La justice.

Chapitre 5

Le tribunal seigneurial de Budos, 
son organisation, ses magistrats, sa compétence et les affaires qu'il traitait.

 


 

Le droit de justice: 227
Organisation du tribunal de Budos son personnel, les fonctions et les hommes:  229
Les lourdeurs de la justice seigneuriale: 237
Compétences civiles du tribunal de budos: 243
Les tutelles. 243
Les procès en paiement de dot. 245
Les recouvrements d'impayés, les saisies. 245
Litiges sur rentes et pensions. 254
Affaires Matrimoniales. 258
Affaires domestiques et. rurales. 258
Affaires de voisinage. 259
Affaires de divagations d'animaux: 261
Affaires de limites et de bornages:    267
Affaires de passages et de servitudes 269
Affaires d'entretien de fossés et de ruisseaux 271
Affaires d'escroqueries et malfaçons 272
Procès en réintégrande: 285
Compétences criminelles du tribunal de Budos:
Les cas royaux: 291
Délits de chasse et de pêche:  292
Les pouvoirs de police:  294
Police des cabarets; rixes et voies de faits 294
Police des jeux 298
La prévention des incendies: 300
La police des chemins: 301
Enquêtes après accident:     303
Surveillances diverses: 306
Poursuites en diffamation: 308
Affaires de vols:  310
Réflexions d'ensemble sur la justice seigneuriale: 315
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De bon matin, le ler Janvier 1760, Jean BEZIN, " marchand tondeur de laine " à BUDOS prend la route de PUJOLS et se rend chez Me BAYLE, Notaire, qui y tient son Etude.

Il va y retrouver Pierre BANOS, " cardeur de laine ", et quelques autres pour tenter de résoudre un litige qui les oppose depuis bien des années quant au partage de la succession de Feu Arnaud BEZIN qui était, lui aussi, de son vivant, " marchand tondeur ".

Arnaud BEZIN s'était marié deux fois et, à son décès, avait laissé une veuve et des enfants des deux lits successifs. Faute de testament, ce qui, nous l'avons déjà vu, constituait une relative exception, les héritiers n'avaient pu s'entendre sur le partage de ses biens. 

Il s'en était suivi un interminable procès devant le Tribunal Seigneurial de BUDOS. Après bien des chicanes, le Juge avait fini par rendre sa sentence le 4 décembre précédent, C'était un Mardi, jour traditionnel des audiences de ce Tribunal.

Cette sentence, comme il arrivait souvent, ne satisfaisait personne, si bien que nous voyons les plaideurs, en cette matinée du Premier de l'An, finir par où ils auraient dû commencer... Ils se sont donné rendez-vous chez Me BAYLE afin de rechercher un compromis raisonnable dans le règlement de leur affaire. Pour lors, ils ont au moins en commun une grande lassitude de ce Procès, et un vif regret de s'être aventuré si loin dans une procédure qui a dévoré une part de l'héritage en jeu.

Tandis qu'il taille ses plumes, le Notaire saisit très bien l'état d'esprit des interlocuteurs qu'il a devant lui, et il le traduit à sa manière:

"Il n'y a déjà que trop longtemps, écrit-il, que (les parties en présence) sont en procès pour-leurs droits, créances et reprises dans la succession... dudit Feu Arnaud BEZIN... et qu'ils n'ont su assoupir (leur querelle); à leur honte, ils ont laissé rendre une sentence entre eux... par le Sieur Juge de BUDOS."

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A travers ces quelques lignes on sent combien les protagonistes sont penauds d'en être venus là. Ils le sont d'autant plus que, trois semaines après la sentence, au moment de régler les frais de justice, ils commencent à mesurer l'ampleur du désastre. Or, en quelques heures, Me BAYLE va débrouiller leur affaire, si bien qu'avant midi, l'acte de partage sera établi et accepté par tous.  

Leur triste expérience n'aura guère vertu d'exemple auprès des autres Budossais. Certes, nous rencontrerons des cas où des personnes avisées, et non des moindres, préféreront un mauvais arrangement plutôt qu'un procès, mais elles constitueront une relative exception, si bien que, jusqu'à sa suppression en 1790, le Tribunal de BUDOS ne désemplira pas.

Quel était donc ce Tribunal, d'où venait-il, et comment fonctionnait-il ?

 

Le droit de justice:

  Le Droit de Justice appartenait au Seigneur et faisait partie de son patrimoine au même titre qu'une propriété quelconque. Il pouvait le vendre et en disposer à sa guise. Ceci explique, du moins en partie, la raison pour laquelle il n'y avait pas de recouvrement géographique entre les Juridictions Seigneuriales et les Seigneuries proprement dites. Tous les Seigneurs n'avaient pas, ou n'avaient plus le Droit de Justice.

De fait, la situation était extrêmement complexe. Il y avait bien par exemple un Seigneur dans la Maison Noble de CAGES, sur la Paroisse d'ILLATS, et il détenait des droits féodaux importants, mais il n'avait aucun pouvoir de Juridiction. Par contre, le Marquis de LANDIRAS avait Droit de Justice sur les Paroisses de LANDIRAS, ILLATS, GUILLOS, SAINT MICHEL de RIEUFRET et SAINTE MADELEINE de BRAX ( Paroisse depuis longtemps disparue mais dont les droits et devoirs féodaux subsistaient encore). 

Par contre, Mr de RUAT, Seigneur de la SALLE, sur la Paroisse de PUJOLS, les Seigneurs d'YQUEM, de SUDUIRAUT, etc...n'avaient aucun Droit de Juridiction car les Paroisses de BARSAC, PREIGNAC, BOMMES, SAUTERNES, PUJOLS et CERONS relevaient de la compétence de la Prévôté Royale de BARSAC et que, leur Droit de Justice appartenait directement au Roi qui l'exerçait par l'intermédiaire d'Officiers de la Couronne. 

Il n'était donc pas toujours facile de se retrouver dans cet imbroglio et les Cahiers de Doléances de 1789 ne manqueront pas de demander, à juste titre, une sérieuse remise en ordre de ce système par trop anarchique.

  Par exception, à BUDOS, la situation était idéalement simple. Il n'y avait qu'un seul Seigneur, le Baron De LAROQUE, exerçant sa Justice sur une seule Paroisse : BUDOS. Même lorsque, un peu plus tard, le Seigneur réunira sur sa tête, par voie d'héritage, la Baronnie de BUDOS et le Marquisat de LANDIRAS, et même si les deux tribunaux se rapprocheront au point d'avoir un même juge et des audiences communes ( à partir de 1769 ), la Juridiction de BUDOS conservera néanmoins toujours son autonomie et son indépendance.

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Le Baron de BUDOS, Haut Justicier du lieu, exerçait son Droit de Justice aussi bien dans le domaine civil que dans le domaine criminel.

Au Civil, ainsi que nous le verrons ci-après de façon beaucoup plus détaillée, la compétence de son Tribunal s'étendait à toutes les causes, quelle que soit leur importance. Seules y échappaient les affaires impliquant des commerçants, lesquelles relevaient directement d'un Tribunal de Commerce situé à BORDEAUX et certaines affaires concernant les Eaux et les Forêts qui relevaient d'un Tribunal spécial (également situé à BORDEAUX). 

Les appels éventuels de ses Jugements étaient portés devant le Tribunal du Sénéchal de GUYENNE puis, en second appel, devant le Parlement de BORDEAUX. Il existait en effet à l'époque trois degrés de Juridiction successifs que le Droit moderne a ramené à deux.

En matière Criminelle, la compétence qui, à l'origine, était générale, s'était beaucoup amenuisée au fil du temps. On en avait progressivement distrait ce que l'on appelait les " Cas Royaux " dont le nombre est allé toujours croissant. C'est ainsi qu'à la fin du XVIIIème siècle, on portait directement devant les Juges Royaux les crimes de lèse-majesté, de rapt, de fausse monnaie, d'hérésie, de police de port d'armes, les vols sur les grands chemins ou avec effraction, etc.. etc.. et la liste en était longue. 

Autant dire que les Justices Seigneuriales n'avaient conservé en ce domaine que la connaissance des vols sans violence, les rixes, coups et blessures, injures et autres affaires mineures. En cas d'appel, il n'y avait ici que deux degrés de Juridiction; on passait en effet directement du Tribunal local au Parlement de BORDEAUX.

D'une façon générale, les Seigneurs ne mettaient pas trop de zèle à poursuivre les crimes et délits, même ceux entrant dans la compétence de leur Juridiction. C'était en effet pour eux une source de frais assez considérables ( enquête, entretien des prisonniers, etc. . ) et de peu de profit ( amendes souvent irrécupérables). Il en résultait un peu partout de grands désordres facteurs d'insécurité que le Pouvoir Central ne pouvait tolérer. 

Aussi, un Edit de Février 1771 vint mettre un peu d'ordre dans tout cela. Il était désormais posé en règle générale que si les Officiers Seigneuriaux étaient intervenus les premiers sur une affaire délictueuse ou criminelle, ils pouvaient, sitôt après la réunion des premières preuves et constats, passer le dossier à un Juge Royal. En ce cas, tous les frais subséquents étaient supportés par le Domaine de la Couronne. 

Par contre, si les Officiers Seigneuriaux se laissaient prendre de vitesse par ceux du Roi, ces derniers poursuivaient l'action, mais aux frais du Seigneur. C'était une disposition très astucieuse car elle stimulait singulièrement les Juridictions locales. Dès lors, un zèle tout nouveau se manifesta dans les campagnes pour le plus grand bénéfice de l'ordre public.

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C'est ainsi que lorsque le 18 Février 1788 on découvrit François LATRILLE noyé " dans la gourgue du Moulin " de Budos, ces " Messieurs de la Justice " firent tout aussitôt diligence pour mener une enquête et en dressèrent Procès Verbal le soir même à 16 heures. Le vol ne pouvait guère être ici le mobile d'un crime car il s'agissait d'un pauvre mendiant originaire du NIZAN et qui, passant par là dans la nuit, avait dû glisser et tomber dans le bassin de retenue. 

Mais pouvait-on savoir ? Et " ces Messieurs " sont allés si vite en besogne que le Curé DORAT se plaint dans ses registres de n'avoir pas été prévenu avant 17 heures pour faire sonner la cloche et annoncer le décès. On avait donc fait très vite car, la chose venant aux oreilles d'un agent du Roi, on aurait pu en monter toute une affaire, et c'est précisément ce que l'on voulait éviter.

   

Organisation du tribunal de Budos

 son personnel, les fonctions et les hommes:

Le Tribunal de Budos était composé d'un Juge, d'un Procureur d'Office, et de divers auxiliaires de Justice tels qu'un Greffier, un Sergent ou Il Bayle Il et quatre Procureurs Postulants.

Le Juge et le Procureur d'Office étaient des Oficiers        de Justice. Ils étaient nommés par le Seigneur qui leur délivrait une

 " Lettre de Provision laquelle restait valable, selon la formule la plus courante tant qu'il plaira au Seigneur".

C'était donc un statut particulièrement précaire qui, à l'évidence ne favorisait pas l'indépendance du Juge. Le bon vouloir du Seigneur Justicier était parfaitement souverain. A BUDOS, il ne semble pas que, dans les derniers temps de l'Ancien Régime, il en ait abusé. Tout  au plus le voit-on, en 1775, retirer son agrément à un Procureur postulant, simple avoué auprès du Tribunal. Ces révocations n'étaient pourtant pas exceptionnelles. Une venait tout juste de se produire à NOAILLAN, au  début de notre période, lorsque le 23 Mai 1759, la Dame MOINE de CHANCLOU et son fils, co Seigneurs de cette Juridiction, décidèrent de révoquer Me PERROY, leur Procureur d'Office :

" ... quoiqu'ils soient satisfaits des services (qu'il) leur a rendus jusqu'à présent..."

La formule peut surprendre. Elle mérite en tous cas notre attention car elle est tout à fait significative de la prudence des Seigneurs. En effet, le Droit de l'époque voulait que le Seigneur Justicier puisse nommer et révoquer ses Juges et Procureurs en toute liberté et sans en donner les motifs. Mais si d'aventure il les donnait, il en prenait la responsabilité et le magistrat congédié avait le droit de les contester devant le Tribunal du Sénéchal, degré d'appel, en le sommant de fournir ses preuves et de justifier sa décision. On comprendra donc sans peine que les décisions de l'espèce n'étaient pas souvent motivées et que, mieux encore, il leur arrivait, à l'occasion, d'être enguirlandées de quelques fleurs de rhétorique comme c'est ici le cas. En tout état de cause, le résultat était le même.

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Pour corriger les conséquences d'une telle dépendance des officiers Seigneurïaux au regard de leur Maître, il était prévu que les litiges impliquant les intérêts majeurs du Seigneur étaient directement portés devant le Tribunal du Sénéchal à BORDEAUX et les Budossais ne se firent pas faute d'user de cette possibilité en plusieurs circonstances évoquées par ailleurs.

Cela venait de se produire peu avant l'origine de cette période, en 1756 et 57, dans un procès qui se poursuivit jusque devant le Parlement de BORDEAUX et qui, pendant plusieurs années, opposa les Villageois à leur Baron. Par contre, les petites affaires ne soulevant aucune question de principe ( poursuite d'impayés, contravention de police etc…) restaient sur le plan local.

La désignation d'un Juge Seigneurial n'éatait dependant pas totalement arbitraire. Elle obéissait à un certain nombre de règles qui avaient été définies au XVIeme siècle par les Ordonnances Royales d'ORLEANS et de BLOIS. Le candidat devait être âgé d'au moins 25 ans, être reconnu de bonne vie et mœurs, détenir un grade universitaire en Droit et appartenir à la religion Catholique. En outre, avant d'entrer dans sa charge, le Juge désigné devait se présenter devant la Cour Royale localement désignée pour recevoir les appels que l'on ferait éventuellement sur ses jugements . A BUDOS, le nouveau Juge devait ainsi être reçu par le Sénéchal de GUYENNE à BORDEAUX.

Les Ordonnances Royales prévoyaient que le Seigneur devait verser à son Juge des appointements lui permettant de " soutenir sa dignité ". Bien que les archives ne nous aient pas conservé le montant de ces appointements pour le Tribunal de BUDOS, il ne semble pas qu'ils aient pu être très élevés. 

En effet, d'une façon très générale, dans les Contrats de longue durée passés sous l'Ancien Régime, les appointements, redevances, et autres montants estimés en argent ne tenaient guère compte de l'inflation. Nos Ancêtres répugnaient à tout réajustement de prix consacrés par un acte, fût-il très ancien. Il en résultait que certains salaires, tout comme certaines redevances locales étaient, au fil du temps, devenus quasiment dérisoire ( il en allait tout autrement, nous l'avons vu, pour les Impôts Royaux).

 

Si les appointements proprement dits ne devaient donc pas être spécialement lucratifs, il fallait néanmoins tenir compte du versement des " épices " qui pouvaient représenter un certain intérêt. Il s'agissait de dons qui, en milieu rural, s'effectuaient généralement en nature, et que les plaideurs remettaient aux magistrats pour les intéresser à leur affaire et se les concilier. 

L'usage en était absolument constant, reconnu, et admis par tout le monde. Et ici, point d'inflation à redouter. Un pot de vin reste, en toute circonstance, un pot de vin, et un jambon un jambon, et ceci, quel que soit le cours de la monnaie. Il est donc bien possible, sinon même probable, que les " épices " ont pu représenter pour le Juge plus d'intérêt que les appointements du Seigneur.

Quoi qu'il en soit, la charge du Tribunal de BUDOS ne suffisait pas à justifier la présence d'un Juge à temps complet, si bien que nous voyons l'intéressé cumuler sa fonction avec celle de LANDIRAS. Et en dépit de ce cumul, il exerçait encore une autre profession qui, en fait, constituait son activité principale.

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Il était avocat auprès du Parlement de BORDEAUX. Une telle activité était très fréquente chez les Juges Seigneuriaux, c'était la plus répandue avec, quelquefois, celle de Notaire. Les Seigneurs attachaient beaucoup de prix à la profession principale de leurs Juges. Avoir un bon avocat pour Juge, c'était obtenir l'assurance d'avoir à sa dévotion un conseiller juridique d'expérience que le Seigneur pouvait utiliser à moindres frais pour orienter et instruire ses propres affaires devant d'autres Juridictions; Cette pratique était quasiment de règle, et BUDOS n'y a pas échappé.

C'est ainsi que pendant près de trente ans, Bertrand DEGENSAC, le Père, et Gervais, son fils, l'un succédant à l'autre, ont assuré simultanément les Juridictions de BUDOS et de LANDIRAS tout en étant avocats auprès du Parlement de BORDEAUX. Chacun d'entre eux constitue un modèle quasi parfait de ce qu'a pu être un Juge Seigneurial en milieu rural bordelais à la fin du XVIIIème siècle.

Ils habitaient BORDEAUX, d'abord rue de GOURGUES, puis, dans les années 1780, rue de LALANDE, sur la Paroisse de Ste EULALIE. Ils étaient Bourgeois de la Ville, titre auxquels s'attachaient de nombreux privilèges que nous évoquons par ailleurs. Avocats "en la Cour", ils bénéficiaient des mêmes vacances que les Parlementaires, lesquelles étaient très largement calculées. 

Ils les mettaient à profit pour venir s'installer dans leur résidence de campagne, le Père au quartier des LOUPS, sur la Paroisse de LANDIRAS, le fils à PUJOLS. Ils disposaient là de domaines ruraux à dominante viticole qu'ils géraient avec beaucoup d'attention, ne négligeant aucune occasion de les agrandir par des acquisitions judicieuses. Ils s'y consacraient tellement qu'ils suspendaient les audiences du Tribunal pendant la période des vendanges pour ne les reprendre qu'après la St MARTIN ... 

Ils vivaient là avec leur famille pendant près de six mois de l'année. Pendant leur période de résidence bordelaise, tout spécialement en hiver et au printemps, ils revenaient assurer les audiences de leurs Tribunaux Seigneuriaux. Depuis bien longtemps, celles-ci se tenaient le Lundi à LANDIRAS et le Mardi à BUDOS ce qui, compte tenu des moyens de communication de l'époque, constituait pour eux une assez sérieuse contrainte. 

Aussi, Bertrand, le Père, entreprit-il le siège du Baron De LAROQUE BUDOS pour faire fusionner les deux audiences en un même jour, et, si possible dans un même lieu. Dans cette démarche il trouva des alliés naturels en la personne des Procureurs Postulants qui, également communs aux deux Tribunaux, se trouvaient confrontés au même problème d'emploi du temps. 

Le Baron ne tenait pas tellement à fusionner les deux Juridictions, ce qui se comprend aisément car la disparition du Droit de Justice dans l'une ou l'autre des deux Seigneuries en aurait à coup sûr diminué la valeur. Mais il accepta de fusionner les audiences en un même lieu et un même jour, le Lundi à LANDIRAS. 

C'était bien ce que réclamait Me DEGENSAC. Pour ce faire, le Baron convoqua Me BOLLEE, Notaire à BARSAC, qui se présenta au Château le 7 Mars 1769, un mardi matin, jour d'audience judiciaire en ce lieu. Et là, en présence de Benoît ROUSSEAU, valet de chambre du Baron, et de Jean LATERRADE, un autre domestique, Me BOLLEE va dresser son acte:

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 " Ce jourd'huy ... a comparu Messire Michel, Joseph, "Jean, Henry De LAROQUE, Seigneur, Baron de BUDOS et autres lieux, demeurant ordinairement à BORDEAUX, rue Ste CATHERINE, (sur la) Paroisse de St MAIXENT, étant maintenant dans son Château dudit BUDOS, lequel a dit que, comme Me Bertrand DEGENSAC, Avocat en la Cour et Juge de LANDIRAS, l'est aussy de la Juridiction et Baronie de BUDOS, que les Procureurs de l'une et de l'autre sont les mêmes, que les deux Juridictions se joignent et que les audiences dans celle de LANDIRAS se tiennent le Lundy et dans celle de BUDOS le Mardy et que comme les Procureurs (Postulants) se trouvent presque tous hors desdites Juridictions, il paroit avantageux au public que les causes des deux Juridictions s'expédient un même jour. En conséquence, ledit Seigneur de BUDOS consent par les présentes (dispositions) que les affaires de la Juridiction de BUDOS s'expédient au parquet ordinaire de LANDIRAS le Lundy, jour de l'audience de ladite Juridiction de LANDIRAS tout autant que ledit Sieur DEGENSAC occupera lesdites deux Juridictions..."

Qu'il soit tout de même permis de douter qu'il ait pu paraître " avantageux au public de réaliser cette     fusion." Que cela ait été l'intérêt de Me DEGENSAC, nous n'en saurions douter, de même pour les Procureurs Postulants qui préféraient ne se déplacer qu'un seul jour au lieu de deux. Qu'un Budossais du quartier de LAUCHET n'ait pas vu trop d'inconvénients à se rendre le lundi au Château de LANDIRAS plutôt que le mardi à celui de BUDOS, c'est encore possible. 

Mais tout le monde n'habite pas à LAUCHET ou au quartier du CARPIA et l'on aurait bien aimé connaître le point de vue des habitants des quartiers de PINGOY ou de FONBANNE, du Bourg, ou mieux encore des MOULIES qui se voyaient infliger une marche à pied ( quasi certaine) supplémentaire de huit kilomètres à l'aller et autant au retour... Peut-être ceux-là n'ont-il pas estimé qu'un tel changement fut réellement " avantageux au public ". 

Et il est si vrai que la mesure fut prise au bénéfice du seul Juge, que le texte prend bien soin de personnaliser la décision, laquelle ne s'appliquera que " tout autant que ledit Sieur DEGENSAC occupera lesdites deux Juridictions ". On ne saurait être plus clair. En fait, cette fusion, que Gervais DEGENSAC, le Fils trouvera plus tard tout à fait à sa convenance et pour les mêmes raisons que son Père se prolongera jusqu'à la suppression du Tribunal en 1790. Il n'y aura plus d'audiences à BUDOS à partir de 1769.

On peut se demander quel intérêt un avocat au Parlement de BORDEAUX, Bourgeois de la Ville, solide propriétaire terrien de surcroît, pouvait bien trouver dans l'exercice de la fonction de Juge Seigneurial. Sa situation matérielle ne parait pas avoir eu réellement besoin du concours de la modeste rémunération de la charge. 

Peut-être, comme nous l'avons vu, les " épices " pouvaient-elles constituer un avantage domestique intéressant du fait des dons en nature des plaideurs ( oeufs, volailles, charcuteries familiales, vin, etc ... ). Mais ce n'est probablement pas là que se trouvent les véritables motifs de cet attachement. Ce que pouvait rechercher un DEGENSAC, comme tant d'autres dans le même cas, c'était, avant tout une certaine considération, des " honneurs " , selon le langage du temps.

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 Dans une société très attachée aux signes distinctifs des personnes, aux rangs et aux privilèges, chacun se montrait en effet avide de ces " honneurs " et particulièrement sourcilleux quant à leur respect. Nous en avons rencontré et en rencontrerons bien d'autres exemples en passant, qu'il s'agisse du droit de disposer d'un siège dans l'Eglise paroissiale, ou de déterminer l'emplacement de sa tombe au cimetière...

Dans la Paroisse, le Juge était à coup sûr un Notable, un homme respecté, mais aussi un homme plus redouté qu'aimé. Outre le fait que ses décisions en matière civile ne pouvaient évidemment satisfaire tout le monde, il ne faut pas oublier qu'il poursuivait et jugeait les affaires pénales. Et en ce domaine, il fixait à son gré le montant des amendes sanctionnant les infractions constatées ( vols, rixes, délits de pêche ou de chasse, etc… ), avec tout de même pour limite à son bon plaisir, il faut le rappeler, la possibilité d'un appel de son Jugement devant le Sénéchal de Guyenne.

Mais peut-être plus encore, pour un avocat au Parlement, le titre de Juge Seigneurial conférait-il une certaine respectabilité auprès des magistrats de la Cour. Cela pouvait n'être pas tout à fait négligeable pour qui voulait se piquer de notoriété. Quoi qu'il en soit, il est patent que partout, ces postes ont été effectivement très recherchés, et les DEGENSAC apportent la preuve que l'on ne répugnait pas, dans une famille, a en ménager la succession à un enfant lorsque la chose était possible.

Tout ce qui touche aux fonctions d'Officier de Justice était empreint de dignité et de solennité. A la limite, il est même parfois plaisant de voir un Juge se donner des ordres à lui-même et les exécuter gravement. Ainsi par exemple, le Juge du Siège décidera-t-il d'un transport de Justice en un lieu donné. 

A cet effet, il prendra un " appointement ", autrement dit une décision dont son Greffier fera un acte très officiel. Parvenu sur place, il dressera un Procès Verbal de sa présence en ce lieu en vertu de l'appointement qu'il a lui-même pris quelques heures plus tôt. Et à qui le destine-t-il donc, sinon à lui-même puisqu'il retrouvera ce Procès Verbal sur son bureau quelques heures plus tard... Nous nous défendons mal de regarder cet apparat comme un scénario d'opérette, mais nos Ancêtres ne le voyaient pas du tout comme cela.

Les archives nous ont conservé tous les documents relatifs à l'intronisation de Me Gervais DEGENSAC prenant à BUDOS la succession de son Père Bertrand sur le siège du Juge Seigneurial.

Tout commence par l'établissement de Lettres de Provision que rédige le Seigneur :

" Nous, Charles François, Armand De LAROQUE, Baron de BUDOS, étant pleinement instruit des bonnes vie et moeurs, capacité et religion catholique, apostolique et romaine de la personne de Me Gervais DEGENSAC Avocat la Cour.... considérant les services rendus par sa famille à nos auteurs et à nous, avons de notre pure et libre volonté requis, choisi, élu et nommé.... par ces présentes comme Juge Civil et Criminel, Gruyer et de Police de la dite terre et Juridiction de BUDOS, pour en jouir aux honneurs, prééminences et privilèges attachées à semblable charge...."

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On aura noté que le Juge de BUDOS était aussi " Gruyer " c'est-à-dire Juge des Eaux et des Forêts. Tous les Juges ne l'étaient pas, il fallait pour cela obtenir une délégation spéciale du Pouvoir Royal, et c'était ici le cas.

Après quoi, le nouveau Juge devait se présenter devant ce qui allait devenir son Tribunal pour y prêter un serment solennel:  

"Aujourd'huy 27 Avril 1778, au Parquet de la Juridiction et Baronnie de BUDOS, pardevant nous, André BAYLE, expédiant la Juridiction vacante comme plus ancien Procureur audit Siège, a comparu Me Gervais DEGENSAC, Avocat au Parlement lequel a dit que Mgr Charles, François, Armand De LAROQUE l'aurait nommé Juge Civil, Criminel, Gruyer et de Police de ladite Cour..."

Ainsi reçu dans son prétoire, le nouveau Juge se voit invité à :

"lever la main et prêter le serment de bien et fidèlement exercer ladite charge et de se conformer aux Arrêts et Règlements de la Cour..."

Me DEGENSAC devait être le dernier Juge de BUDOS, il devait en effet siéger jusqu'à la suppression du Tribunal tout à la fin de 1790, sa dernière audience ayant été tenue le 13 Décembre.

A côté du Juge, au Parquet du Tribunal, siégeait un autre Officier de Justice, le Procureur d'Office , qu'en d'autres lieux on appelait également le Procureur Fiscal. Son rôle était à peu près celui que nous reconnaissons aujourd'hui au Ministère Public. En matière pénale ( "au criminel " disait-on à l'époque) il diligentait les enquêtes en matière de crimes, de délits, ou de simple police, car le maintien de l'ordre lui était dévolu. 

En matière civile, il intervenait dans les domaines concernant les mineurs et les incapables. Mais aussi, et peut-être surtout, du moins dans la pratique, il était le Procureur du Seigneur dans toutes les affaires où les intérêts du Baron étaient en jeu. Il pouvait tout aussi bien s'agir de la perception des redevances et impôts seigneuriaux que des délits de chasse ou de l'exercice des droits féodaux.

Si les Juges étaient en général choisis parmi des gens que nous appellerions aujourd'hui des " résidants secondaires", les Procureurs d'Offices se recrutaient plutôt parmi les Notables locaux domiciliés dans la Paroisse. Le Juge était en effet un homme de dossiers dont les décisions se prenaient sur pièces et qui disposait pour cela des délais qu'il estimait utiles. Sa présence permanente dans le village n'était donc pas absolument indispensable. 

C'est ainsi que nous avons vu les DEGENSAC tenir leur domicile à BORDEAUX. Il en allait tout autrement pour le Procureur d'Offices qui était davantage un homme de terrain et qui devait être à même d'intervenir très rapidement sur place, en particulier en cas de crime ou de délit, si l'on voulait éviter de voir les gens du Roi s'emparer de l'affaire.

 

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Au surplus, il fallait que les candidats, tout comme les Juges, aient reçu un minimum de formation juridique.

Tout au long du XVIIIème siècle, les Procureurs de BUDOS ont bien rempli ces conditions. Et d'abord Bernard COUTURES, tout au début du siècle, qui était un Budossais de très vieille souche, sa famille étant issue du hameau de COUTURES, près du moulin du BATAN. Il était, de surcroît, Notaire. 

Il semble bien d'ailleurs qu'il ait été le dernier Notaire établi à BUDOS. Son Etude, connue depuis le XVIème siècle et tout au long du XVIIème ( une part de ses archives ayant été sauvegardée ) ne laisse plus de trace après lui. Il était en étroite relation avec la famille des Seigneurs comme en témoigne l'acte de baptême de son fils Pierre Vincent :

" Aujourd'huy 17 du moy d'Aoust 1702 nacquit vers la minuit Pierre Vincent COUTURES, fils légitime du Sieur Bernard COUTURES, Procureur d'Offices de BUDOS et Notaire Royal, et de Demoiselle Marie FAUGAS, ses Père et Mère, et fût baptizé le vingtième jour du même mois, estant parrain Messire Pierre Vincent De LAROQUE, Chevalier et Ecuyer de BUDOS et Marraine Demoiselle Marie Olive De LAROQUE, lesquels ont été présents ... et ont signé l'acte. "

L'honneur d'un tel parrainage était exceptionnel, les cas en sont très rares. Signalons en passant que cette Marie Olive était la soeur du Baron Jean Pierre Vincent qui, curieusement dans cet acte a perdu son premier prénom. Elle avait alors 29 ans et attendait, au Château, un mariage qui tardait à venir. 

Elle devait encore attendre jusqu'en 1714 avant d'épouser Messire François D'ORLI, à l'âge de 41 ans. Pierre Vincent COUTURES, tout comme sa marraine, devait se marier tardivement à BUDOS, en 1748, avec une fille LACASSAGNE, tandis qu'un de ses frères, Joseph Vincent, tenait le Greffe du Tribunal. Il s'agissait donc bien d'une famille de juristes locaux.

Un autre bon exemple de ces familles nous est offert par les PENICAUD. Ils étaient originaires de BORDEAUX. Me Jean Abraham PENICAUD, Bourgeois de cette Ville avait été " Conseiller du Roi et Procureur en la Cour du Sénéchal de GUYENNE ". De lui, était issue toute une dynastie de Juristes tels que Barthélémy, Procureur au Parlement, Jean, Procureur d'Offices de la Juridiction des BENAUGES, et Bernard que nous retrouvons Greffier du Tribunal de BUDOS dans les années 1740. 

Le fils de ce dernier, également prénommé Bernard s'était marié avec une Demoiselle Marie DEPEAU à LEOGEATS, fille de Fort DEPEAU Greffier en Chef du Tribunal de la Prévôté Royale de BARSAC. Le 28 Juillet 1757, ce Fort DEPEAU avait vendu sa charge à son gendre Bernard PENICAUD. 

Il ne l'exerça guère car il la revendit à son tour pour 3.000 Livres dès le 12 Mai 1760. Il était en effet un peu " nomade ". On le voit habiter d'abord à LEOGEATS au moment de son mariage, puis il va s'installer à PUJOLS vers 1760, il revient à LEOGEATS où nous le retrouvons en 1771, et pendant tout ce temps là, il conserve des intérêts à BUDOS qui lui viennent de son Père. Il vint enfin s'y installer et s'y fixer pour y devenir Procureur d'Offices. Il devait y rester jusqu'à sa mort, bien après la suppression du Tribunal local.  

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Dans ses vieux jours, il nous est décrit comme un homme de :

" cinq pieds deux pouces et demy ( 1,69 mètre), portant perruque grise, les sourcils et les yeux gris, le nez long, le visage maigre, allongé et coloré, la bouche moyenne manquant de plusieurs dents sur le devant, menton et front ronds, le corps maigre et allongé . "

Il habitait au Bourg où, n'ayant pas eu d'enfant, il finit ses jours dans la solitude après le décès de sa femme survenu le 21 Avril 1788. Alors qu'il était gravement malade, il ajouta un codicille à son testament et tint beaucoup à ce que cet acte revête une solennité particulière. A cet effet, outre Me DUCASSE, Notaire à LANDIRAS qui tenait la plume, il avait convoqué à titre de témoin le Curé Me Jacques DORAT, le Chirurgien Pierre MANDILIION, le Forgeron Jean DESCOUBES, et, pour faire bonne mesure, un autre Notaire de ses amis, Pierre SERVIEN.  

Me DUCASSE s'installe:

" sur une table à côté de son lit, le 15 Mars 1790, après midy..."

Sous la dictée de Bernard PENICAUD, il rédige le codicille par lequel il lègue à Catherine DUPRAT, surnommée CATON, sa servante:

" le lit complet avec sa garniture dans lequel il mourra, deux paires de draps de lit, deux douzaines de serviettes, deux nappes, six chaises, une petite table à quatre pieds en bois de cerisier avec tiroir, deux vieux coffres dont elle se sert pour mettre ses nippes et la somme de 1.000 Livres en argent, le tout payable 3 jours après son décès... pour la récompenser de ses peines et des soins qu'elle prend dudit PENICAUD, à la charge toutefois pour elle de luy continuer les mêmes attentions et de le servir sans interruption jusqu'à son décès."

A ce prix là, CATON avait son avenir assuré. Bien des filles de laboureurs aisés de BUDOS n'en recevaient pas davantage en dot à l'occasion de leur mariage, et même souvent beaucoup moins. Mais il lui fallut attendre, car son Maître se rétablit, et ne devait mourir que le 5 Brumaire de l'An XIII ( 27 Octobre 1804 ), CATON avait alors quarante ans ....

Bernard PENICAUD a ainsi été le dernier Procureur d'Office du Tribunal de BUDOS.

Outre le Juge et le Procureur, ce Tribunal comportait un Greffier et un Sergent Ordinaire également appelé Bayle.

Le Greffier prenait en note les comptes rendus d'audiences civiles et criminelles et mettait en forme les jugements prononcés par le Tribunal. Il dressait les Procès Verbaux dressés à l'occasion des enquêtes judiciaires ouvertes sur les crimes et délits. Il était enfin responsable de la conservation des documents produits par les plaideurs en les rangeant dans des sacs, à raison d'un par procès. 

La plupart de ces archives a disparu et c'est une grande perte car elles auraient constitué une mine particulièrement appréciable de renseignements sur la vie quotidienne de la Paroisse. Il n'en subsiste que quelques dossiers.

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Cette disparition s'explique par le fait que lors que la Loi du 17 Juillet 1793 décida de détruire les archives seigneuriales relatives aux redevances et droits féodaux, des Citoyens zélés s'empressèrent d'étendre cette prescription à maintes archives de Tribunaux locaux. Trop de personnes avaient intérêt à les voir disparaître. 

En certains lieux, même, comme à SAINT LEGER de BALSON, ils poussèrent le zèle jusqu'à détruire les Registres Paroissiaux ce qui n'alla pas sans poser de très sérieux problèmes à la population pendant le demi siècle qui suivit et même au-delà. Les Notaires, en cette affaire se montrèrent heureusement beaucoup plus circonspects. 

Bien rares furent ceux qui obtempérèrent aux ordres de destruction de leurs minutes, et c'est grâce à leur désobéissance que nous ont été conservées les plus précieuses de nos archives locales.

Le Sergent Ordinaire ou Bayle, quant à lui, était un personnage mi-gendarme et mi-huissier. Il assistait le Procureur dans ses enquêtes et se rendait au domicile des justiciables pour leur signifier les assignations à comparaître, les jugements et, plus généralement tous les actes de justice. 

Au cours des trente dernières années de l'Ancien Régime, trois Bayles au moins se sont succédés auprès du Tribunal de BUDOS : Pierre DUBOURDIEU, dans les années soixante, Dominique LABARTHE, dans les années soixante dix, et Jean BEDOURET jusqu'à la Révolution. Tous étaient de BUDOS, mais aucun n'est susceptible d'avoir été celui qui a donné son nom au quartier de JANOT BAYLE, car l'appellation en est beaucoup plus ancienne et se réfère à un Bayle des siècles antérieurs qui y avait peut-être fixé son domicile.

En face des Officiers et Agents de Justice composant le Tribunal, il y avait évidemment les justiciables. Mais ceux-ci n'avaient pas d'accès direct à leur Justice locale, c'eût été beaucoup trop simple. Ils devaient se faire représenter par des " Procureurs Postulants ", simples particuliers ( mais qu'il fallait bien sûr rémunérer ) ayant acquis une certaine expérience des affaires et agréés par le Tribunal pour représenter les plaideurs, comme auraient pu le faire des avoués ou des avocats. A BUDOS, ils étaient au nombre de quatre (LACASSAIGNE, BAYLE, LAVIGNE et TAUZIN ).

 

Les lourdeurs de la justice seigneuriale:

On pourrait penser qu'une Justice aussi proche du Justiciable devait être particulièrement rapide, efficace et surtout économique. Un Juge que l'on rencontre à la sortie de la Messe dominicale, un Procureur d'Offices qui habite au Bourg et que l'on peut croiser à chaque instant sur la place du Village sont des hommes accessibles et connus à qui l'on doit pouvoir parler avec les mots de tous les jours. 

Il aurait dû en résulter une justice arbitrale de bon sens, toute proche des gens et de leurs problèmes. Or il n'en était rien. La Justice Seigneuriale, à BUDOS, comme partout ailleurs, était lente, tatillonne et particulièrement onéreuse.

Elle était lente. Oh ! combien ! Et même si ses archives sont perdues, il nous en reste de suffisants témoignages pour nous en convaincre.

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Jean LAFON, dit CARDONNE, est le Beau Père d'Arnaud BEDOURET et tous deux sont vignerons à BUDOS. Un différend les oppose. Le 25 Avril 1782, ils se rendent de concert chez Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS qui, les ayant écoutés, expose:

" entre lesquelles parties a été dit que depuis environ treize ans qu'ils plaident devant le Juge de BUDOS à raison de plusieurs demandes particulières qu'ils se faisaient l'un à l'autre..."

Treize ans ! Ils sont las ( comment ne pas les comprendre ?), et décident de prendre un arbitre en se mettant " hors de Cour"; entendons par là qu'ils décident d'interrompre le cours de leur procès et de le régler à l'amiable en dehors du Tribunal. C'est chose bientôt faite, en moins de deux heures, leur affaire est éclaircie par le Notaire et tranchée au mieux des intérêts de chacun. 

Ce cas est significatif car il n'y a eu ici aucun appel devant la Cour du Sénéchal. On est bel et bien resté treize ans à s'adresser du papier timbré par " Procureurs Postulants" interposés, renvoyant l'affaire d'une audience à l'autre sans jamais sortir de BUDOS. C'est à peine croyable, et pourtant...

Autre cas avec Jean LAPORTE, dit FRAYOT, laboureur à BUDOS, qui perd définitivement son procès contre Jeanne FERBOS, épouse de Pierre BEDOURET, au cours de l'audience du 22 Mai 1759. On apprend là incidemment que ce procès dure depuis seize ans et six mois, ici encore sans jamais être sorti de BUDOS.

Citons encore le cas d'Arnaud DAULAN qui est créancier de Pierre BANOS et qui ne parvient pas à s'en faire payer. Il fait procéder à une saisie que BANOS conteste aussitôt. Au surplus, Marguerite BEZIN, épouse de BANOS entend soustraire ses biens dotaux à cette saisie. Il en résulte bientôt un imbroglio particulièrement obscur qui ne se dénouera que le 28 Septembre 1776 au terme d'une procédure qui aura duré

"... douze ans , un mois et douze jours ..."

Et encore, comme Pierre BANOS n'a encore rien versé au bout de trois mois, Arnaud DAULAN lui fait signifier, par acte notarié du 26 Janvier 1777 que s' il ne s'acquitte pas de sa dette sous huitaine, il... lui intentera un nouveau procès !

Il serait vain de multiplier ces exemples; incontestablement cette Justice était lente, mais elle était aussi tatillonne. Le moindre défaut de procédure était immédiatement exploité par l'un ou l'autre des plaideurs, et le Tribunal entrait dans ce jeu sans l'ombre d'une hésitation.

Ainsi par exemple Bernard BRUN, dit PINGOY, a-t-il fait l'objet d'une saisie à la suite d'une condamnation prononcée par le Juge de BUDOS, le 15 Juin 1789, au bénéfice de deux frères BEDOURET. Jean BEDOURET ( simple homonyme, car il est issu d'une autre famille ), Sergent Ordinaire de la Cour Seigneuriale, se présente au domicile de BRUN pour lui signifier cette saisie et lui laisse copie de l'acte. Seulement voilà... il a oublié de dater son " exploit " de signification. Après consultation d'un conseil, Bernard BRUN ( qui ne sait pas lire, attaque cette signification irrégulière pour vice de forme devant ce même Tribunal.

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 Et l'on repart pour un nouveau procès durant lequel l'action principale sera suspendue. L'affaire ne sera pas encore réglée lorsque la Juridiction sera supprimée ...

Lente et tatillonne cette Justice était aussi très onéreuse. Et ici, les exemples que l'on pourrait citer sont quasiment innombrables.

Pour une petite affaire sans grande portée, Jean FERRAND est condamné, le 20 Octobre 1767, à 10 Livres de dommages et intérêts et aux dépens du procès. Ceux-ci s'élèvent à 48 Livres et 12 Sols Mieux encore, François BATAILLEY, qui habite au quartier des MAROTS, a perdu son procès contre Pierre CASTAIGNET dit  POULOT; le 27 Septembre 1789, il est condamné, lui aussi à 10 Livres de dommages et intérêts et aux dépens, et ceux-ci, tout bien compté, se montent à 84 Livres 5 Sols et 3 Deniers ... 

Dans l'interminable procès évoqué ci-dessus, opposant Arnaud DAULAN à Pierre BANOS et sa femme, les frais se sont élevés à près de 300 Livres, sans compter bien sûr les intérêts légaux. Et encore, à tout cela, faut-il ajouter le montant des " épices" que nous avons déjà évoquées et qui n'apparaissent jamais dans ces comptes.

Est-il besoin de dire que tout ceci est peu de chose au regard des procès poursuivis en appel. Pierre MOURA et Pierre SAINT BLANCARD ont porté devant le Tribunal du Sénéchal de GUYENNE un Jugement rendu en première instance à BUDOS. La sentence d'appel est prononcée le 23 Février 1781. 

Il apparaît alors que les dépens s'élèvent à 700 Livres, soit la valeur approximative de 25 barriques de vin local ! Et ce montant ne couvre que les seuls frais de justice; il faut évidemment y ajouter les rémunérations des procureurs postulants, des avocats, le coût des déplacements, sans parler, bien sûr, des inévitables épices. Ces procès étaient tout simplement ruineux.

Et pourtant, sous la réserve de quelques sages plus portés sur la recherche d'un arrangement que sur l'introduction d'un procès, nos ancêtres, d'une façon générale, étaient d'incorrigibles procéduriers. Nous aurons maintes occasions de les voir à l'œuvre lorsque nous évoquerons les affaires portant témoignage de leur vie quotidienne au Village. Tout est matière à procès. 

Un chien errant, un boeuf égaré, un passage contesté, quelques mots un peu vifs, et c'est tout aussitôt l'introduction d'une instance, en dépit de tous les risques présentés par une Justice dont ils ne pouvaient ignorer ni les lourdeurs ni le prix. Qu'à cela ne tienne, ils s'engageaient d'abord et réfléchissaient ensuite; quitte à le regretter au bout d'un plus ou moins long temps, effrayés parfois par la tournure de leur affaire au regard de leurs maigres ressources.

C'est le cas de Jean SOUBES, sabotier à BUDOS, et de Jean DURON, forgeron à LANDIRAS qui, d'instance en instance, ont fini par porter leur différend jusque:

" en la chambre de la Tournelle de la souveraine Cour du Parlement de BORDEAUX où l'action est actuellement pendante..."

Elle est tellement pendante que, le temps passant, ils deviennent de plus en plus inquiets, et à juste raison semble-t-il. Chacun de leur côté, ils ont interrogé :

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 " Messieurs leurs avocats et procureurs sans qu'ils aient pu encore savoir l'évènement, à cause de quoi... craignant l'un et l'autre... (les conséquences)... d'un jugement qui leur occasionnerait à l'un et à l'autre (des dépens) considérables..."

ils ont pensé qu'il valait mieux abandonner ce procès et s'en remettre " à la décision et règlement d'arbitres . C'est ce qu'ils font en s'adressant à Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS, le 23 Mars 1772, lequel Notaire débrouille leur affaire en quelques heures.

Autre anecdote. Deux soeurs, Marie et Jeanne LACASSAGNE sont en procès au sujet de la succession de leurs Parents. Elles n'arrivent pas à en sortir jusqu'au jour où, le 11 Décembre 1770, elle se retrouvent en terrain neutre dans la maison de la veuve de Nicolas BEDOURET, à LANDIRAS, où elles ont convoqué Me BOLLEE, Notaire à BARSAC. 

Au cours d'une discussion qui dure toute la journée, celui-ci leur propose un montage avec cession de trois pièces de vigne l'une au quartier de la PEYROUSE, la seconde au S 0 U BA e t la troisième à CAZENAVE, et une soulte de 179 Livres 5 Sols 6 Deniers. Tout le monde tombe d'accord sur ces bases et le soir même l'acte en est dressé, le procès étant abandonné.

Plus curieuse est l'affaire qui oppose Simone SAINT BLANCARD ( veuve de Pierre MOURA ) à Jean MOURA son Beau Père. Voilà onze ans qu'ils plaident l'un contre l'autre devant le Tribunal de BUDOS pour commencer, puis devant le Sénéchal de GUYENNE, affaire :

" sur laquelle (sont) intervenues deux sentences... dont l'une ny l'autre ne termine point le procès..."

La dernière en date de ces décisions, du 24 Juillet 1786, soulève encore plus de problèmes qu'elle n'en résous. C'est alors que les deux antagonistes, découragés, se présentent chez Me DUCASSE, Notaire à LANDIRAS, le 22 Août suivant et décident de s'en remettre à un arbitrage. 

Et l'arbitre qu'ils choisissent d'un commun accord n'est autre que... Me Gervais DEGENSAC, le Juge de BUDOS , celui-là même qui a déjà jugé l'affaire une première fois dans son Tribunal et dont le Jugement a été frappé d'appel devant le Sénéchal... ! Et le plus fort est que, dès le 24 Août, deux jours plus tard donc, ils sont de nouveau convoqués chez le Notaire car, entre temps, Me DEGENSAC a débrouillé leur litige et trouvé une solution acceptable pour les deux parties qui se disent satisfaites, tant et si bien que le 3 Septembre, à la fin de la semaine suivante, les sommes dues par chacun sont compensées et les quittances échangées. 

Tout est donc définitivement réglé et bien réglé. Il est tout à fait significatif de constater ici qu'une même personne, Me DEGENSAC, en tant qu'arbitre libre de ses propositions et de ses initiatives, a été capable de régler en deux jours une affaire qu'il n'avait pu débrouiller en tant que Juge, dans le cadre formaliste de son Tribunal sur une période de onze longues années... Cette anecdote est particulièrement significative.

Et puis, il y a aussi ceux qui se sont lancés imprudemment, sur un coup de tête, et qui se ravisent ensuite, en dehors de tout arbitrage.

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Marguerite BEZIN, femme de Pierre BANOS, a été mécontente d'un Jugement rendu à BUDOS dans un litige qui l'opposait à Arnaud DAULAN. Elle en fait appel le 24 Août 1771 devant le Sénéchal . Mais quelques mois plus tard, voyant jusqu'où va l'entraîner cette affaire, elle décide d'arrêter les frais et :

" déclare par le présent acte audit DAULAN qu'elle abandonne purement et simplement sondit appel."

autrement dit, elle lui signifie qu'elle se soumet à la décision du Juge de BUDOS et ne la contestera plus.

Mais il n'est pas toujours aussi facile d'arrêter un procès engagé à la légère. Le 22 Mars 1777, Arnaud FERRAND, laboureur à BUDOS, avait assigné Pierre RICAUD, dit BIAGAUD, devant le Sénéchal de GUYENNE. Il semble bien que l'affaire ne fut pas très sûre et FERRAND s'en rendit bientôt compte. Il voulut donc arrêter l'instance et s'en ouvrit à son adversaire RICAUD qui habitait LANDIRAS. 

Mais celui-ci, fine mouche, avait parfaitement compris l'imprudence de FERRAND et se voyait déjà gagnant un bon procès avec, à l'horizon, quelques dommages et intérêts largement calculés. En bref, la bonne affaire. Il fit donc la sourde oreille à la proposition d'abandonner l'instance. Le 17 Juin suivant, FERRAND s'en va trouver Me BAYLE, Notaire à PUJOLS et lui demande d'aller signifier à RICAUD sa volonté d'abandonner le procès en invoquant un prétexte honorable ( incompétence du Tribunal saisi ) et, du même coup, de le mettre en demeure de prendre :

" la somme de 7 Livres 3 Sols 3 Deniers, montant des dépens qu'il a pu faire en se présentant sur ladite assignation savoir, pour le droit de consulte 4 Livres, pour la présentation du Procureur 48 Sols et pour la cédule 15 Sols 3 Deniers, sauf à (compléter) en cas d'insuffisance; laquelle somme lui sera exhibée et offerte par nos mains lors de la notification du présent acte... "

Ceci se passait dans l'après midi. Mettant à profit la longueur de ce jour d'été, et sans désemparer, le Notaire prend le chemin de LANDIRAS et se rend chez Pierre RICAUD accompagné de deux témoins. Il devait y avoir urgence. A partir de là, il vaut mieux s'en remettre au récit du Notaire lui-même parvenant à destination:

" où nous avons trouvé les portes fermées et auxquelles avons frappé... plusieurs et diverses fois sans que personne se soit présenté pour les ouvrir. (C'est pourquoi nous) avons offert et exhibé audit RICAUD sur le seuil de sa principale porte ladite somme de sept Livres quatre sols trois deniers en un écu de 6 Livres et une pièce de 24 Sols... le sommant de (la) prendre et recevoir; et faute de se présenter, (nous) avons repris ladite somme... (qui sera) déposée et consignée entre nos mains... et, ce fait, avons attaché copie de l'acte à la porte en présence... (des témoins). "

L'histoire s'arrête là, mais il n'est pas douteux que la seule issue à cette affaire était désormais, pour Arnaud FERRAND,... d'intenter un procès à Pierre RICAUD pour le contraindre à accepter le dédommagement de ses frais et interrompre la procédure devant le Sénéchal...

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Il faut enfin parler des " sages ", ceux qui cherchent à éviter les procès à tout prix. Ils sont peu nombreux, mais ils existent et méritent bien un peu d'attention.

Les trois frères LALANDE n'ont pu s'entendre sur le partage de la succession de leur Père Jean. L'un d'entre eux, Gabriel, est parti s'établir tisserand à LEOGEATS. Les deux autres, Jean et Pierre sont restés à BUDOS, et, à titre provisoire, exploitent "leur hérédité " en commun; mais cela ne peut durer, il faut absolument trouver une solution de partage :

" à quoy ils n'ont pu parvenir, par les grandes difficultés et altercations survenues (entre eux, telles) qu'ils prévoient donner lieu à (un) procès qui consommeroit en frais l'entière hérédité et romprait l'union entre eux..."

" ... pour éviter toute discussion, après s'être conciliés (entre eux) et dans l'impossibilité dudit partage, ils ont, de leur bon gré convenu (d'une) licitation de leurs droits ... "

La licitation est, par devant le Notaire, une vente aux enchères limitée aux seuls intéressés. Le dernier enchérisseur emportera l'héritage à charge de désintéresser les deux autres, par parts égales, en numéraire, sur la base du prix qu'il aura lui-même déterminé. C'est ce qu'ils font le 24 Juillet 1769 dans l'Etude de Me PERROY, Notaire à NOAILLAN et c'est Pierre qui l'emporte. Il n'y aura donc pas de procès.

Ce procédé n'est pas exceptionnel, nous le retrouverons en d'autres circonstances. Mais il y a beaucoup plus surprenant.

Bernard PENICAUD, alors qu'il était Greffier en Chef du Tribunal de la Prévôté Royale de BARSAC, avait vendu un bien à rente viagère à Jean BEZIN, marchand à BUDOS. Le contrat, en bonne et due forme est daté du 17 Janvier 1759. Mais voilà qu'à la première échéance de la rente, BEZIN se fait tirer l'oreille, prétendant que PENICAUD devait :

" luy faire certaines déductions... convenues entre eux verbalement lors du contrat, ledit Sieur PENICAUD prétendant néanmoins le contraire..."

Belle matière à procès ! Procès que PENICAUD aurait eu d'ailleurs toutes les chances de gagner car le contrat est dépourvu de toute ambiguïté et ne laisse place à aucune interprétation ni réserve. BEZIN est un mauvais payeur, un point c'est tout. Et c'est alors que l'on voit PENICAUD, juriste d'expérience, homme on ne peut mieux versé en la matière, préférer transiger plutôt que d'intenter un procès a BEZIN devant le Tribunal de BUDOS ...

" sur la médiation... de gens dignes de considération et de déférence (PENICAUD) voulant toujours traiter favorablement ledit BEZIN, luy donne de nouvelles preuves de sa bonne intention pour lesquelles il a droit d'espére ... exactitude et attention de sa part (dans les échéances à venir)."

Et c'est ainsi que, le 19 Mai 1762, devant Me BAYLE, Notaire à PUJOLS, les deux parties s'engagent dans une transaction, au demeurant extrêmement complexe, mais qui arrêtera net une procédure qui s'annonçait inéluctable.

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Il est tout à fait significatif qu'un personnage tel PENICAUD, disposant d'atouts absolument indiscutables, et dont il connaissait parfaitement la valeur, ait préféré un mauvais arrangement plutôt qu'un bon procès. En tant qu'homme de Loi, il était finement informé du cours et des usages de la Justice, et ceci explique probablement cela. Ici encore, cette anecdote est tout à fait instructive.

Il nous faut maintenant examiner les compétences du Tribunal de BUDOS en évoquant successivement les domaines de la Justice Civile et " Criminelle ", autrement dit Pénale.

 

Compétences civiles du tribunal de budos:

De l'une à l'autre des anecdotes que nous venons d'évoquer, nous avons vu se dessiner une première approche des compétences civiles du Tribunal de BUDOS. Nous allons maintenant les analyser en détail d'une façon systématique.

En l'absence de ses archives perdues, nous ne pouvons dresser aucune statistique sérieuse de l'activité de ce Tribunal. Toutefois, le dépouillement des nombreux documents notariaux qui nous sont parvenus permet de nous faire une idée assez précise des affaires qui lui étaient soumises.

Affaires concernant le droit et les intérêts des personnes, tutelle des mineurs, litiges sur le paiement des dots, sur les ruptures de fiançailles ( affaires d'importance selon les moeurs du temps) sur les mariages, sur la validation des saisies et surtout sur les recouvrements d'impayés sous toutes sortes de formes ( et ils étaient nombreux...).

Affaires patrimoniales tels les retraits lignagers, l'exercice du droit de prélation, les partages de succession et les impressionnantes séries de procès qu'ils suscitaient.

Affaires " domestiques et rurales ", entendons par là les contestations de voisinage, les litiges portant sur des travaux mal réalisés, les actions en réintégrande, les querelles de limites et de bornage et l'entretien des chemins et des fossés.

Il nous faut éclairer un peu tout cela à l'aide d'exemples empruntés à la vie quotidienne du Village.

 

Les tutelles.

Parmi les affaires concernant les personnes, les tutelles des mineurs occupaient une place relativement privilégiée. La Coutume de BORDEAUX qui avait force de loi à BUDOS, fixait la majorité à 25 ans, dans un temps ou l'espéra nce de vie n'excédait pas 35 ans en moyenne. C'est donc dire que, statistiquement, on restait mineur pendant une part tout à fait notable de sa vie. D'où le nombre important des jugements de tutelle.

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Au décès du Père de famille, la Mère ne devenait tutrice de ses enfants que si elle avait été expressément désignée à cette fin par un testament de son défunt mari. Encore fallait-il qu'elle se présente devant le Tribunal pour y prêter serment. Ce genre d'affaire était instruit au préalable par le Procureur d'Office ; après quoi la tutrice comparaissait à l'occasion d'une audience :

" sur quoy, après que ladite DESCARPIT a eu levé la main, moyennant serment de bien fidèlement faire et exercer la charge de tutrice desdits enfants, la Cour de céans, faisant droit à sa requête... etc..."

et on la confirmait solennellement dans sa fonction.

Mais il pouvait arriver que ce fût le mineur lui-même qui demande un tuteur ou un curateur. Un orphelin de 23 ou 24 ans n'avait absolument pas le droit de gérer son patrimoine ou de souscrire le moindre contrat et surtout pas de se marier de sa propre initiative. Cela pouvait conduire à des situations de blocage très gênante dont seule la désignation d'un tuteur, sur décision de Justice, permettait de sortir. Et cette décision n'était prise qu'après une enquête diligentée par le Procureur d'Office.

La décision de Me Etienne PERROY,  Juge de BUDOS, en date du 7 Novembre 1758, constitue un excellent exemple de cette situation :

"Aujourd'huy, septième du mois de Novembre mil sept cent cinquante huit, au parquet de la Juridiction et Baronnie de BUDOS, pardevant Nous, Estienne PERROY, Juge civil et criminel... Notre Greffier ordinaire écrivant, a comparu Arnaud TAUZIN, fils adulte de feu autre Arnaud TAUZIN et de Marie RICAUD, conjoints... qui a dit qu'après le décès de ses Père et Mère, ayant été pourvu de Pierre BEDOURET pour tuteur... (de) sa personne et (de ses) biens, ledit (tuteur) étant décédé depuis environ un mois, le comparant ayant besoin d'un curateur pour veiller à la conservation de ses droits... Il Nous requiert (de lui donner) acte de ce qu'il déclare nommer Pierre LAPIOS, habitant au lieu de BERNADET, son cousin germain, (comme) curateur de sa personne et de ses biens."

" Sur quoy, Nous, Juge susdit, (donnons) acte audit Arnaud TAUZIN de la nomination (qu'il a ) faite dudit LAPIOS pour son curateur... en conséquence, Nous ordonnons qu'à la diligence du Procureur d'Office du présent Siège... trois de ses parents paternels et trois maternels seront assignés, et à défaut, des voisins, à comparaître devant Nous pour s'assembler, délibérer et donner leur avis sur ladite nomination, S'ils la trouvent bien faite et s'ils attestent que ledit LAPIOS (est)... capable... et solvable pour (tenir) ladite charge; (et pour cela) Nous donnons pouvoir à Notre Bayle... de faire tous les exploits nécessaires."

La nomination du tuteur d'un mineur, fût-il adulte, n'était pas, on le voit bien, une simple formalité.  

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Mais il existait encore une autre procédure, plus rare et aussi plus complexe qui avait pour but de faire sortir avant l'âge un mineur de sa tutelle, c'était la procédure dite des " Lettres de Bénéfice d'Age ". Même si elle aboutit à un résultat très voisin, il ne faut pas la confondre avec " l'émancipation ". 

Dans ce dernier cas, lui aussi assez rare, du moins en milieu rural , le Père de Famille, de son vivant, reconnaît la capacité juridique de son enfant et demande au tribunal de bien vouloir en prendre acte et de l'entériner. A partir de ce moment là, le mineur n'a plus besoin de personne pour gérer ses propres affaires. 

C'est par exemple le cas lorsqu'un cadet de famille manifeste son intention d'aller tenter fortune " aux Isles "; il n'est pas douteux qu'il lui faille acquérir une pleine capacité juridique avant de s'engager dans une telle aventure qui le tiendra éloigné des siens pendant de longues années.

Les Lettres de Bénéfice d'Age ne concerne que les orphelins. Ayant perdu Père et Mère, un jeune est, nous l'avons vu, nécessairement placé sous la tutelle d'un adulte. Mais il peut arriver que ce jeune fasse preuve d'une maturité évidente et qu'il veuille s'engager dans une activité exigeant une grande rapidité de décision, un commerce par exemple. 

L'intervention obligatoire du tuteur en garantie de chacune de ses opérations de négoce devient rapidement insupportable. D'autant qu'il peut s'agir d'un garçon de 23 ou 24 ans, quelquefois déjà marié, que l'on reconnaît " adulte " dans les textes notariés, mais qui n'en reste pas moins mineur, et même son mariage éventuel ne change rien à l'affaire. C'est en pareil cas que les Lettres de Bénéfice d'Age peuvent offrir une issue appropriée.

Il faut avoir 18 ans révolus. Le mineur adresse une demande auprès de la Chancellerie près la Souveraine Cour du Parlement de BORDEAUX.  Il y expose qu'il est orphelin, et qu'il s'est " toujours bien comporté en ses vie et mœurs ". Il explique ensuite les motifs qui le conduise à formuler sa demande et il conclut:

" se trouvant avoir atteint l'âge auquel nos Lois et Ordonnances luy permettent de jouir et administrer par luy-même, sans assistance de curateur le revenu de ses biens meubles et immeubles, (il) est obligé de recourir à nos Lettres de Bénéfice d'Age sur ce nécessaires..."

Le Parlement examine cette requête, et, si elle lui parait fondée, il donne des instructions au Juge Seigneurial du lieu de résidence du mineur pour qu'il prenne cette affaire en main. Ce Juge convoque l'intéressé qui doit se présenter porteur d'un extrait de Baptême et de tous les parents qui lui restent, oncles, alliés, etc.. qui sont invités à délibérer entre eux sur la capacité qu'ils reconnaissent ou non au demandeur de gérer ses affaires. 

Le Procureur d'Office est également saisi de la même question et mène son enquête de son côté; au titre du Ministère Public qu'il représente, il intervient en effet dans toutes les affaires où sont impliqués les intérêts d'un mineur. Si tout le monde est d'accord, il ne restera plus au Juge qu'à en prendre acte. Le mineur devient dès lors juridiquement capable. Toutefois, cette capacité ne lui permettra pas de vendre seul ses immeubles, il devra attendre 25 ans pour cela, mais c'est la seule restriction qui lui sera imposée.  

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Les procès en paiement de dot.

  Les procès en paiement de dot étaient particulièrement nombreux et complexes. Les Pères de famille promettaient à leurs filles, par contrat, au moment de leur mariage, des sommes dont, le plus souvent, ils ne détenaient pas le premier sou. De ce fait, très fréquemment, les contrats de mariage prévoyaient-ils des échéances de versement lointaines, et parfois même très lointaines. 

De telles précautions n'étaient pas toujours suffisantes pour régler les problèmes de paiement car, en fait, le Père faisait souvent des paris sur la réalisation de tel ou tel héritage qu'il escomptait recueillir dans l'intervalle ou encore, cas très fréquent, sur le mariage d'un fils dont la jeune femme apporterait dans sa maison une dot qui permettrait de régler celle de sa propre fille. Les exemples de tels calculs sont très courants. 

Mais ces supputations étaient bien aléatoires, et, au terme des échéances convenues, on se trouvait bien souvent dans l'impossibilité d'honorer le contrat. il en résultait, entre les familles, des procès interminables dont certains ont duré des dizaines d'années.

De même les ruptures de fiançailles, acte tenu pour grave, tant sur le plan civil que religieux, donnaient-elles parfois matière à procès en vue de définir le montant des dommages et intérêts incombant à la partie portant la responsabilité du rejet de la promesse.

Parce que nous avons pensé que ces différents litiges matrimoniaux trouvaient une meilleure place dans le cadre de l'étude générale du mariage, nous en avons déjà évoqué la matière dans le premier Chapitre du présent ouvrage. Ces affaires sont généralement fort embrouillées et, dans leur phase judiciaire, se résument à peu près dans la mauvaise foi ou dans l'impossibilité de payer de l'une des parties ( et souvent même dans les deux motifs réunis ). Elles n'apportent qu'une maigre contribution à la connaissance de la vie quotidienne des familles ou du village.  

L'examen du problème plus général du recouvrement des impayés est manifestement beaucoup plus significatif.

 

Les recouvrements d'impayés,

 les saisies.

La rubrique des recouvrements d'impayés, à elle seule, pourrait mériter tout un chapitre. Il y en a tant et tant de cas qu'il serait bien fastidieux d'en évoquer tout l'inventaire. Il sera donc plus raisonnable de nous en tenir à quelques affaires particulièrement significatives.

D'une façon générale, nos Ancêtres étaient mauvais payeurs. Qu'il s'agisse du règlement des dots que nous venons d'évoquer, des rentes viagères, des pensions alimentaires ou tout simplement de l'exécution de n'importe quel contrat prévoyant des échéances à terme, le débiteur s'ingéniait à trouver un motif dilatoire pour différer son paiement.  

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Certes, l'argent était rare dans nos campagnes où une bonne part des échanges s'effectuait sous la forme de troc ou d'activités compensées, mais les retards de paiement sont si fréquents que l'on peut se demander s'il n'y aurait pas à cela une autre cause, peut-être moins apparente mais tout aussi déterminante. Et cette cause pourrait bien être d'ordre fiscal. La Taille était, nous l'avons vu au Chapitre consacré à la Fiscalité, un Impôt pour une bonne part assis sur les signes extérieurs de richesse. 

Nous avons ainsi souligné combien chacun avait intérêt à présenter un profil bas plutôt que d'afficher un train de vie ostentatoire ou même seulement aisé. L'insistance de nos Ancêtres à cultiver dans leurs propos et dans leurs apparences une sorte de misérabilisme, y compris chez les laboureurs plutôt bien pourvus, nous conduit à nous demander si des retards de paiement aussi systématiques n'auraient pas été, au moins partiellement, le fruit d'une attitude tendant à simuler la gêne et l'impécuniosité. Ce n'est là qu'une hypothèse, au demeurant difficile à vérifier, mais elle est bien tentante ...

Les mauvais payeurs se recrutaient dans toutes les catégories sociales. Bernard COUTURES était Bourgeois de BUDOS. Il devait 126 Livres à Guiraud TACHON, laboureur, également de BUDOS, et se faisait tirer l'oreille pour régler sa dette. TACHON avait tout tenté :

" sans pouvoir faire entrer en sa main ladite somme par ses réquisitions verbales..."

Finalement, de guerre lasse, le 6 Novembre 1774, il se résout à faire saisir entre les mains de Pierre SAINTPEY, aubergiste à BUDOS, le prix du vin que COUTURES lui a vendu. Et pourtant, dans la Paroisse, ce COUTURES avait pignon sur rue.

Mais il y a bien mieux encore. Me DABADIE, ancien Curé de PUJOLS, poursuivant sa carrière ecclésiastique, vient de quitter sa paroisse pour une autre cure. En partant, il a tout simplement " oublié " de payer Jean TAUZIN, Maître Boulanger à PREIGNAC auquel il doit " des sommes très considérables "; faute d'obtenir un règlement amiable ( car il semble bien que c'était un peu plus qu'un oubli... ), le créancier est contraint, le 4 Septembre 1783, de faire procéder à une saisie pour dette en " fournitures de bouche " ( laquelle, dans la Coutume de BORDEAUX, constituait une créance privilégiée ). 

Mais ce que ce brave boulanger ne savait pas, c'est que, dans le même temps, André FAYE, boucher à BOMMES détenait également une " ardoise" au nom du même Curé DABADIE, ainsi que Jean MARTIN, marchand à SAUTERNES ( sans qu'il soit précisé en quelle branche de commerce ). 

Et ces deux-là, plus patients que Jean TAUZIN, attendront jusqu'au 10 Avril 1785, soit dix neuf mois plus tard pour se manifester par voie de justice. Le Curé était déjà bien loin ... Et pourtant, il n'était pas soumis à la Taille... mais lui aussi était soumis aux Quartières de son Archevêque et ne devait pas se montrer trop à l'aise, encore que cette considération ait probablement eu peu de poids dans cette affaire.

Le mal était donc tout à fait général, quels en étaient les remèdes ?

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Certes, le créancier pouvait saisir le Tribunal Seigneurial en lui demandant de condamner le débiteur à payer, avec, éventuellement quelques dommages et intérêts. Cela aurait pris bien des mois, probablement quelques années pour aboutir en définitive à une condamnation du débiteur... à payer, ce qu'on lui demandait depuis l'origine de l'affaire. 

Le seul avantage de cette procédure était de pouvoir obtenir une contrainte par corps à l'encontre du mauvais payeur. Mais elle ne pouvait intervenir qu'au terme définitif d'un jugement que l'intéressé pouvait faire différer longtemps par toutes sortes de procédés dilatoires. Il fallait vraiment avoir le temps.

Mais la Coutume de BORDEAUX ménageait une autre voie de recours, nettement plus efficace. Le créancier avait la possibilité de s'adresser à un Notaire et de lui demander de procéder à une saisie conservatoire des revenus de son débiteur. A partir de là, deux possibilités étaient envisageables. ou bien le débiteur était lui-même en instance de récupérer de l'argent dans une transaction quelconque ( vente de vin, de bois, ou d'un animal par exemple ) et le Notaire, s'adressant à l'autre partie, lui signifiait de conserver la somme due entre ses mains jusqu'à décision de justice.

C'était une sorte de consignation provisoire. Ou bien, aucune transaction n'étant en vue, le Notaire désignait deux personnes au titre de " séquestres " pour s'emparer des récoltes du débiteur au fur et à mesure qu'elles parvenaient à échéance (  moissons, vendanges, etc... ). C'était la " saisie des fruits également provisoire jusqu'à décision de justice. Dans l'un et l'autre cas, le créancier  introduisait aussitôt sa requête en    paiement devant le Tribunal en produisant ses créances. Mais ici, la décision devenait rapide car le débiteur n'avait aucun intérêt à la faire traîner, bien au contraire.

Quelques exemples concrets vont éclairer ces deux types de procédure qui ne sont que des variantes d'une seule et même démarche : contraindre le débiteur en s'attaquant à ses intérêts les plus immédiats.

Et tout d'abord, une affaire quasiment identique à celle dans laquelle nous avons déjà vu s'opposer Guiraud TACHON au Bourgeois Bernard COUTURES.

Jean DURON, dit LAPIN était marchand à BUDOS; il se trouvait que LACASSAIGNE, dit LAROC, lui devait de l'argent et se disait incapable de le payer. Nous sommes le 14 Novembre 1770, jour de marché à VILLANDRAUT ( qui en ce temps-là se tenait le mercredi ). Et là, dans le courant de l'après midi, DURON apprend incidemment que LACASSAIGNE vient de vendre du vin de sa dernière récolte à Pierre SAINTPEY, l'aubergiste de BUDOS; et ce vin nouveau vient juste d'être livré. 

Aussitôt, il prend avec lui deux témoins rencontrés sur le marché, Pierre MARTIN, marchand à SAINT SYMPHORIEN, et Pierre CASTAIGNET, laboureur à BUDOS. De ce pas, ils vont trouver Me PERROY, Notaire à NOAILLAN. Mais comme c'est le jour de marché, ils savent où le rencontrer. Me PERROY tient ses écritures sur une table dans la salle de l'auberge de Jean LUCBERT, hôte à VILLANDRAUT. 

C'est là que DURON fait dresser un acte d'opposition enjoignant à Pierre SAINTPEY ou SEMPEY car les orthographes sont capricieuses) de ne pas payer le prix de son vin à LACASSSAIGNE et d'en conserver le montant entre ses mains jusqu'à décision de justice. 

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 Mais en pareil cas, il faut aller très vite car l'obligation de retenir la somme en jeu ne court que du moment où l'acte a été signifié à celui qui la détient. Si l'on arrive trop tard, il peut prétendre avoir déjà payé et n'être plus concerné par l'affaire. Or, ici, par chance, Jean DURON a aperçu sur le marché Marianne DUBOURDIEU, épouse de SAINTPEY. Peut-être n'est-elle pas encore repartie... A peine l'acte est-il dressé que le Notaire laisse ses plumes en plan et part à sa recherche; il la rencontre enfin, ce qui lui permet de terminer l'opération en complétant son document, lequel :

" a été notifié le même jour quatorze Novembre mil sept cent septante, audit SEMPEY susnommé, parlant à Marianne DUBOURDIEU son épouse, trouvée au Bourg de VILLANDRAUT, qui a reçu copie dudit acte et de la présente notification (par moi) Notaire soussigné..."

Faut-il préciser qu'en pareil cas, le Notaire se devait d'expliquer, en gascon, à Marianne, qui ne savait pas lire, ce qu'il y avait dans le papier qu'elle devait remettre à "son homme ", lequel n'en savait pas d'ailleurs beaucoup plus qu'elle...

Après avoir si rondement mené cette affaire, il restera à Me PERROY à aller faire enregistrer son acte et sa notification auprès du Bureau du Contrôle Fiscal établi au Château de CAZENEUVE. C'est chose faite deux jours plus tard.

Autre affaire identique, parmi tant d'autres, celle de COURBIN dit BLANQUE, débiteur de Jean MAUGEON, de SAINT SYMPHORIEN. Il vient de vendre un boeuf à Jean DUBERNET dit LA POULE, marchand au quartier de LA SAUBOTTE. En passant sur les détails, MAUGEON vient à prendre connaissance de cette transaction et aussitôt, le 20 Novembre 1765, il fait consigner le prix du bœuf entre les mains de DUBERNET.

Mais il ne faudrait pas croire que les choses soient toujours aussi simples, car les mauvais payeurs ont plus d'un tour dans leur sac.

Pierre BAUDRON, vigneron à BUDOS, devait de l'argent à son Beau Frère et n'envisageait probablement pas de le rembourser de sitôt. Il avait donc tout lieu de croire qu'à sa première vente de vin nouveau, le dit Beau Frère interviendrait pour faire opposition sur le versement du prix de la transaction. 

Par une nuit obscure de la fin Novembre de 1766, il chargea donc une charrette de son vin et alla subrepticement le livrer à VILLANDRAUT au Sieur PRINGUEY qui était de PRECHAC. Mais l'arrivée d'une charrette de vin à VILLANDRAUT au lever du jour avait soulevé bien des curiosités. La chose se sût. Et l'on vit aussitôt le Beau Frère faire opposition, le 29 Novembre, en faisant consigner le prix du vin entre les mains de PRINGUEY.

Il serait vain de multiplier les exemples de ces affaires qui se présentent toutes à peu près de la même façon au pittoresque des situations près. Qu'il suffise de bien souligner que toutes ces consignations étaient essentiellement provisoires, toutes étant assorties de la formule

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" de ne pas se dessaisir de ces sommes jusqu'à ce que (l'intéressé) ait été payé ou que, par Justice, il (en) ait été autrement ordonné.."

Car, à partir de là, bien évidemment, si le débiteur ne se soumettait pas, il fallait entamer un procès. Toutefois, si la dette n'était vraiment pas contestable, il était fréquent que l'on n'aille pas jusque là. Le débiteur savait bien en effet qu'en ce cas, toute procédure était perdue d'avance. A terme, il ne pouvait rien espérer d'autre que de voir ajouter des dépens à sa dette, voire même des dommages et intérêts. Il préférait donc s'incliner en abandonnant à son créancier tout ou partie de l'argent saisi, selon l'importance de la dette.

Venons en maintenant à l'autre variante de la saisie conservatoire, celle dite de la " saisie des fruits ". Ici, le débiteur n'attend aucune rentrée d'argent précise. Mais il a de la terre ou de la vigne ou les deux réunies et il les travaille. Il obtient donc des récoltes, moissons, vendanges, ce que le langage du droit appelle, d'une façon générale, des " fruits ". 

C'est cela que l'on va saisir, mais ce n'est pas une opération aisée car, faute de pouvoir identifier un tiers détenteur, comme dans les cas précédents, il va falloir consigner ces " fruits " à la source, au moment de la récolte, avant même que le débiteur ait eu le temps d'y toucher. Ce n'était pas du tout évident, surtout si l'on veut bien tenir compte de la mauvaise volonté du débiteur saisi que l'on peut tenir pour assurée.

Aussi le Notaire, agissant pour le compte du créancier, désignait-il deux " séquestres " qu'il choisissait parmi les autres propriétaires de la Paroisse. Il désignait des gens connus pour leur sérieux, leur honnêteté et leur solvabilité. Il leur donnait pour mission de se substituer au débiteur pour ramasser ses récoltes et même, éventuellement, pour les commercialiser à sa place si un retard devait en diminuer la valeur.

Ainsi, Pierre DUPRAT, dit BUREAU et un autre DUPRAT, dit LAJEUNESSE, tous deux de BUDOS, avaient-ils été nommés séquestres des fruits saisis au préjudice du nommé DUBOURDIEU, dit LE DROLE de LOUISE. Le 25 Septembre 1788, deux frères, Pierre et Jean LANTRES, créanciers de DUBOURDIEU, leur signifièrent par acte notarié qu'ils s'opposaient à ce qu'ils se dessaisissent de ces fruits tant que leur débiteur n'aurait pas réglé ses dettes envers eux  " ou que par justice, il (en) ait été " autrement ordonné ". 

Mais ils précisaient bien qu'ils ne s'opposaient pas à ce que ces fruits soient vendus, à la condition formelle que l'argent reste consigné entre leurs mains. Et ceci parce qu'il s'agissait ici de vin. En effet, ainsi que nous l'avons déjà vu dans un précédent chapitre, il fallait absolument avoir vendu son vin avant la Noël, avant que les vins du Haut Pays ne déferlent sur la place de BORDEAUX en provoquant une chute des cours. 

Cette saisie se situant à la date du 25 Septembre, alors que commençaient les vendanges, personne n'avait intérêt à différer la vente du vin au-delà du délai normal, au risque de voir fondre la valeur des " fruits " saisis, savoir, le vin de DUBOURDIEU... Ce système était donc relativement souple et bien adapté aux réalités économiques du temps.  

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Certes, il était bien prévu que les séquestres soient dédommagés de leurs responsabilités et de leurs peines par un prélèvement sur les sommes consignées. Mais cette rémunération ne parait pas avoir toujours été à la mesure des contraintes subies, car, au moment où l'on est soi-même en pleines vendanges, on n'est pas nécessairement équipé tant en matériel qu'en personnel pour effectuer dans le même temps la récolte d'un voisin. 

Au surplus, on peut aisément imaginer à tout le moins le malaise, sinon bien pire, qui pouvait s'instaurer en pareil cas entre les séquestres et le saisi... Ce genre de fonction n'était donc ni prisé, ni recherché, et ceux qui avaient eu la malchance d'être distingués à cet effet tentaient souvent de s'en faire décharger, ou tout au moins d'en négocier les conditions.

Ainsi un fils LACASSAIGNE, de BUDOS, était-il débiteur de Pierre et Thomas DUTRENIT, marchands à LANDIRAS. A son décès, Marie BELLOC, sa veuve, recueillit l'usufruit de ses propriétés Budossaises. Mais en même temps, elle prit la succession de ses dettes qu'elle ne put acquitter. S

a principale source de revenus était, ici encore, le vin. Aussi les DUTRENIT vont-ils faire saisir sa récolte, au moment des vendanges, le 7 Octobre 1773. Guiraud BELLOC dit COY, et Nicolas DAMBONS , dit GRAND DIEU, vignerons à BUDOS, furent désignés comme séquestres. Ceci ne les arrangeait pas du tout. Après s'être concertés, ils allèrent trouver Me BAYLE, Notaire, en son Etude de PUJOLS le 11 Octobre et là, ils lui exposèrent qu'ils sont:

" deux misérables qui n'ont (ni) les forces ni les facultés de faire faire la perception des fruits (à moins qu'ils ne reçoivent) des fonds suffisants pour en faire les frais et avance. Tout le monde sait qu'il faut pressoir, cuve, douil, barriques, bastes, bastots et du monde pour la perception de telles denrées, ce qu'(ils) n'ont ni argent pour en acheter ni louer, (pas même) de chay ni cuvier (et que) lesdits DUTRENIT (n'ont) rien remis pour cela."

Ils notifient donc aux créanciers que, faute de secours, ils ne se mêleront pas de la perception de ces fruits et demandent:

" la somme de cent Livres ou telle autre somme suffisante pour subvenir à tous les besoins nécessaires pour ladite perception, (pressage de la vendange) et logement (du vin)."

Et comme il faut aller vite parce que la vendange est mûre et ne peut plus attendre, Me BAYLE se rend aussitôt, le jour même, à LANDIRAS, pour notifier cet acte à l'un des frères DUTRENIT.

On aura noté que les deux séquestres se sont dits  " misérables " , nouvel exemple de cette volonté affichée de ne laisser paraître à l'extérieur le moindre signe d'aisance qui pourrait éventuellement attirer des foudres fiscales. Misérables ? 

Voire ... En tous cas, moins de quatre mois plus tard, le 6 Février 1774, nous voyons l'un d'eux, Nicolas DAMBONS dit GRAND DIEU, verser à la famille de son gendre 200 Livres de bel argent comptant au titre de la dot de sa fille... Et 200 Livres, pour un laboureur de BUDOS, c'était déjà une somme appréciable.

Ce système de saisie était, somme toute, assez favorable aux créanciers. Il était même si favorable qu'ils avaient parfois

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la tentation de l'étendre aux biens et revenus de l'entourage du débiteur. Si celui-ci, en effet, paraissait ne pas disposer de récoltes suffisantes et que quelques proches parents en soient par contre mieux pourvus les créanciers tentaient de lancer le filet au-delà des strictes limites des biens du débiteur. Après quoi, il ne restait plus qu'a voir venir les réactions... Mais celles-ci pouvaient parfois se révéler violentes et retomber, à l'occasion, sur les malheureux séquestres désignés qui n'étaient pour rien dans l'affaire et risquaient néanmoins d'en faire les frais.

Une anecdote, entre autres, peut éclairer ce type de situation.

DUTRENIT, dit GENDRON, habitant de LANDIRAS, avait une créance sur Bernard BRUN, domicilié au quartier de PINGOY. Ce dernier lui avait emprunté quelque argent à titre personnel et avait bien du mal à le lui rendre. En effet, au décès de son Père, Jean BRUN, la jouissance de tout le patrimoine familial avait été laissée à sa Mère, Catherine DUPEYRON, tandis que le fils ne recueillait que la seule nue-propriété correspondante. Seule donc la Mère " recueillait les fruits " et tenait les cordons de la bourse. 

Et il semble qu'elle les tenait bien, ce qui explique peut-être en passant pourquoi Bernard avait été conduit à emprunter cet argent qu'il ne pouvait pas rendre. Las d'attendre son remboursement, DUTRENIT fit procéder à une saisie et, pour avoir une chance de saisir quelque chose, avait lancé l'opération sur l'ensemble des fruits de l'héritage, sans établir de distinction entre les capacités de la mère et du fils. 

Si la Mère avait accepté d'honorer les dettes de son Fils, le coup aurait parfaitement pu réussir. Mais Catherine DUPEYRON était d'une toute autre étoffe et ne l'entendit pas du tout de cette oreille.

Au début des vendanges de 1771, dans les premiers jours d'Octobre, elle apprit que Pierre BOIREAU, dit l'HERETEY et DUBOURDIEU, dit LA BONTE, venaient d'être nommés, à la demande de DUTRENIT, séquestres de sa récolte. Le 7 Octobre au matin, elle se rendit chez Me BAYLE, et là, ne mâcha pas ses mots. En termes particulièrement vigoureux que le Notaire traduit à sa manière, elle adressa aux deux malheureux séquestres une sommation leur disant :

"qu'elle vient d'apprendre qu'ils ont été établis séquestres à une saisie de ses fruits que le nommé DUTRENIT, dit CENDRON, de LANDIRAS, a eu la témérité de luy faire faire (sur) ses biens et fruits de BUDOS, sous prétexte... que Bernard BRUN son fils luy doit quelque chose; mais comme la comparante ny ses fruits ne peuvent rien devoir audit DUTRENIT, ne luy ayant jamais rien dû  ny emprunté, ladite saisie et séquestre (sont) nuls et de nul effet ... à son égard. C'est pourquoy ladite DUPEYRON... somme lesdits BOIREAU et DUBOURDIEU, (et si besoin est) ledit DUTRENIT... de ne point s'aviser... de troubler la comparante dans la perception de ses vendanges blanches et rouges et de tous autres fruits... de ses biens (qui lui sont) propres, ny de les percevoir eux-mêmes sous prétexte de ladite saisie;.... leur déclarant que s'ils font mine de la moindre démarche et hostilité.... (elle les) prendra (à) partie par la voie criminelle de l'Information (directement) contre eux et leurs complices..."  

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La " prise à partie par voie d'information " est tout simplement le dépôt d'une plainte pour crime ou délit auprès du Procureur d'Offices. Si elle est reconnue fondée, elle peut se traduire, comme nous le verrons plus loin, par une prise de corps et une incarcération. Catherine DUPEYRON, Veuve de Bernard BRUN était une forte femme qui ne ménageait pas son monde.

Ayons tout de même une petite pensée pour Pierre BOIREAU et DUBOURDIEU, coincés entre l'obligation d'agir et de ne pas agir, et, dans les deux cas, sous contrainte de justice ... La fonction de séquestre, n'était décidément pas de tout repos. On ne s'étonnera pas qu'elle n'ait jamais été beaucoup recherchée.

Système favorable au créancier, avons-nous dit , mais sous réserve, comme nous venons de le voir, de bien définir le champ exact de la saisie et de ne pas se tromper de cible. Sous réserve aussi, de respecter scrupuleusement les formes requises et là, on peut aisément se douter combien le débiteur pouvait être aux aguets du moindre faux pas dans la procédure. 

Ces formes étaient particulièrement strictes notamment lorsque la saisie était prononcée par un Tribunal en matière de biens immeubles. Il fallait alors respecter des règles de publicité minutieuses. Quatre " criées " successives devaient annoncer à tout le village que la saisie allait avoir lieu, tandis que le Jugement correspondant devait être affiché à la porte de l'Eglise.

Que de chicanes en perspective et de bons procès dilatoires en cas de manquement à ces obligations ! Un exemple, ici encore, nous permettra de bien illustrer le propos.

Marguerite PEYRICA vivait à BOMMES, elle était Veuve du Sieur Antoine RIBET. En son absence et, du moins le dit-elle, à son insu, le dénommé Pierre LACOSTE avait obtenu contre elle une condamnation du Présidial de GUYENNE portant saisie de biens qu'elle possédait à BUDOS. Le motif en était une dette de 225 Livres dont elle contestait d'ailleurs le bien fondé. Or, dans cette affaire, il semble qu'il y ait eu effectivement quelques approximations. En particulier, Marguerite PEYRICA prétendait que les " criées légales " n'avaient pas été faites en toute régularité.

Elle convoqua Me DUFAU Notaire à PREIGNAC, et le reçut chez elle le 27 Mai 1786 dans le courant de l'après midi; c'était un Samedi. Elle lui exposa ses soupçons d'irrégularité, tout spécialement en ce qui concernait l'affichage du jugement de saisie :

" c'est pourquoy,(dit le Notaire), elle nous a requis de vouloir nous transporter demain Dimanche vingt huit du courant à cinq heures du matin en sa compagnie et celle (des) témoins, au devant de la principale porte d'entrée de l'Eglise dudit BUDOS, à l'effet d'y dresser Procès Verbal du défaut d'apposition d'affiche à ladite porte de l'Eglise."

Pourquoi à cinq heures du matin ? Parce qu'en ce temps là c'était l'heure de la première Messe à BUDOS. 

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 Mais laissons donc la parole au Notaire qui va nous raconter tout cela par le menu détail et son récit, par sa précision, va nous restituer un petit tableau de la vie budossaise:

 

" 28ème Mai 1786. Et advenant le lendemain, jour de dimanche, vingt huit Mai mil sept cent quatre vingt six, à quatre heure du matin, comme nous l'avons vu et observé à notre montre portative, est comparue par devant Nous... Notaire (et les témoins) ladite Veuve RIBET (qui nous a) de nouveau requis de nous transporter ce jourd'huy audit BUDOS en sa compagnie et celle.... des témoins, avant la première Messe et au devant de la porte principale de l'Eglise... (de) BUDOS aux fins d'y dresser notre (Procès) Verbal. Et ayant déféré à cette réquisition, nous sommes partis tous ensemble du domicile de la comparante (à BOMMES) à ladite heure de quatre heure du matin. Et enfin parvenus à celle de cinq au devant de ... la porte principale (de) BUDOS, nous y (sommes) exactement restés pour assister à la première Messe... et afin de remarquer si à ( cette ) porte principale il avoit été apposé des affiches relatives à la saisie faite à la requête et diligence dudit Sieur LACOSTE contre la comparante; et ayant... constamment demeuré au-devant de ladite porte avant et après la première Messe qui a été finie à six heures, et les habitants qui y avoient assisté (s'étant) retirés et (ayant) disparu, (s'est) présenté au devant de ladite porte à sept heures précises, ainsi que nous l'avon... vu et observé à notre susdite montre portative, c'est à dire une grosse heure après la... première Messe finie, un jeune homme d'environ vingt ans, habillé d'un espèce de frac couleur noisette et moucheté, tenant en ses mains un grand placard en papier timbré....qu'il (a) dans l'instant affiché à ladite porte de l'Eglise (de) BUDOS. Et luy ayant demandé l'objet de sa mission il nous (a) répondu que c'était la quatrième criée des biens saisis contre la comparante à la requête (du) Sieur LACOSTE. Sur quoy, Nous lui avons répliqué qu'il n'était point en règle, (car) sur cette affiche il est dit qu'elle avoit été apposée à l'issue de la première Messe au fur et à mesure que les habitants sortaient en foule de ladite Eglise, tandis qu'il y avait plus d'une heure qu'elle étoit dite et (que) lesdits habitants (s'étaient) retirés si ce n'est deux témoins (supplémentaires désignés ci-après); que cette affiche était irrégulièrement (apposée) puisqu'il... y est encore dit qu'elle a été apposée en présence des Sieurs GRENIER et RABAUD, témoins... menés exprès (à) BUDOS avec luy et au devant de (cette) porte, (alors) que ce prétendu huissier nommé VOISIN sur... l'affiche était seul lorsqu'il l'a apposée. "

Ce Procès verbal est dressé sur place, sans quitter la porte de l'Eglise, le matin même, " environ les onze heures du matin". Le " jeune homme" s'étant présenté à sept heures, il faut croire que la discussion s'était prolongée bien au-delà du simple constat qui nous est rapporté.

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Au demeurant, il y avait là pas mal de monde car, outre le jeune homme et les deux témoins emmenés de BOMMES, la Veuve RIBET et le Notaire, il y avait également ces deux autres témoins, budossais ceux-là , que Me DUFAU avait requis sur place parmi ceux qui sortaient de la Messe. Il s'agissait de Barthélemy TROUSSILH, " maître de pension" et de Pierre BOIREAU, vigneron. 

Tous ont ainsi passé le plus clair de leur matinée devant l'Eglise pour assister à l'ensemble de ces échanges de vues qui n'ont dû manquer ni de  piquant, ni d'animation. Nous avons déjà eu l'occasion de dire combien il était rare ( sauf pour la rédaction des testaments ), qu'un Notaire prenne plus de deux témoins. 

Si Me DUFAU en a pris quatre ici, c'est probablement parce qu'il entendait donner à ce Procès Verbal une solennité toute particulière. Tout laisse en effet prévoir qu'il a dû servir de base, sans tarder, à un bon procès en nullité d'un acte authentique, procédure qui a bien pu relancer l'affaire pour quelques années supplémentaires ...Une pièce aussi importante couronnant une expédition si bien montée, méritait à coup sûr quelques surcroîts de précautions.

 

Litiges sur rentes et pensions.

  Si nous pénétrons maintenant dans le domaine des rentes et pensions, nous allons aussitôt découvrir une profusion de problèmes d'impayés en tous genres débouchant, eux aussi, sur d'interminables procès assortis de saisies et d'oppositions, à moins que la raison ne l'emporte et que les parties, d'un commun accord, s'en remettent à un arbitrage. Cela arrivait parfois. 

Et pour ne pas désespérer de la bonne volonté de nos ancêtres, nous choisirons précisément à titre d'exemple deux affaires où l'on est allé jusqu'au seuil du procès avant de trouver un accommodement de dernière heure. Deux affaires, donc, illustrant chacun des aspects de ce domaine : celui des pensions alimentaires et celui des rentes viagères.

Affaire oh ! combien complexe que celle de la Veuve d'Arnaud TAUZIN ! Elle s'appelait Isabeau DILAIRE, mariée depuis 1718, elle avait eu quatre enfants, deux filles et deux garçons. Par un contrat de donation en date du 28 Janvier 1760, elle leur avait fait abandon de tous ses biens tant en nue propriété qu'en usufruit, à charge de lui verser :

" chacun d'eux une pension annuelle en viager d'une demy barrique de vin rouge, d'un boisseau de blé et d'un écu de six Livres, chacun des quatre."

L'indication est intéressante car elle permet de situer ( et il en existe d'autres exemples à peu près concordants ) ce que l'on estimait alors nécessaire à la vie normale, et même relativement aisée, d'une personne vivant seule. Au total des quatre enfants cela donnait donc deux barriques de vin, environ 300 kilos de seigle ( car ce que l'on appelle " blé " n'est autre, rappelons-le que du seigle, le blé proprement dit étant appelé froment et 24 Livres en argent. Le vin n'était pas destiné à la boisson ( il semble bien qu'on en buvait très peu en famille ), mais à la vente , au prix moyen, à BUDOS, d'une trentaine de Livres la barrique.

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Tout ceci supposait cependant que la personne intéressée fût encore capable de cultiver son petit jardin, non seulement pour ses légumes, mais aussi pour son chanvre et qu'elle fût aussi à même de ramasser son bois.

Quoi qu'il en soit, Izabeau DILAIRE aurait dû avoir ainsi ses vieux jours assurés. Or, il n'en était rien car ses enfants ne payaient pas la pension convenue. Elle avait néanmoins été recueillie par son fils aîné, Jean TAUZIN, marchand à BUDOS, mais celui-ci, qui en supportait seul la charge, trouvait que son frère Bernard et ses soeurs Marguerite et Marie, toutes deux mariées, en prenaient un peu trop à leur aise. 

A bien près de 80 ans, sa mère ne voulait plus s'occuper personnellement de toutes ces chicanes, mais entendait cependant faire régner la justice et l'équité entre ses quatre enfants. Aussi, le 9 Juin 1772, se rend-elle en l'étude de Me BAYLE, Notaire à PUJOLS pour lui exposer qu'elle cède :

" sa dite pension à Jean BEZIN, son fils aîné, marchand (à) BUDOS avec lequel elle vit et a toujours vécu avant et depuis, (et qu'il) n'est pas juste que ledit BEZIN , son fils aîné l'aie toujours nourrie et nourrisse encore sans que (la totalité de la pension qui lui est due) passe en ses mains pour lui tenir lieu d'indemnité et de paiement...."

En d'autres termes, elle subroge son fils aîné dans le droit de poursuivre le recouvrement des pensions que lui doivent ses autres enfants. Elle sera désormais tout à fait détachée de cette affaire et ne s'en occupera plus. Et quand vient le moment de signer l'acte :

"ladite DILAIRE a déclaré avoir su (signer), mais (il y a) seize ou dix sept ans (qu'elle ne l'a plus fait) et ne sait ni ne peut plus." ...

Jean BEZIN n'avait d'ailleurs pas attendu cette subrogation en bonne forme pour tenter de récupérer le montant des pensions défaillantes. Mais il s'était attiré des réponses dilatoires.

Jean DUTRENIT, dit ROMAIN, époux de sa sœur Marie, était établi tonnelier à LANDIRAS. Il affirmait avoir payé fidèlement cette pension :

" et que s'il n'a pas payé l'année dernière 1771, ledit BEZIN doit s'en imputer la faute parce que (DUTRENIT) est allé chez lui plus d'une fois pour lui demander la remise non seulement d'un fût d'une première demi barrique qu'il livra pleine dans le premier temps de la pension à la DILAIRE sa Belle-Mère, mais encore la remise d'un second fût d'une autre demi barrique qu'il livra également pleine audit BEZIN... "

DUTRENIT a beau être tonnelier, il n'entend pas fournir le vin logé. Il estime qu'il n'a en retard que la pension 1771 :

" pension que le comparant n'a jamais refusée et qui auroit été payée ainsi que les précédentes, si, comme on vient de le dire, ledit BEZIN avait voulu remettre lesdits deux fûts de demi barrique... parce que (DUTRENIT) n'est certainement pas obligé de lui en fournir (un) chaque année; et dès l'instant de ladite remise… BEZIN auroit déjà reçu en entier depuis la Saint MARTIN dernière le blé et l'argent de la pension de 1771...."

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Il ne tient donc qu'à lui de recevoir cette pension, mais il faut qu'il rende d'abord les fûts " sans être gâtés ni détériorés".

Du côté de Pierre BANOS, cardeur de laine, époux de Marguerite, le son de cloche est différent. Certes, il reconnaît qu'en dix ans, il n'a payé la pension qu'une seule fois

" de manière qu'il se trouve lui en devoir neuf années complètes "

Mais il fait observer que, de son côté, sa Belle Mère lui doit cent Livres qu'elle avait constituées en dot à sa fille Marguerite au moment de son mariage en 1756, et qui n'ont jamais été payées… Avec 60 Livres d'intérêts en cours depuis lors, ce sont donc 160 Livres que lui doit Izabeau DILAIRE, et c'est la raison pour laquelle il ne paie pas la pension...

Arrêtons ici cet imbroglio qui se poursuivra encore pendant des mois, d'acte en acte et de sommation en sommation, pour ne retenir de cette anecdote qu'une nouvelle démonstration de la volonté bien arrêtée des uns et des autres de ne pas tenir leurs engagements régulièrement et à échéances convenues. On paye le plus tard possible ou pas du tout si l'on peut, et tous les moyens sont bons pour parvenir à cette fin.

Finalement, Izabeau DILAIRE va mourir peu après et ses enfants vont entrer dans une nouvelle polémique :

" n'ayant su, ni pu se concilier entre (eux) à cause de quoy (ceux-ci), tous enfants de ladite feue DILAIRE, estoient à même d'entrer en procès..."

Sous la pression de Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS, le 10 Janvier 1773, ils finiront par décider de s'en remettre à l'arbitrage d'un avocat bordelais. Le procès aura donc ainsi été évité, mais d'extrême justesse.

Problèmes de pensions alimentaires entre parents, mais aussi problèmes de rentes viagères entre étrangers. Et ici nous reprendrons à titre d'exemple le fil d'une affaire que nous avions déjà rencontrée. En 1762, Bernard PENICAUD, très accommodant, avait renoncé à un procès contre Jean BEZIN ( le même d'ailleurs que celui que nous venons de trouver ci-dessus) voulant, nous l'avions déjà noté:

" traiter favorablement ledit BEZIN, (et) luy donner de nouvelles preuves de sa bonne intention pour lesquelles il a le droit d'espérer... exactitude et attention de sa part."

ce qui avait conduit les deux parties à conclure une sorte de transaction devant Notaire. Peine perdue ce pauvre PENICAUD a du être bien déçu dans son attente car, dix ans plus tard, BEZIN, ne cessant d'ergoter, ne payait toujours pas sa rente...

Le premier Juin 1772, Bernard PENICAUD en eût assez. C'est alors qu'il entra dans la voie contentieuse en adressant un commandement à Jean BEZIN immédiatement suivi d'une saisie portant sur les fruits de son activité. Tout aussitôt, BEZIN se récrie, disant que :

" s'il eût pensé devoir compter aussi peu sur la parole (de PENICAUD) il lui aurait certainement évité la satisfaction (dans laquelle) il se complait aujourd'huy d'exercer envers luy les poursuites les plus rigoureuses...."

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Et d'expliquer que PENICAUD exige 200 Livres de rente échue en exécution de leur convention de 1762 alors que lui, BEZIN, n'en devrait que 52. C'est en Février dernier qu'il a en effet invité Jeantille DUPAGE, marchand aubergiste à St LEGER à verser entre les mains de PENICAUD la somme de 148 Livres dont il est débiteur envers lui, BEZIN, depuis un certain temps. Il ne resterait donc qu'un solde de 52 Livres à régler:

" laquelle… somme de 52 Livres… PENICAUD n'a jamais voulu recevoir sous le prétexte que... cette somme estoit trop (modeste); il consentait que ledit BEZIN la gardât jusqu'à l'année suivante (et) qu'il la luy payeroit avec le total de la rente (de l'année à venir)."

En conséquence, BEZIN charge le Notaire d'aller présenter immédiatement ces 52 Livres, majorées de 18 autres pour les frais de commandement et de saisie à ce PENICAUD qui ne serait pas de parole et serait revenu sur son acceptation de renvoyer le solde à l'année suivante. En contrepartie, le Notaire devrait évidemment obtenir une main levée de la saisie qui semble bien beaucoup gêner BEZIN.

Le 14 Juin, le Notaire DUTAUZIN se rend chez PENICAUD, à LEOGEATS, et lui :

" exhibe, à deniers découverts... sur une table deux louis d'or de 24 Livres, trois écus de 6 Livres, un de 3 Livres, une pièce de 12 sols et quatre sols marqués valant deux sols chacun"

ce qui fait bien 70 Livres. PENICAUD va-t-il les prendre ? Pas du tout, il les refuse, car il en a assez d'avoir été mené en bateau. Le mandat de 148 Livres reçu de BEZIN en Février s'est révélé avoir " été tiré sur une personne insolvable" et il estime n'avoir pas à courir lui-même derrière un autre mauvais payeur avec lequel il dit n'avoir rien à faire. 

Il a assez à s'occuper des siens et de Jean BEZIN en particulier. S'il a déjà refusé une première fois les 52 Livres offertes, ce n'est absolument pas sous le fallacieux prétexte de la cumuler avec la rente de l'an prochain, mais c'est tout simplement parce qu'il veut ses 200 livres en bon argent comptant, et pas un chiffon de papier sans valeur assorti d'une aumône de 52 Livres. C'est en ce sens qu'il a trouvé la somme trop modeste, et c'est ce qu'il a dit à BEZIN. 

Les 18 Livres supplémentaires destinées à couvrir les frais survenus dans l'intervalle ne changent rien à l'affaire. PENICAUD invite donc le Notaire à reprendre les 70 Livres déposées sur sa table et à rapporter à BEZIN son mandat de 148 Livres resté impayé. Il réaffirme que dès qu'il aura ses 200 Livres, il donnera tout aussitôt main levée de la saisie. Cette petite guerre se poursuivra pendant plusieurs mois au cours desquels les feuilles de papier timbré voleront comme des feuilles au vent d'automne. 

Finalement PENICAUD sera payé sur les produits de la saisie dont main levée sera donnée en deux actes successifs, les 3 et 4 Novembre suivants au prix de complications chicanières de dernière heure dans le détail desquelles il ne saurait évidemment être question d'entrer ici. Bref, Bernard PENICAUD aura une fois encore été désintéressé sans qu'il ait été nécessaire d'aller jusqu'au procès. Mais que de tracas ! et quelles traverses aura-t-il fallu surmonter pour en venir à cette heureuse conclusion ! 

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Nous nous garderons d'affirmer que ce genre de situation contentieuse ait pu constituer une règle absolument générale. Seules, évidemment les situations conflictuelles ont laissé de telles traces dans nos archives, tandis que le souvenir des engagements correctement respectés n'avait aucune raison d'être conservé.

Il faut toutefois bien souligner combien le taux de fréquence de ces conflits a pu être élevé par rapport au nombre des contrats enregistrés par les Notaires.

Il y a eu là, à coup sûr, et pendant très longtemps, un véritable problème de Société dont il serait d'ailleurs intéressant d'analyser les causes, ce qui exigerait une étude particulièrement approfondie.

 

Affaires Matrimoniales.

  Un autre grand domaine de compétence du Tribunal Seigneurial était constitué par les affaires patrimoniales. Elles sont tellement liées au droit de la propriété, et tout spécialement à ses modes de transmission qu'il a paru plus judicieux d'en traiter la matière dans le Chapitre consacré à la propriété foncière. Ces affaires, rappelons-le concernaient essentiellement:

- les baux à ferme;

- les ventes et les achats, les donations;

- les retraits lignagers, actions en justice tendant à réintégrer dans le patrimoine d'une famille ( dans son " lignage " ) un bien qu'un proche parent en a fait sortir par une vente à un tiers;

- l'exercice du droit de prélation par lequel un Seigneur pouvait, en des circonstances bien précises, réintégrer dans son patrimoine direct des bien fonciers qui en avaient été détachés parfois depuis des siècles et concédés à titre de fief à des tenanciers du village;

- les partages de successions enfin, avec tout le cortège des procès qu'ils engendraient, avec ou sans testament, la matière étant inépuisable.

Ces affaires patrimoniales, toutes régies par la Coutume de BORDEAUX, nous ont paru difficilement séparables du statut de la propriété foncière, si différent de l'idée que nous pouvons nous en faire aujourd'hui. De là, ce renvoi au chapitre spécial que nous lui avons consacré.

 

Affaires domestiques et. rurales.

  Dernier domaine, en matière civile, avant de passer au " criminel " , celui que nous désignerons du terme général d'affaires " domestiques et rurales ". Une très grande variété les caractérise car elles constituent un reflet parfaitement fidèle de la vie quotidienne du Village.

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 Il ne se passait guère de semaine sans que quelques nouveaux litiges de l'espèce ne soient apportés devant le Tribunal de BUDOS. Même en l'absence de ses archives perdues, il nous est parvenu, de diverses sources tant et tant d'anecdotes qu'il nous faudra nécessairement nous limiter à quelques unes d'entre elles choisies parmi les plus caractéristiques d'une situation typique ou parmi les plus pittoresques. Dans l'un et l'autre cas, le choix est très ouvert.  

Affaires de voisinage.

Examinons d'abord les querelles de voisinage; elles sont innombrables.

Pour commencer, nous irons au quartier de LAPEYROUSE en Décembre 1761. Deux familles se partagent une même maison qui leur vient d'un héritage commun. François COURBIN et Marguerite DARTIGOLLES, sa femme, occupent le rez de chaussée, tandis que Basile LESPINE et Ysabeau DUPRAT habitent l'étage. 

Pour y accéder, ceux-ci passaient par une pièce du bas dans laquelle débouchait l'escalier. Ce n'était évidemment pas très pratique, mais tout le monde s'en accommodait. Et voilà qu'un jour, la famille LESPINE fait percer une ouverture juste au-dessus de la porte d'entrée du rez de chaussée et y a :

" placé une échelle de bois à main, affectant aujourd'huy de monter et descendre à leur chambre par cet endroit pour inquiéter et incommoder les (occupants du rez de chaussée) en tenant ainsy leur échelle qui leur masque et ferme pour ainsy dire l'entrée de leur porte."

Les COURBIN se rendent donc à PUJOLS, dans l'après-midi du 26 Décembre 1761, le lendemain de Noël, et vont trouver Me BAYLE, Notaire du lieu. Ils lui déclarent ne rien comprendre à ces " innovations et changements "  et se montrent plutôt sévères sur le compte de leurs voisins, disant qu'il :

"  est aizé de comprendre qu'ils ont... dans toutes leurs actions suivy et préféré le torrent .... de leurs passions (plutôt) que (de) prendre un bon conseil..."

Entrer chez soi par une échelle ne peut être tenu pour chose simple, surtout si l'on tient compte du fait que les intéressés étaient déjà des quinquagénaires confirmés. Serait-ce trop s'abandonner aux hypothèses si l'on imaginait qu'avant d'en venir à une telle extrémité, les LESPINE auraient pu connaître quelques difficultés du fait des COURBIN en pratiquant l'accès par le rez de chaussée ? D'avance, ces derniers s'en défendent en affirmant que chacun bénéficiait :

" d'une possession et jouissance paisible et tranquille jusqu'à ce jour."

Mais nous ne disposons que de leur version, et c'est bien dommage.

Toujours est-il qu'ils somment les LESPINE de tout remettre en l'état antérieur dans les meilleurs délais sous peine de se voir assigner en justice " pour les y faire condamner ". Et pour bien montrer leur détermination, ils ajoutent qu'ils se réservent expressément le droit de recourir à la procédure criminelle, sans préciser pour autant quel pourrait être ici le grief allégué; ils seraient probablement bien en peine de faire la preuve d'un quelconque délit, qu'importe ! ils espèrent, ce faisant, effrayer les LESPINE ...

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Cette sommation est faite par le Notaire lui-même, le 28 Décembre, s'adressant à Ysabeau DUPRAT " en son domicile ". Mais il ne dit pas si, pour accéder à l'étage, il est passé par l'escalier intérieur ou s'il a emprunté l'échelle ...

Voilà donc une belle matière à procès qui, si aucun médiateur n'est venu s'interposer à temps, aura fait les beaux jours du Tribunal de BUDOS.

Puisque nous sommes au quartier de LA PEYROUSE, restons y encore quelques années pour y découvrir une autre affaire dans laquelle nous allons retrouver François COURBIN et Jean LESPINE représentant son Père Basile, pour lors malade ( il devait mourir un mois plus tard ). Tous deux sont engagés dans un autre procès, mais cette fois-ci, ils sont du même côté et poursuivent une tierce personne. Il y avait tant de procès entre les uns et les autres qu'il n'était pas rare de rencontrer de telles situations dans le village ...

Dans chaque quartier, une partie commune dénommée " padouèn" ou " ayrial " était à la disposition des habitants, lesquels en avaient l'usage, sans qu'aucun d'entre eux puisse en revendiquer la propriété. On y trouvait des aménagements collectifs tels que le puits banal et l'aire de battage des céréales. 

Pour bien fonctionner, ce système de copropriété exigeait un minimum de discipline générale dans un esprit de tolérance et de respect des autres. Il suffisait qu'une seule famille du groupe s'écarte de la règle du jeu pour que l'équilibre soit rompu. C'est précisément ce qui se passa en 1769 lorsque Joseph DELOUBES, dit " de GUIRAUDE " commença à en prendre un peu trop à son aise dans l'usage des parties communes.

Après avoir partagé avec son frère la succession de leur Père, il se trouva un peu à l'étroit sur le domaine qui lui était échu. Il avait alors commencé par construire un auvent contre sa maison pour abriter le pressoir qu'il venait de faire aménager. Or, cette installation se situait incontestablement sur le territoire du " padouen " . 

Les voisins ne dirent trop rien mais n'en pensèrent pas moins. Quelques années passèrent. Et voici qu'en Décembre 1769, il récidiva, dans les mêmes conditions, en faisant construire un autre auvent pour garer sa charrette, et de plus, il se moqua ouvertement des protestations de ses voisins. C'en était trop !

Le matin du 28 du même mois, tous les chefs de famille de LA PEYROUSE se réunirent chez l'un d'entre eux, François LACASSAGNE, le tisserand. Ils y avaient convoqué Me BAYLE, le Notaire de PUJOLS que nous connaissons déjà. Il y avait donc là François LACASSAGNE, mais aussi Bernard DUSSAUX, Jean LESPINE représentant son Père Basile, les trois frères COURBIN ( dont François que nous avons déjà rencontré ), etc..etc.., en bref, ils étaient treize au total, représentant autant de foyers copropriétaires du padouèn, et là, par Notaire interposé, ils adressèrent une sommation à Joseph DELOUBES, le perturbateur:

 

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" ce n'est point à titre de mauvaise humeur ny de mauvais voisins qu'ils prennent la liberté de luy représenter que les ayriaux ou padouèns de (leur) village de LA PEYROUSE ne sont que pour le service commun des propriétaires... avec leur puits au milieu, sans que les uns puissent y bâtir ny les occuper au préjudice des autres…"

Ils lui reprochent ensuite ses constructions et constatent qu'il:

" s'empare et occupe presque tous les ayriaux et dit hautement qu'il veut s'en rendre maître et s'en faire une belle cour."

De plus, sur ces ayriaux, on ne voit :

" que ses bruyères, bûches et fumiers; et (il a aussi) fait un trou... à côté de leur puits pour y faire mourir de la chaux (ce qui) luy convenait bien mieux (que) de le faire au large pour n'incommoder personne. En un mot, il semble que ledit Joseph DELOUBES, depuis le partage fait avec son frère, provoque (ses voisins)... à se plaindre pour toutes ses fiertés et entreprises. Et (ceux-là) ne peuvent plus les tolérer parce qu'elles tendent peu à peu à une privatisation de leurs... ayriaux et padouèns qui leur sont aussy nécessaires que leurs propres maisons mêmes."

Au surplus, l'affaire se complique, car les habitants du quartier venaient précisément de décider de reporter " l'aire commune servant à dépiquer leur grain " à l'endroit précis où DELOUBES vient d'édifier son hangar à charrette. Peut-être cette décision n'est-elle que de circonstance, en vue de donner plus de poids à l'argument ...

Toujours est-il qu'ils mettent DELOUBES en demeure de démolir ses constructions abusives, de combler son trou à chaux,

" et d'uzer à l'avenir pour ses bruyères, bûches et fumiers modérément et conformément à la portion qu'il peut prétendre... sans répandre l'un icy et l'autre là, afin que (ses voisins) puissent jouir desdits ayriaux tout comme luy..."

Et s'il ne s'exécute pas immédiatement, " dans trois jours pour tous délay " ils l'informent qu'ils vont l'assigner .

" en justice pour l'y faire contraindre et condamner avec tous les dépens, dommages et intérêts."

Cette sommation est notifiée à l'intéressé le lendemain 29 Décembre et contrôlée au Bureau de l'Enregistrement de BARSAC le 3 Janvier 1770. C'est le début d'un long procès qui animera maintes audiences du Tribunal de BUDOS.

 

Affaires de divagations d'animaux:

Parmi les litiges de voisinage, une mention toute particulière doit être faite des affaires de divagations d'animaux. Elles sont très nombreuses et nous ne pourrons en évoquer, bien sûr, que quelques exemples.

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La règle coutumière voulait que tout animal vagabond surpris en train de provoquer un dégât sur la propriété d'autrui pouvait être saisi et conduit à la fourrière seigneuriale ( encore fallait-il pouvoir l'attraper...). Après quoi, on procédait à une évaluation du dommage à dire d'expert et le propriétaire de l'animal était condamné à la fois à la réparation du préjudice, sur les bases définies par l'expertise, et à une amende de police prononcée par le Juge Seigneurial. Ce genre d'affaire était donc pris très au sérieux. 

C'est peut-être la raison pour laquelle nombre d'entre elles nous laissent une impression désagréable de chicane outrancière et tout à fait délibérée. Dans bien des cas, le propriétaire responsable semble manifester une évidente bonne volonté de réparation, tandis que l'on sent chez la partie adverse un propos délibéré d'exploiter la situation à tout prix. 

On tient absolument à aller au procès en bonne et due forme, alors que le litige mériterait souvent tout au plus une simple rencontre, quelques mots d'explication et un modeste dédommagement. Que de fois voit-on la victime saisir la Justice sans même avoir pris contact avec le responsable ! Cette volonté de dramatisation a de quoi surprendre. On peut y retrouver ce malin plaisir qu'avaient nos Ancêtres à cultiver la chicane à tous propos et souvent, même, hors de propos.

Le 16 Décembre 1771, les boeufs de Barthélémy DARCOS, charron à BUDOS étaient au pacage sur les bords du TURSAN. Il semble qu'ils aient pu pénétrer dans une pièce de jeunes pins appartenant à André RICAUD, dit " du ROY ", laboureur à LANDIRAS. Aussitôt, celui-ci, sans aucun contact amiable préalable, s'en va déposer plainte au Tribunal. DARCOS l'apprend par un tiers dans la soirée. Ce sont des choses qu'il ne faut pas laisser traîner;

" il n'eût pas de plus grand empressement que d'aller (le soir même) après souper chez ledit RICAUD luy dire qu'il estoit surpris qu'il eût pu... trouver ses boeufs dans sa pièce de pins, parce que les pignadas ne sont point des pacages propres pour les boeufs (qu'au surplus) sa pièce de pins... n'est pas même à portée pour que ses oeufs puissent aller (y) pacager (et) qu'enfin (DARCOS) ne voit pas que ses boeufs aient pu allerdans (ce) lieu, à moins de les y avoir introduits. Cependant, que si RICAUD avait des preuves contraires et que véritablement ses boeufs eussent entrés dans sa... pièce de pignadas et qu'ils luy eussent fait quelques dommages, (DARCOS) était là pour luy (en) faire raison..."

RICAUD n'a aucune preuve et ne veut pas en discuter et, "sans s'embarrasser de prouver le fait ", il demande 9 Livres de dommages à DARCOS, majorées des frais de justice déjà engagés depuis l'après midi du même jour. Ce dernier demande qu'il soit procédé à une expertise et déclare par avance se soumettre à ses conclusions. 

Dès le lendemain matin 17 Décembre, il va trouver Me BAYLE et lui demande d'aller signifier à RICAUD qu'il tient pour nulle toute procédure qui pourrait être engagée à son encontre tant que l'expertise amiable qu'il propose n'aura pas été effectuée. Et puisque la Justice est déjà saisie, c'est Dominique LABARTHE, Bayle du Tribunal, qui va être chargé de notifier cet acte à RICAUD en son domicile, à LANDIRAS.

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L'ensemble de cette affaire s'est déroulée en vingt et quatre heures.

Les Landiranais sont prompts à la chicane, mais les Budossais ne le sont pas moins. Une anecdote, symétrique inverse de la précédente en apporte la preuve.

Le 18 Mai 1775, le fils de Pierre RICAUD, dit BIAGAUT, laboureur à LANDIRAS, gardait les bœufs de son Père sur la lande de CONTAU, le long du TURSAN, au lieu dit LE GROUICHOT. Vers les 16 heures, ces bœufs échappèrent à sa surveillance et traversèrent une pièce " où il y a quelques vieilles souches de bois taillis " et qui appartenait à FERRAN, dit FERRANTOT, habitant de BUDOS. 

Poursuivis par l'enfant, les boeufs ne firents que la traverser sans apparemment y séjourner. Mais le lendemain matin, RICAUD devait apprendre que FERRAN était déjà parti pour aller déposer sa plainte au Tribunal, ici encore sans qu'aucun contact préalable ait été établi entre les deux parties. Immédiatement, RICAUD se précipite chez Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS, et fait dresser un acte par lequel il propose un dédommagement à dire d'experts après estimation des dégâts, lesquels ne peuvent guère, d'ailleurs, être considérables :

" puisque (les bœufs) ne demeurèrent pas une minute de temps..."

sur la pièce de FERRAN. Il propose en outre une somme de neuf Livres pour couvrir les frais de Justice qui auraient pu être déjà engagés jusqu'à l'heure. Cet acte est notifié le jour même par le Notaire au domicile de FERRAN à BUDOS. Il n'y trouve que sa femme qui veut bien recevoir l'acte mais refuse les neuf Livres afin de ne pas engager son mari dans cette transaction amiable et de lui laisser la possibilité de poursuivre son procès. 

Cet argent restera donc à la disposition de FERRAN, pour le cas où il se raviserait, consigné entre les mains du Notaire. Ici, le déroulement de l'affaire a été encore plus rapide puisque les bœufs se sont évadés vers 16 heures et que la notification à la femme de FERRAN se situe le lendemain en tout début d'après midi... Ce procès suivra d'ailleurs son cours car FERRAN avait une vieille vengeance à assouvir contre ce RICAUD ainsi que nous le découvrirons un peu plus loin dans une autre affaire.

Les choses se compliquent davantage lorsque les animaux sont capturés et retenus en fourrière. C'est ce qui arriva à Arnaud BATAILLEY le 25 Octobre 1763, lorsque ses bœufs firent une incursion sur la propriété de Pierre DUBOURDIEU, Sergent Ordinaire de la Juridiction de BUDOS. 

Là, c'était vraiment jouer de malchance, car DUBOURDIEU, de par ses fonctions judiciaires, connaissait à fond ses droits et n'allait pas manquer de s'en prévaloir. Il se saisit des bœufs. Il se pourrait même qu'il s'en soit saisi sur la propriété de BATAILLEY sur laquelle, après leur incursion, ces animaux vagabonds seraient entre temps revenus beau sujet de litige supplémentaire...). Arnaud BATAILLEY confie à son jeune fils le soin d'aller les récupérer.

DUBOURDIEU le reçoit fort mal et le rosse d'importance. Revenant chez lui, BATAILLEY :

" trouva son dit fils bien malade des coups qu'il avait reçus dudit DUBOURDIEU sans nulle raison."

Il s'y rend donc lui-même avec la ferme intention de ramener ses boeufs. Peine perdue. Certes on ne le rosse pas mais on refuse de les lui remettre bien qu'il ait proposé de payer le dommage causé  dès qu'il aurait été évalué à dire d'expert. 

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  DUBOURDIEU est inflexible. Les boeufs restent en fourrière. Mais BATAILLEY en a besoin pour effectuer des travaux qui ne peuvent attendre, en particulier pour:

" ensemencer ses biens et pour ses autres uzages, la privation de ses boeufs lui causant un dommage considérable."

Il va donc trouver Me PEROY, Notaire à NOAILLAN, dans l'après-midi du lendemain 26 octobre et lui fait dresser un acte par lequel il enjoint à DUBOURDIEU de :

" luy remettre et envoyer chez luy lesdits bœufs non gâtés ny déteriorés, (moyennant) l'offre qu'il fait ... de luy payer le dommage, si tant est que lesdits boeufs en aient causé, à vue et estimation d'experts."

Faute de quoi, bien évidemment, il lui intentera un procès pour le " privation d'usage " . La manoeuvre est habile puisque, par ce revirement de situation, c'estdésormais œuvre est habile puisque, par ce revirement de situation, c'est désormais le responsable qui envisage de poursuivre la " victime ". Ce fut un bien beau procès!  

On imagine aisément ce que peuvent devenir de telles affaires lorsque les dégâts sont bien réels et indiscutables ...  

Jean LAPORTE, vigneron à BUDOS, avait une vigne au lieu­ dit de MARGES, une vigne:  

" dont la venue était des plus belles et des plus apparentes..."  

Nous sommes au printemps de 1781. Le Samedi 12 Mai:  

" le nommé Joseph DELOUBES (celui-la même que nous avons déjà rencontré à LA PEYROUSE), laboureur(de) BUDOS, soit à dessein prémédité, ou faute de précautions, avait fait, ou laissé entrer ses boeufs dans ladite pièce de vigne (de LAPORTE) qui aurait été en grande partie broutée et ébréchée, soit dans sa pousse, soit dans ses fruits déjà avancés et notamment le nombre de 305 pieds de (cette) vigne quy sont totalement rongés et hors d'état de rattraper de plus de trois ans ny leur pousse vigoureuse, ny une récolte proportionnée."

Ici aucun doute n'est permis. Jean LAPORTE a surpris lui-même les boeus en pleine action, il les a capturés et les a conduits chez lui:  

" pour les mettre en Justice dans le délai prescrit...par la coutume de BORDEAUX."  

Mais DELOUBES est intervenu et a fait le bon apôtre; ce faisant, il a obtenu de LAPORTE, bon prince, qu'il lui rende ses boeufs contre promesse de dedommagement.

Sitôt son bien récupéré, il change de ton. Le voilà qui revient chez LAPORTE :  

" accompagné d'un homme préparé à sa fantaisie (et) qu'il qualifie d'expert."

 Celui-ci apprécie le dommage à 16 pots de vin (environ 32 litres) livrables aux prochaines vendanges ! LAPORTE est scandalisé d'une telle mauvaise foi, et le voilà bien marri d'avoir rendu les boeufs ! Il est convaincu qu'une estimation judiciaire aurait été beaucoup plus généreuse  

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" n'y eût-il que la récolte des 305 pieds de perdue, il était visible qu'elle allait à plus de demi barrique de vin."

 Nous noterons ce renseignement au passage car il nous fournit une approche des rendements enregistrés dans les récoltes de l'époque.

Au surplus, LAPORTE est persuadé que le Juge aurait tenu compte des dégâts sur les années suivantes.

Quoi qu'il en soit, le 17 mai, il va trouver Me DUCASSE et lui fait dresser une sommation à comparaître qu'il adressera à DELOUBES, en l'invitant à le rencontrer sur place, le Vendredi 18 Mai à 8 heures du matin, chacun se faisant accompagner de son propre expert, en vue de déterminer le montant exact du dommage. En cas de refus ou de désaccord, l'affaire devra être évidemment portée devant le Tribunal de BUDOS.

Les boeufs n'avaient pas l'exclusivité de ces escapades incontrôlées. Tous les autres animaux domestiques en prenaient leur part. Les moutons, en particulier, ont été à l'origine (le bien des litiges de voisinage. Nous nous bornerons à évoquer deux affaires les concernant, deux affaires montrant bien quelle différence d'attitude l'on pouvait rencontrer au regard d'un même problème selon que l'on était animé de l'esprit de chicane ou de conciliation.

En Mai 1773, une brebis se détache du troupeau de Bernard DUPRAT, dit JEANTILLON, et entre dans une pièce de vigne appartenant à Jean DUPRAT dit CANET. En bout de cette pièce, elle broute :

" quatorze à quinze pieds de vigne dont quatre ou cinq pieds, quoique broutés, sont sans dommage."

Bernard DUPRAT propose à Jean un dédommagement. Pas de réponse. Mais bientôt il apprend qu'une plainte est déjà en cours devant le Tribunal. Aussitôt il envoie sur les lieux deux vignerons experts pour évaluer les dégâts. Ces experts :

" auraient apprécié ledit dommage à deux pots de vin (environ 4 litres) qui, à raison de dix sols le pot qu'i1 se vend au cabaret, montent à vingt sols, pour laquelle somme, il est bien désagréable que ledit DUPRAT veuille faire des frais tandis que le (responsable) a bien voulu et veut bien encore. Luy payer ce qu'il faut pour l'arrêter dans sa ,vengeance…"

Il se put bien que les experts de Bernard DUPRAT aient été un peu complaisants. Leur estimation de perte de récolte n'est guère généreuse. Quatre litres font bien peu de choses… mais l'intéressé, en revanche, a le geste large. Il évalue la perte au prix du vin au détail sur la table du cabaret, soit près de trois fois le prix de vente en vrac que pouvait raisonnablement espérer le vigneron au cours de l'époque . 

Et pour faire bonne mesure , au lieu des 20 sols estimés, il lui offre une pièce de 24 sols qu'il charge Me BAYLE d'aller lui porter à 1'appui d'un acte de sommation. Le Notaire se rend donc chez Jean DUPRAT le 24 Fiai 1773. Il n'y trouve que sa femme à laquelle il remet l'acte et propose la pièce. Elle prend l'acte mais refuse la pièce, toujours dans le souci de ne pas engager son mari dans une transaction amiable dont il ne veut pas. 

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 Cette situation se retrouve systématiquement en pareille circonstance; les femmes n'acceptent jamais l'argent offert au titre des transactions. Elles devaient avoir reçu de sévères instructions en ce sens. Le mari avait ainsi tout loisir de réflexion avant de poursuivre éventuellement son action s'il le jugeait bon.  

Et tout cela pour une brebis égarée au bout d'une pièce de vigne...  

Autre affaire, identique, et pourtant bien différente dans sa conclusion.  

En Mars 1775, Pierre CHAULET, chirurgien à LANDIRAS, surprend les brebis de Jean DUPRAT ( homonyme du précédent, sans plus), installées dans sa vigne de BUDOS. Ici, les choses sont beaucoup plus graves, car non seulement tout le troupeau est dans la vigne, mais aussi parce qu'il est gardé et que le berger n'a rien fait pour les en sortir. Pierre CHAULET porte plainte auprès du Tribunal de BUDOS. Jean DUPRAT plaide coupable. Il reconnaît que:  

" ce fait est certain (et qu'il) a à se défier contre l'infidélité de son pasteur (qui) il ne cesse de (reprendre) sur ces sortes de licences."  

et ceci par pure négligence :  

"attendu... que son intention ne seroit de nuire ni préjudicier qui que ce fut."

  Afin d'éviter ce procès inutile, le responsable s'adresse à la victime par un acte notarié du 21 Avril 1775 :  

" pour mettre fin à son action, il lui offre tels dommages et intérêts qu'il pourroit avoir souffert à raison de (cette affaire) et même de lui rembourser tous les frais et dépens auxquels il a été exposé, s'en reportant pour l'un et l'autre objet à sa générosité..."  

On ne saurait mieux dire, et Me DUTAUZIN s'en va le même jour trouver Pierre CHAULET à son domicile pour lui remettre son acte avec le commentaire approprié. Après en avoir pris connaissance, celui-ci répond:  

" exiger pour tous dommages et intérêts que ledit DUPRAT lui donneroit un agneau gras et bien conditionné et en outre le remboursement de la somme de seize sols pour (compenser) pareille somme qu'il dit avoir donnée au Juge de BUDOS."

Le Notaire verse aussitôt les seize sols dont il retire quittance, Jean DUPRAT remet son agneau et tout le monde convient d'arrêter là une affaire qui était pourtant bien plus sérieuse que la précédente. Il y avait donc heureusement place dans ces villages pour quelques personnes raisonnables ...

Restons en là pour ce qui concerne les litiges provoqués par les animaux domestiques ( la matière est à peu près inépuisable...), mais nous n'avons pas pour autant, et tant s'en faut, fait le tour des conflits ruraux. Les querelles de limites et de bornage sont peut-être plus nombreuses encore.  

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Affaires de limites et de bornages:    

On pourrait imaginer que ces affaires aient pu être parfois importantes et complexes. Ce n'est pourtant pas le cas général. La plupart du temps, elles sont de faible intérêt, sinon même parfaitement futiles.

Il y en a tant et tant, du reste, que  l'on ne sait trop lesquelles choisir pour illustrer le propos.

Jean LAPORTE, dit MALITON, vigneron à BUDOS avait hérité de son Père une vigne située au lieu dit de MASSE. Selon l'acte d'achat d'origine, daté de 1760, cette parcelle mesurait 18 pas de large sur 90 pas de long ( environ   16 mètres sur 80 ) . Elle était contiguë, au nord et à l'est de la propriété de Jean MASSE. 

S'il n'y avait jamais eu de problème quant à la largeur, les MASSE Père et Fils n'avaient jamais cessé de contester la longueur, prétendant qu'elle ne pouvait faire les 90 pas, lesquels avaient pourtant toujours paru incontestables à tous ceux qui étaient allés examiner la question sur place. En 1777, Jean MASSE relança l'affaire. LAPORTE ressortit alors son titre et fit appel à des avis éclairés. Et là, il visa haut, puisqu'il s'adressa au Curé et au Baron lui-même, les deux plus hautes autorités de la Paroisse. Les choses en était en effet venues:  

" au point que par deux fois (LAPORTE) a été sur le lieu avec son titre d'acquisition à la main, la première avec Monsieur le Curé dudit BUDOS (venu sur place) pour les faire entendre raison, il y a environ dix à onze mois, et la seconde avec Monsieur de BUDOS, Seigneur dudit lieu, il y a environ trois semaines, et toujours, tant l'un que l'autre, ont condamné... MASSE (le priant) de laisser (LAPORTE) en paix et jouir de sa pièce de terre... (sur) la longueur de 90 pas de long et d'y planter des bornes…"

Et en dépit de tout cela, les MASSE ne s'exécutaient pas. Las d'attendre, le 17 Mai 1778, Jean LAPORTE les somme:

" de se trouver Mercredy prochain, vingt du présent mois à deux heures après midy sur ladite pièce afin d'y planter les bornes au bout formant les 90 pas, se retirer et ne plus prétendre d'aller plus avant et délaisser (LAPORTE) paisible et tranquille dans (sa) pièce et dans l'étendue des 90 pas."

Et bien entendu, à défaut de les voir s'exécuter, c'est la saisie du Tribunal et le procès qui sont annoncés sous les plus brefs délais.

On peut ici facilement admettre que l'opiniâtreté des MASSE ait pu être pour beaucoup dans le risque de voir terminer cette affaire en justice. Mais il faut bien dire aussi que l'on envisage dry aller dans des circonstances nettement moins motivées.

La menace d'un procès fait partie des tous premiers arguments que l'on utilisait pour défendre un droit menacé, avant même toute tentative de concertation avec l'autre partie. La brièveté des délais entre certains évènements et le dépôt de la plainte correspondante en porte souvent témoignage.

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Les moeurs du temps le voulaient ainsi, certes, mais on peut douter que de tels procédés aient pu faciliter les relations conviviales à l'intérieur de la communauté du Village.

Une nouvelle anecdote va nous éclairer sur le processus de dramatisation appliqué à une affaire mineure.

Pierre PERROY, dit SANSON, était tisserand à BUDOS. En Décembre 1761, il alla couper du bois taillis pour son chauffage dans une pièce qu'il possédait au lieu dit de PEYROUTET. Et là, il alla un peu trop loin, sur une largeur de trois pas ( environ 2 mètres,65 ) tout au long de sa limite commune avec Jean LAFON. 

Ce dernier s'en aperçut et courut tout aussitôt, le 2 Janvier 1762 après midi, chez Me BAYLE à PUJOLS. Là, sans autre contact préalable ou préavis quelconque, il fit dresser au Notaire un acte de sommation qu'il adressa à PERROY; acte par lequel il lui enjoignait :

" de luy payer la somme de six Livres pour la valeur du bois coupé et enlevé dans la bordure de sa pièce... (et) de se trouver demain à huit heures du matin sur les confins du bout nord de leurs dites pièces de PEYROUTET pour y planter une borne à l'alignement de deux autres qui sont au-dessous vers (le) midy."

Faute de s'y trouver, LAFON le prévenait, bien sûr, qu'il l'assignerait tout aussitôt en justice devant le Tribunal de BUDOS.

Il se peut bien que cette borne fut nécessaire, tout comme il est à peu près certain que PERROY avait effectivement chevauché la limite. Mais on aurait pu imaginer un autre type de relations entre deux voisins de propriété qu'aucune animosité particulière ne dressait jusque là l'un contre l'autre; surtout avec l'injonction comminatoire d'un rendez-vous assigné un soir en fin de journée pour le lendemain matin à 8 heures…!

On dirait qu'une sorte de fatalité s'attache à ce genre d'affaires pour qu'un entêté, un opiniâtre ou un irascible vienne toujours donner une tournure contentieuse aux cas les plus simples.

Monsieur MYRAN en fit l'expérience, une expérience entre tant d'autres.

Il était avocat à la Cour du Parlement et Bourgeois de BORDEAUX. Propriétaire à PUJOLS et à BUDOS, notamment à LA IIONTIQUE, il figurait parmi les personnalités notables du pays. Il possédait une pièce :

" en bois, jogues, brandes et pins au lieu dit du TUCO DE LAMOTHE."

Cette parcelle avait la forme d'un trapèze tout en longueur et, compte tenu de sa forme un peu bizarre, on l'avait entièrement ceinturée d'un fossé. Celui-ci, du côté ouest:

" se trouvant comblé en quelques endroits, soit par les voies des charrettes pratiquées (sur) ce lieu, soit autrement... "

il arriva que des voisins vinrent couper du bois chez Monsieur MYRAN au delà de la limite du fossé comblé

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" de quoi ledit Sieur, qui ne va que rarement audit lieu, s'étant aperçu,... "

il proposa à ses voisins de planter des bornes. Et pour une fois les choses se passèrent très normalement et sans menaces inutiles avec quatre d'entre eux. Mais il y en avait un cinquième, Jean BRUN, dit COUCHIRE, qui le touchait côté nord sur une façade où le fossé était intact et la limite sans problème. Et Jean BRUN ne voulut rien entendre; mieux encore, par bravade, il se mit à couper du bois, à cheval sur la limite, ce qui conduisit tout naturellement Monsieur MYRAN à se pourvoir en justice. 

C'est alors , mais alors seulement, tandis que le procès était déjà engagé , que Jean BRUN se ravisa. En fait, il avait dû s'apercevoir que sa cause était très mauvaise. C'est ainsi qu'il finit par accepter la plantation des bornes et rendit le bois coupé en remboursant les premiers frais de justice engagés. Monsieur MYRAN, bon prince , accepta de renoncer aux dommages et intérêts auxquels il aurait pu prétendre et abandonna son procès.

 

Affaires de passages et de servitudes. 

Querelles de limites, querelles de bornage, mais que ne pourrait-on dire encore des contestations sur les droits de passage ? Le Tribunal local en a fait son bonheur en de nombreux et interminables procès qui ont souvent été poursuivis en appel devant la Cour Présidiale de GUYENNE. 

Ici encore, sur des questions essentiellement simples et que l'on aurait fort bien pu résoudre sur place par une décision de pur bon sens, on voit se développer ce que l'on pourrait appeler de véritables efflorescences judiciaires. La chose serait presque drôle tant elle est outrée, si elle n'était souvent si dramatiquement onéreuse pour de modestes petits propriétaires qui y dévoraient jusqu'à leur dernier sol.

La mésaventure que connut Arnaud FERRAN en est un bon exemple.

Pierre RICAUD, dit BIAGAUT, que nous avons déjà rencontré dans une affaire de boeufs vagabonds, était laboureur à LANDIRAS. Il était propriétaire d'un pré situé aux abords du quartier de PERRON. Cette parcelle avait pour particularité de ne pouvoir être desservie qu'en utilisant un passage en bordure d'un autre pré, contiguë, côté nord, au padouèn de PERRON, et appartenant à Arnaud FERRAN, dit FERRANTOT, ( également impliqué dans l'affaire des bœufs). 

Il ne faisait aucun doute que, pour déboucher du pré de RICAUD sur l'espace libre du padouèn, il fallait passer chez FERRAN. La situation des lieux était telle qu'il n'y avait aucun autre accès possible. Pierre RICAUD, succédant en cela à son Père était toujours passé en toutes occasions sur cette bordure, tout comme l'avaient déjà fait tous les anciens de sa famille depuis des temps immémoriaux.

Un beau jour, FERRAN s'opposa à ce passage. Se présentant sur les lieux, il arrêta RICAUD :

" avec ses boeufs et sa charette chargée de fumier dans (son) pré (et lui a) défendu de ne plus user à l'avenir de (ce) passage."

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Pierre RICAUD est bien ennuyé et tente de s'expliquer. Rien n'y fait. FERRAN reste ferme sur sa position et se refuse à la moindre concession de quelque nature qu'elle puisse être.

Cette année  là RICAUD perdra sa récolte de foin faute d'avoir pu l'évacuer.

Il assigne donc FERRAN en justice et l'affaire suit son cours, elle ira jusqu'au Sénéchal de GUYENNE en la Cour du Présidial. Là, il est demandé à chacun des antagonistes de rapporter la preuve de leurs prétentions. Nous passerons très vite et sans nous y arrêter par dessus le dédale d'une procédure complexe pour en venir à l'audience du 14 Décembre 1771 au cours de laquelle RICAUD fait comparaître ses témoins, tandis que:

" FERRAN n'ayant sans doute trouvé aucun témoin qui voulut favorizer ses allégations ... ne fit point de preuves."

C'est ainsi que FERRAN perdit son procès. Le 6 Février 1772, il finit par s'incliner en adressant à RICAUD un acte de réintégrande ( procédure que nous découvrirons un peu plus loin) et, conformément au jugement, s'engage envers RICAUD à le :

" (réintégrer) dans la possession où il était de passer sur son pré à pied, à cheval et avec charrette et boeufs (et) lui offre de lui payer les foins qui s''étaient perdus la récolte dernière, les dommages et intérêts qu'il auroit soufferts tels qu'ils seront réglés par des experts et de luy payer les dépens suivant le règlement amiable qui en seroit fait par les procureurs des (deux) parties."  

Les experts désignés évaluèrent les foins perdus, les " petites herbes " ( à savoir le regain ) et les dommages à la somme de 25 Livres et 10 sols. Mais les dépens de l'ensemble du procès, arrêtés de concert par les deux procureurs postulants, s'élevèrent à 195 Livres 8 sols et 9 deniers. C'est donc une somme de plus de 220 Livres que FERRAN dut verser à RICAUD en bel argent comptant. 

S'y ajoutaient évidemment ses propres frais d'actes, d'avocat, de procureur postulant et les épices remises aux juges qui ne sont pas compris dans ce décompte. C'est donc une affaire qui, au bas mot , lui aura coûté plus de 250 Livres et probablement bien davantage. Disons, pour fixer les idées que c'est le montant moyen de la dot d'une fille de laboureur de la condition de FERRAN, ou encore, sur une autre échelle de valeur, l'équivalent d'un troupeau de 12 vaches.

Et comme il n'a pas cet argent ( peut-être n'en a-t-il pas le premier sou ...) il tarde à régler sa dette a RICAUD. Celui-ci s'impatiente car il lui faut régler ses propres frais de justice. N'oublions pas que les 195 Livres de dépens ne feront que passer entre ses mains avant de tomber dans les caisses des gens de robe. 

Et comme il est harcelé, il harcèle à son tour. Le 4 Mai 1772, il adresse à FERRAN une sommation à paiement avec menace, en cas d'inexécution, de lui intenter un nouveau procès devant le tribunal de BUDOS pour le contraindre à régler cette dette. C'est ce qu'il fit, d'ailleurs dans les semaines qui suivirent.

Voilà comment, sur un coup de tête, en arrêtant une charrette de fumier, et avec une bonne dose d'esprit de chicane en prime , on peut mettre une famille de petits propriétaires dans un très grave embarras pendant bien des années. Bien pire encore si la malchance voulait que, sur un pareil coup, surviennent quelques mauvaises récoltes. 

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 Il ne restait plus qu'à vendre tout ou partie de la terre composant le patrimoine et s'en remettre aux hasards de la vie des journaliers agricoles. Cela a bien failli être ici le cas car la période qui devait suivre se montra particulièrement difficile et ingrate.

Les FERRAN furent néanmoins sauvés du désastre par l'intervention du Curé DORAT qui, in extremis, les tira de ce bien mauvais pas ainsi que nous le rapporte un acte retrouvé dans les minutes de Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS, chez qui tous les protagonistes de cette histoire se retrouvèrent dans l'après midi du 28 Juin 1772 :

" ont comparu Mr Maître Jacques DORAT, Docteur en Théologie, Prêtre et Curé de la Paroisse de BUDOS, lequel a, sur ces présentes (écritures), payé... à la décharge d'Arnaud FERRAN, dit FERRANTOT, laboureur de ladite Paroisse de BUDOS, à Pierre RICAUD dit BIAGAUT, aussi laboureur, habitant la Paroisse de LANDIRAS, icy présent et acceptant, savoir est la somme de deux cent vingt six Livres dix huit sols neuf deniers (on remarquera qu'il y a déjà six Livres supplémentaires imputables au nouveau procès introduit auprès du Tribunal de BUDOS) due par ledit FERRAN audit BIAGAUT pour les dépens, frais et dommages et intérêts résultants d'une procédure en arrêt de querelle qui était pendante en la Cour Sénéchale de GUYENNE entre FERRAN et RICAUD..."

Grâce à cette intervention qui a permis d'échelonner la dette au-delà des années noires qui se sont succédées en ce temps là, les FERRAN ont pu survivre et doubler ce bien mauvais cap. Il ne faudrait cependant pas croire qu'une aussi cruelle expérience ait pu calmer ln rage de plaider d'Arnaud FERRAN. Absolument pas... 

Dans les années qui suivirent, nous le retrouvons encore impliqué plusieurs fois dans d'autres procès dont il prend l'initiative, ne serait-ce que celui des boeufs vagabonds déjà évoqué ci-dessus où, en 1775, donc, trois ans plus tard, nous l'avons vu se faire un malin plaisir d'assigner en Justice Pierre RICAUD, son ennemi intime, sur une affaire parfaitement dérisoire. Enfin ! il le tenait ! Intense jubilation !.. C'était donc bien une vengeance....

 

Affaires d'entretien de fossés et de ruisseaux.

Le curage, et plus généralement l'entretien des fossés et des ruisseaux engendraient aussi nombre de contestations de voisinage.

Bernard BEZIN, laboureur à BUDOS n'était pas content de ses voisins Jean BOIREAU dit MARQUIS, et autre Jean BOIREAU dit JEANNET. En effet, un petit ruisseau dit LA ROUILLE descend du hameau de LA FONTASSE et, passant par le lieudit des BERCEYS, se dirige vers le TURSAN dans lequel il se jette. 

Or, en ce lieu des BERGEYS, les deux frères BOIREAU avaient chacun une pièce de vigne traversée par LA ROUILLE, et comme aucun des deux ne s'occupait de la curer, les eaux s'écoulaient indûment dans un chemin en direction du quartier du SOUBA :

" et lesdites eaux   vont fondre dans une pièce de vigne en blé (appartenant à BEZIN appelée A LILLA, distante de quarante pas (environ 35 mètres) de celle (des) BOIREAU; (là, ces) eaux ravagent et ruinent (la) vigne et le blé (de BEZIN) et lui emportent toutes ses terres."

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A titre de simple remarque incidente, on notera dans  le propos de BEZIN le terme de " pièce de vigne en blé ", mode de culture  alors très répandu des céréales semées dans les " joualles " ménagées entre chaque rang de vigne.  

Par un acte notarié du 20 Mai 1770, établi par Me BAYLE, Bernard BEZIN somme les frères BOIREAU de curer LA ROUILLE et de refaire passer les eaux par leur lit naturel. Il précise que cette situation est devenue particulièrement insupportable depuis les pluies abondantes du dernier hiver. Faute de s'exécuter, ils seront assignés devant le Tribunal de BUDOS avec demande de contrainte à exécution assortie de dommages et intérêts.  

Le Baron lui-même intervient pour protéger ses propres parcelles lorsqu'elles se trouvent menacées par des écoulements parasites. Il eût en particulier fort à faire en 1773, avec un dénommé PIERILLE qui avait détourné l'écoulement des eaux pluviales au bas de l'une de ses pièces de vigne située entre le quartier de FONBANNE et la ferme de MARGARIDE.  

Bien d'autres exemples de litiges du même ordre n'apporteraient rien d'autre à la matière. Nous n'y retrouverions que répétitions inutiles car ils sont tous assez semblables.    

Affaires d'escroqueries et malfaçons.

  Autres vastes sujets que ceux des tromperies, dédits, malfaçons en tous genres et escroqueries pures et simples.  

Nombreux étaient ceux qui se tenaient à l'affût de quelques occasions de plumer un pigeon. Cela se pratiquait beaucoup sur les marchés aux bestiaux ( VILLANDRAUT, UZESTE, par exemple) mais aussi jusqu'au domicile des victimes. Ces dossiers nous ont laissé parfois quelques petits tableaux de moeurs particulièrement intéressants dans lesquels la vie quotidienne se révèle de façon tout à fait spontanée.

Les transactions sur les boeufs ont toujours constitué un terrain privilégié pour toutes sortes de fraudes en dépit des mesures de protection que la Coutume de BORDEAUX avait pourtant prévu pour les combattre.

Nous commencerons par une histoire simple, qui n'implique pas nécessairement une tromperie formelle mais qui n'en débouchera pas moins sur un bon procès.

Michel BOIREAU, laboureur à NOAILLAN, avait une paire de   en gazaille ( disons en pension au pair ) chez Pierre du PARAN, a BUDOS. Le 15 Octobre 1775, à la fin des vendanges, il les vend à Pierre LATESTERE, laboureur à SAUTERNES, avec garantie par le vendeur :

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" pendant neuf jours suivant l'uzage, de l'ombrage, de donner de la tête et d'être solide au travail tant de la charrue que de l'araire, eu égard à leur force et à leur jeunesse."

Ce sont en effet les trois points sur lesquels porte la garantie de la Coutume. L'acheteur dispose de neuf jours pour essayer ses nouveaux boeufs dans toutes les conditions de travail que l'on peut normalement envisager. Pendant ce délai, le marché est en suspens, il n'est réellement conclu qu'au terme des neuf jours si l'acheteur n'a rien eu à reprocher aux animaux. A partir de là, la vente devient irrévocable et aucune réclamation ne peut plus être admise, sauf à démontrer en Justice que le vice était caché et ne pouvait se révéler en neuf jours. Mais en ce cas, la résiliation devenait beaucoup plus difficile, plus longue et aussi plus onéreuse.

Le prix convenu pour la présente vente était de 250 Livres, ce qui représente une somme importante mais tout à fait normale. Il faut savoir qu'une paire de boeufs valait autant que six à huit chevaux de force courante. Ces boeufs n'avaient jamais été

" reconnus malades, mais (au) contraire... ont constamment bien fait leurs travaux (sur) les biens dudit PARAN, gazailliste (à BUDOS), mangeant facilement, vert ou sec, de ce qu'on leur présentait pour nourriture. "

Trois jours plus tard, LATESTERE adresse à BOIREAU une sommation en vue de lui faire reprendre ses boeufs parce que :

" l'un (d'eux) tousse par (moments) et que sur la déclaration de gens... (experts) ledit oeuf est atteint d'une altération de poulmon..."

Dans un acte notarié de protestation, en date du 20 Octobre, passé chez Me PERROY à NOAILLAN, BOIREAU conteste d'abord la maladie, puis fait observer que sa garantie ne portait que sur les trois vices prévus par la Coutume et non sur les affections pulmonaires, ce dernier argument étant un peu spécieux... En conséquence, il somme à son tour LATESTERE d'entériner leur contrat et de lui payer ses boeufs.

Le procès qui s'amorce là connaîtra de belles batailles d'experts aux conclusions divergentes, sinon même parfaitement contradictoires.

Examinons maintenant un cas d'application des garanties offertes par la Coutume.

Etienne GOUARAU et Jean GUICHENEY s'étaient rencontrés sur le marché de VILLANDRAUT le 26 Août 1767, chacun à la tête d'une paire de boeufs. Ils envisagèrent de les échanger. C'était une opération relativement fréquente, motivée par des considérations d'âge et de puissance des animaux en fonction des besoins des exploitations. Après maintes discussions, le troc se conclut et chacun repartit du marché à la tête de ses nouveaux boeufs sous condition, bien sûr, de la garantie coutumière dans le délai des neuf jours . Parvenu chez lui, GOUARAU voulut immédiatement essayer son nouvel attelage :  

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" avec charge modique (et) même sans charge; le plus petit (des) boeufs résista à aller de l'avant et quoy que (GOUARAU) usât de tous ménagements pour les faire avancer, il ne put y parvenir, (ces) boeufs s'étant passé (plusieurs) fois ( la tête ) sous l'aiguille de la charrette au point même que si (GOUARAU) n'eût appelé du secours, (ces) boeufs se seraient tordu le col, ceci étant un défaut des plus capitaux."  

c'est tout à fait exact, il s'agit bien de l'un des trois vices dénoncés par la Coutume; ce qu'elle désigne par le fait de " donner de la tête " . Au lieu d'arracher sa charge en puissance au commandement, le boeuf atteint de ce vice, sans bouger les pattes du sol, baisse la têteen tordant le cou jusque sous le timon de la charrette et ceci au grand dam de son compagnon qui, lié par le joug, se voit entraîné dans le mouvement inverse.  

De ce fait, Etienne COUARAU n'est pas du tout content; il n'ose plus retenter l'expérience et va trouver GUICHENEY à son domicile en lui demandant de venir essayer ces boeufs chez lui pour lui montrer comment les commander pour les faire travailler. Jean GUICHENEY promet tout ce que l'on veut et rendez-vous est pris pour le lendemain matin 30 Août 1767. Le moment venu, il ne se présente pas et il ne reste plus à GOUARUD qu'à se rendre chez le Notaire de NOAILLAN pour adresser une sommation à GUICIIENEY et l'informer que, faute de réaction de sa part il l'assignera tout aussitôt devant le Tribunal.

Au surplus, l'arnaque pure et simple n'est pas rare; l'anecdote suivante en apporte une preuve.  

Jean ARZAC s'est rendu, le 30 Juin 1769 :

" jour de foire (au) bétail, au Bourg de VILLANDRAUT pour y acheter une paire de boeufs pour son service et (les) travaux de ses biens. Il entra en marché d'une paire qui étoit sur ladite foire avec un homme (qui lui était) inconnu (et) qui les gardoit ... avec un aiguillon en main sans qu'il se présentât d'autre personne que luy, disant que (ces) boeufs luy appartenoient depuis) très longtemps. Après plusieurs débats entre eux, ne pouvant convenir du prix, ils allèrent boire ensemble chez le nommé PEYRAGUE, Hôte (de) VILLANDRAUT, (et là) ils conclurent le prix (de ces)  à deux cent quatre vingt seize Livres sous la garantie de tous défauts capitaux... pendant neuf jours... et de les reprendre à la fin de ce délay si (un défaut) étoit reconnu par (l'acquéreur)."

Et pour bien marquer que le marché n'est pas définitivement conclu, ils conviennent que l'acheteur versera au vendeur 270 Livres comptant et que les 26 Livres restantes resteront consignées entre les mains d'une tierce personne jusqu'à l'accomplissement des neuf jours. D'un commun accord, ils désignent PEYRAGUE, l'aubergiste, comme consignataire de cette somme

" (Jean ARZAC) s'étant  retiré, (il emmena) lesdits boeufs chez luy; les ayant essayés, le dernier lié refusa (d'avancer) et se passa (plusieurs) fois (la tête) sous l'aiguille de la charrette et tous les deux refusèrent de tirer (en) avant. (Ils) sont faux au point de ne pouvoir servir et (ils) le sont tellement que (ARZAC) a découvert... depuis, qu'ils avoient (plusieurs) fois été remis (sur le marché)."    

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Le vendeur  avait dit qu'il était:

" habitant d'ILLATS e t Beau-frère d e DUBOS, de BARSAC, qu'(ARZAC) connoit; c'est ce qu'il crût de bonne foi et, sans nulle méfiance, il ne fit d'autre enquête."

 ARZAC se rend donc à ILLATS pour retrouver son vendeur:

" sans qu'il ait pu le découvrir sous le nom de Beau­-Frère de DUBOS ny autrement; étant tout de suite allé chez... DUBOS le luy demander, il luy répondit qu'il n'avait pas de Beau Frère; que celuy quy luy avoit vendu (ces) boeufs devoit être (un) homme suspect (et) s'était annoncé autre qu'il est pour éviter le (retour) des boeufs, ce qu'(ARZAC) reconnoit a présent; mais comme cette feinte est une fraude condamnable et punissable, contraire à la loyauté dont on doit uzer dans le commerce..."  

Il ne reste plus à ce pauvre homme qu'à s'adresser à la Justice. Dans un premier temps, le 7 Juillet, il va trouver Me PERROY afin de faire dresser un acte de sommation à l'aubergiste ( faute d'avoir un autre interlocuteur ), le mettant en demeure de lui dire s'il connaît cet homme, et surtout de ne pas lui remettre les 26 Livres déposées entre ses mains si jamais il venait à se représenter. 

Il restera ensuite à ARZAC à déposer plainte devant le Tribunal il au criminel il pour que l'on se saisisse de l'individu et il au civil 11 pour annuler le marché et récupérer son argent. Encore faudrait-il mettre la main dessus et il faut bien reconnaître que les Justices Seigneuriales étaient bien mal armées pour diligenter de telles recherches. 

Le Bayle de BUDOS et celui de VILLANDRAUT, dont les compétences respectives se limitaient d'ailleurs au territoire de leur Seigneurie, ne constituaient pas une force d'investigation bien redoutable. Le pauvre Jean ARZAC a dû en être pour ses frais à moins qu'un heureux hasard ne soit venu le servir.

Mais il existe des coups peut-être plus audacieux encore, parce que faisant intervenir plusieurs personnes dans un scénario préparé à l'avance. C'est dans un piège de ce genre qu'est tombé Jean BERNEDE sur le marché d'UZESTE, le 9 Septembre 1777.  

Ce Jean BERNEDE était laboureur au quartier de PRAT, et ce jour là, en compagnie de son petit neveu Jean DUCOS, de BUDOS, ils s'étaient:

" rendus à la foire qui s'est tenue pour le bétail à UZESTE avec une paire de boeufs (leur) appartenant pour les vendre ou (les) échanger. Joseph PERROUY, marchand, habitant au Bourg de VILLANDRAUT, ayant aussi sur la foire une paire de boeufs au devant de laquelle il se tenait... (il) est entré (en négociation de) troc avec (BERNEDE et DUCOS) après un examen respectif de leurs boeufs, ils ont (conclu ce) troc (en) raison duquel, sous la réserve de (la capacité à tirer), du (vice d')ombrage et autres défauts cachés pendant neuf jours, (BERNEDE et DUCOS) ont promis (donner à PERROUY une soulte) de 114 Livres..."

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Sur cette somme, ils versent comptant 24 Livres en quatre écus d'argent de six Livres chaque, le solde devant être réglé " de demain en huit " lorsque les boeufs auraient été reconnus sans défaut.

Jean BERNEDE livre ses boeufs à PERROUY qui les prend et les emmène avec lui. Dans le même temps , il envoie le jeune DUCOS, le petit Budossais, chercher ceux de PERROUY, là où ils les avaient vus sur la place du marché:

" ayant envoyé ledit DUCOS pour prendre ceux dudit PERROUY où ils étaient sur (la) foire ... DUCOS s'en étant saisi, sont intervenus les enfants (de) PERROUY qui l'ont saisi au collet et l'ont forcé violemment à lâcher et abandonner (ces) boeufs qu'ils ont (fait partir)... Dans ces circonstances fatales et contraires aux règlements et lois du commerce... "  

les victimes reviennent aussitôt vers le Père PERROUY pour qu'il leur rende les boeufs enlevés:

" ils n'ont (alors) ouï raconter que de très mauvaises raisons qui leur ont prouvé son intelligence avec ses enfants et obligé.... à se retirer sans boeufs...(et sans les 24 Livres escroquées)."

C'est la raison pour laquelle ils se rendent aussitôt chez Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, pour lui faire dresser un acte de sommation enjoignant à PERROUY d'exécuter le marché et de livrer ses boeufs. Comme il est déjà tard, le Notaire n'ira signifier l'acte que le lendemain matin au domicile de PERROUY. 

Il n'y trouva que sa vieille Mère. Peu importe, la signification était valable. En dépit de son habile montage, cette escroquerie est moins parfaite que la précédente car PERROUY est connu et parfaitement identifié. Reste à savoir si Jean BERNEDE et le jeune DUCOS disposeront des témoins nécessaires pour authentifier la transaction. Ce n'est peut-être pas évident , car tout s'est décidé sur parole et pas nécessairement en présence de tiers. Le Tribunal appréciera.

Point n'est besoin au demeurant de courir des risques sur les foires de VILLANDRAUT ou D'UZESTE, l'arnaque peut très bien venir frapper à votre porte au moment où vous l'attendez le moins. Jean Baptiste DUBLANC, Maître Chirurgien à BOMMES aurait pu en rapporter un fort bon témoignage.

Tard, en cette soirée du 29 Septembre 1785, à la nuit noire, et bien après le dîner, il ne s'attendait certes pas à la cascade d'ennuis qui allait s'abattre sur lui dans le moment qui allait suivre; des ennuis qui allaient se prolonger bien au-delà de toutes prévisions. Mais la chose est si bien contée par le Notaire qu'il parait préférable de s'effacer devant la relation qu'il fait des évènements:  

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" vers les dix heures du soir, (le) jour de la Saint MICHEL dernière, le nommé Bertrand DARQUOS, charron et marchand du lieu de COUDEOU, Paroisse de BUDOS, se (présenta) au domicile du Sieur (DUBLANC) avec une paire de boeufs, et, là étant, ..." DARQUOS proposa audit (DUBLANC)... (de) troquer ses boeufs avec les siens... Sur cette proposition, le bouvier de LAMOURETTE qui (se trouvait là) fit observer au Sieur DUBLANC que l'heure était indue (et) qu'il était même dangereux de faire des marchés semblables à la lueur de la chandelle, (ce) qui, très souvent empêche d'apercevoir les défauts qui peuvent (affecter)... ces sortes de bestiaux. D'après ces observations, le Sieur (DUBLANC) ayant... marqué une certaine crainte et par conséquent rejeté les propositions ( de ) DARQUOS, celuy cy protesta que ses boeufs étaient réellement sans défauts (et) que l'on pouvait les prendre à coup sûr. Sur toutes ces protestations, le Sieur (DUBLANC) ne se méfia plus de ce particulier (et) fit ce troc de bonne foy; néanmoins, il fût assez prudent et sage (pour) se réserver expressément, en présence de témoins dignes de foy, la... facilité de résilier ce marché dans les neuf jours (pour le cas où ces boeufs présenteraient quelques défauts). "

Pour garantir l'exécution de cette convention, chacune des deux partie déposa six Livres en argent entre les mains d'un tiers, Jean DAULAN dit DRILLOT, et ceci jusqu'à la confirmation définitive du contrat.

Dès le lendemain, Jean Baptiste DUBLANC essaya ses nouveaux boeufs et n'en fût pas du tout satisfait. Et comme il se méfiait de DARQUOS, il alla trouver Me DUFAU, Notaire à PREIGNAC, et le convoqua spécialement à l'auberge de BUDOS, le 6 Octobre suivant. Il voulait en effet donner à sa protestation une solennité toute particulière. 

Les témoins seront Jean DUGOUA, dit JEANTILLOT, l'aubergiste, maître du lieu, mais aussi Jean BEDOURET, le Bayle du Tribunal de BUDOS. Tous étant installés autour d'une table de l'auberge, DUBLANC exposa ses griefs que le Notaire devait traduire à sa manière sous une forme qui mérite toute notre attention car elle ne manque pas de pittoresque :

" le Sieur (DUBLANC) reproche audit DARQUOS avec juste raison :

1° qu'il a été considérablement trompé dans le troc dont (il) est question, (parce)que les boeufs qu'il a reçus dudit DARQUOS sont beaucoup plus (âgés), beaucoup plus petits et moins robustes que ceux cédés par le Sieur DUBLANC audit DARQUOS;

2° que l'un des boeufs pris par le Sieur (DUBLANC) est extrêmement vicieux puisque au champ et ailleurs, il est toujours prêt à lutter et que par ce défaut capital il cause non seulement la fuite et l'épouvante (des) autres bestiaux, mais encore (risque) de tuer ou de blesser dangereusement ceux (aux soins desquels) il est confié;

3° enfin , C'est que cet animal, dans l'opération qui lui a été faite a été grossièrement manqué puisqu'il est vray qu'il conserve toujours une si grande vigueur dans la partie amoureuse qu'il voudroit chaque instant habiter les autres bestiaux et (de ce fait), il n'est pas possible que cet animal travaille paisiblement ny qu'il profite en aucune manière."

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En conclusion de tous ces griefs, DUBLANC

" déclare qu'il entend, dès cet instant, annuler et résilier (ce) marché, que tout ce qui a été fait entre eux soit… de même que s'il n'en avait jamais (été) fait mention."

et il somme DARQUOS de lui :

" amener et conduire les boeufs qu'il a reçus... dans (son) parc et, dans le même instant de reprendre les siens...

le tout dans un délai de vingt et quatre heures à partir de la notification de l'acte notarié, cette sommation étant bien évidemment assortie de la menace d'un procès immédiat:

" dans le cas où ledit DARQUOS (viendrait) à faire quelque résistance aux sommations qui luy sont faites."

Cet acte comminatoire va être tout aussitôt signifié à l'intéressé. A peine l'encre en est-elle sèche que le Notaire se met en route et se rend au hameau de COUDEOU où il se présente au domicile de DARQUOS. Il est absent, mais sa femme reçoit le document en son nom. Tout est donc désormais en règle, le délai imparti commence à courir, mais ce n'est pas pour autant que l'affaire sera terminée...

Pour illustrer la matière des dédits commerciaux et de leurs conséquences, nous retrouverons, une fois encore, une affaire de bovidés. Il ne faut pas s'en étonner. Le boeuf est alors le mode de traction lourd à peu près exclusif dans nos campagnes, aussi bien pour le travail de la terre que pour les transports. 

Dans ce dernier domaine, la majeure partie des échanges économiques dépend de sa puissance et de sa docilité. Il n'a guère pour concurrent que le flottage sur le CIRON, encore celui-ci ne s'exerce-t-il que dans un seul sens, de l'amont vers l'aval et sur un itinéraire imposé.. 

Quant aux chevaux de trait, ils sont très rares, et seuls les meuniers semblent en avoir usé pour leur commerce sans que l'on sache trop pourquoi. Rien d'étonnant, donc, à ce que les transactions commerciales concernant les boeufs aient laissé de très nombreuses traces dans nos archives, avec une résonance toute particulière lorsqu'elles débouchaient sur un litige. Une paire de boeufs représentait un investissement tellement considérable pour un petit propriétaire que l'équilibre financier de toute une famille pouvait très bien être définitivement rompu à la suite d'une mauvaise opération de vente ou d'achat la concernant.

Mais revenons-en à... nos boeufs et à notre affaire de dédit commercial.

Nous sommes dans la salle de l'auberge de BUDOS, chez JEANTILLOT, dans l'après midi du 30 Novembre 1776. C'est un Samedi, mais c'est aussi un jour férié, et même doublement férié puisque c'est le jour de la Saint ANDRE, jour chômé dans le Diocèses de BORDEAUX, mais que nous sommes également en plein dans les festivités de la Saint ROMAIN, Patron de l'Eglise locale.  

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Guiraud TACHON est assis à une tab1e, e n train de consommer, lorsque survient André DUPRAT, marchand à NOAILLAN, accompagné d'AUGUSTIN, un Budossais, et de Fortis LARRUE  " médecin des boeufs " ( autrement dit vétérinaire ) à LEOGEATS. Tous trois s'approchent de Guiraud TAUZIN et entament la conversation. Ils sont heureux de le rencontrer parce que, précisément, ils le cherchaient. Ils lui disent qu'ils viennent tout droit de chez lui et qu'ils ont vu ses boeufs. DUPRAT lui propose de les lui échanger contre un seul boeuf qu'il a chez lui, avec, évidemment une soulte qui resterait à déterminer.

TACHON ne rejette pas l'idée a priori, car, effectivement, il a bien ce type d'échange en tête, mais il demande, avant toute chose, à voir le bœuf proposé par DUPRAT. C'est là qu'intervient le dénommé AUGUSTIN pour dire que si TACHON ne veut pas de l'animal, il le prendrait bien pour lui-même. 

Cette prise de position relance le débat. Au surplus, le médecin des boeufs est là pour apporter son expérience; on discute, bref , le troc finit par être conclu moyennant une soulte de 275 Livres. Notons en passant qu'il fallait que ce fut une fameuse paire de boeufs pour atteindre un tel prix en sus de la valeur de l'animal livré en échange. Une telle estimation se situe très au-delà des cours du marché de l'époque tels qu'ils nous sont parvenus. Il est enfin convenu que l'échange se fera le 5 Décembre suivant au domicile de TACHON à BUDOS.

Ce jour venu, DUPRAT ne se présente pas au rendez-vous. TACHON s'interroge, puis s'inquiète et finit par se rendre a NOAILAN où il se présente chez DUPRAT. Là, il trouve bien son interlocuteur, mais il n'entend que de mauvaises raisons. En particulier, DUPRAT prétend que son Beau-Père s'oppose à ce marché ( le montant de la soulte doit y être pour quelque chose. ) Mais TACHON tient désormais beaucoup à ce marché qui est pour lui " la bonne af faire " et ne veut rien savoir des arguments qui lui sont opposés :

"raisons frivoles (dit il)... puisque son Beau Père y en (grand ) âge et dérangement de santé ( ne se mêle ) plus des affaires ni (du) commerce de leur (exploitation) et le laisse maître de tout).

A partir de là, on sent bien que TACHON commence à fourbir ses armes en vue du procès qu'il envisage.

Au fond, est-il véritablement lésé ? Il a toujours ses boeufs chez lui et il n'a pas déboursé un seul denier. Est­-ce suffisant pour engager un procès en dommages et intérêts? Il n'y a là rien qui puisse émouvoir un Juge. Et pourtant si... Et c'est ce qu'il expose dans une sommation qu'il adresse à DUPRAT dès le lendemain 6 Décembre. Ces boeufs, il en est devenu responsable au regard de DUPRAT. Et s'il leur arrivait quelque chose ? Il ne peut plus s'en servir. Il dit:

" n'oser travailler (avec) les boeufs par lui promis en troc qu'il est (donc) forcé de nourrir (dans son étable et dont) il ne peut plus disposer par vente ou autrement "

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 et il somme DUPRAT de venir échanger leurs animaux et de lui payer la soulte prévue.

En fait, quelque chose nous échappe dans cette affaire que nous avons par ailleurs passablement simplifiée. On ne voit pas très bien pourquoi DUPRAT, a lancé, à son initiative, un véritable commando commercial à l'assaut de TACHON en fixant le prix sur le champ à un niveau incroyablement élevé pour renoncer ensuite à cet échange qu'il paraissait si fort désirer. Il y a un défaut de cohérence dans son comportement. 

Quant à TACHON, de réticent qu'il était au début, le voilà tout à coup devenu enthousiaste, lui aussi a beaucoup changé... au point d'envisager allègrement un procès fondé sur des arguments bien légers. N'y a-t-il rien d'autre sous cette affaire ? On peut s'interroger.

En tous cas, cette anecdote est intéressante car elle est bien loin d'être isolée. Elle est une illustration de ces bonnes affaires complexes qu'aimaient nos ancêtres, avec des engagements compensatoires, souvent à terme et conditionnels. Manifestement, ils se complaisaient dans des labyrinthes contractuels dont nous ne saisissons plus très bien tous les ressorts mais qui faisaient la fortune des gens de Justice et des Tribunaux.

Nous venons de découvrir une affaire commencée au cabaret de BUDOS. On pourrait en conter bien d'autres, plus pittoresques les unes que les autres. Toute une faune d'arnaqueurs au petit pied fréquentait volontiers ces salles d'hôtes dans les villages de la région, toujours en quête d'une farce ou d'un mauvais coup à fomenter aux dépens d'un naïf, généralement après l'avoir fait boire, mais aussi, parfois, par simple ruse. Il n'était pas rare que certaines de ces affaires connaissent des suites judiciaires devant les Tribunaux Seigneuriaux, car elles n'étaient pas toujours innocentes.

PERSILLON était allé acheter de l'huile à PREIGNAC le jour du Premier de l'An 1766. Au lieu de revenir directement sur BUDOS, il s'arrêta au cabaret local et :

" rejoignit la compagnie pour boire avec eux; après quelques bouteilles, les esprits se montèrent et les cerveaux se chauffèrent en sorte que, dans le moment, on proposa de faire une soupe à l'huile vulgairement appelée tourin; il fut décidé qu'on se serviroit pour cela de l'huile que ledit PERSILLON avoit dans une touque... "

et le pauvre PERSILLON, assurément plus gris que de raison, participa à la fête.

Situation difficile, à son réveil, le lendemain, lorsqu'il se retrouva sans huile avec sa touque vide ... Il alla tout aussitôt conter sa mésaventure à Me DUCASSE, Notaire local pour lui faire dresser un constat du piège dans lequel il était tombé. C'est que l'huile, dans nos campagnes était une denrée précieuse et passablement chère. Il fallait la faire venir de très loin, au plus près, du PERICORD, mais surtout de PROVENCE. 

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 PERSILLON avait la ferme intention de porter plainte, mais il n'est pas du tout certain qu'il ait pu convaincre un Juge de poursuivre et de condamner des compagnons de beuverie avec lesquels il avait aussi manifestement festoyé.

Un autre Budossais, en Mai 1786, devait faire les frais d'une autre aventure de cabaret, cette fois-ci, à SAUTERNES. Ici, l'affaire était plus grave car il s'agissait de lui faire signer un document important lui faisant renoncer à ses intérêts les plus évidents dans un litige qu'il avait en cours avec une Dame du lieu. Or ce papier, il le signa:

" dans la maison de Martin DESQUEYROUX, dit LAZARIN, cabaretier au Bourg de SAUTERNES chez lequel Jean BLANC, agent d'affaires de ladite Dame trouva le secret d'entraîner (l'intéressé) et que ce ne fût qu'après avoir vidé quantité de bouteilles de vin qu'un certain DUCLA dit PICHOT, du HAUT BOMMES, qui étoit de leur compagnie, dressa un chiffon de police entre le pot et le verre... "

On imagine très bien l'ambiance et la scène. Certes, le 6 Mai, la victime de ce coup monté va bien trouver Me DUFAU en son étude de PREIGNAC pour y dénoncer:

" ces prétendues conventions... (qui) ont été fabriquées dans un cabaret, écrites et rédigées de la main d'un homme processif et chicaneur s'il en fût jamais..."

mais il y a bien peu de chances pour qu'il ait pu se tirer de ce mauvais pas devant une juridiction très attachée à la forme et à la lettre comme pouvait l'être un Tribunal Seigneurial.

L'arnaque ne joue pas toujours sur l'ivresse. Il lui arrive de miser aussi sur la ruse et l'astuce.

Bernard BRUN, laboureur à BUDOS, avait vendu du bois, livrable à BARSAC, à un certain DREVOU, nouveau venu dans le pays où il était encore peu connu. BRUN livre son bois qui devait être payé comptant, et va trouver DREVOU qu'il rencontre au cabaret d'ILLATS le 3 Novembre 1774.

Il l'informe de la livraison et réclame son argent. Or DREVOU n'a pas cet argent, mais il va l'avoir bientôt dit-il et promet de venir l'apporter à BUDOS au domicile de BRUN le Lundi suivant 7 Novembre. Bernard BRUN n'est pas content parce qu'il ne connaît pas trop son client et se méfie un peu. Il manifeste nettement ce mécontentement :

" DREVOU, alors plus ingénieux, faisant l'homme de conséquence, fit semblant d'être fâché du soupçon que (BRUN) avait contre lui; alors, il entreprend des jurements et des blasphèmes et enfin il ajouta qu'il était mieux à même de satisfaire à ses obligations que (BRUN lui-même) aux siennes, (parce) qu'il jouissait d'une si mauvaise réputation dans le pays qu'il ne trouveroit nulle part une somme de 850 Livres à emprunter, (et sur cette affirmation) il lui proposa un défi de 30 Livres que, dans le courant de la journée, il ne (serait pas capable de trouver et de lui ramener) une pareille somme."

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Pourquoi 850 Livres ? Parce que c'était le prix du bois livré. Pourquoi aussi BRUN va-t-il accepter ce pari stupide alors qu'il lui suffisait d'exiger son argent en remettant le hâbleur à sa place ? C'est lui-même qui nous l'explique, disant qu'il:

" est forcé d'avouer ici qu'il fût d'autant plus sensible à une pareille insulte, surtout de la part d'un homme dont ignore l'origine, et nouvellement débarqué dans le pays, qu'il crût qu'il était de son honneur de déférer à son défi de 30 Livres, plus pour le convaincre de sa bonne réputation dont il jouit à juste titre que pour le satisfaire..."

DREVOU avait su trouver le point sensible et ce pauvre BRUN était tombé dans le piège.

Chacun consigne les 30 Livres du pari entre les mains d'Arnaud DUBOSQ, Maître Chirurgien à ILLATS qui se trouve là, et BRUN s'en va, en quête de ses 850 Livres. Il les trouve et revient à ILLATS chez DUBOSQ où est fixé le rendez-vous et où:

" dans l'après midi du même jour trois, il compta et réalisa... en présence dudit DRAVOU et de plusieurs autres personnes ladite somme de 850 Livres ce qui (confirmait) le gain du pari. Il était donc par conséquent naturel que... BRUN retirât les deux sommes de 30 Livres puisqu'i1 avait satisfait au défi. Au lieu de cela, DREVOU forma encore de nouveaux incidents en prétendant d'abord que (BRUN) était arrivé trop tard, que c'était dans le courant de la journée qu'il devait compter; que la journée commençait au lever du soleil et finissait au coucher, et que comme le soleil étoit couché (au moment où il présentait l'argent), il était non recevable, que par conséquent, lui DREVOU se trouvoit avoir gagné, mais que si (BRUN) vouloit profiter du sacrifice qu'il entendoit faire de ses trente Livres, il pouvoit le faire (car) il entendoit les manger en dépense, que déjà, il avoit convoqué (quatre amis) pour participer au festin jusqu'à consommation des trente Livres."

S'agissant d'un jour d'hiver où le soleil se couche à 16 h 30 cette interprétation restrictive du pari ne laissait évidemment pas beaucoup de chance à Jean BRUN qui avait dû, entre temps, faire le voyage de BUDOS aller retour. Il s'en rend compte, mais un peu tard :

" d'après une manoeuvre qui est sans doute aussi odieuse que condamnable (BRUN) comprit qu'il  étoit joué et que son meilleur parti étoit de retirer ses trente Livres; mais quelle fut sa surprise encore de voir que DREVOU s'y opposait en persistant toujours (à dire) qu'il vouloit les manger avec ses quatre acolytes."

Bernard BRUN ira donc trouver Me DUTAUZIN à LANDIRAS pour lui conter son infortune et lui demander d'aller sommer Arnaud DUBOSQ, le Chirurgien d'ILLATS de lui rendre ses trente Livres car il n'a toujours pas réalisé qu'elles étaient bel et bien perdues. Lorsque Me DUTAUZIN se présentera à son domicile, le 15 Novembre, DUBOSQ répondra :

" avoir remis lesdites sommes audit DEVROU (et) que, moyennant ( cette remise) il n'a (plus) rien en main appartenant audit BRUN."  

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Le tour était donc ainsi joué. Il ne restera plus à Bernard BRUN que la voie judiciaire pour récupérer éventuellement ses trente Livres dans un procès qui s'annonce plein d'incertitudes, et surtout pour obtenir les 850 Livres représentant le prix de son bois, que DEVROU n'a toujours pas payées. Cet aspect du procès, mieux argumenté, a de meilleures chances d'aboutir si du moins DEVROU était à même de faire face à ses engagements, ce qui restait, bien sûr, à démontrer.

Dans un tout autre domaine, nous allons maintenant découvrir les procès relatifs aux vices de construction et aux immeubles en péril. Ici aussi, il faudra choisir, nous limitant à évoquer quelques cas typiques.

Jean DUPRAT, menuisier au Bourg de VILLANDRAUT a commandé à Jean LAGEYRE, surnommé JEANTILLE de LAUCHET, Maître maçon à BUDOS, la construction d'une chambre attenante à une autre pièce de sa maison, jusqu'à une hauteur de 17 pieds ( environ 5 m,50) de terminer un couloir, de construire deux cheminées et de réaliser quelques autres travaux, le tout pour un montant de 120 Livres dont 60 comptant et le solde à la livraison, au plus tard à la Saint MARTIN, or:

" il n'a finy ladite chambre... qu'après le temps fixé et quoique DUPRAT eût couvert (cette) chambr .... la bâtisse, par son peu de solidité s'est affaissée, et par... dessus, toute la charpente et tuiles a croulé et s'est brisée, ce qui cause à (DUPRAT) des dommages... très considérables..."

Aussi va-t-il trouver Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, le 11 Mai 1760, pour sommer LAGEYRE de reconstruire cette maison et de terminer le travail convenu. On peut bien se douter que ce dernier ne montra pas beaucoup d'empressement à obtempérer. Le procès sera inévitable.

Sans aller jusqu'à des malfaçons aussi graves, il se rencontre de nombreux problèmes de délais d'exécution. Les artisans commencent plusieurs chantiers à la fois et n'ont pas les moyens de les poursuivre de front. Les choses traînent en longueur, le ton monte.

Guiraud TACHON, laboureur à BUDOS, celui-là même que nous avons déjà rencontré dans une affaire de dédit commercial, voulait faire construire une chambre et un étage contigüs à sa maison au quartier de JANOT BAYLE. Pour cela, au Carnaval de 1782, il s'adressa à Etienne CARDONNE dit FRERE, menuisier à BUDOS, au village de BLANCOT. Après discussion, il firent affaire pour la construction de ces deux pièces :

" celle de haut planchéiée et celle d'en bas carrelée, (avec obligation de) fournir la charpente, le toit, portes, ferrures, fenêtres, pierre de taille, moellons, chaux et sable et généralement tous les matériaux nécessaires à ladite construction et jusqu'à (son achèvement) et la clef à la main, (construction) que ledit CARDONNE devoit avoir achevé ... le jour de Saint ROMAIN... moyennant 141 Livres d'argent..."

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plus la différence entre une paire de belles vaches que TACHON cédait à CARDONNE en échange d'une paire de valeur moindre que CARDONNE devait lui remettre. Tout cela avait été réglé comme convenu. TACHON ne devait plus que six Livres formant garantie jusqu'à l'achèvement des travaux; les vaches étaient échangées, et tout serait allé pour le mieux si les travaux avaient été terminés... 

Or ils ne le sont pas. Nous sommes alors au mois d'Août 1783, la Saint ROMAIN est passée depuis plus de huit mois, et les sols ne sont toujours pas faits, ni en haut , ni en bas , la couverture n'est pas terminée, les cheminées attendent ainsi que les portes, les fenêtres sans parler bien sûr des finitions, en particulier le blanchissage, qui ne pourra intervenir qu'après livraison.

TACHON n'est pas content, il l'a dit et répété, sans succès. Le 11 Août 1783, il fait dresser un acte de sommation par Me SEURIN, Notaire à BARSAC et, pour mieux impressionner CARDONNE, il le fait signifier par Jean BEDOURET, le Bayle de la Juridiction de BUDOS. Sa maison devra être terminée

" dans le délai de huitaine pour le plus tard... sinon il poursuivra CARDONNE et le fera condamner."

D'une façon générale, les immeubles paraissent plutôt mal entretenus. Mais il faut se montrer très prudent dans une telle appréciation car, s'il y a des raisons évidentes de souligner le mauvais état d'une maison dont on a à se plaindre, il sera beaucoup plus rare d'avoir à se féliciter, dans un document officiel, de sa bonne apparence. Si les descriptions qui nous sont parvenues sont donc passablement pessimistes, il faudra néanmoins nous garder de conclure trop vite à un abandon général du patrimoine immobilier. 

On peut toutefois estimer que l'état général des maisons n'était pas des meilleurs. Un trop grand zèle dans leur entretien n'aurait d'ailleurs pas manqué d'attirer l'attention des répartiteurs de la Taille et les conséquences fiscales de cette ostentation n'auraient pas tardé à se manifester.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas rare de trouver ici ou là des maisons en très mauvais état et dont les occupants se plaignent à très juste titre, ce qui ne manque pas, à l'occasion, d'alimenter la chronique judiciaire locale.

La Dame Jeanne De MAILLET était la Veuve de Me Joseph CORRONAT, de son vivant Avocat au Parlement. Ils avaient leur domicile à BORDEAUX et disposaient d'une maison de campagne, au demeurant modeste, à BUDOS, au quartier du BATAN. Lors de son veuvage, la Dame De MAILLET s'était définitivement retirée à BUDOS dans cette maison dont son fils avait hérité, mais il devient de plus en plus évident qu'il s'en désintéresse et qu' il la laisse tomber en ruines. 

Sa Mère lui a bien demandé d'y faire quelques réparations puisqu'il lui doit expressément le gîte selon les dispositions testamentaires de son Père; mais cela a été peine perdue. Elle ne voit donc plus d'autre solution à sa détresse que de recourir aux voies de droit, ce qu'elle fait le 25 Juin 1785 , en demandant à Me SEURIN, de bien vouloir venir dresser un Procès Verbal de l'état de cet immeuble. Me SEURIN se présente donc au BATAN, et la Dame guide sa visite en lui montrant que:

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" les deux chambres de la maison qu'elle habite dans BUDOS, lieu appelé Au BATAN, délaissées par le... Sieur COURRONAT, menacent un écroulement prochain, fissures au levant et couchant de ladite maison, mais plus encore celle située au couchant dont les murs, sur les coins du nord et du midy contiennent des lézardes de haut en bas ; et le plancher vis à vis la cheminée soutenu par deux escorres (il s'agit de piquets de soutènement) sans lesquelles ledit plancher ne se serait pas soutenu jusqu'à p r é s e n t ; et (la fissure) située vers (le) levant (dont) le mur contient aussi une lézarde considérable et a besoin d'être recrépi presqu'entièrement; tous les contrevents et vitres de la maison ayant besoin d'être refaits; la Dame... nous a fait aussy remarquer que le four de ladite maison avoit besoin… de réparations ainsy que le portail de la cour, de même que la charpente qui a besoin d'être réparée, bien des chevrons étant pourris, et besoin (aussi) d'être recouverte, y pleuvant en plusieurs endroits..."

Le tableau est plutôt sombre, au point que l'on ne voit pas très bien ce qu'il peut rester de sain dans cette construction. On comprend dès lors un peu mieux l'intention affichée de la Dame De MAILLET de plaider contre son fils. En tous cas, elle a pris de sérieuses précautions car, pour donner plus de poids à son Procès Verbal, elle a pris pour l'un de ses témoins Me Bernard PENICAUD, le propre Procureur d'Offices de la Juridiction de BUDOS. De quoi faire réfléchir son fils récalcitrant si, du moins, il a les moyens de faire réparer cette ruine.  

Procès en réintégrande:

Nous avons déjà eu, incidemment, l'occasion d'évoquer la procédure de réintégrande. C'était dans l'affaire qui opposait FERRAN et RICAUD au sujet d'un passage pour accéder à un pré. De quoi s'agit-il donc ?

La réintégrande est un acte déclaratif qui peut intervenir soit avant un procès, soit pendant ( si l'on voit qu'il tourne mal pour en interrompre le cours, soit à son issue après condamnation, et par lequel une personne réintègre une autre personne dans la possession et l'usage d'un droit qui lui avait été un moment contesté. Dans l'exemple que nous avons rencontré, FERRAN a réintégré RICAUD dans le droit de passer dans son pré.

Les actes de réintégrande foisonnent. Ils sont, en particulier très fréquents en matière de servitude de passage, Mais concernent également, à l'occasion d'autres troubles de jouissance. Certaines de ces affaires sont importantes et sérieusement motivées, d'autres nous paraissent parfaitement futi1es. Toutes sont néanmoins traitées avec un grand luxe de détails dans des documents interminables qui, manifestement, se complaisent dans la solennité et la redondance.

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Antoine COUTURES, dit COUTUROT possédait deux pièces de terre en labour à AMBONS, proches du TURSAN dans le bas BUDOS. Pierre CAUBIT, laboureur à LANDIRAS est indûment passé et repassé à travers ces pièces " avec bœufs et charrettes". Le moment est venu où COUTURES en a eu assez. Le voilà qui s'apprête " à en porter sa plainte ". Des amis préviennent CAUBIT de cette très prochaine démarche et de l'imminence du procès qui va s'ensuivre. Or, CAUBIT sait bien que sa cause est mauvaise, aussi prend-il les devants vis à vis de COUTURES:

" prévenu par certains amis et voulant absolument éviter tous moyens de procès qui ne pourroit que tourner contre ses intérêts par la force de la légitime propriété (qu'il reconnaît à) COUTURES sur (ces) deux pièces..."

il lui adresse un acte de réintégrande le 28 Novembre 1769 par le ministère de Me DUTAUZIN, acte par lequel il :

" renonce à repasser à l'avenir dans lesdites pièces, reconnaissant n'avoir aucune espèce de passage dans icelles."

Ce cas est tout simple, tout comme celui qui oppose la Veuve DEGENSAC à un laboureur qui était allé couper de la bruyère sur sa lande. Elle porta plainte et le coupable vit bien que son procès était mal engagé. Le 21 Janvier 1781, par le ministère de Me DUCASSE, il lui fit savoir qu'il était prêt à réparer et:

" l'a priée de vouloir luy pardonner et de recevoir de luy tant un acte de réintégrande qu'il étoit prêt à luy faire à chaque instant, que tous les autres dédommagements."

Plus grave, tout au moins dans ses suite et conséquences, est l'affaire qui va opposer Bernard SOUBES, laboureur à BUDOS et François DUTRENIT, dit GEROME, laboureur à LANDIRAS. Affaire dont le fond est plutôt dérisoire.

Dans la matinée du 17 Février 1780, Bernard SOUBES dit POUYANNE a:

" d'un propos délibéré et sans réflexion, coupé et châtré une haie de jeunes aubépins plantée depuis quelques année par... DUTRENIT dans une de ses pièces de terre et vigne située dans ladite paroisse de BUDOS (au) lieu appelé ANDRIVET, sur (une distance) de 63 pas de long sur un pas (de large)... de manière que par cette entreprise inconsidérée, ledit SOUBES, dit POUYANNE, en troublant ledit DUTRENIT (dans) sa possession, a porté... le préjudice le plus sensible sur... sa haie."

Le fond du litige porte donc sur la coupe de 63 pas carrés ( environ 46 m' ) de buissons d'aubépine; c'est donc un incident qui aurait pu être tout à fait mineur. Ce n'est pourtant pas du tout l'avis de DUTRENIT qui monte à partir de là toute une affaire dont il va tirer 100 Livres de dommages et intérêts ( le prix de quatre vaches laitières...). Cent Livres qu'il va exiger de Bernard SOUBES:

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" pour luy tenir lieu de dommages et intérêts pour (le) préjudice par luy porté à (cette) haie, (plus) le présent acte pour luy tenir lieu de réintégrande (après) le trouble commis (à l'encontre de) sa possession tranquille… avec promesse de ne jamais plus l'inquiéter ni troubler, non seulement dans le lieu dont (il est ici) question... mais encore dans ( aucun ) autre lieu quelconque, et convenant… ledit SOUBES... (qu'il) n'a aucune espèce de droit sur les fonds dont il s'agit... etc... etc... "

Et il y a ainsi deux pages et demie de papier timbré disant et répétant sous diverses formes toute l'étendue du crime que SOUBES a ainsi perpétré en cette malheureuse matinée d'hiver où il a taillé une quarantaine de mètres carrés d'aubépines. Ces excès de plume porteraient plutôt à sourire s'il n'y avait pas les cent Livres à la clé, cent Livres qu'il faut évidemment majorer des divers frais d'actes et d'enregistrement, le tout pouvant se situer, dommages et frais cumulés aux environs de 120 à 125 Livres. 

Peut-être y avait-il d'autres motifs de dissension entre les deux parties, auquel cas cette modeste affaire aurait pu servir de prétexte à régler d'autres comptes. Rien ne permet cependant d'en étayer l'hypothèse et nous ne pouvons nous en tenir qu'aux faits bruts, tels qu'ils nous ont été rapportés.

Plus complexe, à coup sûr, est le litige qui opposa Raymond LACASSAGNE à la Dame LUCBERT car il se terminera, du moins dans l'instant, sur une réintégrande " provisoire " dont on ne saisit pas très bien la justification. Mais voyons plutôt le déroulement de l'affaire.

Raymond LACASSAGNE dit PEYTOT était laboureur au quartier de LA PEYROUSE. Il estimait avoir droit à un passage avec boeufs et charrette pour desservir un pré qu'il possédait au lieudit de LA FONTASSE, près de MARGES. Ce passage était établi sur un fond appartenant, en indivision, à la Dame LUCBERT, Veuve de Joseph COUTURE, et à son fils. Or, les COUTURES s'étaient;

" imaginé d'y faire un fossé, ce qui intercepte le passage dudit (LACASSAGNE) pour desservir son... pré."

Il somme donc les intéressés " d'abattre et aplanir ledit fossé" et de le réintégrer dans son droit, sinon il les attaquera en Justice sans plus tarder.

Le Notaire n'aura pas grand parcours à effectuer pour aller signifier son acte à la Dame LUCBERT car, habitant également LA PEYROUSE, elle était voisine de LACASSAGNE.

Et maintenant, que va-t-il se passer ? Si la Dame LUCBERT estime être en faute, elle va faire combler un passage en travers du fossé, et adresser un acte de réintégrande à LACASSAGNE; l'affaire n'ira pas plus loin. Si elle estime au contraire être dans son bon droit, elle va laisser son fossé en l'état, et, ne répondant pas à LACASSAGNE, elle attendra d'être citée en Justice où elle défendra sa cause. Or elle ne fait ni l'un, ni l'autre, et c'est ici que l'affaire devient surprenante.

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Nous sommes le 16 Juin 1777, elle accueille le Notaire et prend connaissance de son acte ( car elle sait lire, ce qui n'est pas tellement courant pour une femme, à BUDOS, à cette époque.) Puis elle va donner sa réponse à Me BAYLE en le priant de bien vouloir l'enregistrer sur le champ," dans sa maison".

Elle s'étonne tout d'abord de la prétention de LACASSAGNE,, nais ajoute aussitôt qu'elle va faire combler le fossé sans tarder :

" avec (son) consentement qu'il y passe et repasse jusqu'à ce que, par Justice, (cela) luy ait été prohibé."

car elle se réserve formellement le droit de contester le fond de l'affaire et annonce que c'est elle qui va porter le litige devant le Tribunal de BUDOS et y faire comparaître LACASSAGNE:

" pour luy faire produire le droit de propriété dudit passage."

Une nouvelle fois, elle affirme son bon droit à interdire ce passage en :

" ajoutant qu'elle va, dans l'instant, faire aplanir ledit fossé."

Et elle signe: Vve COUTURES, car elle sait aussi écrire ...

L'affaire en reste là. Nous ne saurons donc pas quelle aura pu être la tactique de la Dame LUCBERT qui manie si bien la carotte et le bâton. Il semble bien que le procès se soit engagé car on ne retrouve aucune trace de transaction amiable ultérieure entre les deux parties dans les minutes d'aucun des Notaires des environs. On ne peut évidemment tenir cette absence pour une preuve, mais tout au plus pour une indication. 

Peut-être après tout, LACASSAGNE se sera-t-il laissé impressionner par la détermination de la Dame, car il était bien rare que l'on disposât d'un titre en bonne et due forme prouvant un droit de passage; on faisait appel en pareil cas aux témoignages des plus anciens pour apporter la preuve que l'on usait de ce droit, sans contestation, depuis des " temps immémoriaux ". 

Lorsque le passage se situait dans un endroit fréquenté, et surtout s'il était pratiqué par plusieurs bénéficiaires, la démonstration était relativement aisée; mais s'il se situait, comme c'était ici le cas au bout d'un pré dans un coin isolé de campagne, l'administration de la preuve devenait beaucoup plus difficile et même aléatoire. Quoi qu'il en soit nous devrons nous résoudre à ignorer l'issue de cette affaire.

Nous avons jusqu'ici rapporté des exemples de réintégrandes plutôt conciliantes il, ils sont assez nombreux. Mais il arrive parfois que les choses s'enveniment et prennent une autre tournure.

François DUTRENIT, dit GEROME  (toujours avec un G) laboureur à LANDIRAS, nous est déjà connu. Nous venons de le voir estimer sa haie d'aubépines à bon prix … C'est un personnage assez remuant ainsi que l'on va pouvoir en juger dans cette nouvelle anecdote.

 

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Il était propriétaire de quelques pièces de terre desservies par lechemin qui  remonte du quartier de PERRON vers la lande ce chemin existe toujours et il s'était mis en tête de s'approprier cette voie de communication. C'est aussitôt un tollé chez les autres riverains ainsi que chez les habitants du bas BUDOS, des quartiers de PERON, du CARPIA et autres lieux qui ont besoin de cheminer vers la lande et vers BALIZAC. C'est leur voie d'accès normale et il n'est pas question de la voir interdire par une appropriation intempestive.

DARCOS et PERROY, propriétaires riverains, appuyés par une longue liste de Budossais en ont :

" porté leur plainte en réintégrande et requis le transport du Sieur Juge de BUDOS , (et) sur (cette) procédure il ( est ) intervenu une sentence au siège (du Tribunal) de BUDOS le 13 Février 1775, qui condamne ledit François DUTRENIT à rétablir le chemin et (à) leur faire la réintégrande dans (les) trois jours; le condamne en outre (à) douze Livres de dommages et intérêts et aux dépens..."

DUTRENIT ne se tient pas pour battu. il fait appel de cette sentence et pousse l'affaire d'abord en la Cour Présidiale du Sénéchal, puis jusqu'au Parlement de BORDEAUX. Il y a plus d'un an que cela dure. Mais entre temps, les choses se sont compliquées car Jean DUTRENIT dit CADET, un fils de François, a pris la liberté coupable de rosser DARCOS et sa femme, Marie CASTAIGNET. Ils sont très mécontents, on le serait à moins. Les voilà donc qui vont porter plainte en demandant:

" de faire informer contre ledit Jean DUTRENIT devant le même Juge de BUDOS."

La formule " faire informer est propre à l'instance criminelle, et c'est bien à ce titre que l'agresseur comparait devant le Tribunal. Il y a donc désormais deux affaires, l'une, criminelle, à BUDOS, pour coups et blessures impliquant le Fils, et l'autre, civile, devant le Parlement, sur l'appropriation du chemin et impliquant le Père. Cela commençait à faire beaucoup pour une même famille.

Vient tout de même un moment où les DUTRENIT finissent par comprendre que tout cela est en passe de très mal tourner pour eux. Ils veulent donc arrêter les frais et cherchent une issue avant d'essuyer d'autres condamnations:

" ils ont, par la médiation d'une personne de considération, fait arrêter et suspendre leurs poursuites et finir et assoupir l'une et l'autre desdites deux affaires."

Il n'est pas précisé quelle est la " personne de considération". Elle n'apparaît nulle part dans les documents. Ce pourrait être le Curé de LANDIRAS, ou celui de BUDOS, ou même peut-être le Seigneur, en tous cas un Notable ayant assez d'autorité pour calmer le jeu.

Le 27 Mars 1776, dans l'après midi, les DUTRENIT, DARCOS, PERROY et tous les Budossais concernés ( ce qui fait pas mal de monde ), se retrouvent à PUJOLS dans l'Etude de Me BAYLE. DUTRENIT a déjà rétabli le chemin dans son état primitif. Il va maintenant, par acte notarié, réintégrer les intéressés dans leur droit d'y passer :

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" avec boeufs et charette, à pied, à cheval, brebis et autre bétail quelconque, avec pouvoir et permission d'y passer et repasser à toutes les heures et à leur plaisir et volonté."

Tout ceci est conforme à la première décision du Juge de BUDOS, mais à travers la redondance des termes, on sent bien la volonté des Budossais de se prémunir contre de nouvelles tentatives du perturbateur.

Quant au procès criminel, les deux parties décident de se mettre " hors de Cour ", à charge, pour les DUTRENIT, de régler les frais et dépens.

Au total, le montant à régler, fixé par le médiateur ( qui ne participe pas à la rencontre ), s'élève à 231 Livres et 15 sols, pour solde de tous comptes, savoir: les frais de la réintégrande, les frais du procès criminel jusqu'au moment où il a été suspendu, ceux du procès devant le Parlement, dans les même conditions et

" y compris les pansements et médicaments du chirurgien..."

appelé par les époux DARCOS après avoir été agressés, ces derniers frais, à eux seuls s'élevant à 71 Livres et 15 sols. Le tout payé sur le champ par le Père DUTRENIT en 38 écus d'argent de 6 Livres chaque, un écu de 3 Livres et 15 sols de monnaie.

Pour en terminer avec les actions en réintégrande, on pourrait encore évoquer l'affaire qui opposa François BATAILLEY à Pierre CASTAIGNET en 1787; mais il faudra beaucoup la simplifier car elle a connu beaucoup de rebondissements.

François BATAILLEY, dit CAMPAN et Pierre CASTAIGNET étaient voisins au village des MAROTS. Ils vivaient en bonne intelligence. CASTAIGNET était propriétaire des bâtiments situés dans la partie sud-ouest du carrefour des routes de LANDIRAS et de LA PEYROUSE (ils existent encore ). Au sud de ces constructions s'ouvrait un passage donnant accès à la maison de BATAILLEY et ce passage lui appartenait en propre. Un peu plus au sud encore, se trouvait une " chambre " dans laquelle CASTAIGNET entreposait ses pailles. 

Pour accéder à cette chambre, il était beaucoup plus court de couper droit à travers le chemin de BATAILLEY que de faire le tour du pâté de maisons en empruntant la route. Sur sa demande, BATAILLEY avait autorisé CASTAIGNET à passer chez lui. Or, à la fin Août 1787, tandis que l'on dépiquait les seigles chez CASTAIGNET, ses ouvriers passaient et repassaient chez BATAILLEY, en vertu de son autorisation, pour aller engranger la paille dans la " chambre ". Mais:

" les gens employés à cela se (sont) amuzés à dépouiller un pommier quy se trouve sur ledit passage et (sont) même allés jusqu'à maltraiter un des enfants de (BATAILLEY) qui (a) voulu s'y oppozer, ce quy l'engagea à s'oppozer lui même audit passage, ayant à cet effet fermé la claie quy est à l'entrée."

Toute l'affaire est partie de là, et c'est aussi à partir de là qu'il nous faut beaucoup résumer. CASTAIGNET n'hésite pas un instant, il porte plainte en réintégrande. BATAILLEY fait tout aussitôt observer qu'il avait, certes donné une

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autorisation, mais qu'elle était précaire et n'ouvrait aucun droit. Il ajoute qu'au surplus, il aurait pu, lui aussi porter plainte pour le vol de ses pommes et les mauvais traitements infligés à son fi1s. Peine perdue, la plainte suit son cours. BATAILLEY qui vivait en bon terme avec son voisin, ne veut pas de ce procès. 

Conciliant, il va même proposer à CASTAGNET de lui donner 12 Livres pour le dédommager des frais de Justice qu'il a engagés jusqu'à l'heure et d'en rester là. Encore peine perdue, CASTAGNET refuse les 12 Livres et veut absolument son procès. C'est alors que BATAILLEY finit par en avoir assez et annonce que lui aussi va se pourvoir en Justice pour défendre son droit, etc... etc... 

Il n'est pas sûr que cette affaire ait été terminée au moment où le Tribunal de BUDOS a été supprimé... Mais le résultat le plus clair de ces affrontements est bien que deux familles voisines qui avaient vécu jusque là côte à côte sans problème se sont tout à coup retrouvées ennemies, et peut-être pour des générations.

 

Compétences criminelles du tribunal de Budos:

Pour aussi considérable qu'ait pu être l'activité civile du Tribunal, elle ne saurait faire oublier celle qu'il exerçait en matière " criminelle ".

Criminelle est d'ailleurs un bien grand mot, car l'essentiel des crimes et délits avait, au fil du temps, ainsi que nous l'avons déjà dit, échappé aux Tribunaux Seigneuriaux au profit des Juridictions royales.

Mais les affaires de diffamation, de rixes et, plus généralement de police, suffisaient largement à alimenter le rôle du Tribunal local. Beaucoup plus que les " cas royaux ", elles jaillissent tout droit de la vie quotidienne du Village comme d'une source intarissable.

 

Les cas royaux:

Si nous avons très peu d'indications quant à la fréquence des cas royaux, on peut tout de même dire que, sur les trente années qui se sont écoulées de 1760 à 1789, on ne recense aucun meurtre à BUDOS. S'il y en avait eu, nous l'aurions su par les Registres Paroissiaux. Quelques rares décès ont été enregistrés des suites " d'un accident funeste ", ou, plus rarement encore, avec mention d'une enquête judiciaire ( c'est le cas des noyades), mais aucun d'entre eux ne semble pouvoir être attribué à un geste criminel.

Il en allait tout autrement en d'autres paroisses telles qu'ORIGNE, St LEGER, St SYMPHORIEN, BOURIDEYS, où, à peu près dans le même temps on peut recenser plusieurs crimes.

De même, la prison seigneuriale, qui se trouvait au Château, ne semble pas avoir été très fréquentée. Moins en tous cas que celles de LANDIRAS, NOAILLAN ou St LEGER. A la vérité, les documents qui nous sont parvenus ne font état que de deux incarcérations. 

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Celle de deux pauvres bougres en Mars 1771 qu'il fallut bien ensuite reconnaître innocents du vol dont on les accusaient ( nous retrouverons leur aventure un peu plus loin) et celle du dénommé PERROY, dit LATESTERE, surpris en flagrant délit de vol de cuisses d'oie dans la maison de Michel LANTRES à PAULIN, mais c'était le 11 Floréal de l'An II de la République ( 30 Avril 1794 ) et il y avait plus de trois ans qu'il n'y avait plus ni Tribunal ni Seigneur à BUDOS...

  Est-ce à dire qu'il n'y en a pas eu d'autres ? Certainement pas, car les menaces de " prise de corps " étaient relativement fréquentes et un certain nombre à bien dû aboutir à une arrestation. En ce cas là, le présumé coupable était " saisi au corps " , et conduit à la prison " sous bonne et sure garde " pour y être remis au geôlier, lequel répondait désormais de sa garde sur sa propre personne. Ce n'était d'ailleurs pas une sinécure, car de nombreuses évasions sont signalées à LANDIRAS, à PRECHAC, à St LEGER, etc.... toujours au grand dam du pauvre geôlier qui avait bien du mal à se disculper et devait apporter maintes preuves de sa vigilance.

Tout ce que nous pouvons raisonnablement dire, au regard des documents qui nous sont parvenus, c'est que la prison de BUDOS ne semble pas avoir connu une fréquentation démesurée.

 

Délits de chasse et de pêche: 

  La chasse et la pêche constituaient un privilège strictement réservé au Seigneur. Tout acte de chasse ou de pêche était qualifié de braconnage, et, à ce titre, faisait l'objet de sévères amendes prononcées par le Juge local sur les réquisitions du Procureur d'Office.

Il y avait toujours un Garde Chasse dans le personnel d'un Château. Il avait pour mission de constater les infractions éventuelles et de les signaler à la Justice. A BUDOS, le Seigneur avait tendance à le recruter dans des contrées réputées " lointaines " , afin de diminuer les risques de complicité ou de collusion avec les habitants du lieu. 

C'est ainsi qu'ABEL, l'un d'entre eux, venait, semble-t-il du PERIGORD. Mais il était " étranger " au point que nul, dans le Village, ne connaissait son nom. Et quand il vint à mourir, le Curé lui-même l'enterra sous son seul prénom d'ABEL sans autre idée de recherche.

Le recrutement et l'intronisation d'un Garde Chasse était pourtant chose importante. Le détail de la Réception de Bernard DAUDINE, en 1771, à BUDOS, est parvenu jusqu'à nous.

Nous sommes le 16 Septembre 1771, à l'audience ordinaire du Tribunal, le Procureur d'Office s'adresse au Juge et l'informe officiellement que le dénommé Bernard DAUDINE a reçu du Seigneur, la veille, des " Lettres de Provision " qui le nomment :

" Bayle Garde des Bois et Chasse dans les terres dépendantes de la présente Juridiction.."

Il se porte garant de sa bonne vie et moeurs et demande 

" qu'il soit reçu à prêter serment en ladite qualité"

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Le Juge enregistre sa nomination et lui délivre une Commission :

" signée et scellée du sceau des armes (du Seigneur) sur cire ardente noire ".

L'intéressé prête alors serment, et, à Dieu,  

" a promis et déclaré, moyennant son serment de bien et fidèlement exercer ledit état et se conformer aux Ordonnances et Règlements du présent siège. "

Nous ne disposons pas de documents relatifs à des délits de chasse, mais c'est uniquement parce que les archives du Tribunal de BUDOS sont pour la plupart perdues. Les nombreuses affaires instruites par les Tribunaux de la région, à LANDIRAS, à NOÀILLAN, à St LECER, donne à penser que les infractions à la prohibition de la chasse devait être nombreuses. Les Budossais ne devait le céder en rien à leurs voisins. 

Et d'ailleurs, si le hasard a voulu que rien ne nous parvienne de ces affaires de chasse, il n'en va pas de même avec la pêche sur laquelle nous sommes mieux renseignés. Et ce que nous découvrons en ce domaine montre bien que le braconnage, dans le Village, était devenu quasiment institutionnel.

De même que la chasse, toute pêche était rigoureusement prohibée. Elle ne pouvait s'exercer qu'au bénéfice du seul Seigneur. Mais il fallait le rappeler souvent pour en persuader les Budossais...

Ainsi, le premier Mars 1784, en fin de l'audience qui venait de se tenir au Tribunal, Bernard PENICAUD, Procureur d'Office, prit la parole, et s'adressant à Me Germain DEGENSAC, Juge,

" a dit que le droit de pêche des rivières non navigables et de tous les ruisseaux qui coulent dans la Juridiction appartiennent au Seigneur de BUDOS. Ledit Seigneur a même un étang naturel dans ses fonds, qui prend sa source dans la fontaine de FONBANE (cet étang a disparu en 1887 lors du captage des sources par la Ville de BORDEAUX), qui se conduit en grande partie dans la rivière du CIRON, l'autre qui va s'écouler dans le ruisseau du TURSAN qui sépare la Seigneurie de la Paroisse de PUJOLS. Ledit étang et ruisseaux... jadis très fertiles en poissons (en) sont aujourd'hui presque dépourvus par (la faute) des particuliers qui habitent les bordures desdits étang et ruisseaux (et) qui... y font la pêche, journellement, la nuit et le jour, comme s'ils y avaient droit. (Or, il est interdit d'y pêcher)" même à la ligne, à la main ou au panier et filets".

Et comme il ne veut prendre personne par surprise, avant de lancer une campagne de répression, le Procureur d'Office demande au Juge de prendre un " appointement " (une décision) qui sera lu et publié à la sortie de la Messe et affiché à la porte de l'Eglise afin que nul n'en ignore. C'est ce que lui accorde le Juge, en précisant qu'en cas d'infraction l'amende serait fixée à 30 Livres " et de plus grande peine en cas de récidive". C'est bien ce qui fut fait, par le Bayle Seigneurial, le Dimanche 7 Mars suivant. Les privilèges de la chasse et de la pêche furent abolis le 4 Août 1789.

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Les pouvoirs de police: 

Les pouvoirs de Police des Justices Seigneuriales étaient très étendus et s'appliquaient à tous les aspects de la vie quotidienne du Village.

Cette Justice était d'abord chargée de veiller à une bonne application des Ordonnances Royales sur le territoire de la Seigneurie qui, ici, ainsi que nous l'avons déjà vu, se confondait avec celui de la Paroisse. A ce titre, elle détenait donc une fraction du Pouvoir Exécutif central.

Elle  devait également veiller à faire respecter la prohibition de tous les jeux de hasard, l'interdiction de travailler les Dimanches et Fêtes ( et celles-ci étaient fort nombreuses ... ), de veiller aussi à la bonne tenue des cabarets, à l'exactitude des poids et des mesures, à la Police de la voirie et des chemins, etc... etc… 

Cette énumération ne laisse pas d'être impressionnante, mais à BUDOS, comme en bien d'autres endroits, le Juge ne disposait pour surveiller tout cela que du Bayle de son Tribunal, seul et unique agent du pouvoir seigneurial pour les affaires générales ( le garde-chasse ayant cependant, de son côté, des fonctions très spécifiques ). La faiblesse des moyens disponibles modérait donc considérablement, dans les faits, la rigueur de cette Police.

Nous allons successivement examiner quelques uns des domaines d'application de ces pouvoirs.

 

Police des cabarets,

 rixes et voies de faits.

Le cadre général de la réglementation applicable aux cabarets était fourni par le Pouvoir Central. Dans la pratique, les Juridictions locales en trouvaient l'essentiel dans les Arrêts et Ordonnances du Parlement de BORDEAUX. Mais sur ce fond commun, chaque Juridiction établissait ses propres règles d'application, et elles étaient plus ou moins libérales selon l'humeur et l'appréciation des Officiers locaux.

Les cabarets devaient s'abstenir de vendre du vin ( or, il ne vendaient que cela ) et fermer leurs portes, les Dimanches et Fêtes, pendant la durée des " Offices Divins "; entendons par là, pendant les Messes et les Vêpres. Cette disposition avait au moins le mérite d'être claire et n'était susceptible d'aucune interprétation. Mais il était également interdit de vendre du vin " la nuit ". Et là, chaque Juge décidait des heures selon son bon plaisir. A NOAILLAN, par exemple, on était plutôt libéral, la nuit commençait à neuf heure du soir en hiver et à dix heures l'été. 

A VILLANDRAUT, c'était à l'Angélus du soir, à sept heures. Mais que dire de BUDOS où la nuit commençait à six heures du soir en hiver et à neuf heures en été. Que l'on imagine un peu ce que pouvait être un Dimanche d'hiver avec une matinée coupée par deux Messe, un après-midi interrompu de trois à quatre pendant les Vêpres et une fermeture à six heures... Il fallait vraiment avoir soif à des moments bien précis... Et d'ailleurs, comment savoir quand il était six heures ?

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Passe encore à NOAILLAN qui disposait d'une horloge publique, laquelle, de surcroît, sonnait, mais c'était bien la seule du pays. Alors là aussi, on s'en remettait à quelques mesures locales, parfois très astucieuses. C'est ainsi qu'à LEOGEATS, le Sacristain, à l'heure dite, devait se rendre chaque soir à l'Eglise et y sonner vingt coups de cloche, et en cas de contravention infligée à un cabaretier pour fermeture tardive, on lui reversait le tiers du montant de l'amende ( les deux autres tiers se partageant entre le Seigneur et les pauvres de la Paroisse). 

C'était une disposition motivante… A BUDOS, rien de cela, mais on devait pouvoir faire confiance à la vigilance de Me PENICAUD, Procureur d'Office, qui était précisément chargé de poursuivre ces infractions et dont la maison se situait sur la Place publique... Restaient évidemment les cabarets situés dans les Quartiers extérieurs, moins faciles à surveiller, et ils étaient nombreux. Il fallait compter aussi avec le montant des amendes. 

A VILLANDRAUT, à l'origine, elles étaient de 10 Livres; on s'aperçut qu'elles étaient insuffisantes, on en porta le taux à 25 Livres. A NOAILLAN et LEOGEATS, le taux était progressif avec 10 Livres à la première contravention, 20 à la seconde, et 30, assortie de la fermeture de l'établissement à la troisième. 

Et ici encore, BUDOS se distingue car le montant des amendes, prix unique, était fixé à 200 Livres Et pour arranger les choses et mettre un peu d'ambiance dans le Village, il était prévu d'en reverser la moitié au dénonciateur… Le tout sans préjudice, en cas de récidive, " de plus grandes paines sy le cas y échoit " comme le prévoit l'Ordonnance du Juge qui fut publiquement lue et affichée à la porte de l'Eglise St ROMAIN à la sortie de la Messe du Dimanche 11 Mars 1787, deux ans avant le début de la Révolution. 

Celle-ci survenue, d'autres autorités prendront des mesures identiques pour fermer ces malheureux cabarets pendant que se dérouleront les Offices dédiés à l'Etre Suprême dans le Temple de la Raison...

Il faut dire que ces cabarets constituaient des sources de désordres assez considérables et que nos Ancêtres ne s'y conduisaient pas toujours selon les meilleurs principes de l'urbanité. Quand le soir survenait, de nombreuses soifs ayant été étanchées jusqu'à l'excès, le ton montait et les rixes étaient fréquentes. 

Des rixes, parfois sérieuses, qui trouvaient leur épilogue très précisément devant le Tribunal, devant les mêmes Officiers responsables du maintien de l'ordre. De très nombreux procès en résultèrent. Et lorsqu'il n'ont pas été interrompus à temps par quelqu'intervenant raisonnable, ils ont souvent conduit à de véritables désastres financiers dans bien des familles.

Il se trouve que les affaires qui nous sont parvenues à BUDOS ont toutes fait l'objet de transaction, nais ceci ne préjuge en rien du cas général. S'il en est ainsi, c'est tout simplement parce que les Notaires ont conservé les documents relatifs aux sentences arbitrales tandis que les archives pénales du Tribunal étaient en grande partie détruites. On ne peut fonder aucun raisonnement sur l'observation statistique des documents qui nous sont parvenus.  

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Quoi qu'il en soit, ces transactions nous fournissent de précieuses indications par le niveau auquel se situent les réparations dont il est convenu. Il est parfois considérable. Or, si quelqu'un accepte de payer jusqu'à plusieurs centaines de Livres de dommages et de frais pour arrêter une affaire en cours, c'est bien parce qu'il y voit un moindre mal et qu'il redoute, au terme naturel de l'instance de voir la facture atteindre un montant encore plus élevé. 

Ceci nous confirme donc bien dans l'opinion, recoupée de diverses sources que ces procès se révélaient particulièrement ruineux pour ceux qui succombaient. Il n'est donc pas anormal que les Officiers en charge des intérêts économiques et sociaux de la communauté villageoise aient réagi de façon parfois excessive dans la rédaction de leurs règlements de Police.

A la vérité, on se battait passablement, et pas seulement dans les cabarets ou à leurs portes. Nous rapporterons trois exemples de ces affrontements choisis, à dessein, sur des niveaux d'importance différents.

Dans la soirée du 19 Mai 1780, c'était un Vendredi, Jacques SOUBIRAN, charpentier de haute futaie à BUDOS et Jean LACASSAGNE, laboureur à LANDIRAS, revenaient d'ORIGNE. Tout en marchant, au cours de la traversée du POUY, ils devisaient. Mais ils ne tenaient pas là de simples propos en l'air, car LACASSAGNE prétendait tout bonnement être le créancier de SOUBIRAN, ce que celui-ci contestait avec vigueur. 

De fil en aiguille , le ton monta et ils en vinrent aux mains. Ils étaient encore pour lors sur le territoire de la Paroisse de BALIZAC, et ce détail a son importance car le procès qui s'ensuivit entrait de ce fait, dans la compétence de la Juridiction de CASTELNAU de CERNES, sur la Paroisse de St LECER. Chacun porta sa plainte contre l'autre. SOUBIRAN, qui parait avoir été le plus touché, avait pris la précaution de se faire examiner par un chirurgien qui déposa son rapport auprès du Juge de CASTELNAU. 

Le temps de la réflexion étant venu , les deux antagonistes se prirent à penser que poursuivre un procès l'un contre l'autre à CASTELNAU comportait assurément plus d'inconvénients que d'avantages; ne serait-ce qu'au regard du temps perdu, avec cinq bonnes heures de marche à pied, aller-retour pour répondre à chacune des convocations du Juge. Ils en vinrent donc à se rapprocher, et finirent par se retrouver, le 11 Juin suivant devant Me DUCASSE, Notaire à LANDIRAS, et là, ils racontèrent d'abord leur histoire, exposant:

" qu'en revenant de la Paroisse d'ORIGNE, ils eurent entre eux une dispute... qui les engagea l'un et l'autre dans des propos irraisonnables et à se prendre mutuellement et à s'entrechoquer ensemble jusqu'à (se donner) l'un à l'autre différents coups de poing sur chaque partie de leur corps, ils prétendirent avoir également été blessés et, sur ce fondement, ils (ont) porté leur plainte respective suivie (chacune) d'une information devant Monsieur le Juge de la Juridiction de CASTELNAU de CERNES dans le ressort de laquelle Juridiction la dispute avoit été soulevée."

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Ensuite de quoi, ils finissent par s'accorder, et LACASSAIGNE qui se dit " ennemy juré de tout procès ",accepte de régler 36 Livres à SOUBIRAN, pour solde de tous comptes, chacun faisant son affaire des autres frais déjà engagés de son fait ( procédure, chirurgien, etc…). Moyennant quoi, les deux parties se mettent réciproquement " hors de Cour " .

Voila donc une affaire qui se termine bien et à petit prix; c'est presque un modèle du genre.

La seconde anecdote concerne François BATAILLEY. Nous le connaissons déjà pour l'avoir déjà rencontré à l'occasion d'une action en réintégrande sur un droit de passage au Quartier des MAROTS. Or donc, François BATAILLEY, le jour de la SAINT JEAN de 1785, jour de Fête chômé, se prit de querelle avec Laurent CAPDEVILLE, Garde Chasse du Baron. Ils en vinrent aux mains, et CAPDEVILLE maltraité, porta plainte devant le Juge de BUDOS. 

L'affaire fut prise très au sérieux. Après instruction, BATAILLEY était en passe d'être décrété de prise de corps ", et au début de 1786," le procès estoit a même de se juger ". Inquiet, BATAILLEY va s'efforcer d'arrêter l'instance avant d'en arriver à cette extrémité. Il entre alors en négociation, et finit par retrouver Laurent CAPDEVILLE chez Me BAYLE, dans l'après midi du 6 Février 1786. 

Bien que l'acte notarié n'en dise rien, il se pourrait bien que Jean BEDOURET, Bayle de BUDOS, ait été l'artisan de ce rapprochement. En tous cas, il est présent et sert de témoin à l'acte, ce que l'on peut tenir, en cet endroit, pour une petite indication. Quoi qu'il en soit, l'accord va se réaliser :

" Toutes parties voulant éviter (le procès) et se concilier ensemble plutôt que de plaider (davantage), elles sont entrées dans un compte et examen des pertes et dépens dudit CAPDEVILLE; ils les ont trouvés et se sont accordés à la somme de cent vingt Livres, et trente Livres et trois sols de frais, suivant l'état que ledit CAPDEVILLE en a fourni audit BATAILLEY. Pour en finir et vivre en paix, ledit BATAILLEY a payé audit CAPDEVILLE ladite somme de trente Livres et trois sols et celle de cent vingt Livres pour ses pertes et autres (motifs), ce qui fait ensemble la somme de cent cinquante Livres et trois sols."

C'est là une belle somme que BATAILLEY règle comptant. Nul doute qu'elle lui fera défaut dans son exploitation et qu'il aurait pu en trouver un meilleur usage. Mais nul doute aussi que s'il en a accepté le prix, c'est bien pour se prémunir contre les effets d'une condamnation qui lui aurait coûté bien davantage encore.

Ne nous désolons pas trop cependant quant au sort de François BATAILLEY, car il va récupérer son argent et bien au delà, dès la même année, à l'occasion d'une autre rixe, mais dont cette fois-ci, il sera reconnu la victime…

Arnaud BATAILLEY Père, et François son fils, furent en effet agressés par toute une bande dans laquelle on trouvait Joseph PARAGE, Bernard LANELUC, Nicolas DAMBONS, tous de BUDOS, auxquels s'étaient adjoints pour l'occasion Jean PARAGE et Chicoy DECHAUDIT, tous deux de SAUTERNES. Les BATAILLEY, cette fois-ci malmenés les assignèrent en " crime de voies de fait " devant le Juge de BUDOS. Une information fut aussitôt ouverte. Elle déboucha bientôt sur un " décret de prise de corps " contre la personne des accusés :

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" en conséquence duquel (décrêt) lesdits BATAILLEY Père et Fils estoient à même de faire prendre et saizir au corps (les accusés) pour (leur) faire subir la peine (prévue) par ledit décrêt et les forcer par ce moyen à subir un jugement rigoureux."

La prison du Château de BUDOS a bien failli servir en cette circonstance, mais failli seulement... En effet, les agresseurs prennent peur et s'adressent sans tarder:

" à des personnes sages et prudentes dont l'intelligence et l'intégrité est connue, et par l'entremise et avis desquelles (ils) ont été conseillés et avizés de terminer et finir ladite procédure..."

Il semble bien ici que le " Monsieur Bons Offices " ait pu être Me PENICAUD, le propre Procureur d'Office du Tribunal. C'est en effet en son domicile privé que tout le monde se retrouve le 9 Mai 1786, en présence de Me DUTAUZIN convoqué tout exprès et venu de LANDIRAS. Et là, il est convenu par contrat que pour prix de la suspension des poursuites, les agresseurs verseront aux BATAILLEY une somme de 307 Livres payable sous un mois et demi, pour solde de tous comptes. 

En fait, c'est le 3 Juillet suivant qu'interviendront les divers règlements. Et c'est là que l'on s'aperçoit que LANELUC est incapable de régler le montant de sa quote-part, car l'ensemble de ses ressources n'excède pas 27 Livres... Finalement, de crainte de voir réouvrir ce dossier, c'est DAMBOMS qui fera l'avance de la différence en devenant, du même coup, créancier de LANALUC; un LANELUC désormais sans un sou et endetté, peut-être pour des années pour peu que les caprices de la nature s'en mêlent par le jeu de quelques mauvaises récoltes. C'était bien cher payer un moment d'égarement.

 

Police des jeux.

  En la matière, la police était simple, tous les jeux étaient interdits, un point c'est tout. Les cartes, les dés, les quilles, les jeux de balle, tout était prohibé. La chose parait surprenante. En fait cette attitude draconienne s'explique par le fait que nos Ancêtres ne pouvaient concevoir le " jeu gratuit "; il leur fallait toujours miser de l'argent, si peu que ce fut, mais parfois plus que de raison, sur le résultat de la compétition. 

La chose dura longtemps, il a fallu attendre l'apparition du sport à la fin du XIXème siècle pour voir apparaître des formes de jeu pécuniairement désintéressées. Mais il semble que cela n'ait pu être qu'un simple accident de l'Histoire tant il est évident que les enjeux financiers ont désormais envahi le domaine du sport dont l'originalité, en ses débuts, était précisément d'être tenu en marge des implications de l'argent... 

Toujours est-il qu'à BUDOS, en cette fin du XVIIIème siècle on ne concevait pas le jeu sans enjeu financier. Et comme les jeux d'argent étaient prohibés par la réglementation générale, tous les jeux, quels qu'ils puissent être, étaient purement et simplement interdits. Mais il était assurément bien difficile de faire respecter une telle

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prohibition dans le domaine privé des familles. Aussi l'attention se polarisait-elle une fois encore sur les cabarets. Pouvait-on imaginer en effet un lieu de rencontre plus privilégié que celui-ci pour organiser des rencontre et des jeux ? Et de fait, en dépit de toutes les interdictions, le jeu s'y pratiquait, surtout dans la discrétion de la nuit, et cela nous ramène aux problèmes d'horaires et de fermetures que nous avons évoqués dans le point précédent. 

Il s'agissait là surtout de dés et de cartes activités n'exigeant que peu de matériel et surtout aisément dissimulable en cas d'irruption inopportune d'un contrôleur quelconque. Dans toutes les informations ouvertes sur des querelles de cabaret, les dépositions commencent toutes, systématiquement par la formule  " nous étions là, tranquillement, à nous divertir " .

Et il est plaisant de constater que jamais aucun Juge ne pousse le témoin dans ses retranchements en lui demandant en quoi pouvait consister ce divertissement. Aussi bien à BUDOS, qu'à NOAILLAN, à VILLANDRAUT ou à CASTELNAU de CERNES, sur des dizaines de cas, le mot est le même dans la bouche de tous les témoins, si bien que l'on sent combien il peut appartenir au langage courant; et le Juge instructeur évite soigneusement d'embarrasser son témoin ( qui dépose sous la foi du serment ), en lui posant une question sur un point qui n'est pas l'objet principal du débat. Par une sorte de complicité objective, l'objet du " divertissement " n'est ainsi jamais précisé, mais en fait, personne n'est dupe de ce qu'il pouvait être.

En dépit de cette apparente tolérance, les Officiers de la Juridiction ne désarmaient pas, et la fréquence même de la réitération des prohibitions montre bien combien la règle était pourtant peu respectée.

Le 18 Août 1787, Me Gervais DEGENSAC, Juge de BUDOS prend encore un "appointement "( une décision ) en la matière, et ce sera la dernière avant la Révolution ;

" plusieurs particuliers et citoyens et notamment des cabaretiers et aubergistes, pour attirer la jeunesse et augmenter leur débit par une industrie criminelle ont inventé ou tiennent différents jeux également ruineux appelés vulgairement dans le pays Jeu de Rampeau et de balles, que la jeunesse et même des Pères de Famille réellement attirés par ce jeu, se dissipent d'une manière étrange et manquent aux Offices les jours de Fêtes, et d'un autre (côté), abandonnent, ce faisant, leur travail les jours ouvriers, perdant des heures considérables... dans un temps où certains peuvent à peine fournir à la subsistance de leur famille... Ces jeux occasionnent ordinairement des querelles, des batteries, souvent des vols que la tranquillité et la sûreté publique en sont troublées... "

Et sur le fond de ce sombre tableau, tombe une fois encore les foudre de l'interdiction :

" qu'il (soit fait) défense à tous cabaretiers, aubergistes et autres personnes de quelle qualité et condition qu'elle soient, dans toute l'étendue de la Juridiction (de BUDOS ), de donner à jouer ou de jouer à aucune sorte de jeu de days, de carte, de rampeau, de balle et autres défendus..."

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Et les amendes prévues sont lourdes. Ce sera 50 Livres pour le cabaretier et autant pour chacun des joueurs à la première infraction, plus encore en cas de récidive " et même de prison". Au surplus,

" les rampeaux (seront) détruits dans trois jours sous peine de ladite amende..."

Cette décision fut lue et publiée par le Bayle pendant trois dimanches consécutifs, à partir du 24 Août, à la sortie de la Messe et des Vêpres, et affichée à la porte de l'Eglise.  

A quoi pouvait-on consacrer ses loisirs dans un pays où les jeux, mais aussi la chasse et la pêche étaient prohibés? A boire, bien sûr, et l'on ne s'en privait pas. C'est même probablement une explication de la fréquence des querelles de cabarets; et pourtant, aucune des enquêtes conduites ne fait référence à un quelconque état d'ivresse, même dans les cas où l'excès de boisson est manifestement en cause.

Et puis, enfin, on pariait ; on pariait sur tout et sur n'importe quoi, cette forme de jeu étant parfaitement insaisissable et ne laissant aucune trace matérielle au regard d'un tiers. Au hasard de nos anecdotes, nous avons déjà rencontré un exemple de ce genre de défi se déroulant au cabaret d'ILLATS.

 

La prévention des incendies:

Le feu constituait une préoccupation majeure pour les paroisses à haute densité forestière. Combien pourrait-on citer d'interventions de la Juridiction de CASTELNAU DE CERNES pour interdire l'allumage de feux en forêt ou pour réprimer des infractions à ces interdictions. On en trouve à BALIZAC, à ORIGNE, St LEGER, etc... 

A BUDOS, un peu moins parce que la Paroisse, surtout à l'époque, était nettement moins boisée. Mais les interdictions étaient les mêmes, et il y avait toujours bien quelqu'un pour se faire prendre, surtout au cours de l'été lorsque le risque était le plus immédiat.

Ainsi Pierre et Guiraud BELLOC, le Père et le Fils, avaient­-ils mis le feu à une haie leur appartenant dans les mois les plus chauds de 1783.  Et de plus, ils avaient allumé du feu " hors des murs " de leur maison ( pour un barbecue peut-être…) 

Il furent poursuivis par Me PENICAUD, le Procureur d'Office qui réclama contre eux une forte amende. Dans son jugement du 15 Septembre de la même année, le Juge de BUDOS leur interdit de faire brûler cette haie, leur enjoint d'aménager convenablement la " partie de leur chambre hors du mur " pour pouvoir y allumer du feu en toute sécurité et les condamne aux dépens, qui représentent tout de même 7 Livres 17 sols 10 deniers. Toutefois, il se refuse à leur infliger l'amende requise par le Procureur, estimant que l'imprudence commise n'en méritait pas tant :

" sur la condamnation à l'amende requise par le Procureur d'Office, déclarons n'y avoir lieu de poursuivre."  

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Mais de simples particuliers peuvent aussi demander l'assistance de la Justice lorsqu'ils se voient exposés à des risques d'incendie imputables à des imprudents ou à des situations anormales. La prévention fait aussi partie de la police du Village.

En 1773, Bernard PENICAUD habite au BATAN. Sa maison est contiguë, a l'est et au sud avec un bâtiment que son voisin Jean BEZIN vient de destiner :

" depuis peu de temps à l'uzage d'écurie, chay et grenier à foin..."

Pour le moment, il n'y a pas de foin, mais de la bauge:

" qu'il a placée au-dessus, sur la forme d'un plancher qu'il y (a) pratiqué à la faveur de quelques planches qu'i1y a éparpillées sans être jointes, de manière que cette ... bauge, ne se trouvant nullement gênée par le plancher... se répand en bas par les entre deux des planches..."

Nous voyons bien la situation, mais où donc est le danger ? Eh bien, nous y venons :

" (BEZIN) affecte de ne se servir de cette chambre... que la nuit en y envoyant des gens peu prudents, même le plus souvent ses propres enfants avec une chandelle de rézine, soit pour y quérir du vin, y placer des chevaux et chercher de la bauge.... (Cette) chandelle est beaucoup plus dangereuse que tout autre pour mettre le feu, attendu que (sa) lumière n'est jamais plus sensible ni plus claire que quand on la porte à une certaine hauteur. Et de cette manière, (en) entrant dans ladite chambre, le feu peut très bien prendre à la bauge qui pend vers le rez de chaussée à la faveur de l'entre deux des planches, ou encore mieux, lorsque ces personnes imprudentes... montent sur le prétendu plancher pour prendre de la bauge."

On comprend que PENICAUD ne soit pas trop rassuré. Il redoute:

" des évènements funestes contre (sa) personne et celle de son épouse et toute sa maison, ... en danger à toutes heures de la nuit et au moment qu'ils seroient dans le profond du sommeil, d'estre brûlés pour la vie."

PENICAUD a bien fait part de ses inquiétudes à Jean BEZIN, mais celui-ci n'a fait qu'en rire. Or, voilà que dans la nuit du 24 au 25 Janvier, il vient d'y avoir un début d'incendie. La promptitude des secours y pourvut, mais le danger persiste. PENICAUD demande que des mesures soient prises, et qu'à tout le moins on n'entre plus dans ce local avec une flamme vive. Si BEZIN ne veut pas prendre un minimum de précautions, il ne restera à PENICAUD que le recours aux pouvoirs de Police du Tribunal...

La police des chemins:

La voirie paroissiale appartient au Seigneur, les habitants ont sur elle un incontestable droit d'usage sous condition de l'entretenir. Cela, c'est le principe, mais dans les faits, les choses ne sont pas si simples. 

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 Quelle tentation pour les riverains de repousser pas à pas leurs limites et "d'étrangler" le chemin qui, à l'occasion de chacune de ces usurpations devient de plus en plus étroit. Et quelle tentation aussi de planter là une haie ou une barrière matérialisant la nouvelle limite usurpée, ce qui a pour effet de transformer le chemin en un étroit couloir où il devient radicalement impossible de faire croiser deux charrettes... 

Quant à l'entretien, on acceptera bien à la rigueur d'y consacrer un peu de temps, mais seulement sur les points singuliers concernant l'exploitation de l'intéressé. Nous avons déjà eu l'occasion de parler de ces chemins, nous n'y reviendrons pas, sinon pour relater les interventions de Police du Tribunal en vue de réprimer les abus dont ils étaient victimes.

Le 22 Novembre 1763, le Procureur d'Office de BUDOS saisit le Juge. La situation est devenue intolérable, la circulation devient de plus en plus difficile et les accidents se multiplient

" Les faits sont d'autant plus notoires et certains qu'il y a devers le greffe du présent (Tribunal) divers procès verbaux de personnes qui ont été tuées et écrasées par des boeufs et charrettes dans les ... chemins...."

Et de dénoncer les causes du mal, celles-là mêmes que nous venons de signaler :

" ces... chemins, au lieu d'avoir la largeur convenable se trouvent rétrécis par la cupidité ou avidité des propriétaires des héritages y aboutissant, au point que ceux de..(la)..présente Juridiction sont tout au plus de cinq pieds et demy (environ lm,75) à six pieds (environ lm,90), et la majeure partie clôturés et longés par des hayes embarrassées d'épines et autres empeschements de manière que s'il se trouve dans lesdits chemins deux charrettes chargées ou un cavalier et une charrette, ils ne peuvent continuer leur route."

Au terme de cette analyse, le Procureur d'Office requiert :

" (qu'il) soit ordonné que les chemins qui conduisent de la Paroisse de BUDOS .... aux Grands Chemins et aux Ports de CASTRES, PORTETS, PODENSAC, CERONS et BARSAC, de même que ceux qui conduisent aux Villes de BORDEAUX, CADILLAC, LANGON, BASATS et autres (allant) de paroisse à paroisse soient redressés autant que les circonstances le permettront et élargis jusqu'à seize pieds (environ 5m,15), bordés de fossés et arbres et les rameaux desdits chemins conduisant de village à village seront seulement élargis jusqu'à huit pieds (environ 2m,55), le tout par les propriétaires riverains et aboutissants (et ceci), dans les prochains trois mois à compter du jour de la publicité du jugement (de Police) qui interviendra. Qu'à ces fins, tous les bois, haye, épines et brousailles qui se trouvent dans lesdits espaces soient par eux... essartés et coupés et (qu')à l'avenir les chemins... soient entretenus par les habitants..."

Sur cette requête, le Juge décide de se rendre sur place et de procéder à un constat. C'est ainsi que les 26 et 27 Novembre 1763, accompagné de son Greffier et du Procureur d'Office, il parcourt tous les chemins de la Paroisse et dresse Procès Verbal de leur largeur. Il a :

 

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" remarqué qu'à l'exception du chemin qui conduit de l'Eglise et, passant devant le Château, (conduit) jusqu'(au carrefour) des chemins quy vont au Bourg de LANDIRAS et à PODENSAC (un peu après MOUYET) et de celuy quy conduit dudit Bourg de BUDOS à St PIERRE, (tous) lesdits chemins, dans tous les lieux, cultures,... dans les bois et pignadas n'ont que la largeur d'une voye de charrette c'est à dire cinq pieds et demy (environ Im,75)..."

  Le 29 Novembre, le Juge prend son Ordonnance. Elle est en tous points conforme à la requête du Procureur d'Office. Pour des motifs qui n'ont pu être élucidés, la publication du document tarde anormalement. Il aurait dû être proclamé le Dimanche 4 Décembre. Il n'en est rien. Il ne sera lu et affiché à la porte de l'Eglise que le 23 Janvier suivant. Il n'est pas douteux qu'il ait soulevé nombre de remous dans la Paroisse. 

Mais ne nous faisons pas trop d'illusions, son application a dû être discrète et mesurée, sans quoi BUDOS serait devenu un véritable modèle de voirie rurale et la chose se serait sue. Ce n'est malheureusement pas le cas. Il est bien probable qu'en dépit des bonnes intentions aussi manifestement affichées, on soit revenu bien vite à la routine passive contre laquelle aucune Police n'a de prise.

 

Enquêtes après accident: 

Tout décès subit ou accidentel paraissait suspect et donnait lieu à une enquête judiciaire. Ces enquêtes étaient conduites avec beaucoup de sérieux, et au demeurant vivement sollicitées par l'entourage de la victime afin de s'exonérer de tout soupçon au regard de l'opinion publique dans le Village.

Nous en rapporterons deux exemples. Le premier cas ne se déroule pas à BUDOS, mais concerne deux Budossais. Nous l'avons retenu parce qu'il est tout à fait caractéristique de ce genre d'affaire et aussi parce que l'évènement nous est particulièrement bien conté.

Le 24 Janvier 1777, vers midi, Jean PARATGE, propriétaire au Quartier de JANOTBAYLE, avait attelé ses bœufs pour aller livrer une barrique de vin chez le dénommé LIBERE, propriétaire au Quartier de TRISCOS, sur la Paroisse de BALIZAC. Son Oncle, également dénommé Jean PARATGE, homme veuf , son voisin vivant lui aussi à JANOTBAYLE, avait une autre barrique à livrer au même lieu. Tout naturellement, ils avaient décidé de mettre leur livraison en commun et de ne faire qu'un seul voyage.

Et les voilà donc partis à travers la Lande du POUY, par un chemin beaucoup plus direct que la route actuelle puisqu'il coupait tout droit vers BALIZAC sans passer par le carrefour de COURNAOU. Vers deux ou trois heures de l'après midi, tous proches du terme de leur voyage, ils se trouvaient à peu près au carrefour actuel de la route conduisant de BALIZAC à ORIGNE et de la petite route menant de là au Moulin et au Quartier de TRISCOS.

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 Les deux hommes marchaient de conserve, chaussés de leurs lourds sabots, l'Oncle vêtu d'une veste et d'une culotte de drogguet brun , la veste enfilée sur un gilet rouge et une chemise de grosse toile de chanvre, il était coiffé d'un bonnet blanc. C'était le plus fort de l'hiver. Parvenu en ce lieu, l'Oncle dit soudain à son Neveu: " J'ai un point de côté ". Environ 2.100 mètres plus loin, pour traverser le ravin profond qui précède le Ruisseau d'ORIGNE ( il existe encore et il est aisé d'y reconstituer la scène), l'Oncle passa devant les boeufs et traversa le premier, il fit encore environ dix pas et s'effondra sur le coté droit du chemin, " sans aucune plainte ni mouvement ". Son Neveu se précipita pour le tirer à l'écart de l'ornière car les boeufs avançaient inexorablement. Il le trouva "  sans pas une espèce de respiration et véritablement mort. "

Jean PARATGE courut tout aussitôt jusqu'à TRISCOS demander du secours et surtout demander que l'on dépêchât dans l'instant un courrier au Parquet de la Juridiction de CASTELNAU de CERNES, au Bourg de St LEGER afin d'informer Messieurs les Officiers de Justice. Ceux-ci partirent tout aussitôt au plus vite de leurs chevaux. Il fallait faire toute diligence car la nuit tombe très vite en ces jours-là. 

Le Juge, le Procureur d'Office, et le Greffier se retrouvèrent bientôt sur place et là, ils retrouvèrent Me AUGE, le Chirurgien de BALIZAC qui avait déjà commencé un examen attentif du cadavre. La famille Budossaise du défunt était déjà là elle aussi, son Frère, sa Fille de 17 ans, d'autres encore... Tout était allé très vite. 

Et dés qu'il aperçut le Juge, Jean PARATGE lui fit observer de quelle diligence il avait usé " pour éviter tout soupçon de quelque cause de mort forcée..." La voilà bien l'inquiétude majeure du Neveu; c'est que quelqu'un puisse aller penser ou suggérer qu'il ait pu endosser la moindre responsabilité dans ce décès ... Il n'en fût rien; le cadavre ne portait aucune trace suspecte et le permis d'inhumer fut accordé sans difficulté.

Revenons à BUDOS pour une autre affaire. Le 18 Janvier 1788, au lever du jour, les valets du moulin de FONBANE aperçurent une forme mal définie flottant dans la retenue d'eau, un peu en amont du déversoir. 

S'étant approchés, ils réalisèrent qu'il s'agissait d'un homme noyé. Ils se gardèrent bien d'y toucher et firent aussitôt appeler les Officiers de Justice de BUDOS. En très peu de temps, on vit parvenir sur place Me Gervais DEGENSAC, Juge, M e PENICAUD, le Procureur d'Office, François PEYRI, Greffier et BEDOURET, le Bayle. Le Juge ordonna de tirer le corps sur la berge et de le sortir de l'eau. Puis il l'examina :

" il s'est trouvé vêtu d'une mauvaise camizole de bure, d'un gilet blanc, de laine, d'une cullotte de toille, la tête couverte d'un mauvais bonnet de laine, deux sabots aux pieds; dans la poche... s'est trouvé une petite bourse... de toille dans laquelle il y avait trois liards seulement."  

Le pauvre homme était bien démuni, puisque 3 liards représentaient un quart de sol sait un quatre-vingtième de Livre... Le Juge poursuit ses investigations et note:

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 " l'ayant fait dépouiller et l'ayant visité par tout son corps, nous ne luy avons trouvé aucune playe, en sorte qu'i1 est apparu qu'il a tombé en passant le long de ladite (berge), peut-être pendant la nuit.."

 

Le pauvre diable avait dû être saisi par l'eau glacée de l'hiver car, pour avoir conservé ses sabots aux pieds, il parait évident qu'il n'avait guère dû se débattre.

La nouvelle de l'accident s'était répandue dans tout le Village comme une traînée de poudre. Et ils étaient nombreux les badauds à faire cercle sur la berge autour de ces Messieurs de la Justice. Le Juge s'adresse à ces :

" personnes de la Paroisse espectatrices, et les avons interpellées de nous dire si (elles) reconnoissoient ledit cadavre; la plupart desquelles personnes ont répondu le reconnoître pour estre François LATRILLE de la Paroisse du NIZAN en Bazadois... "

Jean PAUVERT, parmi elles, un valet du Baron, fut même bien plus explicite, puisque non content de dire qu'il l'avait vu plusieurs fois aller dans BUDOS, de porte en porte, en demandant l'aumône, il put préciser qu'il l'avait vu la veille encore et qu'il avait même laissé chez lui un sac de cuir. Le Juge l'envoya quérir et en fit l'inventaire. 

On y trouva un Passeport établi par les Echevins de BAZAS, un certificat établi par le Curé du NIZAN, et les actes de décès de chacun de ses Parents. Le Juge en prit connaissance et les remit à Jean PAUVERT en le chargeant de les faire parvenir à la famille du défunt. Puis:

" pour empêcher que ce cadavre ne soit gâté par les chiens du moulin ou des maisons voisines, (il ordonna) qu'il soit... transporté dans la maison... de COUTURE pour y être exposé."

Tout cela avait pris du temps. Il était tantôt quatre heures de l'après midi. Mais il y avait dans BUDOS quelqu'un qui n'était pas content, mais pas content du tout… C'était le Curé DORAT. Alors que toute la Paroisse était au courant depuis le matin, personne ne l'avait informé de l'évènement, et ce n'est qu'en fin d'après midi qu'il sut la nouvelle et il en conçut quelque dépit. Son mécontentement transparaît dans l'acte de décès qu'il transcrit le lendemain sur son Registre Paroissial. On peut y lire:

"(François LATRILLE), noyé dans la gourgue du moulin selon le Verbal de Messieurs de la Justice fait le susdit jour à quatre heures du soir; François LATRILLE, pauvre mendiant de la Paroisse du NIZAN en Bazadois, il a été ensevely le 19 du susdit mois, environ quatre heures du soir, n'ayant été averti de sa mort qu'à quatre ou cinq heures du soir pour faire sonner..."

Le voilà, le problème du Curé DORAT. l'usage local veut que l'on sonne les cloches dès que l'on apprend un décès, et même pour le décès d'un non pratiquant. En ce dernier cas, comme nous le verrons plus loin pour Arnaud CANTEAU, frappé de mort subite à MARGES , on n'effectue pas toutes les sonneries rituelles, mais du moins sonne-t-on " le trépas ". 

C'est un minimum incontournable. Et voilà que par la faute de ces Messieurs de la Justice qui ont vaqué à leurs affaires sans se soucier de faire prévenir le Curé, on n'a pas " sonné le trépas" de ce pauvre LATRILLE qui y avait droit autant que tout autre... Ce n'est qu'en fin d'après midi qu'un quidam a fini par se souvenir que l'on n'avait pas sonné ...  

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Quand on connaît la vigueur du tempérament du Curé DORAT, telle que nous aurons l'occasion de la découvrir, on peut penser qu'il ne s'en sera pas tenu à cette simple mention dans son Registre et qu'il y aura eu quelques autres retombées dans la Paroisse ...

Ces deux exemples, entre bien d'autres, donnent un aperçu des préoccupations et des méthodes d'investigation de la Justice, mais ses fonctions de Police vont encore bien au-delà.  

Surveillances diverses:

Le Procureur d'Office est le défenseur naturel de l'intérêt commun dans le Village. Il est à l'affût de tous les dysfonctionnements de la vie sociale, et à ce titre, il accueille de nombreuses doléances sans qu'il s'agisse nécessairement de plaintes en bonne et due forme.

Le respect des poids et mesures est par exemple pour lui une préoccupation constante. Des poids et mesures étalons sont déposés au siège de chaque Juridiction et constituent la référence légale pour toutes les transactions commerciales qui se déroulent dans l'étendue de son ressort. Chacun a le droit de venir comparer les poids et mesures qu'il utilise dans son commerce avec les étalons déposés. 

Mais le Procureur d'Office a également le droit ( et il ne s'en prive pas ) , de proposer au Juge de se rendre dans les commerces en emportant ces mêmes étalons et de vérifier sur place la conformité des poids et mesures utilisés par les marchands. Les aubergistes et cabaretiers sont tout spécialement soupçonnés d'utiliser des " pintes courtes ", c'est à dire des mesures dont le fond est un peu plus épais que la normale, ce qui a pour effet d'en diminuer la capacité sans en modifier l'apparence extérieure. 

La pratique des ventes dites à l'œil est également rigoureusement prohibée. En ce cas, le marchand ne pèse pas ce qu'il vend, mais en estime le poids au jugé. Ici, ce sont les boulangers qui sont le plus souvent visés. Il faut dire que les pesées sont assez contraignantes car, dans la pratique, on ne connaît et n'utilise que les balances dites " romaines" et si l'on n'a pas la patience d'attendre que le fléau soit rigoureusement immobile, les approximations de la pesée peuvent être considérables. Mais les contrôles ne se limitent pas aux seules quantités. Ils portent également sur la qualité des marchandises. Attention aux boulangers qui s'avisent :

" de ne pas faire cuire (le pain) suffisamment pour qu'il ait plus de poids et cauzent ainsy un préjudice très considérable au public..."

Et encore n'y avait-il pas de boucherie à BUDOS, car là où il s'en trouvait, à NOAILLAN ou à LAINDIRAS par exemple, les gens de Justice avaient beaucoup de soucis a se faire car leur contrôle portait non seulement sur la qualité, mais aussi sur les prix. Il est vrai que la pratique du temps paraissait ici simplifier les choses. 

En effet, le boeuf était à 7 sols la livre, la vache grasse à 6 sols, la vache maigre à 4 sols et le veau et le mouton à 10 sols, et nulle part il n'est question de différencier le prix des morceaux. Est-ce à dire que l'on n'établissait aucune différence entre un morceau noble et un bas morceau ?

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Il est difficile de se prononcer. En tous cas, de nombreuses affaires nous sont parvenues sur des fraudes de qualifications animales (vache pour bœuf, maigre pour grasse, etc…) ou sur des dépassements de prix taxés, mais aucune d'entre elles n'évoque de problèmes de qualifications de morceaux.

  Les Officiers de Justice portaient également la responsabilité de la surveillance des moulins. Et il semble bien que ce n'était pas une mince affaire. Ici, on ne se contentait pas de vérifier les poids et mesures, mais il fallait également s'immiscer dans la technique. Le Parlement de BORDEAUX ne cessait de légiférer en la matière, et toujours sur les mêmes points sensibles. On peut donc supposer que la force d'inertie opposée par les meuniers était considérable. 

Des textes fondamentaux avaient été publiés en 1572, 1694, 1709, 1711, 1726, 1744 et 1748... On peut même constater que, le temps passant, leur rythme de parution se précipite. L'un des points le plus litigieux est de savoir si le moulin est " à point rond" ou  à point carré ". La chose mérite quelques mots d'explication. 

Dans un moulin " à point carré " la meule dormante est inscrite dans un cadre de bois carré dont les côtés sont égaux à son diamètre. De ce fait, le dispositif comporte quatre angles morts dans lesquels, après la mouture, on retrouve des grains non écrasés ou de la farine qui constituent un profit supplémentaire pour le meunier au détriment du paysan. Dans un moulin " à point rond ", la meule dormante est inscrite dans un bâti de bois circulaire qui épouse exactement son contour. 

Il n'y a plus d'angles morts, et plus de reliquat de grain ou de farine. En un mot, tout ce qui est entré doit ressortir. La chose est simple et aisément vérifiable. Et pourtant, en plein XVIIIème siècle, on trouvait encore des moulins à point carré et le Parlement de BORDEAUX n'hésitait pas à relancer les Juges Seigneuriaux pour qu'ils aillent, une fois encore vérifier et revérifier la conformité des installations. 

Cela suppose de la part des meuniers un bel acharnement à rétablir le système prohibé après les visites ... Afin de stimuler le zèle des Juges locaux, le Parlement faisait mine de croire qu'ils s'étaient désintéressés de la question:

"… quoi qu'on dut s'attendre à une prompte et exacte exécution des différentes dispositions d'un règlement si utile au bien public, on voyoit néanmoins que ceux à qui la Cour avoit confié ce soin, l'avoient entièrement négligé, ou qu'ils s'y étoient portés avec tant de tiédeur et de nonchalance que les mêmes abus subsistoient encore dans plusieurs endroits du Ressort..."

En fait, les Officiers des Justices Seigneuriales n'avaient pas, sauf exception, tellement négligé le problème. Mais les meuniers avaient bien du mal à renoncer à un dispositif qui leur était si manifestement avantageux et toutes occasions leur étaient bonnes de revenir au " point carré ". Finalement, on ne vint à bout de la question qu'en portant les amendes à un taux très élevé: 500 Livres ...

Les Juridictions exerçaient bien d'autres types de surveillances, parfois inattendues. Ainsi les Procureurs d'Office étaient-ils chargés de recevoir les déclarations des grossesses illégitimes des filles et femmes célibataires.

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 La disposition n'était pas nouvelle. Elle remontait à des Edits Royaux de HENRI Il et HENRI III , lesquels étaient périodiquement rappelés par le Parlement de BORDEAUX. Toute omission de déclaration était susceptible de très lourdes sanctions. Le but était de protéger l'enfant à naître contre les risques d'avortement provoqués. 

Le Procureur d'Office, protecteur des intérêts des mineurs et des incapables était bien là dans sa fonction. Et de fait, ces déclarations vont devenir de plus en plus nombreuses vers la fin du siècle ainsi que nous avons déjà eu l'occasion de le voir. La mesure survivra d'ailleurs à la Révolution, et les Registres Municipaux de nos Communes portent encore témoignage de ces déclarations au moins jusque sous le Second Empire.

 

Poursuites en diffamation:

  Dans un tout autre domaine, le Tribunal était très sollicité pour connaître des affaires de diffamation. Les Budossaises et les Budossais paraissent avoir eu la langue bien pendue et s'exprimaient souvent sans ménagement sur le compte de leurs concitoyens. 

Ce n'était pas du goût de tout le monde et le Tribunal était si proche, si accessible, là, tout près, qu'il était bien tentant de parcourir quelques centaines de mètres pour y porter sa plainte, alors qu'une simple réplique un peu vive aurait pu clore la prise de bec. Mais il faut dire que " l'action en restauration d'honneur ", puisque c'est ainsi qu'on la qualifiait, aboutissait à des solennités bien propres à combler d'aise celui qui avait fait les frais de l'algarade et de nature à faire regretter à l'agresseur d'avoir eu la langue trop longue. Et au surplus, cela coûtait très cher.

Nous nous limiterons à la relation de deux affaires caractéristiques de ce genre de situation.

Jean LACASSAGNE, le Fils, a insulté Joseph DELOUBES, tous deux de BUDOS. On ne cite que très rarement les propos tenus. C'est bien dommage pour le pittoresque, mais ce doit être préférable pour la bienséance .... 

Il a été, de ce fait, condamné par le Juge de BUDOS à déposer au Greffe du Tribunal, qui en assurera la publicité, un acte de " restauration d'honneur " en faveur de DELOUBES. Jean LACASSAGNE se présente donc devant Me DUCASSE, à LANDIRAS, accompagné de deux témoins, le ler Août 1779 au matin et lui demande de rédiger cet acte, ce que fait le Notaire dans les termes qui suivent :

" Par devant le Notaire Royal en GUYENNE soussigné, (étant) présents les témoins cy après nommés, a esté présent Jean LACASSAGNE Fils, tisserand habitant de la paroisse de BUDOS, lequel a dit qu'à l'occasion d'un procès qu'il a eu au siège (du Tribunal) de BUDOS pour quelques propos (qu'il a tenus) contre le nommé Joseph DELOUBES, dit GUIRAUDE, il (est) intervenu (un jugement) définitif quy ordonne que ledit LACASSAGNE Fils, remettra un acte au Greffe (du Tribunal) par lequel il déclarera que c'est témérairement et malicieusement que ledit LACASSAGNE Fils a traité ledit Joseph DELOUBES Père de criminel, et comme... LACASSAGNE entend se conformer audit

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(jugement), il déclare par le présent acte audit Joseph DELOUBES que c'est témérairement et malicieusement qu'il l'a traité de criminel, qu'il s'en repent et luy en demande pardon et excuse et le reconnait pour homme de bien et d'honneur..."

Cet acte sera signifié le 9 du même mois à Jean DUTRENIT "Greffier de la Juridiction et Baronnie de BUDOS " . Justice est ainsi faite. Identique à beaucoup d'autres, cet acte en " restauration d'honneur " comporte néanmoins la particularité d'évoquer, discrètement et d'un seul mot le motif de l'injure. C'est, nous l'avons déjà dit, assez exceptionnel.

Le même Joseph DELOUBES sera de nouveau le héros de notre seconde affaire très brièvement rapportée. Par un jugement rendu le 9 Février 1784 par le Tribunal de BUDOS, il est à son tour condamné pour avoir injurié François COURBIN et sa fille Marie, tous deux également Budossais. 

Nous ne saurons pas ici quels propos avaient été tenus, mais ils ne devaient pas être très faciles à rapporter car ils mettaient tout particulièrement en cause l'honneur et la vertu de Marie COURBIN... Toujours est-il que Joseph DELOUBES fut bien obligé d'aller trouver le Notaire, ici c'était Me BAYLE à PUJOLS, et de lui faire rédiger son acte en restauration d'honneur disant que :

" il déclare les tenir pour des gens de bien et d'honneur (et) qu'il se repent et leur en fait ses excuses, notamment à ladite COURBIN."

Et ici, les choses vont très vite. Les COURBIN ont dû s'impatienter, car le jugement étant , nous l'avons vu, du 9 Février, DELOUBES n'a rien fait jusqu'au ler Mars. Et soudain, ce ler Mars, dans l'après midi, il dicte son acte à PUJOLS, le Notaire part tout aussitôt et va le faire contrôler au Bureau de l'Enregistrement de BARSAC, il revient tête sur queue et parvient encore assez tôt à BUDOS pour le signifier le soir même au Greffe du Tribunal. 

Compte tenu des moyens de communication de l'époque, il a donc fallu faire diligence en toutes choses pour réaliser une telle performance, ce qui donne bien à penser qu'il ait pu y avoir là une urgence toute particulière.

On peut imaginer sans peine quel climat désastreux pouvait développer et entretenir la multiplication de pareilles affaires dans les relations humaines à l'intérieur de la communauté villageoise. Plus encore qu'à BUDOS, la vie quotidienne de certaines paroisses en a été empoisonnée. Chacun s'en plaignait, mais beaucoup y avaient néanmoins recours et souvent sous des prétextes parfaitement futiles. On en relève l'écho dans maints Cahiers de Doléances de 1789.

Le Cahier de BUDOS est malheureusement perdu, et c'est bien dommage, mais nombreuses sont les références à ces abus de droit dans ceux qui nous sont parvenus. C'est dans le Cahier de GUITRES, Paroisse du nord de la GIRONDE, cité par Marcel MARION , qu'il faut peut-être aller chercher la meilleure dénonciation de cette pratique très générale. Ce Cahier déplore en effet :

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" la liberté laissée au peuple de prendre la voie des plaintes criminelles .... pour de simples paroles inséparables de la grossièreté de leurs moeurs tandis qu'on convient qu'il serait ridicule d'exiger qu'ils se querellassent avec le ton et la finesse de l'éducation; leur laisser la voie ouverte de se faire dévorer et ruiner par des frais de procédure pour des différends qui n'ont été suivis d'aucun excès réel c'est permettre un très grand mal et un très ,grand abus la plus légère procédure criminelle conduite jusqu'à un jugement définitif, ne fût-ce que du premier Juge, met un misérable artisan, un pauvre cultivateur à l'aumône..."

On ne saurait mieux dire. Ce texte est visiblement sorti de la plume d'un Notable roturier local, bourgeois ou négociant par exemple. Notable à coup sûr, du fait de son appréciation sur la " grossièreté " des mœurs du peuple, et roturier car il s'agit d'un Cahier du Tiers Etat, mais en tous cas un homme parfaitement clairvoyant quant aux nuisances de ce que l'on peut tenir pour une plaie sociale de nos campagnes.

 

Affaires de vols: 

Peu de dossiers nous sont parvenus en la matière, mais ils sont néanmoins suffisants pour nous faire une idée des affaires et des procédures qu'elles engendraient.

Et tout d'abord, nous distinguerons, un peu paradoxalement ce que nous pourrions appeler les " faux vols " et les " vrais vols " . Les premiers ne sont rien d'autre que des plaintes abusives, et elles ne sont pas rares. Seuls les seconds correspondent à l'idée que nous pouvons nous faire du véritable délit de vol.

Ces plaintes abusives étaient déposées par certains plaideurs qui n'hésitaient pas à recourir à la procédure criminelle de préférence à la voie civile, afin de faire porter une contrainte plus forte sur leur adversaire. Dans bien des cas, il pouvait s'agir d'un véritable abus de droit. Une seule anecdote suffira à expliquer le procédé.

Louis DUVERGER, Bourgeois de BORDEAUX, et y demeurant, avait passé contrat avec Jean COUTURES, habitant de BUDOS pour faire couper du bois au lieu dit AU BOULENTA, sur une pièce qu'il y possédait. Sitôt informé de cette coupe, Mr.MIRAN, Juge du Tribunal de BARSAC, se déclara propriétaire de ce terrain. A défaut d'accord amiable, la procédure normale aurait consisté à porter p1ainte, au civil, en réintégrande, devant le Juge de BUDOS. 

En ce cas, après une instruction qui aurait pris son temps, chacun aurait produit ses titres et ses preuves, et le Juge aurait tranché. Dans le cas où Mr. MIRAN aurait gagné son procès, DUVERCER aurait été condamné à faire rédiger un acte notarié de réintégrande au profit du demandeur, avec restitution du prix du bois, quelques dommages et intérêts et aux dépens. Que va donc faire Mr. MIRAN  ? Rien de cela. 

Il porte plainte pour vol entre les mains du Juge de BUDOS et assigne à la. fois DUVERGER et COUTURES en tant que complices, au " criminel " avec menace de prise de corps, autrement dit avec demande d'incarcération.

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 C'est une réaction démesurée au regard du fond de l'affaire, mais elle est payante car DUVERGER ne semble pas disposer immédiatement de ses titres de propriété sur cette pièce dont :  

" ledit Sieur MIRAN se prétend en possession quoi que, cependant ledit Sieur DUVERGER s'en croit (avoir) la propriété"

En bref, comme il ne peut la prouver immédiatement, il préfère y renoncer, du moins pour le moment et, de lui même, le 5 Août 1772, adresse un acte de réintégrande à MIRAN avec une offre de remboursement du prix du bois et des frais de Justice afin d'arrêter là cette affaire. DUVERGER et COUTURES avaient bien pu se tromper, mais ce n'étaient en aucun cas des voleurs. Alors pourquoi le choix de cette procédure?

Tout simplement parce que la voie " criminelle " était beaucoup plus expéditive que la voie civile et aboutissait, en sus des réparations normales, à une amende prononcée au profit du Seigneur ( ou parfois des pauvres de la Paroisse ). Et cela la rendait très onéreuse. Cet aspect du problème n'est pas négligeable, si bien que l'abus du recours à cette procédure sera dénoncé, en 1789, par maints Cahiers de Doléances.

Mais à côté de ces " faux vols ", il y avait les vrais, et là, la matière est plus riche, en tous cas plus pittoresque. Nous allons en rapporter un cas plein de rebondissements.  

Le 16 Mars 1771, c'était un Samedi, sur les 6 heures du matin, on accourut au presbytère de BUDOS pour signaler qu'une barre de fer avait été enlevée à la fenêtre de la sacristie et que l'on avait dû tenter de cambrioler l'Eglise. L'Abbé SAINT BLANCARD, Vicaire du Curé DORAT, qui s'apprêtait tout juste à sortir pour aller dire sa Messe accourut tout aussitôt. Il ne put que constater l'effraction. L'une des trois barres de fer verticales protégeant la fenêtre donnant le jour à la sacristie avait été descellée et avait disparu tandis que deux barres horizontales avaient été rompues. Des morceaux gisaient au sol ainsi que:

" un chevron de bois de pin neuf de cinq à six pieds de long ( environ 1 m ,75 ).... et une barre de bois de chêne de la longueur d'un faissonnat,... la peau de la barre de chêne se trouvant enlevée à certains endroits où il paroit des marques... de ladite barre de fer; ayant également de pareilles empreintes audit chevron de pin... ce qui fait présumer que c'est avec ces deux instruments que l'on est parvenu à rompre les deux barres de travers et à (desceller) celle qui était (verticale)..."

D'ailleurs, la pierre est éclatée à la base de la fenêtre sur une largeur de deux mains, ce qui a permis de desceller cette barre verticale. L'opération n'a pas dû cependant être aisée. Certes, l'endroit était tranquille, face à la campagne, et tout à fait désert, comme il l'est encore. Il est facile de s'en assurer car il n'a guère changé depuis lors. 

La seule différence est que, depuis cette aventure, on a replacé six barres de fer verticales au lieu de trois, et elles y sont encore. Mais la base de cette fenêtre est située à environ 3m,50 du sol, et à moins de disposer d'un échafaudage, il ne parait pas évident de fournir un effort de rupture violent dans ces conditions là, mais la preuve en est que la chose avait pu se faire....

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L'Abbé SAINT BLANCARD, envisageant le pire, revint alors en toute hâte vers la porte principale de l'Eglise. Il la trouva fermée et sans trace d'effraction; à l'intérieur du sanctuaire, tout paraissait normal. Par contre, la porte conduisant du chœur à la sacristie refusait obstinément de s'ouvrir; manifestement, la serrure en avait été faussée. 

L'Abbé SAINT BLANCARD, accompagné désormais d'une petite troupe revint alors vers le chevet de l'Eglise, et dut se résoudre, pour pénétrer dans la sacristie, à passer par la fenêtre qu'avaient emprunté les voleurs. Il était encore jeune ( il avait pour lors 36 ans ) et pouvait encore s'offrir ce genre d'acrobaties.

Dés l'abord, il constata que la porte d'un " grand cabinet " (une armoire ) dans lequel on rangeait les objets du culte était grande ouverte après avoir été forcée. Un encensoir de très peu de valeur avait en outre été déplacé et amené jusqu'au pied de la fenêtre où il avait été abandonné. Sans plus s'attarder sur les lieux, l'Abbé SAINT BLANCARD dépêcha des coursiers auprès de chacun de ces Messieurs de la Justice. Et pour faire bonne mesure, on se mit à sonner le tocsin.

La phase judiciaire allait mal commencer. Le Juge n'était pas là. En cette saison de l'année, il vivait à BORDEAUX, où il était Avocat auprès du Parlement, et ne venait à BUDOS que pour assurer le service des audiences. On ne pouvait l'attendre; qu'à cela ne tienne, François LACASSAIGNE, doyen des procureurs postulants du Tribunal le remplaça au pied levé. Bientôt furent réunis dans l'Eglise, outre LACASSAIGNE, BOSSE, le Procureur d'Office, Jean DUTRENIT, le Greffier et le Curé DORAT, arrivé entre temps. Il n'était pas question de faire passer tous ces personnages par la fenêtre... 

On tenta donc de pénétrer dans la sacristie par la porte du chœur, en vain, l'Abbé SAINT BLANCARD n'avait pu l'ouvrir, il ne le purent davantage. On alla quérir le nommé SIMONNET, serrurier de son état qui n'y réussit pas mieux avec la clé qui lui avait été remise. On lui donna l'ordre de la crocheter, ce qu'il fit tout aussitôt, donnant ainsi passage à ces Messieurs.

La première impression était celle d'un grand désordre. La serrure du grand cabinet avait été arrachée et les objets du culte, linge, livres et missels gisaient, éparpillés ça et là. Le Curé DORAT et son Vicaire, assistés d'Arnaud LEGLISE et Jean ESTENAVE, Fabriciens de l'Eglise procédèrent alors à un inventaire de tout ce qui pouvait faire défaut. Finalement, il apparut que les voleurs avaient bien tenté de pénétrer dans l'Eglise elle-même, mais qu'ils n'y étaient pas parvenus. 

Il s'en était d'ailleurs fallu d'un cheveu car ils avaient presque réussi à forcer la serrure de la porte de communication au moyen de la barre de fer descellée. Mais ils y avaient renoncé; peut-être avaient-ils été dérangés. Ils s'étaient donc cantonnés dans la sacristie, et procédant à un tri très avisé, ils avaient négligé tout ce qui n'avait pas de valeur véritable pour n'emporter qu'une belle croix d'argent.

" quy se plaçoit aussy dans ledit cabinet (et) quy ne s'y est (plus) trouvée..."  

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Après avoir noté toutes les constatations d'usage sur les conditions de l'effraction, tant sur le volet intérieur que sur les barres extérieurs, les Officiers de Justice entreprirent sans plus tarder la procédure d'information sur ce délit.

L'Abbé SAINT BLANCARD déposa :

" que hier, vers les sept heures du soir, venant du Village de MEDOUC , il rencontra, à deux cents pas du Bourg de BUDOS, deux hommes étrangers qui portaient chacun derrière eux un gros sac, et leur ayant demandé ce qu'ils vendoient, comme ils alloient, ils lui répondirent qu'ils vendoient des épingles et qu'ils venoient au Bourg…."

De son côté, Bernard COUTURES dit être venu au Bourg le matin " sur le bruit que l'Eglise... avait été volée " et là, devisant avec quelques autres, il leur est venu l'idée :

" que les auteurs d'iceluy pourraient être des mendiants ou de ces (gens) communément appelés perraquets qui se retirent dans la grange de PAUL..."

C'est ainsi qu'avec deux compagnons, il s'est rendu en ce lieu, où ils ont :

" effectivement trouvé deux de ces perraquets ( en train de se chauffer dans la maison et) auxquels ils (ont) demandé sy c'étoit eux quy avaient volé l'Eglise ... A quoy l'un d ' eux (a) répondu d'un ton de badinage que ouy; (COUTURES) ayant néanmoins remarqué qu'il (avait) changé de couleur et paru troublé."

Revenus au BOURG, ces trois hommes firent part aux autres de leur expédition à PAUL et :

" ceux-ci les (ont) blamés de ne s'estre pas saisis de ces deux hommes ... "

Ils repartirent donc vers PAUL, mais cette fois-ci, ils étaient une vingtaine. Chemin faisant, à la hauteur du ROY, ils aperçurent les deux perraquets cheminant sur un sentier à travers les vignes en direction du Bourg. Ils se précipitèrent, les arrêtèrent et les fouillèrent sur le champ:

  " tant sur eux que dans leur sac, où ils n'ont trouvé que des vieux linges et de mauvaises gueilles."

Ils les ramenèrent au presbytère où ils retrouvèrent l'Abbé SAINT BLANCARD qui reconnut aussitôt les deux hommes qu'il avait rencontré la veille au soir. Sans autres         preuves, il affirma qu'ils étaient les coupables.

Les pauvres perraquets se défendent alors comme de beaux diables, ils n'ont rien fait de mal, ils sont  allés dormir dans la grange de PAUL et n'en sont sortis que le matin pour aller se chauffer un peu dans la maison     du métayer avant de repartir.        

L'Abbé n'en démord pas, il faut les mettre en prison, ce qui est fait. On les conduit au Château. Où on les enferme. Dans le courant de la journée, sur requête du Procureur d'Office, le remplaçant du Juge confirme l'incarcération et requiert " qu'ils soient écroués sur le... Registre de Geôle ". Ceci fait, on attend jusqu'au lendemain Dimanche.

A 8 heures du matin, LABAT, le geôlier titulaire les extrait de la prison et les conduit dans une pièce attenante où ils vont être interrogés par les Officiers de Justice.  

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Et d'abord, qui sont-ils ? L'un s'appelle Pierre ASSAS, venu d'AUVERGNE, Paroisse de VIGNOULET, Village de LAVALETTE, il a environ 25 ans et se dit " perraquet ou ramasseur de gueille ", l'autre est Louis PARANT, du même Village " et quelque peu parent avec le premier.  Ils étaient passés par LANGON où ils s'étaient séparés d'un troisième compagnon et avaient fait route sur NOAILLAN, et de là, la veille, sur LEOGEATS d'où, sur le soir, ils étaient venus jusqu'à BUDOS sur les sept heures ou environ. 

Ils se sont arrêtés chez LAPIN pour acheter pour trois liards de tabac et se sont aussitôt dirigés vers PAUL ou ils ont demandé l'autorisation de dormir dans la grange. Tout cela est confirmé par des témoins . Pour la suite, ils confirment qu'ils ne sont pas ressortis jusqu'au matin et ajoutent qu'ils avaient l'intention de se rendre à BARSAC où ils savaient trouver preneur pour leurs chiffons et où ils devaient retrouver leur troisième compagnon. 

Quant au vol, ils ne l'ont appris que lorsque Bernard COUTURES est venu les relancer, tandis qu'ils entendaient " sonner le bastraing " .En passant sur des tas de détails apportés par les divers témoins mais qui ne font pas avancer l'affaire, on ne peut rien en tirer de plus. Les Officiers de Justice sont perplexes; on les remet néanmoins en prison.

Mais voilà que se présente un témoin capital que l'on n'attendait pas. Pierre LAMOULIE, âgé d'environ 12 ans, Valet chez SAINT BLANCARD ( les Parents du Vicaire ). Il vient déposer:

" que le jour d'hier,(donc le matin du vol), environ l'heure du soleil levé, ayant été sur la lande appelée de BUSCATON mener les juments du Sieur SAINT BLANCARD son Maître, il (a) vu deux hommes qui courroient en suivant le chemin quy va à BALIZAC et quy (se sont) arrêtés assez près de luy et qui portaient sur le dos chacun un sac remply comme font ordinairement les perraquets. L'un d'eux ayant un petit gilet blanc avec des poches et un autre une veste couleur canelle au sac de l'un desquels, il crut entrevoir la forme d'une croix. Ce qui fit qu'il leur demanda ce qu'ils portoient dans ce sac, à quoy il luy fut répondu qu'il n'avoit qu'à passer son chemin, que sans quoy il ne ferait pas bon pour luy, et ces     deux hommes continuèrent leur route ( tandis que LAMOULIE) s'en retournait chez son Maitre. Et en ce faisant, il rencontra des particuliers de (la) Paroisse quy luy dirent qu'on avait volé l'Eglise, et notamment la croix; tellement (qu'il) ne douta pas dès lors qu'en effet ces hommes qu'il ( a v a i t ) rencontrés s'enfuyant ne fussent les voleurs."

Voilà qui changeait tout. Immédiatement le remplaçant du Juge lança un Décret de prise de corps contre ces deux quidams en donnant leur signalement; décret qui fut aussitôt communiqué aux Juridictions voisines. Mais avec au moins 36 heure d'avance sur le message, ces deux hommes, avec les moyens de diffusion de l'époque, ne risquaient plus grand chose. 

De fait, ce dossier s'arrête là et il y a gros à parier que l'Eglise et les Paroissiens de BUDOS auront dû faire un deuil définitif de leur belle croix d'argent. Du moins, cette dernière affaire aura-t-elle eu le mérite de nous mettre dans l'ambiance d'une affaire " criminelle " telle qu'on la conduisait à l'époque.  

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Réflexions d'ensemble sur la justice seigneuriale:

  Nos Ancêtres étaient un peu rudes et en tous cas certainement turbulents. Ils étaient aussi procéduriers jusqu'à l'inconscience pure et simple. Tout juste sortis d'une mauvaise affaire, et quelquefois à grand peine, on les voit se lancer à corps perdu dans une nouvelle instance tout aussi aventureuse.

Un proverbe local de l'époque énonçait que : " Les juifs se ruinent en fêtes de Pâques, les Arabes en leurs noces et les chrétiens en procès...", le dernier point, à tout le moins, était bien observé.

Quelques figures pacifiques ou conciliantes apparaissent ici ou là, nous en avons heureusement rencontré quelques unes; nais elles ne représentent qu'une minorité. A y bien regarder, une bonne part des " arrangements que nous avons vus se conclure ont été réalisés sous la forte pression d'évènements contraignants, plutôt que sur la volonté d'un bon esprit de conciliation.

Combien de patrimoine ruraux ont-ils fondus dans des procès sans fin ?

Il faut dire que les gens de Justice étaient relativement nombreux, et d'ailleurs, en général, pas tellement aimés de leur entourage villageois, sinon même parfois redoutés. Et comme il leur fallait bien vivre, ils s'ingéniaient souvent à faire rebondir les affaires qui leur étaient soumises en d'interminables procédures dont nous avons eu l'occasion de découvrir quelques exemples. 

Etait-ce un propos délibéré ou bien le fruit d'une simple routine consacrée par l'usage ? Il est bien diffici1e d'en décider. Toujours est-il que du fait même de sa complexité, de son formalisme et de sa lenteur, la Justice Seigneuriale bénéficiait d'une sorte d'aura un peu solennelle qui renforçait son prestige et son autorité.

Le Seigneur avait perdu depuis bien longtemps son pouvoir militaire. Même s'il percevait encore quelques impôts locaux , il avait aussi perdu l'essentiel de son pouvoir politique au bénéfice de l'autorité royale. Finalement, de sa toute puissance médiévale, il ne lui restait plus guère que son Droit de Justice, diminué, certes, en matière criminelle, mais encore bien établi et incontesté en matière civile.

C'est par sa Justice que le Seigneur manifestait ce qui lui restait d'autorité sur la Paroisse. Il y tenait donc beaucoup, surtout lorsqu'il y avait identité parfaite, comme c'était le cas à BUDOS, entre la Seigneurie, la Paroisse et la Juridiction.

Le Tribunal de BUDOS fut supprimé à la fin de 1790. Il tint sa dernière audience le 13 Décembre. Cinq mois plus tard, le Baron De LAROQUE rejoignait l'Emigration, c'était la fin d'une époque....  

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