Les conférences du Ciron.

 

Quand nos ancêtres étaient à table.

 

à Pujols sur Ciron, le 27 mars 2008.

Jean DARTIGOLLES.

Au risque de vous étonner voire même de vous inquiéter, je vais situer les origines de cette soirée aux premiers temps de la préhistoire.

Ne voyez là ni fantaisie ni provocation, car, nombre des fondamentaux de l'alimentation humaine ont traversé, chez nous, les millénaires jusqu'à la guerre de 1914.

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Sommaire:

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Inventaire d'une musette. Les poissons locaux.
Aux origines de l'homme. Une histoire difficile à raconter.
Comment passer l'hiver ? La curieuse histoire du haricot.
Les origines de l'agriculture et de la cuisine L'aubergine, le melon, l'artichaut.
Deux voies s'ouvrent à nous. Le XVII ème siècle a été le siècle des boissons.
Nos ancêtres les gaulois .... A la recherche d'un produit de substitution.
Des charcutiers .... Et voici que survient le maïs.
Mais aussi des vignerons. La pomme de terre, débuts modestes et difficiles.
Un apport des arabes. Mais Parmentier intervient.
Le bleu, c'est le meilleur ... La pomme de terre arrive chez nous.
La situation n 'évolue guère. A Paris, Parmentier poursuit sa croisade.
L'influence décisive de la religion. Une idée de génie.
Le poisson. Nostalgie.
Et voici le hareng ... La réalité quotidienne en milieu rural.
" Journée des Harengs."  Les soirs de carême chez Moralie.
D'autres poissons séchés ... Et depuis lors ...
La morue gagne du terrain.  

 

Inventaire d'une musette

Si, au lever du jour, il y a de cela 45 siècles, vous aviez arrêté sur les bord du chemin le fellah égyptien se rendant sur le chantier de la pyramide de Khéops en lui demandant ce qu'il emportait dans son bissac, vous auriez trouvé exactement la même chose que dans la musette de mon ami Marcot lorsqu'il partait couper la bruyère dans la Lande au début des années 30.

Et qu'auriez-vous trouvé ?

Tout simplement du pain et un oignon.

Ah ! Certes, ce n'était pas le même pain, celui du fellah était fait d'orge, tandis que celui de Marcot était de seigle. Ce n'était pas la même variété d'oignon non plus, mais les fondamentaux restaient bien les mêmes.

45 siècles plus tard, la chose est remarquable, et me paraît justifier le regard que je vous propose de porter sur ce lointain passé.

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Aux origines de l'homme.

 

Evoquons un peu nos souvenirs scolaires. Que nous a-t-on appris sur nos lointains ancêtres ?  Et qu'en avons-nous retenu ?

" Ils vivaient de chasse, de pêche et de cueillette ... " et nos manuels illustraient le propos d'une image représentant quelques hommes vêtus de peaux de bêtes entrain de harceler un mammouth aux abois.

Cela a été vrai, mais en un temps très proche du notre, disons, il y quelques 100 ou 150 siècles.

Mais avant ? Bien avant ? Il y a de cela quelques milliers de siècles ? Alors que ces braves gens ne disposaient au mieux que de bâtons grossièrement épointés, croyez-vous qu'ils pouvaient affronter un mammouth ?

Leurs proies habituelles se situaient plutôt au niveau de quelques malheureux lapins ou autres rongeurs plus accessibles. De ce temps là nous avons peut-être conservé la tradition de manger des escargots et des cuisses de grenouilles.

Quand à la cueillette ... faites en donc l'expérience. Tentez de survivre quelques jours entre décembre et avril dans la forêt de Balizac ou de Léogeats. Si vous aimez la mousse et les lichens, vous serez bien servis .... Mais rien d'autre, en tout cas, à coup sûr, vous y perdrez pas mal de poids.

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Comment passer l'hiver ?

 

Dans la nature, chacun s'est ingénié à pallier le cycle inéluctable de ces temps de disette annuelle. Comment y survivre ?

Dans le règne animal, certain ont poussé la logique jusqu'à l'hibernation complète. L'ours, le loir, et autre marmotte par exemple. C'est une solution radicale.

L'homme n'est pas allé jusque là ... mais il a mis au point un système de stockage des  graisses qu'il accumule en période d'abondance pour les brûler en vivant sur ses réserves pendant l'hiver.

Nous disposons tous, dès l'enfance, d'un stock de cellules spécialisées dans cette rétention. D'un nom savant on les appelle " adipocytes ". Des cellules qui peuvent emmagasiner jusqu'à 10 fois leur volume en corps gras. Et lorsque nous avons saturé cette capacité, la nature, dans sa générosité, nous en fabriquera d'autres, et ceci sans limite. D'autres que nous allons à nouveau largement approvisionner.

Ce système, parfaitement adapté aux conditions de vie de nos lointains ancêtres, et que nous avons entièrement conservé en l'état, comporte pour nous, aujourd'hui, deux inconvénients majeurs. Le premier est évident. L'alternance abondance / pénurie dans nos ressources alimentaires au fil des saisons a pratiquement disparu, et de ce fait, le système a perdu toute son utilité. Mais il y a pire ...

C'est que nous avons conservé la faculté de multiplier le nombre de nos adipocytes très au delà de nos besoins et qu'un adipocyte supplémentaire créé dans notre organisme n'en disparaîtra jamais plus. Nous le conserverons jusqu'à la tombe.

Notre organisme aurait pu être programmé pour éliminer nos surplus de réserves. Il n'en est rien. Nos lointains ancêtres ont tellement eu besoin de ces réserves que la nature a considéré ces surplus comme une aubaine augmentant les chances de survie de l'espèce.

Ceci explique en passant pourquoi il est beaucoup plus facile de grossir que de maigrir. Pour grossir la nature nous offre toujours les adipocytes nécessaires. Quant à maigrir, il sera toujours plus difficile de " désaturer " 200 cellules plutôt que 100.

Ne nous égarons pas davantage mais retenons de tout cela  l'extrême précarité de ces conditions de vie., et posons nous une question :

Puisque nous sommes toujours dotés du même dispositif biologique sommes-nous prêts à faire face à un jeune quasi total au mois de mars sous prétexte que nous avons bien mangé en septembre ?                                               

Comment ont-il pu survivre ? Au prix de quelles souffrances ? Et pourtant nous sommes là, ici ce soir, preuve évidente que quelques uns d'entre eux ont surmonté l'épreuve.

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Les origines de l'agriculture et de la cuisine.

 

De très longue date ces hommes et ces femmes primitifs avaient remarqué qu' à un certain stade de maturité certaines graminées offraient des épis qui, froissés dans les mains, libéraient des grains que l'on pouvait mâcher et qui s'avéraient nourrissants : c'étaient les céréales.

Les 2 premières d'entre elles ainsi repérées semblent bien avoir été l'orge et le millet. Et c'est en Anatolie, au sut-est de l'actuelle Turquie, il y a de cela environ 12,000 ans, que les hommes comprirent qu'en fouissant la terre du bout de leur bâton pointu, et en semant ces graines en terrain ainsi préparé on en tirait de bien meilleurs rendements.

De cueilleur l'homme se faisait semeur, l'agriculture venait de naître et ce fut une révolution.

Le travail de la terre supposait une certaine permanence. De cueilleur, chasseur, nomade l'homme devenait agriculteur sédentaire. Mais ce faisant, par cette première emprise sur la nature il commençait à réduire la part du hasard dont il avait toujours été tributaire dans sa vie de nomade.

Cette découverte fondamentale ne se propagea qu'avec une incroyable lenteur. Elle mit environ 7.500 ans avant de parvenir jusque chez nous. Ne nous en étonnons pas. Les groupes humains étaient pu nombreux et ne se rencontraient guère. Peut-être n'y avait-il que quelques centaines d'hommes dans toute l'Aquitaine ...

Mais à partir de ce moment là, les choses vont progresser plus vite. " Plus vite " entendons nous bien, en quelques poignées de siècles tout de même, mais à l'échelle de l'histoire humaine ces progrès peuvent être tenus pour rapides.

On apprend d'abord à écraser  ces grains de céréales puis à en séparer la farine de la balle et enfin à mouiller cette farine pour en faire de la pâte. Le feu étant déjà domestiqué l'idée vient d'étendre cette pâte sur des pierres brûlantes et d'en faire des galettes beaucoup plus digestes que la pâte crue et qui, au surplus, se conservaient bien plus longtemps sans aigrir comme le faisait la pâte.

Le pain était né.

Et au fil des siècles, à travers toutes les vicissitudes de l'histoire il est resté l'aliment de base des classes populaires européennes jusqu'à la guerre de 1914. L'invention de la poterie allant au feu, parvenue dans nos contrées vers 4.000 ans avant notre ère à fait franchir un nouveau pas à l'alimentation.

Désormais on a pu faire bouillir. Bouillir les viandes trop dures, certes, mais aussi confectionner des bouillies de céréales qui sont venues jusqu'à nous. Même si les céréales utilisées ont pu changer, le principe est resté rigoureusement le même.  

Ce sont les " miques " de sarrasin de notre Lande, et la " cruchade " de seigle ou de maïs dont nous n'avons pas, d'ailleurs, l'exclusivité, pensez à la " pollenta " des italiens qui en est la proche cousine.

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Deux voies s'ouvrent à nous.

 

A partir de là, disons, à l'aube des civilisations historiques deux voies s'ouvrent à nous :

-celle de la gastronomie réservée aux grandes tables, celles des Pharaons, des Empereurs, des Rois et des Grands de ce monde.

-celle de l'alimentation populaire infiniment plus modeste et toute attachée à la simple survie des individus.

 C'est celle que nous allons adopter car elle plonge ses racines au plus profond de la préhistoire et les a développées pratiquement jusqu'à nos grands parents sous la seule réserve de quelques apports nouveaux mais tardifs, tels le maïs et la pomme de terre.

Nous n'évoquerons la gastronomie que très succinctement et de façon épisodique tant elle a inventé de variantes innombrables au fil des civilisations qui se sont succédés. Nous nous bornerons,  simplement, à noter au passage les aliments nouveaux qu'elle a expérimentés avant qu'ils ne tombent dans le domaine populaire. En dire plus ne serait pas raisonnable. Des soirées entières ne suffiraient pas à rendre compte de ses délires et de ses excès.

Je n'épiloguerai donc pas sur les pâtés de langues de rossignols servis sur telle grande table romaine, sinon pour m'apitoyer sur le sort de ces charmantes bestioles.

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Nos ancêtres les gaulois ...

 

Nous en tenant donc à la seule cuisine populaire, je vous invite à tourner rapidement les pages de l'histoire pour en venir aux gaulois. Nous allons retrouver dans leur alimentation, tous les fondamentaux issus de l'agriculture, à savoir : le pain et les différentes formes de bouillies de céréales.

Ils ont pendant très longtemps utilisé le millet qui, de longue date, a constitué la ressource principale de nos contrées. Et sur ce point nous disposons du témoignage du géographe grec Strabon qui, dans les premières années de notre ère, écrivait :

" La partie de l'Aquitaine qui avoisine les côtes de l'océan est presque partout sablonneuse, produisant du millet et fort peu d'autres fruits ...

En fait, les gaulois connaissaient également l'orge dont ils tiraient leur pain et aussi, après fermentation, leur cervoise. Le blé, du moins dans nos régions était très minoritaire. Ils allaient aussi bientôt connaître le seigle qui est arrivé chez nous au début de notre ère.

Curieuse histoire que celle du seigle ...

Il a longtemps été considéré par les premiers agriculteurs, comme une plante parasite qu'il fallait arracher afin de favoriser la croissance de l'orge et du millet.  

Et cela jusqu'au jour, relativement tardif où l'on finit par s'apercevoir qu'il constituait lui-même une céréale utilisable, présentant au surplus l'avantage d'une grande rusticité lui permettant de pousser en terrains pauvres et terres froides.

Les gaulois connaissaient également nombre de nos légumes et de nos fruits, oignons, asperges sauvages, fenouil, raifort, mais aussi les pommes, beaucoup de pommes, les poires, les noix, les châtaignes, etc.

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Des charcutiers ....

 

Ils avaient aussi une grande spécialité dans laquelle ils étaient passés maîtres. Les gaulois étaient d'excellents charcutiers. Les jambons gaulois étaient réputés dans tout le monde romain. Leurs porcs, de races très rustiques et encore proches du sanglier, vivaient le plus souvent en liberté.

En pénétrant dans une cuisine gauloise un jour de " tuaille de cochon ", vous n'auriez pas trouvé grande différence avec ce qui se pratiquait dans nos fermes il y a encore quelques années.

Vous auriez trouvé les mêmes couteaux, les mêmes hachoirs (sauf le hachoir à manivelle), mais vous y auriez trouvé également les mêmes chaudrons de cuivre, aux mêmes dimensions et pour le même usage que celui que nous avons connu il n'y a guère.

L'art de cuisiner le cochon n'a guère évolué depuis lors jusqu'à l'apparition de la charcuterie industrielle.

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Mais aussi des vignerons.

 

Mais il est un autre domaine dans lequel les gaulois se sont illustrés. C'est celui de la vigne et du vin.

Certes ils n'ont pas inventé la vigne ni le vin !

Celle-ci venant des rivages de la Mer Noire via la Grèce et l'Italie, est apparue pour la première fois en Gaule, plus exactement dans notre actuelle Provence vers 120 avant Jésus Christ.

Les gaulois qui ne connaissaient jusque là que leur cervoise devinrent presqu'aussitôt de grands amateurs de vin. Un vin qui, en ses débuts, resta pour eux un produit de très haut luxe.

Mais ils s'accaparèrent bientôt la culture de la vigne et la développèrent sur deux axes principaux : le long de la vallée de la Garonne jusqu'au Médoc et le long du couloir rhodanien jusqu'en Alsace et au delà. Et ceci à la grande surprise des romains qui n'avaient jamais pensé que la vigne puisse être autre chose qu'une plante méditerranéenne.

Pour cela, il a fallu que les gaulois inventent de nouveaux cépages adaptés à ces nouveaux climats et ce ne fut certainement pas une mince affaire. Et en prime ils mirent au service du vin leur invention de la barrique en bois, celle que nous utilisons encore et dont ils sont les incontestables inventeurs.

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Un apport des arabes.

Après la chute de l'Empire romain, la Gaule subit quantité d'invasions venues de l'est dans le détail desquelles nous n'entrerons évidemment pas. Mentionnons seulement celle des Wisigoth parce que ce sont eux qui tout particulièrement s'installèrent dans nos contrées avant de poursuivre leur marche vers l'Espagne.

Ils ne semblent pas avoir apporté d'innovations décisives dans le quotidien de l'alimentation populaire. Par contre, les arabes, qui ne sont pourtant restés chez nous que quelques dizaines d'années, au début de 8 ème siècle, nous ont apporté et légué le dessert que nous appelons aujourd'hui la Tourtière ou la Croustade.

Cet apport a été d'autant plus remarqué que la cuisine populaire avait jusque là à peu près tout ignoré de la pâtisserie. La recette de la Croustade n'a pas varié d'un pouce depuis le  8 ème siècle, nous la faisons toujours exactement comme les arabes nous ont appris à la faire. Les seules différences sont que nous la parfumons désormais à l'Armagnac, ce que ne faisaient évidemment pas les arabes et que nous avons remplacé par du sucre, le miel originaire de la recette.

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Le bleu, c'est le meilleur ...

 

Au début du  9 ème siècle, commencent à apparaître dans le monde rural les premiers fromages à pâte persillée, ancêtres de notre Roquefort et autres bleus d'Auvergne ou de Bresse.

Charlemagne et sa cour se déplaçaient beaucoup. Ils allaient de Villa en Villa, (sortes de grosses fermes impériales) à travers tout l'Empire, consommant sur place les produits du crû pendant quelques semaines ou quelques mois jusqu'à épuisement des ressources locales et avant d'aller un peu plus loin.

Ces fermes s'étendaient sur plusieurs centaines d'hectares. La plus proche de nous était celle de Cassinolium à moins de 30 km d'ici et que nous appelons aujourd'hui Casseuil.

Une anecdote rapporte qu'à l'occasion de l'un de ces séjours, dans une villa non précisée, on servit à Charlemagne un fromage dont la pâte présentait des tâches bleues que, de la pointe de son couteau il tentait d'éliminer pensant qu'il s'agissait de moisissures indésirables.

Il fallut lui expliquer que ces tâches faisaient partie de la nature du fromage. Ce fromage, encore rural et populaire n'avait pas eu encore accès aux grandes tables. Ceci en fut l'occasion.

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La situation n'évolue guère.

 

Nous sommes assez bien renseignés sur tout ce qui se passe autour de ces grandes tables tout au long du Moyen Age, tables princières ou royales. Les documents abondent mais ce n'est pas notre propos.

Les débauches de viandes et de gibiers qui s'y pratiquaient restaient tout à fait étrangères aux tables populaires essentiellement rurales.

Les siècles passant, l'alimentation du petit peuple reposait toujours sur les mêmes fondamentaux : du pain, des soupes, des diverses bouillies de céréales et des légumes connus depuis l'antiquité : le chou, l'oignon, la carotte ... etc.  

La seule viande connue sur ces modeste tables était celle du porc familial que l'on nourrissait de glands et de restes ménagers. Ajoutons-y un peu de volaille, mais celle-ci réservée aux grandes manifestations festives.

Ne nous y trompons pas : la poule au pot dominicale chère à Henri IV relevait beaucoup plus d'un voeu pieux que de la réalité et cela dura encore longtemps ....

La cuisine de cochon, immuable depuis les gaulois, se perpétuait dans nos campagnes.

Allez donc voir les fresques murales dans le choeur de l'église de Saint Léger de Balson. Vous y découvrirez que les gestes de ce cérémonial à la fin du 15 ème siècle sont identiques à ceux qui se pratiquaient encore chez nous, il y a de cela quelques années.

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L'influence décisive de la religion.

 

Il nous faut maintenant évoquer l'influence décisive de la religion sur l'alimentation. L'Eglise avait institué 3 jours d'abstinence de tout aliment gras par semaine.

Le mercredi : parce que c'est le jour au cours duquel Judas avait vendu Jésus.

Le Vendredi : jour de la mort de Jésus.

Et le samedi : parce que c'est le jour qu'il avait passé " aux enfers " selon la terminologie du temps.

Au 18 ème siècle, ces trois jours ont été réduits à un seul, le vendredi, lequel a lui-même    presque été abandonné après le concile de Vatican II.

A ces jours là s'ajoutaient les 40 jours du Carême, la période de l'Avent, les quatre temps à chaque changement de saison, les vigiles des grandes fêtes, etc.

Cela faisait beaucoup et les règles des cette abstinence étaient très strictement respectées. Ces jours là, pas de gras (sauf l'huile végétale), pas de viande, pas de volaille (sauf la sarcelle réputée être, on ne sait trop pourquoi, un animal aquatique...) Enfin pas d'oeufs non plus, ce qui était très contraignant.

Si contraignant qu'en 1723, compte tenu de la disette générale, François Elie Voyer de Paulmy d'Argenson, Archevêque de Bordeaux, accorda une dispense générale autorisant la consommation des oeufs pendant le Carême de cette année là.

L'année suivante, en 1724, en l'absence de l'Archevêque, ses vicaires généraux, pour les mêmes raisons, prirent la responsabilité de reconduire la mesure par un mandement du 5 février 1724. Mais pas trop rassurés de leur initiative audacieuse, ils l'assortirent de quelques conditions :

" Nous avons permis et permettons l'usage des oeufs pendant le Carême prochain jusqu'au dimanche des Rameaux exclusivement ; nous exhortons les fidèles de regarder cet adoucissement d'abstinence comme un engagement à un jeûne plus exact et régulier et de réparer ce relâchement nécessaire par des prières, des aumônes et autres bonnes oeuvres. "

On ne plaisantait pas avec les interdits.

Ainsi donc, à part les légumes, le pain et les diverses bouillies traditionnelles, que pouvait-on manger en ces jours d'abstinence ?

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Le poisson.

 

Eh bien il restait le poisson. Nous n'en avons pas jusqu'ici, beaucoup parlé. Il constitue pourtant l'un des aliments les plus anciens. Souvenez-vous ... " ils vivaient de chasse et de pêche ... "  et le propos s'illustrait d'une image sur laquelle vous pouviez découvrir quelques hommes toujours vêtus de peaux de bêtes en train de taquiner le goujon ...

Encore une fois cela a été vrai, mais très, très tardivement. Les gaulois connaissaient la pêche à la ligne et la pêche au filet. Mais à l'échelle de l'histoire des hommes, les gaulois, c'était hier, que dis-je ? C'était plutôt il y a quelques instants. 20 et quelques siècles ne sont rien. Qu'en était-il il y a 1.000 siècles ou bien au delà encore.

L'homme pêchait à la main. Et la nature lui offrait des modèles. Regardez comment les ours capturent les saumons, d'un coup de patte habile en les projetant sur la berge. Il suffit pour cela de choisir le bon endroit de la rivière.

Ainsi donc l'homme a toujours pêché et a progressivement mis au point pour cela des techniques de plus en plus sophistiquées. Pendant très longtemps, il s'est borné à pêcher en eau douce qui était pour lui la seule accessible. La pêche en mer n'a été pratiquée qu'après l'invention de la navigation maritime.

Au temps de l'Antiquité Gréco-romaine, et même bien avant, on a consommé beaucoup de poisson tant de rivière que de mer.

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Et voici le hareng ...

 

Le Moyen Age fait une découverte, une découverte de taille ! Celle du hareng.

Curieusement les romains semblent ne l'avoir pas connu. Ils contrôlaient pourtant les rivages de ce que nous appelons aujourd'hui les Flandres et du sud de l'Angleterre, précisément là où l'on pêche ce poisson. Il est littéralement effarant de voir quelles quantités de hareng on a pu consommer au moyen Age.

Le hareng saur, facile à conserver et à transporter se retrouve à profusion sur toutes les tables populaires. Son importance est telle qu'il est même lié à bien des événements. La fameuse "  Journée des Harengs " illustre ce propos.

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"Journée des Harengs." 

 

C'était le 12 février 1429 à Rouvray, à 35 km au nord d'Orléans. C'était pendant que les anglais assiégeait cette ville, juste quelques semaines avant l'intervention de Jeanne d'Arc. Les ressources alimentaires du pays étant épuisées, il fallait bien nourrir les assaillants, et l'on allait entrer en carême.  

Voilà que les services de renseignement français informent Dunois, le futur compagnon de Jeanne d'Arc, qu'un convoi de 300 chariots chargés de harengs allait quitter Chartres à destination de l'armée anglaise assiégeante.

300 chariots de harengs ! Ce n'est pas rien ! C'est un convoi de quelques 3 km de long dans la campagne beauceronne ...

Un convoi précieux et, à ce titre, bien protégé puisqu'il est escorté de 1.500 hommes d'armes sous le commandement de Falstaff dont Shakespeare fera, 170 ans plus tard l'un des héros de son théâtre, un véritable personnage !

Les français décident alors d'intervenir et 3 corps militaires sortent d'Orléans pour aller se poster en embuscade à Rouvray et attendre les fameux harengs.

Ces trois corps représentaient 3.000 hommes, le double des anglais. L'artillerie française se découvre tout à coup, pulvérise quelques chariots et commence à faire de la bouillie de harengs. Les français ne peuvent s'accorder sur la tactique à suivre.

Falstaff met ce répit à profit pour former ses chariots en carré, exactement comme on fera plus tard au Far West lors des attaques des indiens. Avides de gloire personnelle, les français se lancent follement à l'assaut de ce fortin improvisé. Du coup l'artillerie se tait pour ne pas tirer dans le dos des siens et cesse de faire ses cartons à distance.

Ce fut un désastre dans lequel les français laissèrent plusieurs centaines de morts. Tout cela pour des harengs ... ! Des harengs qui, dans leur grande majorité arrivèrent à bon port sous les murs d'Orléans et permirent aux assiégeants anglais de respecter pieusement leur Carême.

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D'autres poissons séchés ...

 

Mais les harengs n'étaient pas seuls sur le marché des poissons séchés, qu'ils soient salés ou fumés. Sur ce point, nous sommes localement bien renseignés par le tarif du péage perçu par le seigneur de Castelnau de Cernès sur la route des Landes.

Outre les inévitables harengs, on y trouve du merlus, de la morue, des sardines et, dit le tarif, " autres poissons. " Ce qui est curieux, c'est que les anguilles séchées pourtant très répandues et appréciées ne figurent pas dans ce document. Elles pouvaient, bien sûr, trouver leur place parmi les " autres poissons ", mais il est surprenant qu'elles ne soient pas expressément désignées.

Les modes de transport dominants semblent avoir été les animaux de bat, et aussi, ce que le tarif appelle " les hommes chargés à col ". Entendez par là de modeste gagne petit allant à pied, de marché en marché, voire de ferme en ferme, en portant leur poisson sec dans une hotte ou encore en divers colliers enroulés autour du cou.

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La morue gagne du terrain.

 

Au fur et à mesure que le temps         va passer au fil des  16 ème et  17 ème siècles, la morue va se placer de mieux en mieux vis à vis du hareng. Les progrès de la navigation vont permettre d'aller la pêcher au grand large, et, de ce fait, elle devient plus commune. Très appréciée en milieu populaire elle figure au  18 ème siècle dans les menus festifs locaux.  

Ainsi par exemple, par une mise en demeure judiciaire du 26 mai 1786 nous apprenons que Pierre Brun, dit Fleurin, marchand à Pujols, ne parvient pas à se faire payer une livraison de morue faite pour un repas de mariage il y a 11 ans de cela .... Il en a pour une créance de 30 livres soit, à l'époque, le prix d'une barrique de vin local.

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Les poissons locaux.

 

Le poisson frais est rare et cher.

Le Ciron, tous ses affluents, ainsi que tous les étangs du pays (Villandraut, La Ferrière) appartiennent en propre aux divers seigneurs locaux. Le poisson qui s'y trouve leur appartient aussi. Tout acte de pêche individuel constitue un délit de braconnage et sévèrement sanctionné comme tel.

Ces seigneurs concèdent leurs droits de pêche à des fermiers moyennant une redevance annuelle importante. Ces fermiers capturent le poisson et en disposent à leur gré. Ils en vendent sur les marchés ou les mettent en viviers pour en différer la vente jusqu'à un moment où les prix seront plus favorables, en carême par exemple.

Ils prélèvent évidemment au passage une marge confortable. Le poisson frais est donc cher et ne paraît guère que sur les tables bourgeoises. Mais nos paysans locaux ont une chance c'est la proximité de la Garonne qui ne fait pas l'objet d'appropriation privée.

A la saison on y trouve l'esturgeon, l'alose, la lamproie, et lorsque leurs prises sont importantes, leurs prix baissent et deviennent parfois accessibles aux foyers modestes. C'est un petit privilège local que l'on retrouve dans les populations littorales vivant proches de l'océan.

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Une histoire difficile à raconter.

 

Nous allons aborder maintenant une période passablement chaotique. De découvertes en découvertes les apports nouveaux de toutes sortes vont se bousculer. Il va être très difficile d'en rendre compte de façon logique car leur vitesse de propagation dans le pays va être très différente.

Ainsi par exemple, ce sont les premiers croisés qui, tout au début du  XII ème siècle ont découvert l'échalote en Syrie et l'on rapportée en France. Mais elle a mis des siècles avant de parvenir dans nos jardins.

De même les pâtes nous arrivent d'Italie dans les bagages de Catherine de Médicis lors de son mariage avec Henri II en novembre 1533. Elles sont adoptées sur les grandes tables parisiennes mais ne pénétreront réellement dans nos foyers ruraux qu'à la veille de la guerre de 1914.

Pourquoi d'aussi longs délais alors que les haricots, par exemple vont se propager rapidement dans tout le pays et jusque dans le dernier de nos jardins.

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La curieuse histoire du haricot.

 

Le notre est originaire d'Amérique, on en a retrouvé dans des tombes au Pérou. Il arrive en Europe parmi les quantités de produits nouveaux rapportés du nouveau monde. On en offre quelques graines au Pape Clément VII, Jules de Médicis lequel, ne sachant trop qu'en faire, en fait cadeau à un chanoine italien Pietro Valeriano qui se pique de botanique.

 

Il n'y voit d'abord qu'une simple curiosité. Il cultive ces quelques graines en pot et s'aperçoit qu'elles fournissent un légume à reproduction rapide et qui ne manque pas de qualités nutritives.

Il en offre à Alexandre de Médicis, à Florence, lequel le fait cultiver et en remet quelques sacs à sa soeur Catherine qui les emporte dans ses volumineux bagages. Bagages que nous venons d'évoquer, lors de son mariage en France en 1533.

Ce légume nouveau suscite aussitôt un vif intérêt, mais, curieusement, n'a pas  encore reçu de nom français.

Or, depuis bien des siècles, on connaissait en France la recette de ce que l'on appelait le " Haricot de mouton ". Un document daté de 1393 nous en donne déjà le détail.

Ce mot de " Haricot " vient du vieux français " Haricoter " qui signifie " couper en morceaux ". Or c'est bien ce que l'on faisait dans cette ancienne recette dans laquelle entrait du mouton découpé en petits dés.

On y ajoutait : des navets, des oignons et des fèves. Et l'on s'aperçoit très vite que, dans cette préparation, le nouveau légume sans nom remplace avantageusement les fèves. On va donc l'appeler " fève de haricot " qui s'abrègera bientôt en " haricot " tout court.

Je vous avais bien dit qu'il s'agissait d'une curieuse histoire.

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L'aubergine, le melon, l'artichaut.

 

Venue de l'Inde, l'aubergine arriva en Europe à la fin du 15 ème siècle. C'était alors une plante médicinale dont on faisait des cataplasmes. Il fallut attendre le Directoire, 300 ans plus tard pour s'aviser qu'elle était comestible.

Mais elle ne sortit guère alors de milieux très restreints et elle n'est apparue vraiment sur les marchés urbains qu'à partir de 1825. Quant à la voir entrer dans nos jardins, il fallut encore attendre bien des lunes.

Par contre le melon a progressé plus vite. Les romains l'avaient bien connu et ils en étaient friands. Chez nous on en avait perdu jusqu'au souvenir au temps des invasions barbares. C'est Charles VIII qui le redécouvre à l'extrême fin du 15 ème siècle, au cours de ses guerres d'Italie et le ramène en France.

Un melon qui vous aurait bien déçu car, aussi bien dans l'Antiquité romaine qu'au 15 ème siècle  il n'était guère plus gros qu'une orange. Pourtant il se répand assez vite. 80 ans plus tard il est connu en bordelais. Montaigne, notre voisin, écrit à ce sujet : " Je ne suis pas excessivement désireux de salades, ni de fruits, sauf le melon. "

C'est encore au 16 ème siècle que nous parvient l'artichaut. Il se présente alors sous la forme d'une espèce de gros chardon aux pointes très agressives. On n'en mangeait que le coeur et pratiquement d'une seule bouchée.

Mais tout le monde n'en mangeait pas ... réputé aphrodisiaque, on l'interdisait aux jeunes filles et les femmes mariées n'en mangeaient en public qu'avec réserve. En consommer trop ouvertement aurait relevé de la provocation.

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Le XVII ème siècle 
a été le siècle des boissons.

 

Il faudrait maintenant dire un mot des boissons.

Le 17 ème siècle a été le siècle des boissons nouvelles. Ce siècle voit en effet apparaître en quelques dizaines d'années 3 boissons jusque là totalement inconnues : le thé, le café et le chocolat.

Ce sont les marins hollandais qui découvrirent le thé à l'occasion d'une rencontre avec des jonques sur la Mer de Chine. Mais les premières feuilles de thé touchèrent l'Europe occidentale à Lisbonne en 1610 sur un bateau en provenance de Macao.

Les anglais vont s'en enticher rapidement. La France, du moins au début, va le bouder.  A telle enseigne que jamais le thé n'est parvenu dans nos foyers ruraux.

Le café, en provenance d'Arabie et d'Ethiopie est connu des arabes dès le 16 ème siècle. Il débarque à Marseille en 1644. Mais c'est la visite de l'ambassadeur du Sultan de Turquie auprès de Louis XIV, en 1669, qui va vraiment en lancer la mode.

Tout Versailles s'entiche alors de " Turqueries ". C'est le temps où dans le " Bourgeois Gentilhomme " Molière intronise M. Jourdain en " Mamamouchi " ...

Le café est lancé et bien lancé. Mais sur ses effets immédiats on reste partagé. Certains lui prêtent des vertus aphrodisiaques. Subligny, un obscur poète du temps lui dédie ce quatrain :

Sa vertu n'a point de pareille
Tout le monde s'en aperçoit
Et surtout pour la femme, il opère à merveille
Quand c'est son mari qui le boit.

Par contre dans le même temps, dans une de ses lettres, la Princesse Palatine en recommande l'usage aux ecclésiastiques car il incite à la chasteté. Qui croire ? et que penser ? Je me garderai bien d'arbitrer ce débat. Enfin, madame de Sévigné, péremptoire, estime que la mode en passera ...

Le café restera longtemps une boisson chère mais il va se démocratiser. A la fin du 18 ème siècle, chez nous, on va surtout le trouver dans les auberges et dans les maisons bourgeoises. Le petit peuple n'en boira chez lui qu'à l'occasion de mariages et autres grandes festivités.

Lors des visite domiciliaires auxquelles on procède à Villandraut le 4 prairial An II (le 23 mai 1794), on en trouvera 221 livres soit environ 106 kg surtout répartis entre les 12 auberges du village. Restons néanmoins prudents sur ce chiffre car des quantités appréciables ont pu être dissimulées pour échapper à la réquisition.

Quand au chocolat, il nous est venu du Mexique en Espagne. Longtemps les espagnols conserveront le monopole de son commerce. C'est l'Infante Marie Thérèse qui en était très gourmande, qui l'introduisit en France lors de son mariage avec Louis XIV en août 1660.

 Eh voilà le chocolat lancé !

Précisons qu'alors, on le préparait à l'eau. Ce sont les anglais qui, plus tard, ont eu l'idée de le préparer au lait. A l'eau ou au lait, le chocolat est resté une boisson de luxe pratiquée dans les grands salons, puis un peu plus tard dans les maisons bourgeoises. Il n'est jamais parvenu, chez nous, au stade de la consommation populaire.

Pour bien fixer vos idées sur ce point, sachez qu'à la rentrée d'octobre 1901, le couvent des Ursulines à Langon facturait aux familles un supplément de 72 Francs Or par an pour chacune de ses pensionnaires prenant un bol de chocolat à son petit déjeuner du matin au lieu et place du café au lait prévu par l'ordinaire.

72 Frs représentaient à l'époque 24 journées du salaire d'un ouvrier agricole à Pujols ....

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A la recherche d'un produit de substitution.

 

Revenons-en aux nourritures solides. A plusieurs reprises, l'administration royale s'était préoccupée de trouver un substitut aux céréales indigènes pour assurer les soudures en cas de disettes.

Elle avait, en particulier, fait venir du riz de Camargue parvenu chez nous par la Garonne. Ce fut un échec complet, le rejet fut général et je me suis longtemps demandé pourquoi car rien, surtout en période de famine, ne me paraissait justifier ce rejet.

Et puis, il y a peu de temps de cela, j'ai découvert que l'on avait distribué ce riz à nos ancêtres sans leur en préciser le mode de cuisson. Ils se sont crû obligé de le faire bouillir pendant 3 heures en obtenant le résultat que vous pouvez imaginer. Dès lors, je comprends mieux les raisons de cet échec.

En y mettant le temps, et quelquefois beaucoup de temps, on allait tout de même finir par découvrir ces substituts alimentaires qui avaient si souvent fait défaut sur les tables populaires.

Ce fut d'abord le maïs, puis, plus tard la pomme de terre.

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Et voici que survient le maïs.

 

Le maïs nous est venu très tôt d'Amérique. C'est Christophe Colomb qui l'a rapporté en Espagne dès 1492. De là, il n'a mis qu'une quarantaine d'année pour gagner le sud de la France ce qui est fort peu. Il entre par le Pays Basque et gagne le Béarn.

La première mention française que nous en trouvons figure dans la description d'un herbier en 1532. Curieusement il est resté cantonné au sud de l'Adour où il est alors régulièrement cultivé.

Au 17 ème siècle, il gagne vers l'est et atteint le Lauragais. En 1637, il apparaît sur le marché de Castelnaudary. Vers le nord, il n'avance guère. John Locke, l'infatigable voyageur anglais dont les carnets de route sont si précieux nous dit en avoir vu entre Sainte et Blaye en septembre 1678 mais à titre de curiosité.

Et soudain, sans raison apparente la culture du maïs franchit l'Adour et se propage vers le nord à travers les Landes. Ceci aux environ de 1700. Et cette expansion est très rapide puisque dès 1755 on en trouve couramment sur le marché de Villandraut.

Dans nos contrées, et pratiquement jusqu'à la guerre de 1914, on en cultive essentiellement 2 variétés : le roux, appelé aussi " quarantin " et le blanc, également appelé en gascon " dén d'agouille " autrement dit " dent de brebis " faisant ainsi allusion à la forme particulière de son grain.  

Le premier est surtout destiné à la consommation animale, le second moulu, fournit la farine dont on fait la cruchade laquelle, désormais, dans nos familles va constituer un précieux substitut au pain de seigle en cas de pénurie, et ceci jusqu'à l'aube du XX ème siècle.

Signalons que ce maïs blanc, à pousse très rapide, pouvait être semé sur le chaume du seigle et parvenir néanmoins à maturité pour la Saint Luc, le 18 octobre. Ce n'était pas son moindre intérêt.

Le maïs constitua une acquisition fondamentale pour tout le midi de la France. La pomme de terre allait le suivre, mais avec une évolution beaucoup plus lente.

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La pomme de terre, 
débuts modestes et difficiles.

 

Originaire des Andes, et très probablement du Pérou, la pomme de terre est introduite en Espagne en 1520. La toute première mention que l'on en découvre en France remonte à 1533 et c'est Charles de l'Etoile qui, en 1588 procède à sa première description botanique détaillée.

En Espagne on ne s'y intéresse guère. Mais des moines italiens, des Carmes Déchaussés, à titre de curiosité, en ramènent quelques tubercules dans le jardin de leur couvent en Italie. Ces tubercules poussent sans problème et en quantité.

Ne sachant trop quand faire, ils ont un jour l'idée d'en faire bouillir et de les servir à leurs porcs lesquels, sans hésiter, s'en régalent et paraissent s'en porter fort bien. Ceci se passe en 1586. De là, l'idée se développe ; et pourquoi les hommes n'en mangeraient-ils pas ? Et c'est de là que tout est parti.

En 1610 on trouve la pomme de terre en Alsace. Or, dans les années qui allaient suivre, l'Alsace allait connaître de fortes concentrations militaires. En 1636, c'est le début de la guerre de 30 ans, les armées vont s'en nourrir et vont la disséminer dans toute l'Europe centrale, théâtre de leurs opérations.

A ce stade là, la pomme de terre constitue un aliment populaire de très bas de gamme. Elle reste encore totalement inconnue chez nous.

Entre temps, en 1616, on en plante quelques exemplaires, en France, dans les jardins du Roi à titre de curiosité exotique. On raconte qu'un jour de l'été suivant, par mesure de plaisanterie, on en servit à la table du jeune roi Louis XIII qui avait alors 15 ans. On en rit beaucoup, mais personne n'y toucha, bien sûr. On pensait qu'elles pouvaient donner des " fièvres ". Voire même la lèpre ... on ne savait trop.

Toujours par dérision, on en servit même à la table d'Elizabeth I ère d'Angleterre, mais comme ses cuisiniers ne connaissaient pas le produit, ils avaient jeté les tubercules et lui avaient servi les fanes en salade. Ce fut un autre échec ...

Il convient en outre de préciser qu'en ces débuts, personne n'avait encore imaginé de les peler et qu'on les mangeait avec leur peau. Pendant plus de cent ans cette situation n'évolue guère.

Dans leur encyclopédie, en 1765, Diderot et d'Alembert exposent que, dans certains milieux populaires ont en fait " des ragoûts grossiers et champêtres ".

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Mais Parmentier intervient.

 

Vint alors Parmentier qui, à l'occasion d'une jeunesse un peu agitée avait eu l'occasion de faire de la prison et il se trouve que la pomme de terre figurait abondamment au menu de l'ordinaire carcéral. Cela ne lui déplut point.

Quelques années plus tard il participe à la guerre de 7 ans qui débute en 1756. Dès la première année, il est fait prisonnier par les prussiens et là, en Prusse, il retrouve la pomme de terre qui sert de nourriture de base aux prisonniers et aux cochons.

Libéré, il rentre en France et devient apothicaire. Après la sévère disette de 1769/1770, l'opinion s'agite, et l'Académie de Besançon organise, en 1772 un concours en vue de trouver un substitut aux céréales en cas de mauvaises récoltes. Vous trouverez ici, encore une fois, la même idée récurrente.

Parmentier, qui a alors 35 ans et qui s'est totalement assagi, présente à cette Académie, un mémoire prônant l'usage de la pomme de terre et se montre si convainquant qu'il emporte le premier prix du concours.

Pendant plusieurs années il va en cultiver dans son jardin et s'acharnera à en tirer de la farine propre à faire du pain. Il n'y parviendra pas.

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La pomme de terre arrive chez nous.

 

Mais Parmentier n'est pas le seul en piste. En particulier, chez nous, les choses ont commencé à bouger. Inquiet de la très mauvaise récolte annoncée pour 1769, M. Bourriot Subdélégué à Bazas de l'Intendant de la Province, avait pris l'initiative personnelle de faire venir un chargement de pommes de terre d'Irlande.

Elles arrivent conditionnées en 70 barriques sur un bateau tout droit venu d'Irlande et qui accoste au port de Langon à la fin d'avril 1769

M. Bourriot avait obtenu de l'évêque de Bazas qu'il mandate ses curés pour expliquer en chaire aux paroissiens assemblés :

·          Ce qu'était la pomme de terre.

·          Comment la planter.

·          Comment la cultiver.

·          Et ce que l'on pouvait en faire.

Et à l'appui de ces discours, il fait distribuer ces pommes de terre irlandaises dans 52 paroisses de la région. A l'automne i769, on en fait une bonne récolte à Noaillan, Uzeste et autres lieux, là même où la récolte de millet et de seigle venait de s'avérer désastreuse. C'était donc un succès.

Oui mais, si l'éloquence du clergé local avait bien convaincu nos parents de planter ces pommes de terre, elle ne les avait pas pour autant convaincu de les manger. Les plus hardis d'entre eux en offrirent à leurs porcs qui s'en régalèrent. Mais les choses n'allèrent pas plus loin jusqu'à la Révolution. L'essai avait donc été marqué mais pas transformé.

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A Paris, Parmentier poursuit sa croisade.

 

En 1785, il obtient de Louis XVI la concession d'un terrain très pauvre dans la plaine des Sablons à Neuilly. Tout le monde se gausse on sait que rien n'y pousse. Parmentier y procède à une première plantation massive et ça marche.

Le 24 août de la même année, veille de la Saint Louis, il peut se présenter à Versailles et offrir au Roi un bouquet de fanes en fleurs et un panier des plus beaux des tubercules récoltés.

Louis XVI cueille une fleur et la met à sa boutonnière, en cueille une autre et la pique dans la coiffure de la Reine et déclare :

"  M. Parmentier des hommes comme vous ne peuvent être récompensés avec de l'argent; une monnaie est plus digne de votre coeur, donnez moi une poignée de main et embrassez la Reine ... "

                                                               ce n'était pas tout à fait ce qu'avait espéré Parmentier, ni ce dont il avait le plus besoin.... Dès le lendemain, on servait des pommes de terre à la table du Roi, et il en mangea ... Toute la Cour suivit, bien sûr. Restait à convaincre le peuple ...

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Une idée de génie.

 

Alors Parmentier eut une idée de génie digne de nos plus modernes agences de marketing et de communication.

Il fit enclore son champ expérimental d'une palissade en mai 1786 et le fit garder par des hommes en armes mais le jour seulement. Les gardiens ainsi postés firent valoir que le plus grand danger de vol se situait plutôt la nuit. Mais Parmentier n'en démordit pas.

Ce qui devait arriver arriva.

En partant de l'idée que ce que l'on gardait aussi étroitement devait être précieux, son champ fut systématiquement pillé chaque nuit et le coup fut gagné, la pomme de terre était devenue populaire du moins à Paris.

Car dans notre France rurale il fallait en relancer la culture. Ce fut la Révolution qui s'en chargea. Elle donna des instructions en ce sens et nos villages les accueillirent avec plus ou moins d'empressement.

Dans les premiers jours de mai 1793 le citoyen Latapie, Curé constitutionnel de Budos et le citoyen Bédouret convièrent  le Conseil Municipal à venir visiter leur plantation de pommes de terre, l'un, dans le jardin du presbytère et l'autre dans une pièce de terre qu'il possédait à Pingoy.

Tout le Conseil s'y transporta et en dressa 2 procès verbaux de constat très officiels qui figurent encore dans les archives de la mairie.

Ce n'était qu'un début.  

C'est au cours du XIX ème siècle que la consommation de la pomme de terre s'est progressivement développée sur les tables populaires de notre région. Les tables bourgeoises y sont elles aussi venues mais avec quelques retards. Elles y sont surtout venue avec la diversification des modes de préparation.

On peut dire que la pomme de terre s'est davantage imposée, sur nos tables bourgeoises, par la frite que par la robe des champs. Le maïs et la pomme de terre étaient, enfin, venus compléter les grands fondamentaux millénaires de l'alimentation populaire. Savoir :

-les céréales.
-les quelques légumes connus.
-le porc.
-et le poisson séché.

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Nostalgie.

 

La surabondance des choix alimentaires qui nous sont proposés depuis moins d'un siècle sont venus nous faire oublier tout cela. Nous portons tous, enfouie au fond de nos mémoires, la nostalgie du bon vieux temps.

Celui des volailles nourries de maïs dans la verte campagne;
Celui des porc engraissés de châtaignes et de glands;
Celui des veaux sous la mère, exempts de toute hormone;
Celui des poissons sauvages ignorant les farines.

De ces temps où la moindre fête donnait prétexte ç de pantagruéliques repas composés de 6 ou 7 plats principaux sans compter les amuse-gueules accessoires. Cela a existé, c'est vrai .... Mais la réalité quotidienne était tout autre.

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La réalité quotidienne en milieu rural.

 

Dans les foyers populaires de nos proches campagnes, la viande rouge était quasiment absente jusqu'à la guerre de 1914 et pas seulement chez les plus pauvres. Dans un grand nombre de foyers la viande rouge n'apparaissait que 2 fois par an :

Le jour du carnaval.
Le jour de la fête du village. Et encore n'apparaissait-elle souvent que sous la forme d'un simple pot au feu.

Si les tables bourgeoises pratiquaient couramment la volaille et le gibier, les tables des petits journaliers et des métayers en faisaient un luxe réservé aux seules grandes occasions. On élevait de la volaille, certes, mais c'était essentiellement pour la vendre au marché et en tirer quelque argent.

Un lièvre tué à la chasse ne se mangeait pas à la maison, on le vendait à l'aubergiste local.

Le quotidien populaire était fait de pain de seigle, de cruchade de maïs, de soupes diverses, beaucoup de soupes, agrémentées, les bons jours, d'un peu de lard, et enfin de divers poissons séchés, harengs, morues et sardines de baril.

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Les soirs de carême chez Moralie.

 

Lorsque j'étais enfant, tout au début des années trente, ma voisine Moralie, qui était née vers 1860 ou 65, me racontait les repas du soir de sa propre enfance en temps de carême.

Autour de la table prenait place le père, la mère (celle-ci souvent debout) et les 7 enfants.

Le père, seul, tenait le pain et en distribuait les morceaux, y compris à sa femme, en appropriant leur taille aux besoins supposés de chacun selon l'âge, le sexe et les travaux fournis. La mère, après la soupe, posait la cruchade sur la table et les enfants y avaient à peu près libre accès.

Du plafond, pendu par la queue, descendait un hareng fumé, (ce que l'on appelait un " gendarme ") il était là, suspendu à l'aplomb du centre de la table et chaque enfant débitant son pain en morceaux piqués à la pointe de son couteau, avait le droit de les frotter sur le hareng suspendu ...

Evidemment, celui-ci fuyait le contact et n'abandonnait guère de sa substance. D'un regard appuyé,les enfants se faisant face synchronisaient leur geste pour coincer leur modeste proie.

Mais le père veillait, et tenant son propre couteau par la lame, d'un coup de manche, il tapait sur les doigts des audacieux.

Cela se passait à Budos, à la lumière fumeuse d'une chandelle de résine vers 1875 ou 80. Je n'ai pas eu la curiosité et maintenant je le regrette, de demander à Moralie combien de jours, à ce régime pouvait durer le hareng ...

En dehors du carême, un morceaux de lard salé pouvait prendre la place du hareng mais le principe restait le même. Soupe, pain, lard ou poisson séché accompagnés d'une quelconque bouillie, vous noterez que vous auriez pu trouver les mêmes fondamentaux sur une table gauloise.

La bouillie aurait simplement été faite de mil au lieu et place du maïs pour lors inconnu et peut être présentée sous une forme un peu plus liquide. Mais à part cela .....

Par contre, il est bien exact que, dans le même village et à peu près à la même époque, les tables des notables se voulaient riches et chargées voire ostentatoires. La surabondance alimentaire déjà pratiquée en ville aux siècles précédents, étaient devenue dans la bourgeoisie rurale le signe extérieur d'une véritable promotion sociale.

Peut être tout simplement parce qu'il n'y avait pas très longtemps que ces notables avaient réussi à s'arracher à la condition populaire. Cette ostentation alimentaire constituait ainsi une sorte de revanche sur un passé relativement récent.

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Et depuis lors ...

 

C'est au cours du XX ème siècle que ces situations se sont, non point confondues, mais à tout le moins rapprochées par amélioration du sort des uns et sensible modération du sort des autres.

La diversification et la standardisation de notre alimentation nous ont conduits jusqu'à nos modes de vie actuels qui posent bien d'autres problèmes.

Mais ceci est une autre histoire.

Jean DARTIGOLLES.

 
Réalisée le 5 avril 2008  André Cochet
Mise ur le Web le      mai 2008

Christian Flages

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