Les conférences du Ciron. |
Quelques anecdotes sur le Château et la famille de Budos.
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à Budos, le 2 juin 2007. |
Jean DARTIGOLLES. |
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Ainsi
qu'il en avait été convenu, cette rencontre ne revêtira pas le caractère
formel d'une conférence, mais bien plutôt celui d'un libre propos familier. Il
n'aura d'autre ambition que de vous conter quelques anecdotes choisies parmi
les plus significatives d'une très longue histoire. Cette histoire commence, disons, sérieusement, à partir de la fin du 13ème siècle. L'identité
du nom entre la famille et la paroisse montre bien d'une façon absolument évidente
que ce sont des gens qui sont implantés ici depuis très, très longtemps. C'était
donc une famille noble mais de petite et modeste noblesse. Le premier document dont nous disposons, extrêmement succinct, date de 1185. Il évoque un certain Bernard de Budos que l'on retrouve sur une liste des Chanoines de la Collégiale de Saint Seurin à Bordeaux. |
Qui sont ces Budos ? |
Qui sont les Got ? |
Les Budos rêvent d'un vrai château. |
La fulgurante ascension de Bertrand de Got. |
Une grosse surprise. |
Une grande surprise encore … |
Le coup de théâtre. |
Raymond Guillaume de Budos devient le neveu du pape. |
La carrière de Raymond Guillaume. |
Le siège du château en 1421. |
Budos l'irréductible village gaulois. |
L'expédition se prépare. |
Le siège du château. |
La famille de La Roque Budos au temps de la Fronde. |
La situation de la région pendant la Fronde. |
Attaque et contre attaque. |
Le rythme de vie des Laroque Budos. |
Des Seigneurs toujours à court d'argent. |
Un retour fracassant. |
Les dernières années et encore des problèmes d'argent. |
Il
s'agit là, très certainement d'un cadet de famille car l'aîné, tout
naturellement, héritait de son père et de la seigneurie tandis que les
garçons cadets s'orientaient vers deux branches possibles, soit le métier
des armes, soit le métier d'Eglise. Ici
c'est un cas typique, ce Bernard là était dans l'Eglise, il était
certainement l'un des cadets de la famille Budos. Il
faut attendre presque un siècle de plus pour trouver un second document qui
date de 1273, un peu plus précis celui-là, c'est Géraud de Budos qui, lui,
est Seigneur et qui prête serment d'allégeance à son suzerain le Roi
d'Angleterre. Ensuite
on trouve un Pierre sur lequel on n'a pas trop de renseignements, et qui
semble bien être un fils de ce Géraud et enfin c'est à partir de Guillaume
Raymond que l'on entre vraiment dans l'histoire, Guillaume Raymond qui a vécu
de 1240 à 1280 à peu près, c'est-à-dire, en gros sous le règne de Saint
Louis. De
lui nous savons plusieurs choses et en particulier qu'il s'est marié avec
Jeanne de GOT qui était la fille de Béraud de GOT et de Ida de BLANQUEFORT,
lequel Béraud était seigneur de
Villandraut et d'Uzeste. Il avait deux seigneuries. Et ce mariage va revêtir tout à l'heure une importance tout à fait capitale. Qui sont ces Budos ? Eh
bien il faut que vous abandonniez tout de suite les images télévisuelles que
vous avez pu cueillir sur le petit écran ; de ces chevaliers chamarrés avec
des armures étincelantes, avec des brocards, des soierie, etc., etc., laissez
cela aux Rois Maudits, cela se passait à la Cour. Je
ne dis pas que cela n'a pas existé mais cela ne se passait pas à Budos en
tout cas. Les
conditions de vie étaient beaucoup plus modestes, c'était des gens qui
avaient pour toute défense des cotes de mailles, un armement assez
rudimentaire, et surtout, surtout qui n'avaient pas de château, ceci est le
premier point. Ils
avaient ce que l'on appelait à l'époque, une maison forte. Une
maison forte c'était quelque chose de très rustique, elle était même généralement
construite en bois avec pour défense des palissades, des pieux très effilés,
entourés de quelques fossés, mais ne voyez rien de grandiose là dedans. Cette
maison forte à un certain moment, et c'est imprécis, car on n'a pas de
texte, a du se situer au Castéra dont le nom évoque, un petit château, et
qui est sur la pente de Budos en direction du Ciron en partant du Bourg. Elle
a pu émigrer vers le lieu actuel du château mais à une période indéterminée,
je vous ai dit que c'était vraiment très flou. L'histoire des débuts ne
nous permet pas d'être très disert là dessus. Donc
des conditions de vie modeste. S'il y avait un fossé sociologique considérable
et absolument indéniable entre les nobles d'une part et les serfs du pays qui
vivaient dans des cabanes réparties sur l'ensemble de la paroisse, ne vous
faites pas trop d'illusions sur
les différences de condition de vie qu'il pouvait y avoir entre eux. Ces
conditions étaient rustiques, aussi bien pour le seigneur que pour les serfs. Dites
vous bien que quand il faisait froid, il faisait froid pour tout le monde
parce que l'on ne savait pas davantage chauffer la maison forte que chauffer
la cabane du serf. Quand
ils étaient malades, une épidémie se trouvant de passer par là, et
Dieu sait s'il en est passé, on était aussi désarmé pour soigner le
seigneur que pour soigner le serf. Et
même j'irai plus loin, lorsque la récolte était mauvaise et qu'une disette
s'annonçait, on ne faisait certainement pas bombance à la table du seigneur,
car le commerce des grains était très limité compte tenu des moyens de
transport de l'époque. Les
marchés, je ne dirais pas qu'ils étaient inexistants, mais ils étaient très
modestes, et très certainement, comme le seigneur vivait lui aussi des
produits de la terre, si la récolte était mauvaise pour les uns, elle était
aussi mauvaise pour les autres. Donc voyez-vous, du point de vue, sociologique, il n'y avait aucune question, le seigneur était le noble et la piétaille était le serf dans la campagne, mais les conditions de vie étaient très, très rustiques.
Ces gens là n'avaient pas des moyens financiers très considérables mais ils arrivaient quand même à avoir quelque argent devant eux. A l'époque on n'achetait pas des actions de St Gobain ou d'Alcatel, on plaçait cet argent dans de la terre. C'est
comme cela que l'on voit la famille de Budos possédant des terres à Saint Médard
d'Eyran, à Hostens et à Lassats, qui est une paroisse aujourd'hui disparue
et qui était située à peu près à mi-chemin entre Landiras et Guillos. Ces
gens là avaient donc une petite aisance par rapport à ceux qui les
entouraient mais encore une fois n'avaient pas une situation de fortune qui
attire vraiment l'attention. Ils
avaient une ambition, une ambition dévorante, absolument dévorante, ils ne
pensaient qu'à cela, c'était obsessionnel, c'était de se faire construire
un château. Un
vrai seigneur pour en imposer à son voisinage, pour en imposer à ceux qui
pourraient se montrer rivaux, avaient besoin d'un château, or les Budos n'en
avaient pas, ils en étaient au stade de la maison forte, si bien qu'à deux
reprises dans sa vie, Guillaume Raymond à pris contact avec son suzerain le
Roi d'Angleterre et lui a demandé l'autorisation de construire un château. Par
deux fois cette autorisation lui a été refusée. Le
Roi d'Angleterre ne nous a pas laissé ses mémoires mais on peut s'imaginer
facilement pourquoi. Vu de Londres on ne tenait pas tellement à avoir, perdu
dans la campagne, un petit noble remuant, incontrôlable, un électron libre
un peu pillard aussi, nous le verrons tout à l'heure. Ces
gens là, qui pouvaient être des éléments perturbateurs à l'intérieur de
la province, il ne convenait pas qu'ils aient des points d'appui trop forts. Par
deux fois on refuse sa demande.
Qui sont
les Got ?
Les
Got de leur côté, c'était un peu la même chose mais à un niveau un peu
supérieur. Un peu supérieur d'abord parce qu'ils avaient deux seigneuries ce
qui à vrai dire ne signifiait peut être pas grand chose parce que la
seigneurie de Budos était essentiellement orientée vers le vin qui
donnait des revenus assez intéressants alors que Villandraut et Uzeste
produisaient uniquement de la résine
et du bois. De
ce côté là, peut-être une situation de fortune un peu plus élevée mais
aussi une situation sociale plus conséquente. Il
ne faut pas oublier que le frère de Béraud, le seigneur en titre, était évêque
d'Agen ce qui donnait une notoriété à la famille, une notoriété que les
Budos n'avaient pas. Les
Got avaient peut-être une fortune plus grande mais ils portaient la charge de
11 enfants, ils avaient 4 garçons et 7 filles. Des
garçons passe encore, l'aîné succède au père sans problème, et je vous
l'ai dit tout à l'heure, on orientait les cadets en direction soit des armes,
soit de l'Eglise. Chez
les Got, deux s'orientent vers l'Eglise,
Gaillard et Bertrand. Mais le problème, c'était les filles, parce que
les filles il fallait les doter. A
certains moments de l'histoire on a eu quelques idées. Des filles, on en
marie deux ou trois et on met les
autres au couvent ; seulement à l'époque il n'y avait pas de couvent qui
accepte une fille noble sans que le père fournisse une dot pour la communauté. Alors
donner une dot à un beau-père ou donner une dot à une Mère Abbesse cela
revient strictement au même. Il fallait 7 dots. Fournir
7 dots sans pour autant obérer la situation générale de la seigneurie pour
laisser au successeur quelque chose de viable en main, cela limitait singulièrement
les prétentions matrimoniales de cette famille. Si
bien que ces 7 filles, ils les ont mariées à leurs petits voisins, Budos par
exemple, une autre à Fargues, à Castelnau, etc. Ces
7 filles présentent un éventail de prénoms féminins tout à fait
remarquable dans lequel vous pouvez puiser à l'occasion pour vos familles si
vous en avez besoin. Ecoutez
bien, faites bien attention parce que dans la mesure où il y aurait tout à
l'heure une interrogation écrite à la suite de cet entretien cela pourrait
fort bien être une question de cours. La
première et dans l'ordre s'appelait Asarice, puis Congie, Gaillarde, Agnès,
Marquise, Jeanne, celle qui s'est mariée à Budos et Vitale.
Les Budos rêvent d'un vrai château. Guillaume
Raymond et Jeanne de Got ont un fils, Raymond Guillaume. Raymond Guillaume,
qui lui aussi, portait l'ambition de cette famille, depuis plus d'un siècle,
celle de construire un château. Il
reprend contact, dès la mort de son père, avec le Roi Edouard d'Angleterre
qui lui refuse une fois encore la construction de cet édifice pour les
raisons que je vous ai expliquées tout à l'heure. Raymond
Guillaume a alors une idée. Il y a un lien de vassalité entre le Roi
d'Angleterre et le Roi de France au titre du duché d'Aquitaine, un lien de
vassalité qui existe en fait mais qui est très, très théorique et, du
point de vue politique, ne signifie pas grand chose, pour ne pas dire rien du
tout. Mais
Raymond Guillaume se dit qu'après tout, ce que le Vassal lui a refusé, il
peut peut-être l'obtenir s'adressant au Suzerain, le Roi de France, qui a l'époque
était Philippe Le Bel. Il
lui demande en tant que Suzerain l'autorisation de construire un château, et
dans un arrêt du Parlement de Paris du 27 mars 1302, pour les mêmes raisons,
le Roi de France peu soucieux de voir construire un point d'appui pour une
famille probablement quelque peu turbulente, refuse à son tour cette
construction Voilà
une situation tout à fait banale dans l'organisation féodale de cette fin du
13ème siècle et tout d'un coup tout cela va basculer, basculer
d'une façon absolument ahurissante, imprévisible, un basculement totalement
inimaginable. Bertrand,
l'un des fils de Béraud de Got, frère de Jeanne, va devenir Pape sous le nom
de Clément V.
La fulgurante ascensiondeBertrand de Got. C'est
une affaire stupéfiante qui s'est déroulée en 3 étapes. C'est de la grande
Histoire avec un H majuscule. Elle a eu une telle importance sur la vie de la
famille de Budos et sur la construction du Château qu'il faut vraiment vous
la conter. Mais
elle est tellement complexe que nous allons seulement la survoler, c'est une
vue d'hélicoptère, nous n'allons pas rentrer dans le détail cela nous mènerait
vraiment trop loin. Que
se passait-il à ce moment là ? L'Eglise
était dans un désordre absolument indescriptible, je rappelle que de 1264 à
1304, en 40 ans il y a eu 13
papes, ce qui donne des pontificats très brefs. C'était la pagaille, une
pagaille qui était d'ailleurs soigneusement entretenue par les grands de ce
monde, les Rois et Empereur. C'est
dans ce contexte que Bertrand, fils du seigneur de Got à Villandraut, fait
ses toutes premières études, apprendre à lire et à écrire quelque part à
Villandraut ou à Uzeste, on ne sait pas. Lorsqu'il
a terminé son cycle scolaire correspondant à ce que nous appelons le
primaire, le voilà qui va faire ses études, que nous appellerions
secondaires dans un petit monastère situé près d'Agen. Ce
n'est pas un hasard, s'il va à Agen. Je vous ai dit tout à l'heure que son
oncle était évêque d'Agen. Son frère Gaillard qui est un cadet également
mais un peu plus âgé que lui et qui a une vingtaine d'années
est déjà vicaire général de cet évêque, c'est vous dire que dans
la famille de Got on avait le sens de la famille et que l'on savait placer les
gens dans les affaires, ce que l'on va voir également tout à l'heure. Il
fait ses études secondaires et quand il a obtenu ce que nous nous
appellerions le baccalauréat,
il part faire ses études supérieures à l'université de Bologne. Bologne
qui a l'époque à une très grande réputation dans tout l'ouest de l'Europe
pour l'étude du droit. Bologne
en ce moment là est une ville extrêmement turbulente, il y a dans les 4.000
étudiants pour 4.000 habitants dans la ville. Ce sont les étudiants qui font
la Loi, ils ont carrément balayé la municipalité , on s'égorge à tous les
coins de rue, ce sont des gens extrêmement remuants. Dans
ce contexte, Bertrand est un étudiant sérieux qui n'étripe personne et il
se fait remarquer par Benoît Cajétan qui est l'un des maîtres qui
enseignent à l'Université. Ceci va avoir beaucoup d'importance pour la
suite. Lorsqu’il
a obtenu ce que nous appellerions actuellement la maîtrise ou la licence il
revient en France pour poursuivre ses études à l’école de droit d’Orléans
Ce n’est pas encore une université, cela va le devenir dans les années qui
viennent. Cette
école de droit a une spécialité, spécialité bien connue dans tout
l’occident chrétien, c’est l’art et la manière de rédiger les
contrats, les actes. Ils le font avec une finesse telle qu’ensuite les
litiges qui peuvent sortir sont extrêmement mineurs voire inexistants, on
appelle cela en latin à l’époque, l’art ou le style Orléanais. Donc
il va se parfaire là dedans et en même temps termine ses études et acquiert
son grade de docteur en droit. Le voilà donc, ses études terminées,
disponible, et il revient sur Bordeaux où
il va poser sa candidature pour entrer comme chanoine au Chapitre de la
cathédrale Saint André. N'y
entre pas qui veut. Suivant les années j’ai vu que cela avait un peu varié.
Ils sont 24, 25 ou 26. Ils se recrutent par cooptation, il faut donc qu’il y
en ait un qui disparaisse pour que l’on en élise un autre. Ce
Chapitre de chanoines est très riche et en particulier de revenus viticoles.
Il a d’abord des vignes à lui, et puis il perçoit
en outre des dîmes sur les vignes situées hors les murs de notre côté
de Bordeaux. Vous
avez là un grand vignoble qui se situe entre ce que nous appelons
actuellement la rue Saint Genès et le cours de l’Argonne. Ils ont construit
des bâtiments agricoles, des pressoirs où les paysans du coin sont obligés
d’aller presser la vendange. Ils
perçoivent leur dîme là-dessus. Ces pressoirs se situaient, pour ceux qui
connaissent bien Bordeaux, rue des Treuils, (en gascon un pressoir c’est un
treuil), rue des Treuils qui prend, à quelques mètres près, devant le Collège
Saint Genès et longe le grand séminaire.
Le nom vient de là. Donc
ce Chapitre était riche, et pour y entrer, il y avait beaucoup de candidats
et peu d’élus. Mais Bertrand a 2 cordes a son arc. D’abord il est noble,
et un certain nombre de ces chanoines, fils de famille comme je l’ai dit
tout à l’heure, sont nobles eux aussi. Et
au surplus il est docteur en droit, et sort de l’école d’Orléans, si
bien que dans un Chapitre qui a des affaires à gérer cela peut toujours être
précieux que d’avoir quelqu’un qui, très informé du droit, va pouvoir
vous démêler un certain nombre d’affaires. C’est
comme cela que Bertrand entre comme chanoine au Chapitre de la cathédrale
Saint André à Bordeaux. A
partir de là on pouvait penser que sa carrière, sa vie était tracée comme
un long fleuve tranquille, qu’il allait célébrer des cérémonies
pontificales, et qu’il allait assurer les services de la cathédrale avec
ses collègues jusqu’à la fin de sa vie, avec pour ambition vers la fin de
celle-ci de devenir adjoint au doyen du Chapitre, voire même peut-être doyen
du Chapitre, mais enfin guère plus. Or
voilà que survient un premier événement, vraiment surprenant, qui va
amorcer la pompe si je peux dire, pour la suite.
Une grosse surprise. Figurez-vous
que fin janvier 1286 l’évêque de Saint Bertrand de Comminges était mort
et dans la panique générale qui régnait dans l’Eglise deux assemblées
avaient désigné deux candidats différents à sa succession. Il
faut que je vous précise qu’à l’époque, évêques et archevêques étaient
désignés par les autorités religieuses locales et présentés en
candidature au Pape, lequel donnait son accord. Généralement
il avalisait la désignation et consacrait l’évêque ; je suppose que dans
les caves du Vatican actuellement il doit y avoir un gros ordinateur sur
lequel le curriculum vitae de tous les cardinaux, archevêques, évêques du
monde entier doit se trouver et en pressant un bouton on doit pouvoir savoir
qui ils sont et connaître tout le monde en un instant. A
l’époque, il fallait plusieurs mois pour aller de Bordeaux à Rome, le pape
ne pouvait absolument pas être au courant de ceux qui étaient aptes à ceci
ou aptes à cela et c’est pour cela que ce système, qui venait d’ailleurs
depuis l’Eglise primitive, se fondait sur l’élection sur place et sur la
présentation du candidat. Donc
à Saint Bertrand de Comminges au moment du décès de l’évêque deux
assemblées avaient désigné deux candidats différents. Pendant
neuf ans ces deux candidats vont s’affronter. Ils vont s’affronter, chacun
s’estimant légitime, et ils vont s’assigner devant les tribunaux ecclésiastiques
avec des enquêtes, des contre enquêtes, des expertises et tout ce que vous
voudrez. Cela
finit devant le Parlement de Toulouse. Or
voilà que soudain, Benoît Cajétan dont je vous ai parlé tout à l’heure,
le professeur de Bertrand devient Pape sous le nom de Boniface VIII. Moins
de 3 mois après son élection au Pontificat il a vent de cette histoire désastreuse.
Il renvoie les deux candidats dos à dos à leurs chères études, prend
Bertrand par la peau du cou et le met sur le siège de l’évêché de
Comminges, se souvenant ainsi de l’étudiant studieux qu’il avait repéré
à Bologne quelques années auparavant. C’est
comme cela qu’à la surprise générale, (il était l’un des derniers
rentrés dans le Chapitre de Saint André) ses collègues le voient partir évêque,
ceci se passait le 28 mars 1295. Le Pape n’avait consulté personne, il
avait agit « motu proprio » comme on dit en droit canon. Bertrand
prend les affaires en main, remet les choses à leur place et surtout les
gens. Tout le monde est en place et ça marche. Il relance le diocèse, il y a
de l’ordre, tout baigne à la satisfaction générale.
Une grande surprise encore … Le
temps passe et voilà que 5 ans plus tard l’Archevêque de Bordeaux vient à
décéder. Les Chapitres de Saint André, Saint Seurin, etc., se réunissent désignent
un successeur et le présentent au Pape Boniface VIII comme je vous l’ai
expliqué tout à l’heure. Au
lieu d’entériner ce choix comme il le faisait toujours, le Pape le récuse,
il n’en veut pas et de nouveau à ce moment là, il reprend Bertrand par la
peau du cou à Saint Bertrand de Comminges et l’assoit sur le siège d’Archevêque
à Bordeaux. Voyez
d’ici la surprise des chanoines de Bordeaux qui voyaient leur jeune collègue
revenir comme grand patron du diocèse, ceci se passait le 23 décembre 1299. A
36 ans Bertrand est Archevêque de Bordeaux, cela c’est la seconde étape.La
troisième est autrement époustouflante.
Le coup de théâtre.
En
juillet 1304 le Pape vient à mourir, ce n’est pas Boniface, il était déjà
mort, je vous ai dit que les Papes se succédaient à une vitesse considérable,
c’est Grégoire XI son successeur qui n’a régné qu’un ou deux ans. Le
Pape vient donc à mourir, le conclave se réunit pour élire un successeur. Au
conclave, actuellement je crois qu’il y a 154 cardinaux dans le monde dont
105 seulement ont le droit de vote puisque au delà de 80 ans ils ne votent
plus. A l’époque on votait jusqu’à la fin de sa vie. Mais
l'effectif était beaucoup plus modeste. Il y avait 15 cardinaux en tout et
pour tout dans l’Eglise. Pour élire un Pape il faut une majorité des deux
tiers, donc il fallait 10 voix. Tout
de suite on s’aperçoit que ce conclave se divise entre deux partis qui
s’affrontent. Il y a le parti des italiens d’un côté qui veulent
absolument un pape italien. De l’autre côté il y a le parti dit des
« français » où il n’y a pas que des français, il y a des
allemands aussi, un parti qui ne veux en aucun cas d’un pape italien.
C’est clair. On
vote et évidemment ni l’un ni l’autre ne peut l’emporter, les semaines
passent, puis les mois, on arrive à la fin de l’année sans aucune décision.
Il n’y a toujours pas de pape et cela commence à faire désordre. Alors
là, je ne rentre pas dans le détail, surtout pas, car on ne sait pas trop ce
qui s'est passé. Il y a bien des hypothèses faisant appel à des manœuvres
souterraines et dissimulées. Je me refuse à entrer dans ce débat sans quoi
nous serions là jusqu’à ce soir. Disons
qu'à un certain moment l’idée vient de dire, pourquoi pas l’archevêque
de Bordeaux ? L’archevêque de Bordeaux pour les italiens ce n’était pas
un italien, certes, mais n’oubliez pas qu’il avait été choisi par deux
fois par Boniface VIII qui lui était italien. C’était
l’homme de Boniface VIII, l’homme qui lui devait tout en quelque sorte.
Les italiens se disent qu'après tout l’homme de Boniface VIII ne va pas
aller contre les intérêts italiens. Côté
français, Philippe Le Bel qui s’occupait sérieusement de cette élection
et la finançait d’ailleurs en
sous-main, tient un autre type de raisonnement disant, ce n’est pas un
italien et c'est déjà quelque chose. Au
demeurant Bertrand n’était pas français non plus, (ce qu’il aurait préféré),
mais il n’était pas davantage anglais ni germanique, il était gascon.
N’oubliez pas qu’à ce moment là le
duché d’Aquitaine représentait encore une nationalité. Les gens d’ici
n’étaient ni français ni anglais ils étaient gascons. Bertrand étant
gascon était finalement assez neutre. On passe au vote, il a 10 voix. C’est
comme cela que Bertrand de Got qui n’était ni cardinal, ni candidat et qui
n’était peut-être même pas informé du déroulement des affaires, mais
c’est moins sûr, on n’en sait rien, se retrouve bombardé pape sous le
nom de Clément V. C'était
le 21 juillet 1305 , cela va être un chamboulement complet pour la
famille de Budos.
Raymond Guillaume de Budosdevientle neveu du pape. Raymond
Guillaume, fils de Jeanne, sœur du pape, devient le neveu du pape et croyez
moi cela va changer bien des choses. Immédiatement il va coller aux basques
de Tonton, il part tout de suite, il va suivre son oncle, il ne va plus le
quitter d’une semelle. Bertrand
va être couronné à Lyon dans la cathédrale Saint Jean, cérémonie
magnifique, alors là vous pouvez regarder la télévision, cela lui
ressemble. Il y a Philippe Le Bel, Roi de France, le Duc de Bretagne, et tous
les grands seigneurs de l’Occident Chrétien chamarrés, alors là, oui, il
y a des robes de brocards, des armures. Il y a vraiment tout ce qu’il faut. Il y a surtout tout un peuple en liesse qui est aux fenêtres. Le cortège sort de la cathédrale Saint Jean de Lyon et s’engage dans la petite rue juste en face, qui existe encore et débouche sur la place de la Cathédrale. Eh là ! il y a un vieux mur que l’on dit Gallo-romain, les gens sont montés dessus en grappes humaines pour mieux voir le cortège.
Au
passage de ce cortège le mur s’effondre, c’est une catastrophe avec des
dizaines et des dizaines de morts dont le Duc de Bretagne, dont Gaillard, le
propre frère du pape. Philippe Le Bel en réchappe par miracle, Clément V
est désarçonné de sa mule, tombe et sa tiare roule dans le ruisseau. Quand on relève cette tiare pour la lui remettre sur la tête il y manque une escarboucle, que nous appelons, nous, une grenat, et qui vaut paraît-il 10.000 ducats ; une fortune sensationnelle.
Elle
n’est plus là et on ne l’a jamais retrouvée, si vous avez l’occasion
d’aller à Lyon, en sortant de la cathédrale cherchez plutôt dans la rue
vers la droite, comme le mur était à gauche on peut penser que la chute est
allée vers la droite. Je vous souhaite bonne chance.
La carrière de Raymond Guillaume. Ceci
étant, la carrière de Raymond Guillaume commence là, il n’a même pas
attendu le couronnement de son oncle pour écrire de nouveau au Roi Edouard
d’Angleterre et lui demander l’autorisation de construire son château, eh
bien ! ça va marcher. Ca
va marcher mais dans le texte de la lettre en latin écrite de Winchester on
sent bien toute la réticence qu’Edouard met là-dedans, je traduis la
phrase latine : « en considération et respect pour le souverain
pontife » ce qui veut
dire en propre termes : « si tu n’avais pas été le neveu de
ton oncle, tu aurais toujours pu aller te rhabiller pour avoir un château. »
Parlons net et soyons direct, c’est exactement ce que signifie cette lettre. Elle est datée du 13 mars 1306. Avec l’impatience que les Budos avaient, depuis plus d’un siècle qu’ils attendaient cette autorisation, on peut penser avec quelques raisons que ce château a été commencé dans les derniers mois de l’année1306, moyennant quoi sa construction a dû probablement durer pendant plusieurs années.
En 1307, Raymond Guillaume et nommé gouverneur de Bénévent qui est une terre d’Eglise.
Je ne vous ai pas précisé, que Clément V est venu s’installer à Avignon, c’est le premier Pape d’Avignon pour l’excellente raison qu’à Rome à ce moment là le désordre était épouvantable. On s’étripait à chaque coin de rue et Clément avait estimé que l’on ne pouvait pas y trouver la sérénité nécessaire pour diriger l’ensemble d’une Eglise universelle.
Il avait fixé sa cour à Avignon qui était terre pontificale, le Comtat Venaissin appartenait au Pape, ce n’était donc pas une aberration totale que de venir s’installer à Avignon.
Donc Raymond Guillaume est nommé gouverneur du « Bénévent ». Le Bénévent c’est tout à fait au sud de l’Italie, la capitale de la province c’est Naples. On ne sait pas s’il y a jamais mis les pieds, il est peu probable que, collant aux basques de son oncle il soit parti au sud de l’Italie …. et d’ailleurs il n’aurait guère eu le temps d’aller y faire grand chose puisque deux ans plus tard il va encore changer de fonction.
Il en percevait les revenus, à l’époque cela ne choquait personne. Vous receviez une fonction considérable, vous en perceviez les revenus et on mettait un lieutenant que l’on appointait et qui lui, était sur place et assurait le quotidien de la direction de la province.
Moins de deux ans plus tard, en 1309, mieux encore, voilà que Raymond Guillaume est nommé gouverneur d'Avignon et du Comtat Venaissin, cela commence a devenir réellement important, et de ce fait, il a des revenus qu’il n’avait jamais pu espérer. Il
commence à placer cet argent. Il le place là-bas, dans le sud-est , et vous
verrez tout à l’heure les conséquences que cela va avoir . Il achète la
seigneurie de Loriol à 4 km de Carpentras, il achète surtout la seigneurie
de Portés Bertrand qui est une très grosse seigneurie à une trentaine de km
d’Alès en Languedoc. On sent que la fortune de Budos commence à se matérialiser. On dit que les malheurs n’arrivent jamais seuls, ce doit être la même chose pour les bonheurs, car le 15 mai 1309 arrive en Avignon une délégation du Roi Edouard d’Angleterre, dirigée par l’évêque de Worcester qui est accompagné de deux grands Lords anglais.
Edouard a quelque chose à demander au Pape et comme cela se pratique dans une ambassade on apporte des cadeaux ; et ce n’est pas nouveau. Ils font ce qu’en bon français maintenant on appelle du « lobbying », c’est-à-dire que l’on va essayer de se mettre "bien" avec ceux qui sont bien avec le Pape.
L'évêque de Worcester apporte une lettre, une lettre du Roi Edouard concédant à Raymond Guillaume (qui ne l'a pas demandé), le droit de haute et basse justice sur la seigneurie de Budos. C'est un droit régalien , la justice appartient au Roi, il la délègue, il la détache de la Prévôté de Barsac dont elle faisait partie jusqu'à l'heure et concède le droit de justice à Raymond Guillaume. Ah
! bonheur, imaginez, il va avoir
un château, il va avoir des biens considérables qu'il est en train d'acheter
et il va être seigneur en titre avec droit de haute et basse justice lesquels
vont rester dans la seigneurie jusqu'en décembre 1790. C'est
un moment de pur bonheur. Mais voilà que la santé de Clément commence à décliner,
alors vite, vite, avant une issue tragique, Clément le nomme maréchal de la
Cour Pontificale, c'est-à-dire que le voilà grand patron, grand chef des armées
pontificales. C'était
le 9 février 1314, le Pape meurt dix semaines plus tard le 20 avril, voyez,
il était temps. Dans le testament de Clément on trouve que Raymond Guillaume
est inscrit pour une somme de 15.000 florins d'or, fortune considérable qui
vient s'ajouter à tout le reste. Il
estime que cela n'est pas tout à fait suffisant et dans la grande panique qui
suit le décès du pape, étant chef des armées, avec un des ses cousins
germains, un de ces nombreux neveux du Pape que les filles de Got ont semé un
peu dans tout le pays, à deux, ils fondent sur la ville de Carpentras, une
petite ville ouverte, sans intérêt stratégique, la pillent de fond en
comble et y mettent un peu aussi le feu. Pourquoi
Carpentras ? Il ne s'était certes pas trompé. Les règles de l'Eglise
interdisant le commerce d'argent sur les territoires pontificaux,
les banquiers juifs et lombards étaient allé s'installer à
Carpentras à quelques km en dehors des terre de l'Eglise. Or,
un Roi, un Prince, un Pape a toujours besoin de banquiers, et ils étaient
nombreux. Ces banquiers, eux, à la différence des nobles, n'investissaient
pas dans de la terre, il gardaient l'argent puisqu'ils en faisaient commerce.
Il fallait qu'ils puissent compter de l'argent, le sortir de leur caisse et
encaisser les intérêts. Ils
l'avaient en espèces dans leur caves et c'est pour cela qu'ils sont allés
piller Carpentras. Ils reviennent chargés de ce butin et en passant, sous prétexte
de le mettre à l'abri, ils s'emparent du trésor pontifical qui était
entreposé dans les caves du château de Monteux et à bride abattue ils le
ramène en Aquitaine. On
partage alors ce trésor en deux, on en met la moitié dans les caves du château
de Villandraut, l'autre moitié dans les caves du château de Duras. Cela
pose problème. En bonne logique Raymond Guillaume aurait dû mettre cette
moitié de trésor dans les caves du château de Budos. Cela pourrait tendre
à démontrer, soyons prudents, mais je vous en suggère l'idée, qu'à l'été
1314 la construction du château de Budos n'était peut-être pas encore assez
avancée pour assurer la protection d'un pareil trésor. Je n'affirme pas, ce n'est qu'une hypothèse mais on ne voit pas très bien pourquoi il l'aurait déposé au château de Duras.
J'ajoute que le successeur de Clément le second Pape d'Avignon Jacques Duèze qui va devenir Jean XXII aura un mal de chien et va batailler pendant des années avant de récupérer ce trésor et de le réincorporer dans l'héritage pontifical. La petite histoire ajoute qu'il avait un peu fondu dans l'intervalle pour des raisons que l'on ignore. Donc en dix ans la situation de ces petits nobles locaux et ruraux a complètement changé. Ils sont devenus une famille riche, avec des moyens, c'est vraiment un changement de statut considérable.
Mais, mais il y a un point faible dans leurs affaires c'est que les terres qu'ils ont achetées sont toutes dans le sud-est, c'est-à-dire Loriol et Portés Bertrand, or, et cela on ne pouvait pas le prévoir au moment où ils l'on fait, quand la guerre de cent ans va éclater ils vont avoir la moitié de leurs possessions dans le sud-est qui restera dans la mouvance du Roi de France et l'autre moitié dans le sud-ouest, en Aquitaine, qui restera dans la mouvance du Roi d'Angleterre. Autrement
dit lorsqu'ils vont prendre parti tantôt pour l'un, tantôt pour l'autre et
Dieu sait s'ils ont souvent changé de camp au hasard de politiques extrêmement
complexes, chaque fois qu'il opteront pour le Roi d'Angleterre, le Roi de
France saisira leurs biens dans le sud-est et chaque fois qu'il opteront pour
le Roi de France, le Roi d'Angleterre saisira leurs biens en Aquitaine. Cela
a été un jeu de bascule qu'ils ne pouvaient évidemment pas prévoir au
moment de ces événements, mais c'est comme cela que ça s'est passé et cela
a marqué toute l'histoire des Budos pendant toute la guerre de cent ans. Raymond
Guillaume est mort en 1323 en laissant 3 enfants d'un premier mariage, 5
enfants d'un second, un bâtard connu et peut-être quelques autres, cela est
une autre affaire. Nous
allons tourner rapidement les pages de l'histoire parce qu'il ne s'est rien
passé de réellement déterminant au cours de la période suivante. Je vous
dirai quand même que l'un des descendants de Raymond Guillaume apprenant par
la rumeur publique que le seigneur de Virelade était mort et que sa femme
restée veuve avec une petite fille en minorité n'était peut-être pas tout
à fait capable de défendre sa seigneurie, il est allé s'en emparer. C'était
cela que redoutait le Roi d'Angleterre et il a fallu qu'il intervienne pour
remettre de l'ordre là-dedans. Un
autre descendant de la génération d'après avec un sien cousin sont partis
mettre à feu et à sang toute la Chalosse et une partie du Béarn sur les
terres du Comte de Foix, sans motif autre que le pillage. Là aussi le Roi
d'Angleterre est intervenu pour remettre de l'ordre. C'est
pour cela que la couronne leur refusait de bâtir ce château, non pas
seulement à eux mais aussi à tous les autres petits nobles qui se trouvaient
dans la même situation.
Le siège du château en 1421. En
1421 nous sommes au deux tiers de la Guerre de cent ans et il va se passer à
Budos des choses tout à fait considérables. Quelle est la situation générale ?
Au mois d'août 1417, le Roi Henri V d'Angleterre avait débarqué à Trouville. Les anglais étaient maintenant partout en Aquitaine, certes, mais aussi en Normandie par voie de conquête. Ils emportent successivement Caen, Argentan, Alençon, puis Cherbourg et et enfin Rouen en 1419.
Le Roi de France est alors Charles VI. Il est devenu fou en 1392, depuis presque 30 ans ... La sulfureuse Isabelle de Bavière, son épouse, est aux affaires et lui fait signer en 1420 le désastreux traité de Troyes par lequel ils reconnaissent tout deux Henri V comme futur héritier du royaume de France.
Les deux couronnes seront réunies " à perpétuité" sur la tête du Roi d'Angleterre. Et pour faire bonne mesure, le jeune dauphin légitime ( le futur Charles VII) qui a maintenant 18 ans vient d'être "banni du royaume" .
L'anarchie
est générale. Tout le restant du territoire est livré aux exactions des
armagnacs et des bourguignons,
cela doit évoquer chez vous
quelques souvenirs scolaires. N'oubliez
pas le Duc de Bretagne qui sort de sa Bretagne pour aller piller où il veut.
C'est la panique la plus complète. Vous n'avez pas un centime à parier sur
le parti du Roi de France, il est au trente sixième dessous, personne ne sait
à ce moment là que sept ans plus tard Jeanne d'Arc va arriver et par son
intervention complètement renverser le cours des choses. L'histoire
présente ainsi des événements assez époustouflants. Personne ne peut le
savoir à ce moment là. Toute l'Aquitaine est sous la gouvernance des
anglais. J'ai dit gouvernance, je n'ai pas dit domination et je vais vous dire
pourquoi.
Budos l'irréductible village gaulois. Toute
l'Aquitaine …. Eh bien non ! Ils reste deux points isolés, Saint Macaire et
Budos. Budos tient pour le Roi de France, ne me demandez pas pourquoi, c'est
totalement aberrant. Son seigneur ne pouvait attendre aucun secours, aucune
aide et n'avait aucun intérêt politique en jeu puisque le parti du Roi de
France était pratiquement perdu. André
de Budos, dans son château, tenait pour le Roi de France. Budos était le
petit village gaulois d'Astérix perdu dans un océan de romanité. Il était
Français au milieu du parti anglais. Je
précise et cela est important, que je n'ai pas parlé de domination anglaise
parce que nos ancêtres, ici, étaient passionnément anglophiles et
francophobes et il y avait à cela 3 raisons. La
première raison c'est que lorsqu'à certains moments de la guerre de cent ans
les français sont venus ici sur ce pays, lors de la campagne victorieuse de
Du Guesclin, dans les fourgons de l'armée française, on a vu arriver les
agents du fisc du Roi de France qui ont commencé à mettre en place et à
percevoir des impôts 2 à 3 fois supérieurs aux impôts anglais qui étaient
nettement plus supportables. Toute
allusion à une situation contemporaine serait purement fortuite. La
deuxième raison c'est que la cour de France était très centralisatrice, se
mêlant volontiers du détail de la gestion locale alors que la cour
d'Angleterre, beaucoup plus libérale, s'en mêlait fort peu. Au surplus 3
jours de chevauchée suffisaient pour apporter un ordre de Paris alors qu'il
fallait presque trois semaines de navigation, pour peu que les vents fussent
un peu contraires, pour l'apporter de Londres. La
troisième raison et non la moindre, c'est que les anglais achetaient tous les
vins d'Aquitaine, c'étaient de gros clients alors qu'il ne se buvait pas une
goutte de vin aquitain à la cour de France. La cour de France buvait des vins
de Champagne, le Cour de France buvait des vins de Bourgogne. Mais
allez vous me dire, l'Angleterre c'est encore plus loin, oui, mais on pouvait
charger 8 à 900 tonneaux de vin sur un bateau qui au grès du vent allait les
porter à Londres tandis que pour transporter du vin à Paris il fallait
charger un tonneau sur une charrette avec une paire de bœufs à 3 km à
l'heure. Il
était donc beaucoup plus facile, beaucoup plus aisé, contrairement aux
apparences, d'envoyer le vin sur Londres que de l'envoyer sur Paris. Les
clients étaient manifestement à Londres et non pas à Paris. C'est
pour ces trois raisons que nos ancêtres, ici, étaient friands de la mouvance
anglaise et absolument pas de l'administration française. La
présence de Budos, irrésistible village gaulois faisait évidemment désordre.
Les Jurats de Bordeaux se réunissent les 7 et 8 mai 1421 en présence du Sénéchal
qui représentait le Roi d'Angleterre. On dit : ce n'est pas possible, on ne
va pas continuer à garder cette verrue, il faut s'emparer de Budos. Ils décident
de venir l'attaquer.
L'expédition se prépare. Ils prennent la précaution d'attendre un peu, histoire de s'organiser et en particulier de faire construire une très grosse bombarde qui était en cours de fabrication dans une fonderie qui se trouvait derrière la porte Cailhau, ce n'était pas la même, la porte actuelle a été construite plus tard mais il y en avait une du même nom à sa place dans ce quartier. On
était en train de fondre une énorme bombarde comme on n'en avait jamais vu,
une pièce d'artillerie monstrueuse. Il fallait donc qu'elle soit terminée
pour venir participer au siège de Budos, et puis il fallait aussi réunir les
fonds nécessaires. C'est
le 14 juin que tout le monde est prêt. Il y a un contingent des soldats
anglais sous la direction du capitaine Menaut de Fabars et un contingent français,
pardon, bordelais, sous la direction d'un Jurat de Bordeaux Arnaud Miqueux qui
a encore sa rue à Bordeaux. C'est une rue parallèle à la rue Sainte
Catherine, côté fleuve. On
prévoit un budget de 20 frs par tête d'homme, cela ne vous dit strictement
rien mais je vais vous donner une indication qui va vous montrer qu'il s'agit
là d'un budget considérable. Un
budget de 20 frs par homme et un tonneau de vin, alors là, oh surprise ! Un
tonneau de vin cela fait 900 litres pour une troupe cela ne fait pas beaucoup. A mon sens cela devait être uniquement pour étancher les
soifs pendant le voyage. Se dirigeant vers un pays viticole on avait dû
penser qu'arrivé là-bas par pillage ou par d'autres méthodes on allait
trouver le vin sur place. Comment
va-t-on transporter tout cela ? On va le transporter sur une gabarre, celle du patron
gabarrier Fontbodeau
qui a son port d'attache au quai des salinières à Bordeaux. On va réquisitionner son bateau, charger la bombarde et on lui demande de prendre 6 matelots, ce qui est significatif parce que généralement sur une gabarre il y en a 3. C'est probablement que le poids du canon était tel que le bateau était plus difficile à manœuvrer.
Pour
le bateau, payer le patron, payer les salaires des 6 matelots pour aller de
Bordeaux à Podensac, on lui donne 8 frs. Alors prévoir un budget de 20 frs
par tête de soldat constituait donc une somme énorme comparée au prix du
voyage. Alors
pourquoi va-t-on à Podensac ? Parce
que c'est à Podensac que l'on taille les boulets. Cette bombarde va tirer des
boulets de pierre. Au marteau et au burin on va tailler ces boulets pour
qu'ils soient parfaitement sphérique. Si
le boulet fait un millimètre de plus que l'âme du canon, il ne rentrera pas,
la fonte ce n'est pas très souple, mais s'il fait un millimètre de moins les
gaz de l'explosion de la poudre vont fuser naturellement et le boulet va
tomber bêtement quelques mètres après la bouche du canon, ce n'est pas le
but recherché. Donc il faut que le diamètre soit ajusté au plus près. La
pierre de Podensac fait, je crois, une densité de deux et demi m'a-t-on dit,
j'ai fait les calculs sur cette base. On nous dit que ces boulets faisaient 7
quintaux, 7 quintaux cela fait 340 kg, sur la base d'une densité de deux et
demi cela fait un calibre de la sphère du boulet de 650 millimètres. Dans
l'artillerie moderne, dans la marine, oui, il y a de très gros canon, plus
gros que dans l'artillerie de terre mais aucun n'atteint un tel calibre. Pour
l'époque c'était quelque chose de vraiment ahurissant.
Le siège du château. L'expédition
arrive devant le château de Budos accompagné d'une quantité considérable
de charpentiers. Cela pose problème parce qu'au cours du moyen âge il y a eu
deux stratégies militaires. Il
y a eu celle d'avant l'artillerie où l'on s'approche du château avec des
tours en bois, avec des échelles que l'on va monter, avec des plateaux que
l'on va jeter sur les fossés pleins d'eau pour les traverser, donc on a
besoin de charpentiers et puis vient l'artillerie où l'on va se mettre à
distance et tirer sur le mur et apparemment on n'a plus tellement besoin de
charpentiers. Donc
le fait d'arriver avec une artillerie lourde et d'amener des charpentiers pose
problème. C'est qu'un bon archer du haut des murs de Budos en tir tendu,
envoie une flèche sinon mortelle du moins extrêmement dangereuse à environ
250 mètres et un arbalétrier va jusqu'aux environs de 300 mètres. On
ne sait pas d'une façon très, très précise qu'elle était la portée de ce
genre de canon à l'époque mais les balisticiens que j'ai consultés me
disent que l'on ne pouvait pas tirer à plus de 200 mètres et certainement
moins. Les artilleurs qui auraient servi ce canon auraient été exposés, ils n'auraient pas survécu plus de quelques secondes à découvert devant les archers budossais.
Il
leur fallait devant, des panneaux de bois à profusion pour protéger et le
canon et les hommes. J’ajoute
que ces canons au 15ème siècle
tiraient à peu près un coup par heure. A la bataille de Crécy où l’on a
vu apparaître les canons pour la première fois dans les rangs anglais, il y
avait trois canons qui ont chacun tiré 3 coups avant d’exploser. Il s’est
donc tiré 9 boulets au cours de cette célèbre bataille de Crécy. Dans
les manuels scolaires on vous apprends que la bataille de Crécy marque
l’apparition de l’artillerie, c’est vrai, c’est vrai mais dans cette
mesure là. Donc
rester une heure exposé pour recharger le canon était impensable. André
II de Budos, seigneur du lieu, est dans son château avec, probablement pas une grande
profusion d’hommes d’armes, ceux que l’on pouvaient ramasser par là
dans le pays plus quelques mercenaires, peut être. Les
murailles de son château font 1 m 10 d’épaisseur et il sait parfaitement
que si 1 m 10 est suffisant pour tenir la hauteur de la muraille telle quelle
est, la preuve en est c’est qu’elle est
encore en place là où on ne l’a pas démolie,
mais ce n’est absolument pas suffisant pour opposer une résistance
à un tir répété de 2 ou 3 ou 4 boulets tiré en 3, 4 ou 5 heures. On va
toujours taper au même endroit à la base de la muraille, tout va
s’effondrer, tout va tomber. André de Budos comprends que toute résistance est vouée à
l’échec et qu’il vaut mieux entrer en négociation. Ce qu'il fait avec
Menaut de Fabars et Arnaud Miqueux Et
ça marche, car il y a des raisons pour que cela marche ; les bordelais et
accessoirement les anglais ne tenaient pas spécialement à démolir Budos, au
contraire ils préféraient avoir un château de plus pour contrôler le pays.
Ils n’avaient donc aucun intérêt a jouer à la guéguerre et à démolir
ce château. C’est ainsi qu’André de Budos obtient de bonnes conditions, moyennant quoi il va leur remettre le château intact, en sortir avec tout son personnel, tous ses gens et avec les honneurs de la guerre en emportant tout ce qu’il voudra pour se retirer sur ses terres de Portès Bertrand.
Au surplus il obtient que l’on ne lui confisquera pas ses terres de Saint Médard d’Eyran et d’Hostens. Ce sont des conditions tout à fait honorables. Cette
date est extrêmement importante parce que André de Budos va quitter Budos à
ce moment là, au mois de juin 1421 pour s’installer à Portés Bertrand où
il va s’empresser de faire construire un nouveau château, qui celui-là
sera conçu pour résister à l’artillerie, il y est encore d’ailleurs. Il
part de Budos en juin 1421 et la famille n’y reviendra jamais. Si, ils
reviendront mais de façon épisodique pour passer quelques jours ; une fois
à un certain moment, Jacques de Budos est
venu se marier avec une fille de La Réole et apparemment il y est resté 3
mois. On
trouve en effet quelques actes signés au château de Budos. Mais
jamais, jamais plus, la famille des Budos ne reviendra vraiment vivre à Budos
pour y faire son domicile ;
c’est terminé. La
aussi nous allons feuilleter
rapidement les pages de notre histoire. Que s'est-il passé dans
l’intervalle de ces derniers siècles ? Au fur et à mesure que le
temps passe les de Budos sont de plus en plus intéressés par le sud-est et
se détachent, et s’intéressent de moins en moins à Budos. Surviennent
les guerres de religion, avec tous les troubles qu’elles suscitent, les
difficultés de communication, les seigneurs sont très loin d'ici et ils
finissent par vendre Budos en 1571 pour 30.000 livres à la famille de La
Roque.
La famille de La Roque Budosautemps de la Fronde. Les
de La Roque, ont été seigneurs de Langon pendant un certain temps, très peu
de temps, Ils étaient seigneur de Coimères et de Sainte Croix du Mont. Désormais
donc c’est la famille de La Roque qui va venir s’installer à Budos et
vont s’appeler de La Roque Budos. Venons
en à ce qui s’est passé sous la fronde à Budos en 1652. Encore
une période de grande confusion. On appelait ces guerres « de la fronde »
par dérision. Parce que les gamins se battent à coup de cailloux en les lançant
au moyen de la fronde. Mais détrompez-vous ces guerres de la fronde ont été
affreuses. Il
n’y a jamais eu, c’est pour cela qu’on l’appelait la
"Fronde", de batailles avec des milliers d’hommes d’un côté et
des milliers de l’autre, des batailles comme Crécy, Azincourt, Poitiers,
non, mais il y a eu des milliers de batailles de 100 hommes contre 150 ou 200,
ou 300 ou peut-être à la limite un millier d’un côté et un millier de
l’autre. Quelques
dizaines de combats essaimés
dans un pays suffisaient à la ruine de la contrée. Cela a été un ravage épouvantable.
Lorsque vous avez une grande bataille, Crécy, si vous voulez, dans un périmètre
de 10 à 15 km, évidemment tout est détruit, les grains sont pillés, les
bestiaux abattus, hélas, si on
n'a pas mis les filles à l’abri, et ceci dans un rayon de 10 à 15 km,
ainsi que dans le couloir qu’ont parcouru les troupes pour venir là les
unes et les autres et pour en repartir. Mais au soir de la bataille de Crécy,
à Budos, à Landiras, à Guillos, il ne s‘est rien passé voyez-vous, c'est
tout à fait différent.
La situation de la régionpendantla Fronde. Tandis
qu’avec la Fronde tout le monde en a pris et c’est ce qui va arriver à
Budos. Qu’elle
est la situation générale ? Je passe très vite, très vite …. Il
y a deux parti, le parti du Roi dirigé par Mazarin et le parti des Princes,
Prince de Condé, Prince de Conti, etc., qui sont des nobles ayant des
ambitions personnelles considérables pour
se dresser vis-à-vis du pouvoir royal, ils veulent l’indépendance de la
grande noblesse mais ils se désintéressent généralement de la gestion matérielle,
de la vie quotidienne des pays qui les soutiennent. Ceci
a pour effet qu’à Bordeaux, qui
tient alors pour le parti des Princes, s’est déclenché un mouvement
populaire un peu semblable à ce qu’à été la Commune en 1871 à Paris.
Les masses populaires se sont soulevées, ont balayé tous les pouvoirs, le
pouvoir municipal, le pouvoir royal, c’est la rue qui a pris le pouvoir. On
appelait ça « l’Ormée », l’Ormée pourquoi ? Parce que
les leaders de ce mouvement se réunissait sur une terrasse qui prolongeait le
palais de l’Ombrière derrière la porte Cailhau actuelle, (là elle était
déjà construite), qui était plantée d’ormes. On l’a ainsi appelée
l’Ormée. L’Ormée
tenait donc pour les Princes et Budos tenait pour le Roi de France, mais le
seigneur de La Roque Budos de l’époque était dans les armées du Roi, par
là, quelque part, je ne sais où, en train de guerroyer pour le compte de
l’armée royale et pendant ce temps Budos était assez démuni. Monsieur
d’Espagnet qui était conseiller au parlement de Bordeaux, grand magistrat,
était le beau-père du seigneur de Budos de l’époque. D’Espagnet
pour la double raison qu’il ne se sentait plus en sécurité à Bordeaux car
il avait été déclaré suspect par l’Ormée et qu’un coup d’épée était
facile à prendre un soir en rentrant chez soi, décide de venir se mettre à
l’abri dans le château de Budos et en plus, deuxième raison, d'essayer de
conserver Budos à son gendre. Les
dirigeants de l’Ormée décident de venir raser Budos, eux, n’avaient pas
besoin du château, ils n’en avaient rien à faire, ils voulaient le raser
carrément. Voilà M. d’Espagnet dans le château de Budos. C’était peut-être
un excellent magistrat mais c’était un piètre militaire. Chacun son métier
bien sûr.
Attaque et contre attaque. Voilà que survient un parti de cavaliers sous le commandement du capitaine Lasserre qui trouve les portes du château ouvertes, rentre là-dedans comme dans un moulin, s’empare du château.
C’est
un pillage épouvantable, ils pillent, ils brûlent les meubles et surtout ils
brûlent les archives. Si bien que nous n’avons plus d’archives antérieures
à cette époque, sauf celles qui sont stockées dans les archives royales à
Londres, à Paris, ou à Bordeaux. Les
voilà donc en train de piller le château et le pays, vous devez bien vous en
douter, le village, hélas, en a pris pour son grade. Quelques
jours plus tard, moins d’une semaine, voilà que le colonel Balthazar qui était
un reître allemand, qui avait été pour le parti des Princes, mais pour le
moment était pour le parti royal, arrive avec sa troupe, un régiment, pour
reprendre Langon. Langon
qui venait de subir d’énormes épreuves, c’est à ce moment là qu’a été
détruit le château de Langon. Nous savons tous ce qui s’est passé à
Oradour, mais on sait peut-être moins que quelques centaines de langonnais
ont brûlés dans l’église Saint Gervais à cette époque là. Le
colonel Balthazar arrive sur les ruines fumantes de Saint Gervais,
détache une partie de sa troupe pour venir à Budos et à leur tour
ceux-là surprennent les cavaliers de Lasserre en plein pillage et une grande
bataille, grande ?… combien était-ils ?
Je n’y étais pas, personne ne le sait, quelques centaines peut-être,
se déroule sous les murs du château de Budos, du côté village, là où il
y a des vignes maintenant. Au terme de cette bataille c’est la troupe du
colonel Balthazar et du Roi qui l’emporte et le château reste attaché au
Roi. En
1895 à l'occasion de travaux pour défoncer les terrains et replanter de la
vigne, on y a encore trouvé des crosses d’arquebuse cassées, des lames
d’épées rouillées et des ossements humains. Des gens que l’on avait
enterré sur place juste à côté du château de Budos. Je
vais là aussi tourner très rapidement les pages de l’histoire et en venir
pour en terminer à la vie des derniers seigneurs de Laroque Budos dans ce château
car ce sont eux qui l'ont occupé les
derniers.
Le rythme de vie des Laroque Budos. Ces
La Roque Budos sont semi résidents, cela veut dire qu’ils passaient six
mois à Bordeaux l’hiver et six mois de la belle saison à Budos. Ils
partaient de Budos vers la fin d’octobre quand les vendanges sont terminées
et que le vin est rentré. Ils s’en vont passer l’hiver dans leur hôtel
particulier à Bordeaux 13 cours d’Albret. Quand
vous passez par là vous n’avez qu’à regarder, mais cela a beaucoup changé. Ils
sont tenus, absolument tenus, de passer six mois par an à Bordeaux car ils
portent le titre de bourgeois de Bordeaux. Alors allez vous me dire,
qu’est-ce que des nobles pouvaient avoir à faire d’un titre de bourgeois
de Bordeaux ? Eh bien oui ! Eux ils le savaient. C’est
un titre qu’ils avaient acquis au cours du 16ème siècle ; le
titre de bourgeois de Bordeaux donnait des privilèges considérables et en
particulier celui d’importer dans la ville de Bordeaux en franchise de tous
droits toutes marchandises vous appartenant. Il
y avait un péage à chaque entrée de Bordeaux, un octroi en quelque sorte,
ces droits étaient lourds, or les seigneurs qui récoltaient pas mal de vin
à Budos, en particulier, sur tout ce côté de la route jusqu’en haut du
coteau, les vignes qui sont ici en bas leur appartenait également. Cela donnait pas mal de vin qu’ils vendaient en Angleterre, en Hollande, tout au long des ports Hanséatiques, Dantzig etc. Des vins qu’ils fallait apporter dans Bordeaux où se trouvaient les flottes étrangères qui arrivaient au mois d’octobre ou novembre.
Ces vins il fallait en payer le droit d'entrée dans Bordeaux et leur privilège de bourgeois de Bordeaux les en dispensait, c’est une affaire à laquelle ils tenaient beaucoup. Il
vont mener cette vie d’alternance entre Bordeaux et Budos jusqu’en 1790. Il
y avait des seigneurs dans le pays qui n’étaient pas résidents. A
Villandraut par exemple le marquis de Pons habitait
en l’île Saint Louis à Paris et même pendant une partie du 18ème
siècle il était ambassadeur à Berlin ; il est à Potsdam et pas à
Villandraut. Je crois qu’à Villandraut il y est venu une fois dans sa vie
pour y faire d’ailleurs un esclandre épouvantable. Vous
voyez donc la différence, les gens de Budos connaissaient leur Seigneur, ils
le trouvait sur la route, quand il allait à la chasse, ils le voyaient à la
messe le dimanche, ils le connaissaient. C’est
Jean-Pierre, Jean Pierre de La Roque qui en 1721 va obtenir de Louis XV la création
de deux foires, deux foires annuelles à Budos qui vont se tenir le jour de la
Saint Pierre et le jour de la Saint Romain. Depuis
lors ces foires ont perdu leur caractère mercantile, le côté foire a
disparu, mais elles sont restées sous forme de fêtes votives, de fêtes
patronales. Je ne vous cache pas que je regrette un peu, au cours de ces dix
dernières années que la fête de la Saint Pierre soit devenue la fête du
Printemps. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai eu le plaisir de
constater que l’année dernière et cette année encore, elle est redevenue
la fête de la Saint Pierre. Par
contre la malheureuse fête de Saint Romain est devenue la fête des
vendanges. Je le regrette un peu parce que cela fait partie du patrimoine du
village que de parler de la saint Pierre et de la Saint Romain depuis 1721 où
cela a été créé spécifiquement pour Budos par Louis XV.
Des Seigneurs toujours à court d'argent. Le
même Jean Pierre passait son temps a dévorer joyeusement, la dot de sa
femme, il va aller même si loin qu'il va hypothéquer les biens de sa femme
avec des hypothèques en première, en seconde position, à telle enseigne que
lorsque cette brave dame, la dame de Bordes va mourir, son fils renoncera à
sa succession tellement il y a d'hypothèques dessus, le passif l'emporte
sur l'actif. C'est
donc vous dire que son père y était allé joyeusement. Les
De La Roque, ont toujours, toujours manqué d'argent, ils ont toujours vécu
à crédit, ils ont emprunté et quand il n'y avait plus rien,
ils se mariaient avec une fille ayant une bonne dot, en général des
filles de noblesse de robe, des filles de parlementaires de Bordeaux qui
arrivaient avec une bonne dot conséquente. Ils se remettaient au travail et dévoraient
ce nouvel apport. Ils
ne s'en cachaient pas, j'en veux pour preuve, la lecture du contrat du 10
avril 1745, lors du mariage de Michel Joseph, fils du précédent, avec
Catherine Delphine de Brassier, dans l'acte devant le notaire il est expressément
dit, en toute lettre, que la dot, la dot qu'apporte la fille, va servir à régler
les dettes de la famille de La Roque. C'est écrit, le beau-père et la mariée
ne peuvent absolument pas ignorer à quoi va servir leur argent. Cela
ne suffira pas, un bien dotal important qu'apporte la mariée était le
vignoble de Trulon. (Trulon est actuellement sur le territoire de Bruges.) A
l'époque c'étaient des vignes, maintenant ce sont des maisons
pavillonnaires, du goudron et du béton. Il
va le vendre et le dévorer allègrement. Ce
Michel Joseph, je vous le signale plus particulièrement parce qu'il va mourir
le 21 novembre 1770; probablement d'une crise d'apoplexie au cours d'un bon
repas avec son ami le curé de Barsac, au presbytère du lieu. C'est
la dernière personne que l'on a inhumé dans l'église de Budos, dans la nef
de droite, devant l'autel Notre Dame. C'est le dernier en 1770,
après que l'on ait enterré là tous les seigneurs depuis le moyen âge.
C'est le dernier que l'on a enterré dans l'église. Six
ans plus tard, en 1776, un Edit Royal, pour des questions d'hygiène, a
interdit les inhumations à l'intérieur des églises sauf
les curés desservants et dans les cathédrales les évêques et archevêques.
C'est toujours d'ailleurs en vigueur. Evêques et archevêques sont enterrés
dans la cathédrale de Bordeaux. Ces
deux là, Michel Joseph et Catherine Delphine ont eu un fils appelé Charles
François Armand, ce garçon a 16 ans au moment du décès de son père en
1770. Depuis un an déjà il est à l'armée, il est mineur, la majorité à
l'époque est à 25 ans. Vous
noterez au passage que par rapport à maintenant, nous connaissons une
situation l'inverse. On entrait dans la vie active très tôt et on était
majeur très tard alors que maintenant se serait plutôt le contraire. A
16 ans il est déjà cornette. Cornette c'est le premier grade d'officier,
sous-lieutenant maintenant. Pendant les neuf ans à venir
jusqu'à sa majorité il va se battre sur toutes les routes de l'Europe
dans les armées royales, dans la cavalerie. Pendant
ce temps sa mère qui est sa tutrice va gérer Budos et le gère très bien,
elle compense toutes les dettes, elle règle tout le monde, elle rachète
ceci, elle réorganise cela, un vrai modèle de gestion.
Un retour fracassant. A l'âge de 25 ans, Charles François Armand revient à Budos et d'une façon assez fracassante en disant à sa mère …"il faut que vous me rendiez mes comptes de tutelle". Sa mère dit bien sûr mais je n'avais pas prévu cela et il faut le temps de reconstituer la comptabilité sur 9 ans.
Lui, pas content, assigne sa mère devant le tribunal du Sénéchal de Bordeaux le 12 août 1779. Restons zen, calme, je vais bien vous les rendre ces comptes mais laissez moi le temps de les arrêter.
Le Sénéchal comprends la situation, cela s'arrange et ils se retrouvent à l'amiable pour liquider ces comptes au 13 du cours d'Albret le 6 septembre 1779. Sont
face à face la mère, le fils et le notaire à côté. La mère dit : "eh
bien voilà j'ai payé ceci, j'ai réglé cela, j'ai vendu, j'ai acquis, enfin
bref on est arrivé tout juste à l'équilibre, il ne reste en net en positif
que 948 livres." C'est vous dire, une dérision, mais tous les
comptes sont en ordre, elle a rétabli la situation. Le
fils dit : "mais pas du tout, moi j'ai fait les comptes et je ne
trouve pas ça, vous me devez 3.510 livres." On ne voit pas très
bien comment il a pu faire les comptes puisqu'il n'avait pas les pièces
comptables… La
mère dit : 3.510 livres, mais bien sûr, on ne va pas se chercher
d'histoire pour une différence de 3.510 à 948. D'accord, inscrivez maître,
je lui dois 3.510 livres. Elle dit au fils : "il faudrait que l'on
se voit demain pour régler ma situation personnelle." Il
faut savoir que quand son mari était mort à Barsac, dans son testament il
avait laissé à sa femme la jouissance de l'hôtel particulier à Bordeaux
pour qu'elle soit à l'abri. La propriété appartenait au fils Charles François
Armand mais il avait laissé la jouissance de l'hôtel à la mère. Il
se retrouvent donc le lendemain dans la même situation avec le notaire. La mère
commence à dire : "voilà quand je me suis mariée avec ton père
j'ai apporté en dot 7.000 livres que ton père a dévorées, il y avait mon
vignoble de Trulon qu'il a vendu et qu'il a dévoré, c'est inscrit dans mon
contrat, je suis arrivée avec 5.500 livres de bijoux, de bagues, de colliers
que ton père m'a pris, qu'il a vendu et qu'il a dévorés, il y avait ceci,
il y avait cela, au total cela fait 87.000 livres que tu me dois." C'est
là que l'on comprends mieux le geste libéral qu'elle avait pu avoir la
veille. Cela
a jeté un froid, la mère et le fils se sont séparés, ils se retrouveront. La
mère quitte Budos à ce moment là et n'y reviendra plus en domicile
permanent. Le fils confie toute la gestion, (ce n'est donc plus sa mère qui
va s'en occuper), a Jean Dubois qu'il prend comme homme d'affaires, Jean
Dubois qui habite au quartier de Mouyet, sa maison y est encore d'ailleurs.
Lui il repart à l'armée pour continuer son service. La mère a l'hôtel du Cours d'Albret pour l'hiver et n'est pas en peine de passer l'été parce qu'elle a, hélas, je dit hélas vous allez voir pourquoi, une immense fortune personnelle. Je dis hélas parce que cette pauvre femme a vu périr tous les siens.
Son père est mort, son frère aîné est mort, son frère cadet est mort aussi assassiné à Amboise alors qu'il allait à cheval de Bordeaux à Paris, dans des conditions dramatiques. Toute la fortune des Monferrant se trouve ainsi désormais réunie sur sa tête. Elle
est seigneur de Landiras, qui comporte les paroisses de Landiras et Guillos,
elle est Baronne de Montferrant, c'est-à-dire de toute la presqu'île
d'Ambes, elle possède en propriété personnelle le château Lamarque en Médoc,
le château Poujaud, s'il y a ici des amateur de vin, ils connaissent ces châteaux,
ils existent encore et ce ne sont pas des moindres. Et,
cerise sur le gâteau, elle est également propriétaire du château
Beychevelle. Quand vous saurez que le tonneau de vin de Beychevelle en 1770 se
vendait 1.800 livres les 900 litres alors que le tonneau de Budos se vendait
120 livres, vous comprendrez qu'elle n'avait pas de soucis à se faire pour
son avenir.
Les dernières annéeset encoredes problèmes d'argent. Le
fils termine son service militaire au bout de quelques années, revient à
Budos et va épouser Catherine de Ménoire de Baujeu, comme par hasard fille
du Président de la Cour des Aides à Bordeaux. La cour des Aides c'est ce que
nous appelons, nous, actuellement,
la Cour Régionale des Comptes. C'est un tribunal fiscal. Elle
apporte une très grosse dot et il se met à table, bien sûr, le fils faisant
comme le père et le grand père, pour dévorer la dot de sa femme. Cela ne
suffit pas parce qu'il va emprunter 3.000 livres d'un côté, 6.000 de
l'autre, si je fais un geste dans ce sens c'est à dessein parce que ces 6.000
c'est deux fois 3.000 qu'il a empruntées à la sœur du curé de Bommes, les
actes sont passés au presbytère du Curé. Mais
ce n'est pas assez, il va emprunter 40.000 livres à qui ? A Latapy, celui qui
a donné son nom à cette salle qui sera le premier maire de Budos à la Révolution,
il habitait à côté de l'église au bourg de Budos. Latapy
qui avait ces 40.000 livres en numéraire, l'acte le dit, il les a apportées
au château, mis sur la table de la salle à manger pour les donner au
seigneur en échange d'une reconnaissance de dette. Il était capable de les
aligner en pièces de 24 livres, (c'était un système duodécimal, 3-6-12.)
En pièces de 24 livres cela faisait pas loin de 1.700 pièces d'or. Je ne
sais pas si vous vous rendez bien compte. La noblesse était d'un côté, la
fortune était de l'autre. A Budos il ne fallait pas se tromper de porte. Cette
famille va avoir une petite fille, Catherine Delphine et vous remarquerez que
c'est le même prénom que celui de sa grand mère car dans l'intervalle le
fils et la mère se sont rapprochés et la mère est revenue ici pour la
naissance de la petite qui est née le 2 juillet 1789, 12 jours avant la prise
de la Bastille. C'est
la dernière naissance qui a eu lieu au Château et c'est la grand mère qui a
été la marraine, cet acte de baptême vous l'avez
ici à la mairie de Budos, il est dans les archives, à première
lecture vous pourrez le retrouver. Là-dessus
terminons très rapidement. Arrive la révolution. Ils quittent le château
fin 1790. Lui part en émigration vers
le mois de mars suivant, évidemment cela a été très discret et on ne sais
pas exactement la date, (vers mars-avril 1791), il émigre et part rejoindre
l'armée des émigrés à Coblentz sur les bords du Rhin et les trois femmes,
c'est à dire la grand mère, sa femme et la petite se réfugient à Bordeaux
où elles vont faire le dos rond pendant les événements qui vont suivre. La
femme qui était enceinte au moment où son mari émigre est très
probablement morte au moment de la naissance de l'enfant, je n'ai jamais eu le
temps de chercher à Bordeaux , les registres à Bordeaux c'est énorme, il
faut beaucoup de temps pour les explorer. A fin 91, elle était morte et je n'ai trouvé aucune trace d'un autre enfant autre que la petite Catherine Delphine. Il est infiniment probable que la pauvre femme a dû mourir au moment de la naissance.
C'est la grand mère qui élève la petite. Le père va revenir de Coblentz sous le premier Empire au moment des lois d'amnistie mais le château de Budos a été vendu comme bien national en 1793, il ne lui appartient plus. Il se retire, sa femme étant morte, cours d'Albret à Bordeaux où il mourra à son tour 13 cours d'Albret en 1825. La
petite Catherine Delphine est la dernière de La Roque Budos, ce nom s'est
donc perdu. Elle s'est mariée, non, on l'a mariée à quinze ans avec le
comte Léon de Brivezac et c'est là qu'à disparu le nom des de La Roque
Budos Le
château vendu en 93 à quelqu'un qui n'en avait strictement rien à faire,
autre que de le démolir et il en a fait une carrière. Il a commencé par
vendre les tuiles, il a vendu les charpentes et après on venait avec un
tombereau, on démolissait une partie, on chargeait un tombereau de pierre et
on repartait en payant à la sortie. Ce
massacre a été arrêté par la commission des monuments historiques de la
Gironde en 1841. Le château depuis lors n'a plus bougé, il est resté en l'état
sauf, quelques restaurations récentes fort bien venues. Les
de La roque Budos ont été les derniers habitants du château et voilà
comment s'est terminé leur famille, voilà aussi comment s'est terminé leur
château. La
famille en est redevenue propriétaire au cours du 19ème siècle.
Il est actuellement en co-propriété entre ses descendants. Jean
Dartigolles.
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Réalisée le 2 juillet 2007 | André Cochet |
Mise ur le Web le juillet 2007 |
Christian Flages |
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