luxey et de Liposthey.
De
même, aux premiers jours de juin, la foire de la Saint Clair tenue à Saint Léger
de Balson recevait des marchands
venus de Bordeaux, de Tartas, du Médoc, de l’Entre-deux-Mers…Combien de
jours mettaient-ils pour venir là ? Et combien d’autres encore pour
revenir chez eux ?
Le
rôle médiatique des Foires et Marchés.
Ces différents contacts sur les marchés et surtout sur les foires ont eu, dans la société de l’époque, un rôle médiatique allant très au-delà de leur simple rôle commercial.
C’est là que
s’échangeaient les nouvelles, c’est là que se formait l’opinion
publique. Nos ancêtres n’avaient ni radio, ni télé. La presse, très réduite,
ne sortait guère des villes. Les nouvelles se transmettaient de bouche à
oreille sans aucun support écrit. Les seules sources d’information étaient
les prônes du curé à la messe du
dimanche et les nouvelles glanées
sur les quais de Bordeaux ou autour des relais de poste et que colportaient les
marchands.
Les nouvelles annoncées par le curé étaient très officielles. Il les tenait de son évêque qui les avaient reçues lui-même, de l’Intendant de la Province. Elles portaient sur la paix, sur la guerre, ou le montant des impôts. Autant dire, qu’elles étaient aseptisées.
Celles
retransmises par les marchands l’étaient beaucoup moins. Ce système
fonctionnait assez régulièrement et sans trop de déformations. Deux jours après
la foire de Saint Léger, on savait à Mont de Marsan, ce qui s’était dit la
semaine d’avant dans les tavernes de Bordeaux, là où les marins parlaient
des Isles et les soldats de leurs campagnes.
Nos
opinions publiques sont actuellement passablement encadrées par notre journal
de 20 heures, ou par la lecture de notre quotidien. Aux XVIIème et XVIIIème siècles,
l’opinion se formait de façon plus ouverte et partant, plus
Les
risques sanitaires: épidémies, épizooties.
Ces
manifestations ne diffusaient malheureusement pas que des nouvelles. Elles
servaient également de plate-forme à la propagation des épidémies et
quelques fois de façon foudroyante.
Epidémies
humaines, de choléra mais surtout
de variole , épizooties aussi frappant
les animaux. La catastrophe de 1774 est, à cet égard, longtemps restée dans
les mémoires. Toute cette affaire semble être partie d’un bateau chargé de
cuirs importés de la Guadeloupe et qui avait touché le port de Bayonne au début
de 1774.
L’épizootie, partant de là, couva quelques mois en pays Basque et commençait déjà à inquiéter le monde rural . Le 20 juin 1774, l’Intendant (une sorte de préfet de région) prescrivit d’enfouir les animaux morts dans des fosses profondes et de garnir les sols ainsi remués de buissons épineux pour empêcher les animaux sauvages de les déterrer.
Il faisait alors très chaud, 1774 fut littéralement une année caniculaire, un peu à l’image de 2003 à ceci près que la période des chaleurs accablantes dura bien près de deux mois. Il semble que cette circonstance ait constitué un facteur aggravant dans la propagation de la contagion.
Quoi qu’il en soit, l’explosion se produisit le 23 juillet 1774 lors de la grande foire aux bestiaux tenue à Saint Justin au Pays de Marsan. Cette foire était très suivie et l’on y conduisait des bestiaux venus parfois de fort loin, du Pays Basque, du Gers, du Bazadais, et de toute la Lande bien sur.
A partir de cette foire où les animaux déjà atteints se trouvèrent au contact de milliers d’animaux encore sains, la propagation du mal fut littéralement fulgurante : dans les quelques jours qui suivirent, toute la Lande était atteinte. Mais aussi Bazas, Condom etc….
On suspendit tout aussitôt la tenue
de toutes les foires et marchés,
on interdit tout déplacement d’animaux, quels qu’ils soient. On alla même
jusqu’à disposer un cordon de troupes sur la rive gauche de la Garonne pour
en interdire la traversée et protéger l’Entre-deux-Mers. Peine perdue, trop
tard, le mal ira au moins jusqu’à Saint Emilion.
A partir du mois d’octobre, on ne sut plus que faire. Le 28 de ce mois, on afficha aux portes de toutes les églises, les instructions de l’Intendance. Tout animal atteint devait être déclaré et abattu auquel cas son propriétaire serait indemnisé des 2/3, par contre, si un bovin venait à mourir sans avoir été déclaré, son propriétaire serait frappé d’une amende. Et cela dura, dura avec des flambées soudaines, frappant les derniers animaux survivants.
Cette épizootie ne cessa vraiment et faute d’aliment, qu’au milieu de 1776.
L’ensemble de la Province était littéralement ruiné. Faute de bœufs, il
n’y avait plus de transports possibles mais il n’y avait
plus de labours, non plus, plus d’engrais, plus rien.
Une
grave, très grave disette s’ensuivit. Il fallut attendre 1777 pour voir un début
de reconstitution de cheptel bovin. Reconstitution au demeurant très progressive
avec la réouverture des foires et des marchés. Si progressive que l’Intendant
Dupré de Saint Maur écrivant au Ministère estimait encore cette année là,
que « les pays qui ont éprouvé le fléau de l’épizootie, n’ont pu
encore se procurer qu’un tiers des bestiaux nécessaires pour la culture »
et il ajoute que, de ce fait-là, « beaucoup de terres sont restées en
friche ».
La
violence et l'insécurité.
Il nous faut maintenant, dire un mot de la violence qui rodait autour de ces foires et marchés. Oh certes, elle s’était bien atténuée par rapport à ce qu’elle avait pu être aux siècles précédents. Le XVIème siècle, en particulier, avait été un siècle dangereux. Tous les efforts des justices tant seigneuriales que royales, avaient tendu, au cours du XVIIème, à maîtriser ce phénomène déplorable et elles y étaient peu ou prou parvenues mais il ne faut pas rêver.
Si, au XVIII ème siècle, on sort moins souvent les armes, on
a encore le verbe très haut, pour des riens et l’on en vient aux mains avec
beaucoup de facilité, surtout après boire et l’on boit pas mal sur un marché
ou un champ de foire, et cela dura bien jusqu’à la fin du siècle.
Le
1er Prairial An 6, le 20 mai 1798, une rixe laissa encore 3 blessés
sur le carreau de la très modeste foire d’Origne, et le citoyen Augé,
officier de santé de Balizac, dut venir les examiner sur place car on ne les
avait pas jugés transportables.
Ne
parlons pas des émeutes frumentaires du mois de mai 1773 qui donnèrent lieu à
de véritables batailles rangées de plusieurs dizaines de combattants, certains
organisés en commandos. Il faudra presque une soirée pour en relater le détail,
parfois cocasse, mais quelques fois aussi aux limites du tragique.
L’inventaire des dégâts qui s’ensuivirent, nous montre l’importance des
intérêts qu’entretenaient sur le marché de Villandraut, des marchands de
grains venus de Tartas ou de Liposthey qui louaient des greniers entiers pour y
entreposer leurs marchandises venues de loin. .
Dans
l’ensemble, les chemins étaient réputés à peu près sûrs
mais il n’aurait pas fallu tenter le diable. Certains retours de marché
auraient bien pu tenter quelques malandrins. Le bon peuple ne connaît,
en effet que les espèces métalliques liquides et ignore tout des lettres de
change qui sont réservés au grand commerce entre négociants. Le chèque, lui,
reste à inventer, il n’apparaîtra en France qu’en 1862, c’est donc
dire…..
La
monnaie d’or était très rare en campagne; la vraie monnaie d’échange, la
plus usuelle en tous cas, c’est la monnaie d’argent. Or, imaginez la
situation tout à fait classique, d’un brave paysan qui a vendu sur une foire
une paire de bœufs pour 350 livres, un prix très modéré à l’époque, 350
livres représente un gros sac de près de 2 kilos et le risque de rencontrer à
la nuit un malfrat qui cherche à l’en
soulager n’était pas négligeable. C’est aussi un peu pour cela, que l’on
voyageait volontiers en convoi. Et pourtant…on reste parfois confondu devant
la naïve confiance que manifestaient les uns et les autres envers de parfaits
inconnus.
Les
vols et les arnaques.
Il n’existait, bien entendu, aucune pièce d’identité. Dès que l’on sortait des limites d’identification de son village ou de ses environs, bien malin était celui qui savait qui était qui, sur un marché et surtout sur un champ de foire dont la zone de chalandise était plus vaste.
On traitait des affaires avec de parfaits inconnus. Cela se passait souvent bien, mais il y avait aussi des arnaques et je pourrais vous raconter bien des histoires. Ainsi, Jean Arzac, laboureur au Nizan, s’était rendu sur la foire au bétail de Villandraut le 30 juin 1769 pour y acheter des bœufs.
Il y trouve un attelage qui lui convient, entre en négociation avec son propriétaire qu’il ne connaît pas. Ils vont s’attabler à l’auberge du sieur Peyrague afin de poursuivre un dialogue difficile. Ils finissent par s’accorder sur le prix de 296 livres.
Arzac verse 270 livres à l’inconnu qui dans la conversation avait dit qu’il habitait Illats et qu’il était le beau-frère de Dubos de Barsac, lequel Dubos lui, était honorablement connu dans tout le pays. Les deux parties conviennent que les 26 livres restantes seront déposées entre les mains de l’aubergiste Peyrague qui ne les remettra au vendeur qu’au terme d’un délai de 9 jours, pendant lesquels Arzac pourra essayer ses bœufs tout à loisir.
Chacun rentre chez soi, Arzac s’empresse d’atteler ses nouveaux bœufs qui tout de suite se révèlent être vicieux et incapables de tirer quoi que ce soit. Il se précipite aussitôt à Illats où son vendeur est parfaitement inconnu, de là, il court à Barsac, chez le dénommé Dubos qui lui déclare tout net, qu’il n’a pas de beau frère !
Le pauvre Jean
Arzac ne retrouvera jamais son vendeur et ne récupérera que ses 26 livres
entre les mains de l’aubergiste ayant ainsi versé 270 livres de son bel
argent à un aigrefin pour prix d’une paire de bœufs qui ne valait pas un
clou
Le marché des bœufs était un peu comparable à celui de nos voitures d’occasion, il y en avait à tous les prix, il y en avait de puissants et de débiles, de sains et de malades etc…mais ils n’étaient accompagnés d’aucun document d’identification et ne faisaient l’objet d’aucun contrôle technique, c’était à l’acheteur de se faire une opinion au cours de la période d’essais probatoires des 9 jours, encore fallait-il retrouver le vendeur.
Même lorsqu’ils sont identifiés, l’audace de certains arnaqueurs ne connaît pas de bornes. Pour ne citer qu’une affaire entre bien d’autres, le 9 septembre 1777, Jean Bernède s’était rendu à la foire aux bestiaux d’Uzeste. Il y avait conduit sa paire de bœufs qu’il comptait échanger moyennant complément de finance, contre une autre paire plus puissante.
Passons sur les nombreux détails de sa recherche, il finit par trouver son affaire avec l’attelage dont le dénommé Perroux veut se défaire. L’échange est conclu moyennant une soulte de 114 livres que Bernède verse aussitôt. Perroux quitte la foire en emmenant avec lui les bœufs de Bernède.
Mais lorsque celui-ci se présente pour prendre possession de ceux qu’il vient
d’acquérir, voilà que les fils de Perroux
surgissent prétendant qu’il est en train de les voler, ils ameutent
toute la foire, le rouent de coups etc. ..etc. … C’était un coup monté ! ! !
Le pauvre Bernède portera plainte bien sûr mais il n’a ni preuves, ni témoins
pour conforter ses dires contre les accusations de toute la famille Perroux. Le
pauvre homme était bien mal parti ! ! !
Ne
parlons pas de vols purs et simples à la tire ou à l’étalage.
La
maréchaussée veillait sur les grandes foires mais on ne la voyait guère sur
les autres, ni sur les marchés. Ses effectifs étaient faibles et son
implantation très diffuse.
Le
3 juin 1784, trois cavaliers de cette maréchaussée venus de Langon à la foire
de la Saint Clair, à Saint Léger mettent la main
sur Jean Blanchet arrêté, nous dit-on, « à la clameur publique »
, c’était un marginal, venu du Médoc et allant de foire en foire en vivant
de mauvais coups et de rapines, mais c’était un coup de chance.
La présence de la maréchaussée était plus dissuasive que répressive, elle avait surtout pour mission de mettre un terme aux émotions populaires ou aux rixes après boire.
Dévotions
populaires,
les Foires de la Saint Clair.
Les
foires, mais surtout les marchés étaient parfois liées à des dévotions
populaires.
C’était
précisément le cas pour la foire de la Saint Clair que nous venons d’évoquer
et qui était jumelée avec le pèlerinage du même nom. Nous avons vu qu’ils
s’y retrouvaient des gens venus de fort loin, des gens qui cheminaient bien
des jours avant d’arriver là avec, qui leur miel, qui leur vin, qui leur
poisson séché, qui leurs draps et leur étoffes, que sais-je encore…. Et ils
campaient là sur place pendant 2 ou 3 jours dans un joyeux désordre, où se mêlaient
-
actes de dévotion
- transactions commerciales
-
échanges de nouvelles
- danses et beuveries
Cette
foire de la Saint Clair était, et de très loin, la plus importante de celles
qui se tenaient dans la vallée du Ciron. Elles se déroulait, ai-je déjà dit,
aux tous premiers jours de juin de chaque année et nos ancêtres, avec
l’humour gascon qui les caractérisait, ne manquaient pas de dire :
La
sèn Clâ dure dus ’ més’, |
La Saint Clair dure deux mois,
|
Il
nous faut faire un très gros effort d’imagination pour nous représenter ce
vaste mouvement de foule, drainant tout un pays
et convergeant vers St Léger à ces jours de l’année. On dit y avoir
compté plus de mille charrettes chargées de familles entières. C’était
donc 5 ou 6000 personnes qui grouillaient pendant plusieurs jours tout autour
des baraques marchandes dressées tout autour de l’église, en un lieu
aujourd’hui si champêtre et quasiment désert.
Et
tous campaient là, sur place, dressant des abris de fortune sous leurs
charrettes au moyen de paille et de grandes toiles. Mais on ne trouvait pas là,
que de modestes paysans ; les notables s’y donnaient aussi rendez-vous :
-
les notaires
-
les bourgeois
-
les hommes de loi
parfois
avec leur famille. Ceux là arrivaient à cheval et prenaient leurs quartiers
dans les auberges de Saint Léger et de Saint-Symphorien tout proche. Tout ce
monde se côtoyait, se bousculait dans une très grande complicité, car la
bourgeoisie de l’époque était encore restée très proche des milieux
populaires.
Ce n’est pas pour autant que les uns et les autres s’intéressaient aux mêmes choses. Les paysans avaient peu d’argent, le numéraire était très rare entre leurs mains. Ils troquaient beaucoup en vue de se procurer des objets ou denrées de première nécessité que les productions locales ne pouvaient leur fournir.
Les notables avaient de
l’argent et achetaient du rhum, des sucres, des cafés, des tissus, aussi,
venus des Flandres ; leurs épouses s’intéressaient aux tissus fins, aux
étamines et aux soieries en général, sans parler de tout ce qui pouvait
concerner l’aménagement de la maison.
La
vigilance des Curés.
Les
dévotions à Saint Clair n’étaient pas pour autant oubliées. Elles commençaient
le matin de fort bonne heure, mais sur le soir l’ambiance n’était
plus la même , et l’expression « faire la foire » qui de ce temps
nous a été léguée prenait alors tout son sens surtout si la journée avait
été chaude, ce que déplorait le curé de Saint Léger, dans une de ses
lettres à son archevêque regrettant que tous ces gens-là se livrent « aux
folles joies du monde ».
Les
curés en général, n’aimaient pas trop cela. Ce qu’ils voyaient surtout,
c’était que leur pèlerinage servaient de prétexte à bien des débordements.
En
1763, le curé de Budos mena une vaste offensive en vue de faire supprimer la
foire ancestrale qui se développait chaque année à
la Saint Pierre autour de la chapelle dédiée à ce saint, située à un
kilomètre de l’église paroissiale du village et dont les ruines sont encore
visibles. Il intervint auprès de
l’archevêque et, entre autres arguments, pour étayer sa demande, il lui
signalait, à proximité de ce lieu, l’existence :
« d’un
pignada d’environ douze journaux, très épais et très propre à y favoriser
le vice »
ainsi
que, circonstance bien propre à faire frémir un archevêque, la présence :
«
d’un grand nombre de marchands de toute espèce, même des juifs de Bordeaux »
l’axe
du mal, en un mot passait par là !
Il
s’ensuivra une cascade de procédures aux différents échelons judiciaires
entre les paroissiens qui voulaient conserver leur foire et le curé qui voulait
la supprimer. C’est le curé qui finira par l’emporter, du moins en
apparence car s’il obtint bien la
suppression de la dévotion, les paroissiens eux maintinrent la fête, la preuve
en est qu’elle existe encore, c’est la Saint Pierre à Budos.
La
révolution et ses conséquences.
La révolution vint donner un coup d’arrêt brutal à ces modes d’échanges commerciaux. Certes, les institutions furent maintenues en l’état, on ne supprima ni foire ni marché sauf à les dépouiller du caractère religieux qu’elles avaient pu connaître, mais ces manifestations furent bientôt vidées de tout leur sens.
Tout commença avec la pénurie de numéraire qui survint très tôt, dès la fin août 1789. Les places étrangères traitant le grand commerce avec Bordeaux, et qui jusque là, étaient payées en billets à ordres, inquiètes de la tournure des événements qui se déroulaient à Versailles, exigèrent soudain d’être réglées en monnaies métalliques d’or et d’argent.
Ces Monnaies se raréfièrent alors sur les marchés intérieurs et ce début de pénurie déclencha aussitôt, une véritable panique qui fit le reste. Ceux qui détenaient encore quelques pièces les cachèrent et la monnaie disparut sans remplacement. On essaya bien de fondre de la monnaie d’or espagnole pour frapper des louis français… Peine perdue ! ils disparaissaient dans la nature, au fur et à mesure de leur émission.
On se mit donc à émettre de la monnaie de cuivre,
des sous, beaucoup de sous dont le métal n’offrait aucune valeur à la thésaurisation.
Faute de mieux, cette menue monnaie rendit des services, mais des services qui
avaient leurs limites. Dans un rapport du 17 novembre 1789, quatre mois
seulement après la prise de la Bastille, la Chambre de Commerce de Bordeaux
expose que l’on voit couramment régler des sommes de 50 ou 100 Livres en pièces
de un sol en cuivre, soit donc avec 1000 ou 2000 pièces, des kilos et des
kilos. ..
Avec
des fortunes diverses, cette situation paralysante pour le commerce perdura
jusqu’à l’apparition des assignats qui, eux, allaient ouvrir la porte à
bien d’autres problèmes.
Là-dessus,
survint la loi dite du maximum, fixant un prix pour chaque marchandise et qui
eut pour effet immédiat de couper court à tous les approvisionnements des
marchés traditionnels au grand bénéfice de marchés noirs qui s’instaurèrent
tout aussitôt, dans une clandestinité parallèle.
C’est
alors qui l’on vit se multiplier
-
les visites domiciliaires
-
les réquisitions
et autres contraintes de tous ordres.
Désormais
les transactions commerciales s’établirent beaucoup plus la nuit, au
fond des bois, en tous cas à l’abri des regards indiscrets, plutôt que sur
les places publiques de Saint Léger ou de Villandraut.
Une
autre fois peut-être.
C’est
un autre histoire qui s’amorce là, une toute autre histoire qui méritera
peut-être un jour d’être contée, en d’autres circonstances.
Jean
DARTIGOLLES.
Réalisée le 11 mai 2004 | André Cochet |
Mise ur le Web le mai 2004 |
Christian Flages |
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