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Les conférences du Ciron.

 

Le Sauternais  avant le Sauternes.

Genèse d’un terroir viticole (XIIIe-XVIIe siècles)

 

à Bommes, le 3 mai 2007.

Sandrine Lavaud.

Docteur en géographie historique de l’université de Bordeaux III. 
Maître de conférences en histoire à l’I.U.F.M. d’Aquitaine.

Sommaire:   

La vigne dans le Sauternais médiéval

: Naissance d’un terroir viticole 
Naissance d’un grand vin. 
Références bibliographiques.

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Les chiffres en bleu renvoient aux références bibliographiques.
Texte imprimable au format PDF. 11 pages.

Exalté aujourd’hui pour le nectar inégalable qu’il produit, le Sauternais est demeuré longtemps une terra incognita pour les historiens. 

Sans doute les vertus incontestables de son terroir et de son climat, chantées par nombre de connaisseurs, ont-elles fait oublier que le Sauternais n’avait pas toujours été une région viticole et que c’est bien aux hommes et à l’histoire qu’en revient la révélation. 

M’intéressant depuis plusieurs années au vignoble bordelais dans son premier âge d’or, c’est-à-dire, dans les derniers siècles du Moyen, du XIIIe au XVIe siècle, le Sauternais était demeuré pour moi une énigme, un espace encore à découvrir. Un récent travail sur la région viticole des Graves, de Bordeaux à Langon, que j’ai réalisé en collaboration avec le CERVIN, m’a amenée à m’interroger, plus précisément, sur la formation du vignoble de Sauternes; une formation dont j’ai pu mesurer l’originalité au regard de celle des autres zones viticoles du Bordelais.

Pour restituer la genèse de ce terroir, il m’a fallu dépasser mon cadre chronologique habituel et empiéter sur le temps des modernistes. Pour l’époque médiévale, les sources sont rares et émanent, pour la plupart, de la chancellerie anglaise. Ainsi, les premières mentions de vignes dans le Sauternais apparaissent dans les Recogniciones feodorum [1], ce livre d’hommages réalisé entre 1273 et 1275 par le roi-duc, Edouard Ier, ou dans le Gascon Register A [2]

Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que les archives deviennent abondantes et éclairent l’évolution du paysage. A l’exception de quelques fonds seigneuriaux, il s’agit principalement d’actes notariés dont l’apport est décisif pour saisir le vaste mouvement de concentration foncière qui a permis la création d’un vignoble digne de ce nom. 

Ces sources foncières de l’époque moderne ont pu être complétées par des documents relatifs au commerce tels le mémoire de Casanilles de 1640 ou la taxation de 1647 ou encore les privilèges de Barsac connus par une version de 1643. C’est à l’orée de cette seconde moitié du XVIIe siècle que s’arrête mon étude ; le cru de Sauternes et de Barsac est alors déjà renommé et commence à acquérir son caractère liquoreux si spécifique.

Cette période de l’histoire du Sauternais, déterminante dans l’affirmation de sa vocation viticole, n’a pas suscité, jusqu’alors, beaucoup d’écrits chez les historiens. J’ai cependant pu bénéficier de l’apport des travaux de V. Armand qui a réalisé, en 1998, un mémoire de maîtrise sur l’occupation du sol des Graves et du Sauternais de la Préhistoire à la fin du Moyen Age [3]

Pour l’époque moderne, l’étude déjà ancienne du Docteur Martin sur les crus de Barsac et de Langon offre toujours des pistes de recherche solides [4]. La thèse récente de Marguerite Figeac sur Yquem à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe apporte un regard neuf sur l’histoire exemplaire de ce fleuron du Sauternais [5]

Mon propos, qui se situe plus en amont, souhaite s’inscrire en complément de ce travail et offrir une mise en perspective sur la longue durée. Je citerai enfin l’étude de J.P. Rajchenbach sur la commune de Preignac [6] qui a orienté mon choix en matière de cadre géographique. 

En effet, plutôt que de m’intéresser au Sauternais dans sa globalité, j’ai pris le parti de centrer mes recherches sur une paroisse suffisamment représentative de cet espace. Celle de Preignac m’a semblé la plus appropriée. 

Au cœur du pays sauternais, bordée au nord-ouest par le Ciron et à l’est par la Garonne, sa diversité morphologique, pédologique et même climatique est assez symptomatique de l’hétérogénéité des terroirs du Sauternais . Son occupation humaine est ancienne et la vigne y est attestée dès l’Antiquité. 

On sait  par les écrits de Fortunat que l’archevêque Léonce II y possédait une villa  dont le poète chantait les vins. Au Moyen Age, Preignac fait partie de la prévôté royale de Barsac. Grâce aux défrichements, le finage s’est agrandi et la paroisse dispose d’un port actif : des conditions initiales qui ont été favorables à l’éclosion du vignoble. Celle-ci devient effective à la fin du XVIe siècle avec l’implantation massive de grands bourgeois bordelais, en mal de terres et de noblesse, au profil si typique. N’oublions pas que c’est à Preignac que les Sauvage, futurs seigneurs d’Yquem, ont commencé à bâtir leur fortune.

De cette paroisse aux structures très caractéristiques, j’ai souhaité étudier la mise en valeur et la naissance de sa vocation viticole du Moyen Age aux premiers siècles de l’époque moderne.

Comment s’est opérée la transformation du paysage ? Quels en ont été les acteurs ? Quelle a été leur stratégie foncière et commerciale ? En somme, comment naît un grand cru ?

Trois points seront successivement abordés; le premier portera sur l’occupation du sol et la mise en valeur à l’époque médiévale. En second lieu, j’envisagerai la formation du vignoble au XVIe siècle. J’évoquerai, enfin, la naissance de ce grand vin qu’est le sauternes.

Sommaire.

 

La vigne dans le Sauternais médiéval : 

une culture secondaire.

 

          Connu mondialement aujourd'hui pour son appellation, le Sauternais n'a pas encore inventé au Moyen Age son célèbre vignoble. Le terme même de Sauternais semble anachronique pour l'époque, le centre fédérateur de ce petit pays du sud du Cernès étant davantage Barsac. 

En effet, le bourg de Barsac est siège d'une prévôté royale attestée dès le début du XIIIe siècle. La juridiction de cette prévôté était à l'origine fort étendue; au XIVe siècle, elle s'étend encore sur les paroisses de Barsac, Preignac, Bommes, Sauternes, Pujols-sur-Ciron, Cérons, Villagrains, Saint-Selve et Saint-Morillon. 

Le roi-duc a concédé la gestion de cette juridiction à des prévôts recrutés parmi ses fidèles, notamment les seigneurs voisins. Ils sont chargés de prélever les revenus d'origines diverses et ont aussi des attributions judiciaires et militaires pour assurer la police du domaine. 

Leur présence fait de Barsac un petit centre administratif et participe au dynamisme de la bourgade dont l’aire d’attraction dépasse les paroisses voisines.

Terre du roi, la prévôté de Barsac comprend un important groupe d’hommes francs. Ces roturiers libres, étudiés par J.B. Marquette [7], sont placés sous la directe ducale et bénéficient, de ce fait, pour leurs personnes et pour leurs biens, d’une situation privilégiée. 

S'ils doivent à leur seigneur, fidélité, service militaire et gîte, ils jouissent de la protection directe du prévôt et les redevances auxquelles ils sont assujettis présentent les avantages d'être faibles et fixes. 

Les relations entre le roi-duc et ses hommes reposent essentiellement sur des bases réelles, les hommes francs tenant de lui des biens fonciers et des droits d’usage. Le roi-duc détient, en effet, dans la prévôté un domaine foncier important, accensé en grande partie, ou inféodé à des seigneurs. 

L’hommage de ces derniers à leur suzerain a été consigné dans les Recogniciones Feodorum. Pour le pays de Barsac et le Sauternais, ces seigneurs sont nombreux ; parmi eux, quelques figures de la noblesse locale : la famille de Fargues reconnaît tenir des biens à Sauternes, Bommes, Pujols et Barsac ; Galhard de Budos déclare des terres et des prés à Sauternes ; Raimond de Cérons à Barsac, Illats et Cérons. 

Le réseau des mouvances seigneuriales apparaît donc, à l'égal de celui de l'ensemble du Cernès, très complexe et imbriqué avec une multiplicité de seigneuries laïques, parfois petites, et le maintien d'alleux.

   

            Quel paysage présente ce petit pays au Moyen Age ? 

Les sources, on l’a dit, sont rares et fournissent souvent des données très incomplètes. Ainsi, le Gascon Register A n’apporte, à  notre propos, aucune information ; la seule mention de bien dont la nature est précisée signale des terres, des vignes et des prés dans la paroisse de Cérons [8]

Les Recogniciones feodorum ne sont guère plus explicites. L’historien se heurte à des formules laconiques du type « ce qu’il tient » ou « les biens » et peine à interpréter et à traduire statistiquement des données portant, parfois, sur plusieurs paroisses. 

Que penser, par exemple, de l’hommage de R. de Tastes, damoiseau de Barsac, pour les terres, les vignes, les agrières, les paduens qu’il tient du roi-duc à Barsac, Preignac et Illatz [9]

On le voit, l’imprécision domine et empêche une restitution détaillée du paysage. Certaines reconnaissances sont cependant plus éclairantes. Celle effectuée par une quarantaine d’hommes du roi, pour leurs biens majoritairement situés à Barsac, nous donne un aperçu de la paroisse[10]

Au total, 51 parcelles sont déclarées, 33 sont en terre, 10 en vigne, 8 en terre et vigne. Malgré la présence de vigne, les terres arables sont donc fortement prédominantes. Ce texte minore cependant l’importance des espaces incultes signalés, de façon récurrente, dans les autres reconnaissances où apparaissent couramment des saltus ou des padouens.

De cette première approche, émerge donc un paysage polycultural assez typique des pays du Cernès et, au delà, des régions rurales du Bordelais. La mise en valeur, amorcée dès l’Antiquité et amplifiée au Moyen Age, a repoussé les bois et les landes et a généré des îlots de culture consacrés principalement aux emblavures. 

La vigne n’est qu’une culture secondaire, implantée généralement au voisinage des hameaux. Consécutifs des défrichements médiévaux, ces derniers, appelés cornaus, ont organisé durablement le finage.

Carte de Preignac.

Plan cadastral de 1822
Clic sur l'image.

 C’est particulièrement le cas à Preignac où les douze hameaux ont constitué autant de quartiers autonomes (voir carte de Preignac selon le plan cadastral de 1822

Ils subsistent encore aujourd’hui et leurs formes ont peu évolué. Leur origine est souvent liée à l’existence d’un carrefour, tels les hameaux de La Garengue et de Lamothe implantés sur des gués du Ciron ou encore celui de Peyrebidane au carrefour du chemin Gallien. 

Dans l’ouest de la paroisse, la disposition parcellaire de certains d’entre eux ne laisse aucun doute sur leur formation ; ainsi, le hameau de Miselle qui présente encore une organisation des parcelles en arrête de poisson typique des défrichements du Moyen Age.

Quand les sources nous éclairent enfin nettement au début du XVIe siècle, le Sauternais n'a toujours rien de viticole. A Preignac, à la fin du XVe siècle et encore dans la première moitié du XVIe siècle, le paysage est largement dominé par les champs et les bois. 

Ainsi, les tenures qu'y accense Katherine de la Lande en 1489-1490 sont des terres ou des maynes et des hostaus [11]

Il en est de même des biens mouvants du prieur de Saint-Jacmes pour la période 1502-1530 [12]. Encore en 1560, dans le terrier [13] que fait dresser Pierre Sauvage, marchand et bourgeois de Bordeaux, seigneur de la maison noble du Sorbey, sur les 38 parcelles qu'il a accensées, 17 sont en terre, parfois (3) accompagnées d’un jardin, 10 sont en vigne dont 3 nouvelles et 11 en maynes et maisons. 

Malgré une progression de la vigne, la polyculture traditionnelle des pays de Cernès semble donc, à cette date, encore de mise en Sauternais. Les décennies qui suivent vont lui faire subir une mutation considérable.  

Sommaire.  

II 

Naissance d’un terroir viticole :

 

          C'est à l'époque moderne que le Sauternais trouve son individualité et affirme sa vocation viticole. Son développement est assez singulier ; les acteurs, les moyens tant juridiques que fonciers pour sa mise en valeur ne lui sont pas spécifiques mais la conjonction de ces facteurs appliqués à un terroir restreint sur un temps relativement court (moins d'un siècle) donne à la naissance de cette aire viticole un certaine originalité, sans réel équivalent en Bordelais. 

Reprenons l’exemple de Preignac pour en restituer les conditions.

De façon "classique", tout commence à la fin du Moyen Age et au début du XVIe siècle par la mainmise foncière de grands bourgeois bordelais qui acquièrent des biens dans Preignac, notamment des maisons nobles. 

Prenons le cas d'une des plus illustres de ces familles de parvenus, celle des Sauvage. 

C'est une vieille famille du Bordelais, connue pour avoir occupé, depuis le milieu du XIVe siècle, plusieurs charges au service du roi-duc. Dès cette époque, les Sauvage ont pris pied en Sauternais ; de fait, vers 1380, Pierre et Jean Sauvage ont été prévôts de Barsac. 

La première mention que nous ayons de leurs possessions à Preignac date de 1531; à cette date, Bernard Sauvage, marchand et bourgeois de Bordeaux fait reconnaissance au prieur Saint-James pour hostau e casau environnatz de muralhas (maison et jardin environnés de murs) à Armajan [14]. C'est ici que son fils Pierre Sauvage, vers 1560, acquiert une maison noble et devient seigneur d'Armajan et de la Motte. 

Ce marchand et bourgeois de Bordeaux, comme son père, était déjà seigneur de la Prade et de Sitran et de la maison noble du Sorbey à Barsac. Fort de ces acquisitions, Pierre peut prétendre à l'anoblissement; c'est chose faite en 1565.

S'il est le seul à porter le titre si convoité d'écuyer, les autres membres de sa famille, notamment son frère Jacques et ses sœurs, sont aussi possessionnés dans Preignac. Leurs biens sont souvent proches et l'entreprise et la stratégie de constitution d'un patrimoine sont familiales.

Les Sauvage ne sont pas un cas unique; à partir de la seconde moitié du XVIe, d'autres notables s'implantent dans la paroisse; on peut schématiquement les diviser en trois types : les familles les plus élevées socialement qui, tels les Sauvage, vivent noblement et passent de la marchandise aux offices ; citons pour Preignac, les Malle et les Suduiraut au début du XVIIe siècle. 

Ce sont les plus actives, les plus entreprenantes et aussi les plus connues; on sait l'héritage qu'elles ont laissé au Sauternais. 

Deuxième catégorie ; celle des marchands, de Bordeaux en majorité, mais aussi de Langon ou même de Preignac. Leur œuvre est plus modeste mais leur connaissance du marché du vin les a fait miser sur le Sauternais et a probablement influé sur la naissance de ce cru. 

Dernier type, celui des "coqs de village", c'est à dire des notables locaux qui forment une sorte d'aristocratie villageoise ; à Preignac, deux catégories apparaissent nettement : les notaires et les meuniers.

            A partir des décennies 1560-1570, dans un contexte économique favorable avec l'arrivée massive des Hollandais et des Hanséates sur le marché bordelais, on voit ces "entrepreneurs" procéder à l'acquisition massive de biens fonciers dans Preignac. 

Les modes d'appropriation du sol revêtent deux formes : une forme directe par achat de parcelles et un mode plus indirect par le biais du crédit. 

Dans le premier cas, l'acquéreur achète généralement des terres labourables à des habitants de Preignac. Ainsi, Pierre Sauvage a acquis de Arnault Pinsan en juin 1572, un lopin de terre avec les arbres devant à Lilet entre les deux Cirons [15]. Un an plus tard, sa veuve, Jehanne de Los, achète à Guilhem Pinsan une pièce de terre et un pré au même endroit [16]

Les Sauvage ont pu regrouper des parcelles grâce à ces achats ou encore par des échanges comme ceux effectués en 1571 par Pierre Sauvage pour des terres à la Palogue et au Tucon [17]

Autre exemples significatifs : celui du meunier du moulin de Lasalle, Bertrand Granet qui achète entre mai 1572 et mars 1573 trois parcelles de terre et de vigne à Vidaugras [18] ou encore de son confrère Jehanot Pascau, meunier du moulin de Sanchon, acquéreur, en 1568 et 1572, de deux terres complantées en vigne [19]

Le rythme de ces achats ne se dément pas durant le dernier tiers du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle et témoigne d'une volonté d'appropriation foncière au détriment des petits exploitants locaux.

Les maîtres du sol exploitent généralement ces parcelles récemment acquises en faire-valoir indirect. 

Ainsi, aux achats, succèdent couramment un bail concédant le bien à un preneur, souvent le vendeur. Au XVIe siècle, le type de bail le plus commun est le bail à fazendure. Sa généralisation est contemporaine du phénomène de concentration foncière en vue d’une culture plus spéculative. Il s’agit d’un bail à mi-fruit et de courte durée, généralement  trois à neuf ans renouvelables. 

Celui qu’effectue en 1601 Jacques Sauvage pour un domaine au lieu dit Mudadon à Preignac en fournit un exemple remarquable [20]

Le preneur, Jacques Bailhet, habitant de la paroisse, est tenu de faire résidence dans la maison et d'entretenir le four qui s'y trouve, de cultiver dans le jardin des choux, des oignons, de l'ail, des lentilles, des fraises, des coings et du safran. Jacques Sauvage prendra la moitié des produits du jardin. 

Pour la vigne, le preneur doit complanter et provigner aux lieux et places nécessaires; les vendanges sont à ses frais et il doit aller faire le vin à la grange et au pressoir dudit Sauvage, dans sa maison de Peyrotie à Preignac. 

Il doit payer la moitié de la nourriture et du salaire des hommes que Sauvage aura employés à écouler et à mettre le vin en barriques. Après que le vin soit fait, les parties partageront la gaspe (le marc) à moitié. Avec sa part, le preneur, après avoir fait du vinaigre, l'emploiera à faire du fumier pour les vignes. Des dispositions équivalentes sont envisagées pour l'ensemble des productions du domaine. 

Outre les informations très riches qu'il recèle, ce bail est un bel exemple de gestion attentive, si ce n'est sourcilleuse, pratiquée par ces rentiers du sol que sont les bailleurs. 

Le preneur, à l'inverse du tenancier qui a la libre disposition de ses biens, se trouve sous contrôle et dans une étroite dépendance envers son maître. A partir du XVIIe siècle, le bail à fazendure est progressivement remplacé par le métayage de forme et de procédure équivalentes.

L'autre mode d'acquisition suit des chemins plus détournés et procède par l'intermédiaire du crédit. 

Selon les mots de J. Jacquart, "la dette rurale est la plaie traditionnelle du monde paysan. (…) Elle atteint à l'époque moderne des proportions extrêmes et (…) entraîne un ample mouvement d'expropriation qui modifie profondément les équilibres" [21]

Le Sauternais n'est pas épargné et dans les registres de notaire de Preignac, les obligations ou reconnaissances de dette représentent l'acte le plus courant.

Cette pratique très répandue touche toutes les catégories de personnes, les marchands entre eux comme les paysans. Cependant, la majorité des créanciers sont généralement des notables et celle des endettés des gens de condition modeste. 

Ainsi, Pierre Sauvage a prêté de l'argent à plusieurs habitants de Preignac tant pour l'achat de parcelles que pour celui de semences, de bétail… Il en est de même de Arnaud Dabadie, marchand à Preignac, ou du meunier du moulin de la Motte, Jehan Gorsin. 

L'accumulation des dettes peut entraîner la saisie des biens du débiteur. Ainsi, en 1614, Arnaud de Malle, marchand et bourgeois de Bordeaux, fait la saisie des biens de Bernard de Minvielle, un jeune habitant de Preignac qui ne peut s'acquitter de ses dettes (141 livres 9 sous) et de celles que sa mère lui a laissées en mourant (529 livres 7 sous). 

Le système implacable du crédit, bien connu des historiens, conduit donc, trop souvent pour l'emprunteur, à l'aliénation, alors qu'à l'autre extrémité, les prêteurs sont généralement gagnants, en terme de capitalisation, de conquêtes foncières et de promotion sociale. Il conforte le mécanisme de transfert des biens de la paysannerie aux nantis.

Outre les obligations, on rencontre à Preignac un autre instrument de crédit : celui de la rente volante. Ce système est une variante des nombreuses rentes constituées en usage à l'époque. Il  permet d'assigner, pour un temps court, une rente perçue en nature. 

En Sauternais nous n'avons rencontré ce type d'actes que pour le vin mais il existe sous des formes similaires en Bordelais et dans d'autres régions pour des productions comme les céréales. 

Un paysan en mal de liquidités s'engage auprès d'un créditeur à lui verser, pour un an ou parfois pour trois, une quantité de vin -généralement une barrique- moyennant une somme d'argent. La somme peut être versée en partie ou en totalité dès la signature de l'acte alors que le vin ne sera livré qu'à la Saint-Michel ou après la vendange. 

Il s'agit donc d'une vente anticipée de récolte. On voit l'avantage pour le débiteur qui peut obtenir immédiatement des espèces mais accroît ses charges et se prive d'une partie de ses revenus à venir. 

Pour le créancier, généralement un marchand, l'intérêt est d'être fourni en vin, un vin qu'il contrôle en exigeant un produit de qualité. 16 rentes volantes  ont été recensées entre 1566 et 1573; prenons parmi elles quelques exemples significatifs. 

Le 5 août 1565, Johan de Pargin et Johanetta Pebayle, habitants de Preignac, s'engagent à verser à un marchand de la paroisse, Arnaud Dabadie, une rente volante consistant en une barrique de vin blanc fust vin et lie le boy neuf et de gauge, bon vin et marchand, ce, durant trois ans  et pour un total de 30 francs [22]

De cette somme, Arnaud Dabadie a déjà versé 15 francs 3 sous et 6 deniers, le reste ayant été versé auparavant en blé et argent. On le voit, la rente sert ici à éteindre des dettes et à offrir de nouvelles liquidités aux débiteurs. Le vin sera livré à la Saint-Michel à la maison de Dabadie à Preignac. Il représente pour l'acquéreur un approvisionnement sûr et acquis à moindre frais. 

Certains négociants vont plus loin; ils exigent un cru particulier tel Bernard de Hazera, marchand de Léogeatz, qui a assigné, pour 18 francs, une rente volante auprès de son serviteur George du Goga [23]. Ce dernier s'est engagé à verser une demi barrique de vin blanc du cru de la vigne qu'il détient à Sauternes près du chemin vers Langon. La vigne sert de garantie et peut être saisie au cas où le vin ne serait pas livré comme prévu à la Saint-Michel.

Comme l'ensemble du système de crédit, la rente volante renforce la main mise tant économique que foncière des notables sur la campagne. Elle met sous tutelle la paysannerie endettée. Elle la prive de la libre disposition de ses biens en imposant un type de production; ainsi, il semble évident, pour le Sauternais, que l'usage de cette rente a pu inciter les exploitants locaux à développer le vignoble.

Parmi les moyens de favoriser l'essor viticole, le bail à complant est un des plus anciens. Il a été couramment utilisé dans certaines régions comme la Catalogne dès l’époque carolingienne où il a accompagné les premiers défrichements. 

En Bordelais, son usage reste très rare au Moyen Age. A la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, il apparaît en Sauternais et permet la transformation de nombreuses terres en vigne. 

A Preignac, 12 baux à complant ont été recensés qui s'échelonnent entre 1568 et 1614. 

La procédure s'effectue comme suit : le bien-tenant d'une parcelle la baille, généralement pour cinq ans, à un preneur qui se charge de la planter en vigne. Au bout du terme, le fonds est partagé à moitié, chaque partie ayant pleine propriété -hormis la mouvance seigneuriale- sur le morceau de parcelle qui lui revient. 

La formule est donc attractive tant pour le bailleur que pour le preneur mais les termes de l'accord varient beaucoup d'un acte à l'autre. Les conditions peuvent être minimales ; ainsi, Andriu de Vegneric qui baille sa parcelle de terre labourable à Guilhem de Labrossa ne lui impose que de complanter en ceps une partie la première année, le reste l'année d'après, et de faire un fossé au bout du chemin [24]. Le preneur recevra tous les fruits pendant cinq ans et ne versera aucune redevance. 

Johan de Lamelongue, marchand de Langon, est plus exigeant envers les deux laboureurs qu'il a trouvés pour complanter ses deux pièces de terre à Mailhos [25]

Les preneurs sont tenus à plusieurs conditions : planter de bons plans, mettre du fumier aux provins, faire des fossés et les tenir fermés tous les ans, bâtir une chambre à leurs dépenses et prévenir deux jours avant les vendanges le bailleur qui enverra un homme pour prélever ses droits fixés à un quart de la récolte. Au bout de neuf ans, le fonds sera partagé à moitié. 

Dans tous les cas de figure, le preneur ne peut vendre sa part que si le bailleur est le premier refusant. Celui-ci est donc logiquement prioritaire pour redonner à la parcelle son intégralité. 

A Preignac, le bail à complant n'est que très rarement le fait des notables, à l'exception de l'acte précédemment cité avec le marchand de Langon et d'un bail effectué par Arnaud de Malle en 1614. Il est davantage l'apanage des petits; ainsi, la plupart des bailleurs n'affichent aucune qualité et semblent des exploitants de même rang que les preneurs. Sans doute le caractère égalitaire de ce bail qui ne lèse aucune des parties le rend attractif auprès de la paysannerie ; une paysannerie qui semble, durant cette période, trouver elle aussi intérêt à favoriser l'essor du vignoble au détriment des champs. 

Au total, l'ensemble de ces mutations ont bouleversé en profondeur le paysage du Sauternais : le paysage social avec l'emprise foncière des notables qui constituent progressivement de grands domaines, mais aussi le paysage naturel avec la progression remarquable de la vigne. 

Aux vastes espaces homogènes de champs a succédé, dès le début du XVIIe siècle, une mosaïque culturale au sein de laquelle les ceps ont opéré un véritable "grignotage". 

Peu de lieux-dits échappent désormais à leur présence. Cependant, à l'exception de quelques rares îlots, la vigne n'est jamais en monoculture et se trouve très souvent associée aux terres. Nombre de parcelles figurent ainsi sous l'appellation pièce de terre et vigne. La formule est obsolète et pose problème à l'historien; doit-il y voir deux cultures séparées ou, à l'inverse, associées ? 

Toutes les combinaisons sont possibles mais la seconde hypothèse est la plus probable et semble confirmer par l'apparition, dans le dernier tiers du XVIe siècle, du terme de joualle. 

A Preignac, la première mention de joualle que nous ayons inventoriée date de 1576 ; un habitant de la paroisse, Berthomeu Constant, baille à mi-fruit à Philip Chameu, natif du pays de Benauge, une pièce de terre labourable et vigne à un tenant, au lieu dit Casaus [26]

Le preneur est tenu de complanter (en vigne) les dix-huit règes de terre restants, à présent labourables, et le reste de la dite terre en joaulx, ce, dans le terme de deux ans. J.P. Rajchenbach souligne dans son T.E.R. sur Preignac combien les joualles représentent encore tardivement un système de culture très répandu [27]

Selon lui, la généralisation des vignes pleines ne s'effectue qu'au XIXe siècle avec l'accroissement de l'emprise foncière de la bourgeoise et l'affirmation de la vocation commerciale du vignoble. Pour l'heure, les terres à emblavures qui fournissent la base de l'alimentation sont encore une nécessité. Ainsi, le développement du vignoble n'empêche pas la polyculture traditionnelle de perdurer.  

Sommaire.

 

III 

Naissance d’un grand vin :

 

            Dans ces nouvelles vignes, quels cépages a-t-on plantés ? 

Les textes sont muets sur la question tant à l’époque médiévale que moderne.

La formule d’usage employée par les notaires est très laconique : de bon seme, c’est à dire, de bon cépage. Il est probable qu’au Moyen Age, l’encépagement, en vue de la production du clairet, ait été principalement en rouge, les mentions de vigne blanche étant très rares et réservées à des vignobles de qualité comme ceux de l’archevêque. 

En revanche, à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, ces mentions se multiplient dans les Graves du Sud et surtout dans le Sauternais où l’encépagement s’est fait principalement en blanc. 

Dans le cas particulier de Preignac, jamais le type de cépage, ni même le terme de vigne blanche n’apparaît dans les actes fonciers. Par contre, dès les années 1560-1570, la majeure partie des obligations, des rentes ou des redevances porte sur des vins blancs. Comme dans le reste du Sauternais, Preignac a donc fait le pari du blanc.

            La promotion de ce vin est à mettre en relation avec la pénétration économique des Hollandais, effective dès la seconde moitié du XVIe siècle, mais dont l’apogée se situe durant la guerre de Trente ans, après le traité d’alliance franco-hollandais de 1635. La viticulture bordelaise a dû se mettre au goût du jour et s’adapter à la demande des négociants flamands, grands amateurs de blancs. Ceux-ci sont donc produits en quantités croissantes, d’autant qu’ils sont propices à la distillation. 

Mais de quel type de vins blancs s’agit-il ? En Sauternais, jusqu’à l’apparition des premières vendanges tardives, rien n’atteste qu’ils soient doux. 

L’introduction des vendanges tardives a été un processus lent qui s’est heurté, dans son application, à la coutume et à des comportements bien établis. 

A l’époque médiévale et encore jusqu’à la fin du XVIe siècle, c’est au tenancier, une fois le ban des vendanges prononcé, de décider quand il débute la vendange.

Il est seulement tenu d’en prévenir son seigneur foncier, deux ou trois jours à l’avance, afin que ce dernier délègue un garde pour prélever l’agrière. 

Dès la première décennie du XVIIe siècle, un changement remarquable apparaît en Sauternais : rompant avec la coutume, les maîtres du sol veulent pouvoir choisir la date des vendanges. 

Ainsi, dans les deux baux à fazendure que réalise, en 1601-1602, Jacques Sauvage pour une métairie et des vignes à Preignac, les preneurs ne peuvent couper la vendange sans exprès commandement du bailleur [28]

Cinquante ans plus tard, la date de commencement des vendanges est devenue l'objet de rivalités entre les parties. Certains seigneurs ou bailleurs imposent des vendanges tardives ; une décision qui suscite la colère, voire la panique, chez les tenanciers. 

La première mention connue date du 10 octobre 1657 [29]

Dans une notification, Jean Douence, marchand de Barsac, adresse instamment une requête à son seigneur François Ramon de la Rocque : il demande la permission de vendanger sa pièce de vigne située à Carpentey dans la paroisse de Barsac car, dit-il, presque les trois quarts des vignes de Barsac sont vendangés (et) la vendange est tout pourrie

A quatre reprises, sa femme et sa fille sont venues réclamer l'autorisation que le seigneur leur a refusée. Le texte est éloquent ; il montre, d'une part, l'empressement et l'angoisse du tenancier qui craint de perdre toute sa récolte et, d'autre part, la ténacité du seigneur qui ne cède pas à la pression parce qu'il veut innover et obtenir un nouveau vin en risquant des vendanges tardives.

Tradition contre modernité; le changement ne semble avoir gagné qu'une partie du vignoble de Barsac, un quart selon le texte. Dix ans plus tard, c'est au tour de François de Sauvage, sieur d'Yquem, d'être en procès avec ses tenanciers [30]; comme précédemment, ces derniers lui reprochent de n'avoir pas donné la permission de vendanger les vignes qu'ils tiennent au devoir du quart et de la moitié des fruits. 

Ils pensent que c'est à dessain de faire périr la vendange. Sauvage s'en défend et dit avoir notable intérêt à faire du bon vin pour ne pas faire de tort à la réputation du vin. Il ne peut accorder son autorisation  que la vendange ne soit bien mûre, joinct que ses voizins qui ont des agrières, comme la dame de Suduiraut en a, ne font pas encore vendanger

Il rajoute qu'aucun de ses trente tenanciers n'a commencé car, en effaict, il n'est de coutume de vendanger annuellement à Bousmes et Sauternes que vers le quinze d'octobre

On le voit, si, chez les maîtres du sol, la pratique des vendanges tardives est désormais acquise, elle suscite toujours autant de réticences chez les petits exploitants et a dû faire figure de révolution dans le vignoble, encore jeune, du Sauternais. 

Ainsi, ce ne serait donc que dans la seconde moitié du XVIIe siècle que le sauternes prendrait son caractère moelleux et gagnerait progressivement en finesse avec l'adoption, au début du XVIIIe siècle, des vendanges à tries.

L'invention du sauternes doit être attribuée aux maîtres du sol qui, on l'a vu, ont su imposer de nouvelles techniques viticoles pour créer un bon vin, selon les mots de François de Sauvage. D'autres régions, comme celles de Sainte-Croix-du-Mont ou de Loupiac, semblent avoir connu une évolution identique. 

Le mémoire de Casanilles montre que l'influence des Hollandais a pu jouer ; selon le marchand bordelais, les Flamands arrêtent de prendre des vins de moindre cru et paysans, qu'ils ont à bon marché ordinairement à cause des nécessités où ils sont ; mais ils résolvent aussi de prendre de chaque contrée deux ou trois crus d'avec les personnes riches et les plus puissants et leur font promesse secrète de leur faire valoir trois ou quatre écus par tonneau plus que le prix courant (…) afin que ces personnes favorisent leurs courses et donnent loi aux autres achats qu'ils font dans la campagne [31]

Si la formulation demeure vague et ne s'applique pas spécifiquement au Sauternais, la stratégie des Hollandais et leur choix de s'appuyer sur quelques grands propriétaires pour développer un produit ont dû être aussi déterminants. C’est bien la qualité qui passe au premier plan et, avec elle, la notion de cru.

Dès la fin du Moyen Age, on voit certains seigneurs du Bordelais réclamer expressément à leurs tenanciers le vin du cru d’une vigne dûment spécifiée. 

Avec les mutations du vignoble au XVIe siècle, ces mentions de cru deviennent courantes dans les actes ; ainsi, à Preignac, dans les procédures de rentes volantes, telle celle engagée par Andriu Rector, notaire du lieu, pour une barrique de vin blanc, bon et marchand, du cru de la vigne du preneur à Barsac [32] ; ainsi encore, dans les baux à fazendure, comme celui effectué par un marchand de Preignac, Pierre de Lalugue, pour une pièce de terre complantée en vigne à Sauternes, dont il retire une barrique de vin du cru de la vigne [33]; ainsi enfin, dans le livre de raison de Jacques Demalle, l'envoi à Rotterdam du vin de son creu de Preignac [34]

L'intérêt porté au terroir qui a produit le vin s'accentue donc. 

Parallèlement, il semble que les contemporains accordent davantage d'attention à la qualité du vin. Plusieurs indices en témoignent. C'est, par exemple, la volonté de surveiller la vinification. 

Le meunier du moulin de Sanchon à Preignac, acheteur d'une barrique de vin blanc, demande à être présent lors de l'écoulage [35]. Un an auparavant, il avait réclamé d'assister à l'emplissage d'une barrique de vin qu'il avait commandée [36]

Un conflit entre deux habitants de Barsac est plus éclairant encore [37]. Vers la fin du mois d'août 1656, Arnaud Pascau, ayant besoin de vin pour la fête de Saint-Vincent qui se solempnize dans cette paroisse comme patron d'icelle, s'est adressé à un marchand du lieu, Jean Albert. Celui-ci vendait du blanc en taverne qu'il avait acheté au sieur Deyquem (Yquem) au prix de dix sous le pot. 

Pascau l'a prié de lui en donner un tiers en échange d'une barrique de nouveau qu'il recueillerait aux vendanges, Albert fournissant le fût. Les deux parties s'accordent mais, après les vendanges, les choses s'enveniment. Albert a bien porté une barrique neuve chez Pascau et, quelques jours après, y est retourné, y a gousté , agréé et marqué une barrique de vin blancq qui estoit parmi beaucoup d'autres dans le chay

Seulement, Pascau ne lui a jamais porté la barrique choisie et Albert réclame son dû en nature ou au prix de dix sous le pot. Le texte est riche en données variées ; pour notre propos, il témoigne des capacités de reconnaissance d'un vin, en l'occurrence, très probablement, un (pré)sauternes, précisément sélectionné parmi d'autres productions.

La rédaction des privilèges de Barsac, effectuée en 1613 mais connue par un acte de 1643 [38], confirme cette prise de conscience de la notion de cru et de la hiérarchie qu'elle induit. Elle a lieu dans un contexte de pleine croissance du vignoble local. Ces privilèges ont pour objet principal de réguler et protéger la vente des vins de la prévôté. 

On prévoit, par exemple, d'interdire tout achat de vin en dehors, tant que le vin du creu des paroisses d'icelle n'a pas été vendu. La raison énoncée est que, au temps des vendanges, les marchans achaptent des vins des lieux circonvoisins de la prévosté à vil prix, comme estans de beaucoup moindre valeur que les vins recuilhis en la prévosté et font porter et enchayer lesdicts vins en paroisses d'icelle, faisant accroire aux marchans étrangers, lesdits estre du creu de ladite prévosté et le vendent au prix du propre vin recuilhy en icelle, frustrant par ce moyen lesdits marchans étrangers et descriants lesdits vins recuilhis dans la prévosté au grand détriment et ryune des habitants d'icelle

Il s'agit donc de protéger le cru local et d'empêcher que sa réputation et sa valeur ne soient perturbées par la concurrence de vins de moindre renommée.

On remarquera que cette recherche de la qualité est dictée par les marchands étrangers. C'est bien la loi du marché qui a suscité la hiérarchisation de la production et l'affirmation des crus. 

La taxation de 1647, ce premier classement réalisé fin octobre en présence des négociants flamands et anglais, entérine cet état de fait : les vins blancs de Langon, Bommes et Sauternes y sont en seconde position après les vins de palu et atteignent un bon prix, entre 84 et 105 livres. 

A leur suite, ceux de Barsac, Preignac, Pujols-sur-Ciron et Fargues vont de 84 à 100 livres. Quelle meilleure preuve de réussite ? 

En faisant le pari de « l’avènement de la qualité » selon les mots de H. Enjalbert [39], le Sauternais a pu montrer la voie à suivre pour faire un grand vin.

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Références bibliographiques :

 

[1] BEMONT (Ch.), Recogniciones feodorum in Aquitania, Paris, 1914.

[2] Gascon Register A (series of 1318-1319) du British Museum (Cottinian ms. Julius EI), édité par G.P. CUTTINO, 1975, t.I et II.

[3] ARMAND (V.), L’occupation du sol et la mise en place du peuplement dans les Graves et le Sauternais de la Préhistoire à la fin du Moyen Age, T.E.R. sous la dir. du professeur J.B. Marquette, université de Bordeaux III, 1998.

[4] MARTIN (D r. G.), « Les limites historiques de la région des Graves » , Revue historique de Bordeaux, 1914.

ID., « Le cru de Barsac », « Le cru de Langon »,  Revue historique de Bordeaux, 1915.

ID., « Les vendanges à la manière de Bommes et de Sauternes », Revue historique de Bordeaux, 1916.

[5] FIGEAC (M.), Les Lur Saluces d’Yquem de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, Mollat, Fédération historique du Sud-Ouest, 2000.

ID., « Yquem ou la naissance d’un grand cru du Bordelais », Annales du Midi, t. 112, n°31, juil-sept 2000, p.331 à  350.

[6] RAJCHENBACH (J.P.), Preignac, commune du Sauternais, T.E.R. sous la dir. de A. Huetz de Lemps, université de Bordeaux III, janvier 1971.

[7] MARQUETTE (J.B.), « Hommes libres et hommes francs du roi en Bordelais et Bazadais au XIIIe siècle », dans Sociétés et groupes sociaux en Aquitaine et en Angleterre, Actes du colloque franco-britannique de Bordeaux, 1979 , p 19-55.

[8] G.R.A., acte n°13 (18), p.112. Reconnaissance de Petrus de Canta Merle.

[9]  R.F., n° 564, 24 mars 1274, p. 260.

[10] R.F., n° 636, 22 mars 1274, p. 287.

[11] A.D.33, E Terrier 334, f° 27 et 31, 2 août 1489 et 21 décembre 1490.

[12] A.D.33, H 2453, 15 septembre 1502 et 4 mars 1531.

[13] A.D.33, E Terrier 560, 1560-1561.

[14] A.D.33, H 2453, 4 mars 1534.

[15] A.D.33, 3E 6072, 9 juin 1572.

[16] A.D.33, 3E 6072, 20 octobre 1573.

[17] A.D.33, 3E 6072, f°60 et 64, 10 juin 1571.

[18] A.D.33, 3E 6072, 15 mars 1572, 26 décembre 1572 et 28 mars 1573.

[19] A.D.33, 3E 6072, 23 décembre 1568, 13 février 1572.

[20] A.D.33, 3 E 6076 B, f° 65, 14 novembre 1601.

[21] JACQUART (J.), "L'endettement paysan et le crédit dans les campagnes de la France moderne", Endettement paysan et crédit rural dans l'Europe médiévale et moderne, colloque de Flaran, septembre 1995, Presses universitaires du Mirail, 1998, p.283.

[22] A.D.33, 3E 6071, f° 16, 5 août 1565.

[23] A.D.33, 3E 6071, 28 juin 1565.

[24] A.D.33, 3 E 6072, f° 103, 4 novembre 1571.

[25] A.D. 33, 3 E 6076, f° 66, 7 septembre 1602.

[26] A.D.33, 3 E 6072, 30 janvier 1576.

[27] RAJCHENBACH (M.), Preignac, commune du Sauternais, T.E.R. de géographie de l'université de Bordeaux III, janvier 1971, p. 44. Selon l'auteur, il subsiste en 1908 à Preignac, une centaine d'hectares de culture en joualle.

[28] A.D.33, 3 E 6076B, f° 27 et 65, 14 novembre 1601 et 17 mars 1602.

[29] A.D.33, 3 E 6092, f° 39, 10 octobre 1657.

[30] A.D.33, 3 E 6096, 4 octobre 1666.

[31] Cité par ENJALBERT (H.), "La naissance des grands vins…", Géographie historique des vignobles, op. cit., p. 64.

[32] A.D.33, 3 E 6072, f° 69, 17 juin 1571.

[33] A.D.33, 3 E 6071, 13 février 1569.

[34] Archives historiques de la Gironde, t. 35, art. n°75, p. 243, Extrait du livre de raison de Jacques Demalle, 1643-1653.

[35] A.D.33, 3 E 6072, 3 mai 1573.

[36] A.D.33, 3 E 6072, 5 juin 1572.

[37] A.D.33, 3 E 6092, f° 39, 30 décembre 1656.

[38] Archives historiques de la Gironde, t. 24, art. n° XVIII, 26 juin 1643, p. 58 à 66.

[39] ENJALBERT (H.), "La naissance des grands vins et la formation du vignoble moderne de Bordeaux : 1647-1767", Géographie historique des vignobles, t. 1, Vignobles français, Actes du colloque de Bordeaux, octobre 1977, éd. du C.N.R.S., Paris, 1978.

 

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Réalisée le 7 mai 2007  André Cochet
Mise sur le Web le      mai 2007

Christian Flages

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