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De bon matin, le ler Janvier 1760, Jean BEZIN, " marchand tondeur de
laine " à BUDOS prend la route de PUJOLS et se rend chez Me BAYLE,
Notaire, qui y tient son Etude.
Il va y retrouver Pierre BANOS, " cardeur de laine ", et
quelques autres pour tenter de résoudre un litige qui les oppose depuis bien
des années quant au partage de la succession de Feu Arnaud BEZIN qui était,
lui aussi, de son vivant, " marchand tondeur ".
Arnaud BEZIN s'était marié deux fois et, à son décès, avait laissé une veuve et des enfants des deux lits successifs. Faute de testament, ce qui, nous l'avons déjà vu, constituait une relative exception, les héritiers n'avaient pu s'entendre sur le partage de ses biens.
Il s'en était suivi un interminable procès devant le Tribunal
Seigneurial de BUDOS. Après bien des chicanes, le Juge avait fini par rendre
sa sentence le 4 décembre précédent, C'était un Mardi, jour traditionnel
des audiences de ce Tribunal.
Cette sentence, comme il arrivait souvent, ne satisfaisait personne, si
bien que nous voyons les plaideurs, en cette matinée du Premier de l'An,
finir par où ils auraient dû commencer... Ils se sont donné rendez-vous
chez Me BAYLE afin de rechercher un compromis raisonnable dans le règlement
de leur affaire. Pour lors, ils ont au moins en commun une grande lassitude de
ce Procès, et un vif regret de s'être aventuré si loin dans une procédure
qui a dévoré une part de l'héritage en jeu.
Tandis qu'il taille ses plumes, le Notaire saisit très bien l'état
d'esprit des interlocuteurs qu'il a devant lui, et il le traduit à sa
manière:
"Il n'y a déjà
que trop longtemps, écrit-il, que (les parties en présence) sont en procès
pour-leurs droits, créances et reprises dans la succession... dudit Feu
Arnaud BEZIN... et qu'ils n'ont su assoupir (leur querelle); à leur honte,
ils ont laissé rendre une sentence entre eux... par le Sieur Juge de
BUDOS."
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A travers ces quelques lignes on sent combien les protagonistes sont
penauds d'en être venus là. Ils le sont d'autant plus que, trois semaines
après la sentence, au moment de régler les frais de justice, ils commencent
à mesurer l'ampleur du désastre. Or, en quelques heures, Me BAYLE va
débrouiller leur affaire, si bien qu'avant midi, l'acte de partage sera
établi et accepté par tous.
Leur triste expérience n'aura guère vertu d'exemple auprès des autres
Budossais. Certes, nous rencontrerons des cas où des personnes avisées, et
non des moindres, préféreront un mauvais arrangement plutôt qu'un procès,
mais elles constitueront une relative exception, si bien que, jusqu'à sa
suppression en 1790, le Tribunal de BUDOS ne désemplira pas.
Quel était donc ce Tribunal, d'où venait-il, et comment fonctionnait-il
?
De fait, la situation était extrêmement complexe. Il y avait bien par exemple un Seigneur dans la Maison Noble de CAGES, sur la Paroisse d'ILLATS, et il détenait des droits féodaux importants, mais il n'avait aucun pouvoir de Juridiction. Par contre, le Marquis de LANDIRAS avait Droit de Justice sur les Paroisses de LANDIRAS, ILLATS, GUILLOS, SAINT MICHEL de RIEUFRET et SAINTE MADELEINE de BRAX ( Paroisse depuis longtemps disparue mais dont les droits et devoirs féodaux subsistaient encore).
Par contre, Mr de RUAT, Seigneur de la SALLE, sur la Paroisse de PUJOLS, les Seigneurs d'YQUEM, de SUDUIRAUT, etc...n'avaient aucun Droit de Juridiction car les Paroisses de BARSAC, PREIGNAC, BOMMES, SAUTERNES, PUJOLS et CERONS relevaient de la compétence de la Prévôté Royale de BARSAC et que, leur Droit de Justice appartenait directement au Roi qui l'exerçait par l'intermédiaire d'Officiers de la Couronne.
Il n'était donc pas toujours facile de se retrouver dans cet
imbroglio et les Cahiers de Doléances de 1789 ne manqueront pas de demander,
à juste titre, une sérieuse remise en ordre de ce système par trop
anarchique.
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Le Baron de BUDOS, Haut Justicier du lieu, exerçait son Droit de Justice
aussi bien dans le domaine civil que dans le domaine criminel.
Au Civil, ainsi que nous le verrons ci-après de façon beaucoup plus détaillée, la compétence de son Tribunal s'étendait à toutes les causes, quelle que soit leur importance. Seules y échappaient les affaires impliquant des commerçants, lesquelles relevaient directement d'un Tribunal de Commerce situé à BORDEAUX et certaines affaires concernant les Eaux et les Forêts qui relevaient d'un Tribunal spécial (également situé à BORDEAUX).
Les
appels éventuels de ses Jugements étaient portés devant le Tribunal du
Sénéchal de GUYENNE puis, en second appel, devant le Parlement de BORDEAUX.
Il existait en effet à l'époque trois degrés de Juridiction successifs que
le Droit moderne a ramené à deux.
En matière Criminelle, la compétence qui, à l'origine, était générale, s'était beaucoup amenuisée au fil du temps. On en avait progressivement distrait ce que l'on appelait les " Cas Royaux " dont le nombre est allé toujours croissant. C'est ainsi qu'à la fin du XVIIIème siècle, on portait directement devant les Juges Royaux les crimes de lèse-majesté, de rapt, de fausse monnaie, d'hérésie, de police de port d'armes, les vols sur les grands chemins ou avec effraction, etc.. etc.. et la liste en était longue.
Autant dire que les Justices Seigneuriales n'avaient
conservé en ce domaine que la connaissance des vols sans violence, les rixes,
coups et blessures, injures et autres affaires mineures. En cas d'appel, il
n'y avait ici que deux degrés de Juridiction; on passait en effet directement
du Tribunal local au Parlement de BORDEAUX.
D'une façon générale, les Seigneurs ne mettaient pas trop de zèle à poursuivre les crimes et délits, même ceux entrant dans la compétence de leur Juridiction. C'était en effet pour eux une source de frais assez considérables ( enquête, entretien des prisonniers, etc. . ) et de peu de profit ( amendes souvent irrécupérables). Il en résultait un peu partout de grands désordres facteurs d'insécurité que le Pouvoir Central ne pouvait tolérer.
Aussi, un Edit de Février 1771 vint mettre un peu d'ordre dans tout cela. Il était désormais posé en règle générale que si les Officiers Seigneuriaux étaient intervenus les premiers sur une affaire délictueuse ou criminelle, ils pouvaient, sitôt après la réunion des premières preuves et constats, passer le dossier à un Juge Royal. En ce cas, tous les frais subséquents étaient supportés par le Domaine de la Couronne.
Par contre, si
les Officiers Seigneuriaux se laissaient prendre de vitesse par ceux du Roi,
ces derniers poursuivaient l'action, mais aux frais du Seigneur. C'était une
disposition très astucieuse car elle stimulait singulièrement les
Juridictions locales. Dès lors, un zèle tout nouveau se manifesta dans les
campagnes pour le plus grand bénéfice de l'ordre public.
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C'est ainsi que lorsque le 18 Février 1788 on découvrit François LATRILLE noyé " dans la gourgue du Moulin " de Budos, ces " Messieurs de la Justice " firent tout aussitôt diligence pour mener une enquête et en dressèrent Procès Verbal le soir même à 16 heures. Le vol ne pouvait guère être ici le mobile d'un crime car il s'agissait d'un pauvre mendiant originaire du NIZAN et qui, passant par là dans la nuit, avait dû glisser et tomber dans le bassin de retenue.
Mais pouvait-on savoir ? Et
" ces Messieurs " sont allés si vite en besogne que le Curé DORAT
se plaint dans ses registres de n'avoir pas été prévenu avant 17 heures
pour faire sonner la cloche et annoncer le décès. On avait donc fait très
vite car, la chose venant aux oreilles d'un agent du Roi, on aurait pu en
monter toute une affaire, et c'est précisément ce que l'on voulait éviter.
Organisation du tribunal de Budos
son personnel, les fonctions et les hommes:
Le Tribunal de Budos était composé d'un Juge, d'un Procureur d'Office,
et de divers auxiliaires de Justice tels qu'un Greffier, un Sergent ou Il
Bayle Il et quatre Procureurs Postulants.
Le Juge et le Procureur d'Office étaient des Oficiers
de Justice. Ils étaient nommés par le Seigneur qui leur délivrait
une
" Lettre de Provision laquelle restait valable, selon la formule la
plus courante tant qu'il plaira au Seigneur".
C'était donc un statut particulièrement précaire qui, à l'évidence ne
favorisait pas l'indépendance du Juge. Le bon vouloir du Seigneur Justicier
était parfaitement souverain. A BUDOS, il ne semble pas que, dans les
derniers temps de l'Ancien Régime, il en ait abusé. Tout
au plus le voit-on, en 1775, retirer son agrément à un Procureur
postulant, simple avoué auprès du Tribunal. Ces révocations n'étaient
pourtant pas exceptionnelles. Une venait tout juste de se produire à NOAILLAN,
au début de notre période,
lorsque le 23 Mai 1759, la Dame MOINE de CHANCLOU et son fils, co Seigneurs
de cette Juridiction, décidèrent de révoquer Me PERROY, leur Procureur
d'Office :
" ... quoiqu'ils
soient satisfaits des services (qu'il) leur a rendus jusqu'à
présent..."
La formule peut surprendre. Elle mérite en tous cas notre attention car
elle est tout à fait significative de la prudence des Seigneurs. En effet, le
Droit de l'époque voulait que le Seigneur Justicier puisse nommer et
révoquer ses Juges et Procureurs en toute liberté et sans en donner les
motifs. Mais si d'aventure il les donnait, il en prenait la responsabilité et
le magistrat congédié avait le droit de les contester devant le Tribunal du
Sénéchal, degré d'appel, en le sommant de fournir ses preuves et de
justifier sa décision. On comprendra donc sans peine que les décisions de
l'espèce n'étaient pas souvent motivées et que, mieux encore, il leur
arrivait, à l'occasion, d'être enguirlandées de quelques fleurs de
rhétorique comme c'est ici le cas. En tout état de cause, le résultat
était le même.
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Pour corriger les conséquences d'une telle dépendance des officiers Seigneurïaux au regard de leur Maître, il était prévu que les litiges impliquant les intérêts majeurs du Seigneur étaient directement portés devant le Tribunal du Sénéchal à BORDEAUX et les Budossais ne se firent pas faute d'user de cette possibilité en plusieurs circonstances évoquées par ailleurs.
Cela venait de se produire peu avant l'origine de cette période, en
1756 et 57, dans un procès qui se poursuivit jusque devant le Parlement de
BORDEAUX et qui, pendant plusieurs années, opposa les Villageois à leur
Baron. Par contre, les petites affaires ne soulevant aucune question de
principe ( poursuite d'impayés, contravention de police etc…) restaient sur
le plan local.
La désignation d'un Juge Seigneurial n'éatait dependant pas totalement
arbitraire. Elle obéissait à un certain nombre de règles qui avaient été
définies au XVIeme siècle par les Ordonnances Royales d'ORLEANS et de BLOIS.
Le candidat devait être âgé d'au moins 25 ans, être reconnu de bonne vie
et mœurs, détenir un grade universitaire en Droit et appartenir à la
religion Catholique. En outre, avant d'entrer dans sa charge, le Juge
désigné devait se présenter devant la Cour Royale localement désignée
pour recevoir les appels que l'on ferait éventuellement sur ses jugements . A
BUDOS, le nouveau Juge devait ainsi être reçu par le Sénéchal de GUYENNE
à BORDEAUX.
Les Ordonnances Royales prévoyaient que le Seigneur devait verser à son Juge des appointements lui permettant de " soutenir sa dignité ". Bien que les archives ne nous aient pas conservé le montant de ces appointements pour le Tribunal de BUDOS, il ne semble pas qu'ils aient pu être très élevés.
En effet, d'une façon très générale, dans les
Contrats de longue durée passés sous l'Ancien Régime, les appointements,
redevances, et autres montants estimés en argent ne tenaient guère compte de
l'inflation. Nos Ancêtres répugnaient à tout réajustement de prix
consacrés par un acte, fût-il très ancien. Il en résultait que certains
salaires, tout comme certaines redevances locales étaient, au fil du temps,
devenus quasiment dérisoire ( il en allait tout autrement, nous l'avons vu,
pour les Impôts Royaux).
Si les appointements proprement dits ne devaient donc pas être spécialement lucratifs, il fallait néanmoins tenir compte du versement des " épices " qui pouvaient représenter un certain intérêt. Il s'agissait de dons qui, en milieu rural, s'effectuaient généralement en nature, et que les plaideurs remettaient aux magistrats pour les intéresser à leur affaire et se les concilier.
L'usage en était absolument constant,
reconnu, et admis par tout le monde. Et ici, point d'inflation à redouter. Un
pot de vin reste, en toute circonstance, un pot de vin, et un jambon un
jambon, et ceci, quel que soit le cours de la monnaie. Il est donc bien
possible, sinon même probable, que les " épices " ont pu
représenter pour le Juge plus d'intérêt que les appointements du Seigneur.
Quoi qu'il en soit, la charge du Tribunal de BUDOS ne suffisait pas à
justifier la présence d'un Juge à temps complet, si bien que nous voyons
l'intéressé cumuler sa fonction avec celle de LANDIRAS. Et en dépit de ce
cumul, il exerçait encore une autre profession qui, en fait, constituait son
activité
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Il était avocat auprès du Parlement de BORDEAUX. Une telle
activité était très fréquente chez les Juges Seigneuriaux, c'était la
plus répandue avec, quelquefois, celle de Notaire. Les Seigneurs attachaient
beaucoup de prix à la profession principale de leurs Juges. Avoir un bon
avocat pour Juge, c'était obtenir l'assurance d'avoir à sa dévotion un
conseiller juridique d'expérience que le Seigneur pouvait utiliser à
moindres frais pour orienter et instruire ses propres affaires devant d'autres
Juridictions; Cette pratique était quasiment de règle, et BUDOS n'y a pas
échappé.
C'est ainsi que pendant près de trente ans, Bertrand DEGENSAC, le Père,
et Gervais, son fils, l'un succédant à l'autre, ont assuré simultanément
les Juridictions de BUDOS et de LANDIRAS tout en étant avocats auprès du
Parlement de BORDEAUX. Chacun d'entre eux constitue un modèle quasi parfait
de ce qu'a pu être un Juge Seigneurial en milieu rural bordelais à la fin du
XVIIIème siècle.
Ils habitaient BORDEAUX, d'abord rue de GOURGUES, puis, dans les années 1780, rue de LALANDE, sur la Paroisse de Ste EULALIE. Ils étaient Bourgeois de la Ville, titre auxquels s'attachaient de nombreux privilèges que nous évoquons par ailleurs. Avocats "en la Cour", ils bénéficiaient des mêmes vacances que les Parlementaires, lesquelles étaient très largement calculées.
Ils les mettaient à profit pour venir s'installer dans leur résidence de campagne, le Père au quartier des LOUPS, sur la Paroisse de LANDIRAS, le fils à PUJOLS. Ils disposaient là de domaines ruraux à dominante viticole qu'ils géraient avec beaucoup d'attention, ne négligeant aucune occasion de les agrandir par des acquisitions judicieuses. Ils s'y consacraient tellement qu'ils suspendaient les audiences du Tribunal pendant la période des vendanges pour ne les reprendre qu'après la St MARTIN ...
Ils vivaient là avec leur famille pendant près de six mois de l'année. Pendant leur période de résidence bordelaise, tout spécialement en hiver et au printemps, ils revenaient assurer les audiences de leurs Tribunaux Seigneuriaux. Depuis bien longtemps, celles-ci se tenaient le Lundi à LANDIRAS et le Mardi à BUDOS ce qui, compte tenu des moyens de communication de l'époque, constituait pour eux une assez sérieuse contrainte.
Aussi, Bertrand, le Père, entreprit-il le siège du Baron De LAROQUE BUDOS pour faire fusionner les deux audiences en un même jour, et, si possible dans un même lieu. Dans cette démarche il trouva des alliés naturels en la personne des Procureurs Postulants qui, également communs aux deux Tribunaux, se trouvaient confrontés au même problème d'emploi du temps.
Le Baron ne tenait pas tellement à fusionner les deux Juridictions, ce qui se comprend aisément car la disparition du Droit de Justice dans l'une ou l'autre des deux Seigneuries en aurait à coup sûr diminué la valeur. Mais il accepta de fusionner les audiences en un même lieu et un même jour, le Lundi à LANDIRAS.
C'était bien ce que réclamait Me DEGENSAC. Pour ce faire, le Baron
convoqua Me BOLLEE, Notaire à BARSAC, qui se présenta au Château le 7 Mars
1769, un mardi matin, jour d'audience judiciaire en ce lieu. Et là, en
présence de Benoît ROUSSEAU, valet de chambre du Baron, et de Jean LATERRADE,
un autre domestique, Me BOLLEE va dresser son acte:
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" Ce jourd'huy ... a
comparu Messire Michel, Joseph,
Qu'il soit tout de même permis de douter qu'il ait pu paraître " avantageux au public de réaliser cette fusion." Que cela ait été l'intérêt de Me DEGENSAC, nous n'en saurions douter, de même pour les Procureurs Postulants qui préféraient ne se déplacer qu'un seul jour au lieu de deux. Qu'un Budossais du quartier de LAUCHET n'ait pas vu trop d'inconvénients à se rendre le lundi au Château de LANDIRAS plutôt que le mardi à celui de BUDOS, c'est encore possible.
Mais tout le monde n'habite pas à LAUCHET ou au quartier du CARPIA et l'on aurait bien aimé connaître le point de vue des habitants des quartiers de PINGOY ou de FONBANNE, du Bourg, ou mieux encore des MOULIES qui se voyaient infliger une marche à pied ( quasi certaine) supplémentaire de huit kilomètres à l'aller et autant au retour... Peut-être ceux-là n'ont-il pas estimé qu'un tel changement fut réellement " avantageux au public ".
Et il est si vrai que la mesure fut prise au bénéfice du seul Juge,
que le texte prend bien soin de personnaliser la décision, laquelle ne
s'appliquera que " tout autant que ledit Sieur DEGENSAC occupera lesdites
deux Juridictions ". On ne saurait être plus clair. En fait, cette
fusion, que Gervais DEGENSAC, le Fils trouvera plus tard tout à fait à sa
convenance et pour les mêmes raisons que son Père se prolongera jusqu'à la
suppression du Tribunal en 1790. Il n'y aura plus d'audiences à BUDOS à
partir de 1769.
On peut se demander quel intérêt un avocat au Parlement de BORDEAUX, Bourgeois de la Ville, solide propriétaire terrien de surcroît, pouvait bien trouver dans l'exercice de la fonction de Juge Seigneurial. Sa situation matérielle ne parait pas avoir eu réellement besoin du concours de la modeste rémunération de la charge.
Peut-être, comme nous l'avons vu, les
" épices " pouvaient-elles constituer un avantage domestique
intéressant du fait des dons en nature des plaideurs ( oeufs, volailles,
charcuteries familiales, vin, etc ... ). Mais ce n'est probablement pas là
que se trouvent les véritables motifs de cet attachement. Ce que pouvait
rechercher un DEGENSAC, comme tant d'autres dans le même cas, c'était, avant
tout une certaine considération,
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Dans une société
très attachée aux signes distinctifs des personnes, aux rangs et aux
privilèges, chacun se montrait en effet avide de ces " honneurs "
et particulièrement sourcilleux quant à leur respect. Nous en avons
rencontré et en rencontrerons bien d'autres exemples en passant, qu'il
s'agisse du droit de disposer d'un siège dans l'Eglise paroissiale, ou de
déterminer l'emplacement de sa tombe au cimetière...
Dans la Paroisse, le Juge était à coup sûr un Notable, un homme
respecté, mais aussi un homme plus redouté qu'aimé. Outre le fait que ses
décisions en matière civile ne pouvaient évidemment satisfaire tout le
monde, il ne faut pas oublier qu'il poursuivait et jugeait les affaires
pénales. Et en ce domaine, il fixait à son gré le montant des amendes
sanctionnant les infractions constatées ( vols, rixes, délits de pêche ou
de chasse, etc… ), avec tout de même pour limite à son bon plaisir, il
faut le rappeler, la possibilité d'un appel de son Jugement devant le
Sénéchal de Guyenne.
Mais peut-être plus encore, pour un avocat au Parlement, le titre de Juge
Seigneurial conférait-il une certaine respectabilité auprès des magistrats
de la Cour. Cela pouvait n'être pas tout à fait négligeable pour qui
voulait se piquer de notoriété. Quoi qu'il en soit, il est patent que
partout, ces postes ont été effectivement très recherchés, et les DEGENSAC
apportent la preuve que l'on ne répugnait pas, dans une famille, a en
ménager la succession à un enfant lorsque la chose était possible.
Tout ce qui touche aux fonctions d'Officier de Justice était empreint de dignité et de solennité. A la limite, il est même parfois plaisant de voir un Juge se donner des ordres à lui-même et les exécuter gravement. Ainsi par exemple, le Juge du Siège décidera-t-il d'un transport de Justice en un lieu donné.
A cet effet, il prendra un " appointement ", autrement
dit une décision dont son Greffier fera un acte très officiel. Parvenu sur
place, il dressera un Procès Verbal de sa présence en ce lieu en vertu de l'appointement
qu'il a lui-même pris quelques heures plus tôt. Et à qui le destine-t-il
donc, sinon à lui-même puisqu'il retrouvera ce Procès Verbal sur son bureau
quelques heures plus tard... Nous nous défendons mal de regarder cet apparat
comme un scénario d'opérette, mais nos Ancêtres ne le voyaient pas du tout
comme cela.
Les archives nous ont conservé tous les documents relatifs à
l'intronisation de Me Gervais DEGENSAC prenant à BUDOS la succession de son
Père Bertrand sur le siège du Juge Seigneurial.
Tout commence par l'établissement de Lettres de Provision que rédige le
Seigneur :
" Nous, Charles
François, Armand De LAROQUE, Baron de BUDOS, étant pleinement instruit des
bonnes vie et moeurs,
capacité et religion catholique, apostolique et romaine
de la personne de Me Gervais DEGENSAC Avocat la Cour.... considérant les
services rendus par sa famille à nos auteurs et à nous, avons de notre pure
et libre volonté requis, choisi, élu et nommé.... par
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On aura noté que le Juge de BUDOS était aussi " Gruyer "
c'est-à-dire Juge des Eaux et des Forêts. Tous les Juges ne l'étaient pas,
il fallait pour cela obtenir une délégation spéciale du Pouvoir Royal, et
c'était ici le cas.
Après quoi, le nouveau Juge devait se présenter devant ce qui allait
devenir son Tribunal pour y prêter un serment solennel:
"Aujourd'huy 27 Avril
1778, au Parquet de la Juridiction et Baronnie de BUDOS, pardevant nous,
André BAYLE, expédiant la Juridiction vacante comme plus ancien Procureur
audit Siège, a comparu Me Gervais DEGENSAC, Avocat au Parlement lequel a dit
que Mgr Charles, François, Armand De LAROQUE l'aurait nommé Juge Civil,
Criminel, Gruyer et de Police de ladite Cour..."
Ainsi
reçu dans son prétoire, le nouveau Juge se voit invité à :
"lever la main et
prêter le serment de bien et fidèlement exercer ladite charge et de se
conformer aux Arrêts et Règlements de la Cour..."
Me DEGENSAC devait être le dernier Juge de BUDOS, il devait en effet
siéger jusqu'à la suppression du Tribunal tout à la fin de 1790, sa
dernière audience ayant été tenue le 13 Décembre.
A côté du Juge, au Parquet du Tribunal, siégeait un autre Officier de Justice, le Procureur d'Office , qu'en d'autres lieux on appelait également le Procureur Fiscal. Son rôle était à peu près celui que nous reconnaissons aujourd'hui au Ministère Public. En matière pénale ( "au criminel " disait-on à l'époque) il diligentait les enquêtes en matière de crimes, de délits, ou de simple police, car le maintien de l'ordre lui était dévolu.
En matière
civile, il intervenait dans les domaines concernant les mineurs et les
incapables. Mais aussi, et peut-être surtout, du moins dans la pratique, il
était le Procureur du Seigneur dans toutes les affaires où les intérêts du
Baron étaient en jeu. Il pouvait tout aussi bien s'agir de la perception des
redevances et impôts seigneuriaux que des délits de chasse ou de l'exercice
des droits féodaux.
Si les Juges étaient en général choisis parmi des gens que nous appellerions aujourd'hui des " résidants secondaires", les Procureurs d'Offices se recrutaient plutôt parmi les Notables locaux domiciliés dans la Paroisse. Le Juge était en effet un homme de dossiers dont les décisions se prenaient sur pièces et qui disposait pour cela des délais qu'il estimait utiles. Sa présence permanente dans le village n'était donc pas absolument indispensable.
C'est ainsi que nous avons vu les
DEGENSAC tenir leur domicile à BORDEAUX. Il en allait tout autrement pour le
Procureur d'Offices qui était davantage un homme de terrain et qui devait
être à même d'intervenir très rapidement sur place, en particulier en cas
de crime ou de délit, si l'on voulait éviter de voir les gens du Roi
s'emparer de
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Au surplus, il fallait que les candidats, tout comme les Juges, aient
reçu un minimum de formation juridique.
Tout au long du XVIIIème siècle, les Procureurs de BUDOS ont bien rempli ces conditions. Et d'abord Bernard COUTURES, tout au début du siècle, qui était un Budossais de très vieille souche, sa famille étant issue du hameau de COUTURES, près du moulin du BATAN. Il était, de surcroît, Notaire.
Il
semble bien d'ailleurs qu'il ait été le dernier Notaire établi à BUDOS.
Son Etude, connue depuis le XVIème siècle et tout au long du XVIIème ( une
part de ses archives ayant été sauvegardée ) ne laisse plus de trace après
lui. Il était en étroite relation avec la famille des Seigneurs comme en
témoigne l'acte de baptême de son fils Pierre Vincent :
" Aujourd'huy 17 du
moy d'Aoust 1702 nacquit vers la minuit Pierre Vincent COUTURES, fils
légitime du Sieur Bernard COUTURES, Procureur d'Offices de BUDOS et Notaire
Royal, et de Demoiselle Marie FAUGAS, ses Père et Mère, et fût baptizé le
vingtième jour du même mois, estant parrain Messire Pierre Vincent De
LAROQUE, Chevalier et Ecuyer de BUDOS et Marraine Demoiselle Marie Olive De
LAROQUE, lesquels ont été présents ... et ont signé l'acte. "
L'honneur d'un tel parrainage était exceptionnel, les cas en sont très rares. Signalons en passant que cette Marie Olive était la soeur du Baron Jean Pierre Vincent qui, curieusement dans cet acte a perdu son premier prénom. Elle avait alors 29 ans et attendait, au Château, un mariage qui tardait à venir.
Elle devait encore attendre jusqu'en 1714 avant d'épouser Messire
François D'ORLI, à l'âge de 41 ans. Pierre Vincent COUTURES, tout comme sa
marraine, devait se marier tardivement à BUDOS, en 1748, avec une fille
LACASSAGNE, tandis qu'un de ses frères, Joseph Vincent, tenait le Greffe du
Tribunal. Il s'agissait donc bien d'une famille de juristes locaux.
Un autre bon exemple de ces familles nous est offert par les PENICAUD. Ils étaient originaires de BORDEAUX. Me Jean Abraham PENICAUD, Bourgeois de cette Ville avait été " Conseiller du Roi et Procureur en la Cour du Sénéchal de GUYENNE ". De lui, était issue toute une dynastie de Juristes tels que Barthélémy, Procureur au Parlement, Jean, Procureur d'Offices de la Juridiction des BENAUGES, et Bernard que nous retrouvons Greffier du Tribunal de BUDOS dans les années 1740.
Le fils de ce dernier, également prénommé Bernard s'était marié avec une Demoiselle Marie DEPEAU à LEOGEATS, fille de Fort DEPEAU Greffier en Chef du Tribunal de la Prévôté Royale de BARSAC. Le 28 Juillet 1757, ce Fort DEPEAU avait vendu sa charge à son gendre Bernard PENICAUD.
Il ne l'exerça guère car il la
revendit à son tour pour 3.000 Livres dès le 12 Mai 1760. Il était en effet
un peu " nomade ". On le voit habiter d'abord à LEOGEATS au moment
de son mariage, puis il va s'installer à PUJOLS vers 1760, il revient à
LEOGEATS où nous le retrouvons en 1771, et pendant tout ce temps là, il
conserve des intérêts à BUDOS qui lui viennent de son Père. Il vint enfin
s'y installer et s'y fixer pour y devenir Procureur d'Offices. Il devait y
rester jusqu'à sa mort, bien après la suppression du Tribunal local.
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Dans ses vieux jours, il nous est décrit comme un homme de :
" cinq pieds deux
pouces et demy ( 1,69 mètre), portant perruque grise, les sourcils et les
yeux gris, le nez long, le visage maigre, allongé et coloré, la bouche
moyenne manquant de plusieurs dents sur le devant, menton et front ronds, le
corps maigre et allongé . "
Il habitait au Bourg où, n'ayant pas eu d'enfant, il finit ses jours dans
la solitude après le décès de sa femme survenu le 21 Avril 1788. Alors
qu'il était gravement malade, il ajouta un codicille à son testament et tint
beaucoup à ce que cet acte revête une solennité particulière. A cet effet,
outre Me DUCASSE, Notaire à LANDIRAS qui tenait la plume, il avait convoqué
à titre de témoin le Curé Me Jacques DORAT, le Chirurgien Pierre MANDILIION,
le Forgeron Jean DESCOUBES, et, pour faire bonne mesure, un autre Notaire de
ses amis, Pierre SERVIEN.
Me DUCASSE s'installe:
" sur une table à côté de son lit, le 15 Mars 1790, après midy..."
Sous la dictée de Bernard PENICAUD, il rédige le codicille par lequel il
lègue à Catherine DUPRAT, surnommée CATON, sa servante:
" le lit complet
avec sa garniture dans lequel il mourra, deux paires de draps de lit, deux
douzaines de serviettes, deux nappes, six chaises, une petite table à quatre
pieds en bois de cerisier avec tiroir, deux vieux coffres dont elle se sert
pour mettre ses nippes et la somme de 1.000 Livres en argent, le tout payable
3 jours après son décès... pour la récompenser de ses peines et des soins
qu'elle prend dudit PENICAUD, à la charge toutefois pour elle de luy
continuer les mêmes attentions et de le servir sans interruption jusqu'à son
décès."
A ce prix là, CATON avait son avenir assuré. Bien des filles de
laboureurs aisés de BUDOS n'en recevaient pas davantage en dot à l'occasion
de leur mariage, et même souvent beaucoup moins. Mais il lui fallut attendre,
car son Maître se rétablit, et ne devait mourir que le 5 Brumaire de l'An
XIII ( 27 Octobre 1804 ), CATON avait alors quarante ans ....
Bernard PENICAUD a ainsi
été le dernier Procureur d'Office du Tribunal de BUDOS.
Outre le Juge et le Procureur, ce Tribunal comportait un Greffier et un
Sergent Ordinaire également appelé Bayle.
Le Greffier prenait en note les comptes rendus d'audiences civiles et criminelles et mettait en forme les jugements prononcés par le Tribunal. Il dressait les Procès Verbaux dressés à l'occasion des enquêtes judiciaires ouvertes sur les crimes et délits. Il était enfin responsable de la conservation des documents produits par les plaideurs en les rangeant dans des sacs, à raison d'un par procès.
La plupart de ces archives a disparu et c'est une grande perte car elles auraient constitué une mine particulièrement appréciable de renseignements sur la vie quotidienne de la Paroisse. Il n'en subsiste que quelques dossiers.
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Cette disparition s'explique par le fait que lors que la Loi du 17 Juillet
1793 décida de détruire les archives
En certains lieux, même, comme à SAINT LEGER de BALSON, ils poussèrent le zèle jusqu'à détruire les Registres Paroissiaux ce qui n'alla pas sans poser de très sérieux problèmes à la population pendant le demi siècle qui suivit et même au-delà. Les Notaires, en cette affaire se montrèrent heureusement beaucoup plus circonspects.
Bien rares furent ceux
qui obtempérèrent aux ordres de destruction de leurs minutes, et c'est
grâce à leur désobéissance que nous ont été conservées les plus
précieuses de nos archives locales.
Le Sergent Ordinaire ou Bayle, quant à lui, était un personnage mi-gendarme et mi-huissier. Il assistait le Procureur dans ses enquêtes et se rendait au domicile des justiciables pour leur signifier les assignations à comparaître, les jugements et, plus généralement tous les actes de justice.
Au cours des trente dernières années de l'Ancien Régime, trois Bayles au
moins se sont succédés auprès du Tribunal de BUDOS : Pierre DUBOURDIEU,
dans les années soixante, Dominique LABARTHE, dans les années soixante dix,
et Jean BEDOURET jusqu'à la Révolution. Tous étaient de BUDOS, mais aucun
n'est susceptible d'avoir été celui qui a donné son nom au quartier de
JANOT BAYLE, car l'appellation en est beaucoup plus ancienne et se réfère à
un Bayle des siècles antérieurs qui y avait peut-être fixé son domicile.
En face des Officiers et Agents de Justice composant le Tribunal, il y
avait évidemment les justiciables. Mais ceux-ci n'avaient pas d'accès direct
à leur Justice locale, c'eût été beaucoup trop simple. Ils devaient se
faire représenter par des " Procureurs Postulants ", simples
particuliers ( mais qu'il fallait bien sûr rémunérer ) ayant acquis une
certaine expérience des affaires et agréés par le Tribunal pour
représenter les plaideurs, comme auraient pu le faire des avoués ou des
avocats. A BUDOS, ils étaient au nombre de quatre (LACASSAIGNE, BAYLE,
LAVIGNE et TAUZIN ).
Les lourdeurs de la justice seigneuriale:
On pourrait penser qu'une Justice aussi proche du Justiciable devait être particulièrement rapide, efficace et surtout économique. Un Juge que l'on rencontre à la sortie de la Messe dominicale, un Procureur d'Offices qui habite au Bourg et que l'on peut croiser à chaque instant sur la place du Village sont des hommes accessibles et connus à qui l'on doit pouvoir parler avec les mots de tous les jours.
Il aurait dû en résulter une justice
arbitrale de bon sens, toute proche des gens et de leurs problèmes. Or il
n'en était rien. La Justice Seigneuriale, à BUDOS, comme partout ailleurs,
était lente, tatillonne et particulièrement onéreuse.
Elle était lente. Oh ! combien ! Et même si ses archives
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Jean LAFON, dit CARDONNE, est le Beau Père d'Arnaud BEDOURET et tous deux
sont vignerons à BUDOS. Un différend les oppose. Le 25 Avril 1782, ils se
rendent de concert chez Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS qui, les ayant
écoutés, expose:
" entre lesquelles
parties a été dit que depuis environ treize ans qu'ils plaident devant le
Juge de BUDOS à raison de plusieurs demandes particulières qu'ils se
faisaient l'un à l'autre..."
Treize ans ! Ils sont las ( comment ne pas les comprendre ?), et décident de prendre un arbitre en se mettant " hors de Cour"; entendons par là qu'ils décident d'interrompre le cours de leur procès et de le régler à l'amiable en dehors du Tribunal. C'est chose bientôt faite, en moins de deux heures, leur affaire est éclaircie par le Notaire et tranchée au mieux des intérêts de chacun.
Ce cas est significatif car il
n'y a eu ici aucun appel devant la Cour du Sénéchal. On est bel et bien
resté treize ans à s'adresser du papier timbré par " Procureurs
Postulants" interposés, renvoyant l'affaire d'une audience à l'autre
sans jamais sortir de BUDOS. C'est à peine croyable, et pourtant...
Autre cas avec Jean LAPORTE, dit FRAYOT, laboureur à BUDOS, qui perd
définitivement son procès contre Jeanne FERBOS, épouse de Pierre BEDOURET,
au cours de l'audience du 22 Mai 1759. On apprend là incidemment que ce
procès dure depuis seize ans et six mois, ici encore sans jamais être sorti
de BUDOS.
Citons encore le cas d'Arnaud DAULAN qui est créancier de Pierre BANOS et
qui ne parvient pas à s'en faire payer. Il fait procéder à une saisie que
BANOS conteste aussitôt. Au surplus, Marguerite BEZIN, épouse de BANOS
entend soustraire ses biens dotaux à cette saisie. Il en résulte bientôt un
imbroglio particulièrement obscur qui ne se dénouera que le 28 Septembre
1776 au terme d'une procédure qui aura duré
"... douze ans , un mois et douze jours ..."
Et encore, comme Pierre BANOS n'a encore rien versé au bout de trois
mois, Arnaud DAULAN lui fait signifier, par acte notarié du 26 Janvier 1777
que s' il ne s'acquitte pas de sa dette sous huitaine, il... lui intentera un
nouveau procès !
Il serait vain de multiplier ces exemples; incontestablement cette Justice
était lente, mais elle était aussi tatillonne. Le moindre défaut de
procédure était immédiatement exploité par l'un ou l'autre des plaideurs,
et le Tribunal entrait dans ce jeu sans l'ombre d'une hésitation.
Ainsi par exemple Bernard BRUN, dit PINGOY, a-t-il fait l'objet d'une
saisie à la suite d'une condamnation prononcée par le Juge de BUDOS, le 15
Juin 1789, au bénéfice de deux frères BEDOURET. Jean BEDOURET ( simple
homonyme, car il est issu d'une autre famille ), Sergent Ordinaire de la Cour
Seigneuriale, se présente au domicile de BRUN pour lui signifier cette saisie
et lui laisse copie de l'acte. Seulement voilà... il a oublié de dater son
" exploit " de signification. Après consultation d'un conseil,
Bernard BRUN ( qui ne sait pas lire, attaque cette signification irrégulière
pour vice de forme devant ce
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Et l'on repart pour un nouveau procès durant lequel
l'action principale sera suspendue. L'affaire ne sera pas encore réglée
lorsque la Juridiction sera supprimée ...
Lente et tatillonne cette Justice était aussi très onéreuse. Et ici,
les exemples que l'on pourrait citer sont quasiment innombrables.
Pour une petite affaire sans grande portée, Jean FERRAND est condamné, le 20 Octobre 1767, à 10 Livres de dommages et intérêts et aux dépens du procès. Ceux-ci s'élèvent à 48 Livres et 12 Sols Mieux encore, François BATAILLEY, qui habite au quartier des MAROTS, a perdu son procès contre Pierre CASTAIGNET dit POULOT; le 27 Septembre 1789, il est condamné, lui aussi à 10 Livres de dommages et intérêts et aux dépens, et ceux-ci, tout bien compté, se montent à 84 Livres 5 Sols et 3 Deniers ...
Dans l'interminable procès évoqué ci-dessus,
opposant Arnaud DAULAN à Pierre BANOS et sa femme, les frais se sont élevés
à près de 300 Livres, sans compter bien sûr les intérêts légaux. Et
encore, à tout cela, faut-il ajouter le montant des " épices" que
nous avons déjà évoquées et qui n'apparaissent jamais dans ces comptes.
Est-il besoin de dire que tout ceci est peu de chose au regard des procès poursuivis en appel. Pierre MOURA et Pierre SAINT BLANCARD ont porté devant le Tribunal du Sénéchal de GUYENNE un Jugement rendu en première instance à BUDOS. La sentence d'appel est prononcée le 23 Février 1781.
Il apparaît
alors que les dépens s'élèvent à 700 Livres, soit la valeur approximative
de 25 barriques de vin local ! Et ce montant ne couvre que les seuls frais de
justice; il faut évidemment y ajouter les rémunérations des procureurs
postulants, des avocats, le coût des déplacements, sans parler, bien sûr,
des inévitables épices. Ces procès étaient tout simplement ruineux.
Et pourtant, sous la réserve de quelques sages plus portés sur la recherche d'un arrangement que sur l'introduction d'un procès, nos ancêtres, d'une façon générale, étaient d'incorrigibles procéduriers. Nous aurons maintes occasions de les voir à l'œuvre lorsque nous évoquerons les affaires portant témoignage de leur vie quotidienne au Village. Tout est matière à procès.
Un chien errant, un boeuf égaré, un passage contesté,
quelques mots un peu vifs, et c'est tout aussitôt l'introduction d'une
instance, en dépit de tous les risques présentés par une Justice dont ils
ne pouvaient ignorer ni les lourdeurs ni le prix. Qu'à cela ne tienne, ils
s'engageaient d'abord et réfléchissaient ensuite; quitte à le regretter au
bout d'un plus ou moins long temps, effrayés parfois par la tournure de leur
affaire au regard de leurs maigres ressources.
C'est le cas de Jean SOUBES, sabotier à BUDOS, et de Jean DURON, forgeron
à LANDIRAS qui, d'instance en instance, ont fini par porter leur différend
jusque:
" en la chambre de la
Tournelle de la souveraine Cour du Parlement de BORDEAUX où l'action est
actuellement pendante..."
Elle est tellement pendante que, le temps passant, ils deviennent de plus
en plus inquiets, et à juste raison semble-t-il. Chacun
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" Messieurs leurs avocats et procureurs sans qu'ils aient pu encore
savoir l'évènement, à cause de quoi... craignant l'un et l'autre... (les
conséquences)... d'un jugement qui leur occasionnerait à l'un et à l'autre
(des dépens) considérables..."
ils ont pensé qu'il valait mieux abandonner ce procès et s'en remettre
" à la décision et règlement d'arbitres . C'est ce qu'ils font en
s'adressant à Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS, le 23 Mars 1772, lequel Notaire
débrouille leur affaire en quelques heures.
Autre anecdote. Deux soeurs, Marie et Jeanne LACASSAGNE sont en procès au sujet de la succession de leurs Parents. Elles n'arrivent pas à en sortir jusqu'au jour où, le 11 Décembre 1770, elle se retrouvent en terrain neutre dans la maison de la veuve de Nicolas BEDOURET, à LANDIRAS, où elles ont convoqué Me BOLLEE, Notaire à BARSAC.
Au cours d'une discussion qui dure toute
la journée, celui-ci leur propose un montage avec cession de trois pièces de
vigne l'une au quartier de la PEYROUSE, la seconde au S 0 U BA e t la troisième
à CAZENAVE, et une soulte de 179 Livres 5 Sols 6 Deniers. Tout le monde tombe
d'accord sur ces bases et le soir même l'acte en est dressé, le procès étant
abandonné.
Plus curieuse est l'affaire qui oppose Simone SAINT BLANCARD ( veuve de
Pierre MOURA ) à Jean MOURA son Beau Père. Voilà onze ans qu'ils plaident
l'un contre l'autre devant le Tribunal de BUDOS pour commencer, puis devant le
Sénéchal de GUYENNE, affaire :
" sur laquelle (sont)
intervenues deux sentences... dont l'une ny l'autre ne termine point le
procès..."
La dernière en date de ces décisions, du 24 Juillet 1786, soulève encore plus de problèmes qu'elle n'en résous. C'est alors que les deux antagonistes, découragés, se présentent chez Me DUCASSE, Notaire à LANDIRAS, le 22 Août suivant et décident de s'en remettre à un arbitrage.
Et l'arbitre qu'ils choisissent d'un commun accord n'est autre que... Me Gervais DEGENSAC, le Juge de BUDOS , celui-là même qui a déjà jugé l'affaire une première fois dans son Tribunal et dont le Jugement a été frappé d'appel devant le Sénéchal... ! Et le plus fort est que, dès le 24 Août, deux jours plus tard donc, ils sont de nouveau convoqués chez le Notaire car, entre temps, Me DEGENSAC a débrouillé leur litige et trouvé une solution acceptable pour les deux parties qui se disent satisfaites, tant et si bien que le 3 Septembre, à la fin de la semaine suivante, les sommes dues par chacun sont compensées et les quittances échangées.
Tout est donc définitivement réglé et bien
réglé. Il est tout à fait significatif de constater ici qu'une même
personne, Me DEGENSAC, en tant qu'arbitre libre de ses propositions et de ses
initiatives, a été capable de régler en deux jours une affaire qu'il n'avait
pu débrouiller en tant que Juge, dans le cadre formaliste de son Tribunal sur
une période de onze longues années... Cette anecdote est particulièrement
significative.
Et puis, il y a aussi ceux qui se sont lancés imprudemment, sur un coup
de tête, et qui se ravisent ensuite, en dehors de tout arbitrage.
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Marguerite
BEZIN, femme de Pierre BANOS, a été mécontente d'un Jugement rendu à BUDOS
dans un litige qui l'opposait à Arnaud DAULAN. Elle en fait appel le 24 Août
1771 devant le Sénéchal . Mais quelques mois plus tard, voyant jusqu'où va
l'entraîner cette affaire, elle décide d'arrêter les frais et
" déclare par le présent acte audit DAULAN
qu'elle abandonne purement et simplement sondit appel."
autrement
dit, elle lui signifie qu'elle se soumet à la décision du Juge de BUDOS et
ne la contestera plus.
Mais il n'est pas toujours aussi facile d'arrêter un procès engagé à la légère. Le 22 Mars 1777, Arnaud FERRAND, laboureur à BUDOS, avait assigné Pierre RICAUD, dit BIAGAUD, devant le Sénéchal de GUYENNE. Il semble bien que l'affaire ne fut pas très sûre et FERRAND s'en rendit bientôt compte. Il voulut donc arrêter l'instance et s'en ouvrit à son adversaire RICAUD qui habitait LANDIRAS.
Mais
celui-ci, fine mouche, avait parfaitement compris l'imprudence de FERRAND et
se voyait déjà gagnant un bon procès avec, à l'horizon, quelques dommages
et intérêts largement calculés. En bref, la bonne affaire. Il fit donc la
sourde oreille à la proposition d'abandonner l'instance. Le 17 Juin suivant,
FERRAND s'en va trouver Me BAYLE, Notaire à PUJOLS et lui demande d'aller
signifier à RICAUD sa volonté d'abandonner le procès en invoquant un
prétexte honorable ( incompétence du Tribunal saisi ) et, du même coup, de
le mettre en demeure de prendre :
" la somme de 7 Livres 3 Sols 3 Deniers,
montant des dépens qu'il a pu faire en se présentant sur ladite assignation
savoir, pour le droit de consulte 4 Livres, pour la présentation du Procureur
48 Sols et pour la cédule 15 Sols 3 Deniers, sauf à (compléter) en cas
d'insuffisance; laquelle somme lui sera exhibée et offerte par nos mains lors
de la notification du présent acte... "
Ceci se
passait dans l'après midi. Mettant à profit la longueur de ce jour d'été,
et sans désemparer, le Notaire prend le chemin de LANDIRAS et se rend chez
Pierre RICAUD accompagné de deux témoins. Il devait y avoir urgence. A
partir de là, il vaut mieux s'en remettre au récit du Notaire lui-même
parvenant à destination:
" où
nous avons trouvé les portes fermées et auxquelles avons frappé...
plusieurs et diverses fois sans que personne se soit présenté pour les
ouvrir. (C'est pourquoi nous) avons offert et exhibé audit RICAUD sur le
seuil de sa principale porte ladite somme de sept Livres quatre sols trois
deniers en un écu de 6 Livres et une pièce de 24 Sols... le sommant de (la)
prendre et recevoir; et faute de se présenter, (nous) avons repris ladite
somme... (qui sera) déposée et consignée entre nos mains... et, ce fait,
avons attaché copie de l'acte à la porte en présence... (des témoins).
"
L'histoire
s'arrête là, mais il n'est pas douteux que la seule issue à cette affaire
était désormais, pour Arnaud FERRAND,... d'intenter un procès à Pierre
RICAUD pour le contraindre à accepter le dédommagement de ses frais et
interrompre la procédure devant le Sénéchal...
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Il faut enfin
parler des " sages ", ceux qui cherchent à éviter les procès à
tout prix. Ils sont peu nombreux, mais ils existent et méritent bien un peu
d'attention.
Les trois
frères LALANDE n'ont pu s'entendre sur le partage de la succession de leur
Père Jean. L'un d'entre eux, Gabriel, est parti s'établir tisserand à
LEOGEATS. Les deux autres, Jean et Pierre sont restés à BUDOS, et, à titre
provisoire, exploitent "leur hérédité " en commun; mais cela ne
peut durer, il faut absolument trouver une solution de partage :
" à quoy ils n'ont pu parvenir, par les
grandes difficultés et altercations survenues (entre eux, telles) qu'ils
prévoient donner lieu à (un) procès qui consommeroit en frais l'entière
hérédité et romprait l'union entre eux..."
" ...
pour éviter toute discussion, après s'être conciliés (entre eux) et dans
l'impossibilité dudit partage, ils ont, de leur bon gré convenu (d'une)
licitation de leurs droits ... "
La licitation
est, par devant le Notaire, une vente aux enchères limitée aux seuls
intéressés. Le dernier enchérisseur emportera l'héritage à charge de
désintéresser les deux autres, par parts égales, en numéraire, sur la base
du prix qu'il aura lui-même déterminé. C'est ce qu'ils font le 24 Juillet
1769 dans l'Etude de Me PERROY, Notaire à NOAILLAN et c'est Pierre qui
l'emporte. Il n'y aura donc pas de procès.
Ce
procédé n'est pas exceptionnel, nous le retrouverons en d'autres
circonstances. Mais il y a beaucoup plus surprenant.
Bernard
PENICAUD, alors qu'il était Greffier en Chef du Tribunal de la Prévôté
Royale de BARSAC, avait vendu un bien à rente viagère à Jean BEZIN,
marchand à BUDOS. Le contrat, en bonne et due forme est daté du 17 Janvier
1759. Mais voilà qu'à la première échéance de la rente, BEZIN se fait
tirer l'oreille, prétendant que PENICAUD devait :
" luy faire certaines déductions...
convenues entre eux verbalement lors du contrat, ledit Sieur PENICAUD
prétendant néanmoins le contraire..."
Belle
matière à procès ! Procès que PENICAUD aurait eu d'ailleurs toutes les
chances de gagner car le contrat est dépourvu de toute ambiguïté et ne
laisse place à aucune interprétation ni réserve. BEZIN est un mauvais
payeur, un point c'est tout. Et c'est alors que l'on voit PENICAUD, juriste
d'expérience, homme on ne peut mieux versé en la matière, préférer
transiger plutôt que d'intenter un procès a BEZIN devant le Tribunal de
BUDOS ...
" sur la médiation... de gens dignes de
considération et de déférence (PENICAUD) voulant toujours traiter
favorablement ledit BEZIN, luy donne de nouvelles preuves de sa bonne
intention pour lesquelles il a droit d'espére ... exactitude et attention de
sa part (dans les échéances à venir)."
Et c'est
ainsi que, le 19 Mai 1762, devant Me BAYLE, Notaire à PUJOLS, les deux
parties s'engagent dans une transaction, au demeurant extrêmement complexe,
mais qui arrêtera net une procédure qui s'annonçait inéluctable.
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Il est tout
à fait significatif qu'un personnage tel PENICAUD, disposant d'atouts
absolument indiscutables, et dont il connaissait parfaitement la valeur, ait
préféré un mauvais arrangement plutôt qu'un bon procès. En tant qu'homme
de Loi, il était finement informé du cours et des usages de la Justice, et
ceci explique probablement cela. Ici encore, cette anecdote est tout à fait
instructive.
Il nous faut
maintenant examiner les compétences du Tribunal de BUDOS en évoquant
successivement les domaines de la Justice Civile et " Criminelle ",
autrement dit Pénale.
Compétences civiles du tribunal de budos:
De l'une à
l'autre des anecdotes que nous venons d'évoquer, nous avons vu se dessiner
une première approche des compétences civiles du Tribunal de BUDOS. Nous
allons maintenant les analyser en détail d'une façon systématique.
En l'absence
de ses archives perdues, nous ne pouvons dresser aucune statistique sérieuse
de l'activité de ce Tribunal. Toutefois, le dépouillement des nombreux
documents notariaux qui nous sont parvenus permet de nous faire une idée
assez précise des affaires qui lui étaient soumises.
Affaires
concernant le droit et les intérêts des personnes, tutelle des mineurs,
litiges sur le paiement des dots, sur les ruptures de fiançailles ( affaires
d'importance selon les moeurs du temps) sur les mariages, sur la validation
des saisies et surtout sur les recouvrements d'impayés sous toutes sortes de
formes ( et ils étaient nombreux...).
Affaires
patrimoniales tels les retraits lignagers, l'exercice du droit de prélation,
les partages de succession et les impressionnantes séries de procès qu'ils
suscitaient.
Affaires
" domestiques et rurales ", entendons par là les contestations de
voisinage, les litiges portant sur des travaux mal réalisés, les actions en
réintégrande, les querelles de limites et de bornage et l'entretien des
chemins et des fossés.
Il nous faut
éclairer un peu tout cela à l'aide d'exemples empruntés à la vie
quotidienne du Village.
Parmi les
affaires concernant les personnes, les tutelles des mineurs occupaient une
place relativement privilégiée. La Coutume de BORDEAUX qui avait force de
loi à BUDOS, fixait la majorité à 25 ans, dans un temps ou l'espéra nce de
vie n'excédait pas 35 ans en moyenne. C'est donc dire que, statistiquement,
on restait mineur pendant une part tout à fait notable de sa vie. D'où le
nombre important des jugements de tutelle.
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Au décès du
Père de famille, la Mère ne devenait tutrice de ses enfants que si elle
avait été expressément désignée à cette fin par un testament de son
défunt mari. Encore fallait-il qu'elle se présente devant le Tribunal pour y
prêter serment. Ce genre d'affaire était instruit au préalable par le
Procureur d'Office ; après quoi la tutrice comparaissait à l'occasion d'une
audience :
" sur quoy, après que ladite DESCARPIT a eu
levé la main, moyennant serment de bien fidèlement faire et exercer la
charge de tutrice desdits enfants, la Cour de céans, faisant droit à sa
requête... etc..."
et
on la confirmait solennellement dans sa fonction.
Mais il
pouvait arriver que ce fût le mineur lui-même qui demande un tuteur ou un
curateur. Un orphelin de 23 ou 24 ans n'avait absolument pas le droit de
gérer son patrimoine ou de souscrire le moindre contrat et surtout pas de se
marier de sa propre initiative. Cela pouvait conduire à des situations de
blocage très gênante dont seule la désignation d'un tuteur, sur décision
de Justice, permettait de sortir. Et cette décision n'était prise qu'après
une enquête diligentée par le Procureur d'Office.
La décision
de Me Etienne PERROY, Juge de BUDOS, en date du 7 Novembre 1758,
constitue un excellent exemple de cette situation :
"Aujourd'huy, septième du mois de Novembre
mil sept cent cinquante huit, au parquet de la Juridiction et Baronnie de
BUDOS, pardevant Nous, Estienne PERROY, Juge civil et criminel... Notre
Greffier ordinaire écrivant, a comparu Arnaud TAUZIN, fils adulte de feu
autre Arnaud TAUZIN et de Marie RICAUD, conjoints... qui a dit qu'après le
décès de ses Père et Mère, ayant été pourvu de Pierre BEDOURET pour
tuteur... (de) sa personne et (de ses) biens, ledit (tuteur) étant décédé
depuis environ un mois, le comparant ayant besoin d'un curateur pour veiller
à la conservation de ses droits... Il Nous requiert (de lui donner) acte de
ce qu'il déclare nommer Pierre LAPIOS, habitant au lieu de BERNADET, son
cousin germain, (comme) curateur de sa personne et de ses biens."
" Sur quoy, Nous, Juge susdit, (donnons) acte
audit Arnaud TAUZIN de la nomination (qu'il a ) faite dudit LAPIOS pour son
curateur... en conséquence, Nous ordonnons qu'à la diligence du Procureur
d'Office du présent Siège... trois de ses parents paternels et trois
maternels seront assignés, et à défaut, des voisins, à comparaître devant
Nous pour s'assembler, délibérer et donner leur avis sur ladite nomination,
S'ils la trouvent bien faite et s'ils attestent que ledit LAPIOS (est)...
capable... et solvable pour (tenir) ladite charge; (et pour cela) Nous donnons
pouvoir à Notre Bayle... de faire tous les exploits nécessaires."
La nomination
du tuteur d'un mineur, fût-il adulte, n'était pas, on le voit bien, une
simple formalité.
Page (244 bis) |
Mais il existait encore une autre procédure, plus rare et aussi plus complexe qui avait pour but de faire sortir avant l'âge un mineur de sa tutelle, c'était la procédure dite des " Lettres de Bénéfice d'Age ". Même si elle aboutit à un résultat très voisin, il ne faut pas la confondre avec " l'émancipation ".
Dans ce dernier cas, lui aussi assez rare, du moins en milieu rural , le Père de Famille, de son vivant, reconnaît la capacité juridique de son enfant et demande au tribunal de bien vouloir en prendre acte et de l'entériner. A partir de ce moment là, le mineur n'a plus besoin de personne pour gérer ses propres affaires.
C'est
par exemple le cas lorsqu'un cadet de famille manifeste son intention d'aller
tenter fortune " aux Isles "; il n'est pas douteux qu'il lui faille
acquérir une pleine capacité juridique avant de s'engager dans une telle
aventure qui le tiendra éloigné des siens pendant de longues années.
Les Lettres de Bénéfice d'Age ne concerne que les orphelins. Ayant perdu Père et Mère, un jeune est, nous l'avons vu, nécessairement placé sous la tutelle d'un adulte. Mais il peut arriver que ce jeune fasse preuve d'une maturité évidente et qu'il veuille s'engager dans une activité exigeant une grande rapidité de décision, un commerce par exemple.
L'intervention
obligatoire du tuteur en garantie de chacune de ses opérations de négoce
devient rapidement insupportable. D'autant qu'il peut s'agir d'un garçon de
23 ou 24 ans, quelquefois déjà marié, que l'on reconnaît " adulte
" dans les textes notariés, mais qui n'en reste pas moins mineur, et
même son mariage éventuel ne change rien à l'affaire. C'est en pareil cas
que les Lettres de Bénéfice d'Age peuvent offrir une issue appropriée.
Il faut avoir
18 ans révolus. Le mineur adresse une demande auprès de la Chancellerie
près la Souveraine Cour du Parlement de BORDEAUX.
Il y expose qu'il est orphelin, et qu'il s'est " toujours bien
comporté en ses vie et mœurs ". Il explique ensuite les motifs qui le
conduise à formuler sa demande et il conclut:
"
se trouvant avoir atteint l'âge auquel nos Lois et Ordonnances luy permettent
de jouir et administrer par luy-même, sans assistance de curateur le revenu
de ses biens meubles et immeubles, (il) est obligé de recourir à nos Lettres
de Bénéfice d'Age sur ce nécessaires..."
Le Parlement examine cette requête, et, si elle lui parait fondée, il donne des instructions au Juge Seigneurial du lieu de résidence du mineur pour qu'il prenne cette affaire en main. Ce Juge convoque l'intéressé qui doit se présenter porteur d'un extrait de Baptême et de tous les parents qui lui restent, oncles, alliés, etc.. qui sont invités à délibérer entre eux sur la capacité qu'ils reconnaissent ou non au demandeur de gérer ses affaires.
Le Procureur
d'Office est également saisi de la même question et mène son enquête de
son côté; au titre du Ministère Public qu'il représente, il intervient en
effet dans toutes les affaires où sont impliqués les intérêts d'un mineur.
Si tout le monde est d'accord, il ne restera plus au Juge qu'à en prendre
acte. Le mineur devient dès lors juridiquement capable. Toutefois, cette
capacité ne lui permettra pas de vendre seul ses immeubles, il devra attendre
25 ans pour cela, mais c'est la seule restriction qui lui sera imposée.
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Les procès en paiement de dot.
De telles précautions n'étaient pas toujours suffisantes pour régler les problèmes de paiement car, en fait, le Père faisait souvent des paris sur la réalisation de tel ou tel héritage qu'il escomptait recueillir dans l'intervalle ou encore, cas très fréquent, sur le mariage d'un fils dont la jeune femme apporterait dans sa maison une dot qui permettrait de régler celle de sa propre fille. Les exemples de tels calculs sont très courants.
Mais ces
supputations étaient bien aléatoires, et, au terme des échéances
convenues, on se trouvait bien souvent dans l'impossibilité d'honorer le
contrat. il en résultait, entre les familles, des procès interminables dont
certains ont duré des dizaines d'années.
De même les
ruptures de fiançailles, acte tenu pour grave, tant sur le plan civil que
religieux, donnaient-elles parfois matière à procès en vue de définir le
montant des dommages et intérêts incombant à la partie portant la
responsabilité du rejet de la promesse.
Parce que
nous avons pensé que ces différents litiges matrimoniaux trouvaient une
meilleure place dans le cadre de l'étude générale du mariage, nous en avons
déjà évoqué la matière dans le premier Chapitre du présent ouvrage. Ces
affaires sont généralement fort embrouillées et, dans leur phase
judiciaire, se résument à peu près dans la mauvaise foi ou dans
l'impossibilité de payer de l'une des parties ( et souvent même dans les
deux motifs réunis ). Elles n'apportent qu'une maigre contribution à la
connaissance de la vie quotidienne des familles ou du village.
L'examen
du problème plus général du recouvrement des impayés est manifestement
beaucoup plus significatif.
Les recouvrements d'impayés,
les saisies.
La rubrique
des recouvrements d'impayés, à elle seule, pourrait mériter tout un
chapitre. Il y en a tant et tant de cas qu'il serait bien fastidieux d'en
évoquer tout l'inventaire. Il sera donc plus raisonnable de nous en tenir à
quelques affaires particulièrement significatives.
D'une façon
générale, nos Ancêtres étaient mauvais payeurs. Qu'il s'agisse du
règlement des dots que nous venons d'évoquer, des rentes viagères, des
pensions alimentaires ou tout simplement de l'exécution de n'importe quel
contrat prévoyant des échéances à terme, le débiteur s'ingéniait à
trouver un motif dilatoire pour différer son paiement.
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Certes,
l'argent était rare dans
Nous avons
ainsi souligné combien chacun avait intérêt à présenter un profil bas
plutôt que d'afficher un train de vie ostentatoire ou même seulement aisé.
L'insistance de nos Ancêtres à cultiver dans leurs propos et dans leurs
apparences une sorte de misérabilisme, y compris chez les laboureurs plutôt
bien pourvus, nous conduit à nous demander si des retards de paiement aussi
systématiques n'auraient pas été, au moins partiellement, le fruit d'une
attitude tendant à simuler la gêne et l'impécuniosité. Ce n'est là qu'une
hypothèse, au demeurant difficile à vérifier, mais elle est bien tentante
...
Les mauvais
payeurs se recrutaient dans toutes les catégories sociales. Bernard COUTURES
était Bourgeois de BUDOS. Il devait 126 Livres à Guiraud TACHON, laboureur,
également de BUDOS, et se faisait tirer l'oreille pour régler sa dette.
TACHON avait tout tenté :
"
sans pouvoir faire entrer en sa main ladite somme par ses réquisitions
verbales..."
Finalement,
de guerre lasse, le 6 Novembre 1774, il se résout à faire saisir entre les
mains de Pierre SAINTPEY, aubergiste à BUDOS, le prix du vin que COUTURES lui
a vendu. Et pourtant, dans la Paroisse, ce COUTURES avait pignon sur rue.
Mais il y a bien mieux encore. Me DABADIE, ancien Curé de PUJOLS, poursuivant sa carrière ecclésiastique, vient de quitter sa paroisse pour une autre cure. En partant, il a tout simplement " oublié " de payer Jean TAUZIN, Maître Boulanger à PREIGNAC auquel il doit " des sommes très considérables "; faute d'obtenir un règlement amiable ( car il semble bien que c'était un peu plus qu'un oubli... ), le créancier est contraint, le 4 Septembre 1783, de faire procéder à une saisie pour dette en " fournitures de bouche " ( laquelle, dans la Coutume de BORDEAUX, constituait une créance privilégiée ).
Mais ce que ce brave boulanger ne savait pas, c'est que, dans le même temps, André FAYE, boucher à BOMMES détenait également une " ardoise" au nom du même Curé DABADIE, ainsi que Jean MARTIN, marchand à SAUTERNES ( sans qu'il soit précisé en quelle branche de commerce ).
Et ces
deux-là, plus patients que Jean TAUZIN, attendront jusqu'au 10 Avril 1785,
soit dix neuf mois plus tard pour se manifester par voie de justice. Le Curé
était déjà bien loin ... Et pourtant, il n'était pas soumis à la
Taille... mais lui aussi était soumis aux Quartières de son Archevêque et
ne devait pas se montrer trop à l'aise, encore que cette considération ait
probablement eu peu de poids dans cette affaire.
Le mal était
donc tout à fait général, quels en étaient les remèdes ?
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Certes,
le créancier pouvait saisir le Tribunal Seigneurial
Le seul
avantage de cette procédure était de pouvoir obtenir une contrainte par
corps à l'encontre du mauvais payeur. Mais elle ne pouvait intervenir qu'au
terme définitif d'un jugement que l'intéressé pouvait faire différer
longtemps par toutes sortes de procédés dilatoires. Il fallait vraiment
avoir le temps.
Mais la Coutume de BORDEAUX ménageait une autre voie de recours, nettement plus efficace. Le créancier avait la possibilité de s'adresser à un Notaire et de lui demander de procéder à une saisie conservatoire des revenus de son débiteur. A partir de là, deux possibilités étaient envisageables. ou bien le débiteur était lui-même en instance de récupérer de l'argent dans une transaction quelconque ( vente de vin, de bois, ou d'un animal par exemple ) et le Notaire, s'adressant à l'autre partie, lui signifiait de conserver la somme due entre ses mains jusqu'à décision de justice.
C'était une
sorte de consignation provisoire. Ou bien, aucune transaction n'étant en vue,
le Notaire désignait deux personnes au titre de " séquestres "
pour s'emparer des récoltes du débiteur au fur et à mesure qu'elles
parvenaient à échéance ( moissons,
vendanges, etc... ). C'était la " saisie des fruits également
provisoire jusqu'à décision de justice. Dans l'un et l'autre cas, le
créancier introduisait aussitôt
sa requête en paiement
devant le Tribunal en produisant ses créances. Mais ici, la décision
devenait rapide car le débiteur n'avait aucun intérêt
Quelques
exemples concrets vont éclairer ces deux types de procédure qui ne sont que
des variantes d'une seule et même démarche : contraindre le débiteur en
s'attaquant à ses intérêts les plus immédiats.
Et tout
d'abord, une affaire quasiment identique à celle dans laquelle nous avons
déjà vu s'opposer Guiraud TACHON au Bourgeois Bernard COUTURES.
Jean DURON, dit LAPIN était marchand à BUDOS; il se trouvait que LACASSAIGNE, dit LAROC, lui devait de l'argent et se disait incapable de le payer. Nous sommes le 14 Novembre 1770, jour de marché à VILLANDRAUT ( qui en ce temps-là se tenait le mercredi ). Et là, dans le courant de l'après midi, DURON apprend incidemment que LACASSAIGNE vient de vendre du vin de sa dernière récolte à Pierre SAINTPEY, l'aubergiste de BUDOS; et ce vin nouveau vient juste d'être livré.
Aussitôt, il prend avec lui deux témoins rencontrés sur le marché, Pierre MARTIN, marchand à SAINT SYMPHORIEN, et Pierre CASTAIGNET, laboureur à BUDOS. De ce pas, ils vont trouver Me PERROY, Notaire à NOAILLAN. Mais comme c'est le jour de marché, ils savent où le rencontrer. Me PERROY tient ses écritures sur une table dans la salle de l'auberge de Jean LUCBERT, hôte à VILLANDRAUT.
C'est là que
DURON fait dresser un acte d'opposition enjoignant à Pierre SAINTPEY ou
SEMPEY car les orthographes sont capricieuses) de ne pas payer le prix de son
vin à LACASSSAIGNE et d'en
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Mais en
pareil cas, il faut aller très vite car l'obligation de retenir la somme en
jeu ne court que du moment où l'acte a été signifié à celui qui la
détient. Si l'on arrive trop tard, il peut prétendre avoir déjà payé et
n'être plus concerné par l'affaire. Or, ici, par chance, Jean DURON a
aperçu sur le marché Marianne DUBOURDIEU, épouse de SAINTPEY. Peut-être
n'est-elle pas encore repartie... A peine l'acte est-il dressé que le Notaire
laisse ses plumes en plan et part à sa recherche; il la rencontre enfin, ce
qui lui permet de terminer l'opération en complétant son document, lequel :
" a été notifié le même jour quatorze
Novembre mil sept cent septante, audit SEMPEY susnommé, parlant à Marianne
DUBOURDIEU son épouse, trouvée au Bourg de VILLANDRAUT, qui a reçu copie
dudit acte et de la présente notification (par moi) Notaire
soussigné..."
Faut-il
préciser qu'en pareil cas, le Notaire se devait d'expliquer, en gascon, à
Marianne, qui ne savait pas lire, ce qu'il y avait dans le papier qu'elle
devait remettre à "son homme ", lequel n'en savait pas d'ailleurs
beaucoup plus qu'elle...
Après avoir
si rondement mené cette affaire, il restera à Me PERROY à aller faire
enregistrer son acte et sa notification auprès du Bureau du Contrôle Fiscal
établi au Château de CAZENEUVE. C'est chose faite deux jours plus tard.
Autre affaire
identique, parmi tant d'autres, celle de COURBIN dit BLANQUE, débiteur de
Jean MAUGEON, de SAINT SYMPHORIEN. Il vient de vendre un boeuf à Jean
DUBERNET dit LA POULE, marchand au quartier de LA SAUBOTTE. En passant sur les
détails, MAUGEON vient à prendre connaissance de cette transaction et
aussitôt, le 20 Novembre 1765, il fait consigner le prix du bœuf entre les
mains de DUBERNET.
Mais il ne
faudrait pas croire que les choses soient toujours aussi simples, car les
mauvais payeurs ont plus d'un tour dans leur sac.
Pierre BAUDRON, vigneron à BUDOS, devait de l'argent à son Beau Frère et n'envisageait probablement pas de le rembourser de sitôt. Il avait donc tout lieu de croire qu'à sa première vente de vin nouveau, le dit Beau Frère interviendrait pour faire opposition sur le versement du prix de la transaction.
Par une nuit
obscure de la fin Novembre de 1766, il chargea donc une charrette de son vin
et alla subrepticement le livrer à VILLANDRAUT au Sieur PRINGUEY qui était
de PRECHAC. Mais l'arrivée d'une charrette de vin à VILLANDRAUT au lever du
jour avait soulevé bien des curiosités. La chose se sût. Et l'on vit
aussitôt le Beau Frère faire opposition, le 29 Novembre, en faisant
consigner le prix du vin entre les mains de PRINGUEY.
Il serait
vain de multiplier les exemples de ces affaires qui se présentent toutes à
peu près de la même façon au pittoresque des situations près. Qu'il
suffise de bien souligner que toutes ces consignations étaient
essentiellement provisoires, toutes étant assorties de la formule
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" de ne pas se dessaisir de ces sommes
jusqu'à ce que (l'intéressé) ait été payé ou que, par Justice, il (en)
ait été autrement ordonné.."
Car, à
partir de là, bien évidemment, si le débiteur ne se soumettait pas, il
fallait entamer un procès. Toutefois, si la dette n'était vraiment pas
contestable, il était fréquent que l'on n'aille pas jusque là. Le débiteur
savait bien en effet qu'en ce cas, toute procédure était perdue d'avance. A
terme, il ne pouvait rien espérer d'autre que de voir ajouter des dépens à
sa dette, voire même des dommages et intérêts. Il préférait donc
s'incliner en abandonnant à son créancier tout ou partie de l'argent saisi,
selon l'importance de la dette.
Venons en maintenant à l'autre variante de la saisie conservatoire, celle dite de la " saisie des fruits ". Ici, le débiteur n'attend aucune rentrée d'argent précise. Mais il a de la terre ou de la vigne ou les deux réunies et il les travaille. Il obtient donc des récoltes, moissons, vendanges, ce que le langage du droit appelle, d'une façon générale, des " fruits ".
C'est
cela que l'on va saisir, mais ce n'est pas une opération aisée car, faute de
pouvoir identifier un tiers détenteur, comme dans les cas précédents, il va
falloir consigner ces " fruits " à la source, au moment de la
récolte, avant même que le débiteur ait eu le temps d'y toucher. Ce
n'était pas du tout évident, surtout si l'on veut bien tenir compte de la
mauvaise volonté du débiteur saisi que l'on peut tenir pour assurée.
Aussi le
Notaire, agissant pour le compte du créancier, désignait-il deux "
séquestres " qu'il choisissait parmi les autres propriétaires de la
Paroisse. Il désignait des gens connus pour leur sérieux, leur honnêteté
et leur solvabilité. Il leur donnait pour mission de se substituer au
débiteur pour ramasser ses récoltes et même, éventuellement, pour les
commercialiser à sa place si un retard devait en diminuer la valeur.
Ainsi, Pierre DUPRAT, dit BUREAU et un autre DUPRAT, dit LAJEUNESSE, tous deux de BUDOS, avaient-ils été nommés séquestres des fruits saisis au préjudice du nommé DUBOURDIEU, dit LE DROLE de LOUISE. Le 25 Septembre 1788, deux frères, Pierre et Jean LANTRES, créanciers de DUBOURDIEU, leur signifièrent par acte notarié qu'ils s'opposaient à ce qu'ils se dessaisissent de ces fruits tant que leur débiteur n'aurait pas réglé ses dettes envers eux " ou que par justice, il (en) ait été " autrement ordonné ".
Mais ils précisaient bien qu'ils ne s'opposaient pas à ce que ces fruits soient vendus, à la condition formelle que l'argent reste consigné entre leurs mains. Et ceci parce qu'il s'agissait ici de vin. En effet, ainsi que nous l'avons déjà vu dans un précédent chapitre, il fallait absolument avoir vendu son vin avant la Noël, avant que les vins du Haut Pays ne déferlent sur la place de BORDEAUX en provoquant une chute des cours.
Cette saisie
se situant à la date du 25 Septembre, alors que commençaient les vendanges,
personne n'avait intérêt à différer la vente du vin au-delà du délai
normal, au risque de voir fondre la valeur des " fruits " saisis,
savoir, le vin de DUBOURDIEU... Ce système était donc relativement souple et
bien adapté aux réalités économiques du temps.
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Certes, il était bien prévu que les séquestres soient dédommagés de leurs responsabilités et de leurs peines par un prélèvement sur les sommes consignées. Mais cette rémunération ne parait pas avoir toujours été à la mesure des contraintes subies, car, au moment où l'on est soi-même en pleines vendanges, on n'est pas nécessairement équipé tant en matériel qu'en personnel pour effectuer dans le même temps la récolte d'un voisin.
Au surplus,
on peut aisément imaginer à tout le moins le malaise, sinon bien pire, qui
pouvait s'instaurer en pareil cas entre les séquestres et le saisi... Ce genre
de fonction n'était donc ni prisé, ni recherché, et ceux qui avaient eu la
malchance d'être distingués à cet effet tentaient souvent de s'en faire
décharger, ou tout au moins d'en négocier les conditions.
Ainsi un fils LACASSAIGNE, de BUDOS, était-il débiteur de Pierre et Thomas DUTRENIT, marchands à LANDIRAS. A son décès, Marie BELLOC, sa veuve, recueillit l'usufruit de ses propriétés Budossaises. Mais en même temps, elle prit la succession de ses dettes qu'elle ne put acquitter. S
a principale
source de revenus était, ici encore, le vin. Aussi les DUTRENIT vont-ils faire
saisir sa récolte, au moment des vendanges, le 7 Octobre 1773. Guiraud BELLOC
dit COY, et Nicolas DAMBONS , dit GRAND DIEU, vignerons à BUDOS, furent
désignés comme séquestres. Ceci ne les arrangeait pas du tout. Après s'être
concertés, ils allèrent trouver Me BAYLE, Notaire, en son Etude de PUJOLS le
11 Octobre et là, ils lui exposèrent qu'ils sont:
" deux misérables qui n'ont (ni) les forces
ni les facultés de faire faire la perception des fruits (à moins qu'ils ne
reçoivent) des fonds suffisants pour en faire les frais et avance. Tout le
monde sait qu'il faut pressoir, cuve, douil, barriques, bastes, bastots et du
monde pour la perception de telles denrées, ce qu'(ils) n'ont ni argent pour en
acheter ni louer, (pas même) de chay ni cuvier (et que) lesdits DUTRENIT
(n'ont) rien remis pour cela."
Ils notifient
donc aux créanciers que, faute de secours, ils ne se mêleront pas de la
perception de ces fruits et demandent:
" la somme de cent Livres ou telle autre
somme suffisante pour subvenir à tous les besoins nécessaires pour ladite
perception, (pressage de la vendange) et logement (du vin)."
Et comme il
faut aller vite parce que la vendange est mûre et ne peut plus attendre, Me
BAYLE se rend aussitôt, le jour même, à LANDIRAS, pour notifier cet acte à
l'un des frères DUTRENIT.
On aura noté que les deux séquestres se sont dits " misérables " , nouvel exemple de cette volonté affichée de ne laisser paraître à l'extérieur le moindre signe d'aisance qui pourrait éventuellement attirer des foudres fiscales. Misérables ?
Voire ... En
tous cas, moins de quatre mois plus tard, le 6 Février 1774, nous voyons l'un
d'eux, Nicolas DAMBONS dit GRAND DIEU, verser à la famille de son gendre 200
Livres de bel argent comptant au titre de la dot de sa fille... Et 200 Livres,
pour un laboureur de BUDOS, c'était déjà une somme appréciable.
Ce système
de saisie était, somme toute, assez favorable aux créanciers. Il était même
si favorable qu'ils avaient parfois
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la tentation
de l'étendre aux biens et revenus de l'entourage du débiteur. Si celui-ci,
en effet, paraissait ne pas disposer de récoltes suffisantes et que quelques
proches parents en soient par contre mieux pourvus les créanciers tentaient
de lancer le filet au-delà des strictes limites des biens du débiteur.
Après quoi, il ne restait plus qu'a voir venir les réactions... Mais
celles-ci pouvaient parfois se révéler violentes et retomber, à l'occasion,
sur les malheureux séquestres désignés qui n'étaient pour rien dans
l'affaire et risquaient néanmoins d'en faire les frais.
Une
anecdote, entre autres, peut éclairer ce type de situation.
DUTRENIT, dit GENDRON, habitant de LANDIRAS, avait une créance sur Bernard BRUN, domicilié au quartier de PINGOY. Ce dernier lui avait emprunté quelque argent à titre personnel et avait bien du mal à le lui rendre. En effet, au décès de son Père, Jean BRUN, la jouissance de tout le patrimoine familial avait été laissée à sa Mère, Catherine DUPEYRON, tandis que le fils ne recueillait que la seule nue-propriété correspondante. Seule donc la Mère " recueillait les fruits " et tenait les cordons de la bourse.
Et il semble qu'elle les tenait bien, ce qui explique peut-être en passant pourquoi Bernard avait été conduit à emprunter cet argent qu'il ne pouvait pas rendre. Las d'attendre son remboursement, DUTRENIT fit procéder à une saisie et, pour avoir une chance de saisir quelque chose, avait lancé l'opération sur l'ensemble des fruits de l'héritage, sans établir de distinction entre les capacités de la mère et du fils.
Si la Mère
avait accepté d'honorer les dettes de son Fils, le coup aurait parfaitement
pu réussir. Mais Catherine DUPEYRON était d'une toute autre étoffe et ne
l'entendit pas du tout de cette oreille.
Au début des
vendanges de 1771, dans les premiers jours d'Octobre, elle apprit que Pierre
BOIREAU, dit l'HERETEY et DUBOURDIEU, dit LA BONTE, venaient d'être nommés,
à la demande de DUTRENIT, séquestres de sa récolte. Le 7 Octobre au matin,
elle se rendit chez Me BAYLE, et là, ne mâcha pas ses mots. En termes
particulièrement vigoureux que le Notaire traduit à sa manière, elle
adressa aux deux malheureux séquestres une sommation leur disant :
"qu'elle
vient d'apprendre qu'ils ont été établis séquestres à une saisie de ses
fruits que le nommé DUTRENIT, dit CENDRON, de LANDIRAS, a eu la témérité
de luy faire faire (sur) ses biens et fruits de BUDOS, sous prétexte... que
Bernard BRUN son fils luy doit quelque chose; mais comme la comparante ny ses
fruits ne peuvent rien devoir audit DUTRENIT, ne luy ayant jamais rien dû ny emprunté, ladite saisie et séquestre (sont) nuls et de
nul effet ... à son égard. C'est pourquoy ladite DUPEYRON... somme lesdits
BOIREAU et DUBOURDIEU, (et si besoin est) ledit DUTRENIT... de ne point
s'aviser... de troubler la comparante dans la perception de ses vendanges
blanches et rouges et de tous autres fruits... de ses biens (qui lui sont)
propres, ny de les percevoir eux-mêmes sous prétexte de ladite saisie;....
leur déclarant que s'ils font
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La " prise à partie par voie d'information
" est tout simplement le dépôt d'une plainte pour crime ou délit
auprès du Procureur d'Offices. Si elle est reconnue fondée, elle peut se
traduire, comme nous le verrons plus loin, par une prise de corps et une
incarcération. Catherine DUPEYRON, Veuve de Bernard BRUN était une forte
femme qui ne ménageait pas son monde.
Ayons tout de
même une petite pensée pour Pierre BOIREAU et DUBOURDIEU, coincés entre
l'obligation d'agir et de ne pas agir, et, dans les deux cas, sous contrainte
de justice ... La fonction de séquestre, n'était décidément pas de tout
repos. On ne s'étonnera pas qu'elle n'ait jamais été beaucoup recherchée.
Système favorable au créancier, avons-nous dit , mais sous réserve, comme nous venons de le voir, de bien définir le champ exact de la saisie et de ne pas se tromper de cible. Sous réserve aussi, de respecter scrupuleusement les formes requises et là, on peut aisément se douter combien le débiteur pouvait être aux aguets du moindre faux pas dans la procédure.
Ces formes
étaient particulièrement strictes notamment lorsque la saisie était
prononcée par un Tribunal en matière de biens immeubles. Il fallait alors
respecter des règles de publicité minutieuses. Quatre " criées "
successives devaient annoncer à tout le village que la saisie allait avoir
lieu, tandis que le Jugement correspondant devait être affiché à la porte
de l'Eglise.
Que de
chicanes en perspective et de bons procès dilatoires en cas de manquement à
ces obligations ! Un exemple, ici encore, nous permettra de bien illustrer le
propos.
Marguerite
PEYRICA vivait à BOMMES, elle était Veuve du Sieur Antoine RIBET. En son
absence et, du moins le dit-elle, à son insu, le dénommé Pierre LACOSTE
avait obtenu contre elle une condamnation du Présidial de GUYENNE portant
saisie de biens qu'elle possédait à BUDOS. Le motif en était une dette de
225 Livres dont elle contestait d'ailleurs le bien fondé. Or, dans cette
affaire, il semble qu'il y ait eu effectivement quelques approximations. En
particulier, Marguerite PEYRICA prétendait que les " criées légales
" n'avaient pas été faites en toute régularité.
Elle convoqua
Me DUFAU Notaire à PREIGNAC, et le reçut chez elle le 27 Mai 1786 dans le
courant de l'après midi; c'était un Samedi. Elle lui exposa ses soupçons
d'irrégularité, tout spécialement en ce qui concernait l'affichage du
jugement de saisie :
" c'est pourquoy,(dit le Notaire), elle nous
a requis de vouloir nous transporter demain Dimanche vingt huit du courant à
cinq heures du matin en sa compagnie et celle (des) témoins, au devant de la
principale porte d'entrée de l'Eglise dudit BUDOS, à l'effet d'y dresser
Procès Verbal du défaut d'apposition d'affiche à ladite porte de l'Eglise."
Pourquoi
à cinq heures du matin ? Parce qu'en ce temps là c'était
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Mais
laissons donc la parole au Notaire qui va nous raconter tout cela par le menu
détail et son récit, par sa précision, va nous restituer un petit tableau
de la vie budossaise:
" 28ème Mai 1786. Et advenant le lendemain,
jour de dimanche, vingt huit Mai mil sept cent quatre vingt six, à quatre
heure du matin, comme nous l'avons vu et observé à notre montre portative,
est comparue par devant Nous... Notaire (et les témoins) ladite Veuve RIBET
(qui nous a) de nouveau requis de nous transporter ce jourd'huy audit BUDOS en
sa compagnie et celle.... des témoins, avant la première Messe et au devant
de la porte principale de l'Eglise... (de) BUDOS aux fins d'y dresser notre
(Procès) Verbal. Et ayant déféré à cette réquisition, nous sommes partis
tous ensemble du domicile de la comparante (à BOMMES) à ladite heure de
quatre heure du matin. Et enfin parvenus à celle de cinq au devant de ... la
porte principale (de) BUDOS, nous y (sommes) exactement restés pour assister
à la première Messe... et afin de remarquer si à ( cette ) porte principale
il avoit été apposé des affiches relatives à la saisie faite à la
requête et diligence dudit Sieur LACOSTE contre la comparante; et ayant...
constamment demeuré au-devant de ladite porte avant et après la première
Messe qui a été finie à six heures, et les habitants qui y avoient assisté
(s'étant) retirés et (ayant) disparu, (s'est) présenté au devant de ladite
porte à sept heures précises, ainsi que nous l'avon... vu et observé à
notre susdite montre portative, c'est à dire une grosse heure après la...
première Messe finie, un jeune homme d'environ vingt ans, habillé d'un
espèce de frac couleur noisette et moucheté, tenant en ses mains un grand
placard en papier timbré....qu'il (a) dans l'instant affiché à ladite porte
de l'Eglise (de) BUDOS. Et luy ayant demandé l'objet de sa mission il nous
(a) répondu que c'était la quatrième criée des biens saisis contre la
comparante à la requête (du) Sieur LACOSTE. Sur quoy, Nous lui avons
répliqué qu'il n'était point en règle, (car) sur cette affiche il est dit
qu'elle avoit été apposée à l'issue de la première Messe au fur et à
mesure que les habitants sortaient en foule de ladite Eglise, tandis qu'il y
avait plus d'une heure qu'elle étoit dite et (que) lesdits habitants
(s'étaient) retirés si ce n'est deux témoins (supplémentaires désignés
ci-après); que cette affiche était irrégulièrement (apposée) puisqu'il...
y est encore dit qu'elle a été apposée en présence des Sieurs GRENIER et
RABAUD, témoins... menés exprès (à) BUDOS avec luy et au devant de
(cette) porte, (alors) que ce prétendu huissier nommé VOISIN sur...
l'affiche était seul lorsqu'il l'a apposée. "
Ce Procès
verbal est dressé sur place, sans quitter la porte de l'Eglise, le matin
même, " environ les onze heures du matin". Le " jeune
homme" s'étant présenté à sept heures, il faut croire que la
discussion s'était prolongée bien au-delà du
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Au demeurant, il y avait là pas mal de monde car, outre le jeune homme et les deux témoins emmenés de BOMMES, la Veuve RIBET et le Notaire, il y avait également ces deux autres témoins, budossais ceux-là , que Me DUFAU avait requis sur place parmi ceux qui sortaient de la Messe. Il s'agissait de Barthélemy TROUSSILH, " maître de pension" et de Pierre BOIREAU, vigneron.
Tous ont ainsi passé le plus clair de leur matinée devant l'Eglise pour assister à l'ensemble de ces échanges de vues qui n'ont dû manquer ni de piquant, ni d'animation. Nous avons déjà eu l'occasion de dire combien il était rare ( sauf pour la rédaction des testaments ), qu'un Notaire prenne plus de deux témoins.
Si Me DUFAU
en a pris quatre ici, c'est probablement parce qu'il entendait donner à ce
Procès Verbal une solennité toute particulière. Tout laisse en effet
prévoir qu'il a dû servir de base, sans tarder, à un bon procès en
nullité d'un acte authentique, procédure qui a bien pu relancer l'affaire
pour quelques années supplémentaires ...Une pièce aussi importante
couronnant une expédition si bien montée, méritait à coup sûr quelques
surcroîts de précautions.
Litiges sur rentes et pensions.
Et pour ne
pas désespérer de la bonne volonté de nos ancêtres, nous choisirons
précisément à titre d'exemple deux affaires où l'on est allé jusqu'au
seuil du procès avant de trouver un accommodement de dernière heure. Deux
affaires, donc, illustrant chacun des aspects de ce domaine : celui des
pensions alimentaires et celui des rentes viagères.
Affaire oh !
combien complexe que celle de la Veuve d'Arnaud TAUZIN ! Elle s'appelait
Isabeau DILAIRE, mariée depuis 1718, elle avait eu quatre enfants, deux
filles et deux garçons. Par un contrat de donation en date du 28 Janvier
1760, elle leur avait fait abandon de tous ses biens tant en nue propriété
qu'en usufruit, à charge de lui verser :
" chacun d'eux une pension annuelle en viager
d'une demy barrique de vin rouge, d'un boisseau de blé et d'un écu de six
Livres, chacun des quatre."
L'indication est intéressante car elle permet de situer ( et il en existe d'autres exemples à peu près concordants ) ce que l'on estimait alors nécessaire à la vie normale, et même relativement aisée, d'une personne vivant seule. Au total des quatre enfants cela donnait donc deux barriques de vin, environ 300 kilos de seigle ( car ce que l'on appelle " blé " n'est autre, rappelons-le que du seigle, le blé proprement dit étant appelé froment et 24 Livres en argent. Le vin n'était pas destiné à la boisson ( il semble bien qu'on en buvait très peu en famille ), mais à la vente , au prix moyen, à BUDOS, d'une trentaine de Livres la barrique.
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Tout ceci
supposait cependant
Quoi qu'il en soit, Izabeau DILAIRE aurait dû avoir ainsi ses vieux jours assurés. Or, il n'en était rien car ses enfants ne payaient pas la pension convenue. Elle avait néanmoins été recueillie par son fils aîné, Jean TAUZIN, marchand à BUDOS, mais celui-ci, qui en supportait seul la charge, trouvait que son frère Bernard et ses soeurs Marguerite et Marie, toutes deux mariées, en prenaient un peu trop à leur aise.
A bien près
de 80 ans, sa mère ne voulait plus s'occuper personnellement de toutes ces
chicanes, mais entendait cependant faire régner la justice et l'équité
entre ses quatre enfants. Aussi, le 9 Juin 1772, se rend-elle en l'étude de
Me BAYLE, Notaire à PUJOLS pour lui exposer qu'elle cède :
" sa dite pension à Jean BEZIN, son fils
aîné, marchand (à) BUDOS avec lequel elle vit et a toujours vécu avant et
depuis, (et qu'il) n'est pas juste que ledit BEZIN , son fils aîné l'aie
toujours nourrie et nourrisse encore sans que (la totalité de la pension qui
lui est due) passe en ses mains pour lui tenir lieu d'indemnité et de
paiement...."
En d'autres
termes, elle subroge son fils aîné dans le droit de poursuivre le
recouvrement des pensions que lui doivent ses autres enfants. Elle sera
désormais tout à fait détachée de cette affaire et ne s'en occupera plus.
Et quand vient le moment de signer l'acte :
"ladite DILAIRE a déclaré avoir su
(signer), mais (il y a) seize ou dix sept ans (qu'elle ne l'a plus fait) et ne
sait ni ne peut plus." ...
Jean BEZIN
n'avait d'ailleurs pas attendu cette subrogation en bonne forme pour tenter de
récupérer le montant des pensions défaillantes. Mais il s'était attiré
des réponses dilatoires.
Jean DUTRENIT,
dit ROMAIN, époux de sa sœur Marie, était établi tonnelier à LANDIRAS. Il
affirmait avoir payé fidèlement cette pension :
" et que s'il n'a pas payé l'année
dernière 1771, ledit BEZIN doit s'en imputer la faute parce que (DUTRENIT)
est allé chez lui plus d'une fois pour lui demander la remise non seulement
d'un fût d'une première demi barrique qu'il livra pleine dans le premier
temps de la pension à la DILAIRE sa Belle-Mère, mais encore la remise d'un
second fût d'une autre demi barrique qu'il livra également pleine audit
BEZIN... "
DUTRENIT a
beau être tonnelier, il n'entend pas fournir le vin logé. Il estime qu'il
n'a en retard que la pension 1771 :
" pension que le comparant n'a jamais
refusée et qui auroit été payée ainsi que les précédentes, si, comme on
vient de le dire, ledit BEZIN avait voulu remettre lesdits deux fûts de demi
barrique... parce que (DUTRENIT) n'est certainement pas obligé de lui en
fournir (un) chaque année; et dès l'instant de ladite remise… BEZIN auroit
déjà reçu en entier depuis la Saint MARTIN dernière le blé et l'argent de
la pension de 1771...."
Page (256) |
Il
ne tient donc qu'à lui de recevoir cette pension, mais il faut qu'il rende
d'abord les fûts " sans être gâtés ni détériorés".
Du côté de
Pierre BANOS, cardeur de laine, époux de Marguerite, le son de cloche est
différent. Certes, il reconnaît qu'en dix ans, il n'a payé la pension
qu'une seule fois
" de
manière qu'il se trouve lui en devoir neuf années complètes "
Mais il fait
observer que, de son côté, sa Belle Mère lui doit cent Livres qu'elle avait
constituées en dot à sa fille Marguerite au moment de son mariage en 1756,
et qui n'ont jamais été payées… Avec 60 Livres d'intérêts en cours
depuis lors, ce sont donc 160 Livres que lui doit Izabeau DILAIRE, et c'est la
raison pour laquelle il ne paie pas la pension...
Arrêtons ici
cet imbroglio qui se poursuivra encore pendant des mois, d'acte en acte et de
sommation en sommation, pour ne retenir de cette anecdote qu'une nouvelle
démonstration de la volonté bien arrêtée des uns et des autres de ne pas
tenir leurs engagements régulièrement et à échéances convenues. On paye
le plus tard possible ou pas du tout si l'on peut, et tous les moyens sont
bons pour parvenir à cette fin.
Finalement,
Izabeau DILAIRE va mourir peu après et ses enfants vont entrer dans une
nouvelle polémique
" n'ayant su, ni pu se concilier entre (eux)
à cause de quoy (ceux-ci), tous enfants de ladite feue DILAIRE, estoient à
même d'entrer en procès..."
Sous la
pression de Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS, le 10 Janvier 1773, ils finiront
par décider de s'en remettre à l'arbitrage d'un avocat bordelais. Le procès
aura donc ainsi été évité, mais d'extrême justesse.
Problèmes de pensions alimentaires entre parents, mais aussi problèmes de rentes viagères entre étrangers. Et ici nous reprendrons à titre d'exemple le fil d'une affaire que nous avions déjà rencontrée. En 1762, Bernard PENICAUD, très accommodant, avait renoncé à un procès contre Jean BEZIN ( le même d'ailleurs que celui que nous venons de trouver ci-dessus) voulant, nous l'avions déjà noté:
" traiter favorablement ledit BEZIN, (et) luy
donner de nouvelles preuves de sa bonne intention pour lesquelles il a le
droit d'espérer... exactitude et attention de sa part."
ce qui avait
conduit les deux parties à conclure une sorte de transaction devant Notaire.
Peine perdue ce pauvre PENICAUD a du être bien déçu dans son attente car,
dix ans plus tard, BEZIN, ne cessant d'ergoter, ne payait toujours pas sa
rente...
Le premier
Juin 1772, Bernard PENICAUD en eût assez. C'est alors qu'il entra dans la
voie contentieuse en adressant un commandement à Jean BEZIN immédiatement
suivi d'une saisie portant sur les fruits de son activité. Tout aussitôt,
BEZIN se récrie, disant que :
" s'il
eût pensé devoir compter aussi peu sur la parole (de PENICAUD) il lui aurait
certainement évité la satisfaction (dans laquelle) il se complait
aujourd'huy
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Et d'expliquer que PENICAUD exige 200 Livres de rente
échue en exécution de leur convention de 1762 alors que lui, BEZIN, n'en
devrait que 52. C'est en Février dernier qu'il a en effet invité Jeantille
DUPAGE, marchand aubergiste à St LEGER à verser entre les mains de PENICAUD
la somme de 148 Livres dont il est débiteur envers lui, BEZIN, depuis un
certain temps. Il ne resterait donc qu'un solde de 52 Livres à régler:
" laquelle… somme de 52 Livres… PENICAUD
n'a jamais voulu recevoir sous le prétexte que... cette somme estoit trop
(modeste); il consentait que ledit BEZIN la gardât jusqu'à l'année suivante
(et) qu'il la luy payeroit avec le total de la rente (de l'année à
venir)."
En
conséquence, BEZIN charge le Notaire d'aller présenter immédiatement ces 52
Livres, majorées de 18 autres pour les frais de commandement et de saisie à
ce PENICAUD qui ne serait pas de parole et serait revenu sur son acceptation
de renvoyer le solde à l'année suivante. En contrepartie, le Notaire devrait
évidemment obtenir une main levée de la saisie qui semble bien beaucoup
gêner BEZIN.
Le 14 Juin,
le Notaire DUTAUZIN se rend chez PENICAUD, à LEOGEATS, et lui :
" exhibe, à deniers découverts... sur une
table deux louis d'or de 24 Livres, trois écus de 6 Livres, un de 3 Livres,
une pièce de 12 sols et quatre sols marqués valant deux sols chacun"
ce qui fait bien 70 Livres. PENICAUD va-t-il les prendre ? Pas du tout, il les refuse, car il en a assez d'avoir été mené en bateau. Le mandat de 148 Livres reçu de BEZIN en Février s'est révélé avoir " été tiré sur une personne insolvable" et il estime n'avoir pas à courir lui-même derrière un autre mauvais payeur avec lequel il dit n'avoir rien à faire.
Il a assez à s'occuper des siens et de Jean BEZIN en particulier. S'il a déjà refusé une première fois les 52 Livres offertes, ce n'est absolument pas sous le fallacieux prétexte de la cumuler avec la rente de l'an prochain, mais c'est tout simplement parce qu'il veut ses 200 livres en bon argent comptant, et pas un chiffon de papier sans valeur assorti d'une aumône de 52 Livres. C'est en ce sens qu'il a trouvé la somme trop modeste, et c'est ce qu'il a dit à BEZIN.
Les 18 Livres supplémentaires destinées à couvrir les frais survenus dans l'intervalle ne changent rien à l'affaire. PENICAUD invite donc le Notaire à reprendre les 70 Livres déposées sur sa table et à rapporter à BEZIN son mandat de 148 Livres resté impayé. Il réaffirme que dès qu'il aura ses 200 Livres, il donnera tout aussitôt main levée de la saisie. Cette petite guerre se poursuivra pendant plusieurs mois au cours desquels les feuilles de papier timbré voleront comme des feuilles au vent d'automne.
Finalement
PENICAUD sera payé sur les produits de la saisie dont main levée sera
donnée en deux actes successifs, les 3 et 4 Novembre suivants au prix de
complications chicanières de dernière heure dans le détail desquelles il ne
saurait évidemment être question d'entrer ici. Bref, Bernard PENICAUD aura
une fois encore été désintéressé sans qu'il ait été nécessaire d'aller
jusqu'au procès. Mais que de tracas ! et quelles traverses aura-t-il fallu
surmonter
Page (258) |
Nous nous
garderons d'affirmer que ce genre de situation contentieuse ait pu constituer
une règle absolument générale. Seules, évidemment les situations
conflictuelles ont laissé de telles traces dans nos archives, tandis que le
souvenir des engagements correctement respectés n'avait aucune raison d'être
conservé.
Il faut
toutefois bien souligner combien le taux de fréquence de ces conflits a pu
être élevé par rapport au nombre des contrats enregistrés par les
Notaires.
Il y a eu
là, à coup sûr, et pendant très longtemps, un véritable problème de
Société dont il serait d'ailleurs intéressant d'analyser les causes, ce qui
exigerait une étude particulièrement approfondie.
-
les baux à ferme;
-
les ventes et les achats, les donations;
- les
retraits lignagers, actions en justice tendant à réintégrer dans le
patrimoine d'une famille ( dans son " lignage " ) un bien qu'un
proche parent en a fait sortir par une vente à un tiers;
- l'exercice
du droit de prélation par lequel un Seigneur pouvait, en des circonstances
bien précises, réintégrer dans son patrimoine direct des bien fonciers qui
en avaient été détachés parfois depuis des siècles et concédés à titre
de fief à des tenanciers du village;
- les
partages de successions enfin, avec tout le cortège des procès qu'ils
engendraient, avec ou sans testament, la matière étant inépuisable.
Ces affaires
patrimoniales, toutes régies par la Coutume de BORDEAUX, nous ont paru
difficilement séparables du statut de la propriété foncière, si différent
de l'idée que nous pouvons nous en faire aujourd'hui. De là, ce renvoi au
chapitre spécial que nous lui avons consacré.
Affaires domestiques et. rurales.
Page (259) |
Il ne
se passait guère de semaine sans que quelques nouveaux litiges de l'espèce
ne soient apportés devant le Tribunal de BUDOS. Même en l'absence de ses
archives perdues, il nous est parvenu, de diverses sources tant et tant
d'anecdotes qu'il nous faudra nécessairement nous limiter à quelques unes
d'entre elles choisies parmi les plus caractéristiques d'une situation
typique ou parmi les plus pittoresques. Dans l'un et l'autre cas, le choix est
très ouvert.
Examinons
d'abord les querelles de voisinage; elles sont innombrables.
Pour commencer, nous irons au quartier de LAPEYROUSE en Décembre 1761. Deux familles se partagent une même maison qui leur vient d'un héritage commun. François COURBIN et Marguerite DARTIGOLLES, sa femme, occupent le rez de chaussée, tandis que Basile LESPINE et Ysabeau DUPRAT habitent l'étage.
Pour y
accéder, ceux-ci passaient par une pièce du bas dans laquelle débouchait
l'escalier. Ce n'était évidemment pas très pratique, mais tout le monde
s'en accommodait. Et voilà qu'un jour, la famille LESPINE fait percer une
ouverture juste au-dessus de la porte d'entrée du rez de chaussée et y a :
" placé une échelle de bois à main,
affectant aujourd'huy de monter et descendre à leur chambre par cet endroit
pour inquiéter et incommoder les (occupants du rez de chaussée) en tenant
ainsy leur échelle qui leur masque et ferme pour ainsy dire l'entrée de leur
porte."
Les COURBIN
se rendent donc à PUJOLS, dans l'après-midi du 26 Décembre 1761, le
lendemain de Noël, et vont trouver Me BAYLE, Notaire du lieu. Ils lui
déclarent ne rien comprendre à ces " innovations et changements "
et se montrent plutôt sévères sur le compte de leurs voisins, disant
qu'il :
" est
aizé de comprendre qu'ils ont... dans toutes leurs actions suivy et
préféré le torrent .... de leurs passions (plutôt) que (de) prendre un bon
conseil..."
Entrer chez
soi par une échelle ne peut être tenu pour chose simple, surtout si l'on
tient compte du fait que les intéressés étaient déjà des quinquagénaires
confirmés. Serait-ce trop s'abandonner aux hypothèses si l'on imaginait
qu'avant d'en venir à une telle extrémité, les LESPINE auraient pu
connaître quelques difficultés du fait des COURBIN en pratiquant l'accès
par le rez de chaussée ? D'avance, ces derniers s'en défendent en affirmant
que chacun bénéficiait :
" d'une possession et jouissance paisible et
tranquille jusqu'à ce jour."
Mais nous ne
disposons que de leur version, et c'est bien dommage.
Toujours
est-il qu'ils somment les LESPINE de tout remettre en l'état antérieur dans
les meilleurs délais sous peine de se voir assigner en justice " pour
les y faire condamner ". Et pour bien montrer leur détermination, ils
ajoutent qu'ils
Page (260) |
Cette
sommation est faite par le Notaire lui-même, le 28 Décembre, s'adressant à
Ysabeau DUPRAT " en son domicile ". Mais il ne dit pas si, pour
accéder à l'étage, il est passé par l'escalier intérieur ou s'il a
emprunté l'échelle ...
Voilà donc
une belle matière à procès qui, si aucun médiateur n'est venu s'interposer
à temps, aura fait les beaux jours du Tribunal de BUDOS.
Puisque nous
sommes au quartier de LA PEYROUSE, restons y encore quelques années pour y
découvrir une autre affaire dans laquelle nous allons retrouver François
COURBIN et Jean LESPINE représentant son Père Basile, pour lors malade ( il
devait mourir un mois plus tard ). Tous deux sont engagés dans un autre
procès, mais cette fois-ci, ils sont du même côté et poursuivent une tierce
personne. Il y avait tant de procès entre les uns et les autres qu'il n'était
pas rare de rencontrer de telles situations dans le village ...
Dans chaque quartier, une partie commune dénommée " padouèn" ou " ayrial " était à la disposition des habitants, lesquels en avaient l'usage, sans qu'aucun d'entre eux puisse en revendiquer la propriété. On y trouvait des aménagements collectifs tels que le puits banal et l'aire de battage des céréales.
Pour bien
fonctionner, ce système de copropriété exigeait un minimum de discipline
générale dans un esprit de tolérance et de respect des autres. Il suffisait
qu'une seule famille du groupe s'écarte de la règle du jeu pour que
l'équilibre soit rompu. C'est précisément ce qui se passa en 1769 lorsque
Joseph DELOUBES, dit " de GUIRAUDE " commença à en prendre un peu
trop à son aise dans l'usage des parties communes.
Après avoir partagé avec son frère la succession de leur Père, il se trouva un peu à l'étroit sur le domaine qui lui était échu. Il avait alors commencé par construire un auvent contre sa maison pour abriter le pressoir qu'il venait de faire aménager. Or, cette installation se situait incontestablement sur le territoire du " padouen " .
Les voisins
ne dirent trop rien mais n'en pensèrent pas moins. Quelques années passèrent.
Et voici qu'en Décembre 1769, il récidiva, dans les mêmes conditions, en
faisant construire un autre auvent pour garer sa charrette, et de plus, il se
moqua ouvertement des protestations de ses voisins. C'en était trop !
Le matin du
28 du même mois, tous les chefs de famille de LA PEYROUSE se réunirent chez
l'un d'entre eux, François LACASSAGNE, le tisserand. Ils y avaient convoqué Me
BAYLE, le Notaire de PUJOLS que nous connaissons déjà. Il y avait donc là
François LACASSAGNE, mais aussi Bernard DUSSAUX, Jean LESPINE représentant son
Père Basile, les trois frères COURBIN ( dont François que nous avons déjà
rencontré ), etc..etc.., en bref,
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" ce
n'est point à titre de mauvaise humeur ny de mauvais voisins qu'ils prennent
la liberté de luy représenter que les ayriaux ou padouèns de (leur) village
de LA PEYROUSE ne sont que pour le service commun des propriétaires... avec
leur puits au milieu, sans que les uns puissent y bâtir ny les occuper au
préjudice des autres…"
Ils lui
reprochent ensuite ses constructions et constatent qu'il:
"
s'empare et occupe presque tous les ayriaux et dit hautement qu'il veut s'en
rendre maître et s'en faire une belle cour."
De plus, sur
ces ayriaux, on ne voit
" que ses bruyères, bûches et fumiers; et
(il a aussi) fait un trou... à côté de leur puits pour y faire mourir de la
chaux (ce qui) luy convenait bien mieux (que) de le faire au large pour
n'incommoder personne. En un mot, il semble que ledit Joseph DELOUBES, depuis
le partage fait avec son frère, provoque (ses voisins)... à se plaindre pour
toutes ses fiertés et entreprises. Et (ceux-là) ne peuvent plus les tolérer
parce qu'elles tendent peu à peu à une privatisation de leurs... ayriaux et
padouèns qui leur sont aussy nécessaires que leurs propres maisons
mêmes."
Au surplus,
l'affaire se complique, car les habitants du quartier venaient précisément
de décider de reporter " l'aire commune servant à dépiquer leur grain
" à l'endroit précis où DELOUBES vient d'édifier son hangar à
charrette. Peut-être cette décision n'est-elle que de circonstance, en vue
de donner plus de poids à l'argument ...
Toujours
est-il qu'ils mettent DELOUBES en demeure de démolir ses constructions
abusives, de combler son trou à chaux,
" et d'uzer à l'avenir pour ses bruyères,
bûches et fumiers modérément et conformément à la portion qu'il peut
prétendre... sans répandre l'un icy et l'autre là, afin que (ses voisins)
puissent jouir desdits ayriaux tout comme luy..."
Et s'il ne
s'exécute pas immédiatement, " dans trois jours pour tous délay "
ils l'informent qu'ils vont l'assigner .
" en justice pour l'y faire contraindre et
condamner avec tous les dépens, dommages et intérêts."
Cette
sommation est notifiée à l'intéressé le lendemain 29 Décembre et
contrôlée au Bureau de l'Enregistrement de BARSAC le 3 Janvier 1770. C'est
le début d'un long procès qui animera maintes audiences du Tribunal de
BUDOS.
Affaires de divagations d'animaux:
Parmi les
litiges de voisinage, une mention toute particulière doit être faite des
affaires de divagations d'animaux. Elles sont très nombreuses et nous ne
pourrons en évoquer, bien sûr, que quelques exemples.
Page (262) |
La règle coutumière voulait que tout animal vagabond surpris en train de provoquer un dégât sur la propriété d'autrui pouvait être saisi et conduit à la fourrière seigneuriale ( encore fallait-il pouvoir l'attraper...). Après quoi, on procédait à une évaluation du dommage à dire d'expert et le propriétaire de l'animal était condamné à la fois à la réparation du préjudice, sur les bases définies par l'expertise, et à une amende de police prononcée par le Juge Seigneurial. Ce genre d'affaire était donc pris très au sérieux.
C'est peut-être la raison pour laquelle nombre d'entre elles nous laissent une impression désagréable de chicane outrancière et tout à fait délibérée. Dans bien des cas, le propriétaire responsable semble manifester une évidente bonne volonté de réparation, tandis que l'on sent chez la partie adverse un propos délibéré d'exploiter la situation à tout prix.
On tient
absolument à aller au procès en bonne et due forme, alors que le litige
mériterait souvent tout au plus une simple rencontre, quelques mots
d'explication et un modeste dédommagement. Que de fois voit-on la victime
saisir la Justice sans même avoir pris contact avec le responsable ! Cette
volonté de dramatisation a de quoi surprendre. On peut y retrouver ce malin
plaisir qu'avaient nos Ancêtres à cultiver la chicane à tous propos et
souvent, même, hors de propos.
Le 16 Décembre 1771, les boeufs de Barthélémy DARCOS, charron à BUDOS étaient au pacage sur les bords du TURSAN. Il semble qu'ils aient pu pénétrer dans une pièce de jeunes pins appartenant à André RICAUD, dit " du ROY ", laboureur à LANDIRAS. Aussitôt, celui-ci, sans aucun contact amiable préalable, s'en va déposer plainte au Tribunal. DARCOS l'apprend par un tiers dans la soirée. Ce sont des choses qu'il ne faut pas laisser traîner;
" il n'eût pas de plus grand empressement
que d'aller (le soir même) après souper chez ledit RICAUD luy dire qu'il
estoit surpris qu'il eût pu... trouver ses boeufs dans sa pièce de pins,
parce que les pignadas ne sont point des pacages propres pour les boeufs
(qu'au surplus) sa pièce de pins... n'est pas même à portée pour que ses
oeufs puissent aller (y) pacager (et) qu'enfin (DARCOS) ne voit pas que ses
boeufs aient pu allerdans (ce) lieu, à moins de les y avoir introduits.
Cependant, que si RICAUD avait des preuves contraires et que véritablement
ses boeufs eussent entrés dans sa... pièce de pignadas et qu'ils luy eussent
fait quelques dommages, (DARCOS) était là pour luy (en) faire
raison..."
RICAUD n'a aucune preuve et ne veut pas en discuter et, "sans s'embarrasser de prouver le fait ", il demande 9 Livres de dommages à DARCOS, majorées des frais de justice déjà engagés depuis l'après midi du même jour. Ce dernier demande qu'il soit procédé à une expertise et déclare par avance se soumettre à ses conclusions.
Dès le
lendemain matin 17 Décembre, il va trouver Me BAYLE et lui demande d'aller
signifier à RICAUD qu'il tient pour nulle toute procédure qui pourrait être
engagée à son encontre tant que l'expertise amiable qu'il propose n'aura pas
été effectuée. Et puisque la Justice est déjà saisie, c'est Dominique
LABARTHE, Bayle du Tribunal, qui va être chargé de notifier cet acte à
RICAUD en son domicile, à LANDIRAS.
Page (263) |
L'ensemble de
cette affaire s'est déroulée en vingt et quatre heures.
Les
Landiranais sont prompts à la chicane, mais les Budossais ne le sont pas
moins. Une anecdote, symétrique inverse de la précédente en apporte la
preuve.
Le 18 Mai 1775, le fils de Pierre RICAUD, dit BIAGAUT, laboureur à LANDIRAS, gardait les bœufs de son Père sur la lande de CONTAU, le long du TURSAN, au lieu dit LE GROUICHOT. Vers les 16 heures, ces bœufs échappèrent à sa surveillance et traversèrent une pièce " où il y a quelques vieilles souches de bois taillis " et qui appartenait à FERRAN, dit FERRANTOT, habitant de BUDOS.
Poursuivis
par l'enfant, les boeufs ne firents que la traverser sans apparemment y
séjourner. Mais le lendemain matin, RICAUD devait apprendre que FERRAN était
déjà parti pour aller déposer sa plainte au Tribunal, ici encore sans
qu'aucun contact préalable ait été établi entre les deux parties.
Immédiatement, RICAUD se précipite chez Me DUTAUZIN, Notaire à LANDIRAS, et
fait dresser un acte par lequel il propose un dédommagement à dire d'experts
après estimation des dégâts, lesquels ne peuvent guère, d'ailleurs, être
considérables :
" puisque (les bœufs) ne demeurèrent pas
une minute de temps..."
sur la pièce de FERRAN. Il propose en outre une somme de neuf Livres pour couvrir les frais de Justice qui auraient pu être déjà engagés jusqu'à l'heure. Cet acte est notifié le jour même par le Notaire au domicile de FERRAN à BUDOS. Il n'y trouve que sa femme qui veut bien recevoir l'acte mais refuse les neuf Livres afin de ne pas engager son mari dans cette transaction amiable et de lui laisser la possibilité de poursuivre son procès.
Cet argent
restera donc à la disposition de FERRAN, pour le cas où il se raviserait,
consigné entre les mains du Notaire. Ici, le déroulement de l'affaire a
été encore plus rapide puisque les bœufs se sont évadés vers 16 heures et
que la notification à la femme de FERRAN se situe le lendemain en tout début
d'après midi... Ce procès suivra d'ailleurs son cours car FERRAN avait une
vieille vengeance à assouvir contre ce RICAUD ainsi que nous le découvrirons
un peu plus loin dans une autre affaire.
Les choses se compliquent davantage lorsque les animaux sont capturés et retenus en fourrière. C'est ce qui arriva à Arnaud BATAILLEY le 25 Octobre 1763, lorsque ses bœufs firent une incursion sur la propriété de Pierre DUBOURDIEU, Sergent Ordinaire de la Juridiction de BUDOS.
Là, c'était
vraiment jouer de malchance, car DUBOURDIEU, de par ses fonctions judiciaires,
connaissait à fond ses droits et n'allait pas manquer de s'en prévaloir. Il
se saisit des bœufs. Il se pourrait même qu'il s'en soit saisi sur la
propriété de BATAILLEY sur laquelle, après leur incursion, ces animaux
vagabonds seraient entre temps revenus beau sujet de litige
supplémentaire...). Arnaud BATAILLEY confie à son jeune fils le soin d'aller
les récupérer.
DUBOURDIEU le
reçoit fort mal et le rosse d'importance. Revenant chez lui, BATAILLEY :
" trouva son dit fils bien malade des coups
qu'il avait reçus dudit DUBOURDIEU sans nulle raison."
Il s'y rend donc lui-même avec la ferme intention de ramener ses boeufs. Peine perdue. Certes on ne le rosse pas mais on refuse de les lui remettre bien qu'il ait proposé de payer le dommage causé dès qu'il aurait été évalué à dire d'expert.
Page (264) |
DUBOURDIEU est inflexible. Les boeufs restent en fourrière. Mais BATAILLEY en
a besoin pour effectuer des travaux qui ne peuvent attendre, en particulier
pour:
" ensemencer ses biens et pour ses autres uzages, la privation de ses boeufs lui causant un dommage considérable."
Il va donc
trouver Me PEROY, Notaire à NOAILLAN, dans l'après-midi du lendemain 26
octobre et lui fait dresser un acte par lequel il enjoint à DUBOURDIEU de :
" luy remettre et envoyer chez luy lesdits bœufs
non gâtés ny déteriorés, (moyennant) l'offre qu'il fait ... de luy payer
le dommage, si tant est que lesdits boeufs en aient causé, à vue et
estimation d'experts."
Faute de
quoi, bien évidemment, il lui intentera un procès pour le " privation
d'usage " . La manoeuvre est habile puisque, par ce revirement de
situation, c'estdésormais œuvre est habile puisque, par ce revirement de
situation, c'est désormais le responsable qui envisage de poursuivre la
" victime ". Ce fut un bien beau procès!
On imagine
aisément ce que peuvent devenir de telles affaires lorsque les dégâts sont
bien réels et indiscutables ...
Jean LAPORTE,
vigneron à BUDOS, avait une vigne au lieu dit de MARGES, une vigne:
"
dont la venue était des plus belles et des plus apparentes..."
Nous sommes
au printemps de 1781. Le Samedi 12 Mai:
" le nommé Joseph DELOUBES (celui-la même
que nous avons déjà rencontré à LA PEYROUSE), laboureur(de) BUDOS, soit à
dessein prémédité, ou faute de précautions, avait fait, ou laissé entrer
ses boeufs dans ladite pièce de vigne (de LAPORTE) qui aurait été en grande
partie broutée et ébréchée, soit dans sa pousse, soit dans ses fruits
déjà avancés et notamment le nombre de 305 pieds de (cette) vigne quy sont
totalement rongés et hors d'état de rattraper de plus de trois ans ny leur
pousse vigoureuse, ny une récolte proportionnée."
Ici aucun
doute n'est permis. Jean LAPORTE a surpris lui-même les boeus en pleine
action, il les a capturés et les a conduits chez lui:
" pour les mettre en Justice dans le délai
prescrit...par la coutume de BORDEAUX."
Mais DELOUBES
est intervenu et a fait le bon apôtre; ce faisant, il a obtenu de LAPORTE,
bon prince, qu'il lui rende ses boeufs contre promesse de dedommagement.
Sitôt son
bien récupéré, il change de ton. Le voilà qui revient chez LAPORTE :
" accompagné d'un homme préparé à sa
fantaisie (et) qu'il qualifie d'expert."
Celui-ci
apprécie le dommage à 16 pots de vin (environ 32 litres) livrables aux
prochaines vendanges ! LAPORTE est scandalisé d'une telle mauvaise foi, et le
voilà bien marri d'avoir rendu les boeufs ! Il est convaincu qu'une
estimation judiciaire aurait été beaucoup plus généreuse
Page (265) |
" n'y eût-il que la récolte des 305 pieds
de perdue, il était visible qu'elle allait à plus de demi barrique de
vin."
Nous
noterons ce renseignement au passage car il nous fournit une approche des
rendements enregistrés dans les récoltes de l'époque.
Au surplus,
LAPORTE est persuadé que le Juge aurait tenu compte des dégâts sur les
années suivantes.
Quoi qu'il en
soit, le 17 mai, il va trouver Me DUCASSE et lui fait dresser une sommation à
comparaître qu'il adressera à DELOUBES, en l'invitant à le rencontrer sur
place, le Vendredi 18 Mai à 8 heures du matin, chacun se faisant accompagner
de son propre expert, en vue de déterminer le montant exact du dommage. En
cas de refus ou de désaccord, l'affaire devra être évidemment portée
devant le Tribunal de BUDOS.
Les boeufs
n'avaient pas l'exclusivité de ces escapades incontrôlées. Tous les autres
animaux domestiques en prenaient leur part. Les moutons, en particulier, ont
été à l'origine (le bien des litiges de voisinage. Nous nous bornerons à
évoquer deux affaires les concernant, deux affaires montrant bien quelle
différence d'attitude l'on pouvait rencontrer au regard d'un même problème
selon que l'on était animé de l'esprit de chicane ou de conciliation.
En Mai 1773,
une brebis se détache du troupeau de Bernard DUPRAT, dit JEANTILLON, et entre
dans une pièce de vigne appartenant à Jean DUPRAT dit CANET. En bout de
cette pièce, elle broute :
" quatorze à quinze pieds de vigne dont
quatre ou cinq pieds, quoique broutés, sont sans dommage."
Bernard
DUPRAT propose à Jean un dédommagement. Pas de réponse. Mais bientôt il
apprend qu'une plainte est déjà en cours devant le Tribunal. Aussitôt il
envoie sur les lieux deux vignerons experts pour évaluer les dégâts. Ces
experts :
" auraient apprécié ledit dommage à deux
pots de vin (environ 4 litres) qui, à raison de dix sols le pot qu'i1 se vend
au cabaret, montent à vingt sols, pour laquelle somme, il est bien
désagréable que ledit DUPRAT veuille faire des frais tandis que le
(responsable) a bien voulu et veut bien encore. Luy payer ce qu'il faut pour
l'arrêter dans sa ,vengeance…"
Il se put bien que les experts de Bernard DUPRAT aient été un peu complaisants. Leur estimation de perte de récolte n'est guère généreuse. Quatre litres font bien peu de choses… mais l'intéressé, en revanche, a le geste large. Il évalue la perte au prix du vin au détail sur la table du cabaret, soit près de trois fois le prix de vente en vrac que pouvait raisonnablement espérer le vigneron au cours de l'époque .
Et pour faire
bonne mesure , au lieu des 20 sols estimés, il lui offre une pièce de 24
sols qu'il charge Me BAYLE d'aller lui porter à 1'appui d'un acte de
sommation. Le Notaire se rend donc chez Jean DUPRAT le 24 Fiai 1773. Il n'y
trouve que sa femme à laquelle il remet l'acte et propose la pièce. Elle
prend l'acte mais refuse la pièce, toujours dans le souci de ne pas engager
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Cette
situation se retrouve systématiquement en pareille circonstance; les femmes
n'acceptent jamais l'argent offert au titre des transactions. Elles devaient
avoir reçu de sévères instructions en ce sens. Le mari avait ainsi tout
loisir de réflexion avant de poursuivre éventuellement son action s'il le
jugeait bon.
Et tout cela
pour une brebis égarée au bout d'une pièce de vigne...
Autre
affaire, identique, et pourtant bien différente dans sa conclusion.
En Mars 1775,
Pierre CHAULET, chirurgien à LANDIRAS, surprend les brebis de Jean DUPRAT (
homonyme du précédent, sans plus), installées dans sa vigne de BUDOS. Ici,
les choses sont beaucoup plus graves, car non seulement tout le troupeau est
dans la vigne, mais aussi parce qu'il est gardé et que le berger n'a rien
fait pour les en sortir. Pierre CHAULET porte plainte auprès du Tribunal de
BUDOS. Jean DUPRAT plaide coupable. Il reconnaît que:
" ce fait est certain (et qu'il) a à se
défier contre l'infidélité de son pasteur (qui) il ne cesse de (reprendre)
sur ces sortes de licences."
et ceci par
pure négligence :
"attendu... que son intention ne seroit de
nuire ni préjudicier qui que ce fut."
" pour mettre fin à son action, il lui offre
tels dommages et intérêts qu'il pourroit avoir souffert à raison de (cette
affaire) et même de lui rembourser tous les frais et dépens auxquels il a
été exposé, s'en reportant pour l'un et l'autre objet à sa
générosité..."
On ne saurait
mieux dire, et Me DUTAUZIN s'en va le même jour trouver Pierre CHAULET à son
domicile pour lui remettre son acte avec le commentaire approprié. Après en
avoir pris connaissance, celui-ci répond:
" exiger pour tous dommages et intérêts que
ledit DUPRAT lui donneroit un agneau gras et bien conditionné et en outre le
remboursement de la somme de seize sols pour (compenser) pareille somme qu'il
dit avoir donnée au Juge de BUDOS."
Le Notaire
verse aussitôt les seize sols dont il retire quittance, Jean DUPRAT remet son
agneau et tout le monde convient d'arrêter là une affaire qui était
pourtant bien plus sérieuse que la précédente. Il y avait donc heureusement
place dans ces villages pour quelques personnes raisonnables ...
Restons en
là pour ce qui concerne les litiges provoqués par les animaux domestiques (
la matière est à peu près inépuisable...), mais nous n'avons pas pour
autant, et tant s'en faut, fait le tour des conflits ruraux. Les querelles de
limites et de bornage sont peut-être plus nombreuses encore.
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Affaires
de limites et de bornages:
On pourrait
imaginer que ces affaires aient pu être parfois importantes et complexes. Ce
n'est pourtant pas le cas général. La plupart du temps, elles sont de faible
intérêt, sinon même parfaitement futiles.
Il y en a
tant et tant, du reste, que l'on
ne sait trop lesquelles choisir pour illustrer le propos.
Jean LAPORTE, dit MALITON, vigneron à BUDOS avait hérité de son Père une vigne située au lieu dit de MASSE. Selon l'acte d'achat d'origine, daté de 1760, cette parcelle mesurait 18 pas de large sur 90 pas de long ( environ 16 mètres sur 80 ) . Elle était contiguë, au nord et à l'est de la propriété de Jean MASSE.
S'il n'y
avait jamais eu de problème quant à la largeur, les MASSE Père et Fils
n'avaient jamais cessé de contester la longueur, prétendant qu'elle ne
pouvait faire les 90 pas, lesquels avaient pourtant toujours paru
incontestables à tous ceux qui étaient allés examiner la question sur
place. En 1777, Jean MASSE relança
l'affaire. LAPORTE ressortit alors son titre et fit appel à des avis
éclairés. Et là, il visa haut, puisqu'il s'adressa au Curé et au Baron
lui-même, les deux plus hautes autorités de la Paroisse. Les choses en
était en effet venues:
" au
point que par deux fois (LAPORTE) a été sur le lieu avec son titre
d'acquisition à la main, la première avec Monsieur le Curé dudit BUDOS
(venu sur place) pour les faire entendre raison, il y a environ dix à onze
mois, et la seconde avec Monsieur de BUDOS, Seigneur dudit lieu, il y a
environ trois semaines, et toujours, tant l'un que l'autre, ont condamné...
MASSE (le priant) de laisser (LAPORTE) en paix et jouir de sa pièce de
terre... (sur) la longueur de 90 pas de long et d'y planter des bornes…"
Et en dépit de tout cela, les MASSE ne
s'exécutaient pas. Las d'attendre, le 17 Mai 1778, Jean LAPORTE les somme:
" de se trouver Mercredy prochain, vingt du
présent mois à deux heures après midy sur ladite pièce afin d'y planter
les bornes au bout formant les 90 pas, se retirer et ne plus prétendre
d'aller plus avant et délaisser (LAPORTE) paisible et tranquille dans (sa)
pièce et dans l'étendue des 90 pas."
Et bien
entendu, à défaut de les voir s'exécuter, c'est la saisie du Tribunal et le
procès qui sont annoncés sous les plus brefs délais.
On peut ici
facilement admettre que l'opiniâtreté des MASSE ait pu être pour beaucoup
dans le risque de voir terminer cette affaire en justice. Mais il faut bien
dire aussi que l'on envisage dry aller dans des circonstances nettement moins
motivées.
La menace
d'un procès fait partie des tous premiers arguments que l'on utilisait pour
défendre un droit menacé, avant même toute tentative de concertation avec
l'autre partie. La brièveté des délais entre certains évènements et le
dépôt de la plainte correspondante en porte souvent témoignage.
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Les moeurs du
temps le voulaient ainsi, certes, mais on peut douter que de tels procédés
aient pu faciliter les
relations conviviales à l'intérieur de la communauté du Village.
Une nouvelle
anecdote va nous éclairer sur le processus de dramatisation appliqué à une
affaire mineure.
Pierre PERROY, dit SANSON, était tisserand à BUDOS. En Décembre 1761, il alla couper du bois taillis pour son chauffage dans une pièce qu'il possédait au lieu dit de PEYROUTET. Et là, il alla un peu trop loin, sur une largeur de trois pas ( environ 2 mètres,65 ) tout au long de sa limite commune avec Jean LAFON.
Ce dernier
s'en aperçut et courut tout aussitôt, le 2 Janvier 1762 après midi, chez Me
BAYLE à PUJOLS. Là, sans autre contact préalable ou préavis quelconque, il
fit dresser au Notaire un acte de sommation qu'il adressa à PERROY; acte par
lequel il lui enjoignait :
" de luy payer la somme de six Livres pour la
valeur du bois coupé et enlevé dans la bordure de sa pièce... (et) de se
trouver demain à huit heures du matin sur les confins du bout nord de leurs
dites pièces de PEYROUTET pour y planter une borne à l'alignement de deux
autres qui sont au-dessous vers (le) midy."
Faute de s'y
trouver, LAFON le prévenait, bien sûr, qu'il l'assignerait tout aussitôt en
justice devant le Tribunal de BUDOS.
Il se peut
bien que cette borne fut nécessaire, tout comme il est à peu près certain
que PERROY avait effectivement chevauché la limite. Mais on aurait pu
imaginer un autre type de relations entre deux voisins de propriété
qu'aucune animosité particulière ne dressait jusque là l'un contre l'autre;
surtout avec l'injonction comminatoire d'un rendez-vous assigné un soir en
fin de journée pour le lendemain matin à 8 heures…!
On dirait
qu'une sorte de fatalité s'attache à ce genre d'affaires pour qu'un
entêté, un opiniâtre ou un irascible vienne toujours donner une tournure
contentieuse aux cas les plus simples.
Monsieur
MYRAN en fit l'expérience, une expérience entre tant d'autres.
Il était
avocat à la Cour du Parlement et Bourgeois de BORDEAUX. Propriétaire à
PUJOLS et à BUDOS, notamment à LA IIONTIQUE, il figurait parmi les
personnalités notables du pays. Il possédait une pièce :
" en bois, jogues, brandes et pins au lieu dit
du TUCO DE LAMOTHE."
Cette
parcelle avait la forme d'un trapèze tout en longueur et, compte tenu de sa
forme un peu bizarre, on l'avait entièrement ceinturée d'un fossé. Celui-ci,
du côté ouest:
" se trouvant comblé en quelques endroits,
soit par les voies des charrettes pratiquées (sur) ce lieu, soit autrement...
"
il arriva que
des voisins vinrent couper du bois chez Monsieur MYRAN au delà de la limite
du fossé comblé
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" de quoi ledit Sieur, qui ne va que rarement
audit lieu, s'étant aperçu,... "
il proposa à ses voisins de planter des bornes. Et pour une fois les choses se passèrent très normalement et sans menaces inutiles avec quatre d'entre eux. Mais il y en avait un cinquième, Jean BRUN, dit COUCHIRE, qui le touchait côté nord sur une façade où le fossé était intact et la limite sans problème. Et Jean BRUN ne voulut rien entendre; mieux encore, par bravade, il se mit à couper du bois, à cheval sur la limite, ce qui conduisit tout naturellement Monsieur MYRAN à se pourvoir en justice.
C'est alors ,
mais alors seulement, tandis que le procès était déjà engagé , que Jean
BRUN se ravisa. En fait, il avait dû s'apercevoir que sa cause était très
mauvaise. C'est ainsi qu'il finit par accepter la plantation des bornes et
rendit le bois coupé en remboursant les premiers frais de justice engagés.
Monsieur MYRAN, bon prince , accepta de renoncer aux dommages et intérêts
auxquels il aurait pu prétendre et abandonna son procès.
Affaires
de passages et de servitudes.
Querelles de limites, querelles de bornage, mais que ne pourrait-on dire encore des contestations sur les droits de passage ? Le Tribunal local en a fait son bonheur en de nombreux et interminables procès qui ont souvent été poursuivis en appel devant la Cour Présidiale de GUYENNE.
Ici encore,
sur des questions essentiellement simples et que l'on aurait fort bien pu
résoudre sur place par une décision de pur bon sens, on voit se développer
ce que l'on pourrait appeler de véritables efflorescences judiciaires. La
chose serait presque drôle tant elle est outrée, si elle n'était souvent si
dramatiquement onéreuse pour de modestes petits propriétaires qui y
dévoraient jusqu'à leur dernier sol.
La
mésaventure que connut Arnaud FERRAN en est un bon exemple.
Pierre RICAUD, dit BIAGAUT, que nous avons déjà rencontré dans une affaire de boeufs vagabonds, était laboureur à LANDIRAS. Il était propriétaire d'un pré situé aux abords du quartier de PERRON. Cette parcelle avait pour particularité de ne pouvoir être desservie qu'en utilisant un passage en bordure d'un autre pré, contiguë, côté nord, au padouèn de PERRON, et appartenant à Arnaud FERRAN, dit FERRANTOT, ( également impliqué dans l'affaire des bœufs).
Il
ne faisait aucun doute que, pour déboucher du pré de
RICAUD sur l'espace libre du padouèn, il fallait passer chez FERRAN. La
situation des lieux était telle qu'il n'y avait aucun autre accès possible.
Pierre RICAUD, succédant en cela à son Père était toujours passé en
toutes occasions sur cette bordure, tout comme l'avaient déjà fait tous les
anciens de sa famille depuis des temps immémoriaux.
Un beau jour,
FERRAN s'opposa à ce passage. Se présentant sur les lieux, il arrêta RICAUD
:
" avec ses boeufs et sa charette chargée de
fumier dans (son) pré (et lui a) défendu de ne plus user à l'avenir de (ce)
passage."
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Pierre RICAUD
est bien ennuyé et tente de s'expliquer. Rien
Cette année
là RICAUD perdra sa récolte de foin faute d'avoir pu l'évacuer.
Il assigne
donc FERRAN en justice et l'affaire suit son cours, elle ira jusqu'au Sénéchal
de GUYENNE en la Cour du Présidial. Là, il est demandé à chacun des
antagonistes de rapporter la preuve de leurs prétentions. Nous passerons très
vite et sans nous y arrêter par dessus le dédale d'une procédure complexe
pour en venir à l'audience du 14 Décembre 1771 au cours de laquelle RICAUD
fait comparaître ses témoins, tandis que:
" FERRAN n'ayant sans doute trouvé aucun
témoin qui voulut favorizer ses allégations ... ne fit point de preuves."
C'est ainsi
que FERRAN perdit son procès. Le 6 Février 1772, il finit par s'incliner en
adressant à RICAUD un acte de réintégrande ( procédure que nous
découvrirons un peu plus loin) et, conformément au jugement, s'engage envers
RICAUD à le :
" (réintégrer) dans la possession où il
était de passer sur son pré à pied, à cheval et avec charrette et boeufs
(et) lui offre de lui payer les foins qui s''étaient perdus la récolte
dernière, les dommages et intérêts qu'il auroit soufferts tels qu'ils seront
réglés par des experts et de luy payer les dépens suivant le règlement
amiable qui en seroit fait par les procureurs des (deux) parties."
Les experts désignés évaluèrent les foins perdus, les " petites herbes " ( à savoir le regain ) et les dommages à la somme de 25 Livres et 10 sols. Mais les dépens de l'ensemble du procès, arrêtés de concert par les deux procureurs postulants, s'élevèrent à 195 Livres 8 sols et 9 deniers. C'est donc une somme de plus de 220 Livres que FERRAN dut verser à RICAUD en bel argent comptant.
S'y
ajoutaient évidemment ses propres frais d'actes, d'avocat, de procureur
postulant et les épices remises aux juges qui ne sont pas compris dans ce
décompte. C'est donc une affaire qui, au bas mot , lui aura coûté plus de 250
Livres et probablement bien davantage. Disons, pour fixer les idées que c'est
le montant moyen de la dot d'une fille de laboureur de la condition de FERRAN,
ou encore, sur une autre échelle de valeur, l'équivalent d'un troupeau de 12
vaches.
Et comme il n'a pas cet argent ( peut-être n'en a-t-il pas le premier sou ...) il tarde à régler sa dette a RICAUD. Celui-ci s'impatiente car il lui faut régler ses propres frais de justice. N'oublions pas que les 195 Livres de dépens ne feront que passer entre ses mains avant de tomber dans les caisses des gens de robe.
Et comme il
est harcelé, il harcèle à son tour. Le 4 Mai 1772, il adresse à FERRAN une
sommation à paiement avec menace, en cas d'inexécution, de lui intenter un
nouveau procès devant le tribunal de BUDOS pour le contraindre à régler cette
dette. C'est ce qu'il fit, d'ailleurs dans les semaines qui suivirent.
Voilà
comment, sur un coup de tête, en arrêtant une charrette de fumier, et avec une
bonne dose d'esprit de chicane en prime , on peut mettre une famille de petits
propriétaires dans un très grave embarras pendant bien des années. Bien pire
encore si la malchance voulait que, sur un pareil coup,
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Il ne
restait plus qu'à vendre tout ou partie de la terre composant le patrimoine
et s'en remettre aux hasards de la vie des journaliers agricoles. Cela a bien
failli être ici le cas car la période qui devait suivre se montra
particulièrement difficile et ingrate.
Les
FERRAN furent néanmoins sauvés du désastre par l'intervention du Curé
DORAT qui, in extremis, les tira de ce bien mauvais pas ainsi que nous le
rapporte un acte retrouvé dans les minutes de Me DUTAUZIN, Notaire à
LANDIRAS, chez qui tous les protagonistes de cette histoire se retrouvèrent
dans l'après midi du 28 Juin 1772 :
" ont
comparu Mr Maître Jacques DORAT, Docteur en Théologie, Prêtre et Curé de
la Paroisse de BUDOS, lequel a, sur ces présentes (écritures), payé... à
la décharge d'Arnaud FERRAN, dit FERRANTOT, laboureur de ladite Paroisse de
BUDOS, à Pierre RICAUD dit BIAGAUT, aussi laboureur, habitant la Paroisse de
LANDIRAS, icy présent et acceptant, savoir est la somme de deux cent vingt
six Livres dix huit sols neuf deniers (on remarquera qu'il y a déjà six
Livres supplémentaires imputables au nouveau procès introduit auprès du
Tribunal de BUDOS) due par ledit FERRAN audit BIAGAUT pour les dépens, frais
et dommages et intérêts résultants d'une procédure en arrêt de querelle
qui était pendante en la Cour Sénéchale de GUYENNE entre FERRAN et RICAUD..."
Grâce à cette intervention qui a permis d'échelonner la dette au-delà des années noires qui se sont succédées en ce temps là, les FERRAN ont pu survivre et doubler ce bien mauvais cap. Il ne faudrait cependant pas croire qu'une aussi cruelle expérience ait pu calmer ln rage de plaider d'Arnaud FERRAN. Absolument pas...
Dans les
années qui suivirent, nous le retrouvons encore impliqué plusieurs fois dans
d'autres procès dont il prend l'initiative, ne serait-ce que celui des boeufs
vagabonds déjà évoqué ci-dessus où, en 1775, donc, trois ans plus tard,
nous l'avons vu se faire un malin plaisir d'assigner en Justice Pierre RICAUD,
son ennemi intime, sur une affaire parfaitement dérisoire. Enfin ! il le
tenait ! Intense jubilation !.. C'était donc bien une vengeance....
Affaires d'entretien de fossés et de ruisseaux.
Le curage, et
plus généralement l'entretien des fossés et des ruisseaux engendraient
aussi nombre de contestations de voisinage.
Bernard BEZIN, laboureur à BUDOS n'était pas content de ses voisins Jean BOIREAU dit MARQUIS, et autre Jean BOIREAU dit JEANNET. En effet, un petit ruisseau dit LA ROUILLE descend du hameau de LA FONTASSE et, passant par le lieudit des BERCEYS, se dirige vers le TURSAN dans lequel il se jette.
Or, en ce
lieu des BERGEYS, les deux frères BOIREAU avaient chacun une pièce de vigne
traversée par LA ROUILLE, et comme aucun des deux ne s'occupait de la curer,
les eaux s'écoulaient indûment dans un chemin en direction du quartier du
SOUBA :
" et
lesdites eaux vont fondre
dans une pièce de vigne en blé (appartenant à BEZIN appelée A LILLA,
distante
Page (272) |
Par un acte
notarié du 20 Mai 1770, établi par Me BAYLE, Bernard BEZIN somme les frères
BOIREAU de curer LA ROUILLE et de refaire passer les eaux par leur lit
naturel. Il précise que cette situation est devenue particulièrement
insupportable depuis les pluies abondantes du dernier hiver. Faute de
s'exécuter, ils seront assignés devant le Tribunal de BUDOS avec demande de
contrainte à exécution assortie de dommages et intérêts.
Le Baron
lui-même intervient pour protéger ses propres parcelles lorsqu'elles se
trouvent menacées par des écoulements parasites. Il eût en particulier fort
à faire en 1773, avec un dénommé PIERILLE qui avait détourné
l'écoulement des eaux pluviales au bas de l'une de ses pièces de vigne
située entre le quartier de FONBANNE et la ferme de MARGARIDE.
Bien d'autres
exemples de litiges du même ordre n'apporteraient rien d'autre à la
matière. Nous n'y retrouverions que répétitions inutiles car ils sont tous
assez semblables.
Affaires d'escroqueries et malfaçons.
Nombreux étaient ceux qui se tenaient à l'affût de quelques occasions de plumer un pigeon. Cela se pratiquait beaucoup sur les marchés aux bestiaux ( VILLANDRAUT, UZESTE, par exemple) mais aussi jusqu'au domicile des victimes. Ces dossiers nous ont laissé parfois quelques petits tableaux de moeurs particulièrement intéressants dans lesquels la vie quotidienne se révèle de façon tout à fait spontanée.
Les
transactions sur les boeufs ont toujours constitué un terrain privilégié
pour toutes sortes de fraudes en dépit des mesures de protection que la
Coutume de BORDEAUX avait pourtant prévu pour les combattre.
Nous
commencerons par une histoire simple, qui n'implique pas nécessairement une
tromperie formelle mais qui n'en débouchera pas moins sur un bon procès.
Michel
BOIREAU, laboureur à NOAILLAN, avait une paire de en gazaille (
disons en pension au pair ) chez Pierre du PARAN, a BUDOS. Le 15 Octobre 1775,
à la fin des vendanges, il les vend à Pierre LATESTERE, laboureur à
SAUTERNES, avec
Page (273) |
" pendant neuf jours suivant l'uzage, de
l'ombrage, de donner de la tête et d'être solide au travail tant de la
charrue que de l'araire, eu égard à leur force et à leur jeunesse."
Ce sont en
effet les trois points sur lesquels porte la garantie de la Coutume.
L'acheteur dispose de neuf jours pour essayer ses nouveaux boeufs dans toutes
les conditions de travail que l'on peut normalement envisager. Pendant ce
délai, le marché est en suspens, il n'est réellement conclu qu'au terme des
neuf jours si l'acheteur n'a rien eu à reprocher aux animaux. A partir de
là, la vente devient irrévocable et aucune réclamation ne peut plus être
admise, sauf à démontrer en Justice que le vice était caché et ne pouvait
se révéler en neuf jours. Mais en ce cas, la résiliation devenait beaucoup
plus difficile, plus longue et aussi plus onéreuse.
Le prix
convenu pour la présente vente était de 250 Livres, ce qui représente une
somme importante mais tout à fait normale. Il faut savoir qu'une paire de
boeufs valait autant que six à huit chevaux de force courante. Ces boeufs
n'avaient jamais été
" reconnus malades, mais (au) contraire...
ont constamment bien fait leurs travaux (sur) les biens dudit PARAN,
gazailliste (à BUDOS), mangeant facilement, vert ou sec, de ce qu'on leur
présentait pour nourriture. "
Trois jours
plus tard, LATESTERE adresse à BOIREAU une sommation en vue de lui faire
reprendre ses boeufs parce que :
" l'un (d'eux) tousse par (moments) et que
sur la déclaration de gens... (experts) ledit oeuf est atteint d'une altération
de poulmon..."
Dans un acte
notarié de protestation, en date du 20 Octobre, passé chez Me PERROY à
NOAILLAN, BOIREAU conteste d'abord la maladie, puis fait observer que sa
garantie ne portait que sur les trois vices prévus par la Coutume et non sur
les affections pulmonaires, ce dernier argument étant un peu spécieux... En
conséquence, il somme à son tour LATESTERE d'entériner leur contrat et de
lui payer ses boeufs.
Le procès
qui s'amorce là connaîtra de belles batailles d'experts aux conclusions
divergentes, sinon même parfaitement contradictoires.
Examinons
maintenant un cas d'application des garanties offertes par la Coutume.
Etienne
GOUARAU et Jean GUICHENEY s'étaient rencontrés sur le marché de VILLANDRAUT
le 26 Août 1767, chacun à la tête d'une paire de boeufs. Ils envisagèrent
de les échanger. C'était une opération relativement fréquente, motivée
par des considérations d'âge et de puissance des animaux en fonction des
besoins des exploitations. Après maintes discussions, le troc se conclut et
chacun repartit du marché à la tête de ses nouveaux boeufs sous condition,
bien sûr, de la garantie coutumière dans le délai des neuf jours . Parvenu
chez lui, GOUARAU voulut immédiatement essayer son nouvel attelage :
Page (274) |
" avec
charge modique (et) même sans charge; le plus
c'est tout à
fait exact, il s'agit bien de l'un des trois vices dénoncés par la Coutume;
ce qu'elle désigne par le fait de " donner de la tête " . Au lieu
d'arracher sa charge en puissance au commandement, le boeuf atteint de ce
vice, sans bouger les pattes du sol, baisse la têteen tordant le cou jusque
sous le timon de la charrette et ceci au grand dam de son compagnon qui, lié
par le joug, se voit entraîné dans le mouvement inverse.
De ce fait,
Etienne COUARAU n'est pas du tout content; il n'ose plus retenter
l'expérience et va trouver GUICHENEY à son domicile en lui demandant de
venir essayer ces boeufs chez lui pour lui montrer comment les commander pour
les faire travailler. Jean GUICHENEY promet tout ce que l'on veut et
rendez-vous est pris pour le lendemain matin 30 Août 1767. Le moment venu, il
ne se présente pas et il ne reste plus à GOUARUD qu'à se rendre chez le
Notaire de NOAILLAN pour adresser une sommation à GUICIIENEY et l'informer
que, faute de réaction de sa part il l'assignera tout aussitôt devant le
Tribunal.
Au surplus,
l'arnaque pure et simple n'est pas rare; l'anecdote suivante en apporte une
preuve.
Jean ARZAC
s'est rendu, le 30 Juin 1769
" jour
de foire (au) bétail, au Bourg de VILLANDRAUT pour y acheter une paire de
boeufs pour son service et (les) travaux de ses biens. Il entra en marché
d'une paire qui étoit sur ladite foire avec un homme (qui lui était) inconnu
(et) qui les gardoit ... avec un aiguillon en main sans qu'il se présentât
d'autre personne que luy, disant que (ces) boeufs luy appartenoient depuis)
très longtemps. Après plusieurs débats entre eux, ne pouvant convenir du
prix, ils allèrent boire ensemble chez le nommé PEYRAGUE, Hôte (de)
VILLANDRAUT, (et là) ils conclurent le prix (de ces)
à deux cent quatre vingt seize Livres sous la garantie de tous
défauts capitaux... pendant neuf jours... et de les reprendre à la fin de ce
délay si (un défaut) étoit reconnu par (l'acquéreur)."
Et pour bien
marquer que le marché n'est pas définitivement conclu, ils conviennent que
l'acheteur versera au vendeur 270 Livres comptant et que les 26 Livres
restantes resteront consignées entre les mains d'une tierce personne jusqu'à
l'accomplissement des neuf jours. D'un commun accord, ils désignent PEYRAGUE,
l'aubergiste, comme consignataire de cette somme
" (Jean ARZAC) s'étant
retiré, (il emmena) lesdits boeufs chez luy; les ayant essayés, le
dernier lié refusa (d'avancer) et se passa (plusieurs) fois (la tête) sous
l'aiguille de la charrette et tous les deux refusèrent de tirer (en) avant.
(Ils) sont faux
Page (275) |
Le vendeur avait
dit qu'il était:
" habitant d'ILLATS e t Beau-frère d e
DUBOS, de BARSAC, qu'(ARZAC) connoit; c'est ce qu'il crût de bonne foi et,
sans nulle méfiance, il ne fit d'autre enquête."
ARZAC
se rend donc à ILLATS pour retrouver son vendeur:
"
sans qu'il ait pu le découvrir sous le nom de Beau-Frère de DUBOS ny
autrement; étant tout de suite allé chez... DUBOS le luy demander, il luy
répondit qu'il n'avait pas de Beau Frère; que celuy quy luy avoit
vendu (ces) boeufs devoit être (un) homme suspect (et) s'était annoncé
autre qu'il est pour éviter le (retour) des boeufs, ce qu'(ARZAC) reconnoit a
présent; mais comme cette feinte est une fraude condamnable et punissable,
contraire à la loyauté dont on doit uzer dans le commerce..."
Il ne reste plus à ce pauvre homme qu'à s'adresser à la Justice. Dans un premier temps, le 7 Juillet, il va trouver Me PERROY afin de faire dresser un acte de sommation à l'aubergiste ( faute d'avoir un autre interlocuteur ), le mettant en demeure de lui dire s'il connaît cet homme, et surtout de ne pas lui remettre les 26 Livres déposées entre ses mains si jamais il venait à se représenter.
Il restera ensuite à ARZAC à déposer plainte devant le Tribunal il au criminel il pour que l'on se saisisse de l'individu et il au civil 11 pour annuler le marché et récupérer son argent. Encore faudrait-il mettre la main dessus et il faut bien reconnaître que les Justices Seigneuriales étaient bien mal armées pour diligenter de telles recherches.
Le Bayle de
BUDOS et celui de VILLANDRAUT, dont les compétences respectives se limitaient
d'ailleurs au territoire de leur Seigneurie, ne constituaient pas une force
d'investigation bien redoutable. Le pauvre Jean ARZAC a dû en être pour ses
frais à moins qu'un heureux hasard ne soit venu le servir.
Mais il
existe des coups peut-être plus audacieux encore, parce que faisant
intervenir plusieurs personnes dans un scénario préparé à l'avance. C'est
dans un piège de ce genre qu'est tombé Jean BERNEDE sur le marché d'UZESTE,
le 9 Septembre 1777.
Ce Jean
BERNEDE était laboureur au quartier de PRAT, et ce jour là, en compagnie de
son petit neveu Jean DUCOS, de BUDOS, ils s'étaient:
" rendus
à la foire qui s'est tenue pour le bétail à UZESTE avec une paire de boeufs
(leur) appartenant pour les vendre ou (les) échanger. Joseph PERROUY,
marchand, habitant au Bourg de VILLANDRAUT, ayant aussi sur la foire une paire
de boeufs au devant de laquelle il se tenait... (il) est entré (en
négociation de) troc avec (BERNEDE et DUCOS) après un examen respectif de
leurs boeufs, ils ont (conclu ce) troc (en) raison duquel, sous la réserve de
(la capacité à tirer), du (vice d')ombrage et autres défauts cachés
pendant neuf jours, (BERNEDE et DUCOS) ont promis (donner à PERROUY une
soulte)
Page (276) |
Sur cette
somme, ils versent comptant 24 Livres en quatre écus d'argent de six Livres
chaque, le solde devant être réglé " de demain en huit " lorsque
les boeufs auraient été reconnus sans défaut.
Jean BERNEDE
livre ses boeufs à PERROUY qui les prend et les emmène avec lui. Dans le
même temps , il envoie le jeune DUCOS, le petit Budossais, chercher ceux de
PERROUY, là où ils les avaient vus sur la place du marché:
" ayant envoyé ledit DUCOS pour prendre ceux
dudit PERROUY où ils étaient sur (la) foire ... DUCOS s'en étant saisi,
sont intervenus les enfants (de) PERROUY qui l'ont saisi au collet et l'ont
forcé violemment à lâcher et abandonner (ces) boeufs qu'ils ont (fait
partir)... Dans ces circonstances fatales et contraires aux règlements et
lois du commerce... "
les victimes
reviennent aussitôt vers le Père PERROUY pour qu'il leur rende les boeufs
enlevés:
" ils n'ont (alors) ouï raconter que de
très mauvaises raisons qui leur ont prouvé son intelligence avec ses enfants
et obligé.... à se retirer sans boeufs...(et sans les 24 Livres
escroquées)."
C'est la raison pour laquelle ils se rendent aussitôt chez Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, pour lui faire dresser un acte de sommation enjoignant à PERROUY d'exécuter le marché et de livrer ses boeufs. Comme il est déjà tard, le Notaire n'ira signifier l'acte que le lendemain matin au domicile de PERROUY.
Il n'y trouva
que sa vieille Mère. Peu importe, la signification était valable. En dépit
de son habile montage, cette escroquerie est moins parfaite que la
précédente car PERROUY est connu et parfaitement identifié. Reste à savoir
si Jean BERNEDE et le jeune DUCOS disposeront des témoins nécessaires pour
authentifier la transaction. Ce n'est peut-être pas évident , car tout s'est
décidé sur parole et pas nécessairement en présence de tiers. Le Tribunal
appréciera.
Point n'est
besoin au demeurant de courir des risques sur les foires de VILLANDRAUT ou D'UZESTE,
l'arnaque peut très bien venir frapper à votre porte au moment où vous
l'attendez le moins. Jean Baptiste DUBLANC, Maître Chirurgien à BOMMES
aurait pu en rapporter un fort bon témoignage.
Tard, en
cette soirée du 29 Septembre 1785, à la nuit noire, et bien après le
dîner, il ne s'attendait certes pas à la cascade d'ennuis qui allait
s'abattre sur lui dans le moment qui allait suivre; des ennuis qui allaient se
prolonger bien au-delà de toutes prévisions. Mais la chose est si bien
contée par le Notaire qu'il parait préférable de s'effacer devant la
relation qu'il fait des évènements:
Page (277) |
" vers
les dix heures du soir, (le) jour de la Saint MICHEL dernière, le nommé
Bertrand DARQUOS, charron et marchand du lieu de COUDEOU, Paroisse de BUDOS,
se (présenta) au domicile du Sieur (DUBLANC) avec une paire de boeufs, et,
là étant, ..."
Pour garantir
l'exécution de cette convention, chacune des deux partie déposa six Livres
en argent entre les mains d'un tiers, Jean DAULAN dit DRILLOT, et ceci
jusqu'à la confirmation définitive du contrat.
Dès le lendemain, Jean Baptiste DUBLANC essaya ses nouveaux boeufs et n'en fût pas du tout satisfait. Et comme il se méfiait de DARQUOS, il alla trouver Me DUFAU, Notaire à PREIGNAC, et le convoqua spécialement à l'auberge de BUDOS, le 6 Octobre suivant. Il voulait en effet donner à sa protestation une solennité toute particulière.
Les témoins
seront Jean DUGOUA, dit JEANTILLOT, l'aubergiste, maître du lieu, mais aussi
Jean BEDOURET, le Bayle du Tribunal de BUDOS. Tous étant installés autour
d'une table de l'auberge, DUBLANC exposa ses griefs que le Notaire devait
traduire à sa manière sous une forme qui mérite toute notre attention car
elle ne manque pas de pittoresque :
" le
Sieur (DUBLANC) reproche audit DARQUOS avec juste raison :
1° qu'il a
été considérablement trompé dans le troc dont (il) est question,
(parce)que les boeufs qu'il a reçus dudit DARQUOS sont beaucoup plus
(âgés), beaucoup plus petits et moins robustes que ceux cédés par le Sieur
DUBLANC audit DARQUOS;
2° que l'un
des boeufs pris par le Sieur (DUBLANC) est extrêmement vicieux puisque au
champ et ailleurs, il est toujours prêt à lutter et que par ce défaut
capital il cause non seulement la fuite et l'épouvante (des) autres bestiaux,
mais encore (risque) de tuer ou de blesser dangereusement ceux (aux soins
desquels) il est confié;
3° enfin ,
C'est que cet animal, dans l'opération qui lui a été faite a été
grossièrement manqué puisqu'il est vray qu'il conserve toujours une si
grande vigueur dans la partie amoureuse qu'il voudroit chaque instant habiter
les autres bestiaux et (de ce fait), il n'est pas possible que cet
Page (278) |
En conclusion
de tous ces griefs, DUBLANC
" déclare qu'il entend, dès cet instant,
annuler et résilier (ce) marché, que tout ce qui a été fait entre eux soit…
de même que s'il n'en avait jamais (été) fait mention."
et il somme
DARQUOS de lui :
" amener et conduire les boeufs qu'il a reçus... dans (son) parc et, dans le même instant de reprendre les siens...
le tout dans
un délai de vingt et quatre heures à partir de la notification de l'acte
notarié, cette sommation étant bien évidemment assortie de la menace d'un
procès immédiat:
" dans le cas où ledit DARQUOS (viendrait)
à faire quelque résistance aux sommations qui luy sont faites."
Cet acte
comminatoire va être tout aussitôt signifié à l'intéressé. A peine
l'encre en est-elle sèche que le Notaire se met en route et se rend au hameau
de COUDEOU où il se présente au domicile de DARQUOS. Il est absent, mais sa
femme reçoit le document en son nom. Tout est donc désormais en règle, le
délai imparti commence à courir, mais ce n'est pas pour autant que l'affaire
sera terminée...
Pour illustrer la matière des dédits commerciaux et de leurs conséquences, nous retrouverons, une fois encore, une affaire de bovidés. Il ne faut pas s'en étonner. Le boeuf est alors le mode de traction lourd à peu près exclusif dans nos campagnes, aussi bien pour le travail de la terre que pour les transports.
Dans ce dernier domaine, la majeure partie des échanges économiques dépend de sa puissance et de sa docilité. Il n'a guère pour concurrent que le flottage sur le CIRON, encore celui-ci ne s'exerce-t-il que dans un seul sens, de l'amont vers l'aval et sur un itinéraire imposé..
Quant aux
chevaux de trait, ils sont très rares, et seuls les meuniers semblent en
avoir usé pour leur commerce sans que l'on sache trop pourquoi. Rien
d'étonnant, donc, à ce que les transactions commerciales concernant les
boeufs aient laissé de très nombreuses traces dans nos archives, avec une
résonance toute particulière lorsqu'elles débouchaient sur un litige. Une
paire de boeufs représentait un investissement tellement considérable pour
un petit propriétaire que l'équilibre financier de toute une famille pouvait
très bien être définitivement rompu à la suite d'une mauvaise opération
de vente ou d'achat la concernant.
Mais
revenons-en à... nos boeufs et à notre affaire de dédit commercial.
Nous sommes
dans la salle de l'auberge de BUDOS, chez JEANTILLOT, dans l'après midi du 30
Novembre 1776. C'est un Samedi, mais c'est aussi un jour férié, et même
doublement férié puisque c'est le jour de la Saint ANDRE, jour chômé dans
le Diocèses de BORDEAUX, mais que nous sommes également en plein dans les
festivités de la Saint ROMAIN, Patron de l'Eglise locale.
Page (279) |
Guiraud
TACHON est assis à une tab1e, e n train de consommer, lorsque survient André
DUPRAT, marchand à NOAILLAN, accompagné d'AUGUSTIN, un Budossais, et de
Fortis LARRUE " médecin des
boeufs " ( autrement dit vétérinaire ) à LEOGEATS. Tous trois
s'approchent de Guiraud TAUZIN et entament la conversation. Ils sont heureux
de le rencontrer parce que, précisément, ils le cherchaient. Ils lui disent
qu'ils viennent tout droit de chez lui et qu'ils ont vu ses boeufs. DUPRAT lui
propose de les lui échanger contre un seul boeuf qu'il a chez lui, avec,
évidemment une soulte qui resterait à déterminer.
TACHON ne rejette pas l'idée a priori, car, effectivement, il a bien ce type d'échange en tête, mais il demande, avant toute chose, à voir le bœuf proposé par DUPRAT. C'est là qu'intervient le dénommé AUGUSTIN pour dire que si TACHON ne veut pas de l'animal, il le prendrait bien pour lui-même.
Cette prise
de position relance le débat. Au surplus, le médecin des boeufs est là pour
apporter son expérience; on discute, bref , le troc finit par être conclu
moyennant une soulte de 275 Livres. Notons en passant qu'il fallait que ce fut
une fameuse paire de boeufs pour atteindre un tel prix en sus de la valeur de
l'animal livré en échange. Une telle estimation se situe très au-delà des
cours du marché de l'époque tels qu'ils nous sont parvenus. Il est enfin
convenu que l'échange se fera le 5 Décembre suivant au domicile de TACHON à
BUDOS.
Ce jour venu,
DUPRAT ne se présente pas au rendez-vous. TACHON s'interroge, puis
s'inquiète et finit par se rendre a NOAILAN où il se présente chez DUPRAT.
Là, il trouve bien son interlocuteur, mais il n'entend que de mauvaises
raisons. En particulier, DUPRAT prétend que son Beau-Père s'oppose à ce
marché ( le montant de la soulte doit y être pour quelque chose. ) Mais
TACHON tient désormais beaucoup à ce marché qui est pour lui " la
bonne af faire " et ne veut rien savoir des arguments qui lui sont
opposés :
"raisons frivoles (dit il)... puisque
son Beau Père y en (grand ) âge et dérangement de santé ( ne se mêle )
plus des affaires ni (du) commerce de leur (exploitation) et le laisse maître
de tout).
A partir de
là, on sent bien que TACHON commence à fourbir ses armes en vue du procès
qu'il envisage.
Au fond,
est-il véritablement lésé ? Il a toujours ses boeufs chez lui et il n'a pas
déboursé un seul denier. Est-ce suffisant pour engager un procès en
dommages et intérêts? Il n'y a là rien qui puisse émouvoir un Juge. Et
pourtant si... Et c'est ce qu'il expose dans une sommation qu'il adresse à
DUPRAT dès le lendemain 6 Décembre. Ces boeufs, il en est devenu responsable
au regard de DUPRAT. Et s'il leur arrivait quelque chose ? Il ne peut plus
s'en servir. Il dit:
" n'oser
travailler (avec) les boeufs par lui promis en troc qu'il est (donc) forcé de
nourrir (dans son étable et dont) il ne peut plus disposer par
Page (280) |
et
il somme DUPRAT de venir échanger leurs animaux et de lui payer la soulte
prévue.
En fait, quelque chose nous échappe dans cette affaire que nous avons par ailleurs passablement simplifiée. On ne voit pas très bien pourquoi DUPRAT, a lancé, à son initiative, un véritable commando commercial à l'assaut de TACHON en fixant le prix sur le champ à un niveau incroyablement élevé pour renoncer ensuite à cet échange qu'il paraissait si fort désirer. Il y a un défaut de cohérence dans son comportement.
Quant à
TACHON, de réticent qu'il était au début, le voilà tout à coup devenu
enthousiaste, lui aussi a beaucoup changé... au point d'envisager allègrement
un procès fondé sur des arguments bien légers. N'y a-t-il rien d'autre sous
cette affaire ? On peut s'interroger.
En tous cas,
cette anecdote est intéressante car elle est bien loin d'être isolée. Elle
est une illustration de ces bonnes affaires complexes qu'aimaient nos ancêtres,
avec des engagements compensatoires, souvent à terme et conditionnels.
Manifestement, ils se complaisaient dans des labyrinthes contractuels dont nous
ne saisissons plus très bien tous les ressorts mais qui faisaient la fortune
des gens de Justice et des Tribunaux.
Nous venons
de découvrir une affaire commencée au cabaret de BUDOS. On pourrait en conter
bien d'autres, plus pittoresques les unes que les autres. Toute une faune
d'arnaqueurs au petit pied fréquentait volontiers ces salles d'hôtes dans les
villages de la région, toujours en quête d'une farce ou d'un mauvais coup à
fomenter aux dépens d'un naïf, généralement après l'avoir fait boire, mais
aussi, parfois, par simple ruse. Il n'était pas rare que certaines de ces
affaires connaissent des suites judiciaires devant les Tribunaux Seigneuriaux,
car elles n'étaient pas toujours innocentes.
PERSILLON
était allé acheter de l'huile à PREIGNAC le jour du Premier de l'An 1766. Au
lieu de revenir directement sur BUDOS, il s'arrêta au cabaret local et :
" rejoignit la compagnie pour boire avec eux;
après quelques bouteilles, les esprits se montèrent et les cerveaux se
chauffèrent en sorte que, dans le moment, on proposa de faire une soupe à
l'huile vulgairement appelée tourin; il fut décidé qu'on se serviroit pour
cela de l'huile que ledit PERSILLON avoit dans une touque... "
et le pauvre
PERSILLON, assurément plus gris que de raison, participa à la fête.
Situation
difficile, à son réveil, le lendemain, lorsqu'il se retrouva sans huile avec
sa touque vide ... Il alla tout aussitôt conter sa mésaventure à Me DUCASSE,
Notaire local pour lui faire dresser un constat du piège dans lequel il était
tombé. C'est que l'huile, dans nos campagnes était une denrée précieuse et
passablement chère. Il fallait la faire venir de très loin, au plus près, du
Page (281) |
PERSILLON avait la ferme intention de porter
plainte, mais il n'est pas du tout certain qu'il ait pu convaincre un Juge de
poursuivre et de condamner des compagnons de beuverie avec lesquels il avait
aussi manifestement festoyé.
Un autre
Budossais, en Mai 1786, devait faire les frais d'une autre aventure de
cabaret, cette fois-ci, à SAUTERNES. Ici, l'affaire était plus grave car il
s'agissait de lui faire signer un document important lui faisant renoncer à
ses intérêts les plus évidents dans un litige qu'il avait en cours avec une
Dame du lieu. Or ce papier, il le signa:
" dans
la maison de Martin DESQUEYROUX, dit LAZARIN, cabaretier au Bourg de SAUTERNES
chez lequel Jean BLANC, agent d'affaires de ladite Dame trouva le secret
d'entraîner (l'intéressé) et que ce ne fût qu'après avoir vidé quantité
de bouteilles de vin qu'un certain DUCLA dit PICHOT, du HAUT BOMMES, qui
étoit de leur compagnie, dressa un chiffon de police entre le pot et le
verre... "
On imagine
très bien l'ambiance et la scène. Certes, le 6 Mai, la victime de ce coup
monté va bien trouver Me DUFAU en son étude de PREIGNAC pour y dénoncer:
" ces
prétendues conventions... (qui) ont été fabriquées dans un cabaret,
écrites et rédigées de la main d'un homme processif et chicaneur s'il en
fût jamais..."
mais il y a bien peu de chances pour qu'il ait pu se
tirer de ce mauvais pas devant une juridiction très attachée à la forme et
à la lettre comme pouvait l'être un Tribunal Seigneurial.
L'arnaque ne
joue pas toujours sur l'ivresse. Il lui arrive de miser aussi sur la ruse et
l'astuce.
Bernard BRUN, laboureur à BUDOS, avait vendu du bois, livrable à BARSAC, à un certain DREVOU, nouveau venu dans le pays où il était encore peu connu. BRUN livre son bois qui devait être payé comptant, et va trouver DREVOU qu'il rencontre au cabaret d'ILLATS le 3 Novembre 1774.
Il l'informe
de la livraison et réclame son argent. Or DREVOU n'a pas cet argent, mais il
va l'avoir bientôt dit-il et promet de venir l'apporter à BUDOS au domicile
de BRUN le Lundi suivant 7 Novembre. Bernard BRUN n'est pas content parce
qu'il ne connaît pas trop son client et se méfie un peu. Il manifeste
nettement ce mécontentement :
" DREVOU, alors plus ingénieux, faisant
l'homme de conséquence, fit semblant d'être fâché du soupçon que (BRUN)
avait contre lui; alors, il entreprend des jurements et des blasphèmes et
enfin il ajouta qu'il était mieux à même de satisfaire à ses obligations
que (BRUN lui-même) aux siennes, (parce) qu'il jouissait d'une si mauvaise
réputation dans le pays qu'il ne trouveroit nulle part une somme de 850
Livres à emprunter, (et sur cette affirmation) il lui proposa un défi de 30
Livres que, dans le courant de la journée, il ne (serait pas capable de
trouver et de lui ramener) une pareille somme."
Page (282) |
Pourquoi 850
Livres ? Parce que c'était le prix du bois livré. Pourquoi aussi BRUN
va-t-il accepter ce pari stupide alors qu'il lui suffisait d'exiger son argent
en remettant le hâbleur à sa place ? C'est lui-même qui nous l'explique,
disant qu'il:
" est forcé d'avouer ici qu'il fût d'autant
plus sensible à une pareille insulte, surtout de la part d'un homme dont
ignore l'origine, et nouvellement débarqué dans le pays, qu'il crût qu'il
était de son honneur de déférer à son défi de 30 Livres, plus pour le
convaincre de sa bonne réputation dont il jouit à juste titre que pour le
satisfaire..."
DREVOU avait
su trouver le point sensible et ce pauvre BRUN était tombé dans le piège.
Chacun
consigne les 30 Livres du pari entre les mains d'Arnaud DUBOSQ, Maître
Chirurgien à ILLATS qui se trouve là, et BRUN s'en va, en quête de ses 850
Livres. Il les trouve et revient à ILLATS chez DUBOSQ où est fixé le
rendez-vous et où:
" dans l'après midi du même jour trois, il
compta et réalisa... en présence dudit DRAVOU et de plusieurs autres
personnes ladite somme de 850 Livres ce qui (confirmait) le gain du pari. Il
était donc par conséquent naturel que... BRUN retirât les deux sommes de 30
Livres puisqu'i1 avait satisfait au défi. Au lieu de cela, DREVOU forma
encore de nouveaux incidents en prétendant d'abord que (BRUN) était arrivé
trop tard, que c'était dans le courant de la journée qu'il devait compter;
que la journée commençait au lever du soleil et finissait au coucher, et que
comme le soleil étoit couché (au moment où il présentait l'argent), il
était non recevable, que par conséquent, lui DREVOU se trouvoit avoir
gagné, mais que si (BRUN) vouloit profiter du sacrifice qu'il entendoit faire
de ses trente Livres, il pouvoit le faire (car) il entendoit les manger en
dépense, que déjà, il avoit convoqué (quatre amis) pour participer au
festin jusqu'à consommation des trente Livres."
S'agissant
d'un jour d'hiver où le soleil se couche à 16 h 30 cette interprétation
restrictive du pari ne laissait évidemment pas beaucoup de chance à Jean
BRUN qui avait dû, entre temps, faire le voyage de BUDOS aller retour. Il
s'en rend compte, mais un peu tard :
" d'après une manoeuvre qui est sans doute
aussi odieuse que condamnable (BRUN) comprit qu'il étoit joué et que
son meilleur parti étoit de retirer ses trente Livres; mais quelle fut sa
surprise encore de voir que DREVOU s'y opposait en persistant toujours (à
dire) qu'il vouloit les manger avec ses quatre acolytes."
Bernard BRUN
ira donc trouver Me DUTAUZIN à LANDIRAS pour lui conter son infortune et lui
demander d'aller sommer Arnaud DUBOSQ, le Chirurgien d'ILLATS de lui rendre
ses trente Livres car il n'a toujours pas réalisé qu'elles étaient bel et
bien perdues. Lorsque Me DUTAUZIN se présentera à son domicile, le 15
Novembre, DUBOSQ répondra :
" avoir
remis lesdites sommes audit DEVROU (et) que,
Page (283) |
Le tour
était donc ainsi joué. Il ne restera plus à Bernard BRUN que la voie
judiciaire pour récupérer éventuellement ses trente Livres dans un procès
qui s'annonce plein d'incertitudes, et surtout pour obtenir les 850 Livres
représentant le prix de son bois, que DEVROU n'a toujours pas payées. Cet
aspect du procès, mieux argumenté, a de meilleures chances d'aboutir si du
moins DEVROU était à même de faire face à ses engagements, ce qui restait,
bien sûr, à démontrer.
Dans un tout
autre domaine, nous allons maintenant découvrir les procès relatifs aux
vices de construction et aux immeubles en péril. Ici aussi, il faudra
choisir, nous limitant à évoquer quelques cas typiques.
Jean DUPRAT,
menuisier au Bourg de VILLANDRAUT a commandé à Jean LAGEYRE, surnommé
JEANTILLE de LAUCHET, Maître maçon à BUDOS, la construction d'une chambre
attenante à une autre pièce de sa maison, jusqu'à une hauteur de 17 pieds (
environ 5 m,50) de terminer un couloir, de construire deux cheminées et de
réaliser quelques autres travaux, le tout pour un montant de 120 Livres dont
60 comptant et le solde à la livraison, au plus tard à la Saint MARTIN, or:
" il n'a finy ladite chambre... qu'après le
temps fixé et quoique DUPRAT eût couvert (cette) chambr .... la bâtisse,
par son peu de solidité s'est affaissée, et par... dessus, toute la
charpente et tuiles a croulé et s'est brisée, ce qui cause à (DUPRAT) des
dommages... très considérables..."
Aussi va-t-il
trouver Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, le 11 Mai 1760, pour sommer LAGEYRE de
reconstruire cette maison et de terminer le travail convenu. On peut bien se
douter que ce dernier ne montra pas beaucoup d'empressement à obtempérer. Le
procès sera inévitable.
Sans aller
jusqu'à des malfaçons aussi graves, il se rencontre de nombreux problèmes
de délais d'exécution. Les artisans commencent plusieurs chantiers à la
fois et n'ont pas les moyens de les poursuivre de front. Les choses traînent
en longueur, le ton monte.
Guiraud
TACHON, laboureur à BUDOS, celui-là même que nous avons déjà rencontré
dans une affaire de dédit commercial, voulait faire construire une chambre et
un étage contigüs à sa maison au quartier de JANOT BAYLE. Pour cela, au
Carnaval de 1782, il s'adressa à Etienne CARDONNE dit FRERE, menuisier à
BUDOS, au village de BLANCOT. Après discussion, il firent affaire pour la
construction de ces deux pièces :
" celle
de haut planchéiée et celle d'en bas carrelée, (avec obligation de) fournir
la charpente, le toit, portes, ferrures, fenêtres, pierre de taille,
moellons, chaux et sable et généralement tous les matériaux nécessaires à
ladite construction et jusqu'à (son achèvement) et la clef à la main,
(construction) que ledit CARDONNE devoit avoir achevé ... le jour de Saint
ROMAIN... moyennant 141 Livres d'argent..."
Page (284) |
plus la
différence entre une paire de belles vaches que TACHON
Or ils ne le
sont pas. Nous sommes alors au mois d'Août 1783, la Saint ROMAIN est passée
depuis plus de huit mois, et les sols ne sont toujours pas faits, ni en haut ,
ni en bas , la couverture n'est pas terminée, les cheminées attendent ainsi
que les portes, les fenêtres sans parler bien sûr des finitions, en
particulier le blanchissage, qui ne pourra intervenir qu'après livraison.
TACHON n'est
pas content, il l'a dit et répété, sans succès. Le 11 Août 1783, il fait
dresser un acte de sommation par Me SEURIN, Notaire à BARSAC et, pour mieux
impressionner CARDONNE, il le fait signifier par Jean BEDOURET, le Bayle de la
Juridiction de BUDOS. Sa maison devra être terminée
" dans le délai de huitaine pour le plus
tard... sinon il poursuivra CARDONNE et le fera condamner."
D'une façon générale, les immeubles paraissent plutôt mal entretenus. Mais il faut se montrer très prudent dans une telle appréciation car, s'il y a des raisons évidentes de souligner le mauvais état d'une maison dont on a à se plaindre, il sera beaucoup plus rare d'avoir à se féliciter, dans un document officiel, de sa bonne apparence. Si les descriptions qui nous sont parvenues sont donc passablement pessimistes, il faudra néanmoins nous garder de conclure trop vite à un abandon général du patrimoine immobilier.
On peut
toutefois estimer que l'état général des maisons n'était pas des
meilleurs. Un trop grand zèle dans leur entretien n'aurait d'ailleurs pas
manqué d'attirer l'attention des répartiteurs de la Taille et les
conséquences fiscales de cette ostentation n'auraient pas tardé à se
manifester.
Quoi qu'il en
soit, il n'est pas rare de trouver ici ou là des maisons en très mauvais
état et dont les occupants se plaignent à très juste titre, ce qui ne
manque pas, à l'occasion, d'alimenter la chronique judiciaire locale.
La Dame Jeanne De MAILLET était la Veuve de Me Joseph CORRONAT, de son vivant Avocat au Parlement. Ils avaient leur domicile à BORDEAUX et disposaient d'une maison de campagne, au demeurant modeste, à BUDOS, au quartier du BATAN. Lors de son veuvage, la Dame De MAILLET s'était définitivement retirée à BUDOS dans cette maison dont son fils avait hérité, mais il devient de plus en plus évident qu'il s'en désintéresse et qu' il la laisse tomber en ruines.
Sa Mère lui
a bien demandé d'y faire quelques réparations puisqu'il lui doit
expressément le gîte selon les dispositions testamentaires de son Père;
mais cela a été peine perdue. Elle ne voit donc plus d'autre solution à sa
détresse que de recourir aux voies de droit, ce qu'elle fait le 25 Juin 1785
, en demandant à Me SEURIN, de bien vouloir venir dresser un Procès Verbal
de l'état de cet immeuble. Me SEURIN se présente donc au BATAN, et la Dame
guide sa visite en lui montrant que:
Page (285) |
" les
deux chambres de la maison qu'elle habite dans
Le tableau est plutôt sombre, au point que l'on ne
voit pas très bien ce qu'il peut rester de sain dans cette construction. On
comprend dès lors un peu mieux l'intention affichée de la Dame De MAILLET de
plaider contre son fils. En tous cas, elle a pris de sérieuses précautions
car, pour donner plus de poids à son Procès Verbal, elle a pris pour l'un de
ses témoins Me Bernard PENICAUD, le propre Procureur d'Offices de la
Juridiction de BUDOS. De quoi faire réfléchir son fils récalcitrant si, du
moins, il a les moyens de faire réparer cette ruine.
Nous avons
déjà eu, incidemment, l'occasion d'évoquer la procédure de réintégrande.
C'était dans l'affaire qui opposait FERRAN et RICAUD au sujet d'un passage
pour accéder à un pré. De quoi s'agit-il donc ?
La
réintégrande est un acte déclaratif qui peut intervenir soit avant un
procès, soit pendant ( si l'on voit qu'il tourne mal pour en interrompre le
cours, soit à son issue après condamnation, et par lequel une personne
réintègre une autre personne dans la possession et l'usage d'un droit qui
lui avait été un moment contesté. Dans l'exemple que nous avons rencontré,
FERRAN a réintégré RICAUD dans le droit de passer dans son pré.
Les actes de
réintégrande foisonnent. Ils sont, en particulier très fréquents en
matière de servitude de passage, Mais concernent également, à l'occasion
d'autres troubles de jouissance. Certaines de ces affaires sont importantes et
sérieusement motivées, d'autres nous paraissent parfaitement futi1es. Toutes
sont néanmoins traitées avec un grand luxe de détails dans des documents
interminables qui, manifestement, se complaisent dans la solennité et la
redondance.
Page (286) |
Antoine
COUTURES, dit COUTUROT possédait deux pièces de terre en labour à AMBONS,
proches du TURSAN dans le bas BUDOS. Pierre CAUBIT, laboureur à LANDIRAS est
indûment passé et repassé à travers ces pièces " avec bœufs et
charrettes". Le moment est venu où COUTURES en a eu assez. Le voilà qui
s'apprête " à en porter sa plainte ". Des amis préviennent CAUBIT
de cette très prochaine démarche et de l'imminence du procès qui va
s'ensuivre. Or, CAUBIT sait bien que sa cause est mauvaise, aussi prend-il les
devants vis à vis de COUTURES:
" prévenu par certains amis et voulant
absolument éviter tous moyens de procès qui ne pourroit que tourner contre
ses intérêts par la force de la légitime propriété (qu'il reconnaît à)
COUTURES sur (ces) deux pièces..."
il lui
adresse un acte de réintégrande le 28 Novembre 1769 par le ministère de Me
DUTAUZIN, acte par lequel il :
" renonce à repasser à l'avenir dans
lesdites pièces, reconnaissant n'avoir aucune espèce de passage dans
icelles."
Ce cas est
tout simple, tout comme celui qui oppose la Veuve DEGENSAC à un laboureur qui
était allé couper de la bruyère sur sa lande. Elle porta plainte et le
coupable vit bien que son procès était mal engagé. Le 21 Janvier 1781, par
le ministère de Me DUCASSE, il lui fit savoir qu'il était prêt à réparer
et:
" l'a priée de vouloir luy pardonner et de
recevoir de luy tant un acte de réintégrande qu'il étoit prêt à luy faire
à chaque instant, que tous les autres dédommagements."
Plus grave,
tout au moins dans ses suite et conséquences, est l'affaire qui va opposer
Bernard SOUBES, laboureur à BUDOS et François DUTRENIT, dit GEROME,
laboureur à LANDIRAS. Affaire dont le fond est plutôt dérisoire.
Dans la
matinée du 17 Février 1780, Bernard SOUBES dit POUYANNE a:
" d'un propos délibéré et sans réflexion,
coupé et châtré une haie de jeunes aubépins plantée depuis quelques
année par... DUTRENIT dans une de ses pièces de terre et vigne située dans
ladite paroisse de BUDOS (au) lieu appelé ANDRIVET, sur (une distance) de 63
pas de long sur un pas (de large)... de manière que par cette entreprise
inconsidérée, ledit SOUBES, dit POUYANNE, en troublant ledit DUTRENIT (dans)
sa possession, a porté... le préjudice le plus sensible sur... sa
haie."
Le fond du
litige porte donc sur la coupe de 63 pas carrés ( environ 46 m' ) de buissons
d'aubépine; c'est donc un incident qui aurait pu être tout à fait mineur.
Ce n'est pourtant pas du tout l'avis de DUTRENIT qui monte à partir de là
toute une affaire dont il va tirer 100 Livres de dommages et intérêts ( le
prix de quatre vaches laitières...). Cent Livres qu'il
Page (287) |
" pour
luy tenir lieu de dommages et intérêts pour (le) préjudice par luy porté
à (cette) haie, (plus)
Et il y a ainsi deux pages et demie de papier timbré disant et répétant sous diverses formes toute l'étendue du crime que SOUBES a ainsi perpétré en cette malheureuse matinée d'hiver où il a taillé une quarantaine de mètres carrés d'aubépines. Ces excès de plume porteraient plutôt à sourire s'il n'y avait pas les cent Livres à la clé, cent Livres qu'il faut évidemment majorer des divers frais d'actes et d'enregistrement, le tout pouvant se situer, dommages et frais cumulés aux environs de 120 à 125 Livres.
Peut-être y
avait-il d'autres motifs de dissension entre les deux parties, auquel cas
cette modeste affaire aurait pu servir de prétexte à régler d'autres
comptes. Rien ne permet cependant d'en étayer l'hypothèse et nous ne pouvons
nous en tenir qu'aux faits bruts, tels qu'ils nous ont été rapportés.
Plus
complexe, à coup sûr, est le litige qui opposa Raymond LACASSAGNE à la Dame
LUCBERT car il se terminera, du moins dans l'instant, sur une réintégrande
" provisoire " dont on ne saisit pas très bien la justification.
Mais voyons plutôt le déroulement de l'affaire.
Raymond
LACASSAGNE dit PEYTOT était laboureur au quartier de LA PEYROUSE. Il estimait
avoir droit à un passage avec boeufs et charrette pour desservir un pré
qu'il possédait au lieudit de LA FONTASSE, près de MARGES. Ce passage était
établi sur un fond appartenant, en indivision, à la Dame LUCBERT, Veuve de
Joseph COUTURE, et à son fils. Or, les COUTURES s'étaient;
" imaginé d'y faire un fossé, ce qui
intercepte le passage dudit (LACASSAGNE) pour desservir son... pré."
Il somme donc
les intéressés " d'abattre et aplanir ledit fossé" et de le
réintégrer dans son droit, sinon il les attaquera en Justice sans plus
tarder.
Le Notaire
n'aura pas grand parcours à effectuer pour aller signifier son acte à la
Dame LUCBERT car, habitant également LA PEYROUSE, elle était voisine de
LACASSAGNE.
Et
maintenant, que va-t-il se passer ? Si la Dame LUCBERT estime être en faute,
elle va faire combler un passage en travers du fossé, et adresser un acte de
réintégrande à LACASSAGNE; l'affaire n'ira pas plus loin. Si elle estime au
contraire être dans son bon droit, elle va laisser son fossé en l'état, et,
ne répondant pas à LACASSAGNE, elle attendra d'être citée en Justice où
elle défendra sa cause. Or elle ne fait ni l'un, ni l'autre, et c'est ici que
l'affaire devient surprenante.
Page (288) |
Nous sommes
le 16 Juin 1777, elle accueille le Notaire et prend connaissance de son acte (
car elle sait lire, ce
Elle
s'étonne tout d'abord de la prétention de LACASSAGNE,, nais ajoute aussitôt
qu'elle va faire combler le fossé sans tarder :
" avec (son) consentement qu'il y passe et
repasse jusqu'à ce que, par Justice, (cela) luy ait été prohibé."
car elle se
réserve formellement le droit de contester le fond de l'affaire et annonce
que c'est elle qui va porter le litige devant le Tribunal de BUDOS et y faire
comparaître LACASSAGNE:
" pour luy faire produire le droit de
propriété dudit passage."
Une nouvelle
fois, elle affirme son bon droit à interdire ce passage en :
" ajoutant qu'elle va, dans l'instant, faire
aplanir ledit fossé."
Et elle
signe: Vve COUTURES, car elle sait aussi écrire ...
L'affaire en reste là. Nous ne saurons donc pas quelle aura pu être la tactique de la Dame LUCBERT qui manie si bien la carotte et le bâton. Il semble bien que le procès se soit engagé car on ne retrouve aucune trace de transaction amiable ultérieure entre les deux parties dans les minutes d'aucun des Notaires des environs. On ne peut évidemment tenir cette absence pour une preuve, mais tout au plus pour une indication.
Peut-être après tout, LACASSAGNE se sera-t-il laissé impressionner par la détermination de la Dame, car il était bien rare que l'on disposât d'un titre en bonne et due forme prouvant un droit de passage; on faisait appel en pareil cas aux témoignages des plus anciens pour apporter la preuve que l'on usait de ce droit, sans contestation, depuis des " temps immémoriaux ".
Lorsque le
passage se situait dans un endroit fréquenté, et surtout s'il était
pratiqué par plusieurs bénéficiaires, la démonstration était relativement
aisée; mais s'il se situait, comme c'était ici le cas au bout d'un pré dans
un coin isolé de campagne, l'administration de la preuve devenait beaucoup
plus difficile et même aléatoire. Quoi qu'il en soit nous devrons nous
résoudre à ignorer l'issue de cette affaire.
Nous avons
jusqu'ici rapporté des exemples de réintégrandes plutôt conciliantes il,
ils sont assez nombreux. Mais il arrive parfois que les choses s'enveniment et
prennent une autre tournure.
François
DUTRENIT, dit GEROME (toujours
avec un G) laboureur à LANDIRAS, nous est déjà connu. Nous venons de le
voir estimer sa haie d'aubépines à bon prix … C'est un personnage assez
remuant ainsi que l'on va pouvoir en juger dans cette nouvelle anecdote.
Page (289) |
Il était
propriétaire de quelques pièces de terre desservies par lechemin qui remonte du quartier de PERRON vers la lande ce chemin existe
toujours et il s'était
DARCOS et
PERROY, propriétaires riverains, appuyés par une longue liste de Budossais
en ont
" porté leur plainte en réintégrande et
requis le transport du Sieur Juge de BUDOS , (et) sur (cette) procédure il (
est ) intervenu une sentence au siège (du Tribunal) de BUDOS le 13 Février
1775, qui condamne ledit François DUTRENIT à rétablir le chemin et (à)
leur faire la réintégrande dans (les) trois jours; le condamne en outre (à)
douze Livres de dommages et intérêts et aux dépens..."
DUTRENIT ne
se tient pas pour battu. il fait appel de cette sentence et pousse l'affaire
d'abord en la Cour Présidiale du Sénéchal, puis jusqu'au Parlement de
BORDEAUX. Il y a plus d'un an que cela dure. Mais entre temps, les choses se
sont compliquées car Jean DUTRENIT dit CADET, un fils de François, a pris la
liberté coupable de rosser DARCOS et sa femme, Marie CASTAIGNET. Ils sont
très mécontents, on le serait à moins. Les voilà donc qui vont porter
plainte en demandant:
" de
faire informer contre ledit Jean DUTRENIT devant le même Juge de BUDOS."
La formule " faire informer est propre à
l'instance criminelle, et c'est bien à ce titre que l'agresseur comparait
devant le Tribunal. Il y a donc désormais deux affaires, l'une,
Vient tout de
même un moment où les DUTRENIT finissent par comprendre que tout cela est en
passe de très mal tourner pour eux. Ils veulent donc arrêter les frais et
cherchent une issue avant d'essuyer d'autres condamnations:
" ils ont, par la médiation d'une personne
de considération, fait arrêter et suspendre leurs poursuites et finir et
assoupir l'une et l'autre desdites deux affaires."
Il n'est pas
précisé quelle est la " personne de considération". Elle
n'apparaît nulle part dans les documents. Ce pourrait être le Curé de
LANDIRAS, ou celui de BUDOS, ou même peut-être le Seigneur, en tous cas un
Notable ayant assez d'autorité pour calmer le jeu.
Le 27 Mars
1776, dans l'après midi, les DUTRENIT, DARCOS, PERROY et tous les Budossais
concernés ( ce qui fait pas mal de monde ), se retrouvent à PUJOLS dans l'Etude
de Me BAYLE. DUTRENIT a déjà rétabli le chemin dans son état primitif. Il
va maintenant, par acte notarié, réintégrer les intéressés dans leur
droit d'y passer :
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" avec
boeufs et charette, à pied, à cheval, brebis
Tout ceci est
conforme à la première décision du Juge de BUDOS, mais à travers la
redondance des termes, on sent bien la volonté des Budossais de se prémunir
contre de nouvelles tentatives du perturbateur.
Quant au
procès criminel, les deux parties décident de se mettre " hors de Cour
", à charge, pour les DUTRENIT, de régler les frais et dépens.
Au total, le
montant à régler, fixé par le médiateur ( qui ne participe pas à la
rencontre ), s'élève à 231 Livres et 15 sols, pour solde de tous comptes,
savoir: les frais de la réintégrande, les frais du procès criminel jusqu'au
moment où il a été suspendu, ceux du procès devant le Parlement, dans les
même conditions et
" y compris les pansements et médicaments du
chirurgien..."
appelé par
les époux DARCOS après avoir été agressés, ces derniers frais, à eux seuls
s'élevant à 71 Livres et 15 sols. Le tout payé sur le champ par le Père
DUTRENIT en 38 écus d'argent de 6 Livres chaque, un écu de 3 Livres et 15 sols
de monnaie.
Pour en
terminer avec les actions en réintégrande, on pourrait encore évoquer
l'affaire qui opposa François BATAILLEY à Pierre CASTAIGNET en 1787; mais il
faudra beaucoup la simplifier car elle a connu beaucoup de rebondissements.
François BATAILLEY, dit CAMPAN et Pierre CASTAIGNET étaient voisins au village des MAROTS. Ils vivaient en bonne intelligence. CASTAIGNET était propriétaire des bâtiments situés dans la partie sud-ouest du carrefour des routes de LANDIRAS et de LA PEYROUSE (ils existent encore ). Au sud de ces constructions s'ouvrait un passage donnant accès à la maison de BATAILLEY et ce passage lui appartenait en propre. Un peu plus au sud encore, se trouvait une " chambre " dans laquelle CASTAIGNET entreposait ses pailles.
Pour accéder
à cette chambre, il était beaucoup plus court de couper droit à travers le
chemin de BATAILLEY que de faire le tour du pâté de maisons en empruntant la
route. Sur sa demande, BATAILLEY avait autorisé CASTAIGNET à passer chez lui.
Or, à la fin Août 1787, tandis que l'on dépiquait les seigles chez CASTAIGNET,
ses ouvriers passaient et repassaient chez BATAILLEY, en vertu de son
autorisation, pour aller engranger la paille dans la " chambre ".
Mais:
" les gens employés à cela se (sont)
amuzés à dépouiller un pommier quy se trouve sur ledit passage et (sont)
même allés jusqu'à maltraiter un des enfants de (BATAILLEY) qui (a) voulu s'y
oppozer, ce quy l'engagea à s'oppozer lui même audit passage, ayant à
cet effet fermé la claie quy est à l'entrée."
Toute
l'affaire est partie de là, et c'est aussi à partir de là qu'il nous faut
beaucoup résumer. CASTAIGNET n'hésite pas un instant, il porte plainte en
réintégrande. BATAILLEY fait tout aussitôt observer qu'il avait, certes
donné une
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autorisation, mais qu'elle était précaire et n'ouvrait aucun droit. Il ajoute qu'au surplus, il aurait pu, lui aussi porter plainte pour le vol de ses pommes et les mauvais traitements infligés à son fi1s. Peine perdue, la plainte suit son cours. BATAILLEY qui vivait en bon terme avec son voisin, ne veut pas de ce procès.
Conciliant, il va même proposer à CASTAGNET de lui donner 12 Livres pour le dédommager des frais de Justice qu'il a engagés jusqu'à l'heure et d'en rester là. Encore peine perdue, CASTAGNET refuse les 12 Livres et veut absolument son procès. C'est alors que BATAILLEY finit par en avoir assez et annonce que lui aussi va se pourvoir en Justice pour défendre son droit, etc... etc...
Il n'est pas
sûr que cette affaire ait été terminée au moment où le Tribunal de BUDOS
a été supprimé... Mais le résultat le plus clair de ces affrontements est
bien que deux familles voisines qui avaient vécu jusque là côte à côte
sans problème se sont tout à coup retrouvées ennemies, et peut-être pour
des générations.
Compétences criminelles du tribunal de Budos:
Pour aussi
considérable qu'ait pu être l'activité civile du Tribunal, elle ne saurait
faire oublier celle qu'il exerçait en matière " criminelle ".
Criminelle est d'ailleurs un bien grand mot, car
l'essentiel des crimes et délits avait, au fil du temps, ainsi que nous
l'avons déjà dit, échappé aux Tribunaux Seigneuriaux au profit des
Juridictions royales.
Mais les
affaires de diffamation, de rixes et, plus généralement de police,
suffisaient largement à alimenter le rôle du Tribunal local. Beaucoup plus
que les " cas royaux ", elles jaillissent tout droit de la vie
quotidienne du Village comme d'une source intarissable.
Si nous avons très peu d'indications quant à la fréquence des cas royaux, on peut tout de même dire que, sur les trente années qui se sont écoulées de 1760 à 1789, on ne recense aucun meurtre à BUDOS. S'il y en avait eu, nous l'aurions su par les Registres Paroissiaux. Quelques rares décès ont été enregistrés des suites " d'un accident funeste ", ou, plus rarement encore, avec mention d'une enquête judiciaire ( c'est le cas des noyades), mais aucun d'entre eux ne semble pouvoir être attribué à un geste criminel.
Il en allait
tout autrement en d'autres paroisses telles qu'ORIGNE, St LEGER, St
SYMPHORIEN, BOURIDEYS, où, à peu près dans le même temps on peut recenser
plusieurs crimes.
De même, la prison seigneuriale, qui se trouvait au Château, ne semble pas avoir été très fréquentée. Moins en tous cas que celles de LANDIRAS, NOAILLAN ou St LEGER. A la vérité, les documents qui nous sont parvenus ne font état que de deux incarcérations.
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Celle de deux
pauvres bougres en Mars 1771 qu'il
Tout ce que
nous pouvons raisonnablement dire, au regard des documents qui nous sont
parvenus, c'est que la prison de BUDOS ne semble pas avoir connu une
fréquentation démesurée.
Délits de chasse et de pêche:
Il y avait toujours un Garde Chasse dans le personnel d'un Château. Il avait pour mission de constater les infractions éventuelles et de les signaler à la Justice. A BUDOS, le Seigneur avait tendance à le recruter dans des contrées réputées " lointaines " , afin de diminuer les risques de complicité ou de collusion avec les habitants du lieu.
C'est ainsi
qu'ABEL, l'un d'entre eux, venait, semble-t-il du PERIGORD. Mais il était
" étranger " au point que nul, dans le Village, ne connaissait son
nom. Et quand il vint à mourir, le Curé lui-même l'enterra sous son seul
prénom d'ABEL sans autre idée de recherche.
Le
recrutement et l'intronisation d'un Garde Chasse était pourtant chose
importante. Le détail de la Réception de Bernard DAUDINE, en 1771, à BUDOS,
est parvenu jusqu'à nous.
Nous sommes
le 16 Septembre 1771, à l'audience ordinaire du Tribunal, le Procureur
d'Office s'adresse au Juge et l'informe officiellement que le dénommé
Bernard DAUDINE a reçu du Seigneur, la veille, des " Lettres de
Provision " qui le nomment :
" Bayle Garde des Bois et Chasse dans les
terres dépendantes de la présente Juridiction.."
Il se porte garant de sa bonne vie et moeurs et demande
"
qu'il soit reçu à prêter serment en ladite qualité"
Page (293) |
Le Juge
enregistre sa nomination et lui délivre une Commission
" signée et scellée du sceau des armes (du
Seigneur) sur cire ardente noire ".
L'intéressé
prête alors serment, et, à Dieu,
" a promis et déclaré, moyennant son
serment de bien et fidèlement exercer ledit état et se conformer aux
Ordonnances et Règlements du présent siège. "
Nous ne disposons pas de documents relatifs à des délits de chasse, mais c'est uniquement parce que les archives du Tribunal de BUDOS sont pour la plupart perdues. Les nombreuses affaires instruites par les Tribunaux de la région, à LANDIRAS, à NOÀILLAN, à St LECER, donne à penser que les infractions à la prohibition de la chasse devait être nombreuses. Les Budossais ne devait le céder en rien à leurs voisins.
Et
d'ailleurs, si le hasard a voulu que rien ne nous parvienne de ces affaires de
chasse, il n'en va pas de même avec la pêche sur laquelle nous sommes mieux
renseignés. Et ce que nous découvrons en ce domaine montre bien que le
braconnage, dans le Village, était devenu quasiment institutionnel.
De même que
la chasse, toute pêche était rigoureusement prohibée. Elle ne pouvait
s'exercer qu'au bénéfice du seul Seigneur. Mais il fallait le rappeler
souvent pour en persuader les Budossais...
Ainsi, le
premier Mars 1784, en fin de l'audience qui venait de se tenir au Tribunal,
Bernard PENICAUD, Procureur d'Office, prit la parole, et s'adressant à Me
Germain DEGENSAC, Juge,
" a dit que le droit de pêche des rivières
non navigables et de tous les ruisseaux qui coulent dans la Juridiction
appartiennent au Seigneur de BUDOS. Ledit Seigneur a même un étang naturel
dans ses fonds, qui prend sa source dans la fontaine de FONBANE (cet étang a
disparu en 1887 lors du captage des sources par la Ville de BORDEAUX), qui se
conduit en grande partie dans la rivière du CIRON, l'autre qui va s'écouler
dans le ruisseau du TURSAN qui sépare la Seigneurie de la Paroisse de PUJOLS.
Ledit étang et ruisseaux... jadis très fertiles en poissons (en) sont
aujourd'hui presque dépourvus par (la faute) des particuliers qui habitent
les bordures desdits étang et ruisseaux (et) qui... y font la pêche,
journellement, la nuit et le jour, comme s'ils y avaient droit. (Or, il est
interdit d'y pêcher)" même à la ligne, à la main ou au panier et
filets".
Et comme il
ne veut prendre personne par surprise, avant de lancer une campagne de
répression, le Procureur d'Office demande au Juge de prendre un "
appointement " (une décision) qui sera lu et publié à la sortie de la
Messe et affiché à la porte de l'Eglise afin que nul n'en ignore. C'est ce
que lui accorde le Juge, en précisant qu'en cas d'infraction l'amende serait
fixée à 30 Livres " et de plus grande peine en cas de récidive".
C'est bien ce qui fut fait, par le Bayle Seigneurial, le Dimanche 7 Mars
suivant. Les privilèges de la chasse et de la pêche furent abolis le 4 Août
1789.
Page (294) |
Les pouvoirs
de Police des Justices Seigneuriales étaient très étendus et s'appliquaient
à tous les aspects de la vie quotidienne du Village.
Cette Justice
était d'abord chargée de veiller à une bonne application des Ordonnances
Royales sur le territoire de la Seigneurie qui, ici, ainsi que nous l'avons
déjà vu, se confondait avec celui de la Paroisse. A ce titre, elle détenait
donc une fraction du Pouvoir Exécutif central.
Elle devait également veiller à faire respecter la prohibition de tous les jeux de hasard, l'interdiction de travailler les Dimanches et Fêtes ( et celles-ci étaient fort nombreuses ... ), de veiller aussi à la bonne tenue des cabarets, à l'exactitude des poids et des mesures, à la Police de la voirie et des chemins, etc... etc…
Cette
énumération ne laisse pas d'être impressionnante, mais à BUDOS, comme en
bien d'autres endroits, le Juge ne disposait pour surveiller tout cela que du
Bayle de son Tribunal, seul et unique agent du pouvoir seigneurial pour les
affaires générales ( le garde-chasse ayant cependant, de son côté, des
fonctions très spécifiques ). La faiblesse des moyens disponibles modérait
donc considérablement, dans les faits, la rigueur de cette Police.
Nous allons
successivement examiner quelques uns des domaines d'application de ces
pouvoirs.
rixes et voies de faits.
Le cadre
général de la réglementation applicable aux cabarets était fourni par le
Pouvoir Central. Dans la pratique, les Juridictions locales en trouvaient
l'essentiel dans les Arrêts et Ordonnances du Parlement de BORDEAUX. Mais sur
ce fond commun, chaque Juridiction établissait ses propres règles
d'application, et elles étaient plus ou moins libérales selon l'humeur et
l'appréciation des Officiers locaux.
Les cabarets devaient s'abstenir de vendre du vin ( or, il ne vendaient que cela ) et fermer leurs portes, les Dimanches et Fêtes, pendant la durée des " Offices Divins "; entendons par là, pendant les Messes et les Vêpres. Cette disposition avait au moins le mérite d'être claire et n'était susceptible d'aucune interprétation. Mais il était également interdit de vendre du vin " la nuit ". Et là, chaque Juge décidait des heures selon son bon plaisir. A NOAILLAN, par exemple, on était plutôt libéral, la nuit commençait à neuf heure du soir en hiver et à dix heures l'été.
A
VILLANDRAUT, c'était à l'Angélus du soir, à sept heures. Mais que dire de
BUDOS où la nuit commençait à six heures du soir en hiver et à neuf heures
en été. Que l'on imagine un peu ce que pouvait être un Dimanche d'hiver
avec une matinée coupée par deux Messe, un après-midi interrompu de trois
à quatre pendant les Vêpres et une fermeture à six heures... Il fallait
vraiment avoir soif à des moments bien
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Passe encore à NOAILLAN qui disposait d'une horloge publique, laquelle, de surcroît, sonnait, mais c'était bien la seule du pays. Alors là aussi, on s'en remettait à quelques mesures locales, parfois très astucieuses. C'est ainsi qu'à LEOGEATS, le Sacristain, à l'heure dite, devait se rendre chaque soir à l'Eglise et y sonner vingt coups de cloche, et en cas de contravention infligée à un cabaretier pour fermeture tardive, on lui reversait le tiers du montant de l'amende ( les deux autres tiers se partageant entre le Seigneur et les pauvres de la Paroisse).
C'était une disposition motivante… A BUDOS, rien de cela, mais on devait pouvoir faire confiance à la vigilance de Me PENICAUD, Procureur d'Office, qui était précisément chargé de poursuivre ces infractions et dont la maison se situait sur la Place publique... Restaient évidemment les cabarets situés dans les Quartiers extérieurs, moins faciles à surveiller, et ils étaient nombreux. Il fallait compter aussi avec le montant des amendes.
A VILLANDRAUT, à l'origine, elles étaient de 10 Livres; on s'aperçut qu'elles étaient insuffisantes, on en porta le taux à 25 Livres. A NOAILLAN et LEOGEATS, le taux était progressif avec 10 Livres à la première contravention, 20 à la seconde, et 30, assortie de la fermeture de l'établissement à la troisième.
Et ici encore, BUDOS se distingue car le montant des amendes, prix unique, était fixé à 200 Livres Et pour arranger les choses et mettre un peu d'ambiance dans le Village, il était prévu d'en reverser la moitié au dénonciateur… Le tout sans préjudice, en cas de récidive, " de plus grandes paines sy le cas y échoit " comme le prévoit l'Ordonnance du Juge qui fut publiquement lue et affichée à la porte de l'Eglise St ROMAIN à la sortie de la Messe du Dimanche 11 Mars 1787, deux ans avant le début de la Révolution.
Celle-ci
survenue, d'autres autorités prendront des mesures identiques pour fermer ces
malheureux cabarets pendant que se dérouleront les Offices dédiés à l'Etre
Suprême dans le Temple de la Raison...
Il faut dire que ces cabarets constituaient des sources de désordres assez considérables et que nos Ancêtres ne s'y conduisaient pas toujours selon les meilleurs principes de l'urbanité. Quand le soir survenait, de nombreuses soifs ayant été étanchées jusqu'à l'excès, le ton montait et les rixes étaient fréquentes.
Des rixes,
parfois sérieuses, qui trouvaient leur épilogue très précisément devant
le Tribunal, devant les mêmes Officiers responsables du maintien de l'ordre.
De très nombreux procès en résultèrent. Et lorsqu'il n'ont pas été
interrompus à temps par quelqu'intervenant raisonnable, ils ont souvent
conduit à de véritables désastres financiers dans bien des familles.
Il se trouve
que les affaires qui nous sont parvenues à BUDOS ont toutes fait l'objet de
transaction, nais ceci ne préjuge en rien du cas général. S'il en est
ainsi, c'est tout simplement parce que les Notaires ont conservé les
documents relatifs aux sentences arbitrales tandis que les archives pénales
du Tribunal étaient en grande partie détruites. On ne peut fonder aucun
raisonnement sur l'observation statistique des documents qui nous sont
parvenus.
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Quoi qu'il en soit, ces transactions nous fournissent de précieuses indications par le niveau auquel se situent les réparations dont il est convenu. Il est parfois considérable. Or, si quelqu'un accepte de payer jusqu'à plusieurs centaines de Livres de dommages et de frais pour arrêter une affaire en cours, c'est bien parce qu'il y voit un moindre mal et qu'il redoute, au terme naturel de l'instance de voir la facture atteindre un montant encore plus élevé.
Ceci nous
confirme donc bien dans l'opinion, recoupée de diverses sources que ces
procès se révélaient particulièrement ruineux pour ceux qui succombaient.
Il n'est donc pas anormal que les Officiers en charge des intérêts
économiques et sociaux de la communauté villageoise aient réagi de façon
parfois excessive dans la rédaction de leurs règlements de Police.
A la
vérité, on se battait passablement, et pas seulement dans les cabarets ou à
leurs portes. Nous rapporterons trois exemples de ces affrontements choisis,
à dessein, sur des niveaux d'importance différents.
Dans la soirée du 19 Mai 1780, c'était un Vendredi, Jacques SOUBIRAN, charpentier de haute futaie à BUDOS et Jean LACASSAGNE, laboureur à LANDIRAS, revenaient d'ORIGNE. Tout en marchant, au cours de la traversée du POUY, ils devisaient. Mais ils ne tenaient pas là de simples propos en l'air, car LACASSAGNE prétendait tout bonnement être le créancier de SOUBIRAN, ce que celui-ci contestait avec vigueur.
De fil en aiguille , le ton monta et ils en vinrent aux mains. Ils étaient encore pour lors sur le territoire de la Paroisse de BALIZAC, et ce détail a son importance car le procès qui s'ensuivit entrait de ce fait, dans la compétence de la Juridiction de CASTELNAU de CERNES, sur la Paroisse de St LECER. Chacun porta sa plainte contre l'autre. SOUBIRAN, qui parait avoir été le plus touché, avait pris la précaution de se faire examiner par un chirurgien qui déposa son rapport auprès du Juge de CASTELNAU.
Le temps de
la réflexion étant venu , les deux antagonistes se prirent à penser que
poursuivre un procès l'un contre l'autre à CASTELNAU comportait assurément
plus d'inconvénients que d'avantages; ne serait-ce qu'au regard du temps
perdu, avec cinq bonnes heures de marche à pied, aller-retour pour répondre
à chacune des convocations du Juge. Ils en vinrent donc à se rapprocher, et
finirent par se retrouver, le 11 Juin suivant devant Me DUCASSE, Notaire à
LANDIRAS, et là, ils racontèrent d'abord leur histoire, exposant:
" qu'en revenant de la Paroisse d'ORIGNE, ils
eurent entre eux une dispute... qui les engagea l'un et l'autre dans des
propos irraisonnables et à se prendre mutuellement et à s'entrechoquer
ensemble jusqu'à (se donner) l'un à l'autre différents coups de poing sur
chaque partie de leur corps, ils prétendirent avoir également été blessés
et, sur ce fondement, ils (ont) porté leur plainte respective suivie
(chacune) d'une information devant Monsieur le Juge de la Juridiction de
CASTELNAU de CERNES dans le ressort de laquelle Juridiction la dispute avoit
été soulevée."
Page (297) |
Ensuite de
quoi, ils finissent par s'accorder, et LACASSAIGNE qui se dit " ennemy
juré de tout procès ",accepte de régler
Voila donc
une affaire qui se termine bien et à petit prix; c'est presque un modèle du
genre.
La seconde anecdote concerne François BATAILLEY. Nous le connaissons déjà pour l'avoir déjà rencontré à l'occasion d'une action en réintégrande sur un droit de passage au Quartier des MAROTS. Or donc, François BATAILLEY, le jour de la SAINT JEAN de 1785, jour de Fête chômé, se prit de querelle avec Laurent CAPDEVILLE, Garde Chasse du Baron. Ils en vinrent aux mains, et CAPDEVILLE maltraité, porta plainte devant le Juge de BUDOS.
L'affaire fut prise très au sérieux. Après instruction, BATAILLEY était en passe d'être décrété de prise de corps ", et au début de 1786," le procès estoit a même de se juger ". Inquiet, BATAILLEY va s'efforcer d'arrêter l'instance avant d'en arriver à cette extrémité. Il entre alors en négociation, et finit par retrouver Laurent CAPDEVILLE chez Me BAYLE, dans l'après midi du 6 Février 1786.
Bien que
l'acte notarié n'en dise rien, il se pourrait bien que Jean BEDOURET, Bayle
de BUDOS, ait été l'artisan de ce rapprochement. En tous cas, il est
présent et sert de témoin à l'acte, ce que l'on peut tenir, en cet endroit,
pour une petite indication. Quoi qu'il en soit, l'accord va se réaliser :
" Toutes parties voulant éviter (le procès)
et se concilier ensemble plutôt que de plaider (davantage), elles sont
entrées dans un compte et examen des pertes et dépens dudit CAPDEVILLE; ils
les ont trouvés et se sont accordés à la somme de cent vingt Livres, et
trente Livres et trois sols de frais, suivant l'état que ledit CAPDEVILLE en
a fourni audit BATAILLEY. Pour en finir et vivre en paix, ledit BATAILLEY a
payé audit CAPDEVILLE ladite somme de trente Livres et trois sols et celle de
cent vingt Livres pour ses pertes et autres (motifs), ce qui fait ensemble la
somme de cent cinquante Livres et trois sols."
C'est là une
belle somme que BATAILLEY règle comptant. Nul doute qu'elle lui fera défaut
dans son exploitation et qu'il aurait pu en trouver un meilleur usage. Mais
nul doute aussi que s'il en a accepté le prix, c'est bien pour se prémunir
contre les effets d'une condamnation qui lui aurait coûté bien davantage
encore.
Ne nous
désolons pas trop cependant quant au sort de François BATAILLEY, car il va
récupérer son argent et bien au delà, dès la même année, à l'occasion
d'une autre rixe, mais dont cette fois-ci, il sera reconnu la victime…
Arnaud
BATAILLEY Père, et François son fils, furent en effet agressés par toute
une bande dans laquelle on trouvait Joseph PARAGE, Bernard LANELUC, Nicolas
DAMBONS, tous de BUDOS, auxquels s'étaient adjoints pour l'occasion Jean
PARAGE et Chicoy DECHAUDIT, tous deux de SAUTERNES. Les BATAILLEY, cette
fois-ci malmenés les assignèrent en " crime de voies de fait "
devant le Juge de BUDOS. Une information fut aussitôt ouverte. Elle
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" en conséquence duquel (décrêt) lesdits
BATAILLEY Père et Fils estoient à même de faire prendre et saizir au corps
(les accusés) pour (leur) faire subir la peine (prévue) par ledit décrêt
et les forcer par ce moyen à subir un jugement rigoureux."
La prison du
Château de BUDOS a bien failli servir en cette circonstance, mais failli
seulement... En effet, les agresseurs prennent peur et s'adressent sans
tarder:
" à des personnes sages et prudentes dont
l'intelligence et l'intégrité est connue, et par l'entremise et avis
desquelles (ils) ont été conseillés et avizés de terminer et finir ladite
procédure..."
Il semble bien ici que le " Monsieur Bons Offices " ait pu être Me PENICAUD, le propre Procureur d'Office du Tribunal. C'est en effet en son domicile privé que tout le monde se retrouve le 9 Mai 1786, en présence de Me DUTAUZIN convoqué tout exprès et venu de LANDIRAS. Et là, il est convenu par contrat que pour prix de la suspension des poursuites, les agresseurs verseront aux BATAILLEY une somme de 307 Livres payable sous un mois et demi, pour solde de tous comptes.
En fait,
c'est le 3 Juillet suivant qu'interviendront les divers règlements. Et c'est
là que l'on s'aperçoit que LANELUC est incapable de régler le montant de sa
quote-part, car l'ensemble de ses ressources n'excède pas 27 Livres...
Finalement, de crainte de voir réouvrir ce dossier, c'est DAMBOMS qui fera
l'avance de la différence en devenant, du même coup, créancier de LANALUC;
un LANELUC désormais sans un sou et endetté, peut-être pour des années
pour peu que les caprices de la nature s'en mêlent par le jeu de quelques
mauvaises récoltes. C'était bien cher payer un moment d'égarement.
La chose dura longtemps, il a fallu attendre l'apparition du sport à la fin du XIXème siècle pour voir apparaître des formes de jeu pécuniairement désintéressées. Mais il semble que cela n'ait pu être qu'un simple accident de l'Histoire tant il est évident que les enjeux financiers ont désormais envahi le domaine du sport dont l'originalité, en ses débuts, était précisément d'être tenu en marge des implications de l'argent...
Toujours
est-il qu'à BUDOS, en cette fin du XVIIIème siècle on ne concevait pas le
jeu sans enjeu financier. Et comme les jeux d'argent étaient prohibés par la
réglementation générale, tous les jeux, quels qu'ils puissent être,
étaient purement et simplement interdits. Mais il était assurément bien
difficile de faire respecter une telle
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prohibition dans le domaine privé des familles. Aussi l'attention se polarisait-elle une fois encore sur les cabarets. Pouvait-on imaginer en effet un lieu de rencontre plus privilégié que celui-ci pour organiser des rencontre et des jeux ? Et de fait, en dépit de toutes les interdictions, le jeu s'y pratiquait, surtout dans la discrétion de la nuit, et cela nous ramène aux problèmes d'horaires et de fermetures que nous avons évoqués dans le point précédent.
Il s'agissait
là surtout de dés et de cartes activités n'exigeant que peu de matériel et
surtout aisément dissimulable en cas d'irruption inopportune d'un contrôleur
quelconque. Dans toutes les informations ouvertes sur des querelles de
cabaret, les dépositions commencent toutes, systématiquement par la formule
" nous étions là, tranquillement, à nous divertir " .
Et il est
plaisant de constater que jamais aucun Juge ne pousse le témoin dans ses
retranchements en lui demandant en quoi pouvait consister ce divertissement.
Aussi bien à BUDOS, qu'à NOAILLAN, à VILLANDRAUT ou à CASTELNAU de CERNES,
sur des dizaines de cas, le mot est le même dans la bouche de tous les
témoins, si bien que l'on sent combien il peut appartenir au langage courant;
et le Juge instructeur évite soigneusement d'embarrasser son témoin ( qui
dépose sous la foi du serment ), en lui posant une question sur un point qui
n'est pas l'objet principal du débat. Par une sorte de complicité objective,
l'objet du " divertissement " n'est ainsi jamais précisé, mais en
fait, personne n'est dupe de ce qu'il pouvait être.
En dépit de
cette apparente tolérance, les Officiers de la Juridiction ne désarmaient
pas, et la fréquence même de la réitération des prohibitions montre bien
combien la règle était pourtant peu respectée.
Le 18 Août
1787, Me Gervais DEGENSAC, Juge de BUDOS prend encore un "appointement
"( une décision ) en la matière, et ce sera la dernière avant la
Révolution ;
" plusieurs particuliers et citoyens et
notamment des cabaretiers et aubergistes, pour attirer la jeunesse et
augmenter leur débit par une industrie criminelle ont inventé ou tiennent
différents jeux également ruineux appelés vulgairement dans le pays Jeu de
Rampeau et de balles, que la jeunesse et même des Pères de Famille
réellement attirés par ce jeu, se dissipent d'une manière étrange et
manquent aux Offices les jours de Fêtes, et d'un autre (côté), abandonnent,
ce faisant, leur travail les jours ouvriers, perdant des heures
considérables... dans un temps où certains peuvent à peine fournir à la
subsistance de leur famille... Ces jeux occasionnent ordinairement des
querelles, des batteries, souvent des vols que la tranquillité et la sûreté
publique en sont troublées... "
Et sur le
fond de ce sombre tableau, tombe une fois encore les foudre de l'interdiction
:
" qu'il
(soit fait) défense à tous cabaretiers, aubergistes et autres personnes de
quelle qualité et condition qu'elle soient, dans toute l'étendue de la
Juridiction (de BUDOS ), de donner à jouer ou de jouer à aucune sorte de jeu
de days, de carte,
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Et les amendes prévues sont lourdes. Ce sera 50
Livres pour le cabaretier et autant pour chacun des joueurs à la première
infraction, plus encore en cas de récidive " et même de prison". Au
surplus,
" les rampeaux (seront) détruits dans trois
jours sous peine de ladite amende..."
Cette
décision fut lue et publiée par le Bayle pendant trois dimanches consécutifs,
à partir du 24 Août, à la sortie de la Messe et des Vêpres, et affichée à
la porte de l'Eglise.
A quoi
pouvait-on consacrer ses loisirs dans un pays où les jeux, mais aussi la chasse
et la pêche étaient prohibés? A boire, bien sûr, et l'on ne s'en privait
pas. C'est même probablement une explication de la fréquence des querelles de
cabarets; et pourtant, aucune des enquêtes conduites ne fait référence à un
quelconque état d'ivresse, même dans les cas où l'excès de boisson est
manifestement en cause.
Et puis,
enfin, on pariait ; on pariait sur tout et sur n'importe quoi, cette forme de
jeu étant parfaitement insaisissable et ne laissant aucune trace matérielle au
regard d'un tiers. Au hasard de nos anecdotes, nous avons déjà rencontré un
exemple de ce genre de défi se déroulant au cabaret d'ILLATS.
La prévention des incendies:
Le feu constituait une préoccupation majeure pour les paroisses à haute densité forestière. Combien pourrait-on citer d'interventions de la Juridiction de CASTELNAU DE CERNES pour interdire l'allumage de feux en forêt ou pour réprimer des infractions à ces interdictions. On en trouve à BALIZAC, à ORIGNE, St LEGER, etc...
A BUDOS, un
peu moins parce que la Paroisse, surtout à l'époque, était nettement moins
boisée. Mais les interdictions étaient les mêmes, et il y avait toujours bien
quelqu'un pour se faire prendre, surtout au cours de l'été lorsque le risque
était le plus immédiat.
Ainsi Pierre et Guiraud BELLOC, le Père et le Fils, avaient-ils mis le feu à une haie leur appartenant dans les mois les plus chauds de 1783. Et de plus, ils avaient allumé du feu " hors des murs " de leur maison ( pour un barbecue peut-être…)
Il furent
poursuivis par Me PENICAUD, le Procureur d'Office qui réclama contre eux une
forte amende. Dans son jugement du 15 Septembre de la même année, le Juge de
BUDOS leur interdit de faire brûler cette haie, leur enjoint d'aménager
convenablement la " partie de leur chambre hors du mur " pour pouvoir
y allumer du feu en toute sécurité et les condamne aux dépens, qui
représentent tout de même 7 Livres 17 sols 10 deniers. Toutefois, il se refuse
à leur infliger l'amende requise par le Procureur, estimant que l'imprudence
commise n'en méritait pas tant :
" sur la
condamnation à l'amende requise par le Procureur d'Office, déclarons n'y avoir
lieu de poursuivre."
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Mais de
simples particuliers peuvent aussi demander l'assistance de la Justice
lorsqu'ils se voient exposés à des risques d'incendie imputables à des
imprudents ou à des situations anormales. La prévention fait aussi partie de
la police du Village.
En 1773,
Bernard PENICAUD habite au BATAN. Sa maison est contiguë, a l'est et au sud
avec un bâtiment que son voisin Jean BEZIN vient de destiner :
" depuis
peu de temps à l'uzage d'écurie, chay et grenier à foin..."
Pour le
moment, il n'y a pas de foin, mais de la bauge:
" qu'il a placée au-dessus, sur la forme
d'un plancher qu'il y (a) pratiqué à la faveur de quelques planches qu'i1y a
éparpillées sans être jointes, de manière que cette ... bauge, ne se
trouvant nullement gênée par le plancher... se répand en bas par les entre
deux des planches..."
Nous voyons
bien la situation, mais où donc est le danger ? Eh bien, nous y venons :
" (BEZIN) affecte de ne se servir de cette
chambre... que la nuit en y envoyant des gens peu prudents, même le plus
souvent ses propres enfants avec une chandelle de rézine, soit pour y quérir
du vin, y placer des chevaux et chercher de la bauge.... (Cette) chandelle est
beaucoup plus dangereuse que tout autre pour mettre le feu, attendu que (sa)
lumière n'est jamais plus sensible ni plus claire que quand on la porte à
une certaine hauteur. Et de cette manière, (en) entrant dans ladite chambre,
le feu peut très bien prendre à la bauge qui pend vers le rez de chaussée
à la faveur de l'entre deux des planches, ou encore mieux, lorsque ces
personnes imprudentes... montent sur le prétendu plancher pour prendre de la
bauge."
On comprend
que PENICAUD ne soit pas trop rassuré. Il redoute:
" des évènements funestes contre (sa)
personne et celle de son épouse et toute sa maison, ... en danger à toutes
heures de la nuit et au moment qu'ils seroient dans le profond du sommeil, d'estre
brûlés pour la vie."
PENICAUD a
bien fait part de ses inquiétudes à Jean BEZIN, mais celui-ci n'a fait qu'en
rire. Or, voilà que dans la nuit du 24 au 25 Janvier, il vient d'y avoir un
début d'incendie. La promptitude des secours y pourvut, mais le danger
persiste. PENICAUD demande que des mesures soient prises, et qu'à tout le
moins on n'entre plus dans ce local avec une flamme vive. Si BEZIN ne veut pas
prendre un minimum de précautions, il ne restera à PENICAUD que le recours
aux pouvoirs de Police du Tribunal...
La voirie
paroissiale appartient au Seigneur, les habitants ont sur elle un
incontestable droit d'usage sous condition de l'entretenir. Cela, c'est le
principe, mais dans les faits,
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Quelle tentation pour les riverains de repousser pas à pas leurs limites et "d'étrangler" le chemin qui, à l'occasion de chacune de ces usurpations devient de plus en plus étroit. Et quelle tentation aussi de planter là une haie ou une barrière matérialisant la nouvelle limite usurpée, ce qui a pour effet de transformer le chemin en un étroit couloir où il devient radicalement impossible de faire croiser deux charrettes...
Quant à
l'entretien, on acceptera bien à la rigueur d'y consacrer un peu de temps,
mais seulement sur les points singuliers concernant l'exploitation de
l'intéressé. Nous avons déjà eu l'occasion de parler de ces chemins, nous
n'y reviendrons pas, sinon pour relater les interventions de Police du
Tribunal en vue de réprimer les abus dont ils étaient victimes.
Le 22
Novembre 1763, le Procureur d'Office de BUDOS saisit le Juge. La situation est
devenue intolérable, la circulation devient de plus en plus difficile et les
accidents se multiplient
" Les faits sont d'autant plus notoires et certains qu'il y a devers le greffe du présent (Tribunal) divers procès verbaux de personnes qui ont été tuées et écrasées par des boeufs et charrettes dans les ... chemins...."
Et de
dénoncer les causes du mal, celles-là mêmes que nous venons de signaler :
" ces... chemins, au lieu d'avoir la largeur
convenable se trouvent rétrécis par la cupidité ou avidité des
propriétaires des héritages y aboutissant, au point que ceux
de..(la)..présente Juridiction sont tout au plus de cinq pieds et demy
(environ lm,75) à six pieds (environ lm,90), et la majeure partie clôturés
et longés par des hayes embarrassées d'épines et autres empeschements de
manière que s'il se trouve dans lesdits chemins deux charrettes chargées ou
un cavalier et une charrette, ils ne peuvent continuer leur route."
Au terme de
cette analyse, le Procureur d'Office requiert :
" (qu'il) soit ordonné que les chemins qui
conduisent de la Paroisse de BUDOS .... aux Grands Chemins et aux Ports de
CASTRES, PORTETS, PODENSAC, CERONS et BARSAC, de même que ceux qui conduisent
aux Villes de BORDEAUX, CADILLAC, LANGON, BASATS et autres (allant) de
paroisse à paroisse soient redressés autant que les circonstances le
permettront et élargis jusqu'à seize pieds (environ 5m,15), bordés de
fossés et arbres et les rameaux desdits chemins conduisant de village à
village seront seulement élargis jusqu'à huit pieds (environ 2m,55), le tout
par les propriétaires riverains et aboutissants (et ceci), dans les prochains
trois mois à compter du jour de la publicité du jugement (de Police) qui
interviendra. Qu'à ces fins, tous les bois, haye, épines et brousailles qui
se trouvent dans lesdits espaces soient par eux... essartés et coupés et
(qu')à l'avenir les chemins... soient entretenus par les habitants..."
Sur cette
requête, le Juge décide de se rendre sur place et de procéder à un
constat. C'est ainsi que les 26 et 27 Novembre 1763, accompagné de son
Greffier et du Procureur d'Office, il
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" remarqué qu'à l'exception du chemin qui
conduit de l'Eglise et, passant devant le Château, (conduit) jusqu'(au
carrefour) des chemins quy vont au Bourg de LANDIRAS et à PODENSAC (un peu
après MOUYET) et de celuy quy conduit dudit Bourg de BUDOS à St PIERRE,
(tous) lesdits chemins, dans tous les lieux, cultures,... dans les bois et
pignadas n'ont que la largeur d'une voye de charrette c'est à dire cinq pieds
et demy (environ Im,75)..."
Mais ne nous
faisons pas trop d'illusions, son application a dû être discrète et
mesurée, sans quoi BUDOS serait devenu un véritable modèle de voirie rurale
et la chose se serait sue. Ce n'est malheureusement pas le cas. Il est bien
probable qu'en dépit des bonnes intentions aussi manifestement affichées, on
soit revenu bien vite à la routine passive contre laquelle aucune Police n'a
de prise.
Enquêtes après accident:
Tout décès
subit ou accidentel paraissait suspect et donnait lieu à une enquête
judiciaire. Ces enquêtes étaient conduites avec beaucoup de sérieux, et au
demeurant vivement sollicitées par l'entourage de la victime afin de
s'exonérer de tout soupçon au regard de l'opinion publique dans le Village.
Nous en
rapporterons deux exemples. Le premier cas ne se déroule pas à BUDOS, mais
concerne deux Budossais. Nous l'avons retenu parce qu'il est tout à fait
caractéristique de ce genre d'affaire et aussi parce que l'évènement nous
est particulièrement bien conté.
Le 24 Janvier
1777, vers midi, Jean PARATGE, propriétaire au Quartier de JANOTBAYLE, avait
attelé ses bœufs pour aller livrer une barrique de vin chez le dénommé
LIBERE, propriétaire au Quartier de TRISCOS, sur la Paroisse de BALIZAC. Son
Oncle, également dénommé Jean PARATGE, homme veuf , son voisin vivant lui
aussi à JANOTBAYLE, avait une autre barrique à livrer au même lieu. Tout
naturellement, ils avaient décidé de mettre leur livraison en commun et de
ne faire qu'un seul voyage.
Et les voilà
donc partis à travers la Lande du POUY, par un chemin beaucoup plus direct
que la route actuelle puisqu'il coupait tout droit vers BALIZAC sans passer
par le carrefour de COURNAOU. Vers deux ou trois heures de l'après midi, tous
proches du terme de leur voyage, ils se trouvaient à peu près au carrefour
actuel de la route conduisant de BALIZAC à ORIGNE
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Les
deux hommes marchaient de conserve, chaussés de leurs lourds sabots, l'Oncle
vêtu d'une veste et d'une culotte de drogguet brun , la veste enfilée sur un
gilet rouge et une chemise de grosse toile de chanvre, il était coiffé d'un
bonnet blanc. C'était le plus fort de l'hiver. Parvenu en ce lieu, l'Oncle
dit soudain à son Neveu: " J'ai un point de côté ". Environ 2.100
mètres plus loin, pour traverser le ravin profond qui précède le Ruisseau
d'ORIGNE ( il existe encore et il est aisé d'y reconstituer la scène),
l'Oncle passa devant les boeufs et traversa le premier, il fit encore environ
dix pas et s'effondra sur le coté droit du chemin, " sans aucune plainte
ni mouvement ". Son Neveu se précipita pour le tirer à l'écart de
l'ornière car les boeufs avançaient inexorablement. Il le trouva "
sans pas une espèce de respiration et véritablement mort. "
Jean PARATGE courut tout aussitôt jusqu'à TRISCOS demander du secours et surtout demander que l'on dépêchât dans l'instant un courrier au Parquet de la Juridiction de CASTELNAU de CERNES, au Bourg de St LEGER afin d'informer Messieurs les Officiers de Justice. Ceux-ci partirent tout aussitôt au plus vite de leurs chevaux. Il fallait faire toute diligence car la nuit tombe très vite en ces jours-là.
Le Juge, le Procureur d'Office, et le Greffier se retrouvèrent bientôt sur place et là, ils retrouvèrent Me AUGE, le Chirurgien de BALIZAC qui avait déjà commencé un examen attentif du cadavre. La famille Budossaise du défunt était déjà là elle aussi, son Frère, sa Fille de 17 ans, d'autres encore... Tout était allé très vite.
Et dés qu'il
aperçut le Juge, Jean PARATGE lui fit observer de quelle diligence il avait
usé " pour éviter tout soupçon de quelque cause de mort
forcée..." La voilà bien l'inquiétude majeure du Neveu; c'est que
quelqu'un puisse aller penser ou suggérer qu'il ait pu endosser la moindre
responsabilité dans ce décès ... Il n'en fût rien; le cadavre ne portait
aucune trace suspecte et le permis d'inhumer fut accordé sans difficulté.
Revenons à BUDOS pour une autre affaire. Le 18 Janvier 1788, au lever du jour, les valets du moulin de FONBANE aperçurent une forme mal définie flottant dans la retenue d'eau, un peu en amont du déversoir.
S'étant
approchés, ils réalisèrent qu'il s'agissait d'un homme noyé. Ils se
gardèrent bien d'y toucher et firent aussitôt appeler les Officiers de
Justice de BUDOS. En très peu de temps, on vit parvenir sur place Me Gervais
DEGENSAC, Juge, M e PENICAUD, le Procureur d'Office, François PEYRI, Greffier
et BEDOURET, le Bayle. Le Juge ordonna de tirer le corps sur la berge et de le
sortir de l'eau. Puis il l'examina :
" il s'est trouvé vêtu d'une mauvaise
camizole de bure, d'un gilet blanc, de laine, d'une cullotte de toille, la
tête couverte d'un mauvais bonnet de laine, deux sabots aux pieds; dans la
poche... s'est trouvé une petite bourse... de toille dans laquelle il y avait
trois liards seulement."
Le pauvre
homme était bien démuni, puisque 3 liards représentaient un quart de sol
sait un quatre-vingtième de Livre... Le Juge poursuit ses investigations et
note:
Page (305) |
"
l'ayant fait dépouiller et l'ayant visité par tout
Le pauvre
diable avait dû être saisi par l'eau glacée de l'hiver car, pour avoir
conservé ses sabots aux pieds, il parait évident qu'il n'avait guère dû se
débattre.
La nouvelle
de l'accident s'était répandue dans tout le Village comme une traînée de
poudre. Et ils étaient nombreux les badauds à faire cercle sur la berge
autour de ces Messieurs de la Justice. Le Juge s'adresse à ces :
" personnes de la Paroisse espectatrices, et
les avons interpellées de nous dire si (elles) reconnoissoient ledit cadavre;
la plupart desquelles personnes ont répondu le reconnoître pour estre
François LATRILLE de la Paroisse du NIZAN en Bazadois... "
Jean PAUVERT, parmi elles, un valet du Baron, fut même bien plus explicite, puisque non content de dire qu'il l'avait vu plusieurs fois aller dans BUDOS, de porte en porte, en demandant l'aumône, il put préciser qu'il l'avait vu la veille encore et qu'il avait même laissé chez lui un sac de cuir. Le Juge l'envoya quérir et en fit l'inventaire.
On y trouva
un Passeport établi par les Echevins de BAZAS, un certificat établi par le
Curé du NIZAN, et les actes de décès de chacun de ses Parents. Le Juge en
prit connaissance et les remit à Jean PAUVERT en le chargeant de les faire
parvenir à la famille du défunt. Puis:
" pour empêcher que ce cadavre ne soit
gâté par les chiens du moulin ou des maisons voisines, (il ordonna) qu'il
soit... transporté dans la maison... de COUTURE pour y être exposé."
Tout cela
avait pris du temps. Il était tantôt quatre heures de l'après midi. Mais il
y avait dans BUDOS quelqu'un qui n'était pas content, mais pas content du
tout… C'était le Curé DORAT. Alors que toute la Paroisse était au courant
depuis le matin, personne ne l'avait informé de l'évènement, et ce n'est
qu'en fin d'après midi qu'il sut la nouvelle et il en conçut quelque dépit.
Son mécontentement transparaît dans l'acte de décès qu'il transcrit le
lendemain sur son Registre Paroissial. On peut y lire:
"(François LATRILLE), noyé dans la gourgue
du moulin selon le Verbal de Messieurs de la Justice fait le susdit jour à
quatre heures du soir; François LATRILLE, pauvre mendiant de la Paroisse du
NIZAN en Bazadois, il a été ensevely le 19 du susdit mois, environ quatre
heures du soir, n'ayant été averti de sa mort qu'à quatre ou cinq heures du
soir pour faire sonner..."
Le voilà, le problème du Curé DORAT. l'usage local veut que l'on sonne les cloches dès que l'on apprend un décès, et même pour le décès d'un non pratiquant. En ce dernier cas, comme nous le verrons plus loin pour Arnaud CANTEAU, frappé de mort subite à MARGES , on n'effectue pas toutes les sonneries rituelles, mais du moins sonne-t-on " le trépas ".
C'est un
minimum incontournable. Et voilà que par la faute de ces Messieurs de la
Justice qui ont vaqué à leurs affaires sans se soucier de faire prévenir le
Curé, on n'a pas " sonné le trépas" de ce pauvre LATRILLE qui y
avait droit autant que tout autre... Ce n'est qu'en fin d'après midi qu'un
quidam a fini par se souvenir que l'on n'avait pas sonné ...
Page (306) |
Quand on
connaît
Ces deux
exemples, entre bien d'autres, donnent un aperçu des préoccupations et des
méthodes d'investigation de la Justice, mais ses fonctions de Police vont
encore bien au-delà.
Surveillances diverses:
Le Procureur
d'Office est le défenseur naturel de l'intérêt commun dans le Village. Il
est à l'affût de tous les dysfonctionnements de la vie sociale, et à ce
titre, il accueille de nombreuses doléances sans qu'il s'agisse
nécessairement de plaintes en bonne et due forme.
Le respect des poids et mesures est par exemple pour lui une préoccupation constante. Des poids et mesures étalons sont déposés au siège de chaque Juridiction et constituent la référence légale pour toutes les transactions commerciales qui se déroulent dans l'étendue de son ressort. Chacun a le droit de venir comparer les poids et mesures qu'il utilise dans son commerce avec les étalons déposés.
Mais le Procureur d'Office a également le droit ( et il ne s'en prive pas ) , de proposer au Juge de se rendre dans les commerces en emportant ces mêmes étalons et de vérifier sur place la conformité des poids et mesures utilisés par les marchands. Les aubergistes et cabaretiers sont tout spécialement soupçonnés d'utiliser des " pintes courtes ", c'est à dire des mesures dont le fond est un peu plus épais que la normale, ce qui a pour effet d'en diminuer la capacité sans en modifier l'apparence extérieure.
La pratique
des ventes dites à l'œil est également rigoureusement prohibée. En ce cas,
le marchand ne pèse pas ce qu'il vend, mais en estime le poids au jugé. Ici,
ce sont les boulangers qui sont le plus souvent visés. Il faut dire que les
pesées sont assez contraignantes car, dans la pratique, on ne connaît et
n'utilise que les balances dites " romaines" et si l'on n'a pas la
patience d'attendre que le fléau soit rigoureusement immobile, les
approximations de la pesée peuvent être considérables. Mais les contrôles
ne se limitent pas aux seules quantités. Ils portent également sur la
qualité des marchandises. Attention aux boulangers qui s'avisent :
" de ne pas faire cuire (le pain)
suffisamment pour qu'il ait plus de poids et cauzent ainsy un préjudice très
considérable au public..."
Et encore n'y avait-il pas de boucherie à BUDOS, car là où il s'en trouvait, à NOAILLAN ou à LAINDIRAS par exemple, les gens de Justice avaient beaucoup de soucis a se faire car leur contrôle portait non seulement sur la qualité, mais aussi sur les prix. Il est vrai que la pratique du temps paraissait ici simplifier les choses.
En effet, le boeuf était à 7 sols la livre, la vache grasse à 6 sols, la vache maigre à 4 sols et le veau et le mouton à 10 sols, et nulle part il n'est question de différencier le prix des morceaux. Est-ce à dire que l'on n'établissait aucune différence entre un morceau noble et un bas morceau ?
Page (307) |
Il est
Des textes fondamentaux avaient été publiés en 1572, 1694, 1709, 1711, 1726, 1744 et 1748... On peut même constater que, le temps passant, leur rythme de parution se précipite. L'un des points le plus litigieux est de savoir si le moulin est " à point rond" ou à point carré ". La chose mérite quelques mots d'explication.
Dans un moulin " à point carré " la meule dormante est inscrite dans un cadre de bois carré dont les côtés sont égaux à son diamètre. De ce fait, le dispositif comporte quatre angles morts dans lesquels, après la mouture, on retrouve des grains non écrasés ou de la farine qui constituent un profit supplémentaire pour le meunier au détriment du paysan. Dans un moulin " à point rond ", la meule dormante est inscrite dans un bâti de bois circulaire qui épouse exactement son contour.
Il n'y a plus d'angles morts, et plus de reliquat de grain ou de farine. En un mot, tout ce qui est entré doit ressortir. La chose est simple et aisément vérifiable. Et pourtant, en plein XVIIIème siècle, on trouvait encore des moulins à point carré et le Parlement de BORDEAUX n'hésitait pas à relancer les Juges Seigneuriaux pour qu'ils aillent, une fois encore vérifier et revérifier la conformité des installations.
Cela suppose
de la part des meuniers un bel acharnement à rétablir le système prohibé
après les visites ... Afin de stimuler le zèle des Juges locaux, le
Parlement faisait mine de croire qu'ils s'étaient désintéressés de la
question:
"… quoi qu'on dut s'attendre à une prompte
et exacte exécution des différentes dispositions d'un règlement si utile au
bien public, on voyoit néanmoins que ceux à qui la Cour avoit confié ce
soin, l'avoient entièrement négligé, ou qu'ils s'y étoient portés avec
tant de tiédeur et de nonchalance que les mêmes abus subsistoient encore
dans plusieurs endroits du Ressort..."
En fait, les
Officiers des Justices Seigneuriales n'avaient pas, sauf exception, tellement
négligé le problème. Mais les meuniers avaient bien du mal à renoncer à
un dispositif qui leur était si manifestement avantageux et toutes occasions
leur étaient bonnes de revenir au " point carré ". Finalement, on
ne vint à bout de la question qu'en portant les amendes à un taux très
élevé: 500 Livres ...
Les Juridictions exerçaient bien d'autres types de surveillances, parfois inattendues. Ainsi les Procureurs d'Office étaient-ils chargés de recevoir les déclarations des grossesses illégitimes des filles et femmes célibataires.
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La
disposition
Le Procureur
d'Office, protecteur des intérêts des mineurs et des incapables était bien
là dans sa fonction. Et de fait, ces déclarations vont devenir de plus en
plus nombreuses vers la fin du siècle ainsi que nous avons déjà eu
l'occasion de le voir. La mesure survivra d'ailleurs à la Révolution, et les
Registres Municipaux de nos Communes portent encore témoignage de ces
déclarations au moins jusque sous le Second Empire.
Poursuites en diffamation:
Ce n'était
pas du goût de tout le monde et le Tribunal était si proche, si accessible,
là, tout près, qu'il était bien tentant de parcourir quelques centaines de
mètres pour y porter sa plainte, alors qu'une simple réplique un peu vive
aurait pu clore la prise de bec. Mais il faut dire que " l'action en
restauration d'honneur ", puisque c'est ainsi qu'on la qualifiait,
aboutissait à des solennités bien propres à combler d'aise celui qui avait
fait les frais de l'algarade et de nature à faire regretter à l'agresseur
d'avoir eu la langue trop longue. Et au surplus, cela coûtait très cher.
Nous nous
limiterons à la relation de deux affaires caractéristiques de ce genre de
situation.
Jean LACASSAGNE, le Fils, a insulté Joseph DELOUBES, tous deux de BUDOS. On ne cite que très rarement les propos tenus. C'est bien dommage pour le pittoresque, mais ce doit être préférable pour la bienséance ....
Il a été,
de ce fait, condamné par le Juge de BUDOS à déposer au Greffe du Tribunal,
qui en assurera la publicité, un acte de " restauration d'honneur "
en faveur de DELOUBES. Jean LACASSAGNE se présente donc devant Me DUCASSE, à
LANDIRAS, accompagné de deux témoins, le ler Août 1779 au matin et lui
demande de rédiger cet acte, ce que fait le Notaire dans les termes qui
suivent :
" Par
devant le Notaire Royal en GUYENNE soussigné, (étant) présents les témoins
cy après nommés, a esté présent Jean LACASSAGNE Fils, tisserand habitant
de la paroisse de BUDOS, lequel a dit qu'à l'occasion d'un procès qu'il a eu
au siège (du Tribunal) de BUDOS pour quelques propos (qu'il a tenus) contre
le nommé Joseph DELOUBES, dit GUIRAUDE, il (est) intervenu (un jugement)
définitif quy ordonne que ledit LACASSAGNE Fils, remettra un acte au Greffe
(du Tribunal) par lequel il déclarera que c'est témérairement et
malicieusement que ledit LACASSAGNE Fils a traité ledit Joseph DELOUBES Père
de criminel, et comme... LACASSAGNE entend se conformer audit
Page (309) |
(jugement),
il déclare par le présent acte audit Joseph DELOUBES que c'est
témérairement et malicieusement qu'il l'a traité de criminel, qu'il s'en
repent et luy en demande pardon et excuse et le reconnait pour homme de bien
et d'honneur..."
Cet acte sera
signifié le 9 du même mois à Jean DUTRENIT "Greffier de la Juridiction
et Baronnie de BUDOS " . Justice est ainsi faite. Identique à beaucoup
d'autres, cet acte en " restauration d'honneur " comporte néanmoins
la particularité d'évoquer, discrètement et d'un seul mot le motif de
l'injure. C'est, nous l'avons déjà dit, assez exceptionnel.
Le même Joseph DELOUBES sera de nouveau le héros de notre seconde affaire très brièvement rapportée. Par un jugement rendu le 9 Février 1784 par le Tribunal de BUDOS, il est à son tour condamné pour avoir injurié François COURBIN et sa fille Marie, tous deux également Budossais.
Nous ne saurons pas ici quels propos avaient été
tenus, mais ils ne devaient pas être très faciles à rapporter car ils
mettaient tout particulièrement en cause l'honneur et la vertu de Marie
COURBIN... Toujours est-il que Joseph DELOUBES fut bien obligé d'aller
trouver le Notaire, ici c'était Me BAYLE à PUJOLS, et de lui faire rédiger
son acte en restauration d'honneur disant que :
" il déclare les tenir pour des gens de bien
et d'honneur (et) qu'il se repent et leur en fait ses excuses, notamment à
ladite COURBIN."
Et ici, les choses vont très vite. Les COURBIN ont dû s'impatienter, car le jugement étant , nous l'avons vu, du 9 Février, DELOUBES n'a rien fait jusqu'au ler Mars. Et soudain, ce ler Mars, dans l'après midi, il dicte son acte à PUJOLS, le Notaire part tout aussitôt et va le faire contrôler au Bureau de l'Enregistrement de BARSAC, il revient tête sur queue et parvient encore assez tôt à BUDOS pour le signifier le soir même au Greffe du Tribunal.
Compte tenu
des moyens de communication de l'époque, il a donc fallu faire diligence en
toutes choses pour réaliser une telle performance, ce qui donne bien à
penser qu'il ait pu y avoir là une urgence toute particulière.
On peut
imaginer sans peine quel climat désastreux pouvait développer et entretenir
la multiplication de pareilles affaires dans les relations humaines à
l'intérieur de la communauté villageoise. Plus encore qu'à BUDOS, la vie
quotidienne de certaines paroisses en a été empoisonnée. Chacun s'en
plaignait, mais beaucoup y avaient néanmoins recours et souvent sous des
prétextes parfaitement futiles. On en relève l'écho dans maints Cahiers de
Doléances de 1789.
Le Cahier de
BUDOS est malheureusement perdu, et c'est bien dommage, mais nombreuses sont
les références à ces abus de droit dans ceux qui nous sont parvenus. C'est
dans le Cahier de GUITRES, Paroisse du nord de la GIRONDE, cité par Marcel
MARION , qu'il faut peut-être aller chercher la meilleure dénonciation de
cette pratique très générale. Ce Cahier déplore en effet :
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" la
liberté laissée au peuple de prendre la voie des plaintes criminelles ....
pour de simples paroles inséparables de la grossièreté de leurs moeurs tandis
qu'on convient qu'il serait ridicule d'exiger qu'ils se querellassent avec le
ton et la finesse de l'éducation; leur laisser la voie ouverte de se faire
dévorer et ruiner par des frais de procédure pour des différends qui n'ont
été suivis d'aucun excès réel c'est permettre un très grand mal et un très
,grand abus la plus légère procédure criminelle conduite jusqu'à un jugement
définitif, ne fût-ce que du premier Juge, met un misérable artisan, un pauvre
cultivateur à l'aumône..."
On ne saurait mieux dire. Ce texte est visiblement
sorti de la plume d'un Notable roturier local, bourgeois ou négociant par
exemple. Notable à coup sûr, du fait de son appréciation sur la "
grossièreté " des mœurs du peuple, et roturier car il s'agit d'un Cahier
du Tiers Etat, mais en tous cas un homme parfaitement clairvoyant quant aux
nuisances de ce que l'on peut tenir pour une plaie sociale de nos campagnes.
Peu de
dossiers nous sont parvenus en la matière, mais ils sont néanmoins suffisants
pour nous faire une idée des affaires et des procédures qu'elles engendraient.
Et tout
d'abord, nous distinguerons, un peu paradoxalement ce que nous pourrions appeler
les " faux vols " et les " vrais vols " . Les premiers ne
sont rien d'autre que des plaintes abusives, et elles ne sont pas rares. Seuls
les seconds correspondent à l'idée que nous pouvons nous faire du véritable
délit de vol.
Ces plaintes
abusives étaient déposées par certains plaideurs qui n'hésitaient pas à
recourir à la procédure criminelle de préférence à la voie civile, afin de
faire porter une contrainte plus forte sur leur adversaire. Dans bien des cas,
il pouvait s'agir d'un véritable abus de droit. Une seule anecdote suffira à
expliquer le procédé.
Louis DUVERGER, Bourgeois de BORDEAUX, et y demeurant, avait passé contrat avec Jean COUTURES, habitant de BUDOS pour faire couper du bois au lieu dit AU BOULENTA, sur une pièce qu'il y possédait. Sitôt informé de cette coupe, Mr.MIRAN, Juge du Tribunal de BARSAC, se déclara propriétaire de ce terrain. A défaut d'accord amiable, la procédure normale aurait consisté à porter p1ainte, au civil, en réintégrande, devant le Juge de BUDOS.
En ce cas, après une instruction qui aurait pris son temps, chacun aurait produit ses titres et ses preuves, et le Juge aurait tranché. Dans le cas où Mr. MIRAN aurait gagné son procès, DUVERCER aurait été condamné à faire rédiger un acte notarié de réintégrande au profit du demandeur, avec restitution du prix du bois, quelques dommages et intérêts et aux dépens. Que va donc faire Mr. MIRAN ? Rien de cela.
Il porte plainte pour vol entre les mains du Juge de BUDOS et assigne à la. fois DUVERGER et COUTURES en tant que complices, au " criminel " avec menace de prise de corps, autrement dit avec demande d'incarcération.
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C'est
une réaction démesurée au regard du fond de l'affaire, mais elle est
payante car DUVERGER ne semble pas disposer immédiatement de ses titres de
propriété sur cette pièce dont :
" ledit
Sieur MIRAN se prétend en possession quoi que, cependant ledit Sieur DUVERGER
s'en croit (avoir) la propriété"
En bref, comme il ne peut la prouver immédiatement, il préfère y renoncer, du moins pour le moment et, de lui même, le 5 Août 1772, adresse un acte de réintégrande à MIRAN avec une offre de remboursement du prix du bois et des frais de Justice afin d'arrêter là cette affaire. DUVERGER et COUTURES avaient bien pu se tromper, mais ce n'étaient en aucun cas des voleurs. Alors pourquoi le choix de cette procédure?
Tout simplement parce que la voie
" criminelle " était beaucoup plus expéditive que la voie civile
et aboutissait, en sus des réparations normales, à une amende prononcée au
profit du Seigneur ( ou parfois des pauvres de la Paroisse ). Et cela la
rendait très onéreuse. Cet aspect du problème n'est pas négligeable, si
bien que l'abus du recours à cette procédure sera dénoncé, en 1789, par
maints Cahiers de Doléances.
Mais à
côté de ces " faux vols ", il y avait les vrais, et là, la
matière est plus riche, en tous cas plus pittoresque. Nous allons en
rapporter un cas plein de rebondissements.
Le 16 Mars
1771, c'était un Samedi, sur les 6 heures du matin, on accourut au
presbytère de BUDOS pour signaler qu'une barre de fer avait été enlevée à
la fenêtre de la sacristie et que l'on avait dû tenter de cambrioler l'Eglise.
L'Abbé SAINT BLANCARD, Vicaire du Curé DORAT, qui s'apprêtait tout juste à
sortir pour aller dire sa Messe accourut tout aussitôt. Il ne put que
constater l'effraction. L'une des trois barres de fer verticales protégeant
la fenêtre donnant le jour à la sacristie avait été descellée et avait
disparu tandis que deux barres horizontales avaient été rompues. Des
morceaux gisaient au sol ainsi que:
" un chevron de bois de pin neuf de cinq à
six pieds de long ( environ 1 m ,75 ).... et une barre de bois de chêne de la
longueur d'un faissonnat,... la peau de la barre de chêne se trouvant
enlevée à certains endroits où il paroit des marques... de ladite barre de
fer; ayant également de pareilles empreintes audit chevron de pin... ce qui
fait présumer que c'est avec ces deux instruments que l'on est parvenu à
rompre les deux barres de travers et à (desceller) celle qui était
(verticale)..."
D'ailleurs, la pierre est éclatée à la base de la fenêtre sur une largeur de deux mains, ce qui a permis de desceller cette barre verticale. L'opération n'a pas dû cependant être aisée. Certes, l'endroit était tranquille, face à la campagne, et tout à fait désert, comme il l'est encore. Il est facile de s'en assurer car il n'a guère changé depuis lors.
La seule différence est que, depuis cette aventure,
on a replacé six barres de fer verticales au lieu de trois, et elles y sont
encore. Mais la base de cette fenêtre est située à environ 3m,50 du sol, et
à moins de disposer d'un échafaudage, il ne parait pas évident de fournir
un effort de rupture violent dans ces conditions
là, mais la
preuve en est que la chose avait pu se faire....
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L'Abbé SAINT BLANCARD, envisageant le pire, revint alors en toute hâte vers la porte principale de l'Eglise. Il la trouva fermée et sans trace d'effraction; à l'intérieur du sanctuaire, tout paraissait normal. Par contre, la porte conduisant du chœur à la sacristie refusait obstinément de s'ouvrir; manifestement, la serrure en avait été faussée.
L'Abbé SAINT
BLANCARD, accompagné désormais d'une petite troupe revint alors vers le
chevet de l'Eglise, et dut se résoudre, pour pénétrer dans la sacristie, à
passer par la fenêtre qu'avaient emprunté les voleurs. Il était encore
jeune ( il avait pour lors 36 ans ) et pouvait encore s'offrir ce genre
d'acrobaties.
Dés l'abord,
il constata que la porte d'un " grand cabinet " (une armoire ) dans
lequel on rangeait les objets du culte était grande ouverte après avoir
été forcée. Un encensoir de très peu de valeur avait en outre été
déplacé et amené jusqu'au pied de la fenêtre où il avait été
abandonné. Sans plus s'attarder sur les lieux, l'Abbé SAINT BLANCARD
dépêcha des coursiers auprès de chacun de ces Messieurs de la Justice. Et
pour faire bonne mesure, on se mit à sonner le tocsin.
La phase judiciaire allait mal commencer. Le Juge n'était pas là. En cette saison de l'année, il vivait à BORDEAUX, où il était Avocat auprès du Parlement, et ne venait à BUDOS que pour assurer le service des audiences. On ne pouvait l'attendre; qu'à cela ne tienne, François LACASSAIGNE, doyen des procureurs postulants du Tribunal le remplaça au pied levé. Bientôt furent réunis dans l'Eglise, outre LACASSAIGNE, BOSSE, le Procureur d'Office, Jean DUTRENIT, le Greffier et le Curé DORAT, arrivé entre temps. Il n'était pas question de faire passer tous ces personnages par la fenêtre...
On tenta donc
de pénétrer dans la sacristie par la porte du chœur, en vain, l'Abbé SAINT
BLANCARD n'avait pu l'ouvrir, il ne le purent davantage. On alla quérir le
nommé SIMONNET, serrurier de son état qui n'y réussit pas mieux avec la
clé qui lui avait été remise. On lui donna l'ordre de la crocheter, ce
qu'il fit tout aussitôt, donnant ainsi passage à ces Messieurs.
La première impression était celle d'un grand désordre. La serrure du grand cabinet avait été arrachée et les objets du culte, linge, livres et missels gisaient, éparpillés ça et là. Le Curé DORAT et son Vicaire, assistés d'Arnaud LEGLISE et Jean ESTENAVE, Fabriciens de l'Eglise procédèrent alors à un inventaire de tout ce qui pouvait faire défaut. Finalement, il apparut que les voleurs avaient bien tenté de pénétrer dans l'Eglise elle-même, mais qu'ils n'y étaient pas parvenus.
Il s'en
était d'ailleurs fallu d'un cheveu car ils avaient presque réussi à forcer
la serrure de la porte de communication au moyen de la barre de fer
descellée. Mais ils y avaient renoncé; peut-être avaient-ils été
dérangés. Ils s'étaient donc cantonnés dans la sacristie, et procédant à
un tri très avisé, ils avaient négligé tout ce qui n'avait pas de valeur
véritable pour n'emporter qu'une belle croix d'argent.
" quy se plaçoit aussy dans ledit cabinet
(et) quy ne s'y est (plus) trouvée..."
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Après avoir
noté toutes les constatations d'usage sur les
L'Abbé SAINT
BLANCARD déposa :
" que hier, vers les sept heures du soir,
venant du Village de MEDOUC , il rencontra, à deux cents pas du Bourg de
BUDOS, deux hommes étrangers qui portaient chacun derrière eux un gros sac,
et leur ayant demandé ce qu'ils vendoient, comme ils alloient, ils lui
répondirent qu'ils vendoient des épingles et qu'ils venoient au Bourg…."
De son
côté, Bernard COUTURES dit être venu au Bourg le matin " sur le bruit
que l'Eglise... avait été volée " et là, devisant avec quelques
autres, il leur est venu l'idée
" que les auteurs d'iceluy pourraient être
des mendiants ou de ces (gens) communément appelés perraquets qui se
retirent dans la grange de PAUL..."
C'est ainsi
qu'avec deux compagnons, il s'est rendu en ce lieu, où ils ont :
" effectivement trouvé deux de ces
perraquets ( en train de se chauffer dans la maison et) auxquels ils (ont)
demandé sy c'étoit eux quy avaient volé l'Eglise ... A quoy l'un d ' eux
(a) répondu d'un ton de badinage que ouy; (COUTURES) ayant néanmoins
remarqué qu'il (avait) changé de couleur et paru troublé."
Revenus au
BOURG, ces trois hommes firent part aux autres de leur expédition à PAUL et
:
"
ceux-ci les (ont) blamés de ne s'estre pas saisis de ces deux hommes ...
"
Ils repartirent donc vers PAUL, mais cette fois-ci, ils étaient une vingtaine. Chemin faisant, à la hauteur du ROY, ils aperçurent les deux perraquets cheminant sur un sentier à travers les vignes en direction du Bourg. Ils se précipitèrent, les arrêtèrent et les fouillèrent sur le champ:
Ils les ramenèrent au presbytère où ils retrouvèrent l'Abbé SAINT BLANCARD qui reconnut aussitôt les deux hommes qu'il avait rencontré la veille au soir. Sans autres preuves, il affirma qu'ils étaient les coupables.
Les pauvres
perraquets se défendent alors comme de beaux diables, ils n'ont rien fait de
mal, ils sont allés dormir dans
la grange de PAUL et n'en sont sortis que le matin pour aller se chauffer un
peu dans la maison du
métayer avant de repartir.
L'Abbé n'en
démord pas, il faut les mettre en prison, ce qui est fait. On les conduit au
Château. Où on les enferme. Dans le courant de la journée, sur requête du
Procureur d'Office, le remplaçant du Juge confirme l'incarcération et
requiert " qu'ils soient écroués sur le... Registre de Geôle ".
Ceci fait, on attend jusqu'au lendemain Dimanche.
A 8 heures du
matin, LABAT, le geôlier titulaire les extrait de la prison et les conduit
dans une pièce attenante où ils vont être interrogés par les Officiers de
Justice.
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Et d'abord,
qui sont-ils ? L'un s'appelle Pierre ASSAS,
Ils se sont arrêtés chez LAPIN pour acheter pour trois liards de tabac et se sont aussitôt dirigés vers PAUL ou ils ont demandé l'autorisation de dormir dans la grange. Tout cela est confirmé par des témoins . Pour la suite, ils confirment qu'ils ne sont pas ressortis jusqu'au matin et ajoutent qu'ils avaient l'intention de se rendre à BARSAC où ils savaient trouver preneur pour leurs chiffons et où ils devaient retrouver leur troisième compagnon.
Quant au vol,
ils ne l'ont appris que lorsque Bernard COUTURES est venu les relancer, tandis
qu'ils entendaient " sonner le bastraing " .En passant sur des tas
de détails apportés par les divers témoins mais qui ne font pas avancer
l'affaire, on ne peut rien en tirer de plus. Les Officiers de Justice sont
perplexes; on les remet néanmoins en prison.
Mais voilà
que se présente un témoin capital que l'on n'attendait pas. Pierre LAMOULIE,
âgé d'environ 12 ans, Valet chez SAINT BLANCARD ( les Parents du Vicaire ).
Il vient déposer:
" que le jour d'hier,(donc le matin du vol),
environ l'heure du soleil levé, ayant été sur la lande appelée de BUSCATON
mener les juments du Sieur SAINT BLANCARD son Maître, il (a) vu deux hommes
qui courroient en suivant le chemin quy va à BALIZAC et quy (se sont)
arrêtés assez près de luy et qui portaient sur le dos chacun un sac remply
comme font ordinairement les perraquets. L'un d'eux ayant un petit gilet blanc
avec des poches et un autre une veste couleur canelle au sac de l'un desquels,
il crut entrevoir la forme d'une croix. Ce qui fit qu'il leur demanda ce
qu'ils portoient dans ce sac, à quoy il luy fut répondu qu'il n'avoit qu'à
passer son chemin, que sans quoy il ne ferait pas bon pour luy, et ces
deux hommes continuèrent leur route ( tandis que LAMOULIE) s'en
retournait chez son Maitre. Et en ce faisant, il rencontra des particuliers de
(la) Paroisse quy luy dirent qu'on avait volé l'Eglise, et notamment la
croix; tellement (qu'il) ne douta pas dès lors qu'en effet ces hommes qu'il (
a v a i t ) rencontrés s'enfuyant ne fussent les voleurs."
Voilà qui changeait tout. Immédiatement le remplaçant du Juge lança un Décret de prise de corps contre ces deux quidams en donnant leur signalement; décret qui fut aussitôt communiqué aux Juridictions voisines. Mais avec au moins 36 heure d'avance sur le message, ces deux hommes, avec les moyens de diffusion de l'époque, ne risquaient plus grand chose.
De fait, ce
dossier s'arrête là et il y a gros à parier que l'Eglise et les Paroissiens
de BUDOS auront dû faire un deuil définitif de leur belle croix d'argent. Du
moins, cette dernière affaire aura-t-elle eu le mérite de nous mettre dans
l'ambiance d'une affaire " criminelle " telle qu'on la conduisait à
l'époque.
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Réflexions d'ensemble sur la justice seigneuriale:
Un proverbe
local de l'époque énonçait que : " Les juifs se ruinent en fêtes de
Pâques, les Arabes en leurs noces et les chrétiens en procès...", le
dernier point, à tout le moins, était bien observé.
Quelques
figures pacifiques ou conciliantes apparaissent ici ou là, nous en avons
heureusement rencontré quelques unes; nais elles ne représentent qu'une
minorité. A y bien regarder, une bonne part des " arrangements que nous
avons vus se conclure ont été réalisés sous la forte pression
d'évènements contraignants, plutôt que sur la volonté d'un bon esprit de
conciliation.
Combien de
patrimoine ruraux ont-ils fondus dans des procès sans fin ?
Il faut dire que les gens de Justice étaient relativement nombreux, et d'ailleurs, en général, pas tellement aimés de leur entourage villageois, sinon même parfois redoutés. Et comme il leur fallait bien vivre, ils s'ingéniaient souvent à faire rebondir les affaires qui leur étaient soumises en d'interminables procédures dont nous avons eu l'occasion de découvrir quelques exemples.
Etait-ce un
propos délibéré ou bien le fruit d'une simple routine consacrée par
l'usage ? Il est bien diffici1e d'en décider. Toujours est-il que du fait
même de sa complexité, de son formalisme et de sa lenteur, la Justice
Seigneuriale bénéficiait d'une sorte d'aura un peu solennelle qui
renforçait son prestige et son autorité.
Le Seigneur
avait perdu depuis bien longtemps son pouvoir militaire. Même s'il percevait
encore quelques impôts locaux , il avait aussi perdu l'essentiel de son
pouvoir politique au bénéfice de l'autorité royale. Finalement, de sa toute
puissance médiévale, il ne lui restait plus guère que son Droit de Justice,
diminué, certes, en matière criminelle, mais encore bien établi et
incontesté en matière civile.
C'est par sa
Justice que le Seigneur manifestait ce qui lui restait d'autorité sur la
Paroisse. Il y tenait donc beaucoup, surtout lorsqu'il y avait identité
parfaite, comme c'était le cas à BUDOS, entre la Seigneurie, la Paroisse et
la Juridiction.
Le Tribunal
de BUDOS fut supprimé à la fin de 1790. Il tint sa dernière audience le 13
Décembre. Cinq mois plus tard, le Baron De LAROQUE rejoignait l'Emigration,
c'était la fin d'une époque....
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