Les conférences du Ciron. |
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à Pujols sur Ciron, le 27 mars 2008. |
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Jean DARTIGOLLES. | |
Au risque de vous étonner voire même de vous inquiéter, je vais situer les origines de cette soirée aux premiers temps de la préhistoire. Ne voyez là ni fantaisie ni provocation, car, nombre des fondamentaux de l'alimentation humaine ont traversé, chez nous, les millénaires jusqu'à la guerre de 1914. |
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Inventaire
d'une musette.
Si,
au lever du jour, il y a de cela 45 siècles, vous aviez arrêté sur les bord
du chemin le fellah égyptien se rendant sur le chantier de la pyramide de Khéops
en lui demandant ce qu'il emportait dans son bissac, vous auriez trouvé
exactement la même chose que dans la musette de mon ami Marcot lorsqu'il
partait couper la bruyère dans la Lande au début des années 30. Et
qu'auriez-vous trouvé ? Tout
simplement du pain et un oignon. Ah
! Certes, ce n'était pas le même pain, celui du fellah était fait d'orge,
tandis que celui de Marcot était de seigle. Ce n'était pas la même variété
d'oignon non plus, mais les fondamentaux restaient bien les mêmes. 45
siècles plus tard, la chose est remarquable, et me paraît justifier le
regard que je vous propose de porter sur ce lointain passé. Aux
origines de l'homme.
Evoquons
un peu nos souvenirs scolaires. Que nous a-t-on appris sur nos lointains ancêtres
? Et qu'en avons-nous retenu ? " Ils
vivaient de chasse, de pêche et de cueillette ... " et nos
manuels illustraient le propos d'une image représentant quelques hommes vêtus
de peaux de bêtes entrain de harceler un mammouth aux abois. Cela
a été vrai, mais en un temps très proche du notre, disons, il y quelques
100 ou 150 siècles. Mais
avant ? Bien avant ? Il y a de cela quelques milliers de siècles ? Alors que
ces braves gens ne disposaient au mieux que de bâtons grossièrement épointés,
croyez-vous qu'ils pouvaient affronter un mammouth ? Leurs
proies habituelles se situaient plutôt au niveau de quelques malheureux
lapins ou autres rongeurs plus accessibles. De ce temps là nous avons peut-être
conservé la tradition de manger des escargots et des cuisses de grenouilles. Quand
à la cueillette ... faites en donc l'expérience. Tentez de survivre quelques
jours entre décembre et avril dans la forêt de Balizac ou de Léogeats. Si
vous aimez la mousse et les lichens, vous serez bien servis .... Mais rien
d'autre, en tout cas, à coup sûr, vous y perdrez pas mal de poids. Comment
passer l'hiver ?
Dans
la nature, chacun s'est ingénié à pallier le cycle inéluctable de ces
temps de disette annuelle. Comment y survivre ? Dans
le règne animal, certain ont poussé la logique jusqu'à l'hibernation complète.
L'ours, le loir, et autre marmotte par exemple. C'est une solution radicale. L'homme
n'est pas allé jusque là ... mais il a mis au point un système de stockage
des graisses qu'il accumule en période
d'abondance pour les brûler en vivant sur ses réserves pendant l'hiver. Nous
disposons tous, dès l'enfance, d'un stock de cellules spécialisées dans
cette rétention. D'un nom savant on les appelle " adipocytes ".
Des cellules qui peuvent emmagasiner jusqu'à 10 fois leur volume en corps
gras. Et lorsque nous avons saturé cette capacité, la nature, dans sa générosité,
nous en fabriquera d'autres, et ceci sans limite. D'autres que nous allons à
nouveau largement approvisionner. Ce
système, parfaitement adapté aux conditions de vie de nos lointains ancêtres,
et que nous avons entièrement conservé en l'état, comporte pour nous,
aujourd'hui, deux inconvénients majeurs. Le premier est évident.
L'alternance abondance / pénurie dans nos ressources alimentaires au fil des
saisons a pratiquement disparu, et de ce fait, le système a perdu toute son
utilité. Mais il y a pire ... C'est
que nous avons conservé la faculté de multiplier le nombre de nos adipocytes
très au delà de nos besoins et qu'un adipocyte supplémentaire créé dans
notre organisme n'en disparaîtra jamais plus. Nous le conserverons jusqu'à
la tombe. Notre
organisme aurait pu être programmé pour éliminer nos surplus de réserves.
Il n'en est rien. Nos lointains ancêtres ont tellement eu besoin de ces réserves
que la nature a considéré ces surplus comme une aubaine augmentant les
chances de survie de l'espèce. Ceci
explique en passant pourquoi il est beaucoup plus facile de grossir que de
maigrir. Pour grossir la nature nous offre toujours les adipocytes nécessaires.
Quant à maigrir, il sera toujours plus difficile de " désaturer "
200 cellules plutôt que 100. Ne
nous égarons pas davantage mais retenons de tout cela l'extrême précarité de ces conditions de vie., et posons
nous une question : Puisque
nous sommes toujours dotés du même dispositif biologique sommes-nous prêts
à faire face à un jeune quasi total au mois de mars sous prétexte que nous
avons bien mangé en septembre ?
Comment
ont-il pu survivre ? Au prix de quelles souffrances ? Et pourtant nous sommes
là, ici ce soir, preuve évidente que quelques uns d'entre eux ont surmonté
l'épreuve. Les
origines de l'agriculture et de la cuisine.
De
très longue date ces hommes et ces femmes primitifs avaient remarqué qu' à
un certain stade de maturité certaines graminées offraient des épis qui,
froissés dans les mains, libéraient des grains que l'on pouvait mâcher et
qui s'avéraient nourrissants : c'étaient les céréales. Les
2 premières d'entre elles ainsi repérées semblent bien avoir été l'orge
et le millet. Et c'est en Anatolie, au sut-est de l'actuelle Turquie, il y a
de cela environ 12,000 ans, que les hommes comprirent qu'en fouissant la terre
du bout de leur bâton pointu, et en semant ces graines en terrain ainsi préparé
on en tirait de bien meilleurs rendements. De
cueilleur l'homme se faisait semeur, l'agriculture venait de naître et ce fut
une révolution. Le
travail de la terre supposait une certaine permanence. De cueilleur, chasseur,
nomade l'homme devenait agriculteur sédentaire. Mais ce faisant, par cette
première emprise sur la nature il commençait à réduire la part du hasard
dont il avait toujours été tributaire dans sa vie de nomade. Cette
découverte fondamentale ne se propagea qu'avec une incroyable lenteur. Elle
mit environ 7.500 ans avant de parvenir jusque chez nous. Ne nous en étonnons
pas. Les groupes humains étaient pu nombreux et ne se rencontraient guère.
Peut-être n'y avait-il que quelques centaines d'hommes dans toute l'Aquitaine
... Mais
à partir de ce moment là, les choses vont progresser plus vite. " Plus
vite " entendons nous bien, en quelques poignées de siècles tout
de même, mais à l'échelle de l'histoire humaine ces progrès peuvent être
tenus pour rapides. On
apprend d'abord à écraser ces
grains de céréales puis à en séparer la farine de la balle et enfin à
mouiller cette farine pour en faire de la pâte. Le feu étant déjà
domestiqué l'idée vient d'étendre cette pâte sur des pierres brûlantes et
d'en faire des galettes beaucoup plus digestes que la pâte crue et qui, au
surplus, se conservaient bien plus longtemps sans aigrir comme le faisait la pâte. Le
pain était né. Et
au fil des siècles, à travers toutes les vicissitudes de l'histoire il est
resté l'aliment de base des classes populaires européennes jusqu'à la
guerre de 1914. L'invention de la poterie allant au feu, parvenue dans nos
contrées vers 4.000 ans avant notre ère à fait franchir un nouveau pas à
l'alimentation. Désormais
on a pu faire bouillir. Bouillir les viandes trop dures, certes, mais aussi
confectionner des bouillies de céréales qui sont venues jusqu'à nous. Même
si les céréales utilisées ont pu changer, le principe est resté
rigoureusement le même. Ce
sont les " miques " de sarrasin de notre Lande, et la
" cruchade " de seigle ou de maïs dont nous n'avons pas,
d'ailleurs, l'exclusivité, pensez à la " pollenta " des
italiens qui en est la proche cousine. Deux
voies s'ouvrent à nous.
A
partir de là, disons, à l'aube des civilisations historiques deux voies
s'ouvrent à nous : -celle
de la gastronomie réservée aux grandes tables, celles des Pharaons, des
Empereurs, des Rois et des Grands de ce monde. -celle
de l'alimentation populaire infiniment plus modeste et toute attachée à la
simple survie des individus. C'est
celle que nous allons adopter car elle plonge ses racines au plus profond de
la préhistoire et les a développées pratiquement jusqu'à nos grands
parents sous la seule réserve de quelques apports nouveaux mais tardifs, tels
le maïs et la pomme de terre. Nous
n'évoquerons la gastronomie que très succinctement et de façon épisodique
tant elle a inventé de variantes innombrables au fil des civilisations qui se
sont succédés. Nous nous bornerons, simplement,
à noter au passage les aliments nouveaux qu'elle a expérimentés avant
qu'ils ne tombent dans le domaine populaire. En dire plus ne serait pas
raisonnable. Des soirées entières ne suffiraient pas à rendre compte de ses
délires et de ses excès. Je
n'épiloguerai donc pas sur les pâtés de langues de rossignols servis sur
telle grande table romaine, sinon pour m'apitoyer sur le sort de ces
charmantes bestioles. Nos
ancêtres les gaulois ...
Nous
en tenant donc à la seule cuisine populaire, je vous invite à tourner
rapidement les pages de
l'histoire pour en venir aux gaulois. Nous allons retrouver dans leur
alimentation, tous les fondamentaux issus de l'agriculture, à savoir : le
pain et les différentes formes de bouillies de céréales. Ils
ont pendant très longtemps utilisé le millet qui, de longue date, a constitué
la ressource principale de nos contrées. Et sur ce point nous disposons du témoignage
du géographe grec Strabon qui, dans les premières années de notre ère, écrivait
: " La
partie de l'Aquitaine qui avoisine les côtes de l'océan est presque partout
sablonneuse, produisant du millet et fort peu d'autres fruits ... " En
fait, les gaulois connaissaient également l'orge dont ils tiraient leur pain
et aussi, après fermentation, leur cervoise. Le blé, du moins dans nos régions
était très minoritaire. Ils allaient aussi bientôt connaître le seigle qui
est arrivé chez nous au début de notre ère. Curieuse
histoire que celle du seigle ... Il
a longtemps été considéré par les premiers agriculteurs, comme une plante
parasite qu'il fallait arracher afin de favoriser la croissance de l'orge et
du millet. Et
cela jusqu'au jour, relativement tardif où l'on finit par s'apercevoir qu'il
constituait lui-même une céréale utilisable, présentant au surplus
l'avantage d'une grande rusticité lui permettant de pousser en terrains
pauvres et terres froides. Les
gaulois connaissaient également nombre de nos légumes et de nos fruits,
oignons, asperges sauvages, fenouil, raifort, mais aussi les pommes, beaucoup
de pommes, les poires, les noix, les châtaignes, etc. Des
charcutiers ....
Ils
avaient aussi une grande spécialité dans laquelle ils étaient passés maîtres.
Les gaulois étaient d'excellents charcutiers. Les jambons gaulois étaient réputés
dans tout le monde romain. Leurs porcs, de races très rustiques et encore
proches du sanglier, vivaient le plus souvent en liberté. En
pénétrant dans une cuisine gauloise un jour de " tuaille de cochon ",
vous n'auriez pas trouvé grande différence avec ce qui se pratiquait dans
nos fermes il y a encore quelques années. Vous
auriez trouvé les mêmes couteaux, les mêmes hachoirs (sauf le hachoir à
manivelle), mais vous y auriez trouvé également les mêmes chaudrons de
cuivre, aux mêmes dimensions et pour le même usage que celui que nous avons
connu il n'y a guère. L'art
de cuisiner le cochon n'a guère évolué depuis lors jusqu'à l'apparition de
la charcuterie industrielle. Mais
aussi des vignerons.
Mais
il est un autre domaine dans lequel les gaulois se sont illustrés. C'est
celui de la vigne et du vin. Certes
ils n'ont pas inventé la vigne ni le vin ! Celle-ci
venant des rivages de la Mer Noire via la Grèce et l'Italie, est apparue pour
la première fois en Gaule, plus exactement dans notre actuelle Provence vers
120 avant Jésus Christ. Les
gaulois qui ne connaissaient jusque là que leur cervoise devinrent
presqu'aussitôt de grands amateurs de vin. Un vin qui, en ses débuts, resta
pour eux un produit de très haut luxe. Mais
ils s'accaparèrent bientôt la culture de la vigne et la développèrent sur
deux axes principaux : le long de la vallée de la Garonne jusqu'au Médoc et
le long du couloir rhodanien jusqu'en Alsace et au delà. Et ceci à la grande
surprise des romains qui n'avaient jamais pensé que la vigne puisse être
autre chose qu'une plante méditerranéenne. Pour
cela, il a fallu que les gaulois inventent de nouveaux cépages adaptés à
ces nouveaux climats et ce ne fut certainement pas une mince affaire. Et en
prime ils mirent au service du vin leur invention de la barrique en bois,
celle que nous utilisons encore et dont ils sont les incontestables
inventeurs. Un
apport des arabes.
Après
la chute de l'Empire romain, la Gaule subit quantité d'invasions venues de
l'est dans le détail desquelles nous n'entrerons évidemment pas. Mentionnons
seulement celle des Wisigoth parce que ce sont eux qui tout particulièrement
s'installèrent dans nos contrées avant de poursuivre leur marche vers
l'Espagne. Ils
ne semblent pas avoir apporté d'innovations décisives dans le quotidien de
l'alimentation populaire. Par contre, les arabes, qui ne sont pourtant restés
chez nous que quelques dizaines d'années, au début de 8 ème siècle,
nous ont apporté et légué le dessert que nous appelons aujourd'hui la
Tourtière ou la Croustade. Cet
apport a été d'autant plus remarqué que la cuisine populaire avait jusque là
à peu près tout ignoré de la pâtisserie. La recette de la Croustade n'a
pas varié d'un pouce depuis le 8
ème siècle, nous la faisons toujours exactement comme les arabes
nous ont appris à la faire. Les seules différences sont que nous la
parfumons désormais à l'Armagnac, ce que ne faisaient évidemment pas les
arabes et que nous avons remplacé par du sucre, le miel originaire de la
recette. Le
bleu, c'est le meilleur ...
Au
début du 9 ème siècle,
commencent à apparaître dans le monde rural les premiers fromages à pâte
persillée, ancêtres de notre Roquefort et autres bleus d'Auvergne ou de
Bresse. Charlemagne
et sa cour se déplaçaient beaucoup. Ils allaient de Villa en Villa, (sortes
de grosses fermes impériales) à travers tout l'Empire, consommant sur place
les produits du crû pendant quelques semaines ou quelques mois jusqu'à épuisement
des ressources locales et avant d'aller un peu plus loin. Ces
fermes s'étendaient sur plusieurs centaines d'hectares. La plus proche de
nous était celle de Cassinolium à moins de 30 km d'ici et que nous appelons
aujourd'hui Casseuil. Une
anecdote rapporte qu'à l'occasion de l'un de ces séjours, dans une villa non
précisée, on servit à Charlemagne un fromage dont la pâte présentait des
tâches bleues que, de la pointe de son couteau il tentait d'éliminer pensant
qu'il s'agissait de moisissures indésirables. Il
fallut lui expliquer que ces tâches faisaient partie de la nature du fromage.
Ce fromage, encore rural et populaire n'avait pas eu encore accès aux grandes
tables. Ceci en fut l'occasion. La
situation n'évolue guère.
Nous
sommes assez bien renseignés sur tout ce qui se passe autour de ces grandes
tables tout au long du Moyen Age, tables princières ou royales. Les documents
abondent mais ce n'est pas notre propos. Les
débauches de viandes et de gibiers qui s'y pratiquaient restaient tout à
fait étrangères aux tables populaires essentiellement rurales. Les
siècles passant, l'alimentation du petit peuple reposait toujours sur les mêmes
fondamentaux : du pain, des soupes, des diverses bouillies de céréales et
des légumes connus depuis l'antiquité : le chou, l'oignon, la carotte ...
etc. La
seule viande connue sur ces modeste tables était celle du porc familial que
l'on nourrissait de glands et de restes ménagers. Ajoutons-y un peu de
volaille, mais celle-ci réservée aux grandes manifestations festives. Ne
nous y trompons pas : la poule au pot dominicale chère à Henri IV relevait
beaucoup plus d'un voeu pieux que de la réalité et cela dura encore
longtemps .... La
cuisine de cochon, immuable depuis les gaulois, se perpétuait dans nos
campagnes. Allez
donc voir les fresques murales dans le choeur de l'église de Saint Léger de
Balson. Vous y découvrirez que les gestes de ce cérémonial à la fin du 15 ème
siècle sont identiques à ceux qui se pratiquaient encore chez nous, il
y a de cela quelques années. L'influence
décisive de la religion.
Il
nous faut maintenant évoquer l'influence décisive de la religion sur
l'alimentation. L'Eglise avait institué 3 jours d'abstinence de tout aliment
gras par semaine. Le
mercredi : parce que c'est le jour au cours duquel Judas avait vendu Jésus. Le
Vendredi : jour de la mort de Jésus. Et
le samedi : parce que c'est le jour qu'il avait passé " aux enfers "
selon la terminologie du temps. Au
18 ème siècle, ces trois jours ont été réduits à un seul, le
vendredi, lequel a lui-même
presque été abandonné après le concile de Vatican II. A
ces jours là s'ajoutaient les 40 jours du Carême, la période de l'Avent,
les quatre temps à chaque changement de saison, les vigiles des grandes fêtes,
etc. Cela
faisait beaucoup et les règles des cette abstinence étaient très
strictement respectées. Ces jours là, pas de gras (sauf l'huile végétale),
pas de viande, pas de volaille (sauf la sarcelle réputée être, on ne sait
trop pourquoi, un animal aquatique...) Enfin pas d'oeufs non plus, ce qui était
très contraignant. Si
contraignant qu'en 1723, compte tenu de la disette générale, François Elie
Voyer de Paulmy d'Argenson, Archevêque de Bordeaux, accorda une dispense générale
autorisant la consommation des oeufs pendant le Carême de cette année là. L'année
suivante, en 1724, en l'absence de l'Archevêque, ses vicaires généraux,
pour les mêmes raisons, prirent la responsabilité de reconduire la mesure
par un mandement du 5 février 1724. Mais pas trop rassurés de leur
initiative audacieuse, ils l'assortirent de quelques conditions : " Nous
avons permis et permettons l'usage des oeufs pendant le Carême prochain
jusqu'au dimanche des Rameaux exclusivement ; nous exhortons les fidèles de
regarder cet adoucissement d'abstinence comme un engagement à un jeûne plus
exact et régulier et de réparer ce relâchement nécessaire par des prières,
des aumônes et autres bonnes oeuvres. " On
ne plaisantait pas avec les interdits. Ainsi
donc, à part les légumes, le pain et les diverses bouillies traditionnelles,
que pouvait-on manger en ces jours d'abstinence ? Le
poisson.
Eh
bien il restait le poisson. Nous n'en avons pas jusqu'ici, beaucoup parlé. Il
constitue pourtant l'un des aliments les plus anciens. Souvenez-vous ... " ils
vivaient de chasse et de pêche ... " et le propos s'illustrait
d'une image sur laquelle vous pouviez découvrir quelques hommes toujours vêtus
de peaux de bêtes en train de taquiner le goujon ... Encore
une fois cela a été vrai, mais très, très tardivement. Les gaulois
connaissaient la pêche à la ligne et la pêche au filet. Mais à l'échelle
de l'histoire des hommes, les gaulois, c'était hier, que dis-je ? C'était
plutôt il y a quelques instants. 20 et quelques siècles ne sont rien. Qu'en
était-il il y a 1.000 siècles ou bien au delà encore. L'homme
pêchait à la main. Et la nature lui offrait des modèles. Regardez comment
les ours capturent les saumons, d'un coup de patte habile en les projetant sur
la berge. Il suffit pour cela de choisir le bon endroit de la rivière. Ainsi
donc l'homme a toujours pêché et a progressivement mis au point pour cela
des techniques de plus en plus sophistiquées. Pendant très longtemps, il
s'est borné à pêcher en eau douce qui était pour lui la seule accessible.
La pêche en mer n'a été pratiquée qu'après l'invention de la navigation
maritime. Au
temps de l'Antiquité Gréco-romaine, et même bien avant, on a consommé
beaucoup de poisson tant de rivière que de mer. Et
voici le hareng ...
Le
Moyen Age fait une découverte, une découverte de taille ! Celle du hareng. Curieusement
les romains semblent ne l'avoir pas connu. Ils contrôlaient pourtant les
rivages de ce que nous appelons aujourd'hui les Flandres et du sud de
l'Angleterre, précisément là où l'on pêche ce poisson. Il est littéralement
effarant de voir quelles quantités de hareng on a pu consommer au moyen Age. Le
hareng saur, facile à conserver et à transporter se retrouve à profusion
sur toutes les tables populaires. Son importance est telle qu'il est même lié
à bien des événements. La fameuse " Journée des Harengs "
illustre ce propos. "Journée
des Harengs."
C'était
le 12 février 1429 à Rouvray, à 35 km au nord d'Orléans. C'était pendant
que les anglais assiégeait cette ville, juste quelques semaines avant
l'intervention de Jeanne d'Arc. Les ressources alimentaires du pays étant épuisées,
il fallait bien nourrir les assaillants, et l'on allait entrer en carême. Voilà
que les services de renseignement français informent Dunois, le futur
compagnon de Jeanne d'Arc, qu'un convoi de 300 chariots chargés de harengs
allait quitter Chartres à destination de l'armée anglaise assiégeante. 300
chariots de harengs ! Ce n'est pas rien ! C'est un convoi de quelques 3 km de
long dans la campagne beauceronne ... Un
convoi précieux et, à ce titre, bien protégé puisqu'il est escorté de
1.500 hommes d'armes sous le commandement de Falstaff dont Shakespeare fera,
170 ans plus tard l'un des héros de son théâtre, un véritable personnage ! Les
français décident alors d'intervenir et 3 corps militaires sortent d'Orléans
pour aller se poster en embuscade à Rouvray et attendre les fameux harengs. Ces
trois corps représentaient 3.000 hommes, le double des anglais. L'artillerie
française se découvre tout à coup, pulvérise quelques chariots et commence
à faire de la bouillie de harengs. Les français ne peuvent s'accorder sur la
tactique à suivre. Falstaff
met ce répit à profit pour former ses chariots en carré, exactement comme
on fera plus tard au Far West lors des attaques des indiens. Avides de gloire
personnelle, les français se lancent follement à l'assaut de ce fortin
improvisé. Du coup l'artillerie se tait pour ne pas tirer dans le dos des
siens et cesse de faire ses cartons à distance. Ce
fut un désastre dans lequel les français laissèrent plusieurs centaines de
morts. Tout cela pour des harengs ... ! Des harengs qui, dans leur grande
majorité arrivèrent à bon port sous les murs d'Orléans et permirent aux
assiégeants anglais de respecter pieusement leur Carême. D'autres
poissons séchés ...
Mais
les harengs n'étaient pas seuls sur le marché des poissons séchés, qu'ils
soient salés ou fumés. Sur ce point, nous sommes localement bien renseignés
par le tarif du péage perçu par le seigneur de Castelnau de Cernès sur la
route des Landes. Outre
les inévitables harengs, on y trouve du merlus, de la morue, des sardines et,
dit le tarif, " autres poissons. " Ce qui est curieux,
c'est que les anguilles séchées pourtant très répandues et appréciées ne
figurent pas dans ce document. Elles pouvaient, bien sûr, trouver leur place
parmi les " autres poissons ", mais il est surprenant
qu'elles ne soient pas expressément désignées. Les
modes de transport dominants semblent avoir été les animaux de bat, et
aussi, ce que le tarif appelle " les hommes chargés à col ".
Entendez par là de modeste gagne petit allant à pied, de marché en marché,
voire de ferme en ferme, en portant leur poisson sec dans une hotte ou encore
en divers colliers enroulés autour du cou. La
morue gagne du terrain.
Au
fur et à mesure que le temps
va passer au fil des 16 ème
et 17 ème siècles,
la morue va se placer de mieux en mieux vis à vis du hareng. Les progrès de
la navigation vont permettre d'aller la pêcher au grand large, et, de ce
fait, elle devient plus commune. Très appréciée en milieu populaire elle
figure au 18 ème siècle
dans les menus festifs locaux. Ainsi
par exemple, par une mise en demeure judiciaire du 26 mai 1786 nous apprenons
que Pierre Brun, dit Fleurin, marchand à Pujols, ne parvient pas à se faire
payer une livraison de morue faite pour un repas de mariage il y a 11 ans de
cela .... Il en a pour une créance de 30 livres soit, à l'époque, le prix
d'une barrique de vin local. Les
poissons locaux.
Le
poisson frais est rare et cher. Le
Ciron, tous ses affluents, ainsi que tous les étangs du pays (Villandraut, La
Ferrière) appartiennent en propre aux divers seigneurs locaux. Le poisson qui
s'y trouve leur appartient aussi. Tout acte de pêche individuel constitue un
délit de braconnage et sévèrement sanctionné comme tel. Ces
seigneurs concèdent leurs droits de pêche à des fermiers moyennant une
redevance annuelle importante. Ces fermiers capturent le poisson et en
disposent à leur gré. Ils en vendent sur les marchés ou les mettent en
viviers pour en différer la vente jusqu'à un moment où les prix seront plus
favorables, en carême par exemple. Ils
prélèvent évidemment au passage une marge confortable. Le poisson frais est
donc cher et ne paraît guère que sur les tables bourgeoises. Mais nos
paysans locaux ont une chance c'est la proximité de la Garonne qui ne fait
pas l'objet d'appropriation privée. A
la saison on y trouve l'esturgeon, l'alose, la lamproie, et lorsque leurs
prises sont importantes, leurs prix baissent et deviennent parfois accessibles
aux foyers modestes. C'est un petit privilège local que l'on retrouve dans
les populations littorales vivant proches de l'océan. Une
histoire difficile à raconter.
Nous
allons aborder maintenant une période passablement chaotique. De découvertes
en découvertes les apports nouveaux de toutes sortes vont se bousculer. Il va
être très difficile d'en rendre compte de façon logique car leur vitesse de
propagation dans le pays va être très différente. Ainsi
par exemple, ce sont les premiers croisés qui, tout au début du
XII ème siècle ont découvert l'échalote en Syrie et l'on
rapportée en France. Mais elle a mis des siècles avant de parvenir dans nos
jardins. De
même les pâtes nous arrivent d'Italie dans les bagages de Catherine de Médicis
lors de son mariage avec Henri II en novembre 1533. Elles sont adoptées sur
les grandes tables parisiennes mais ne pénétreront réellement dans nos
foyers ruraux qu'à la veille de la guerre de 1914. Pourquoi
d'aussi longs délais alors que les haricots, par exemple vont se propager
rapidement dans tout le pays et jusque dans le dernier de nos jardins. La
curieuse histoire du haricot.
Le
notre est originaire d'Amérique, on en a retrouvé dans des tombes au Pérou.
Il arrive en Europe parmi les quantités de produits nouveaux rapportés du
nouveau monde. On en offre quelques graines au Pape Clément VII, Jules de Médicis
lequel, ne sachant trop qu'en faire, en fait cadeau à un chanoine italien
Pietro Valeriano qui se pique de botanique. Il
n'y voit d'abord qu'une simple curiosité. Il cultive ces quelques graines en
pot et s'aperçoit qu'elles fournissent un légume à reproduction rapide et
qui ne manque pas de qualités nutritives. Il
en offre à Alexandre de Médicis, à Florence, lequel le fait cultiver et en
remet quelques sacs à sa soeur Catherine qui les emporte dans ses volumineux
bagages. Bagages que nous venons d'évoquer, lors de son mariage en France en
1533. Ce
légume nouveau suscite aussitôt un vif intérêt, mais, curieusement, n'a
pas encore reçu de nom français.
Or,
depuis bien des siècles, on connaissait en France la recette de ce que l'on
appelait le " Haricot de mouton ". Un document daté de
1393 nous en donne déjà le détail. Ce
mot de " Haricot " vient du vieux français " Haricoter "
qui signifie " couper en morceaux ". Or c'est bien ce que
l'on faisait dans cette ancienne recette dans laquelle entrait du mouton découpé
en petits dés. On
y ajoutait : des navets, des oignons et des fèves. Et l'on s'aperçoit très
vite que, dans cette préparation, le nouveau légume sans nom remplace
avantageusement les fèves. On va donc l'appeler " fève de haricot "
qui s'abrègera bientôt en " haricot " tout court. Je
vous avais bien dit qu'il s'agissait d'une curieuse histoire. L'aubergine,
le melon, l'artichaut.
Venue
de l'Inde, l'aubergine arriva en Europe à la fin du 15 ème siècle.
C'était alors une plante médicinale dont on faisait des cataplasmes. Il
fallut attendre le Directoire, 300 ans plus tard pour s'aviser qu'elle était
comestible. Mais
elle ne sortit guère alors de milieux très restreints et elle n'est apparue
vraiment sur les marchés urbains qu'à partir de 1825. Quant à la voir
entrer dans nos jardins, il fallut encore attendre bien des lunes. Par
contre le melon a progressé plus vite. Les romains l'avaient bien connu et
ils en étaient friands. Chez nous on en avait perdu jusqu'au souvenir au
temps des invasions barbares. C'est Charles VIII qui le redécouvre à l'extrême
fin du 15 ème siècle, au cours de ses guerres d'Italie et le ramène
en France. Un
melon qui vous aurait bien déçu car, aussi bien dans l'Antiquité romaine
qu'au 15 ème siècle il
n'était guère plus gros qu'une orange. Pourtant il se répand assez vite. 80
ans plus tard il est connu en bordelais. Montaigne, notre voisin, écrit à ce
sujet : " Je ne suis pas excessivement désireux de salades, ni
de fruits, sauf le melon. " C'est
encore au 16 ème siècle que nous parvient l'artichaut. Il se présente
alors sous la forme d'une espèce de gros chardon aux pointes très
agressives. On n'en mangeait que le coeur et pratiquement d'une seule bouchée. Mais
tout le monde n'en mangeait pas ... réputé aphrodisiaque, on l'interdisait
aux jeunes filles et les femmes mariées n'en mangeaient en public qu'avec réserve.
En consommer trop ouvertement aurait relevé de la provocation. Le
XVII ème siècle
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Réalisée le 5 avril 2008 | André Cochet |
Mise ur le Web le mai 2008 |
Christian Flages |