Conférence sur les minéraux de
RAYNE-VIGNEAU
Bommes le 9 juin 2001 Par
M. Laurent LONDEIX, géologue
à l’Université BORDEAUX 1
Vers 1920, le Vicomte de ROTON, propriétaire du Château et du
vignoble de RAYNE-VIGNEAU, voulu en savoir plus sur les cailloux qui
constituaient le sol de son prestigieux vignoble. Sa curiosité le porta à
découvrir une grande variété de minéraux et de roches, parmi lesquelles de
nombreuses agates.
Celles-ci,
localisées sur une parcelle bien précise (et seulement celle-ci)
apparaissaient à la suite de travaux agricoles. Pendant de nombreuses
années, le Vicomte put ainsi constituer une très belle collection, unique
en Gironde pour l’époque. Cette collection a été fortement valorisée par
le fait qu’une quantité phénoménale d’agates (plusieurs milliers de
pièces) ont été sciées et polies, les plus belles pièces ayant même été
taillées à la manière de bijoux.
Cette
collection appartient toujours aux descendants du Vicomte de ROTON.
Quelques
spécimens de cette collection étaient présentés sous vitrines ainsi que
des échantillons de pierres fines, cousines des agates : onyx,
jaspes, opales, quartz, cornalines, calcédoines, etc.
Cette
découverte fit grand bruit, les plus éminents des minéralogistes de
l’époque tenant tous à obtenir quelques exemplaires des agates de
RAYNE-VIGNEAU pour les étudier ou les exposer.
Des recherches
eurent lieu sur les terres avoisinantes. Le Vicomte de ROTON et le Marquis
de LUR-SALUCES prospectèrent même sur les terres du Château YQUEM ;
en vain.
Il n’y avait
donc d’Agates que sur cette parcelle de RAYNE-VIGNEAU et nulle part
ailleurs !
Et il y en a
encore puisqu’au cours de cette journée du 9 juin 2001, plusieurs
personnes participant à la quête d’agate dans les rangs de vigne, en ont
trouvé quelques unes.
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Nous avons ensuite eu droit à un exposé sur les
mécanismes de formation des agates, sur le contexte géologique nécessaire
pour réunir les conditions indispensables à la constitution.
L’agate est une
pierre fine constituée de microcristaux de quartz dont la dureté sur une
échelle graduée de 1 à 10 (10 pour le plus dur, le diamant), se situe au
niveau 7.
De structure
microcristalline, elle est formée de silice (plus ou moins du quartz)
déposée en couches successives, soit concentriques autour d’un noyau, soit
parallèles ou à plat.
La molécule de
silice est constituée d’un atome de silicium entouré de quatre atomes
d’oxygène formant un tétraèdre (volume géométrique à 4 côtés). Les atomes
d’oxygène étant communs à plusieurs tétraèdres, sa formule chimique de
base est SiO2.
Dans certaines
conditions particulières, la silice peut se substituer au carbone ;
c’est le cas des troncs d’arbres pétrifiés dont les différents éléments
constitutifs de celui-ci (cernes, cellules végétales,…) sont parfaitement
préservés.
Les agates se
constituent lors de la formation des chaînes de montagne, comme les Alpes.
Le magma central cherche à s’infiltrer dans la croûte terrestre fracturée
(qu’il ne peut crever, ce serait alors un volcan).
Sous
l’effet d’une baisse générale de pression, les gaz qu’il contient, très
chauds et chargés en silice, parviennent à s’échapper (un peu comme quand
on ouvre une bouteille de Perrier). Ils circulent alors dans les fissures
des roches et lorsqu’ils atteignent des niveaux moins chauds, ils se
condensent et déposent leur excédent de silice sur les parois des
fractures (dépôts linéaires) ou peuvent rester piégés dans des systèmes
clos (dépôts concentriques). Plus le temps de refroidissement de ces
dépôts sera court, et plus les cristaux seront petits.
Suivant le
cheminement de ces gaz, ils se chargent en d’autres éléments, qui
apportent à ces dépôts une grande variété de couleurs.
Liées à des
circulations hydrothermales à haute température, les agates ne peuvent
donc se développer que dans un contexte de montagne en formation, soumis à
des températures élevées et probablement aussi à des conditions de
pression non négligeables.
Ce n’est pas le
cas du Bassin Aquitain qui est de nature sédimentaire.
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De par
le mode particulier de formation de celles-ci, les agates de RAYNE-VIGNEAU
n’ont donc pas pu se constituer là où elles furent découvertes.
La question posée au cours de cette conférence par l’orateur, question
à laquelle il a essayé de répondre, se décline alors en deux parties :
d’où viennent ces agates et comment sont-elles arrivées là ?
Aujourd’hui,
les amateurs de minéraux sont plus nombreux (et plus mobiles) et on
connaît plusieurs autres gisements d’agates en Gironde, du côté de Cérons,
Castillon-la-Bataille, Montalivet,… mais toujours dans des dépôts
alluvionnaires ou de plage.
Mais comment
ont-elles pu arriver à RAYNE-VIGNEAU et de plus sur une
colline ?
Une certitude
toutefois, si elles n’ont pu se constituer sur place, elles ne peuvent
provenir que des massifs montagneux périphériques, c’est-à-dire du Massif
Central ou des Pyrénées.
De plus, on
connaît dans le Tarn (au NE de Castres) des gîtes où des agates se
trouvent sur leur lieu de formation ; mais aucun dans les
Pyrénées.
En fait, il y a
environ 300 millions d’années le Massif Central et le Massif Armoricain
(la Bretagne) appartenaient à un même massif montagneux, comparable à
l’actuel Himalaya.
Depuis cette
époque très reculée, l’érosion a fait son office ; “rabotant” cette
chaîne montagneuse et remplissant le Bassin Aquitain des éléments arrachés
à celle-ci.
Ainsi, les
cours d’eau qui alimentaient le Bassin Aquitain étaient essentiellement
originaires du Massif Central et circulaient selon une direction
globalement Est–Ouest et, en allant vers la région de TOULOUSE, dans un
sens plutôt Nord-Est–Sud-Ouest.
Après la
surrection des Pyrénées (terminée il y a environ 25 millions d’années), de
jeunes rivières comme l’Adour ou la Garonne prirent une direction
Sud–Nord.
A ces époques,
le Bassin Aquitain était alors recouvert par la mer. La région de BORDEAUX
était sous les eaux et connaissait des climats sub-tropicaux.
Ce faisant, le
Bassin Aquitain en partie comblé s’est soulevé, la mer s’est retirée et,
vers 2 millions d’années (entre la fin du Tertiaire et le début du
Quaternaire), ces cours d’eau avaient encore cette configuration, à ceci
près que les rivières pyrénéennes s’infléchissaient vers l’Atlantique tout
en limitant leur circuit au Sud de l’Aquitaine.
A cette époque, alternent à l’échelle du globe de
nombreuses périodes glaciaires et interglaciaires (plus de 30 cycles ont
été enregistrés). Lors des périodes de transition entre les phases
glaciaires et les interglaciaires, il faut imaginer des cours d’eau peu
profonds, divaguant sur une bande relativement large, et qui charrient de
grosses quantités de sédiments durant la saison des crues.
Les archives
géologiques nous indiquent qu’au début du Quaternaire (probablement vers
1,8–1,6 millions d’années), de brusques changements se sont fait sentir en
Aquitaine. Les géologues estiment que vers cette époque, sans doute suite
à des réajustements géologiques des Pyrénées, le sous-sol girondin s’est
fracturé et soulevé.
En témoignent
notamment les alluvions anciennes de la Garonne qui se retrouvent dans
l’Entre-deux-Mers à des altitudes de plusieurs dizaines de mètres
supérieures à celles de leurs homologues présentes rive gauche. Entraînée
par un relief sensiblement différent, la GARONNE a alors dévié son cours
pour suivre ces nouvelles incisions et prendre les directions que nous
connaissons aujourd’hui. Elle a, au passage, capté les rivières issues du
Massif Central telles que le Lot, le Tarn, la Dordogne, etc.
La Garonne est
donc le moyen de transport des agates, mais il reste une
énigme :
Ces agates
brutes sont des galets qui dépassent souvent la livre. Or, la pente est
trop faible pour que l’eau ait l’énergie suffisante pour les déplacer.
Quel serait donc leur vecteur ?
Une chose est
certaine, les glaciers constitués au cours des périodes glaciaires ne se
sont jamais étendus jusqu’en Gironde.
Une hypothèse
est présentée par l’orateur :
Au cours des
périodes glaciaires (la dernière a atteint son maximum il y a 18.000 ans),
les fleuves et rivières devaient être gelés en surface pendant plusieurs
mois de l’hiver.
Lors de la
fonte de ces glaces au printemps, le flot a dû arracher aux rives des amas
de glace soudant entre eux les blocs, galets, etc. présents sur ses rives.
Les agates, avec les autres galets, ont alors dû être transportées par
radeaux de glace. Ceux-ci dérivaient avant de fondre et de déposer les
objets qu’ils contenaient. C’est ainsi qu’on probablement été acheminées
les agates présentes à Rayne-Vigneau, alors sur le lit de la Garonne. La
mise en place de ces galets s’est sans doute réalisée en plusieurs étapes
de ce type.[i]
Ainsi une partie du mystère des agates de Rayne-Vigneau
a été levée, mais cela ne retire rien à la magie de les trouver et de les
admirer et, même les spécialistes en conviendront, il reste bien difficile
d’imaginer la puissance du temps et des forces en mouvement au cours de
ces âges géologiques, sans commune mesure avec les paysages paisibles que
nous avons l’habitude de cotoyer.
Texte revu, corrigé et
aménagé par M. Laurent LONDEIX. Sur des notes prises au cours de la
conférence.
[i] Dans la région de
Bommes et de Pujols s/ Ciron de nombreux rochers affleurent, rochers aux
formes diverses, qui ont manifestement roulé. Ils présentent parfois des
trous. Ils ont subi une érosion par l'eau entraînant d'autres blocs,
galets, graviers, etc. comme ceux que l'on voit, polis, dans les
gaves. Peut-être ont-ils bénéficié du même mode de
transport. |