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Les cultures, les récoltes le climat:
De
quoi pouvait-on donc parler à BUDOS, au quotidien, en ces dernières années
de l'Ancien Régime sinon des cultures, des récoltes, du climat, en un mot,
de l'air du temps.
La
vie des hommes est alors tellement enracinée dans le tréfonds de leur terre
qu'elle finit par s'identifier aux moindres de ses caprices et de ses
pulsations.
On
vit de ce que l'on sème, de ce que l'on cultive, de ce que l'on élève et de
ce que l'on récolte. Que surviennent les caprices du temps et la disette éclate
avec son cortège de souffrance et de mort. Que le ciel redevienne tant soit
peu clément, et la vie reprend tout aussitôt son cours.
La
vigne, oh ! oui ! La vigne avant toutes choses, la vraie passion des
Budossais, et puis les céréales, aussi, car il fallait bien vivre, complétées
par quelques cultures potagères, un peu d'élevage, et enfin le chanvre que
nous avons bien oublié aujourd'hui mais auquel nous accorderons une attention
particulière non seulement parce qu'il occupait une place non négligeable
dans l'économie rurale du temps, mais aussi précisément parce que c'est la
culture dont nous avons le plus perdu le souvenir.
Il
nous restera à relater les caprices du temps et les hasards des bonnes et des
mauvaises récoltes qui ont si profondément marqué, au fil des ans, la vie
de la Paroisse.
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La vigne et le vin.
La
vigne est-elle un pactole ou bien , tout au contraire, un fléau ? La question
était déjà posée depuis le début du XVIIIème siècle, et les réponses
des uns et des autres n'ont pas varié, tout au long de la période, jusqu'à
la Révolution.
Pour
les viticulteurs, Budossais entre autres, pour le Négoce Bordelais, et pour
bien d'autres encore, elle était, à coup sûr, un pactole ( du moins quand
tout allait bien... ). Pour les Intendants et l'Administration Royale, elle était,
non sans quelque exagération, un fléau.
Quel
était donc le problème ?
Très
tôt, les Intendants successifs avaient pris conscience du danger. La vigne ne
cessait de gagner du terrain sur les cultures céréalières et même, en
certains endroits, sur les bois.
Or, de 45.000 habitants qu'elle avait à la fin du règne de Louis XIV, la Ville de BORDEAUX, avec l'apport de CAUDERAN et du BOUSCAT, va passer à un peu plus de 110.000 en 1790 . Pour être plus modeste, l'expansion démographique des campagnes n'en était pas moins bien réelle et, nous avons eu l'occasion de le constater, à BUDOS comme ailleurs.
Pour
nourrir cette population, il fallait des vivres, toujours plus de vivres, et
en particulier des céréales. Et comme en même temps, la vigne envahissait
tout le paysage rural, force était de constater que BORDEAUX et tout le pays
Bordelais étaient devenus régulièrement dépendants des importations de
grains venus parfois de très loin.
Ces " blés de la mer " venaient en effet de BRETAGNE, grande pourvoyeuse traditionnelle de la GUYENNE, mais aussi de HAMBOURG et des ports de la BALTIQUE, le plus souvent en échange de vin. Des approvisionnements dépendants de sources aussi lointaines étaient, au regard des moyens de transport de l'époque, fragiles et dangereux.
Que
survienne une disette locale, et la situation pouvait rapidement devenir
dramatique. Un Intendant ne pouvait s'accommoder d'un tel risque avec, en
toile de fond, tout un cortège d'émeutes et de séditions populaires
toujours possibles.
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en temps normal à leurs besoins en grains. Partout, la vigne régnait en maîtresse. Il n'y avait presque plus de terres labourables exclusivement consacrées aux céréales. Celles-ci se voyaient la plupart du temps hébergées dans l'intervalle des joualles.
La
vigne couvrait ainsi non seulement les espaces sur lesquels elle s'est
maintenue jusqu'à nos jours, mais aussi ceux qui sont actuellement dévolus
aux acacias, par exemple à BUDOS, tout autour du quartier des MOULIES, ou
encore entre le quartier de PINGOY, DUBOURDIEU et le TURSAN.
La
vigne, la vigne partout; certes, le vin se vendait parfois assez bien ( pas
toujours... ) et il faut reconnaître qu'aucune culture n'aurait permis aux
paysans des GRAVES de vivre ou de survivre sur des propriétés aussi exiguës
que les leurs. Il était donc naturel qu'ils y soient vivement attachés. Mais
ce faisant, ils couraient le risque de la faim.
La
tradition voulait que l'on se mit aussitôt en quête des " accapareurs
" vrais ou supposés, ce qui avait pour effet de bloquer immédiatement
tous les mouvements de grains qui auraient pu, éventuellement, atténuer la pénurie.
Le cercle vicieux se refermait; c'était inévitable.
Pour
aussi prévenue qu'elle fût contre la vigne, l'Administration Royale
n'ignorait pas pour autant qu'elle était la richesse de ce pays. Dans un Mémoire
de 1733, l'Abbé BELLET notait déjà que la GUYENNE vivait exclusivement de
son vin:
" Cette denrée, écrivait-il, forme la seule manufacture du pays puisqu'elle occupe toute l'année la plus grande partie des paysans."
Cela
se savait jusqu'à VERSAILLES. Le Ministre DODUN écrivait déjà à
l'Intendant BOUCHER le 27 Mai 1726 ;
" vous devez vous montrer très difficile pour accorder la permission de planter des vignes dans des terrains où le bois pourra bien venir. La rareté des bois dans votre Généralité vous doit même engager à ne point permettre de planter des vignes dans un terrain inculte."
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La
recommandation était bien inutile. BOUCHER lui-même avait
C'était,
incontestablement une atteinte au droit de libre disposition de la propriété.
L'affaire fit grand bruit, et pendant longtemps. Le 6 Juin 1756, vingt cinq
ans plus tard, l'Intendant TOURNY écrivait encore à MORAS, Contrôleur Général
à VERSAILLES, s'agissant toujours/de la vigne et du conflit relatif à la
souveraineté du droit de propriété:
Les
grains... le bois... on n'en sort pas. Il envisagerait volontiers, dit-il, des
arrachages portant sur un quart ou un tiers du vignoble, ce qui était peut-être
aller un peu loin, mais il ne le proposera pas, car il ne saurait comment exécuter
la mesure; et TOURNY est un pragmatique:
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En
fait, avec des périodes plus ou moins actives, ces affrontements durèrent
jusqu'à la Révolution. Et s'il y eut effectivement parfois quelques périodes
de détente dans cette frénésie de planter, ce fut beaucoup plus du fait du
caractère aléatoire de la culture, de l'irrégularité des récoltes et de
quelques incertitudes sur la conjoncture commerciale plutôt que du fait de
l'action, pourtant tenace, des Intendants successifs.
Le
vignoble de BUDOS était classé dans la région des GRAVES. La carte du
Bordelais dressée en 1714 par G. de LISLE, Premier Géographe du Roi en fait
foi. Si l'on n'aura aucune surprise à y trouver également ILLATS, PREIGNAC,
BARSAC, FARGUES, SAUTERNES, etc…, on sera plus étonné d'y voir figurer
aussi LEOGEATS, NOAILLAN, VILLANDRAUT et même ... PRECHAC !
Plantation et culture de la vigne.
La
vigne se propage par provignage et bouturage.
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Les
contrats de métayage et de " Bail à Faisande " qui nous sont
parvenus font presque tous obligation au preneur de:
Il
est donc bien naturel en ce cas de recourir au pied voisin pour combler le
vide. Par contre, lorsqu'il s'agissait de planter une parcelle en partant du
sol nu, il est bien évident que le bouturage devait retrouver tous ses
droits. Aucun texte local ne nous permet de prendre formellement position sur
ce point, mais le risque n'est pas grand d'imaginer que les deux méthodes
coexistaient avec, chacune, des champs d'application très spécifiques.
Ce " Champ de Synonymie " était une institution tout à fait originale. Il s'agissait d'une vigne expérimentale, gérée et cultivée sous le contrôle de l'Administration Royale et qui se situait à BORDEAUX " hors les murs " entre l'actuelle Place de la VICTOIRE et le Marché des CAPUCINS.
Cette parcelle, toute en longueur, occupait à peu près l'emplacement de l'actuelle Rue ELIE GINTRAC. Là, quelques pieds de chacun des cépages introduits dans le Pays Bordelais étaient cultivés avec indication du lieu où se situait leur exploitation. Et ces cépages étaient nombreux !
Certaines
régions viticoles avaient déjà procédé à une sérieuse sélection, le
MEDOC par exemple. La Subdélégation de PAUILLAC n'avait plus, en 1783, que
neuf cépages rouges et quatre blancs déposés au Champ de Synonymie. Mais
d'autres se montraient nettement moins sélectives.
La Subdélégation de BAZAS, à elle seule, entretenait 52 cépages rouges et 50 blancs ! ... En fait, il y avait bien une sanction à cette liberté, elle venait du consommateur. Chacun étant libre sous la seule réserve du dépôt, d'implanter chez lui n'importe quel cépage de son choix, les acheteurs et notamment les courtiers, avaient une égale liberté d'agréer ou non les vins proposés.
Libre
à tel viticulteur de produire de l'enrageat ( déjà bien connu aussi bien
pour ses rendements que pour sa médiocrité ) si tel était son choix, mais
il lui fallait en accepter les conséquences sur le marché où il proposait
son vin. Le jeu de la quantité et du prix ne manquait pas de lui dire très
vite s'il avait bien ou mal calculé son affaire.
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En cette fin de siècle, les plantations étaient déjà constituées, pour une très large part, des cépages qui allaient s'imposer au siècle suivant jusqu'à la crise des maladies cryptogamiques.
En vigne rouge, c'était le Cabernet ou " Carmenet ", léger, parfumé mais peu coloré, le Sauvignon ou Grand " Carmenet " , plus coloré et corrigeant le premier nommé, et enfin le Petit Verdot, au goût délicat et parfumé, mais qui avait l'inconvénient de venir à maturité plus tardivement que les autres.
En
vigne blanche, le Sémillon et le Sauvignon l'emportaient largement sur tous
les autres avec des caractéristiques probablement assez voisines des mêmes cépages
parvenus jusqu'à nous.
Elles
ne dépassaient guère 42 cm de haut. Quelques rares parcelles étaient cultivées
"en hautain ", sans que l'on puisse dire si ces vignes hautes
atteignaient les dimensions de 1,80 mètre ou plus, comme nous l'entendrions
aujourd'hui, ou si elles étaient simplement un peu plus hautes que les autres
pour atteindre simplement, par exemple, le standard de nos vignes actuelles.
Aucun texte ne permet de le dire avec certitude.
Beaucoup
plus basses que les nôtres, les vignes de l'époque étaient aussi beaucoup
plus espacées. La culture en joualles, laissant de larges espaces de terre
labourable entre les rangs constituait une règle à peu près générale.
Quelques rares parcelles étaient plantées sans intervalle de culture. A
BUDOS, elles étaient dites " plénières " et, en d'autres lieux
des GRAVES, " à suite ". Plénière ou à suite, c'est tout un,
mais leur particularité était toujours précisée dans les contrats; il
semble bien qu'elles ont représenté un cas d'exception.
La
plantation en joualles a fini par disparaître, mais elle s'est perpétuée très
longtemps, ici et là, jusqu'au milieu du XXème siècle. A la fin du XVIIIème,
la joualle pouvait avoir des dimensions très variables. L'espace entre les
rangs pouvait se limiter à deux règes ( 1,77 mètre ), il était alors
principalement dévolu aux cultures légumières tels que les petits pois ou
les haricots. Mais il pouvait atteindre cinq règes ( 4,43 mètres ) et même,
semble-t-il, par exception, jusqu'à dix règes 8,85 mètres ) pour la culture
des céréales ( seigle et millet .)
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Ensuite, on reliait horizontalement chaque carasson a son voisin par un latton sorte de latte de bois qui, d'un bout de la parcelle à l'autre formait ainsi de pied en pied une chaîne continue avec un espacement d'un pas et demi entre chaque pied ( sait environ 1,30 mètre ).
Dans
leur jeunesse les plants étaient liés au carasson par un brin d'osier ou
" vîme " . Devenus ceps, leurs rejets ou " astes " étaient
liés de même, horizontalement au latton de part et d'autre du pied. Chaque
rang de vigne constituait ainsi une sorte de petit espalier continu sur toute
la longueur de la parcelle.
On
pratiquait également, mais plus rarement, la culture sur échalas. C'était
le cas, en particulier, des vignes en hautain, mais le procédé ne leur était
pas exclusivement réservé. La vigne poussait alors en hauteur contre un
piquet de bois isolé: l'échalas, et on reliait ses astes, aux deux tiers de
leur hauteur, ce qui, compte tenu de leur flexibilité, donnait au pied la
forme d'une sorte d'urne. Il fallait bien veiller, en ce cas, à ce que les
futures mannes se situent vers l'extérieur afin que les grappes à venir ne
soient pas ultérieurement prisonnières de la cage formée par les astes.
La fourniture des carassons, des lattons et des échalas a constitué un souci constant pour les vignerons locaux. De nombreux textes concernent ces matériaux, et les contrats de métayage ou les baux à faisande précisent presque toujours qui les fournira et comment.
Dans
un Mémoire présenté le 20 Juin 1772 par un certain Mr PECONET à Mr BERTIN,
Ministre, on peut lire que l'on:
" a planté dans le Bordelais tant de vigne que les échalas d'aubier ne peuvent suffire et que l'on a été obligé de faire usage de ceux de bois de pin ."
Les carassons se vendaient par " faix " ( autrement dit en fardeaux ou paquets ) de 25 pièces et les lattons par 50. Il s'agissait de jeunes pins de 8 à 10 ans que l'on semait spécialement en vue de cette production. On les ébranchait au fur et à mesure de leur croissance jusqu'au moment de les couper. Ils étaient vendus pelés. Cette culture assez particulière faisait souvent l'objet de contrats de bail " à mi-fruit ."
Ainsi
par exemple, le 15 Août 1785, Jean BRANEYRE, dit PEIGNIN, vigneron à
MARGARIDE:
à
Jean ESTENAVE, également de BUDOS :
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et,
dès que la semence sera répandue, ESTENAVE sera tenu de veiller:
" à ce
qu'aucun tort ni préjudice y soit porté, (à) nettoyer et ébrancher en
temps et saison (utile) les (arbres) provenant de ladite semence au fur et à
mesure de leur venue. Lorsque le paou sera de qualité requise, c'est à dire
de vingt cinq paous au faix, ledit ESTENAVE (sera) chargé de le faire couper
ainsi que de le faire mettre en piles égales, et, cela fait, en préviendra
le bailleur pour qu'il se transporte sur les lieux afin de faire le choix
desdites piles, la moitié desquelles appartiendra au preneur et l'autre moitié
au bailleur; lequel paou sera encore pelé, lié et (préparé pour la vente)
avant de pouvoir (l'un et l'autre) le déplacer de ladite pièce."
Les
frais de semence étaient à la charge du preneur ainsi que les frais d'acte
et d'enregistrement, mais tous les autres frais se partageaient par moitié
(coupe, écorçage, mise en paquets, etc..). En outre on ne devait rien
laisser perdre:
" tous les branchages (et) émondements... appartiendront également par moitié aux parties..."
Il
est convenu par ailleurs:
Les
besoins en carassons et lattons sont tels qu'il faut aller les faire pousser
dans les Paroisses de la Lande. Il n'est pas douteux que cet approvisionnement
a beaucoup préoccupé les vignerons Budossais, d'autant qu'ils n'étaient pas
seuls sur le marché et que leurs collègues de la Vallée de la GARONNE
manifestaient, évidemment les mêmes soucis, avec le même empressement et
s'adressaient, pratiquement, aux mêmes sources.
Si la culture de la vigne était soumise aux mêmes aléas climatologiques qu'ont connu et que connaissent toujours les vignerons de tous les temps, il faut tout de même dire qu'elle était plus simple au XVIIIème siècle qu'elle ne l'est devenue de nos jours.
Elle ignorait tout des attaques cryptogamiques dont les premières manifestations n'apparaîtront qu'avec l'oïdium en 1851, en GIRONDE, suivi du phylloxéra à partir de 1866, du mildew en 1878 et de toutes les autres qui devaient s'ensuivre. A la fin de l'Ancien Régime, nous sommes encore très loin de tout cela.
Aucun
traitement prophylactique n'était donc nécessaire; la vigne poussait selon
la nature... Le vigneron la labourait, mais lui apportait aussi chaque année
trois " façons de fouissage " à la bêche dont les deux premières
à intervalle rapproché en Avril et Mai. C'était un travail long et pénible,
de pied en pied, rang après rang, un travail d'homme.
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Les
femmes, de leur côté liaient, épampraient et tiraient les " cavaillons
" entre les pieds. Signalons en passant une particularité de cette
culture; la vigne était si basse que la charrue la recouvrait souvent de terre
déversée. Les femmes et les enfants s'activaient alors à la dégager au
sarcle. Tout le monde enfin, hommes, femmes et enfants se retrouvaient aux
travaux des vendanges.
Nous ne savons rien des conditions locales dans lesquelles on taillait ces vignes. Les vignerons Budossais n'étaient certainement guère disposés à remettre en cause leur savoir faire ancestral transmis de génération en génération. Et pourtant, dans les milieux " éclairés " de la viticulture, on commençait à se poser de nombreuses questions.
Ce
n'est pas un hasard si, à trois reprises, en 1754, 1757 et 1759, l'Académie de
BORDEAUX a mis au Concours pour l'attribution de son Prix annuel la question de
savoir:
" Quels sont les principes de la taille de la vigne par rapport à la différence des espèces de vigne et à la diversité des terrains ?"
Et
la seconde est que, les salaires agricoles ayant peu évolué au fil du siècle,
les coûts salariaux annoncés ont de grandes chances d'être restés à peu près
valables, 35 ou 40 ans plus tard. Faute de pouvoir prétendre à une parfaite
rigueur comptable, l'estimation des Parlementaires de 1725 peut donc néanmoins
servir de base à une bonne approche du rendement d'une exploitation.
Leur
calcul porte sur une propriété de 50 Journaux Bordelais ( 16 hectares ), donc
importante ( mais n'oublions pas que les Parlementaires étaient de grands
propriétaires située en Pays de GRAVES.
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-
les fournitures en carassons, lattons, échalas à 20 Livres 16 sol le Journal
( soit 65 Livres l'hectare ).
-
les frais de vendanges à 20 Livres le Journal ( 62 Livres 10 sols l'hectare )
-
l'osier, vime, l'entretien des vaisseaux vinaires à 8 Livres le Journal ( 25
Livres l'hectare ).
Au
prix de toutes ces façons et fournitures, ils attendent en moyenne un
rendement d'un tonneau par Journal ( le tonneau Bordelais représentait 912
litres ). Il faut en déduire la dîme du Curé, ce qui laisse, net, 841
litres par Journal pour le propriétaire. Ils poursuivent leur raisonnement
sur la base d'un prix moyen du vin fixé à 150 Livres le tonneau.
C'est
l'une des choses qui avait le plus augmenté au fil du temps. Il faudrait
aussi tenir compte des frais de port et de courtage. En définitive, tout bien
calculé, le revenu net d'un propriétaire Budosssais ne devait guère, selon
le calcul des Parlementaires, dépasser 5 Livres par Journal, soit, environ,
16 Livres par hectare, résultat qui est probablement sous évalué.
Mais
il s'agit là d'un calcul purement théorique qui ne peut être retenu en l'état
pour le petit vigneron local, qui, lui, travaille de ses mains et à une échelle
beaucoup plus réduite. Il dispose d'environ un demi hectare de vigne qu'il
cultive lui-même et sans concours extérieur chaque fois qu'il le peut. Il
n'aura donc à débourser que les frais d'échalas, lattons et autres bois, et
encore peut-être aux conditions du montage astucieux d'un bail à mi-fruit.
Il devra aussi faire face à l'entretien de ses vaisseaux vinaires mais, ici encore, il fait beaucoup de choses de ses propres mains. Par contre, il lui faudra bien payer ses barriques, la tonnellerie ne s'improvise pas; quant au transport, dans la plupart des cas, il " approchera " lui-même son vin jusqu'au Port de BARSAC et n'aura à payer que le passage fluvial jusqu'à BORDEAUX.
Si
l'on retient le rendement avancé par les Parlementaires, soit un tonneau par
Journal qui parait très raisonnable dans les conditions de culture de l'époque
( 28,5 hectolitres à l'hectare), il va donc récolter sur son bien 14,25
hectolitre, dont il lui restera environ 13 hectolitres après perception de la
dîme. En conservant un peu de vin pour lui ( très peu) il aura cinq
barriques à vendre qui lui rapporteront
Pages (132) |
au
cours moyen, un total de 156 Livres alors qu'il aura eu une centaine de Livres
de frais. Il lui restera donc, net pour son demi hectare, de 50 à 60 Livres.
Pour lui, c'est déjà une somme, mais la vigne ne parait pas pour autant
avoir été le pactole que certains ont voulu décrire.
En 1763, il n'y eut même pas de vendanges... La vigne était donc une culture, mais aussi une sorte de jeu spéculatif qui alimentait la passion du vigneron. Et il ne souhaitait rien tant que d'augmenter sa mise, espérant toujours la récolte idéale, sorte de coup de bourse qui lui permettrait d'accroître son bien et de se hisser peut-être au rang des vignerons aisés, ceux qui " comptaient " dans la paroisse, ceux qui, dans la terminologie des textes en " composaient la meilleure part ".
Sur
ce terrain, il n'est pas douteux que la vigne et le vin offraient un jeu
beaucoup plus ouvert que la culture des céréales. Cette loterie était
annuelle, elle se tirait au moment des vendanges.
Les
dates des Bans des vendanges sont intéressantes car elles démontrent que la
cueillette du raisin en Bordelais n'a jamais été très précoce. Pour un Ban
proclamé le 16 Septembre 1788, répondant à des conditions climatiques
exceptionnelles, on trouve beaucoup plus de dates se situant à I'extrême fin
de Septembre, ou plus souvent encore début Octobre. La proclamation la plus
tardive de cette fin de siècle semble bien avoir été celle de 1770 qui
n'intervint que le 17 Octobre !
Sans
insister davantage sur l'année 1770 déjà citée et dont les vendanges, très
décalées se terminèrent le 17 Novembre, les dates moyennes de clôture se
sont à peu près régulièrement situées entre la Toussaint et la Saint
MARTIN ( 11 Novembre ).
Pages (133) |
On a souvent conté l'anecdote du Marquis de LUR SALUCES, retenu à la Cour de RUSSIE et qui n'aurait pu revenir à temps pour les vendanges habituelles en son Château d'YQUEM. En son absence, nul n'aurait osé donner le signal de la cueillette et l'on aurait attendu très au-delà de ce que l'on croyait être le raisonnable.
Ce serait ainsi que, par accident, sous le Second Empire, on aurait découvert les vertus de la " pourriture noble " et des vendanges tardives. Pourquoi mettre en doute le fond de l'anecdote ? Mais le point faible est dans la conclusion. On n'avait pas attendu le XIXème siècle pour pratiquer les méthodes de vendanges spécifiques propres aux vins blancs liquoreux.
Dans
un contrat daté de 1666, passé entre François SAUVAGE, Sieur d'YQUEM, et
ses métayers, par devant le Notaire de BARSAC, il est dit que :
La
pratique des tries successives est attestée dans ces vignobles par les
observations de l'Abbé BELLET, Chanoine de la Collégiale SAINT BLAISE de
CADILLAC, consignées dans ses notes de 1717 à 1736. Nous sommes donc là,
incontestablement, en présence d'une très ancienne tradition qui ne doit
rien aux mésaventures moscovites du Marquis de LUR SALUCES.
Pages (134) |
"
deux douils pour charroyer la vendange ..."
Ces
serpettes se retrouvent dans la plupart des Musées locaux, mais,
curieusement, on n'en retrouve aucune trace dans les inventaires relatifs au
matériel agricole. Il devait s'agir d'un outil personnel.
Le petit vigneron Budossais n'a généralement pas de chai, mais il a un cuvier ou, du moins, pour les plus modestes, un appentis abritant sa cuve. La possession d'un chai, comme celle d'un pressoir, suppose déjà une exploitation relativement importante.
A
quoi servirait donc un chai lorsque la récolte attendue est de cinq à six
barriques que l'on souhaite vendre le plus vite possible, dés la SAINT MARTIN
si on le peut, et en tous cas avant la NOËL ? Seuls les vignerons aisés ( et
il y en a ) peuvent se permettre de conserver une partie de leur récolte en
spéculant, si les circonstances sont favorables, sur une progression des
cours; mais c'est un jeu dangereux et ils ne sont pas nombreux à s'y risquer.
"
foncée de plancher de cerisier..."
dont
le goût devait être un peu plus neutre, le tout en bon état. Il s'y ajoute
cinq " douils ". C'est un équipement un peu supérieur à celui de
MARGARIDE où il n'y avait qu'une cuve de trois tonneaux et trois petits
" douils ". Mais il s'agit déjà là d'exploitations d'une certaine
importance.
Pages (135) |
Les
textes sont plutôt avares de descriptions quant aux pressoirs. On trouvera
par exemple:
"
un pressoir garni de douelles et des manilles.."
Une préoccupation majeure du vigneron était de conserver ce matériel en bon état de propreté. Il était parfaitement informé des conséquences désastreuses que peuvent avoir les moindres négligences en ce domaine. Et il était d'autant plus sensible à ces problèmes qu'il était assez mal armé pour les résoudre, en particulier pour se défendre contre les moisissures.
Il
ne connaît pas encore les vertus du soufre. Alors il lave, il lave beaucoup,
à grande eau, énergiquement avec un balai, " la geste ". Pour les
barriques, après les avoir échaudées, il utilise une chaîne introduite par
la bonde, et l'on secoue le fût énergiquement.
Tout cela est très classique. Il ne faut tout de même pas oublier que c'est le XVIIIème siècle qui a inventé un certain nombre de techniques devenues élémentaires dans le travail des chais et dont on peut se demander pourquoi on ne les avait pas inventées plus tôt, ainsi l'ouillage, le collage et la bonde de côté.
Des
techniques nouvelles qui se sont diffusées jusque dans les campagnes. Et l'on
n'a pas plus tôt mis au point une nouvelle méthode que, déjà, de bons
esprits cherchent à l'améliorer. En 1756,
Pages (136) |
l'Académie
de BORDEAUX, toujours elle, met au concours la question de savoir:
"
Quelle est la meilleure manière de faire les vins, de les clarifier et de les
conserver; et le moyen de les clarifier sans oeufs, équivalent à celui des
oeufs, ou meilleur ? "
Quant
à sa consommation personnelle, elle ne posait guère de problème car il
buvait peu de vin, sinon à l'auberge ou, chez lui, en quelques circonstances
festives. En temps normal, il buvait de la " piquette " fabriquée
à partir de la fermentation des marcs, résidus de ses vendanges, ou, tout
simplement, quand il n'y en avait plus,... de l'eau. Le vin, principale source
d'argent liquide dans le foyer rural ne devait pas être détourné de sa
finalité : la vente.
Cette barrique contenait 112 Pots (228 litres ) à la différence de la Bazadaise qui, plus petite, n'en contenait que 96 ( 195 litres ). Elle avait une apparence assez sensiblement différente de notre barrique actuelle ( laquelle est toujours construite selon les normes définies le 12 Mai 1858 par la Chambre de Commerce de BORDEAUX ).
Elle
était presque cylindrique, mesurant 2 mètres de circonférence par bout, et
2,22 mètres seulement en son milieu, pour une longueur de 0,94 mètre. La
barrique actuelle est nettement plus renflée en son centre avec
respectivement 1,90 mètre de circonférence par bout et 2,18 mètres en son
milieu pour une longueur de 0,91 mètre.
Déjà
très forte et lourde en elle-même, certains n'hésitèrent pas à la "
renforcer " encore en utilisant des bois toujours plus épais. Que l'on
ne s'y trompe pas, il ne s'agissait nullement d'améliorer la qualité des
barriques pour mieux assurer la sécurité de leur transport, mais bien plutôt
de diminuer leur capacité intérieure tout en leur laissant la même
apparence extérieure.
Pages (137) |
Ainsi
frustrés de quelques pots par barrique, les Hollandais s'en plaignirent
Passons rapidement sur le jeu compliqué des onglets de ces cercles qui devaient se croiser et se ligaturer selon des règles extrêmement précises. C'était un travail de spécialiste. Le " faiseur de cercles " était un artisan tout à fait indépendant du tonnelier.
Il y en avait un à BUDOS, Jean DAMBONS, installé au quartier des MOULIES. Il travaillait sur un curieux appareil de 30 à 35 centimètres de long que l'on fixait sur un banc ou sur une table et qui se composait de trois parties: une roulette à gorge verticale, suivie d'une partie fixe formant un petit passage guidé dans une sorte de couloir de 2 centimètres de large débouchant juste en face d'une lame de rabot fixée très proche de l'horizontale, très acérée, la lame orientée vers la sortie de la goulette.
On
appuyait une branche de noisetier sur la roulette, on la faisait avancer en
force dans le passage guidé qui la maintenait dans un alignement
rigoureusement droit, et elle venait se fendre en une fine lamelle sur la lame
du rabot.
Les
prix tendirent ensuite à se stabiliser un peu; mais investir, disons, 9
Livres pour expédier une barrique de vin de BUDOS que l'on vendait de 30 à
35 Livres logée, constituait à coup sûr une très lourde charge. on ne
pouvait pourtant pas y échapper puisqu'en l'absence de toute citerne, on ne
connaissait que la barrique pour transporter et stocker le vin.
Ceci
nous conduit ainsi aux portes du marché du vin.
Le marché du vin, son organisation.
Pages (138) |
Pourtant,
pour bien comprendre le commerce local du vin , il faut en rappeler au moins
les très grandes lignes.
C'était
la " Sénéchaussée Privilégiée ". Seuls les vignerons de ce
territoire avaient le droit de loger leur vin en barriques Bordelaises,
barriques qui constituaient le signe extérieur du Privilège. A l'origine,
cette première zone s'arrêtait aux portes de LANGON qui en était exclu. Ce
n'était pourtant pas faute d'avoir souvent revendiqué d'y être inclus !
Mais les Jurats Bordelais étaient restés inébranlables sur leurs positions
et n'avaient jamais rien voulu entendre.
Les Jurats Bordelais poussèrent les hauts cris, mais devant une décision du Conseil du Roi, il leur fallut bien s'incliner. Ils le firent bien à contre cœur et ne désarmèrent jamais. Pour bien marquer leur suspicion au regard de ces intrus, ils envoyèrent chaque année, et jusqu'à la Révolution, un Commissaire chargé de contrôler sur place l'étampage des barriques locales, contrôle qu'ils n'exerçaient sur aucune autre des Paroisses concernées....
La
seconde zone, très réduite, produisait déjà des " vins étrangers
". Elle constituait une sorte de couronne territoriale située à la périphérie
de la " Sénéchaussée Privilégiée "
(LANGON lui appartenait à l'origine ). On y récoltait les vins de " demi-marque " qui ne pouvaient entrer dans BORDEAUX qu'après la SAINT MARTIN (11 Novembre ) et moyennant la perception d'un droit de 2 sols 6 deniers par tonneau.
La
troisième zone enfin couvrait un immense territoire commençant au delà de
SAINT MACAIRE sur la GARONNE et de SAINTE FOY la GRANDE sur la DORDOGNE et
englobait LA REOLE, MARMANDE, le GERS, le QUERCY et ...jusqu'au lointain
LANGUEDOC. Il s'y récoltait également des " vins étrangers " mais
qui, eux, ne pouvaient pénétrer dans BORDEAUX qu'après la NOËL et en
acquittant le droit de marque entière, soit 5 sols par tonneau.
Les dates d'accès à BORDEAUX avaient un intérêt capital car la " flotte des vins " arrivait dans le port, chargée de quantités de marchandises, dont beaucoup venaient de HOLLANDE ( soit d'origine, soit en transit ) à destination de la grande Foire d'Octobre.
Elle commerçait pendant un mois, attendait le vin nouveau, le chargeait et remettait à la voile vers la mi-Novembre. En tous cas, pour NOËL, il y avait bien longtemps qu'elle était repartie et les " vins du haut " arrivaient trop tard pour accéder au courant d'exportation auquel les " vins privilégiés " avaient déjà pourvu...
Et
c'était d'autant plus grave pour eux que les Hollandais, la plupart du temps
ne revenaient pas, du moins pour acheter du vin car leur goût se portait sur
les vins de primeur à l'exclusion des autres, sous la seule réserve de
quelques rares très grands Médocs. Guillaume NAIRAC, Commissionnaire
d'AMSTERDAM explique fort bien la chose lorsqu'il écrit:
Pages (139) |
"Il
y a dans ce pays (la HOLLANDE) un préjugé
Ainsi
donc, ou bien le marché Hollandais avait fait le plein de ses capacités avec
les vins privilégiés et il n'achetait plus rien jusqu'à l'année suivante,
ou bien, en cas de récolte insuffisante en Bordelais il complétait ses
achats juste après la NOËL avec quelques vins du haut ". Mais ces
derniers n'avaient jamais accès au meilleur moment du marché.
A l'origine, ce privilège avait été réservé aux seuls Bourgeois de la Ville régulièrement inscrits au Livre de Bourgeoisie, mais il avait ensuite été étendu aux " Manants et Habitants ".
Plusieurs
conditions étaient imposées à l'exercice de ce privilège. Le Bordelais
devait avoir son domicile dans la Ville, et il ne pouvait y faire entrer que
du vin provenant de sa vigne, régulièrement déclaré au " Bureau du
Vin ". Ce vin devait au surplus impérativement provenir de l'une des
Paroisses situées dans la Sénéchaussée Privilégiée.
A
BUDOS, le Baron De LAROQUE, Mr MIRAN, propriétaire à LA HONTIQUE et à
MASSE, Mr DEGENSAC, Juge, et quelques autres bénéficiaient de ce privilège.
Tous avaient un domicile à BORDEAUX, même s'ils n'y passaient guère plus
des six mois obligatoires pour exercer leur droit. Tous récoltaient du vin
dans leurs vignes Budossaises, et BUDOS figurait bien au nombre des Paroisses
privilégiées.
Ensuite, chaque fois que l'intéressé voulait faire pénétrer du vin dans la Ville pour son usage personnel ou pour son commerce, il devait se présenter au Bureau du Vin où on lui établissait une " billette ", sorte d'acquit à caution qui devait accompagner le vin pendant tout son voyage depuis le chai d'origine jusqu'à la porte de BORDEAUX.
Le portier vérifiait la quantité présentée et la conformité de l'origine de ce vin sur le document et sur l'estampille des barriques. Après quoi, le vin pouvait entrer, et la billette était jetée dans une boite en fer blanc dont le portier ne détenait pas la clé, ceci afin que le document ne puisse resservir une seconde fois.
A
chaque demande de billette, le Bureau du Vin déduisait évidemment la quantité
souscrite du montant de la déclaration annuelle, en autant d'opérations
qu'on le désirait et jusqu'à épuisement du contingent.
Pages (140) |
De
Devant
la porte, on répandait de l'herbe au sol, ce qui constituait l'enseigne du débit
de vin. Toutefois, il était interdit d'ouvrir deux tavernes " en même rue
et vue", autrement dit dans une même rue, à la vue l'une de l'autre.
Toutefois,
lorsque le propriétaire rapatriait ses barriques vides sur son propre chai en
campagne, on l'autorisait à ne pas effacer les marques de l'étampage, mais en
ce cas, les fûts devaient être accompagnés d'une billette délivrée par le
Bureau du Vin; billette qui devait lui être rapportée, après le voyage de
retour avec le visa du Juge de la Juridiction ou du Curé de la Paroisse où se
trouvait le chai. Tout cela était précis, pointilleux même, et les
infractions constatées sanctionnées par des saisies assorties de très lourdes
amendes.
En
ce cas, il n'y avait à débourser ni frais de port ( car il le livrait lui-même
) , ni de courtage, et de surcroît, il récupérait les barriques. C'était
tout bénéfice. Mais ce genre de débouché restait très limité. Tous les
autres vignerons prenaient la route vers la GARONNE, essentiellement vers le
Port de BARSAC et allaient y charger leurs barriques sur des coureaux, lourds
bateaux à fond plat manœuvrés à la rame avec le concours d'une voile lorsque
le vent était favorable. Il leur en coûtait 25 sols par tonneau jusqu'à
BORDEAUX.
Pour
les petites quantités ces ventes se faisaient au comptant et en argent liquide;
argent dont les petits vignerons avaient bien besoin, ne serait-ce que pour
finir de payer leurs impôts royaux avant la fin de l'année. Les ventes plus
conséquentes, en particulier celles du Baron ou des Notables s'effectuaient généralement
à terme contre remise d'un billet à ordre.
Pages (141) |
Le mécanisme de ce négoce est parfaitement rodé,
mais les caprices de la nature en perturbaient souvent le fonctionnement. Les
mauvaises récoltes bien sûr, mais aussi les trop bonnes. En Décembre 1783,
le Président LE BERTHON, propriétaire à VIRELADE, ne trouvait aucun
débouché pour ses vins, à n'importe quel prix:
"Je ne
crois pas qu'on se souvienne de pareil évènement..."
Mais au
fait, de quels vins s'agissait-il ? De blanc ou de rouge ?
" deux
barriques de rouge et deux de blanc à 120 Livres le tonneau..."
Il serait pourtant intéressant de définir la part de chacune car elle pourrait bien ménager quelques surprises. Le nom de BORDEAUX reste attaché à une production de vins rouges majoritaire, la production de ses vins blancs étant importante, certes, mais néanmoins minoritaire. En allait-il de même au XVIIIème siècle ?
Il est bien
possible que la réponse soit négative. Une statistique, malheureusement trop
globale, donne à réfléchir, c'est celle des exportations du Port de
BORDEAUX " en année commune
". On y découvre que l'on expédiait, annuellement à destination de:
la HOLLANDE | 7.000 | Tonneaux de blanc | et | 1.500 | de rouge |
HAMBOURG | 5.000 | Tonneaux de blanc | et | 300 | de rouge |
DANTZIG | 5.000 | Tonneaux de blanc | et | 0 | de rouge |
le DANEMARK | 3.000 | Tonneaux de blanc | et | 300 | de rouge |
la POMERANIE | 1.200 | Tonneaux de blanc | et | 200 | de rouge |
Toutes les
autres destinations offrent des taux de répartition identiques entre les deux
vins. Les vins blancs l'emportent dans une proportion écrasante et les vins
rouge ne s'imposent sur aucune des destinations. Ces chiffres ne laissent pas
d'être assez surprenants et la légère correction que l'on pourrait y
apporter en y incluant les " Grands Vins " n'est absolument pas à
la mesure du phénomène. Il s'agit de quelques vins de grand prix, presque
tous rouges, il est vrai, principalement
Pages (142) |
Seule la
découverte de documents comptables locaux que l'on pourrait retrouver dans
des archives privées permettrait de reprendre sérieusement cette étude sous
une forme monographique. Elle ne manquerait certainement pas d'intérêt,
encore faudrait il retrouver les documents utiles.
BUDOS était incontestablement une paroisse viticole. La vigne et le vin régnaient en maîtres au cœur des préoccupations de tous. Mais dans un temps où les échanges économiques manquaient singulièrement de fluidité et de souplesse, la survie de chacun dépendait essentiellement de ce qu'il produisait pour sa propre subsistance.
Quelle que
soit leur dévotion à la viticulture, les Budossais ne pouvaient se
désintéresser des autres cultures et, tout spécialement, de celle des
céréales qui ont constitué jusqu'à une époque récente le fond de
l'alimentation de nos campagnes. Nous ajouterons à ce paragraphe quelques
notes relatives à l'élevage, toujours étroitement imbriqué, dans le Pays
des GRAVES, au sein des problèmes de culture par le biais de la production
des fumiers.
L'idéal de
chaque foyer rural, dans l'Ancienne France, était d'assurer sa propre
subsistance sans rien acheter à l'extérieur. Chacun cherchait à se suffire
à lui-même et y parvenait d'ailleurs dans une assez large mesure. Il en
résultait que l'économie d'une Paroisse se résumait, la plupart du temps en
une mosaïque d'autarcies familiales juxtaposées. Seules, les activité
artisanales locales mettaient un peu d'animation dans les échanges, mais
encore souvent sous la forme de trocs.
Les textes
nous parlent abondamment de " blés ", mais en fait, dans le langage
du temps, on appelait " blé " toutes
Pages (143) |
A
BUDOS, sans équivoque possible, le mot désignait le seigle, lequel
constituait la céréale dominante, et dans des proportions écrasantes. Sur
neuf années d'observations consécutives qui nous sont parvenues, BUDOS a
produit en moyenne 86,6 % de seigle, 8 % de froment et 5,4 % de millet.
Ajoutons au surplus que si les rendements sont variables d'une année à
l'autre, la répartition entre les trois récoltes reste, à très peu près,
constante.
On préférait nettement la culture du seigle à celle du froment, et il y avait à cela plusieurs raisons. Tout d'abord, une raison de rendement, lequel était meilleur pour le seigle dans les terrains locaux. Et puis aussi, autre raison, parce que le pain que l'on en tirait se conservait nettement plus longtemps que le pain blanc.
Enfin,
semble-t-il, parce que la paille du seigle se prêtait davantage que celle du
blé à divers travaux d'artisanat en particulier à la fabrication des
toitures de chaume et du torchis. Ce dernier argument devait être
relativement secondaire à BUDOS car les constructions en torchis y étaient
assez rares et les toits de chaume réservés à quelque dépendances tels que
les parcs à bestiaux, et encore pas tous.
En l'absence
d'orge, les quelques 5 % de millet Budossais auraient été bien incapables
d'assurer cette alternance aux 95 % de froment et seigle réunis. A la
différence des Paroisses de la Lande Girondine, le Pays des GRAVES faisait
davantage confiance à ses fumures pour régénérer le sol de ses joualles et
se permettait de semer à nouveau chaque année des céréales nobles au même
endroit. Mieux encore, on y pratiquait une double récolte annuelle sur un
même fonds. Il est vrai que l'exiguïté des propriétés soumettait les
exploitants aux nécessités d'une culture intensive.
Comme ces
cultures, dans la quasi totalité des cas s'effectuaient en joualles, en un
seul passage, on faisait d'une pierre deux coups. Faute de connaître un
traitement approprié, cet arrachage se faisait entièrement à la main en
Janvier et Février. Les enfants apportaient un large concours à cette
opération, et l'on prenait grand soin de brûler ces mauvaises herbes qui
n'auraient pas manqué de se réimplanter si l'on s'était borné à les
enterrer en bout de la parcelle… Il ne restait plus ensuite qu'à butter le
seigle ou le froment
Pages (144) |
La
moisson intervenait fin Juin , début Juillet pour les seigles, et un peu plus
tard pour le froment : " à la MADELEINE " ( 22 Juillet ) . Tout le
monde savait d'ailleurs que pour obtenir le meilleur rendement, il fallait
attendre que le chant de la cigale ait remplacé celui du coucou.
En Pays de GRAVES, on exploitait parfois le sol au maximum en semant du millet, au printemps, dans les sillons alternant avec les billons où les seigles et les froments étaient en train de croître. On ne le faisait évidemment que dans les meilleurs terrains. La faible proportion du millet par rapport au seigle suffirait à donner la juste mesure de cet usage dont on a beaucoup parlé et qui, sans aucun doute a été pratiqué, mais qui a dû néanmoins rester un peu exceptionnel.
En fait, il
semblerait que le procédé se soit développé un peu plus tardivement, au
cours du XIXème siècle à la fin duquel il s'était solidement implanté.
Au XVIIIème
siècle, on en cultivait deux variétés, l'une à grains blancs et espacés,
destinée à faire des bouillies pour l'alimentation humaine, l'autre dite
" VITALIE ", à grains très serrés sur la grappe et qui était
destinée à la volaille. Ces millets avaient, en commun, une précieuse
particularité : ils se conservaient.
Faute d'avoir su défendre et conserver leurs céréales, nos Ancêtres ont souvent vécu des moments difficiles dont ils auraient pu faire l'économie. Les excédents d'une bonne récolte ne mettaient pas nécessairement à l'abri d'une disette si la suivante était mauvaise, tant s'en fallait.
Mais le
millet, lui, très rustique, se conservait très longtemps; jusqu'à dix ans
disait-on. Il suffisait de l'enfermer dans un coffre en bois et il restait
sain, à l'abri de toute détérioration. Il ne redoutait que les rongeurs
contre lesquels il fallait le défendre. De ce fait, il a souvent constitué
une sauvegarde lorsque la famine se manifestait.
" rendaient quatre pour un."
Pages (145) |
Pour un boisseau de semence, on
Mais à l'expérience, la formule est encore plus contraignante qu'il n'y parait car, en cas de mauvaise récolte, le rendement tombait à trois pour un , voire à deux pour un, ou moins encore ... tandis que le prélèvement destiné à la future semence restait, quoi qu'il arrive rigoureusement constant.
On peut
considérer que les rendements moyens en seigle pouvaient s'inscrire, après
conversion des mesures, entre 6 et 9 hectolitres par hectare pour 2
hectolitres consacrés à la semence ( on semait alors très "
épais",autrement dit très dense ).
Certes, le mais donne du grain, mais il donne aussi un fourrage vert très apprécié dans un pays qui en est trop dépourvu. Et puis il faut dire aussi que sa culture a été enrichie au passage d'une idée intéressante. Le mais se sème au printemps, par petits groupes de graines enfouies par places successives avec un espacement de 40 à 50 centimètres.
Or, c'est
exactement le mode de plantation des haricots, aussi bien quant à la saison
que pour le semis. En mêlant des grains de mais et de haricots dans le
sillon, à côté du seigle déjà poussé sur le billon, on voyait croître
une double récolte
supplémentaire, les haricots utilisant le mais comme support au lieu et place
des encombrantes rames de bois traditionnelles.
Pages (146) |
- de froment
a valu 8 Livres 02 sols minimum 7, maximum 10)
- de seigle a
valu 5 Livres 07 sols minimum 4, maximum 8
- de millet a
valu 3 Livres 04 sols minimum 2, maximum 4
Les autres cultures vivrières.
Ces mots ont souvent fait l'objet de bien des contresens.
Quand nos Ancêtres mangeaient des herbes ou des racines, ils n'étaient pas pour autant réduits aux extrémités que l'on pourrait imaginer. C'est tout simplement qu'ils avaient cueilli quelques choux, ou de la salade, ou des carottes. La salade, plus précisément la laitue, était alors une nouveauté dans nos pays.
Elle s'est
implantée au XVIIIème siècle et s'est glissée progressivement dans
l'alimentation courante du paysan. D'aucuns ont prétendu, et peut-être non
sans raison, que son apport vitaminique avait sensiblement contribué à
l'amélioration des conditions de vie
Pages (147) |
La salade a été adoptée, le maïs aussi, mais, en dépit de ses efforts, l'Administration Royale n'a jamais réussi à implanter la pomme de terre et le riz dans l'alimentation rurale. La Révolution et l'Empire y parviendront mais il aura fallu beaucoup de temps pour cela. Et pourtant le riz eût pu constituer un appoint très précieux dans certains moments difficiles.
On en avait
fait venir du sud de l'ESPAGNE par voie maritime, et d'ITALIE aussi, où il
était également bien connu. Outre ses qualités nutritives, il avait, à
l'instar du millet, l'avantage de se conserver longtemps. Peine perdue, il ne
fut jamais adopté.
Dans toutes ces tentatives, on reconnaissait bien un souci constant de l'Administration de diversifier les cultures et d'encourager les innovations. En cela, la bonne volonté des Gouvernants était évidente, mais se heurtait, partout, à l'inertie, voire à l'hostilité des uns et des autres. Ce n'est qu'un des aspects, bien modeste certes, mais aussi bien réel, du drame de la fin de l'Ancien Régime.
Les
gouvernements successifs ne se sont pas, comme on voudrait parfois le faire
croire, systématiquement endormis dans une quiétude béate, estimant que
tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Chaque classe
sociale a porté en cela sa part de responsabilités. Avec le recul du temps,
ces aveuglements ont revêtu un véritable aspect dramatique, le Régime, en
tous cas, n'y a pas survécu. Et pourtant, la volonté politique,
répétons-le, n'a jamais fait défaut.
Au siège de
chaque Généralité, on ouvrit un " Registre des Défrichements "
où l'on devait enregistrer les déclarations. L'idée avait du bon. Il y
avait, en bien des endroits, des terrains disponibles; il ne manquait qu'un
peu d'esprit d'entreprise pour les mettre en valeur.
On
trouve quelques cas d'inscriptions à LANDIRAS et ILLATS et un seul à BUDOS,
au bénéfice de Mr CONILH:
Pages (148) |
Il s'agissait
donc d'un peu plus de trois hectares situés entre les Hameaux du ROY, de
SAINT PIERRE et la métairie de PAUL. C'est le seul cas d'application
recensé. Et pourtant, dans le même temps, il s'est vendu à BUDOS nombre de
parcelles incultes qui auraient pu être " défrichées " au sens de
la Déclaration Royale. Personne ne s'y est intéressé, l'incitation n'a pas
joué.
L'Administration
Royale avait bien tenté d'encourager l'implantation de nouvelles plantes
fourragères, en particulier le sainfoin et le trèfle de HOLLANDE. Les essais
de culture avaient, partout, rencontré le succès, mais l'inertie des
populations rurales fit obstacle à leur développement et ce fut bien dommage
car elles y auraient trouvé des rendements de fourrages incomparablement
supérieurs à ceux de leurs
Pages (149) |
En
cela, comme en bien d'autres choses, les paysans ne voulurent :
Quelques
familles avaient des moutons, pas toutes, car le problème de leur garde
était plus contraignant que celui posé par les bovins. Pour fixer les
idées, il naissait de 80 à 130 agneaux par an à BUDOS, ce n'était donc pas
un élevage très important, ni par le nombre, ni par le revenu ( un agneau se
vendait aux environs de 2 Livres ), mais il s'était toujours maintenu au fil
du temps. Par contre, les chèvres étaient exclues, et même pourchassées.
Les chevaux
étaient relativement rares. Les chevaux de trait, en particulier étaient
presque inexistants. Seuls, les meuniers paraissent les avoir utilisés pour
la desserte de leurs pratiques. On en trouve ainsi au moulin de BUDOS, de
VILLANDRAUT et du CASTANG. Partout ailleurs, la traction des charrettes,
charrues et tous les autres travaux de force étaient confiés à des boeufs.
Mais le
Docteur CARROUGE, que nous avons déjà rencontré en plusieurs circonstances,
possédait un cheval estimé 300 Livres, un cheval qui lui donnait d'ailleurs
bien du souci. Il donnait des signes de fatigue, si bien que Mr CARROUGE
décida de le mettre au vert pendant quelques temps.
Ils
convinrent d'un prix de pension de six Livres par mois, somme tout à fait
considérable pour une simple mise au pré, mais pour un cheval de ce prix,
que ne ferait-on pas ? L'animal prit pied sur l'île le 19 Octobre 1772. En
passant sur bien des détails, nous dirons que Mr CAROUGE finit par
s'apercevoir que l'on utilisait son cheval et même qu'il avait été blessé.
On le lui rendit efflanqué, toussant et vomissant. Ce fut le début d'une
longue bataille d'experts...
Pages (150) |
E n f i n ,
autour de la maison, chaque famille élevait de la volaille, poulets, chapons,
canards et quelques oies mais relativement peu nombreuses car leur entretien
exigeait trop de grains. A la différence des premiers nommés, elles ne
figurent jamais dans les contrats au titre de redevances. Les oeufs paraissent
avoir été assez rares, leur prix, en tous cas, a toujours été élevé. Une
douzaine d'entre eux valait bien six sols, soit le prix d'un poulet bon à
vendre. Cette parité s'est maintenue au moins jusqu'à la fin du siècle.
Encore
fallait-il qu'il y eut des fruits ( surtout des pommes ) et des glands, et ce
n'était malheureusement pas toujours le cas. On se demande bien de quoi ont pu
vivre les porcs en 1767 par exemple, année dépourvue de toute récolte
fruitière... et ce ne fut pas un cas isolé. Ces cueillettes, et tout
spécialement le ramassage des glands, étaient confiées aux enfants qui, très
jeunes, prenaient déjà une part active aux travaux de la famille.
A BUDOS, les prairies sont jugées rares et "médiocres " , ce qui donne une idée de leur faible rendement en foin et regains. La Paroisse ne disposait même pas de bons pâturages en sous bois car il faut rappeler que toutes les étendues actuellement plantées d'acacias étaient alors dévolues à la culture de la vigne. Cette pénurie était telle que ces bestiaux, finalement peu nombreux, se révélaient, certaines années encore excédentaires au regard de la capacité que l'on avait de les nourrir.
En 1765, les
bovins, anémiés par insuffisance de nutrition, offrirent un champ de
prédilection à une sévère épidémie de fièvre aphteuse. Les choses
n'allaient pas s'arranger car l'année 1767 fut caractérisée par une extrême
sécheresse
et il ne s'y
récolta:
Mais le pire
restait à venir.
Pages (151) |
Quoi qu'il en soit, après quelques mois d'incubation
en PAYS BASQUE, le fléau s'abattit d'un seul coup à partir de la grande
foire aux bestiaux tenue à SAINT JUSTIN, dans les LANDES, le 23 Juillet 1774,
communiquant ainsi:
" l'incendie à toute la Province
... "
L'été fut torride et sec, favorisant, semble-t-il, le développement de la contagion. Tous furent surpris par son extension foudroyante. Toutes les foires furent aussitôt interdites et les bestiaux contaminés mis en quarantaine; l'Intendance prescrivit d'enfouir les animaux morts dans de profondes fosses en mêlant des épineux à la terre remuée pour dissuader les carnassiers de venir les déterrer.
On aligna un cordon de troupes tout au long de la
rive gauche de la GARONNE pour empêcher tout transfert de bovins au-delà de
la rivière et tenter de préserver l'ENTRE DEUX MERS.
" Les progrès sont si rapides que les
précautions les plus promptes et les plus multiples qu'on ne cesse de prendre
sont une faible digue à lui opposer."
Les 22 Octobre et 8 Décembre, l'Administration fit
afficher à la porte des Eglises de toutes les Paroisses l'obligation de
déclarer tout animal suspect de porter la maladie. S'il venait à mourir, le
propriétaire était indemnisé des deux tiers de sa valeur. Mais s'il mourait
sans avoir été déclaré malade, son propriétaire se voyait frappé d'une
lourde amende. L'Eglise ordonna des prières publiques. On fit des processions
les 18 Janvier et 3 Février 1775 pour demander au Ciel la :
" cessation de la maladie du bétail..."
" une très grande mortalité sur les bestiaux,
causée par une maladie épizootique qui s'est répandue dans presque toutes
les Paroisses des LANDES ."
Plus d'engrais, mais plus de labours non plus, ou si
peu, et pas davantage de transports. En 1777, l'Intendant DUPRE DE SAINT MAUR
estimait encore que:
Pages (152) |
En dépit de tous ces avatars, les Budossais
s'efforçaient de tirer de leurs cultures et de leurs élevages le plus clair
de leur subsistance. Mais il leur fallait également se vêtir et, là encore,
c'est du produit de leur travail qu'ils tiraient l'essentiel des textiles qui
leur étaient nécessaires.
Mais l'essentiel des besoins était bel et bien
couvert par les moyens locaux en faisant appel à la laine et au chanvre.
Disons bien l'essentiel, mais pas l'intégralité, car, sans parler des "
fantaisies " évoquées ci-dessus, et pour rester dans le domaine
strictement utilitaire, on ne pouvait par exemple guère envisager de
fabriquer des mouchoirs de laine ou de chanvre, et c'est là qu'intervenait
Simon VERGES, offrant dans sa boutique de la " cotonille à mouchoir
" , à moins que l'on ne préférat , en plus solide, de la " toile
de coton à carreaux rouges..."
Pages (153) |
Comment en effet aurait-on pu entretenir de grands
troupeaux de moutons dans un pays où la propriété était si morcelée ? Il
y aurait bien eu la possibilité de recourir aux vastes espaces de la Lande
Commune, mais elle était, nous l'avons vu, placée sous haute surveillance,
et le Village aurait certainement très mal vu l'implantation de grands
troupeaux ne tirant leur subsistance, au profit d'une seule famille, que des
seuls espaces communs.
Elle était destinée soit au tricotage, en
particulier des bas et des chaussettes, soit au tissage. En ce cas, confiés
aux soins de Pierre PERROY, dit CAUSSON, le Tisserand, les écheveaux se
transformaient souvent en ces belles couvertures de laine blanche que nous
retrouvons en constitution de dot dans certains contrats de mariage.
La laine y était pressée et feutrée en un tissus
grossier, très lourd, mais pratiquement imperméable à la pluie, et dont on
fabriquait des vêtements d'hiver. Ce cordillas était assez voisin
semble-t-il, mais en plus épais de ce que l'on appellera plus tard le "
droguet " et que l'on continuera de fabriquer, toujours au BATAN,
jusqu'au milieu du XIXème siècle.
Aucune des interventions du cardeur ou du foulon ne
faisait l'objet d'une rémunération en argent liquide. Leurs prestations se
soldaient par des prélèvements en nature de laine ou de cordillas selon des
proportions définies par des usages immémoriaux.
Pages (154) |
Ce travail de la laine occupait donc une certaine
place dans l'économie du Village, mais il n'a jamais dépassé le stade
domestique et n'a jamais fait, apparemment, l'objet d'un quelconque commerce.
Il en allait de même du travail du chanvre, sur le
plan local, bien évidemment, car il y avait place, par ailleurs, sur le plan
général, pour un négoce important, aussi bien pour la laine que pour le
chanvre. Ce dernier, en particulier, était très recherché pour la
fabrication des cordages et des voiles destinés à la marine. La
Généralité de GUYENNE, très déficitaire, en importait de lointaines
contrées. Le 14 Janvier 1772, le Contrôleur Général TERRAY autorisait
l'Intendant de BORDEAUX
Si l'on en croit les comptes du Curé DORAT, il se
récoltait,
Pages (155) |
" Le chanvre est une plante à qui des terrains
gras et humides conviennent le mieux. Elle se plait singulièrement sur le
bord des rivières. Aussi lève-t elle fort vite dans un terrain
mouillé. C'est le contraire dans une terre sèche, à moins que l'on ne
vienne à son secours."
" on ne sème tout au plus dans chaque
métairie qu'un tiers de journal de chanvre" (entre 1000 et 1100
m2)"
" deux règes de terre en chènevier formant
deux pas et demi de large (2,21 mètre) à MOUYET... plus neuf pas (7,96
mètres) de terre, aussi en chènevier également à MOUYET."
Elle était toujours partagée, et, lorsque le sens
du découpage était précisé, c'était toujours dans le sens de la longueur,
si bien qu'à chaque génération, la parcelle devenait de plus en plus
étroite. Ceci semble indiquer que certains terrains ont pu avoir une vocation
chènevière spécifique, et qu'il n'était pas question de faire venir du
chanvre n'importe où.
Un jardin chènevier se présentait sous la forme de plates bandes d'une longueur n'excédant guère deux mètres. Ce terrain était bêché en profondeur, à la main bien sûr, par deux fois au cours de l'hiver, en Décembre et en Février. La fumure, abondante, intervenait au cours de cette deuxième façon.
Fin Mars ou début Avril, selon le temps, on
procédait à un nouveau bêchage et l'on semait; un semis traditionnellement
très dru. La plate bande était recouverte de terre et passée au râteau. Il
y avait alors un moment difficile à passer, car cette terre fraîchement
remuée attirait les oiseaux dans une saison où la nature était plutôt
avare de ses dons, et au surplus, les oiseaux
Pages (156) |
C'était le travail des enfants que de chasser
ces intrus, du lever du jour au soir tombé , afin de préserver la récolte.
Cela durait une dizaine de jours, le temps que la terre se tasse. Le chanvre
avait la particularité d'étouffer les mauvaises herbes autour de lui, si
bien qu'il n'exigeait pratiquement pas de désherbage. Deux mois après le
semis, on avait déjà une bonne idée de ce que pourrait être la récolte à
venir.
C'était un travail confié aux femmes et aux enfants. Cette cueillette s'effectuait généralement en deux fois, les plans mâles en Juillet, et les plans femelles trois semaines plus tard. Réunies en petites gerbes liées avec de la paille de seigle, les poignées ainsi arrachées étaient mises à sécher sur le " cambey " où il fallait encore les surveiller de très près pour les protéger de la voracité des oiseaux.
Au bout de quelques jours, on battait les gerbes
femelles sur un banc, ou sur un billot pour en récupérer les graines dont on
réservait la part nécessaire à la future semence, le reste était consacré
à la nourriture de la volaille. Cette opération produisait une poussière
épaisse et puante tout à fait caractéristique, mais ce n'était là qu'un
début car le traitement du chanvre produisait bien d'autres nuisances.
La première méthode semble bien avoir été dominante à BUDOS. Elle consistait à étendre le chanvre en faible épaisseur sur un pré d'herbe aussi verte et drue que possible, généralement aussitôt après la coupe du regain. L'alternance des rosées de la nuit et de l'ardeur du soleil conduisait au but recherché en huit à quinze jours selon les caprices de la météorologie.
Cette opération de rouissage, à BUDOS, s'appelait
" arrousia ", autrement dit, mettre à la rosée du Gascon "
arrous " : rosée. Elle dégageait une odeur nauséabonde. Le bout
de prairie où s'effectuait le dépôt portait d'ailleurs en Gascon le nom
particulièrement imagé de" pourridey" Et comme toutes les familles
" mettaient à la rosée " à peu près en même temps, il y avait
là quelques mauvais jours à passer pour l'ensemble de la paroisse ... Mais
cela faisait partie des contingences de la vie, et personne, noble ou manant,
ne pouvait échapper aux puanteurs que générait
l'opération.
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L'autre méthode consistait à immerger le chanvre
dans les ruisseaux,
Cette méthode était assez mal vue car, cette
fois-ci, c'étaient les eaux qui devenaient littéralement pestilentielles. Il
était d'ailleurs interdit de restituer au fil du courant les eaux
détournées d'un ruisseau à cet usage. Déjà, en 1725, l'Intendant BOUCHER
avait pris une Ordonnance toujours en vigueur à la fin du siècle,
interdisant cette pratique
" afin d'empêcher, autant que possible, la
mortalité des bestiaux et du poisson causée par la puanteur des eaux... que
les chanvres infectent. "
Venait alors le broyage que l'on pratiquait au "matyoun" du Gascon " matya " : mâcher ) , appareil en bois ayant la forme d'un tranche pain d'environ un mètre de long. La partie inférieure, formant socle, était horizontale et fixe. La partie supérieure, mobile, lui était rattachée, en l'une de ses extrémités par un pivot et se terminait, à l'autre bout par un manche.
D'une main on présentait les fibres par poignées
entre les deux branches de la mâchoire, tandis que l'autre main, tenant le
manche levait et abaissait la partie mobile d'un mouvement sec qui produisait
un claquement très caractéristique que l'on entendait de fort loin.
C'était, à la saison l'un des bruits familiers du village, et tout un chacun
savait tout aussitôt lorsque l'on " matyait " chez tel ou tel
voisin. Au cour de cette opération, les dernières fibres ligneuses se
séparaient du chanvre et tombaient.
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Les fibres en ressortaient
On pouvait alors passer au peignage qui se pratiquait
en plusieurs opérations successives au moyen de peignes à pointes de fer
implantées dans des blocs de bois. Il en existait de plusieurs dimensions.
Les dents longues et espacées étaient utilisées les premières avant de
passer au " peigne fin " à dents courtes et rapprochées. Pour
obtenir une sélection plus poussée des meilleures fibres, on pouvait
recommencer plusieurs fois le passage au peigne fin.
Toute la vie du Village y passait. C'est là que se
formait l'opinion publique et que, tout aussi bien, se faisaient et
défaisaient les réputations, sans oublier les contes, la transmission des
superstitions, et aussi, des chansons. Avec ou sans conversation, une fileuse
expérimentée produisait environ 250 grammes de fil par jour, mais certaines,
particulièrement adroites, dépassaient, dit-on, largement ce chiffre.
Pages (159) |
Le moment venu, on confiera ce fil à un tisserand
local qui en tirera le meilleur parti, soit pour habiller tel ou tel membre de
la famille, soit pour fournir du linge à la maison.
Le chanvre, avons-nous dit n'a jamais constitué une
culture dominante à BUDOS, mais du fait de sa dispersion, il concernait tout
le monde. Les nombreuses contraintes imposées par sa transformation au fil
des mois d'hiver n'ont jamais cessé de lui conférer une place tout à fait
notable dans les préoccupations des Budossais. Riches ou pauvres ils lui ont
toujours consacré une attention toute particulière.
Au delà des limites de la Paroisse, il en allait de
même jusqu'au Bourg de BALIZAC. L'étendue dite du " POUY " était
parfaitement nue et désolée. De tous ces terrains, on ne pouvait extraire
que des bruyères et des molinies destinées aux litières. L'idée n'est
jamais venue à personne qu'au prix d'un aménagement du sol, on pourrait y
trouver à la fois du bois et des litières .... Il a fallu pour cela attendre
le début du XIXème siècle.
Alors où trouvait-on de la forêt à BUDOS ?
L'inventaire des lieux est assez vite fait.
Il y avait tout d'abord une bande d'une cinquantaine
d'hectares située sur la rive droite du TURSAN entre la métairie de LANTRES
et le Pont du KA, terrain bénéficiant d'un drainage
Pages (160) |
Puis, un petit massif de quelques 25 hectares situé dans le prolongement du premier, entre les métairies d'ANDRIVET e t de COUDEOU. Ajoutons-y quelques hectares entre la Chapelle SAINT PIERRE et le quartier de MEDOUC; les textes nous disent qu'il y avait là quatre hectares de " pignadas très épais ", mais il est bien possible qu'il y ait eu quelques autres parcelles identiques.
Signalons encore un massif nettement plus important entre le Château de PINGUET, la métairie de LAVION et le quartier de MOUYET s'étendant jusqu'aux prairies et marais du CIRON vers POURRIERE et l'EAU BELLE sous déduction toutefois d'une vaste enclave formée par le champ de PINGOY. Il pouvait bien y avoir là une cinquantaine d'hectares.
Et enfin une frange, sur la rive gauche du CIRON,
allant de la métairie du LANDON jusqu'aux environs de MARGARIDE, ayant la forme
d'un triangle étiré en direction du sud, sur 30 à 40 hectares, guère plus.
On ne court pas de grands risques d'erreur en avançant que BUDOS ne disposait
pas de plus de 300 hectares de forêt, soit environ 15 % de la superficie totale
de la Paroisse. Encore faut-il bien préciser que ces 300 hectares se
répartissaient sur les divers stades du cycle végétatif , allant de la coupe
rase à la forêt en pleine exploitation, ce qui limitait d'autant les
superficies réellement disponibles.
Le marché du bois se répartissait en trois
compartiments bien distincts : le bois de chauffage, le bois d'oeuvre et les
bois destinés à l'exploitation de la vigne ( échalas, lattons, etc...)
Un cent de bûches de pin valait 5 Livres
lorsqu'elles étaient enlevées par l'acheteur sur le chantier 16 Juillet 1780 )
ou 8 Livres et 15 sols lorsqu'on allait les livrer à domicile, par exemple chez
Jean Baptiste DUBLANC, Maître en Chirurgie à BOMMES 18 Septembre 1787 ).
Des bûcherons professionnels, au demeurant peu
nombreux, coupaient ces taillis pour le compte des Notables aisés. Ils étaient
rémunérés " au cent "
. La bourrée, enfin, issue des menues branches et des cimes servait à allumer
le feu, mais était aussi vendue, en fagots, aux boulangers et aux tuiliers qui
en
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Les bois d'oeuvre
se commercialisaient essentiellement sous la forme de " barrefortes
" et de planches. Selon le Dictionnaire de TREVOUX, le terme de
" barreforte " désignait:
Certains de
ces marchés étaient très importants, 200 douzaines par exemple. De même
pour les planches qui se vendaient soit au poids, soit à la douzaine. Les
prix retrouvés en sont assez variables, probablement selon les dimensions,
mais aussi selon les qualités qui sont rarement précisées.
L'arbre à scier était placé sur un chevalet à environ deux mètres du sol, l'un des deux hommes montait sur la bille, l'autre restait à terre. Ils sciaient verticalement au moyen d'un " passe partout " à large lame. A raison de deux traits de scie par planche, c'était un travail long et pénible. Le scieur resté au sol était appelé " l'homme aux yeux rouges " car il recevait la sciure dans les yeux tandis qu'il levait la tête pour surveiller la rectitude du trait avançant tout au long de l'arbre.
Il y avait toujours eu des scieurs de long à BUDOS, DUBOURDIEU, à LA CROIX, près du BOURG, Jean LACASSAGNE dit LAOUSET, à PINGOY, VINCENS à PANGASTE, un autre à LAVION, etc... Si chaque Budossais était capable de débiter son bois de chauffage, il en allait tout autrement du façonnage des bois d'œuvre qui exigeait un véritable savoir faire de professionnels que seuls détenaient les scieurs de long. Ils travaillaient pour les besoins locaux, mais aussi pour des marchés extérieurs à la Paroisse.
Il semble
bien que LE LANDON ait constitué un point de " mise à l'eau " des
bois façonnés en vue de leur acheminement sur le Port de BARSAC. Nous y
voyons des marchands de bois s'y rencontrer et s'y faire livrer leurs
marchandises. Le 3 Mars 1784 par exemple, Pierre DUPRAT , dit GAUCHEY,
marchand habitant à CASTIGUE, dans la Paroisse de NOAILLAN, et son associé
Etienne DUPEYRON dit le JEUNE, ont rencontré:
" au
LANDON sur les bords du CIRON, de la Paroisse de BUDOS..."
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le nommé
AMANIEU, marchand à BARSAC, habitant à HALLET. Ils lui ont vendu 54
douzaines de planches:
" laquelle marchandise ledit AMANIEU leur
recommanda de faire transporter audit lieu du LANDON (dans) les deux premiers
jours (suivant) leur convention."
" le moindre pin de trois billons de
barre..."
Les fournitures pour la vigne et les bois spéciaux.
Nous en
terminerons avec le paragraphe des bois en évoquant d'un mot les " bois
spéciaux ", très recherchés pour certains usages étroitement
définis. Les branches de saule, par exemple, pour peu qu'elles fussent bien
droites, étaient vivement convoitées pour fabriquer les manches d'outils;
mais on vendait aussi un bon prix les bois de sureau dont les artisans
fabriquaient des peignes; le charme servait à la confection des rabots et des
varlopes; le buis enfin était très prisé par des tourneurs adroits qui en
tiraient des grains de chapelet et des toupies.
Le bois
était précieux et l'on tirait parti de toutes ses essences et de toutes ses
formes.
Pages (163) |
A travers
leurs activités, nombreuses et variées, nous venons de découvrir les
Budossais au travail. Actifs, industrieux, mais aussi très routiniers, ils se
savaient fragiles et soumis sans défense aux caprices de la nature; une
nature qui ne les a d'ailleurs pas toujours ménagés en cette fin de siècle,
tant s'en faut…! Il n'est donc
pas étonnant, qu'en toile de fond de leur vie quotidienne ils aient toujours
porté le plus vif intérêt au temps qu'il avait fait, au temps qu'il faisait
et, en tant que de besoin, au temps qu'il allait faire.
Les bonnes et les mauvaises récoltes
la météorologie,
les phénomènes naturels:
Nous disposons de très nombreux documents qui nous permettraient, si nous le voulions, de relater tous les évènements liés à la météorologie. La masse des renseignements disponible augmente d'ailleurs au fil des années jusqu'au point de disposer, dans les derniers temps de l'Ancien Régime, de plusieurs relevés quotidiens très précis des températures, des pressions barométriques et de la pluviométrie sans oublier la force et la direction des vents...
Il n'entre
pas dans notre propos d'en venir à de pareils détails qui sont l'affaire de
spécialistes. Mais puisque nous sommes résolument engagés dans la voie de
l'histoire anecdotique, c'est par ce biais que nous tenterons de rendre compte
d'une matière qui, par toute autre approche, pourrait se révéler sous un
jour beaucoup trop technique.
Les caprices de la nature, fragilité des équilibres.
Pages (164) |
Le
Commissaire Enquêteur désigné pour recenser les dégâts avait
Mais les zones les plus touchées s'étaient situées
dans la région Libournaise, tout spécialement à VAYRES, dont le Château
fut très ébranlé et plusieurs maisons détruites, ainsi que dans l'ENTRE
DEUX MERS. Le Pays des GRAVES avait été épargné, mais ses habitants en
avaient conçu une vive frayeur. C'est dans cette ambiance plutôt morose que
s'ouvre la période des années soixante que nous allons maintenant étudier
avec un peu plus d'attention.
Ces
phénomènes caniculaires continus n'empêchaient pas de voir survenir
d'autres avatars.
S'il faisait très chaud l'été, nul n'était pour autant à l'abri des gelées printanières ou des grêles d'été. A cet égard, l'année 1763 s'était révélée particulièrement désastreuse, si désastreuse, même, que le Baron De LAROQUE, conjointement avec les Collecteurs de la Taille de BUDOS, avait demandé à l'Intendant l'ouverture d'une enquête en vue de recenser exactement les dégâts accumulés.
Satisfaction
lui avait été accordée. Et le 24 Septembre, à 7 heures du matin, Maitre
DEGENSAC, Commissaire Enquêteur commençait son inspection, accompagné du
Baron, du Curé DORAT, de LACASSAGNE et de Pierre BERGEY, Collecteurs désignés pour l'année, ainsi que des Notables locaux et des
principaux propriétaires de BUDOS.
Cette petite
troupe a ainsi:
Pages (165) |
Le Commissaire Enquêteur y a ainsi trouvé:
- un tiers en
lande ( soit 660 à 670 hectares)
- un sixième
en pignadas (environ 330 hectares) " ou friche propre à pignadas "
est-il précisé.
- un
douzième en prés (environ 170 hectares)
- un douzième
en terres labourables (environ 170 hectares).
Pour
les vignes, les dégâts n'étaient pas uniformément répartis car:
Au résultat
de tout ceci, et en conclusion:
" D'après toutes ces observations, et
l'attention scrupuleuse que nous avons apportée dans notre visite, nous
estimons que la perte de revenu sur les vignes est, dans le cas général, au
moins des deux tiers, de même que les prairies, et comme nous n'avons pu
apprécier la perte sur les blés (lesquels sont) déjà recueillis, ledit
Sieur Curé de la Paroisse qui en prenait (la Dîme), de même que les autres
habitants, nous ont déclaré d'une commune voix qu'il y a eu cette année
autant ou plus de blé que l'année dernière, mais comme (cette année là)
fût des plus désastreuses, ils estiment que la perte des blés, la présente
année, est d'un tiers (par rapport) à une année commune."
Ce Rapport
n'aura certainement pas surpris l'Intendant, car il écrivait lui-même,
quelques semaines auparavant:
Pages (166) |
Le grand hiver de 1766.
" Toutes
les vielles vignes portant du vin rouge furent gelées, aussi bien que
quelques pieds de vin blanc..."
Pages (167) |
tandis que
les vignes plus jeunes semblent avoir mieux résisté.
Pour les céréales, la surprise fut totale. Presque
tous les seigles paraissaient morts jusqu'à la fin Avril:
Mais tout
finit par lever au mois de Mai, et la récolte fut, contre toute attente, en
bien des endroits tout à fait acceptable, avec la particularité d'avoir
été très tardive puisque:
Par un singulier contraste, cette année 1766 connut
un été particulièrement chaud et ensoleillé. L'année battit tous les
records de sécheresse du siècle puisqu'il ne tomba à BORDEAUX que 423 mm
d'eau en douze mois ! Cette carence, poursuivie tout au long de 1767 eût des
conséquences sur les plantations de vigne que l'on avait immédiatement
entreprises en réparation des dégâts provoqués par le froid. Un peu
partout dans les GRAVES, on se plaignit que ces travaux eussent connus nombre
d'échecs. Ainsi peut-on noter à BARSAC, au cours d'une Enquête menée le 3
Août 1767, que:
" (nous) avons observé que les provins que
l'on y avait fait et les plants que l'on y avait mis pour réparer partie du
dégât que la violence des froids de l'hiver de l'année dernière 1766 y
avait fait, avaient mal réussi, une grande quantité de provins ayant péri
et peu de plants pris, à cause de la sécheresse du temps."
Car 1767
avait à peine été moins sec que 1766, à telle enseigne que, de toute la
saison, on n'avait pu récolter ni foin ni regain,
"et sans le secours de la paille, qui a été
abondante et belle, le bétail serait mort de faim..."
Certes, la
paille était belle et surtout bien sèche car
" les blés sur les champs ne pouvaient pas
être plus beaux qu'à la veille de la moisson, mais on perdit partout ...
quantité de grains ... parce que les gerbes et les épis (étaient) si secs
(qu'ils) laissaient échapper beaucoup de blé à mesure qu'on les
recueillait.."
et de fait,
il semble bien que l'on ait ainsi perdu beaucoup de seigle car, tous comptes
faits, la récolte s'inscrivit au nombre des années médiocres. Finalement,
c'est encore la vigne qui se serait le mieux accommodé de ces chaleurs, si
les gelées des 18 et 20 Avril, frappant tout le Pays des GRAVES, n'en avaient
assez notablement réduit la récolte.
La
sécheresse devait se prolonger encore jusqu'à l'été 1768, les caprices de
la couche d'ozone ni l'effet de serre n'y étant réellement pour rien, du
moins du fait des hommes ... Une fois encore, les animaux durent se passer de
fourrages verts pour ne subsister qu'avec les pailles, tandis que les hommes
devaient se contenter d'une assez maigre récolte.
Pages (168) |
Le grand ouragan de Notre-Dame de septembre 1768.
Le souvenir
de l'année 1768 devait rester gravé dans les mémoires pour une toute autre
raison; ce fut l'année du " Grand Ouragan de Notre Dame de Septembre
" , les 8 et 9 de ce mois là ( le 8 Septembre étant, dans le Calendrier
Liturgique de l'Eglise, la Fête de la Nativité de la Vierge MARIE ).
Partout,
depuis le littoral jusqu'au Pays des GRAVES, du Bazadais, et même jusqu'à
l'Agenais, sans parler de BORDEAUX, des LANDES et du BEARN, tout était
dévasté. Mieux vaut, au demeurant céder la parole à ceux qui ont vécu
l'évènement et s'effacer devant leurs témoignages. Ils sont si nombreux
qu'on ne saurait les citer tous. Il est bon, néanmoins, de souligner combien
leurs relations sont concordantes jusque dans les détails.
Et après
quelques autres considérations sur la récolte de vin,
"
perpetuam rei memoriam " (A la mémoire éternelle de la
chose ).
Plus sobrement, le Curé d'ORIGNE note dans son
registre que l'ouragan fut:
" si furieux qu'il déracina une quantité
prodigieuse d'arbres et de pins et brûla toute la récolte de millade."
Maître
LAFARGUE, Notaire à LANGON note également dans son journal:
Pages (169) |
" LE 8
Septembre de cette année a fait époque ....
Trois
semaines après la catastrophe, un Commissaire Enquêteur dressait Procès
Verbal des dégâts survenus à NOAILLAN du fait de:
" l'oragan (sic) du jour et nuit de Notre
Dame huitième du courant..."
C'est ainsi
que, le 27 Septembre, il constatait que:
" la majeure partie des arbres chênes,
brûles (c'est-à-dire peupliers), ormeaux, vergnes (ce sont les aulnes),
aubiers, arbres fruitiers, pignadas et de toutes autres espèces brisées,
déracinées (est détruite), les millades en entier toutes brûlées,
brisées et déracinées les vignes aussi brûlées, tout l'échalas brisé et
renversé, en sorte qu'il n'y a nulle feuille verte et que tout parait mort
comme dans le cœur de l'hiver."
Le
Commissaire Enquêteur insiste ensuite sur le fait que:
" la fumée saline que le vent de cet oragan
(sic) avait répandu partout avait brûlé et séché le grain et la paille
qui n'étaient encore en leur maturité, que cette même fumée avait brûlé
les feuilles bois et raisins aux vignes, qu'en outre le vent impétueux qui se
manifesta causa aux millades et raisins un battement et froissement si fort
qu'outre qu'une bonne partie dégraina, le restant fut si meurtri qu'il a
totalement séché."
Il finit par
conclure que la totalité de la millade est perdue ainsi que les deux tiers de
la vendange, ce qui pourra en être sauvé étant de très mauvaise qualité.
Ce Rapport
est très exactement confirmé par celui du Curé de POUSSIGNAC, entre BAZAS
et AUROS, lequel expose que:
" il a
fait un ouragan le huitième du mois de septembre, des plus furieux et des
plus extraordinaires, qui a duré depuis six heures du soir jusqu'à trois
heures du lendemain matin. Vent impétueux qui a coupé et déraciné beaucoup
de pieds de vigne, d'arbres de toutes espèces, et beaucoup endommagé les
bords et couvertures des maisons et dont vingt quatre heures après toutes
sortes de feuillages ont été grillés comme si le feu y eût passé, de
manière que la récolte du vin a été fort diminuée de sa qualité et de sa
quantité et que tous les millets et millades ont péri totalement cette
année."
Nous ferons
enfin appel, pour en terminer, au témoignage du Curé BONIOL, Curé de SAINTE
ANNE du PUY, Diocèses de BAZAS, dont le Journal est toujours précieux pour
l'histoire locale. Il écrit:
Pages (170) |
" L'année 1768 est une de celles que les
vivants n'oublieront jamais dans cette contrée, en ce qu'elle a été
sensiblement marquée, la nuit du 8 au 9
" ...
utre le dégât que nous venons de citer, on a remarqué que partout où ce vent
avait touché, il avait laissé des marques de sa malignité et de sa chaleur.
Tous les arbres, les plantes et les fruits en furent macérés, moulus et
brûlés, comme si un véritable feu l'avait accompagné. Les vins, tant rouges
que blancs, n'ont rien valu. Ils ont un goût âpre et vert."
Cet ouragan constitua, incontestablement, un phénomène peu banal, non seulement dans l'évènement lui-même, mais aussi, et peut-être surtout, dans ses conséquences. Tous les témoins, ceux que nous avons cités, mais aussi bien d'autres encore, insistent sur le dessèchement de la végétation dans les vingt quatre heures qui ont suivi la tempête.
Chacun utilise une expression différente. Il est question de " goût de salure'', de " fumée saline ", de " malignité ", et ailleurs de " vapeurs brûlantes ". Or, dans le contexte du temps, ces témoins n'ont pu communiquer entre eux, et au surplus, rien ne les prédisposaient à se connaître ou à se rencontrer. Même si nous nous expliquons mal le phénomène, il nous faut en accepter les conséquences.
Les mots de " feu " et de " brûlure
" reviennent trop souvent sous chacune de ces plumes pour que l'on puisse
mettre en doute la véracité de leurs observations. A n'en point douter, en ce
Jeudi là, Fête de Notre Dame de Septembre, il s'est bel et bien passé quelque
chose qui reste à élucider.
Nous n'avons
pu retrouver aucun document concernant directement le sort de BUDOS dans cette
tourmente. A coup sûr, il en a existé. S'ils n'ont pas tous été détruits,
on peut toujours espérer en repérer quelques traces; encore faudrait-il avoir
la chance de mettre la main dessus... Une telle quête n'est jamais terminée.
De l'année 1769, nous dirons peu de choses sinon qu'après bien des années de sécheresse consécutives, le temps se mit à la pluie sitôt après le passage de l'ouragan de l'automne précédent, et qu'une fois les écluses du ciel ouvertes, elles ne se refermèrent pas de sitôt....
Le printemps
fut humide au delà de toute imagination, et l'excessive persistance des pluies
compromit la floraison des céréales. La récolte, encore une fois, fut
mauvaise. La pluie ne cessa pas pour autant et 1769 battit tous les records de
pluviométrie avec 860 mm enregistrés à BORDEAUX.
Pages (171) |
L'ayguat dous rameous du 7 avril 1770.
( la crue des rameaux. )
L'année 1770
devait se signaler par un tout autre record, un triste record, toujours
inégalé jusqu'à nos jours, celui de la crue des eaux. Ce fut, en effet,
l'année de " l'Aygat dous Raméous ", l'inondation ou la crue des
Rameaux
Avec une crue de 37 pieds (12 m,02) à l'aplomb de l'Eglise SAINT GERVAIS de LANGON, en 1712, on avait bien pensé avoir connu la côte maximale que pouvait atteindre la GARONNE. C'était déjà un beau record ! La crue célèbre de Février 1618 qui servait jusque là de référence à la mesure des excès de la Rivière n'avait atteint que 31 pieds (10 m,07). Avec 6 pieds de plus, on croyait bien avoir tout vu.
Or, en ce même lieu, dans la nuit du 7 Avril 1770,
la GARONNE dépassa les 42 pieds (13m,64) ! ... C'est le record absolu des
crues connues de la GARONNE, il n'a, avons nous dit, plus jamais été
égalé. L'échelle des crues située sous la Porte de la Mer à CADILLAC en
porte le témoignage. Le fleuve qui avait trouvé à s'étendre au loin sur la
rive gauche, y atteignit tout de même 12 m,60 ( pour 11 m,80 au même lieu le
6 Mars 1930 ).
Le 2 Avril, un redoux dans les PYRENEES, accompagné d'un redoublement des pluies sur toute l'AQUITAINE, vint soudain précipiter les choses. Le 6 Avril, qui était le Vendredi précédant les Rameaux, la Rivière était très grosse et tous les riverains, depuis le matin, l'avaient surveillée avec inquiétude. En début d'après-midi, on put enregistrer une très légère décrue.
Vers 17 heures, on crut que tout danger majeur était écarté. Les habitants des zones inondables qui avaient déjà évacué les parties basses de leurs maisons s'apprêtèrent à passer une nouvelle nuit dans leur grenier. Sous un ciel bas et une pluie diluvienne, la nuit tomba très vite; une nuit affreusement noire, tous les témoignages insistent beaucoup sur ce point.
Et soudain,
les eaux, furieuses, se mirent à monter, mais à monter à une vitesse
incroyable. En quelques heures, elles s'élevèrent de 7 pieds (2 m,27) au
dessus de la côte atteinte à 17 heures ! C'est alors que se leva un vent
violent venu du nord-ouest qui vint appuyer les effets de la marée remontante
dans l'estuaire, freinant et refoulant les eaux du fleuve déchaîné. Ce fut
le début d'une épouvantable catastrophe. Les pauvres gens, chassés de leurs
greniers durent chercher refuge sur leurs toits que le courant commençait à
dégarnir de leurs tuiles. Tout cela, dans une obscurité totale, dans les
bourrasques de pluie et de vent.
Au lever du
jour, le Samedi 7 Avril, des dizaines et des dizaines de ces pauvres gens
apparurent, juchés sur les arrêtes de leurs toits, sur toutes les fermes des
palus. Tous faisaient des signaux désespérés et poussaient des cris que
personne
Pages (172) |
"La
Rivière était dans sa plus grande force, le vent violent, et la pluie très
abondante. Les matelots refusèrent de s'embarquer pour aller secourir ces
misérables. Le Curé ( Me BOYS ) voyant qu'il ne pouvait les déterminer,
saute dans une barque, saisit l'aviron en disant qu'il périrait plutôt que
de ne pas secourir ses anciens paroissiens (il était auparavant curé sur
l'autre rive). Son exemple fit plus d'impression que ses exhortations et ses
promesses. Quatre matelots se joignirent à lui..."
" exposés à toutes les rigueurs du mauvais
temps, vent, pluie, tout les a accablés jusqu'au moment où des matelots sont
allés les chercher, ce qui n'a pu être fait...dans le moment, et par là,
plusieurs ont passé les vingt quatre heures sur leur maison."
Partout, les
actes de courage se multiplient. Marc BARBE, " Maître de Bateau "
à GIRONDE, par son courage, son habileté et sa connaissance de la Rivière
sauve des centaines de personnes à raison d'une cinquantaine par voyage dit on.
Et ici, il faut absolument rapporter l'anecdote dramatique du bébé qui, a
l'instar de MOÏSE, fut sauvé des eaux. Marc BARBE dirige en effet son
bateau:
" au-dessus d'une maison quasi submergée
..."
Sur la crête
du toit se tient une femme, accouchée dans la nuit au sein de cette tourmente
Mais laissons parler le témoin qui participe à ce sauvetage:
Pages (173) |
Mais
des dizaines et des dizaines de paroisses allaient encore rester bloquées
pendant bien des jours. PREIGNAC, entre bien d'autres était complètement
submergé, Eglise et cimetière compris. Son Curé, Mr DUMEYRAT parvint à
faire passer un message à son collègue de FARGUES dans la journée du
Dimanche , lui demandant d'assurer le service de ses paroissiens demeurés
" hors d'eau " et de procéder aux inhumations dans son cimetière.
Et de fait, le Registre Paroissial de FARGUES porte bien la mention de trois
enterrements et d'un baptême effectués pour le compte de la paroisse de
PREIGNAC, les corps des défunts ayant été transportés en barque.
Et BUDOS dans
tout cela ?
Eh bien une
bonne partie du Village était bel et bien sous les eaux et la Paroisse
passablement isolée.
Grossi par les pluies diluviennes qui s'étaient abattues sur tout le pays au fil des dernières semaines, le CIRON avait largement débordé. Or, rencontrant à son embouchure un " mur" d'eau de 12 à 13 mètres de haut, et faute de pouvoir s'écouler, il se répandit à son tour, dans sa propre vallée, très au-delà des limites habituelles de ses débordements.
Les quartiers
de COUILLET, FINORE et MARGARIDE se retrouvèrent avec les pieds dans l'eau,
mais aussi FONBANE et PINGOY, sans parler du BATAN et de POURRIERE qui, eux,
étaient carrément sous les eaux. Cherchant partout un exutoire, le CIRON
avait envahi la vallée du TURSAN, lui-même en crue, si bien que les
quartiers de PINGUET et CAUSSON étaient inondés et que le SOUBA, aussi
éloigné qu'il puisse être, voyait venir l'eau à sa porte.
BUDOS fut
ainsi coupé de PUJOLS, de BOMMES, de SAUTERNES et de LEOGEATS et ne pouvait
accéder à LANDIRAS qu'au prix d'un détour par la Lande et d'un passage
difficile au point qui devait devenir plus tard le Pont du KA.
Les dégâts enregistrés furent ceux qui s'attachaient à toutes les crues importantes du CIRON. Ils s'analysèrent essentiellement en un ensablement considérable des prairies de la vallée, chose au demeurant tout à fait désagréable au regard du rendement des fourrages à venir.
Il s'y
ajouta, cette fois-là la submersion de champs et de vignes, en particulier
aux abords des quartiers de FONBANE, de PINGOY, et de CAUSSON, alors que les
semences étaient déjà en cours de végétation. Partout, les récoltes
furent très mauvaises, gâtées par les excès d'humidité.
Conséquences
relativement modestes, au demeurant, au regard de l'immense désastre qui
avait frappé la vallée de la GARONNE. Nous n'épiloguerons pas sur un
recensement détaillé de ces dégâts qui nous entraînerait bien trop loin
de notre sujet, mais citons simplement le cas de la Juridiction de LANGON:
" Dans
la Ville et les différents quartiers (qui l'entourent) 809 maisons
écroulées; dans plusieurs autres des murs ou écroulés ou crevassés; dans
quelques unes l'eau est entrée par les fondements et a détrempé les murs
qu'on a été obligé d'escourer"
(du
Gascon
Pages (174) |
En fait, dans tout LANGON, il ne restait guère de
maison intacte. Quant aux terres, dans toutes les palus, le courant avait
été si violent qu'il les avait littéralement " lessivées ",
emportant la terre arable au lieu de la compléter en limon; les vignes
malmenées par les épaves tournoyantes au fil du courant étaient partout
détruites et les animaux noyés par centaines. Quant aux habitants, ils
avaient tout perdu de leurs modestes foyers.
L'Evêque de
BAZAS autorisa les Jurats de LANGON à faire à l'avenir tous les ans une
procession:
" pour fléchir la colère de Dieu justement
irrité..."
Le pays mit
plusieurs années à se remettre de ces quelques jours de folie et " l'Aygat
dous Raméous " resta gravé longtemps, très longtemps, dans toutes les
mémoires, et même en de lointaines paroisses qui en avaient été
préservées.
La famine de 1772 / 1773
et les émeutes frumentaires.
Pour la sixième année consécutive, la récolte de 1771 avait été mauvaise,
et le pire est peut-être encore que ces récoltes semblaient devenir de plus en
plus mauvaises au fur et à mesure que le temps passait. Dès la moisson de
1772, encore plus déficitaire, s'il se pouvait, que les précédentes, on sut
que, de la misère, on allait immanquablement sombrer dans la famine. Dès le 25
Juillet 1772, l'Intendant ESMANGARD écrivait à l'Abbé TERRAY, Contrôleur
Général à VERSAILLES:
" Les froments ont été viciés dans presque
toutes les contrées de cette Province par l'intempérie des saisons; ils sont
maigres, charbonnés et rendent très peu sous le fléau, de manière qu'on
n'en évalue le produit qu'à la moitié ou même le quart d'une année
commune. On craint fort que cette année ne soit dans cette Province encore
plus misérable que toutes celles qui l'ont précédée depuis
longtemps."
C'était bien
voir le problème.
Dès le
printemps, la gelée du 21 Avril avait fait perdre les trois quarts de la
future vendange et détruit tout espoir de fruits pour l'automne. Bien
souvent, pourtant, au fil des mauvaises années en céréales, ces fruits
avaient permis de gagner du temps à bien des pauvres gens, surtout les fruits
que l'on savait peu ou prou conserver, telles les pommes et les châtaignes.
Ils permettait de préserver les maigres provisions de seigle des ménages en
vue de mieux passer les mois du grand hiver au cours desquels la nature
n'avait plus rien à leur offrir.
Dans l'après
midi du Lundi 20 Avril 1772, le ciel était lourd et noir. Il faisait plutôt
froid pour la saison et l'on se demandait bien ce que pouvaient réserver ces
nuages menaçants. A coup sûr rien de bon; et de fait, sur le soir, il se mit
à neiger... à la fin Avril... Et contre toute attente, cette neige se mit à
prendre sur le sol et sur les branches d'arbres, du moins sur le versant sud
de BUDOS, sur LEOGEATS et sur la
Pages (175) |
Par
contre, il ne semble pas qu'elle se soit fixée sur le Bourg ni sur le versant
nord. La chose était en soi évidemment surprenante en pareille saison, mais
ce fut bien autre chose lorsque, dans le courant de la nuit, le froid devint de en p1us vif. Il se mit à geler ferme, et le
lendemain, au lever du jour, il ne restait plus qu'à prendre la mesure du
désastre.
Un mois plus
tard, le 20 mai, Me BOLLEE Commissaire Enquêteur, dressait, à l'intention de
l'Intendance, un Procès Verbal des dégâts survenus.
De grand
matin, accompagné d'une petite troupe de notables et de propriétaires, il
partit du quartier de CAUSSON où tous s'étaient donné rendez-vous chez les
BOIREAU, et de là, il parcourut:
" de
lieu en lieu et de village en village ladite Paroisse de BUDOS et remarqué
que, dans le (cas) général, il y a les trois quarts ou plus de vigne dont la
nouvelle pousse a été entièrement gelée, ce qui parait (évident) par la
différence qu'il y a entre (celles qui ont gelé) et celles qui se sont
conservées, celles-ci ayant des jets fort longs et assez garnis de mannes au
lieu que les premières n'ont poussé les unes que des pampres sur le vieux
bois, les autres (que) de seconds jets où il n'apparaît aucune manne; ayant
d'ailleurs remarqué qu'il y a une très grande quantité de pieds qui n'ont
pas poussé du tout depuis la gelée, en
sorte que nous estimons que par cet accident, Lesdits habitants ont perdu les
trois quarts au moins, du revenu en vin qu'ils auraient pu espérer la
présente année... "
Seules ont été conservées quelques pièces,
notamment au Bourg, et quelques pieds isolés qui se sont trouvés protégés
par des haies ou des arbres fruitiers plantés dans les rangs. Encore faut-il
préciser que ces quelques pieds rescapés portent:
" (des) mannes qui paraissent avoir souffert,
étant très petites et de couleur rougeâtre (et devant) se ressentir du
coulage."
Me BOLLEE,
prenant enfin en considération la situation des Budossais, estime qu'ils
seront
" obligés de faire de grands frais s'il
veulent parvenir, à réparer leurs vignes qui forment pour ainsi dire tout
leur revenu, n'y ayant, dans ladite Paroisse que très peu de terres qui se
sèment en blé seigle et une partie en nature de prairie dont le foin est
toujours insuffisant pour la nourriture du bétail qu'on emploie à la culture
desdites vignes, le surplus du sol de ladite Paroisse n'étant que des landes
ou des terres en pins ou bois de peu de valeur."
Le temps des récoltes venu, les pronostics les plus pessimistes se virent confirmés. Céréales, vin et fruits firent défaut. Les uns et les autres survécurent comme ils le purent, plutôt mal, avec des fèves et des haricots qu'ils avaient semés tardivement dans la saison. L'Administration Royale se donnait pourtant beaucoup de mal. Elle importait des blés par terre et surtout par mer, et parfois de très loin ( ROUEN, LE HAVRE, AMSTERDAM, et même DANTZIG ).
Pages (176) |
Mais hélas,
d'où qu'ils viennent,
On importait
aussi des fèves :
" qui contribuèrent à la subsistance des
habitants d'une partie de la Généralité.."
Mais la
soudure s'annonçait difficile, et bientôt, le bruit courut qu'il n'y avait
plus de grain. La rumeur s'enfla. Alors, dans une réaction parfaitement
incontrôlée et proprement suicidaire, les populations s'affolèrent,
arrêtant tous transports de céréales, empêchant la tenue des marchés,
pillant les greniers et, par ces désordres, rendant inextricable une
situation qui était déjà bien assez difficile.
Une émeute
éclata à BORDEAUX le 8 Mai 1773, ce fut le signal de la révolte. Le 9, on
pilla des magasins et des maisons à LANGOIRAN, LESTIAC et PAILLET. Une
embuscade navale tendue sur la GARONNE conduisit à l'arraisonnement et au
pillage de deux bateaux de blé. Deux autres bateaux chargés de 500 fûts de
farine, venus du " haut pays " et à destination des ANTILLES,
subirent le même sort.
Et pourtant, du grain, il y en avait encore. Pas beaucoup, certes, mais un peu tout de même. Certainement pas assez pour aller jusqu'à la soudure, mais assez pour approvisionner chichement les marchés pour quelques temps encore. Or, il s'ouvre ici une polémique dans laquelle nous n'entrerons pas.
Les
négociants prétendaient qu'il eût été dangereux de présenter normalement
ces grains sur les marchés jusqu'à épuisement des stocks et de se retrouver
ensuite avec six à huit semaines au moins de pénurie totale. Le bon peuple
qui avait faim rétorquait que l'on stockait le blé dans les greniers afin
d'en entretenir la rareté et de faire monter progressivement les cours. Il se
pourrait bien qu'il y eût un peu de vrai dans les deux propositions.
Le 11 Mai,
l'agitation se rapproche, c'est au tour de PODENSAC de connaître l'émeute et
le pillage. Mais PODENSAC, du moins pour les grains, n'était pas le marché
favori des Budossais. Ils étaient beaucoup plus attirés par VILLANDRAUT qui
offrait une chalandise bien plus considérable.
Or, c'est dans une atmosphère lourde et tendue que s'ouvrit ce marché le Mercredi 12 Mai au matin. Il y avait là, alignées sur la place, une soixantaine de charrettes venues d'un peu partout, et en particulier de la Lande. Chacune portait quelques sacs de grains, peu nombreux, et les bouviers se tenaient à côté.
Les chalands
passaient et repassaient, cherchant à se faire une idée de la quantité
proposée et supputant le prix qui allait se pratiquer au moment de
l'ouverture du cours qui, traditionnellement, était fixée à onze heures.
Nombre de bouviers n'avaient d'ailleurs pas des intentions bien claires car
ils avaient recouvert leurs quelques sacs avec la provision de
Pages (176 bis) |
C'était le signe que, le moment venu, il s'abstiendraient peut-être de proposer leur marchandise si le prix n'atteignait pas le niveau de leurs prétentions. Ce comportement spéculatif était contraire à tous les usages du marché. Tous les témoins de ces évènements rapportèrent par la suite ce qu'ils avaient perçu de malsain dans cette situation.
Depuis 9
heures, les gens de LANDIRAS, ILLATS, BUDOS, NOAILLAN et BOMMES rodaient entre
ces charrettes. Une Budossaise dénommée MARIANNE, une passonaria avant la
lettre parcourait activement le marché en y prodiguant des déclarations
fracassantes. Son identité ne nous est pas davantage précisée, mais il se
pourrait bien qu'elle ait pu être Marianne DEJEAN, épouse de Raymond
CASTENCAUT, et qui avait pour lors aux environs de 55 ans. En tous cas, il
semble bien qu'il n'y ait eu aucune autre MARIANNE à BUDOS en ces années
là. Quoi qu'il en soit, elle proclamait en cette matinée à qui voulait
l'entendre:
L'émeute
éclata à 11 heures. Le dénommé NOAILLAN, qui était de LANDIRAS,
s'approcha d'un chariot situé au milieu de la place et se mit à:
" de ce moment le marché fut remply d'une
populasse qui suivit le même exemple et dans moins d'une demy (heure) ou
trois quarts d'heure, tous les grains quy estoient sur la plasse sur des
chariots, quoiqu'au nombre d'une soixantaine, furent enlevés."
En fait, la
situation se révéla des plus confuses. Certains payèrent leur seigle à
raison de six Livres le boisseau, ce qui était un prix normal pour un temps
d'abondance, mais certainement pas pour un temps de pénurie. D'autres
payèrent un boisseau et profitèrent de la confusion pour en emporter trois
ou quatre. La grande majorité enfin ne paya rien du tout et se livra à un
pillage pur et simple.
Dans l'après
midi, la troupe des manifestants se reconstitua et se dirigea vers l'auberge
tenue par le dénommé PEYRARGUE. Celui-ci disposait d'un vaste grenier qu'il
louait habituellement à des négociants pour la plupart Landais, afin d'y
entreposer leurs grains entre deux marchés. Au termes de maintes péripéties
dans le détail desquelles nous n'entrerons pas, PEYRARGUE fut proprement
assommé tandis que sa femme, rudement malmenée, se faisait traiter de
chienne, de bougresse et de putain.
Au terme de
cette journée, il ne restait que deux greniers intacts à VILLANDRAUT, dont
celui du Seigneur de PONS auquel on n'avait pas osé toucher. Mais ce n'était
que le premier épisode de l'affaire.
Pages (176 ter) |
Le lendemain,
Jeudi 13 Mai 1773, tout au long de la matinée, VILLANDRAUT se vit investi par
des bandes toujours venues des mêmes Paroisses avec cette fois-ci un renfort
fourni par BALIZAC. Tous, hommes et femmes étaient armés de solides bâtons
et portaient des sacs vides ne laissant planer aucun doute sur leurs
intentions.
Ils commencèrent par entrer dans les auberges en commandant du vin. Ce répit donna aux hommes de VILLANDRAUT un délai de réflexion. Avec beaucoup d'à propos, ils pensèrent qu'avec ce qui s'était passé la veille sur leur marché, ils n'étaient pas prêts d'y voir revenir un chargement de grains. L'approvisionnement local ne pouvait donc plus reposer que sur le seigle subsistant dans leurs murs.
Certes, il
appartenait au Seigneur, mais le Marquis de PONS, domicilié à PARIS, ne le
mangerait certainement pas lui-même, il faudrait bien qu'il le vende, et dans
les six semaines qui venaient, avant la nouvelle récolte. Leur intérêt
évident était donc de défendre ce stock miraculeusement conservé après
les pillages de la veille, contre les entreprises des bandes venues de BUDOS
et d'ailleurs. De BUDOS, très précisément, car l'un des principaux meneurs
des assaillants était le Sacristain de cette Paroisse.
Ceux de VILLANDRAUT tentèrent de parlementer, disant qu'ils ne laisseraient pas toucher à ce seigle. Peine perdue, pour toute réponse, les assaillants s'ébranlèrent sous la conduite de leurs meneurs en brandissant leurs bâtons. En bon tacticiens, les hommes de VILLANDRAUT fondirent sur ces deux leaders et les mirent à mal en un instant.
L'un, de
LANDIRAS, roué de coups, parvint à s'échapper et à se réfugier chez l'un
de ses oncles qui tenait auberge sur le Bourg et s'y barricada. L'autre, qui
n'était autre que le Sacristain de BUDOS, fort mal en point, la tête en
sang, finit par se dégager et fut tout heureux de se faire panser par le
Sieur BOUSQUET, Me Chirurgien de NOAILLAN qui passait par là.
Pages (176 quater) |
le plus
d"... (nous vous exhortons) à secourir les pauvres par vous-même autant
qu'il est en votre pouvoir; mais nous ne saurions trop vous exhorter à
solliciter vivement la charité compatissante des personnes aisées de votre
Paroisse en faveur de ceux qui souffrent
La piraterie
fluviale étant devenue systématique, le 17 Mai, on disposa un cordon de
trois escadrons de cavalerie du Régiment de CONDE tout au long de la GARONNE
pour protéger la navigation.
Au fil des
jours, et très rapidement, les choses allaient de mal en pis. Le 18 Mai, le
Parlement de BORDEAUX prit un Arrêt prescrivant la réunion immédiate d'une
Assemblée dans chaque Paroisse le premier Dimanche utile, à la diligence des
Officiers de Justice et de Police, ou, à défaut, du Curé local. Les
Seigneurs, Curés et principaux Notables étaient sommés d'y participer. Il
devait:
En fait,
BORDEAUX était littéralement assiégé par des hordes de ruraux affamés et
il est manifeste que les Parlementaires avaient pris peur. Leur réaction, au
demeurant tardive n'en était que plus brutale.
Cette
Assemblée se tint à BUDOS le 31 Mai à l'issue des Vêpres. Les principaux
Notables de la Paroisse se réunirent dans l'Eglise à la convocation de Me
Bertrand DEGENSAC, Juge de la Juridiction locale. Le Curé DORAT était
également présent.
"... il
s'est trouvé que le nombre des pauvres actuels que les paroissiens assemblés
ont jugé mériter d'estre
Pages (177) |
Il était
précisé que chacun devait " se taxer lui-même " et que deux
collecteurs rassembleraient les fonds au plus vite.
Entre temps, le 21 Mai, un Commissionnaire avait pris
l'initiative de faire venir à PODENSAC une cargaison de blé qu'il revendit
aussitôt à prix coûtant. On trouva à ce grain une très forte odeur,
ajoutant:
" qu'il est très enflé par l'humidité
qu'il a contractée..."
Dans le
courant de la nuit suivante, on s'en prit aux vignes de ce pauvre homme dont on
ravagea " l'espace de quatre règes". L'Intendant informé du fait, et
navré de voir si mal récompensée une initiative pourtant heureuse, et qui, de
surcroît, allait tout à fait dans le sens de ses vœux, lui écrivit tout
aussitôt:
Dans un
article très documenté consacré à ces émeutes et publié en 1910 dans la
Revue Historique de BORDEAUX, Mr P. CARAMAN faisait très justement observer
qu'en 1709 et en 1748, très exactement dans les mêmes contrées, s'étaient
produites des famines au moins aussi terribles que celle de 1773 et que le
peuple, affamé et misérable, n'avait pas pour autant bougé:
" Cette souffrance tranquille d'autrefois,
écrivait-il, mise en regard de l'effervescence (de 1773) est une preuve que,
depuis quelques années, un changement profond s'est opéré dans l'esprit du
public. "
Les
générations ont passé, les mentalités ont changé: une lente maturation
était en train de préparer progressivement ce qui, quinze ans plus tard,
devait devenir une Révolution.
Le chaud et le froid : du soleil à la pluie.
Cette année
1773 ne devait pas s'achever sans d'autres désordres, de nature
météorologique cette fois. Il gela en effet le 30 Septembre, le lendemain de
la SAINT MICHEL, gelée suivie d'une autre encore plus sévère au matin du 2
Octobre. Là, le coup fut rude, on mesura jusqu'à 5 mm de glace à la surface
des flaques d'eau. Le froid, très vif, se maintint jusqu'au 5, et, tout le
restant du mois connut une alternance de gelées et de coups de chaleur
répétés. La moitié de la vendange en
Pages (178) |
Les prix se maintinrent pourtant à un niveau
élevé, mais on put néanmoins assurer la soudure et manger à sa faim. Pour
le vin, ce fut toute autre chose. Un terrible orage de grêle survenu le 21
Mai avait tout balayé sur son passage sur une bande de terrain allant, en
gros, de LANDIRAS à BARSAC. Le bas de BUDOS en fut éprouvé. Sur le parcours
de cet orage:
" les vignes.... sont si écharpées par ladite
grêle qu'elle a tout emporté jusqu'au bois vieux, ce qui va mettre les...
propriétaires desdites vignes dans l'impossibilité de trouver du bois pour
les tailler si la (croissance) de l'été prochain ne les pourvoit d'une
nouvelle pousse qui ne pourra même être que fort faible et
languissante..."
Heureusement que 1775 vint mettre bon ordre à cela
" le blé a monté... sur une tige longue, belle
et forte et (s'est) toujours soutenu gaillard..."
" ... enfin l'année 1775 passera dans la
mémoire des mortels pour riche et abondante, n'ayant pas du tout trompé les
espérances qu'elle donnait. L'automne a aussi produit beaucoup de vin et de
la meilleure qualité, mais les fruits ont été rares partout."
Passons rapidement. sur 1776 qui fut une année
normale, mais qui se signala néanmoins par une très forte crue du CIRON, de
la fin Avril au début Mai. Elle provoqua un accident au Pont de La SALLE, le
2 Mai, lorsqu'un homme inconnu conduisant des mulets, tomba dans l'eau et s'y
noya. On ne le retrouva qu'à la mi-Juin, et, après un transport de Justice,
on l'enterra à PUJOLS le 18, pensant qu'il était domestique et:
" venant de la Ville de CONDOM ou des
environs..."
On ne chercha pas plus avant.
En 1777,
" les revenus de la terre n'ont presque rien
valu; la faim et la soif auraient dévoré les habitants sans les restes de
l'année précédente… "
"… il n'y eut d'aucune espèce de fruits.
Les vignes au Mois d'Août semblaient être vendangées et la récolte du blé
a été une des plus petites après (avoir montré) les plus belles
apparences. Ce sont les brouillards continuels pendant les mois de Mai et Juin
qui ont enlevé tout..."
Ajoutons à cela que l'ergot du seigle fit des
ravages au point qu'il fallut, un peu partout, distribuer des semences saines
en vue d'assurer les semailles d'automne. Mais les années se suivent et ne se
ressemblent pas. A une récolte passablement misérable succède, l'année
suivante, une campagne d'une richesse inouïe:
Pages (179) |
" On peut dire que la présente année 1778,
entièrement finie, a été une des plus abondantes en grains, en
L'été 1778 fut en effet l'un des plus chauds que connut le XVIIIème siècle. Cette chaleur se poursuivit l'année suivante, inaugurant ainsi une nouvelle période de sécheresse. En 1779, on n'enregistra à BORDEAUX que 498 mm de pluie sur toute l'année, et il en tomba moins encore en 1780 ( 495 mm ) .
Ce furent les années les plus sèches du siècle
immédiatement après le record de l'année 1766 que nous avons déjà eu
l'occasion d'évoquer. Elles fournirent pourtant de bonnes récoltes, surtout
la première qui donna tant de blé et de seigle que leurs prix commencèrent
enfin à baisser sensiblement. En Janvier 1780, on trouvait du bon froment à
moins de 14 Livres l'hectolitre alors qu'on l'avait connu au-delà de 25
Livres en 1773.
Avec 1781, on en revient au temps de la
désolation. Tout au long des mois de Mai et Juin, il plut sans discontinuer,
avec des intermèdes d'orages et de grêles. Fin Juin, aux approches de la
SAINT JEAN, la situation devint encore plus critique. Ce fut un véritable
déluge
"Jusques à l'avant veille de SAINT JEAN, il
pleut presque toujours, et depuis cette avant veille au soir, à six heures,
jusques au même soir du lendemain, il pleut si terriblement et si fort que
les vivants n'ont pas vu de désastre si subit ni si terrible..."
Tous les cours d'eau débordaient. Le 13 Juin, la GARONNE était déjà sortie de son lit; elle y était retournée, tout en restant très grosse, mais le 23 Juin, elle en ressortit de nouveau et ce fut, cette fois-ci, une inondation beaucoup plus conséquente. Partout, la terre était gorgée d'eau.
Là où l'on put entrer dans les champs, on abandonna
toute idée de récolter le seigle que l'on considéra, dès lors, comme
définitivement perdu et, sur un tour de labour, enterrant la maigre paille
verte, on sema des haricots et du maïs avec l'espoir d'obtenir quelques
ressources de survie avant l'automne.
L'Eglise s'émut et prescrivit des prières:
" Désolés de voir évanouir peu à peu
les plus belles espérances que nous eussions jamais eues en blé et en herbe,
nous avons fait partout, par ordre de nos supérieurs, des prières publiques
pour demander à Dieu la cessation du mauvais temps."
De gros orages de grêle, en Août achevèrent ici et
là ce qui avait pu subsister des cultures.
Le printemps de 1782 fut tout aussi désagréable et la récolte assez médiocre. Quant à l'année 1783, elle devait bien mal commencer au Pays des GRAVES avec une très forte, gelée le 24 Avril qui emporta environ les deux tiers des espérances de vendanges entre BUDOS et la GARONNE.
Quelques jours plus tard, début Mai, survint un
phénomène qui, pendant trois mois, frappa très fort les imaginations dans
les Villages de toute la région. De tous les témoignages, le plus complet
est celui du Curé BONIOL, Curé de SAINTE ANNE du PUY. Même si ses
explications sont peu sures quant à la cause du phénomène, c'est bien lui
Pages (180) |
" au Royaume de NAPLES, de SICILE, de
PORTUGAL et d'ailleurs..."
ce qui est évidemment plutôt vague; par contre, il
sait très bien ce qu'il a vu et il l'explique avec assez de bonheur:
" On aurait dit que toute la nature était en
deuil pendant que ces évènements épouvantables ont duré. Un air épais
comme de la fumée, sans aucun brouillard, pendant les trois mois de Mai, Juin
et Juillet, a couvert la surface de la terre; le soleil paraissait toujours,
mais trouble, jaunâtre, comme enseveli dans une poussière telle qu'on le
voit quelquefois dans les plus grandes chaleurs d'Août, mais à cette
différence qu'il ne rendait point d'ombre, ou plutôt, (les corps qu'il
éclairait) et qu'on ne pouvait pas distinguer un objet à un quart de lieue.
On prétend que ce sont les vapeurs de ces vastes contrées ensevelies qui,
consumées premièrement par la fureur des volcans, ont été enlevées
ensuite dans la première région de l'air par l'attraction du soleil et que
les vents ont dispersé partout. On prétend aussi que cette espèce de fumée
était si épaisse sur mer que pendant plus d'un mois on n'y reconnaissait
point (le) j o u r (de la nuit) et que plusieurs vaisseaux y ont péri pour ne
pouvoir se conduire. "
Avec 1784, on en revint à la sécheresse. L'eau
manqua un peu partout en Bazadais tandis que, grâce à ses sources et à ses
puits profonds, le Pays des GRAVES échappait, dans l'ensemble, à cette
pénurie. Les bestiaux, comme à l'accoutumée, souffrirent beaucoup d'un
défaut général de fourrage. Par contre les récoltes de céréales et les
vendanges furent très bonnes et l'année fut heureuse. Ce n'était qu'une
étape avant la folle année de 1785.
" Il n'y a pas de mémoire qu'on ait eu tant
de fruits et de vin..."
" Jamais les vivants n'ont ramassé tant et
de si belles vendanges..."
"Tous, sans exceptions ont été (réduits) aux
expédients pour recueillir (la vendange); on a vu les barriques trois fois
plus chères que le vin..."
Pages (181) |
" On remplissait (les barriques) en certains
endroits pour 3 Livres à ceux qui voulaient se les fournir..."
Ce dernier témoignage vise plus particulièrement le
cas de l'ENTRE DEUX MERS, mais, aux détails près, la situation fut la même
partout. On n'en finirait pas de rapporter tout ce que les uns et les autres
ont à dire sur ces vendanges phénoménales qui, au demeurant, par leur trop
grande abondance, cassèrent littéralement le marché du vin, si bien que le
profit que l'on en tira ne fut pas, en définitive, à la mesure des
espérances qu'elles avaient fait naître.
dernières années, derniers avatars.
Nous approchons maintenant du terme de notre
période. Il nous faut encore évoquer les déceptions de 1787, une année qui
avait bien commencé, avec une bonne récolte de fourrage et une récolte de
seigle tout à fait acceptable. L'été avait été très sec et la vendange
se présentait bien. Chacun s'activait pour se procurer les futailles utiles
afin de ne pas se laisser surprendre par l'abondance du vin, comme en 1785.
Mais voilà qu'il commença à pleuvoir le 20 Septembre, et cette pluie ne
cessa pas jusqu'en Décembre. Ce fut un vrai désastre pour la vigne dont les
raisins éclatèrent et s'aigrirent,
" La nuit du 19, sur les six heures du soir...
il se leva un vent terrible et furieux qui menaçait le monde d'un
renversement général. Le vent venait de la partie de l'ouest et semblait
avoir été annoncé par l'horizon de ce même côté qui semblait être à
feu longtemps après le soleil couché. Tous les nuages qu'on pouvait
distinguer semblaient être autant de soleils et fatiguaient presque autant la
vue. La remarque qui dit " tèms rouge bèn ou plouje (temps rouge, vent
ou pluie) n'a jamais été plus vraie ."
..."Cet orage de vent a été estimé passer
encore celui du 8 Septembre 1768. Il finit comme l'autre, vers les quatre
heures du matin; mais les secousses étaient si violentes que les maisons et
la terre en tremblaient, et celle-ci, abreuvée et trempée comme elle était,
on n'aurait pu compter les dégâts arrivés aux arbres de toute espèce s'il
fut survenu pendant qu'ils étaient chargés de toutes leurs feuilles."
Cet ouragan fut-il ou non plus violent que celui de
1768 ? Les avis sur ce point sont partagés. En l'absence de toute mesure
précise, nous nous garderons de prendre parti, mais nous pourrons toutefois
noter que les documents relatifs aux dégâts observés sont nettement moins
nombreux pour cette seconde épreuve que pour la première.
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L'hiver de 1787 à 1788 fut extraordinairement humide
et suivi, dès le printemps d'une sécheresse qui se prolongea tout l'été.
Ajoutons-y le cortège des gelées et des grêles et nous aurons tout aussi
vite fait de dire que l'année fut mauvaise en toutes choses:
" le courroux de tous les éléments ont
fatigué cette année d'un bout à l'autre, et nous ne connaissons guère de
Provinces de ce Royaume qui n'aient essuyé quelqu'un de ces fâcheux
évènements. Aussi, sur toute espèce de fruits et de revenus qu'a épargné
la grêle, nous n'avions jamais fait si peu de récolte... "
Cette année s'acheva enfin sur un " Grand Hiver " comme on n'en avait plus vu depuis 1766. Le froid commença le18 Décembre 1788 et se prolongea jusqu'au 20 Janvier suivant. La GARONNE demeura prise par le gel pendant 16 jours. Le Journal de Guyenne rapporte à ce sujet que l'on observa jusqu'à 8 pouces ½ de glace (23 cm) devant PODENSAC et que des charrettes chargées purent ainsi traverser la Rivière sans encombre jusqu'à RION.
Le CIRON et ses affluents étaient également pris
sur toute leur longueur. On raconte aussi que sur les tables où l'on trouvait
encore du pain, il gelait au point qu'on ne pouvait le couper avec une hache.
De même, là où il y avait encore du vin (très faible en alcool, cette
année-là, rappelons-le) certains rapportent qu'il prenait en blocs de glace
dans les barriques.
Un tel hiver, venant après une aussi mauvaise année
aggrava singulièrement le problème des approvisionnements. Le prix du blé
dépassa les 25 Livres l'hectolitre si bien qu'à partir du mois de Mars, la
famine, une fois encore hanta la plupart des foyers. 0r, il n'est peut-être
pas inutile de rappeler que c'est précisément en ce même mois de Mars 1789,
au moment où s'ouvrait cette crise, que l'on se réunit dans chaque paroisse
pour désigner les électeurs aux Etats Généraux et rédiger les Cahiers de
Doléances. C'est sur une toile de fond de famine et de pénurie que la
Révolution se mit en marche...
Nous venons de prendre " l'air du temps " sur une plage de trente années, les dernières de l'Ancien Régime, et d'y mesurer les nombreux caprices que la nature y a manifestés. Une nature pourtant exempte des agressions du C02 , des phosphates et des dangereuses retombées de TCHERNOBYL.
Toute " écologique " qu'elle fut, cette nature n'a pas pour autant ménagé nos Ancêtres et leur a souvent imposé une vie bien rude. Certes, ils ont connu de bons moments; mais ils en ont aussi connu de bien difficiles. Leur fragilité devant les phénomènes naturels est souvent venue de leur incapacité à gérer aussi bien l'abondance que la pénurie.
S'ils avaient su stocker leurs excédents de récolte
au-delà des quelques mois qu'ils savaient pratiquer, ils auraient souvent,
sinon évité, du moins largement atténué les conséquences de leurs
mauvaises récoltes lorsqu'elles se présentaient. Au surplus, leur refus
obstiné d'utiliser les produits de substitution qu'on leur proposait ( en
particulier riz et pomme de terre ) a été aussi pour beaucoup dans les
malheurs qu'ils ont endurés.
On a souvent l'impression qu'il aurait fallu peu de
choses pour améliorer notablement leurs conditions de vie.