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Les Ferrand. |
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Histoire d'une famille de meuniers picaresques |
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Jean DARTIGOLLES. |
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Retour à la table des matières. |
Avant propos. |
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Dans l'histoire des DARTIGOLLES, la branche des FERRAND constitue à coup sûr une lignée majeure. Force est pourtant de constater qu'elle est depuis longtemps oubliée de tous et qu'elle n'a pas su ménager sa place au sein de la mémoire familiale. Tout
le monde, chez nous, a entendu parler des MARSAU, une autre branche
capitale, celle qui, sur la Commune de BALIZAC, nous enracine tous, depuis
des siècles, au Quartier de TRISCOS. Et
pourtant, les DARTIGOLLES n'ont jamais été alliés aux MARSAU. Par
contre, ils l'ont été aux FERRAND par le mariage de Pierre DARTIGOLLES
avec Jeanne FERRAND, à BALIZAC, le 14 Juin 1810. Et
c'est parce que cette petite " Nore" ( elle avait 17 ans...) était
elle-même fille d'une Jeanne MARSAU que ces MARSAU sont devenus parents
des DARTIGOLLES. Mais
ce lien a été bel et bien établi par les FERRAND. Or
qui, chez nous, a jamais entendu parler de ces FERRAND ? Personne... et
pourtant ce sont de bien proches parents. La
petite Jeanne FERRAND n'est ni plus ni moins que la Mère de notre arrière
Grand Père Jean de BALIZAC, et elle a vécu assez longtemps non seulement
pour voir le mariage de ce fils avec Léontine mais aussi pour voir la
naissance de leurs trois garçons Albert, Paul et Alexandre. Ce dernier, le plus jeune, avait déjà 2 ans lors du décès de cette Grand Mère, au foyer de ses Parents, dans la maison de TRISCOS.
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On
peut légitimement se demander pourquoi la mémoire familiale a ainsi
rejeté toute trace du souvenir de ces FERRAND. Il semble bien qu'il y ait
quelques raisons à cela. Les
DARTIGOLLES, les MARSAU, les FAURENS et autres alliés étaient, depuis
des générations, de solides laboureurs, sérieux, travailleurs et peu
enclins à la fantaisie. Les
FERRAND étaient tout autres. D'abord,
ils étaient meuniers depuis deux générations, et ceci les rattachait à
un groupe socio-culturel tout à fait spécifique ; ensuite, de Père en
Fils, ils firent montre de certaines libertés d'allure bien étrangères
aux DARTIGOLLES. On
ne vit jamais aucun de ces derniers menacer un Notaire d'une fourche,
s'impliquer dans une querelle après boire ou prendre part au pillage d'un
grenier à grain. Chez
les FERRAND, si.... Et
lorsqu'il eût donné Jeanne MARSAU, sa fille, en mariage à Bernard
FERRAND, Pierre MARSAU ne dut pas tellement apprécier d'avoir à
s'engager dans la voie de procès successifs contre les autres FERRAND
pour récupérer la dot qui lui avait été promise et qui ne lui fut
jamais vraiment payée. Au
jour de sa mort, le 23 Thermidor An II ( 10 Août 1794 ),ce litige était
toujours pendant. Il
n'est donc pas impossible que, plus ou moins consciemment, le souvenir des
FERRAND ait été d'abord occulté puis, le temps passant, purement et
simplement évacué de la mémoire familiale. Industrieux
et travailleurs, certes, ces gens-là avaient dû néanmoins se montrer un
peu trop picaresques pour être jugés fréquentables.... Aux yeux de l'histoire, ils n'en constituent pas moins une branche majeure de notre famille, et à ce titre, doivent se voir rétablir à leur place et faire l'objet d'une étude qui ira de rebondissements en rebondissements. On
a souvent bougé chez les FERRAND, beaucoup plus, à coup sûr que chez
les DARTIGOLLES ou les MARSAU. |
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Chapitre 1. |
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LES FERRAND AU XVIIème SIECLE. |
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Les
documents retrouvés jusqu'à l'heure nous permettent de découvrir
l'histoire des FERRAND à partir des premières années du XVIIéme
siècle. Ces
documents sont rares, mais ils sont sûrs. Ils nous permettent de dresser
un arbre généalogique incontestable à partir du début du règne de
Louis XIII, mais, du moins pour le moment, cet arbre restera à peu près
sec car nous savons très peu de choses sur ces premiers FERRAND, les
premiers du moins que nous connaissions. Et sans être exagérément
pessimiste, on peut avancer que les chances sont désormais bien minces
d'en savoir beaucoup plus. Les
sources locales, sur ce XVIIéme siècle font en effet
cruellement défaut, sous réserve de quelques registres Paroissiaux
heureusement conservés. Elles sont beaucoup plus abondantes pour le siècle suivant et nous permettront, sur cette période, de bien plus larges développements. En remarque préliminaire, nous conviendrons une fois pour toutes d'appeler FERRAND les protagonistes de notre histoire. FERRAND avec un D à la fin de leur nom. Pourtant, trois documents sur quatre, à tout le moins, les orthographient FERRAN, sans D final. Mais
les deux d'entre eux (les seuls) qui sauront écrire au cours du XVIIIéme
siècle, signeront FERRAND. Il est donc logique de les suivre dans cette
graphie et de leur faire confiance, d'autant que cette orthographe est, de
plus, conforme aux transcriptions modernes. |
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Gaston, premier Ferrand identifié. |
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Gaston,
premier FERRAND connu, était né aux environs de 1613. Le lieu de sa naissance n'est pas précisé. On aurait très bien pu penser à NOAILLAN, mais son acte de baptême n'a pu y être retrouvé dans un registre qui existe pourtant, mais si affreusement mal tenu qu'il en est pratiquement illisible. On
ne peut donc vraiment ni confirmer ni infirmer cette hypothèse. Il se
peut en effet très bien qu'il figure sur ce document sans que l'on ait pu
détecter sa présence. Toujours
est-il qu'il vécut indiscutablement à NOAILLAN pendant toute sa vie
d'adulte. I1 y exerçait la profession de "charpentier de
barriques", nous dirions aujourd'hui de tonnelier. Il
s'était marié, comme nous le verrons tout à l'heure, en 1642 ou 43 avec
Marthe GALINEAU en un lieu lui aussi indéterminé. En
effet, le Curé de NOAILLAN de cette époque n'enregistrait que les seuls
baptêmes à l'exclusion des mariages et décès. A
moins qu'il n'ait pris attachement de ces autres évènements sur d'autres
cahiers qui auraient été perdus. C'est néanmoins peu probable, car un
Curé ultérieur, un peu avant la moitié du XVIIIéme siècle
se mit en tête de dresser une Table de tous les actes d'État Civil
enregistrés à NOAILLAN depuis 1603. Il
le fit d'ailleurs fort bien, et d'une écriture remarquablement lisible
(un cas à peu près unique....). Or ce répertoire ne fait lui aussi état
que des baptêmes. On pourrait donc supposer que les registres des
mariages et des décès antérieurs, s'ils ont jamais existé, auraient déjà
été perdus en 1737, date approximative de cet important travail. Marthe
GALINEAU venait on ne sait trop d'où. Probablement pas de bien loin, mais
en tous cas, pas de la Paroisse de NOAILLAN ni même peut-être de ses
environs immédiats. Aucune
famille GALINEAU n'y est recensée et les Curés et Vicaires successifs
qui ont enregistré les actes de baptême de ses enfants et jusqu'à
l'acte de son propre décès n'ont cessé d'orthographier son nom avec la
plus haute fantaisie, montrant bien par là que ce patronyme ne leur était
pas familier. GARINEAU,
GALINE, GALINEY, et même GARIGNAU se succèdent sous leur plume, à telle
enseigne que le choix de GALINEAU que nous avons retenu court le risque d'être
entaché d'arbitraire. mais comme il fallait bien choisir une version,
nous avons retenu, sans autre garantie, celle qui nous a paru la plus
vraisemblable. De
même son nom de baptême n'est-il pas courant. Les Marthe sont très
rares à NOAILLAN, c'est même un cas à peu près unique. Et comme les
filles recevaient systématiquement le prénom de leur marraine, il
faudrait donc trouver ici ou là, dans la paroisse au moins une autre
Marthe, sinon plusieurs autres car on était souvent marraine plusieurs
fois dans sa vie. Or
ces Marthe font défaut. Tout concourt donc à laisser croire, mais sans
pouvoir l'affirmer, que Marthe GALINEAU venait d'une autre paroisse qui
resterait à découvrir. Pour
élucider cette question, il faudrait entreprendre un vaste dépouillement
des Registres d'au moins une dizaine de paroisses sinon bien davantage
pour situer le lieu d'implantation d'un "foyer" de GALINEAU et
espérer que cette localité aurait, de plus, su conserver ses documents
du début du XVII ème siècle, ce qui est rien moins qu'évident. Ce
travail, dont les chances d'aboutir sont bien minces, n'a pas été
entrepris. Faute
de disposer des actes de mariage et de décès, nous pouvons néanmoins
fonder un raisonnement sérieux sur les bases dont nous disposons, savoir
la connaissance des naissances. Les
documents qui nous sont parvenus montrent que Gaston FERRAND et Marthe
GALINEAU ont eu au moins cinq enfants répartis sur une période de dix
sept ans : Jeanne en 1644, Catherine en 1647, autre Jeanne en 1651, Pierre
en 1657 et Bernard en 1661. Or,
compte tenu des conditions de vie de l'époque, il n'est guère
envisageable que Marthe ait pu avoir plus de 38 ans lors de la naissance
de son dernier enfant, le 9 Mai 1661, et ce serait déjà bien tardif. Elle
serait donc née, au plus tôt, en 1623. mais elle n'a pas pu naître
beaucoup plus tard non plus car une telle date de naissance lui donnerait
à peine vingt ans au moment de la conception de son premier enfant né le
30 Juin 1644. Et
vingt ans, c'est bien tôt pour le mariage d'une fille (à moins qu'elle
ne soit orpheline en tutelle) dans un temps où l'âge normal des mariages
féminins se situait entre 23 et 25 ans. Le
mariage un peu tardif, systématiquement pratiqué par nos ancêtres était
le seul mode de contraception réellement efficace qu'ils avaient mis au
point, et il s'y tenaient avec beaucoup de constance. Même
en supposant qu'elle fût orpheline, Marthe n'a guère pu se marier bien
avant dix huit ans. Sa naissance se situerait donc approximativement, et
sans grand risque d'erreur, entre 1623 et 1625 ; et son mariage trouverait
place en 1642 ou au début de 1643. Ce
couple vivait à NOAILLAN, au CHAY de LES NOUGUERASSES, une ferme située
un peu à l'écart, à moins de 200 mètres au sud de la petite route
menant de PEYREBERNEDE à la SAUBOTTE. C'est là que Gaston exerça son métier de tonnelier, c'est aussi là qu'il mourut le 11 Février 1688, âgé, selon le Curé d'environ 75 ans. Il fut inhumé dès le lendemain dans le cimetière de NOAILLAN. Son épouse Marthe lui survécut deux ans et demi et mourut à son tour,
au même lieu, le 25 Août 1690. |
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Carte de situation des moulins. Clic sur l'image pour l'agrandir.. |
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La famille de Jean Ferrand, son fils Pierre. |
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Nous
avons vu qu'entre autres enfants, Gaston et Marthe FERRAND avaient eu un
fils, Pierre, né le 19 Août 1657; c'était l'aîné des garçons. Un garçon
qui s'était d'ailleurs fait attendre puisqu'il ne survint au foyer qu'après
une quinzaine d'années de mariage de ses Parents. Il avait embrassé la
profession de son Père, celle de charpentier de barriques. Il
vivait lui aussi à NOAILLAN, et, demeuré seul à la mort de ses Parents,
devait se marier six mois après le décès de sa Mère, le 25 Février
1691. C'est ainsi qu'il épousa Françoise DUBOURG, fille de Pierre
DUBOURG, établi forgeron à LIGNAN de BAZAS et de Marie LAPUJADE qui
vivait encore à cette date. Le mariage fut célébré à NOAILLAN. On
remarquera qu'il s'agissait pour lui d'un mariage tardif. Il avait en
effet pour lors 37 ans et demi. En un tel cas, on pense toujours à un
second mariage après veuvage. Or
il semble bien que ce ne soit pas ici le cas car l'acte de mariage dressé
par le Curé ROCQUES n'en fait pas état et cette omission doit être
prise avec beaucoup de sérieux. En cas de remariage, les Curés étaient
en effet très attentifs à prendre acte de la dissolution du premier
engagement. En
l'absence de toute référence à un précédent veuvage, il semble donc
bien que Pierre se soit réellement marié avec six ou sept ans de retard
sur l'âge habituel des jeunes gens de son temps. Ce retard se vit encore
plus accusé dans la descendance du couple car il attendit au moins trois
ou quatre ans la naissance de leur fils Jean FERRAND, survenue entre 1694
et 97. Au
résultat de ces divers retards, il se trouva que Jean n'était pas encore
majeur lors du décès de son Père le 8 Novembre 1713, à NOAILLAN, à l'âge
d'environ 61 ans passés. Curieusement,
l'acte de décès précise que Pierre est mort au Bourg de NOAILLAN, "dans
la maison de Jean MARCEAU" et ce n'était probablement pas par
accident car il y a reçu les Sacrements, y compris l'Extrême Onction, ce
qui n'est évidemment pas une preuve, mais ce détail pourrait donner à
penser que Pierre FERRAND pouvait vivre retiré depuis quelques temps chez
ce Jean MARCEAU. Ce
rapide survol du XVIIème siècle nous a ainsi conduit jusqu'à Jean
FERRAND, personnage haut en couleurs que nous allons maintenant découvrir.
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Chapitre 2. |
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HISTOIRE de
Jean FERRAND . (vers 1695 / 1753)
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Jean FERRAND a du naître entre 1694 et 1697, mais cette naissance n'a pu encore être, jusqu'ici, localisée. On peut néanmoins conserver encore un bon espoir de la découvrir un jour, ou du moins de la situer de façon un peu plus précise. Il semble bien qu'il ait passé sa jeunesse à NOAILLAN où il a dû être le témoin de nombre d'événements qui ont agité la vie paroissiale. Car NOAILLAN en ce temps-là est une paroisse qui bouge et surtout une paroisse qui est, sinon riche du moins titulaire de quelques revenus appréciables. Que l'on en juge plutôt : |
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Noaillan une paroisse qui bouge … |
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Le
6 Janvier 1703, jour de la fête de l'Epiphanie, le Curé ROCQUES, " en
présence d'une grande affluence de peuple", baptisait dans son
église paroissiale une cloche destinée à la Chapelle St MICHEL. Ce
n'était certes pas une bien grosse cloche puisqu'elle ne pesait que "six
vingt trois livres" (environ 59 kilos, soit une trentaine de cm
de diamètre), mais il avait bien fallu tout de même trouver l'argent
pour la payer, d'autant que la traditionnelle contribution du Parrain n'était
pas, ici, et de loin, à la hauteur de la dépense. Nous
savons en effet que celui-ci, Bernard TAUZIN , dit BERNARDOT, voiturier
habitant à PEYREBERNEDE avait "aumoné" la Fabrique de
l'Église pour une somme de 18 Livres... C'était peu... Mais
l'année suivante, le Jeudi 11 Décembre 1704, on inaugurait encore le
retable du maître autel, oeuvre du Maître menuisier LASUBLONNIERE pour
un montant de 313 Livres (conforme au devis nous est-il précisé). Au
surplus, seule paroisse à bien des lieues à la ronde, NOAILLAN disposait
d'une horloge publique, et une horloge qui sonnait les heures...! ce dont
les habitants n'étaient pas peu fiers (de nombreux textes en font état).
On se rendra ainsi mieux compte que le jeune Jean FERRAND, sur ses dix
ans, a vécu dans une paroisse nettement plus "prestigieuse" que
ne pouvaient l'être, dans le même temps BALIZAC, LEOGEATS ou St LÉGER
par exemple Mais au début de son adolescence, il allait vivre un épisode devant lequel ses contemporains, à quelque paroisse qu'ils appartiennent, allaient se trouver passablement démunis. Ce fut l'épreuve du grand hiver de 1709. La mémoire collective en fut si profondément marquée que l'on en parlait encore, plus d'un siècle plus tard, sous la Restauration. |
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Le grand hiver 1709. |
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Après
un vent violent soufflant en bourrasques, le 6 Janvier, la température
tomba brusquement à -15° et pendant dix sept jours d'affilée, elle se
maintint, vaille que vaille entre -19 et -24°. Dans
nos pays, il y eut jusqu'à 60 et 70 centimètres de neige. Et lorsque le
plus fort de la crise fut passé, vers le 23 Janvier, les températures
n'en restèrent pas moins négatives pendant encore un mois. Il fallut
attendre le 23 Février pour voir le thermomètre remonter au-dessus de zéro. L'épreuve
fut terrible. On rapporte que devant CADILLAC, BARSAC et PREIGNAC, on
marchait à pied et à cheval sur la GARONNE gelée. On
rapporte également, mais ici les sources sont moins sûres, qu'à la
suite d'un pari, deux hommes auraient relié BORDEAUX à TOULOUSE en
marchant sur le fleuve pris par les glaces. Ce
qui, par contre, est bien établi, c'est que le vin gelait dans les
bouteilles ainsi que l'encre dans les encriers. Plusieurs livres de raison
en font état. De même fallut-il prévoir dans les églises de petits réchauds
à charbon de bois pour dégeler le vin de messe... Est-il besoin de préciser
que, très vite, la disette s'installa, en ville d'abord, mais bientôt
aussi jusque dans le fond des campagnes. Les
chênes éclatèrent sous l'effet du froid et les pins gelèrent, eux
aussi, sur pied, phénomène que l'on devait revoir en 1985 sur les pins
issus de graines portugaises. Mais
en 1709, la catastrophe s'abattit sans distinction sur tous les pins
maritimes indigènes, les seuls évidemment connus en ce temps-là. Les
vignes connurent également d'énormes dégâts nécessitant des
arrachages massifs. Dans un pays si dépendant de la résine et du vin, ce
fut un immense désastre. Le petit peuple des journaliers et même des
laboureurs plus aisés connut là des temps bien difficiles. La mémoire
des contemporains, nous l'avons dit, en fut marquée pour des générations. Issu d'une famille de tonneliers par son Père et de forgerons par sa Mère, Jean FERRAND adolescent prit une toute autre orientation. Il apprit le métier de tisserand. C'est en cette qualité que nous le voyons aborder le mariage le 4 Février 1721. |
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Mariage de Jean Ferrand. |
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Pierre
FERRAND et de Françoise DUBOURG qui, elle, était toujours vivante. Il
se dit alors "tisserand de cette paroisse" ce qui
confirme bien à la fois et son métier, et son appartenance à NOAILLAN.
Sa jeune épouse, Marie DUBEDAT, n'avait pas encore tout à fait 22 ans.
Elle était née le 23 Mai 1699 à LEOGEATS, fille de Jean DUBEDAT, dit
CAPBLANC, ancien boucher du lieu, mais déjà décédé, et de Marie
SARRAUTE également défunte. Elle était donc orpheline de ses deux
Parents. C'est
peut-être ce qui explique que ce mariage ait été célébré à NOAILLAN,
et non seulement le mariage d'ailleurs, mais aussi les fiançailles qui
l'avaient précédé. Manifestement,
cette jeune Marie, qui habitait pourtant LEOGEATS sans contestation
possible, semblait bien n'avoir plus beaucoup d'attaches familiales dans
sa paroisse d'origine. |
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La profession de boucher. |
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La
jeune Marie était donc issue d'une famille de bouchers car on trouve
d'autres DUBEDAT à LEOGEATS ayant exercé la même profession. Une
profession très réglementée et placée sous la surveillance constante
des Officiers de Justice seigneuriaux. Les
boucheries, peu nombreuses en nos contrées appartenaient toutes aux
Seigneurs locaux et faisaient l'objet de baux à ferme concédés par
contrat. Cette activité était protégée par un privilège féodal et
nul ne pouvait ouvrir un tel commerce à sa convenance. Mieux
encore, les prix de vente de la viande au détail étaient rigoureusement
taxés, le boeuf à 7 sols la livre, la vache grasse à 6 sols, le veau et
le mouton à 10 sols et la vache maigre à 4 sols la livre. Par
contre, et c'est pour le moins curieux, le tarif ne tenait aucun compte de
la qualité des morceaux à l'intérieur d'un même animal.... Un souci
constant des contrôleurs était celui de la publicité du commerce. Tout
devait se passer au grand jour. En toutes saisons, la viande devait être
exposée à la vue de tous afin qu'aucune substitution de qualité ne soit
possible. Il
advint une fois qu'un boucher de LANDIRAS prit prétexte du harcèlement
des mouches pour retirer sa viande dans la pénombre de sa boutique. L'objection fut purement et simplement balayée, l'exposition à la vue à LANDIRAS comme ailleurs devait l'emporter sur toute autre considération : "lorsque lesdits bouchers tueront des boeufs, ils seront tenus de les exposer à la boucherie, même le cartier, le nerf tenant, et que toutes lesdites fois qu'ils tueront des boeufs, ils en prendront le Certificat des Officiers (de Justice) pour le rendre notoire au Bourg de LEUGEATS les Dimanches et Fêtes..." Au
surplus, les abattages devaient s'effectuer : "aux
boucheries affectées pour ce faire et non dans leurs maisons... " Ajoutons enfin que ces bouchers devaient servir en priorité les habitants de la Seigneurie et ne vendre de leur viande aux "étrangers", s'il leur en restait, que lorsque les besoins locaux étaient satisfaits. Ils encouraient une amende de 50 Livres s'ils vendaient : "aux
étrangers (avant) que lesdits habitants de NOAILLAN et LEUGEATS n'ayent été
pourveus." C'était,
on le voit bien, une profession très contrôlée. Il en allait d'ailleurs
de même pour les boulangers, ainsi que pour les meuniers. Nous aurons
l'occasion de le voir un peu plus tard au fil de notre récit. |
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La famille de Jean Ferrand. |
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Voilà
donc Jean FERAND et Marie DUBEDAT mariés et installés à NOAILLAN. Deux
ans après ce mariage leur vint un premier enfant, Etienne, le 7 Mars
1723. Cet Etienne, l'Aîné, sera à l'origine de notre branche familiale.
Il ne faudra surtout pas le confondre avec un autre Etienne, son frère Cadet qui ne verra le jour que beaucoup plus tard, en 1738 mais tiendra néanmoins une place importante dans les démêlés de la famille; nous le retrouverons, lui aussi, en son temps.
Le
baptême d'Étienne, le premier né, mérite de retenir l'attention. La
qualité du Parrain est tout à fait exceptionnelle puisqu'il s'agit de Me
PERROY, Notaire Royal à NOAILLAN, lequel, l'expérience le montre,
n'accordait pas son patronage de façon très libérale. Ce
choix, et surtout cette acceptation semble indiquer que cette famille
FERRAND pouvait avoir, dans la paroisse une petite notoriété fondée sur
une motivation restant à découvrir. Et
cette impression va être confortée lors de la seconde naissance, celle
de Jeanne, née le 12 Juin 1726. Le baptême est célébré le lendemain,
et la Marraine est "Demoiselle Jeanne PERROY", la fille
du même Notaire tandis que le Parrain est un autre notable local, Pierre
Antoine CAZALET. Cet
acte offre une particularité rare, celle d'avoir recueilli les deux
signatures, celle du Parrain et de la Marraine. Si l'on trouve environ un
parrain sur dix sachant signer, on ne trouve guère qu'une marraine sur
cinquante, et encore, en étant très optimiste. Nous
retrouvons donc bien là un nouveau signe du niveau de ces relations
sociales qu'entretenait ce jeune couple FERRAND dans la Paroisse. Et
cette observation est d'autant plus curieuse qu'elle sera sans lendemain
car, dès que la famille aura quitté NOAILLAN pour s'établir à
VILLANDRAUT, les parrains et marraines des enfants qui suivront seront de
braves gens du petit peuple, des amis, des collègues de travail, etc...ne
bénéficiant d'aucune distinction sociale particulière. Il
s'est donc passé quelque chose à NOAILLAN; quelque chose qui a mis cette
modeste famille de tisserands locaux en position un peu privilégiée par
rapport aux autres paroissiens du village. S'est-il agi de reconnaissance
pour un service rendu ou de toute autre cause, on ne saurait le dire, mais
le fait est bien réel et n'a été, au surplus, que temporaire. La
vie s'écoulait ainsi, à NOAILLAN, faite, au hasard des jours, de mille
faits divers qui mobilisaient l'opinion. C'était, par exemple, le gros
orage du 30 Août 1727, un samedi. |
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Il
ne fut pas plus dévastateur qu'un autre, mais il fut meurtrier, et c'est
bien cela qui frappa les esprits. Il
passa sur NOAILLAN, LEOGEATS et FARGUES. La foudre tombait de tous côtés.
Trois hommes de FARGUES furent surpris sur leur chemin près du Hameau de
CENSES sur le territoire de LEOGEATS. Ils se mirent à l'abri sous un arbre. Mal leur en prit, la foudre les frappa, deux en moururent dans l'instant, le troisième fut épargné. La nouvelle bouleversa tout le pays. On en retrouve l'écho dans le Registre Paroissial de FARGUES dans lequel le Curé MINVIELLE ne se contente pas de dresser l'acte de décès mais raconte l'évènement: " Jean DUSAN, âgé de cinquante ans, époux de Jeanne LUBAC et Jean TREMBLET, âgé de vingt huit ans, époux de Jeanne PAMIERS, se trouvant sous un arbre près du Village de SENCES dans la Paroisse de LEUJAS le trente Août 1727, la foudre leur tomba dessus et les tua sur le moment. Il y avait un autre garçon avec eux qui ne fut qu'un peu maltraité et guérit bientôt. Leurs
corps furent ensevelis le trente et un du même mois dans le cimetière de
cette Eglise. " On
pourrait aussi parler du long hiver de 1729. Le froid s'abattit sur le
pays trois jours après la Noël, le 28 Décembre 1728 et se maintint sans
désemparer jusqu'au 26 Janvier suivant. Certes,
on fut très loin d'atteindre les records de 1709, mais l'intempérie fut
suffisante pour causer de gros dégâts dans les vignes blanches qui gelèrent
dans leur bois. Les
rouges furent relativement épargnées, on ne sut trop pourquoi, mais la
chose est sûre. Ici encore, l'opinion en fut vivement émue. Que devient Jean FERRAND dans tout cela ? |
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Jean Ferrand devient meunier. |
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Il
vit bien sûr ces évènements au quotidien, mais nous aimerions en savoir
davantage sur son sort personnel et celui de sa famille dans une période
qui va se révéler capitale pour sa nouvelle orientation. Or, de 1726 à
1731, nous ne disposons d'aucun texte le concernant. C'est pourtant à ce
moment-là qu'il abandonne sa profession de tisserand pour devenir meunier
et qu'il quitte NOAILLAN pour s'installer à VILLANDRAUT. En
effet, le 21 Septembre 1731, le couple voit naître un troisième enfant,
une fille, Marie qui naît à VILLANDRAUT. Si la profession de son Père
n'est pas précisée dans son acte de baptême, nous noterons tout de même
que le Parrain choisi est Jean BOIREAU, originaire de BUDOS, dont nous
savons par ailleurs, que depuis quelques temps, il est devenu fermier du
moulin de VILLANDRAUT. Nous
voilà donc, pour la première fois, par personne interposée, avec un
pied dans la meunerie.... Le métier de tisserand avait dû être jugé
bien sédentaire et surtout bien monotone par un homme du tempérament de
Jean FERRAND, de ce tempérament qui allait se révéler dans les années
qui allaient suivre. Rester
assis à son métier toute la journée avait dû lui être bien pénible...
Peut-être
ne faut-il pas chercher plus loin les motifs de sa reconversion
professionnelle. Il
semble que Jean FERRAND ait commencé à travailler au moulin de
VILLANDRAUT vers la fin Août 1731. Dès lors, il serait venu habiter
cette paroisse, et c'est ce qui expliquerait la naissance de sa fille en
ce lieu au mois de Septembre de la même année. En tous cas , c'est fin
1731 ou au début de 1732 au plus tard que Jean BOIREAU, le Parrain de sa
fille Marie lui céda la sous-traitance de la ferme de ce moulin. Un acte du 23 Janvier 1736 nous le dit très clairement : "il
y a environ quatre ans que ledit BOIREAU luy sousferma ledit
moulin..." A
partir de ce moment-là, les choses devraient être parfaitement limpides
car les contrats de bail à ferme portant sur les moulins exigeaient une résidence
effective du meunier sur les lieux de son travail. Limpides
? voire, car en fait, elles ne le sont pas tellement. Voilà
en effet qu'à l'occasion d'un procès engagé devant le Tribunal
Seigneurial de NOAILLAN, le 24 Septembre 1733, Jean FERRAND est dit
marchand meunier à NOAILLAN ... Qui
croire ? et que penser ? D'autant que, nouvelle contradiction, trois jours
plus tard, le 27 Septembre, le couple accueille la naissance d'un jeune
Bernard, né à VILLANDRAUT, et qui reçoit, pour bien équilibrer le système,
un Parrain de NOAILLAN et une marraine de VILLANDRAUT... S'il
fallait absolument prendre position dans ce débat, nous serions tenté de
dire qu'en Septembre 1733, Jean FERRAND était incontestablement "
marchand meunier " puisque tout le monde le dit, y compris
le Juge de NOAILLAN, mais qu'il habitait bel et bien à VILLANDRAUT, n'en
déplaise au même Juge, et très probablement, d'une façon plus précise
au moulin de ce lieu. D'ailleurs
il s'agit d'un procès qui a beaucoup traîné en longueur et il est bien
possible que Jean ait effectivement habité NOAILLAN au moment où il fut
engagé. Il
nous faut en effet toujours garder en mémoire la longueur de ces actions
en justice civile seigneuriale. Celle-ci opposait Jean à une certaine
Françoise MOURA pour une dette de 9 Livres et 3 sols et nous n'en avons
connaissance qu'au moment du jugement, lequel donne raison à FERRAND sans
que nous sachions pour autant depuis combien de temps l'affaire était
engagée. Ce
qui est certain, c'est que le règlement définitif n'interviendra que 15
ans plus tard, le 19 Février 1749 lorsqu'Arnaud DUBERGEY, dit PIFRAYRE,
fils de la perdante entre temps décédée, finira par s'acquitter de
cette dette. Il
est donc bien possible que Jean ait habité NOAILLAN lorsque la procédure
fut engagée et que cette domiciliation ait été maintenue dans le
dossier jusqu'au jugement final de 1733 alors que les FERRAND avaient déjà
émigré vers VILLANDRAUT depuis déjà deux ans. Il n'y a rien
d'invraisemblable à cela. Quelques
mois plus tard, le 4 Juin 1734, Jean achète un petit bien à NOAILLAN au
quartier de POUTCHEOU, à un kilomètre environ au sud de PEYREBERNEDE,
tout près du hameau du CHAY où avaient vécu ses Parents. Il
s'agissait à coup sûr de peu de chose puisque la valeur n'en excédait
pas 60 Livres ; nais cet achat est néanmoins significatif. La situation
de fermier d'un moulin était précaire. Le bail, à la fin du contrat,
pouvait très bien ne pas être renouvelé. Ainsi
verrons-nous Jean FERRAND assurer ses arrières en se ménageant une ligne
de repli, et ce sera presque toujours à NOAILLAN, sans jamais beaucoup s'écarter
de son hameau d'origine. Nous retrouverons tout au long de sa vie d'autres
acquisitions du même type, et ses enfants eux-mêmes poursuivront la même
politique et, à très peu près, dans les mêmes parages. |
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Sous-ferme du moulin de Villandraut.
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Lorsque
Jean FERRAND avait pris la sous-ferme du moulin de VILLANDRAUT, le fermier
titulaire du bail était un certain Jean BOIREAU qui était de BUDOS. En
fait, ce Jean BOIREAU habitait PUJOLS, et on ne voit pas très bien
pourquoi il est dit " de BUDOS "; rien de très
surprenant en cela au demeurant car les BOIREAU de BUDOS ont tous leurs
racines au Quartier de CAUSSON, à moins de cent mètres de la limite des
deux paroisses et d'innombrables liens familiaux se sont noués au fil du
temps entre les familles relevant de l'une et de l'autre communauté. Jean
BOIREAU avait soumissionné pour la ferme " de tous les
fruits et revenus de la terre de VILLANDRAUT ", et il
l'avait obtenue pour neuf ans au prix de 1900 Livres pour chacune des années.
Cette ferme portait sur des maisons, des métairies, des vignes, des
jardins, des prairies, un droit de péage, la perception des cens et
rentes seigneuriales, les revenus des bois taillis, de la résine des
pins, et enfin sur l'exploitation du moulin et l'exercice du droit de pêche
dans le BALION. Le
bail en fut passé à BORDEAUX devant Me BONNEAU le 17 Juillet 1731, au
nom et pour le compte de Messire Jean ZACHARIE de la FAURIE qui était
pour lors Seigneur de VILLANDRAUT. Il
habitait PARIS où il était Président de la Cour des Aides. Sitôt
son bail souscrit, Jean BOIREAU se mit à le détailler en toutes sortes
de sous-fermes partielles dont le total des redevances dépassait évidemment
les 1900 Livres du contrat principal ; la différence obtenue devait
constituer son bénéfice. BOIREAU
et FERRAND étaient assurément en bons termes au moment de la conclusion
de leur contrat portant sur le moulin (Août 1731), la preuve en est que
les FERRAND le choisirent pour Parrain de leur petite Marie qui allait naître
quelques semaines plus tard (21 Septembre 1731). Il avait été convenu que FERRAND prenait la gestion du moulin pour quatre ans mais que BOIREAU conserverait la responsabilité des travaux d'entretien et d'aménagement nécessaires à sa bonne marche. En particulier, il s'était engagé: "à
faire racomoder et mètre en estas non seulement les murs de fondement
dudit moulin, mais encore ceux de l'échac (le déversoir)." Or,
le sort en décida autrement, Jean BOIREAU devait malencontreusement
mourir peu après, laissant sa femme veuve en charge d'enfants mineurs
mais très probablement adultes. Quoi qu'il en soit, ses ressources ne lui permirent pas de s'engager dans les travaux qu'avait promis son défunt mari. Le temps passant, les installations du moulin ne cessaient de se dégrader : "les
murs de fondement sont dans un très grand désordre, quasi éboulés, y
ayant des fuites par où la plus grande partie de l'eau de la gourgue ou
bassin dudit moulin se perd faute desdites réparations... La privation
desdites eaux, ... la majeure partie du temps empêche et prive les meules
de manœuvre. " Le
23 Janvier 1736, Jean FERRAND, dans un acte passé devant Me PERROY,
Notaire à NOAILLAN, sommait Jeanne DUBEDAT, Veuve de Jean BOIREAU et désormais
titulaire de la ferme générale, de faire exécuter ces travaux. |
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Comment sortir d'une situation bloquée.
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Jean
ne devait pas entretenir beaucoup d'illusions sur la capacité de cette
pauvre femme à mener à bien une telle entreprise, mais il lui fallait
absolument se couvrir vis-à-vis du Seigneur propriétaire, car sur une
crue un peu forte (et n'oublions pas que nous étions au coeur de l'hiver)
tout l'appareil du barrage pouvait être emporté en un instant. Il en va d'un
barrage comme d'un château de cartes, sur un pan de maçonnerie emporté,
tout l'édifice peut s'effondrer dans le courant de la chute. On n'aurait
pas alors manqué de dénoncer la passivité du meunier, lui reprochant de
ne pas être intervenu avec assez de vigueur auprès de ceux qui étaient
en charge de ces travaux indispensables. Et
c'est bien pour cela que Jean FERRAND va donner à son acte de sommation
une solennité toute particulière en choisissant des témoins particulièrement
éminents Me Jean Baptiste PERROY, Procureur d'Office du Tribunal de
NOAILLAN, et Etienne Augustin PERROY, greffier du même Siège, gens tout
spécialement qualifiés pour attester de son insistance à faire exécuter
ces travaux. Mais
Jean était un pragmatique, dans le même temps où il prenait ses précautions
sur le terrain juridique, il entrait en négociation avec le Fondé de
Pouvoirs de la Dame de VILLANDRAUT, entre temps devenue Seigneuresse et
allait lui proposer un solution fort astucieuse. La
situation pouvait se résumer comme suit : il fallait de l'argent, et très
vite, pour consolider une installation qui allait partir au fil de l'eau. Jeanne
DUBEDAT, Veuve du fermier n'en avait manifestement pas ; Ferrand en avait
peut-être, mais ces travaux ne lui incombaient pas et il savait très
bien que s'il en faisait l'avance, tout le monde trouverait cela très
bien, mais qu'il n'en serait jamais remboursé ; restait la Dame de
VILLANDRAUT, Seigneuresse, vivant bien loin de là, ignorant tout du pays
et qui ne s'intéressait qu'à la perception des revenus du domaine, nets
de tous frais et de tous soucis. Qu'on
n'aille surtout pas lui parler de prélever une fraction de son revenu
pour procéder à un investissement quelconque ! Bref, le blocage était
complet. Alors que faire ? Et c'est là que l'on voit Jean FERRAND négocier
une solution ingénieuse avec le Sieur DESMOULINS, Fondé de Pouvoir de la
Dame. Ces
pourparlers aboutissent à un accord signé le 29 Février 1736. DESMOULINS : " permet
à Jean FERRAND, meunier du moulin de VILLANDRAUT, de vuider le ruisseau
dudit moulin (le BALION) pendant le Caresme et d'y prendre le poisson qui
s'y trouvera et le vendre là où bon lui semblera, sous les conditions
qu'il s'est chargé de faire faire toutes les réparations utiles et
nécessaires audit moulin, au moyen de la présente autorisation de
pêche. " Il
était par ailleurs convenu que l'on examinerait plus tard les points de
droit pour déterminer dans quelles conditions la Veuve B0IREAU porterait
ou non la charge des travaux. Il
fallait de l'argent, et on allait en avoir, et tout de suite, car cette
année-là, le Mercredi des Cendres était tombé le 14 Février et l'on
était déjà en plein Carême. Le poisson allait se vendre dans les
meilleures conditions. Par
ailleurs, la solution était astucieuse en ce que le revenu de la pêche,
privilège du Seigneur, était irrégulier. On
ne pêchait pas tous les mois, ni même toutes les années; si bien que la
Dame de VILLANDRAUT ne verrait pas son revenu habituel amputé de quoi que
ce soit et qu'elle financerait, sans le savoir au moins l'avance du prix
des travaux nécessaires. Le
même jour 29 Février 1736, Jean FERRAND et la Veuve se retrouvaient dans
la maison de Me Pierre CAZALET, le Doyen des Chanoines de VILLANDRAUT, et
en présence de Me PERROY et de témoins ici encore particulièrement
qualifiés, ils vont remettre leur situation entièrement à plat. Au
nombre de ces témoins, figure Me Jean MARTI.NAUD qui n'est autre que le
Juge du Tribunal de VILLANDRAUT. il s'agit donc d'une affaire d'une
particulière importance. Il
est convenu que, dans l'immédiat, après déduction des frais de filets
et des gages des pécheurs, la Veuve BOIREAU et Jean FERRAND se
partageront journellement le revenu de la pêche. Pour prendre ce poisson, il faudra vider l'étang, et de ce fait, le moulin sera mis en chômage. Le manque à gagner correspondant sera, lui aussi, partagé par moitié. Enfin : " ladite
DUBEDAT (Veuve BOIREAU) et ledit FERRAND, feront réparer toutes les
murailles basses qui en auront besoin..., l'arceau (c'est-à-dire la voûte)
et généralement tout ce qui sera nécessaire tant à l'échac qu'au dit
moulin, le tout avec ciment, chaux, et fourniront tout le bois nécessaire
tant pour les pelles du moulin que de l'échac (c'est-à-dire le déversoir),
lesquelles dépenses, tant pour la main des ouvriers que (pour les) matériaux,
se feront par moitié entre eux... " Ce
n'est pas tout. On peut considérer que tout ce qui vient de se décider là
apure le passé, mais il reste à régler les dispositions utiles pour
l'avenir. |
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La situation de Jean Ferrand se clarifie.
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La
Veuve renouvelle la délégation de son bail à FERRAND jusqu'à son terme
normal, soit pour quatre ans encore, moyennant le prix de 900 Livres par
an. Mais cette fois-ci, c'est FERRAND qui prendra l'entretien à sa
charge. Il fera : " toutes
les réparations nécessaires au moulange dudit moulin sans les pouvoir répéter
contre ladite DUBEDAT " Il
est également convenu que FERRAND aura la disposition du pré qui est
au-dessous du moulin et d'une chambre près du Château, derrière la
Garenne, pour y loger son foin, à charge toutefois d'y effectuer à ses
frais les réparations nécessaires. Nous
n'entrerons pas davantage dans le détail de ces conventions, mais nous
retiendrons essentiellement que Jean FERRAND est désormais bien implanté
dans ce moulin de VILLANDRAUT, lequel va enfin pouvoir fonctionner
normalement au lieu de vivoter à la petite semaine comme il l'avait fait
jusqu'à l'heure. Ce
moulin tourne, mais Jean FERRAND ne limite pas son activité à la seule
paroisse de VILLANDRAUT. Il a aussi des clients à NOAILLAN. L'un
d'entre eux, un certain DUBOURG, n'a pas payé sa Taille en 1735. Jean
DELOUBES, Collecteur de l'impôt à NOAILLAN pour cette année-là apprend
qu'à la suite d'une transaction commerciale, FERRAND doit de l'argent à
ce DUBOURG. Tout
aussitôt, le 9 Avril 1736, il fait consigner cette somme entre les mains
de FERRAND en invoquant le privilège des "deniers royaux".
Les
créances de l'impôt l'emportaient sur toutes les autres, FERRAND ne
devra donc plus se dessaisir de cet argent jusqu'à ce que son créancier
DUB0URG ait payé sa Taille; à partir de la saisie conservatoire qui lui
est signifiée le soir même, il devient comptable de la somme due. |
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Jean Ferrand
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Le
16 Juillet 1736, il achète en ce lieu six planches de jardin au quartier
de POUTCHEOU, très précisément au lieu-dit la "HOUN de la MOTHE".
A quelques centaines de mètres près, voire beaucoup moins, tout cela se
situe toujours dans les parages du CHAY et de PEYREBERNEDE dont nous avons
déjà parlé et que nous retrouverons encore. D'ailleurs,
ce jardin touche, à l'est, à un autre bien qui appartient déjà à
FERRAND. L'achat
est de peu d'importance, 60 Livres, mais il montre bien que l'implantation
de la famille au moulin de VILLANDRAUT ne lui a pas pour autant fait
perdre de vue ses intérêts à NOAILLAN. Sur
ces 60 Livres, il en règle 18 comptant, le solde devant être réglé à
terme en Février suivant (1737) sans intérêt, et avec intérêt au taux
de 5% au delà de cette date. On notera que Jean n'attendit pas l'échéance
prévue pour régler les 42 Livres restantes. Dès
le 23 Octobre, il s'acquitta du solde en une seule fois. La somme est
modeste, mais le geste est tout à fait significatif. Il n'était
absolument pas d'usage de régler une dette avant son terme si aucun intérêt
n'était en jeu. Il était même de bon ton de payer le plus tard
possible, même au risque de frais supplémentaires. Le
moindre signe d'aisance financière dans une famille pouvait avoir des
conséquences notables sur le montant de sa Taille l'année suivante. Il
fallait que chacun ait l'air plus pauvre que son voisin ; et ce misérabilisme
généralisé a eu de graves conséquences sur la vie rurale de époque,
en bloquant littéralement la consommation et, partant, une bonne part des
échanges économiques. Dans
cet esprit, la première règle consistait à se faire tirer l'oreille
pour payer es dettes, même lorsque la situation du moment permettait de
le faire sans problème. Et pourtant Jean FERRAND règle la sienne avec
quatre mois d'avance. Pourquoi
? A
l'évidence parce qu'il en avait les moyens, bien sûr, nous l'avons dit ;
mais explication est un peu courte et la vraie réponse n'est pas évidente.
On
peut toutefois avancer quelques hypothèses. peut-être parce qu'il était
meunier et que le prix de sa ferme était connu, il n'avait donc rien à
cacher et n'avait nul besoin se livrer aux dissimulations plus ou moins
maladroites du commun des laboureurs. Cela pouvait lui donner une certaine
liberté d'allure que les autres n'avaient pas. A
cela, on pourrait objecter qu'il était également propriétaire foncier
à Noaillan et que des signes de prospérité étalés à VILLANDRAUT
pouvaient donner des idées aux Collecteurs de Taille de la paroisse
voisine. Cette
objection n'est pas à retenir car Jean bénéficiait de la règle dite du
"feu vif". Cette
règle, fondée sur une Déclaration Royale de 1728 autorisait les
Taillables à ne côtiser à l'impôt que dans la seule paroisse où ils
avaient élu domicile, à l'exclusion de toutes les autres. Toute
un jurisprudence des Cours de Justice a confirmé cette position tout au
long du XVIIIème siècle bien qu'elle ait donné lieu, maintes fois, à
de notables abus. Tel
laboureur qui avait de grands biens dans une paroisse et une maison sur un
modeste lopin de terre dans la paroisse voisine, ne manquait pas de fixer
son domicile (son "feu vif") dans la seconde en y
acquittant un impôt dérisoire sans que l'on puisse rien lui réclamer
pour ses autres propriétés. Cette
jurisprudence s'appuyait sur l'idée que la Taille avait un caractère
personnel et s'attachait au taillable, là où il était, et non à ses
biens, où qu'ils puissent être. Or,
incontestablement, Jean FERRAND entretenait son feu vif au moulin de
VILLANDRAUT et, de ce fait, n'était pas imposable à NOAILLAN quelques
biens qu'il ait pu y détenir. Aussi
est-il bien possible que payant sa Taille sur son activité meunière dont
l'assiette était connue, il ait eu vis-à-vis des Collecteurs l'attitude
indépendante d'un homme qui n'a rien à cacher. Ceci expliquerait en tous
cas qu'à l'encontre de tous les usages locaux, il ait pu régler une
dette, même modeste, avant son échéance, simplement parce qu'il en
avait les moyens. Jean FERRAND conduit son commerce avec énergie et compétence. I1 rencontre quantités de problèmes et notamment d'impayés qui débouchent souvent sur des procès. Mais en vertu des usages que nous venons d'évoquer, ce n'est pas une raison parce que l'on a gagné un procès pour que l'on soit payé pour autant de son dû. FERRAND en fait souvent l'expérience. |
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Encore un procès.
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Ainsi
est-il en litige avec un certain Jean LABARBE contre lequel il a obtenu
une condamnation du Tribunal de VILLANDRAUT le 30 Janvier 1738. LABARBE
lui doit 14 Livres majorées de 9 Livres de dépens et il ne s'exécute
toujours pas. Dans l'après midi du 4 mai, dans le Bourg de St LEGER, Jean
FERRAND rencontre Me GERMAIN, qui est Notaire à PRECHAC. C'est l'occasion de régler cette affaire. FERRAND a appris que Jean COUTURES, hôte à VILLANDRAUT est débiteur de LABARBE pour le prix de deux barriques de vin et que, mieux encore, il en détient deux autres lui appartenant. C'est pourquoi, devant le Notaire : " (il)
s'oppose par le présent acte à ce que ledit COUTURES ne fasse le
payement du prix des dites deux barriques de vin ny ne se dénantisse des
autres deux ny des fûts de celles qu'il a acheté au-dit LABARBE avant
qu'il n'ait été payé de son deû tant en capital qu'en
accessoire..." Ce
n'est ni plus ni moins qu'une saisie conservatoire comme on pourrait en
rapporter tant d'autres. Mais
il est intéressant de bien souligner une fois encore cette tendance générale
à différer autant qu'il se pouvait le règlement des dettes, même les
plus modestes. C'était, en ce temps-là, une plaie de la vie économique
en milieu rural. Le
27 Juin 1738 naissait chez les FERRAND un nouvel enfant, toujours au
moulin de VILLANDRAUT. Ce fut un autre Etienne, qui reçut pour Parrain
son propre frère aîné, l'autre Etienne, premier né de la famille et
qui avait maintenant quinze ans et trois mois. Une
demi génération séparait donc ces deux frères, et nous les verrons par
la suite entretenir entre eux des relations très suivies et souvent
passablement orageuses. Sur les sept enfants qui naîtront de ce couple,
seuls ces deux Etienne atteindront l'âge adulte et auront à leur tour
une descendance. Chacun
à leur manière, ils reprendront la tradition de leur Père Jean en
menant une vie pleine de rebondissements. Le
moulin de VILLANDRAUT rénové était un bel outil de travail, bien équipé,
bien situé et bien achalandé. Nous
avons déjà vu que Jean FERRAND avait des pratiques sur les deux rives du
CIRON. C'était un homme entreprenant, et son commerce le conduisait fréquemment
sur les marchés aux grains de BAZAS et de LANGON. Mais
ici, il rencontrait un obstacle majeur qui freinait singulièrement son
activité et provoquait son mécontentement, c'était la difficulté que
l'on trouvait à franchir le CIRON. |
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L'obstacle du pont de Villandraut.
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Cette
rivière a toujours été difficilement guéable, et elle le serait
d'ailleurs encore tout autant si l'on s'avisait de vouloir la franchir de
nos jours de la même manière. Les gués n'étaient réellement
praticables qu'en période de basses eaux pendant environ quatre mois par
an. Le reste du temps, il fallait recourir aux ponts. Or, ceux-ci étaient
rares, un à CAZENEUVE, un à VILLANDRAUT et un à PREIGNAC. En
dehors de ces points de passage, il n'y avait que quelques passerelles, au
demeurant peu nombreuses, limitées aux piétons, aux cavaliers et aux
animaux de bât. C'était le cas, par exemple du Pont d'AULAN, au lieu-dit
du même nom, entre les Paroisses de BUDOS et de BOMMES. Il
s'agissait de simples passerelles en bois lancées et entretenues par les
Seigneurs locaux Or,
le pont de VILLANDRAUT avait connu bien des misères. Il s'agissait d'un
bel ouvrage en pierre à quatre arches franchissant la rivière à moins
d'une centaine de mètres en amont du pont actuel. Pendant
les guerres de religions, en 1592, une troupe en retraite, après avoir
assiégé le Château, avait .fait sauter ce pont dont il ne restait plus
que deux piles, la troisième ayant basculé dans l'eau vers la rive
droite. Depuis
lors, les habitants avaient rétabli une situation provisoire, vaille que
vaille en jetant sur les maçonneries subsistantes deux tabliers
successifs de rondins de pin sur lesquels on avait fixé un plancher très
sommaire. Ce
provisoire durait depuis bientôt 150 ans... Bien entendu, il avait fallu
revoir cet ouvrage à plusieurs reprises au fil du temps; mais la
situation avait nettement empiré au début du XVIIIème siècle. Après
le grand hiver de 1709, la quasi totalité des pins du pays étaient morts
et avaient dû être coupés, nous avons déjà évoqué cette
catastrophe. Les quelques grands pins qui avaient pu survivre ici ou là
étaient devenus très précieux, et il n'était pas question de les
exploiter. On
à peine à réaliser combien cette région a pu manquer de bois d'oeuvre
pendant presque deux générations, et pourtant les textes sont nombreux
à évoquer cette pénurie. On n'avait plus de bois de grande longueur à
VILLANDRAUT pour remplacer les éléments défaillants des tabliers des
deux ponts lancés sur le CIRON entre les vestiges des maçonneries antérieures.
Vint un moment où le franchissement de la rivière devint pratiquement
impossible même pour les simples piétons. A l'évidence, cette situation
ne pouvait plus durer, et pourtant rien ne bougeait... Il
aurait fallu au minimum une consolidation des éléments porteurs et une réfection
du plancher. Ces travaux auraient normalement dû incomber par moitié aux
Seigneurs de NOAILLAN et de VILLANDRAUT, mais celui de NOAILLAN vivait à
BORDEAUX, et celui de VILLANDRAUT, mieux encore, à PARIS. Les
difficultés quotidiennes que pouvaient rencontrer leurs manants étaient
pour eux bien lointaines, et ils avaient très certainement, à leur appréciation,
des dépenses plus urgentes à engager que celle de la réfection d'un
pont dont il n'avait pas l'usage. C'est un nouvel exemple typique des
situations que l'on pouvait rencontrer avec les Seigneurs non résidants. Il
en allait tout autrement pour le Pont d'AULAN que le Seigneur de BUDOS
faisait entretenir en tant que de besoin parce qu'il l'utilisait lui-même,
lui et les siens, peut-être plusieurs fois par semaine. Au
début de l'automne de 1738, les eaux du CIRON avaient commencé à
monter. A la mi-Octobre, il se mit à pleuvoir abondamment. Le matin de la
St LUC, le 18 Octobre, Jean FERRAND, homme de décision, décide alors que
la coupe était pleine. Il
passe l'eau, et se rend à NOAILLAN où il va trouver Me PERROY, notaire,
en son Etude. Et là, il lui demande de rédiger une sommation mettant les
BOIREAU, fermiers des revenus de la seigneurie de VILLANDRAUT, en demeure
de réparer ce pont dont la dégradation constitue une entrave au commerce
local. Il
n'est pas du tout certain que ces fermiers aient été les interlocuteurs
qualifiés en la matière. Ils avaient pris à ferme la perception des
revenus du domaine, mais ils n'étaient pas pour autant chargé de
l'entretien de la voirie... Mais
Jean FERRAND ne s'arrête pas à ce genre de considération. Il a besoin
d'un interlocuteur identifiable et il le désigne lui-même en la personne
de Jeanne DUBEDAT, Veuve BOIREAU et Pierre BOIREAU son fils. Nous
l'avons déjà vu agir de même lorsque, deux ans plus tôt, en 1736, il
avait fallu réparer son moulin, encore que là, son choix n'était pas
tout à fait arbitraire puisque les fermiers devaient entretenir
l'installation en bon état. Mais il avait imposé sa solution en se payant sur le poisson, et tout le monde s'y était rallié, y compris le représentant du Seigneur. Cette fois-ci, avec moins d'à propos mais tout autant de détermination, il récidive, et, s'adressant aux fermiers, " leur a dit et représenté que la pluye abondante qui est tombée pendant vingt quatre heure et qui dénote devoir continuer, lui donne tout sujet de craindre que le fleuve CIRON ne vienne à déborder, ce qui ne peut que (lui) causer une perte très considérable... à cause du très mauvais état où sont les ponts de bois dudit VILLANDRAUT qui traversent ledit CIRON et qui servent à aller et venir audit VILLANDRAUT et aux paroisses circunvoisines, et notamment (à lui, FERRAND) pour aller chercher à BAZAS et LANGON les jours de marché des froments, seigles et autres grains pour entretenir ledit moulin. Et comme Messieurs les Seigneurs dudit VILLANDRAUT ont, dans tous les temps fait racommoder les deux ponts qui sont dans la présente terre, et Messieurs les Seigneurs de NOAILLANT les deux autres aboutissants qui sont dans leur terre, à leur fraix et dépenses et qu'à cause de l'absence de Madame la Présidente de VILLANDRAUT qui réside à PARIS, les ponts qui la regardent sont devenus hors d'état de servir, que même les gens à pied ne peuvent plus y passer, (FERRAND) se trouve obligé de sommer et requérir tant ladite DUBERNET que BOIREAU son Fils (en qualité de fermiers) d'avoir à faire racommoder lesdits ponts de VILLANDRAUT, et de commencer à y faire travailler dans trois jours, faute de quoy, et ledit délay passé, (FERRAND) proteste d'y mettre des ouvriers aux dépens desdits fermiers pour faire lesdites réparations dont il prendra quittance pour luy estre tenu en compte .... sur la somme de neuf cens Livres qu'il paye à ferme dudit moulin auxdits (fermiers).... " A
n'en point douter, c'était un coup d'audace, mais il va réussir car Jean
FERRAND va bien faire réaliser ces réparations de son propre chef,
exactement comme il l'avait annoncé. Des
réparations d'ailleurs bien modestes puisque leur montant ne va pas dépasser
30 Livres. Il semble bien en effet qu'elles n'aient concerné qu'une réfection
partielle du plancher sans toucher aux pièces portantes du tablier du
pont. Toujours est-il que moins de quinze jours plus tard, le 2 Novembre, en présence de Me PERROY, il règle ces trente Livres à Pierre DUBERNET, charpentier de haute futaie à NOAILLAN. "
pour la façon des réparations et voiture des pièces aux deux ponts de
VILLANDRAUT sur le CIRON.. " Il
en retire quittance, mais nous ne saurons pas qui, en définitive, aura
payé la facture; les documents font défaut sur ce point. Il est peu
probable qu'elle soit restée à la charge de FERRAND car on sent bien que
dans toutes ces affaires, il bénéficiait de la complicité au moins
tacite des Officiers du Seigneur, car eux connaissaient bien les problèmes
locaux puisqu'ils vivaient sur place. Et
s'ils n'osaient pas s trop prendre d'initiatives financières vis-à-vis
de leur Maître, ils n'étaient manifestement pas mécontents de favoriser
celles que pouvait prendre un manant un peu plus entreprenant que les
autres. On se doutera bien néanmoins que ce n'est pas avec 30 Livres de
travaux que l'on aura résolu la question de ce pont. Nous la retrouverons huit ans plus tard, plus urgente que jamais, et en beaucoup plus grave. Là encore, Jean FERRAND prendra l'initiative d'une nouvelle campagne qui, cette fois-ci, ira très loin et débouchera sur un projet sérieux s'élevant à plusieurs milliers de Livres. |
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Décès d'un enfant.
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Une
semaine après ce règlement, Jean FERRAND et sa femme Marie perdaient un
de leurs enfants, Jean. Un enfant qui nous pose problème car, jusqu'ici,
sa naissance n'a pu être ni datée ni localisée. Dans
son acte de décès, le Curé indique "après voir reçu les
Sacrements". Et si les Curés prennent souvent de nombreuses
libertés avec les mentions de l'État Civil, on peut rarement les prendre
en défaut dans le domaine de la discipline ecclésiastique. Si
cet enfant avait été trop jeune pour recevoir l'Eucharistie, le Curé
aurait précisé "après avoir reçu l'extrême Onction",
comme nous en rencontrons souvent le cas lors du décès de jeunes
paroissiens. L'indication
générale portant sur "les Sacrements", telle qu'on la
retrouve chez les adultes, suggère fortement que cet enfant avait déjà
fait sa première communion et qu'il a pu de ce fait recevoir le Sacrement
de l'Eucharistie. En
ce cas, au moment de son décès, il aurait pu avoir au moins une douzaine
d'années. La chose est parfaitement possible; entre Étienne, l'aîné,
et Jeanne, née en Juin 1726, il y a parfaitement la place d'un autre
enfant qui serait né en 1724 ou au début de 1725. Mais cette naissance
ne figure ni à NOAILLAN, ni à LEOGEATS, ni à VILLANDRAUT. On
peut formuler une autre hypothèse déjà plus risquée, c'est qu'en écrivant
"les Sacrements", le Curé aurait pensé à la Pénitence
et à l'Extrême Onction, c'est peu probable au regard des mentions
habituelles, mais admettons-la à titre d'hypothèse de travail. En
ce cas, l'enfant aurait eu à peu près entre 7 et 11 ou 12 ans et là
encore, il pourrait trouver sa place entre la même Jeanne et, cette
fois-ci, Bernard, (2 Avril 1730) pour peu qu'il Le
problème de sa naissance et de sa place chronologique dans la fratrie
reste donc posé, provisoirement sans solution. |
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Villandraut change de seigneur.
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C'est
bientôt le temps où la Seigneurie de VILLANDRAUT va passer par voie de
succession, de :Madame la Présidente ZACHARIE de la FAURIE, Veuve du Président
de la Cours des Aides de PARIS, à Messire Charles, Philippe, Comte de
PONS, Mestre de Camp de Cavalerie, Sous Lieutenant des Gendarmes d'ANJOU
du Roi, également Baron de CAZENEUVE et de CASTELNAU. Elle
habitait PARIS, lui aussi, rue neuve St AUGUSTIN, sur le territoire de la
Paroisse St ROCH. VILLANDRAUT va donc connaître une nouvelle génération
de Seigneurs non résidants. Le
Comte de PONS ne se déplacera même pas pour venir prendre la
"possession réelle " de sa nouvelle Seigneurie, acte
pourtant très important au regard du Droit Coutumier, il lui suffira d'en
percevoir les revenus qu'on lui enverra. Le 3 juillet 1739, il établira à PARIS une procuration notariée en faveur de Jean MARTINAUD : " intendant
dudit Seigneur dans ses terres du Bourdelois..." afin
qu'il puisse prendre en son nom possession des terres et prérogatives
relevant de cette Seigneurie. Ce Jean MARTINAUD était en même temps le
Juge du Tribunal Seigneurial de VILLANDRAUT, et habitait au Château de
CAZENEUVE. C'est
ainsi que le 20 Juillet suivant, Me MARTINAUD, accompagné de Me GERMAIN,
Notaire à PRECHAC et de tous les témoins nécessaires se présente à la
porte de l'Église de VILLANDRAUT pour y recevoir solennellement l'eau bénite
qui doit être offerte au Seigneur du lieu par le Doyen du Chapitre chaque
fois qu'il entre dans l'Église. Il
va ensuite s'agenouiller dans le "Banc du Seigneur", situé
dans le choeur, en prend possession en son nom, car le "Droit de
Banc" est privilège exclusif du même Seigneur et de sa famille.
Il
y eût bien des procès et toute une jurisprudence sur ce Droit de Banc
dans tout le pays, notamment lorsqu'il y avait plusieurs seigneurs sur une
même paroisse, comme c'était le cas à PUJOLS. De là, toujours suivi de sa petite troupe, Me MARTINAUD se rend au Château dont il se fait ouvrir les portes et visite les pièces. Puis il se rend à la Collégiale d'UZESTE pour y réitérer le cérémonial ecclésiastique, mais là, les choses ne vont pas aussi bien se passer, car s'il reçoit l'eau bénite sans problème des mains du Doyen du lieu, la suite est moins glorieuse : "(puis)
l'avons conduit dans le choeur de l'Eglize et s'étant voulu mettre dans
le Banc qui est (celui) du Patron dudit Chapitre, il ne l'a pas pu à
cauze qu'il s'est trouvé insendié depuis quelques années, ce qui a
obligé ledit MARTINAUD de se mettre à genoux près dudit Banc..." Ce
petit incident est significatif de la distance qu'il pouvait y avoir entre
ces Seigneurs et leur Seigneurie. Si le Banc du Seigneur avait brûlé
dans l'Église de BUDOS, on en aurait construit un autre dans les semaines
qui auraient suivi ; et ceci tout simplement parce que le Seigneur local
et sa famille assistaient à la Messe paroissiale tous les Dimanches et
Jours de Fêtes, de Pâques à la St MARTIN. A
UZESTE, au bout de plusieurs années, on n'en avait rien fait, car le
Seigneur, ne l'avait jamais vu et on ne le verrait probablement jamais. Poursuivant
sa tournée au cours de cette mémorable journée 20 Juillet 1739, Me
MARTINAUD se présente au moulin de VILLANDRAUT pour y faire acte de
propriétaire au nom de son Maître : " avons été au moulin dépendant
de ladite terre et y étant, ledit Martinaud a ordonné à Jean FERRAND,
meunier et fermier dudit moulin, d'ouvrir les pelles d'icelluy, ce qu'il a
fait, et soudain le moulin a moullu avec trois meules, et ensuite fait
refermer lesdites pelles..." et le cortège s'éloigne, poursuivant sa route, pour procéder aux mêmes prises de possession : "
dans toutes les mettéries et dépendances de ladite terre et Baronnie... "
sans
en omettre aucune. |
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Jean Ferrand devient meunier titulaire.
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Le
bail de sous–ferme du moulin consenti à Jean FERRAND par la Veuve
BOIREAU venait à expiration le 19 mai 1740. Sans attendre cette échéance,
des négociations s'ouvrirent entre FERRAND et Me MARTINAUD. Il est
convenu qu'il restera en ce moulin, mais cette fois-ci, il sera fermier en
titre en traitant directement avec les représentants du Seigneur sans
passer par l'intermédiaire d'un fermier général quelconque. Ce
nouveau bail est rédigé et signé devant Me GERMAIN Notaire, au moulin même
dans l'après–midi du 13 Novembre 1739. Il prévoit d'avoir une durée
de neuf ans à compter du 20 Mai 1740 et couvrira donc la période s'écoulant
jusqu'au printemps 1749. Le prix annuel de la ferme fut fixé à 1.000
Livres, soit donc 100 Livres de plus que sur le contrat précédent. Peut–être le moulin avait–il connu un certain développement de son activité depuis que FERRAND l'avait pris en main, à moins, tout simplement, que le nouveau Seigneur n'ait besoin d'augmenter ses revenus, ce qui n'est pas une hypothèse à exclure. Le fermier sera tenu de gérer l'installation en bon Père de Famille et : " à ces fins, de faire toutes sortes de réparations et payer toutes les charges ordinaires et extraordinaires, comme aussi sera tenu ledit FERRAND de laisser à la fin dudit Bail les trois moulanges (il s'agit des couples de meules tournantes et dormantes) composés de quarante huit pouces de caillaou, sept cercles de fer demy uzés, trois rouets cerclés de fer aussy demy uzés, trois paoux ou barres de fer de six pieds de longueur chacune, etc ... etc ... " Quelques
mots d'explication sont ici nécessaires. Pour écraser correctement le grain et en tirer le maximum de farine, il faut que la pierre des meules offre, dans son grain, une certaine agressivité. Une pierre lisse n'écrase pas. Il faut donc, de temps à autres, raviver la rugosité de la pierre au moyen d'un ciseau d'acier que l'on frappe d'un marteau. C'est un travail délicat qui exige beaucoup de savoir faire. Manié trop rudement l'outil fait voler de gros éclats de silex formant des sortes de cavités dans la pierre, et les grains iront s'y mettre à l'abri en évitant l'écrasement. Autre conséquence, la meule, qui s'amincit à chaque opération de "piquage" s'usera beaucoup plus vite que de raison. Il faut donc savoir manier le ciseau avec doigté pour que la pierre se montre suffisamment agressive sans pour autant la faire voler en mille éclats en abrégeant la durée utile de son utilisation. Les meules coûtaient assez cher et leur usure était très surveillée. Le meunier en était toujours comptable. On mesurait l'épaisseur totale des seules (du "caillou") au moment de l'entrée en fonction, et on la remesurait en fin d'exercice pour apprécier la différence exprimée en pouces (2 cm 93). Celle-ci
était alors facturée au meunier, très généralement au prix de six
Livres le pouce manquant. Il pouvait arriver qu'en fin de bail on retrouve
plus de caillou qu'à l'origine; le cas se présentait lorsqu'en cours
d'exercice le meunier s'était vu contraint de remplacer une meule complètement
usée par une meule neuve évidemment beaucoup plus épaisse. En
ce cas là, c'était le Seigneur qui se retrouvait débiteur du surcroît
de caillou sur la même base d'appréciation. Dans
le présent contrat, il faut comprendre qu'entre les trois, " moulanges "
soit six meules (trois tournantes et trois dormantes), on totalisait une
épaisseur de pierre de 48 pouces (1m,41), soit une moyenne de 8 pouces
par meule (17 cm 58), encore que la moyenne pouvait très bien ne pas
signifier grand chose. Reste à prendre connaissance de la clause concernant l'usure qui figure toujours en bonne place en un tel contrat : " et
suppozé que lors de la fin dudit bail il n'y ait pas pareil nombre de
pouces de caillou, ledit FERRAN sera tenu de payer chaque pouce six
Livres, et s'il y en a davantage, il luy sera payé sur le même pied. " Il
est enfin précisé que si FERRAND est bien chargé de l'entretien, c'est
le Seigneur qui devra fournir les matériaux le bois nécessaire aux
rouets, et aux travaux de couverture les bâtiments; il devra également
en assurer le transport sur place; de même si le meunier achète le
caillou, c'est le Seigneur lui doit en assurer également le transport. Tout
ceci a été arrêté et convenu en présence de deux chanoines du
Chapitre de VILLANDRAUT qui servirent de témoin. C'était un contrat
important. |
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Jean Ferrand investit dans l'immobilier.
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Deux
mois plus tard, le 26 Janvier 1740, Jean FERRAN, pour le prix de 700
Livres, achetait une maison dans le Bourg de VILLANDRAUT, une belle
maison, et de surcroît bien placée puisque donnant directement sur la
grande place du Bourg. A n'en point douter ce meunier là avait de
l'argent. Cette maison était constituée : " de
trois chambres, un chay, une écurie, un four, avec les greniers, le tout
à un tenant, bâtie de pierr, couverte de tuiles avec toutes les
appartenances et dépendances. " Elle
appartenait à un certain Raymond DESSANS dit PIOC, Hôte à VILLANDRAUT
qui la possédait conjointement avec sa fille encore mineure, mais qui
allait être majeure six mois plus tard. Ce point aura tout à l'heure une
singulière importance. La vente se fait à VILLANDRAUT devant Me GERMAIN,
et il est convenu que DESSANS sera autorisé à demeurer dans la pièce
qu'il occupe Jusqu'à la St michel suivante (29 Septembre 1740). Le
reste de l'immeuble est loué à un certain Bernard CAUBIT. FERRAND
paye 375 Livres comptant; le solde sera versé à la St MICHEL, sans intérêt
jusque là, et sitôt qu'il sera versé, DESSANS devra quitter les lieux.
En cas de non paiement à cette date, DESSANS aurait loisir de rester sur
place, et des intérêts commenceraient courir "au denier
vingt" (5%). A
peu de temps de là, le 10 Mars 1740, un nouvel enfant naît au moulin,
c'est un garçon, André. Il recevra pour Parrain, André FONTIBUS,
Chanoine du Chapitre de VILLANDRAUT, qui devait être plus ou moins lié
à la Famille puisqu'on l'avait déjà rencontré comme témoin lors du
contrat de bail du moulin, et pour marraine Marie DUFOUR épouse de Me
Bernard MARTINAUD, Conseiller Ambulant dans les Fermes du Roi. Non
seulement notre meunier a quelque fortune, mais il a aussi des relations. Cet
enfant ne vivra pas très longtemps et n'atteindra pas l'âge adulte. Mais
voilà que surgit un nouvel avatar. Après un hiver froid, de sévères
gelées printanières viennent emporter la plupart des récoltes du pays. Par
trois fois, il gela ferme les 4, 9 et 10 mai 1740. Ce
fut une catastrophe. Des experts aussitôt convoqués évaluèrent les
pertes dans les vignes de NOAILLAN aux 3/4 de la récolte et déclarèrent
s'attendre à un " préjudice considérable" sur les
seigles, sans pouvoir toutefois le chiffrer avec exactitude. Ce
coup du sort n'empêcha pas FERRAND de régler le solde du prix de sa
maison dès le 25 Août, avec un bon mois d'avance sur l'échéance prévue.
il s'acquitta de sa dette "en argent et en farine" sans
que la proportion des deux valeurs soit précisée, mais Raymond DESSANS,
le vendeur, déclara s'en contenter. Voilà donc une affaire réglée. Réglée
? Pas du tout, car elle connaît tout à coup un singulier rebondissement.
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Jean Ferrand est assigné en retrait lignager.
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Voilà
que Marie DESSANS, fille du vendeur, devenue entre temps majeure actionne
Jean FERRAND en retrait lignager. C'était une procédure coutumière par
laquelle le proche parent d'un vendeur, pendant le délai d'un an, pouvait
imposer à l'acheteur la restitution du bien acquis moyennant la remise du
prix initial convenu majoré des "loyaux coûts", c'est
à dire des frais de Notaire, de mutation, d'enregistrement, etc... L'opération
ne devait pas coûter un seul sol à l'acheteur, mais il devait restituer
le bien, et à défaut de son acquiescement, on pouvait l'y contraindre
par voie de Justice. L'idée
de base de cette procédure coutumière reposait sur la sauvegarde de
1'intérêt du "lignage" , autrement dit de la Famille.
En se séparant de son bien, le vendeur diminuait le patrimoine foncier de
celle-ci. C'est pourquoi un proche parent, Père, Mère, Frère ou Soeur,
etc.. avait le droit, pendant un an, de racheter ce bien, à ses frais, et
désormais, à son usage, pour le réintégrer dans le patrimoine du
lignage, l'idée directrice étant qu'il aurait jamais dû en sortir. C'est
exactement ce que fait ici Marie DESSANS. Elle estime que la vente de la
maison familiale par son Père est inadmissible, et le 23 Janvier 1741,
elle somme Jean FERRAND de la lui restituer contre reversement du prix
complet. Notons bien la date, le 23 Janvier, alors que le contrat de vente
initial avait été signé le 26 Janvier précédent. Il
était temps, on était à l'extrême limite du délai. Dans un premier
temps, FERRAND pense pouvoir résister à cette demande, puis, sagement,
il réalise que sa cause serait perdue d'avance et qu'il ne servirait à
rien de gagner du temps puisque de toutes façons il lui faudra restituer
cette maison. Alors
le 16 Mars, il se rend au Greffe du Tribunal de VILLANDRAUT pour y déposer
son titre d'achat et signifier qu'il accepte la revente. Seulement voilà,
Marie DESSANS ne réagit plus. Elle a bien introduit l'action en temps
opportun, mais elle a du mal à assembler la somme requise. Jean
FERRAND commence alors à s'impatienter ; il voudrait sortir de ces
atermoiements et récupérer son argent. Garder la maison ou la restituer,
soit, mais que la décision intervienne désormais rapidement. Le 24
Avril, par acte notarié, il somme Marie DESSANS de prendre position et de
se manifester. L'affaire
se dénouera le 4 mai suivant, jour où tout le monde se retrouvera au au
bourg de VILLANDRAUT dans la maison du Juge du Tribunal Seigneurial, par
devant Me GERMAIN Notaire, lequel Juge servira d'ailleurs de témoin ainsi
que Me Joseph DARTIGOLLES, un autre Notaire, car l'affaire est jugée délicate.
Les DESSANS restitueront à FERRAND les 700 Livres qu'il a intégralement versées pour l'achat de la maison. En outre, il est convenu qu'ils lui verseront également 122 Livres 13 Sols et 6 Deniers au titre des loyaux coûts constitués non seulement par les frais habituels que nous vous évoqués ci-dessus, mais aussi, dans le cas d'espèce, par les frais de justice engagés par FERRAND. Ce dernier se réserve en outre le droit : "d'occuper
ladite maison par des effets qu'il y a encore, un mois et demy à compter
de ce jourd'huy.." Jusqu'ici, tout a été simple, mais c'est maintenant que l'affaire va devenir délicate, oh ! combien ! Tout part d'un simple petit bout de phrase, mais lourd de conséquences : " ..
attendu que lesdits DESSANS, Père et Fille n'ont point d'argent..." Tout
est dit; et maintenant, engageons-nous dans le labyrinthe qui va suivre,
et que personne ne s'égare jusqu'à la sortie... Intervient d'abord Me
Jean LANGLADE, un Chanoine du Chapitre de VILLANDRAUT. Il
avait prévu sur son testament un legs de 500 Livres en faveur de Marie
DESSANS. Il
veut bien les lui donner tout de suite, mais il ne dispose que de 200
Livres en liquide; tout le reste de ses biens est plus ou moins immobilisé
et ne peut être réalisé dans l'immédiat. Toutefois,
il a une créance de 300 Livres sur le dénommé Bertrand BANCOME sabotier
au Bourg de PRECHAC, elle n'est pas réalisable, mais elle paraît sure. C'est
alors que l'on voit apparaître Clément PEYRINGUEY, Grand Père maternel
de Marie DESSANS, qui accepte d'en faire l'avance. Le
Chanoine va donc lui céder sa créance et le subroger dans ses droits sur
BANCOME. Reste
à trouver le complément jusqu'aux 822 Livres et quelques sols, et là,
c'est encore le même Grand Père qui en fera l'avance à sa Petite Fille.
Ainsi
donc Jean FERRAND reçoit devant le Notaire, 200 Livres des mains Me
LANGLADE, 300 Livres de Clément PERINGUEY garanties par la créance sur
BANCOME, et 322 Livres 13 Sols 6 Deniers versés de son propre chef. FERRAND
a bien son dû et restitue la maison sur laquelle PEYRINGUEY s'empresse de
prendre une hypothèque. Il
est même prévu qu'il aura un droit de regard sur le choix des futurs
locataires. Il doit estimer en effet que son gendre DESSANS a fait assez
de bêtises comme cela et qu'il convient de prendre de sérieuses
garanties pour l'avenir. Mais
à ce prix-là, Marie DESSANS aura tout de même sauvé sa maison de
famille, et c'était bien ce qu'elle voulait. L'ensemble des événements que nous venons d'évoquer se déroulait depuis quelques temps sur un fond de crise économique locale qu'il nous faut maintenant évoquer. |
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L'existence du marché de Villandraut
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Il
n'est pas de production agricole ou de commerce en ce pays qui ait pu y échapper,
et Jean FERRAND tout le premier en connut les dures conséquences. Il
s'agit des incertitudes planant pendant plusieurs années sur le maintien
du marché de VILLANDRAUT, puis, de sa suppression pure et simple avant
qu'il ne soit enfin rétabli. Il
conviendra tout d'abord de rappeler qu'aucune foire ou marché ne pouvait
se tenir sans en avoir reçu l'autorisation par privilège royal sous
forme de Lettres Patentes. Or,
dans tout le Pays Bazadais, de nombreuses foires et marchés s'étaient
progressivement créés sans aucune autorisation. Les
Jurats de BAZAS estimaient que ces nombreuses manifestations commerciales
portaient un tort considérable à celles qu'ils organisaient eux-mêmes
dans leur ville avec toutes les autorisations nécessaires. Déjà,
en 1725, ils s'étaient directement adressés au Roi pour s'en plaindre,
et ceci en passant par dessus la tête de l'Intendant. Ils avaient en
effet estimé que puisque les autorisations d'ouverture relevaient d'un
privilège royal, ils étaient autorisés à s'adresser sans intermédiaire
à l'autorité suprême. VERSAILLES
n'avait pas dû trop apprécier ce recours direct car DARMENONVILLE, Garde
des sceaux leur avait répondu de se pourvoir devant l'Intendant.
L'affaire s'était tassée, et les Jurats de BAZAS n'avaient pas trop
insisté. Mais
la situation ne faisait qu'empirer. Au début de 1737, on recensait dans
tout le Bazadais 38 foires annuelles alors que 20 seulement étaient régulièrement
autorisées. VILLANDRAUT
était spécialement visé car il s'agissait d'un marché hebdomadaire
dont la concurrence était beaucoup plus contraignante que celle d'une
foire annuelle tenue indûment ici ou là. En
Mars 1737, les Jurats de BAZAS, cette fois-ci mieux avisés, s'adressent
à l'Intendant BOUCHER à BORDEAUX lui demandent d'interdire ce marché. Par
une Ordonnance du 26 mars, l'Intendant met le Procureur d'Office du
Tribunal de VILLLANDRAUT en demeure de lui fournir les Lettres Patentes
Royales autorisant les marchés qui s'y tiennent. Embarrassé, celui-ci répond que VILLANDRAUT a, de tous temps, été l'entrepôt des produits de la Lande, produits qu'il énumère de façon détaillée, en y incluant même le charbon, et que c' est là que s'établit le point de rencontre avec "les gens de la rivière" qui y portent leur vin. Il ajoute que ceci se fait tous les jours : "( mais)
qu'à, la vérité, depuis deux ou trois ans il cy rend plus de monde le
Jeudy que les autres jours. Ces rendez-vous ne commencent que depuis la Noë1
jusqu'au commencement de May... " Le
Procureur d'Office ignore si son Seigneur détient des Lettres patentes
mais il peut garantir que la tenue de ces assemblées ne lui apporte aucun
revenu. Au surplus, et c'est son argument majeur, les gens de la Lande ne
sauraient porter leurs "denrées"
à BAZAS car les chemins sont impraticables et parce que le CIRON
ne peut plus être franchi. Dans
tous ces propos embarrassés, C'est le seul point réellement solide, car
le seul pont valable pour les charrettes, celui de CAZENEUVE, vient d'être
emporté par les eaux en crue dans les premiers jours de Février 1735. Le temps qu'on le reconstruise (on y pense, mais il faudra du temps pour aboutir...) il ne reste plus que le pont de VILLANDRAUT offrant des conditions de passage d'une précarité inacceptable. Les charrettes de grains n'y ont d'ailleurs pas accès : " ce
sont des faits reçus de tout le monde. D'ailheurs les bouviers et autre
sont dévoyés d'aller BAZAS soit par le peu de graciosité des habitans
que parce qu'on fait payer à chaque bouvier quatre sols par charge... " En
conclusion, le Procureur d'Office demande que ce qu'il appelle pudiquement
les "rendez-vous" de VILLANDRAUT soient maintenus, car il
évite soigneusement d'utiliser le mot de marché. L'Intendant
BOUCHER transmet cette réponse à son Subdélégué BOURIOT, au siège de
BAZAS (une sorte de Sous Préfet avant la lettre). Les Jurats locaux
fulminent. Pour eux, il y a une règle commune ; les foires et les marchés
sont autorisés par le Roi lui seul, et ni le Seigneur de VILLAUDRAUT, ni
ses Officiers n'ont qualité pour créer un marché dans son fief, ni le
Jeudi, ni aucun autre jour. De
toutes manières, le périmètre de protection d'un marché existant étant
de 4 à 5 Lieues, on ne pouvait même envisager de demander une
autorisation de création pour régulariser la situation. D'ailleurs ils
ne manquent pas de dire que depuis que l'on a suscité un marché sauvage
à GRIGNOLS le Mercredi et un autre à VILLANDRAUT le Jeudi, il n'y a plus
de grains sur le marché de BAZAS. Au surplus, piqués au vif, ils rétorquent également que s'il y a perception d'un droit d'accès à leur marché : " c'est
parce que les villes principales doivent se donner le moyen de payer au
Roy de grosses impositions et de loger fréquemment les gens de troupe. " Et
ils concluent, de façon abrupte qu'il n'y a pas d'autre question à poser
que de savoir si VILLANDRAUT a ou n'a pas de lettres Patentes ; un point,
c'est tout. Le Procureur d'Office écrit à Madame la Présidente, Seigneuresse du lieu pour lui demander de lui envoyer ces lettres : " qu'on
lui a assuré qu'un Seigneur de DURAS avait obtenu pour les marchés,
ayant été longtemps Seigneur de VILLANDRAUT..." Dans une autre lettre, ce pauvre Procureur ajoute piteusement qu'il a insisté auprès de sa Dame Seigneuresse : " sans
que ladite Dame m'ait jamais fait réponse... je crois qu'elle s'en soucie
peu... " On
devine dans ces quelques mots toute la détresse des Seigneuries
appartenant à des nobles non résidants, problème que nous avons déjà
eu l'occasion d'évoquer en d'autres circonstances. Mais le Subdélégué épouse fermement la cause des Jurats et, s'adressant à l'Intendant BOUCHER, lui écrit le 22 juillet : " ... c'est un faux fuyant de sa part (du Procureur d'Office) d'alléguer qu'il a sceu par le bruit public que le marché de VILLANDRAUT avoit esté établi par Lettres Patentes il y a environ 200 ans et qu'apparemment ces titres sont au pouvoir de Madame la Présidente de VILLANDRAUT à qui on a écrit, à PARIS, pour les avoir. Il
me semble que depuis le 2 May dernier que notre requête luy fust signifiée,
ce Procureur d'Office a bien eu le temps de produire ces titres s'ils
existent. C'est une allégation de sa part, mais comme ce marché,
nouvellement establi à VILLANDRAUT est ruineux aux habitants de BAZAS et
très préjudiciable au bien public, je vous supplie, Monseigneur, d'en
ordonner la suppression, conformément aux conclusions de notre requête... " Voilà
qui est net et sans bavure. Le fait que VILLANDRAUT, "village
frontière" soit, administrativement, directement attaché à
BORDEAUX et non à BAZAS a pu, probablement, y être pour quelque chose. |
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Catastrophe, le marché de Villandraut est supprimé.
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Quoi
qu'il en soit, l'Intendant BOUCHER se range à cet avis, et le 9 Avril
1733, les marchés de VILLANDRAUT sont interdits sous peine de 500 Livres
d'amende par infraction pour le Seigneur, et de 100 Livres pour chaque
marchand qui s'y présenterait, sans préjudice de la saisie des
marchandises exposées. C'en
est fait du marché, et pour la vie locale, c'est une catastrophe. Catastrophe
en particulier pour Jean FERRAND et ses collègues meuniers de LA FERRIERE,
de LA MOLLE à St LEGER, de BALIZAC et d'autres encore qui voyaient jusque
là venir les grains à leur porte alors qu'il leur faudrait désormais
aller les chercher à BAZAS ou à LA.NGON sur la Rivière, et les
transborder sur des animaux de bât pour franchir le CIRON. Mais
rude coup aussi pour tous les petits laboureurs de la région qui
envoyaient là le Jeudi leur femme ou leurs filles vendre quelques
douzaines oeufs, quelques pots de miel ou quelques têtes de volaille. Aller
à BAZAS ? cela supposait bien de quatre à cinq heures marche, sous le
chargement, et autant au retour, il ne fallait guère y penser, alors que
de BALIZAC ou de St LEGER, on atteignait VILLANDRAUT, en une heure et
demie tout au plus. Ce
fut donc un coup très dur pour toute la région immédiate. VILLANDRAUT
avait ainsi perdu une bataille importante, mais n'avait pas pour autant
perdu la guerre. Six ans plus tard, cette affaire allait soudain rebondir
et connaître d'autres développements que nous allons retrouver bientôt. Le
17 Mars 1742 devait naître un neuvième et dernier enfant au moulin de
VILLANDRAUT, c'était une petite Marie. Il y en ait déjà eu une dans la
fratrie en 1731, mais elle semble avoir disparu très jeune, et celle-ci
ne survivra pas beaucoup plus. Sa Mère, Marie DUBEDAT avait pour lors
bien près de 43 ans, et ce sera son dernier enfant. Les
affaires ne vont pas très fort. Il devient de plus plus difficile de se
faire payer, et Jean FERRAND en fait expérience. Il adresse des exploits
de mise en demeure à ses créanciers, mais n'en tire pas grand chose. Il
en vient aux procès devant les Tribunaux locaux, et le plus souvent pour
de petites affaires de bien peu d'importance mais qui, cumulées, au bout
de plusieurs années finissent par représenter au total des sommes
importantes. Prenons
pour exemple l'instance qu'il introduit le 17 Mars 1743 à NOAILLAN contre
Jean DUPUY. Nous
noterons en passant sa fréquentation assidue du même Tribunal puisque
dix jours auparavant, déjà, il avait introduit une autre affaire contre
un certain Jean DANEY qui présentait la curieuse particularité d'être
à la fois "boucher et cordonnier"... Il était donc un
familier des lieux. Revenons-en
à Jean JUPUY qui lui doit 10 Livres pour le prix d'un boisseau de farine
de seigle qu'il lui a livré depuis bien longtemps déjà. Le
22 janvier, il lui avait adressé une assignation par VIGNOLLES, le
Sergent royal local. DUPUY n'avait pas bougé. Le 17 mars, l'affaire
arrive devant le Juge. DUPUY ne se présente pas et se fait pas représenter
non plus. Mais les choses se compliquent d'une suspicion légitime.
Entendons par là que le Juge a un lien avec l'une des deux parties (on ne
dit pas laquelle) . Ce peut être un lien de parenté, ou un lien de
parrainage, les cas n'en sont pas rares. Il faut donc désigner autre
Juge. L'affaire est renvoyée d'audience en audience, et DUPUY est
toujours défaillant. Finalement, pour en sortir, faute d'autre preuve, "
ledit FERRAND a affirmé moyennant serement que ladite somme de dix Livres
luy est légitimement dite pour n'en avoir esté payé du tout ny en
partie..." DUPUY
est condamné à payer ces 10 Livres majorées de 4 Livres 19 Sols 2
Deniers de dépens, ce qui, à bien peu près représente moitié de la
somme en jeu; et encore faudra-t-il probablement envisager encore des
frais de notification, de saisie éventuelle, etc... La Justice
Seigneuriale est une Justice onéreuse. En
Décembre 1743, FERRAND s'avise soudain qu'il n'a jamais fait acte de
possession réelle sur les deux petites pièces de terre qu'il a achetées
en deux contrats aux Frères DUBOURG en 1734 et 1736. Nous avons évoqué
ces achats en leur temps. Pourquoi n'en a-t-il pas pris possession à ce
moment-là ? et pourquoi cette affaire revient-elle tout à coup à
l'ordre du jour si longtemps après ? Rien
ne permet de le dire. Toujours est-il qu'il répare cette omission le 3 Décembre
en présence de Me PERROY sans qu'aucune explication ne nous soit donnée. A
la fin de ce même mois de Décembre 1743, Etienne FERRAND, fils aîné de
Jean commence à faire parler de lui. Il n'a pas encore tout à fait 21
ans, mais se voit déjà impliqué dans une bagarre nocturne à NOAILLAN. Fut-il
la victime ou agresseur, il sera bien difficile d'en décider, mais nous réserverons
l'examen détaillé du "procès criminel" qui s'ensuivit
devant le Tribunal du lieu pour le temps où nous étudierons l'histoire
de cet Etienne. Pour
l'instant, nous en reviendrons à la morosité de la situation économique
locale. Les Officiers Seigneuriaux en sont bien conscients ; voilà plus
de cinq ans qu'il n'y a plus de marchés à VILLANDRAUT et il faudrait
faire quelque chose, mais quoi ? Or,
voici qu'une idée nouvelle se fait jour. |
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L'espoir renaît.
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Chaque
Mercredi, il se tient un marché autour du Château CAZENEUVE. Il est tout
à fait régulier puisqu'il a été :autorisé par des Lettres Patentes délivrées
par HENRI IV, en 1605 semble-t-il. Il
se tient là également trois foires annuelles, elles aussi parfaitement régulières.
Mais ni le marché ni ces foires ne sont très actifs. Pour voir se développer
ce genre d'activité, il faut avoir le support d'une agglomération,
offrant des halles, des auberges, des écuries et autres aménagements
indispensables. PRECHAC
aurait pu éventuellement jouer ce rôle, mais le marché et les foires
devaient se tenir où ils avaient été prévus, c'est-à-dire autour du
Château. De même se tenait-il une foire régulièrement autorisée, le
22 Août, autour du Château de CASTELNAU. Elle
non plus, et pour les mêmes raisons, n'était pas aussi suivie qu'on
aurait pu l'espérer. A St LEGER la grande foire annuelle était celle de
la St CLAIR dans les premiers jours de Juin, et elle éclipsait, et de très
loin toutes les autres manifestations de la région. L'idée nouvelle va
donc être de demander au Conseil du Roi de transférer le marché et les
foires de CAZENEUVE et CASTELNAU à VILLANDRAUT. On
ne demanderait ainsi aucun nouveau privilège, mais un simple transfert. La
première étape de cette aventure administrative consistera à convaincre
le Seigneur Charles Philippe Comte de PONS de l'utilité de la mesure.
Habitués à ne même pas recevoir de réponse de la Seigneuresse présidente,
les Officiers locaux avaient quelques raisons de se montrer un peu
pessimistes... Ils
avaient tort. Le
Comte, qui est en même temps Baron de CAZENEUVE, de CASTELNAU et de
VILLANDRAUT, acquiesce à leur proposition et, au début de 1744, présente
à cet effet un mémoire (qu'on lui a préparé sur place, bien sûr) au
Conseil du Roi. Le
Chancelier transmet ce dossier à l'Intendant pour lui demander son avis : "Monsieur, Je vous envoye un mémoire par lequel Mr le Comte de PONS demande des Lettres qui lui permettent de transférer au lieu de VILLANDRAUT le marché et les quatre foire establis dans les Baronies de CASTELNAU et de CAZENEUVE, afin que vous preniez, s'il vous plaist, la peine de me faire savoir vostre advis sur ce sujet. Je
suis, Monsieur vostre affectionné serviteur." DAGUESSEAU " Nous
noterons au passage le style de cette lettre qui est, il faut le rappeler,
celle d'un Ministre du Conseil du Roi à un Intendant de province, autant
dire, en termes modernes, d'un ministre à un Préfet de Région. Disons
simplement, et sans plus nous étendre, que les temps ont bien changé... TOURNY
demande à l'un de ses collaborateurs de lui fournir un rapport sur cette
affaire. Son nom, ne nous est pas parvenu, mais son rapport est toujours là.
Il est utile de lui en emprunter quelques extraits car ils sont assez éclairants sur les courants commerciaux et usages locaux de l'époque : "(Monsieur le Comte de PONS) représente que VILLANDRAUT est plus à portée de la Rivière et par conséquent plus avantageux au public que CAZENEUVE qui est à deux lieues au-dessus dans la Lande ; qu'il en coûte peu aux voituriers de la Lande pour porter leurs grains, mais qu'il en coûte cher à ceux de la Rivière de les aller chercher, et que, comme il y a, aux environs de VILLANDRAUT, des moulins considérables, les habitans de la GARONNE peuvent à la fois acheter les grains dont ils ont besoin à ce marché, les faire moudre, et les faire porter chez eux par les muniers sans qu'il leur en coûte aucun frais. Au lieu qu'entant obligés d'acheter des grains à CAZENEUVE, qui est l'entrepôt de la Lande, les habitans de GARONNE sont forcés d'en payer la voiture jusque chez eux, ou du moins jusqu'à VILLANDRAUT ce qui leur cause une double dépense. D'un
autre côté, ils sont obligés de s'absenter plus longtemps, perdant leur
journée et les domaines qu'ils cultivent (disposent d') un ouvrier de
moins pendant l'intervalle qui luy est nécessaire pour faire ses
approvisionnements, la Lande fournissant aux paysans de la Rivière leurs
grains." Ce
texte décrit très bien la situation. Dans la vallée de la GARONNE, on
pratiquait la monoculture de la vigne et l'on était en perpétuel déficit
de céréales. Par
ailleurs, il est exact qu'il y avait beaucoup plus de capacités meunières
dans la région de VILLANDRAUT que plus en aval sur le CIRON. Le
BALLION, la HURE, le RUISSEAU BLANC, la NERE et le CIRON lui-même
faisaient tourner quantité de moulins. Plus
bas, il n'y avait plus que les moulins de BUDOS, de LA SALLE, et de
PERNAUD (ce dernier travaillant surtout avec des grains venus du haut pays
par la GARONNE complétés il est vrai, par quelques moulins à vent de
capacité plus réduite (un à ILLATS et deux à CERONS) Mais
le plus curieux est que le raisonnement du rapporteur porte
essentiellement sur le postulat implicite que le temps des gens de la vallée
est utile et précieux, et que celui des landais ne le serait pas.... Et
le pire, c'est que c'est un peu vrai. Les
landais aimaient bien les charrois qui leur permettaient de voir un peu de
pays et de rompre avec la monotonie de leur vie quotidienne. Ils
les aimaient même un peu trop et les intendants eux-mêmes se plaignaient
assez souvent de leur voir perdre là beaucoup de temps qu'ils auraient
mieux fait de consacrer la culture de leurs terres. Le
rapporteur fait ensuite observer qu'en l'absence à VILLANDRAUT de pont
praticable, CAZENEUVE est plus proche de BAZAS que ne le serait le nouveau
marché ; les Jurais seraient donc ma1 fondés à s'opposer au transfert
demandé. Enfin, il conclut en termes favorables au projet : "Ces circonstances font espérer que Monseigneur aura égard la justice de la demande de Mr le Comte de PONS qui n'a en vue que l'intérêt et la commodité publique, qui ne peut nuire à personne et moins à BAZAS qu'à tout autre endroit par l'éloignement de VILLANDRAUT et la proximité de CAZENEUVE où il a lieu depuis (son) établissement. Et
c'est une vaine inquiétude de la part des habitans de BAZAS que de
s'opposer à une chose qui ne leur nuit pas ny ne peut leur nuire ; qui,
au contraire leur devient favorable si tant est que le marché de
CAZENEUVE peut leur porter du préjudice." TOURNY
en est ébranlé, mais il hésite encore. Quelle
va être la réaction des populations de CAZENEUVE et de CASTENAU ? |
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L'Administration ne va-t-elle pas se mettre
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Dans une lettre du 2 Août 1744, aujourd'hui perdue mais dont les archives de l'Intendance nous ont conservé le brouillon, il demande une enquête complémentaire à ses services : "Je vous prie de m'informer si cette translation de marché et de foire sera, ainsi que le prétend (le Comte) utile au public comme le lieu de VILLANDRAUT étant plus susceptible d'un grand concours de monde que les deux autres endroits, ou si, au contraire, les habitants des lieux desquels ces marchés et foires seront transférés ne regarderont point la translation comme leur portant préjudice et ne s'y opposeront pas. Pour
que le public puisse s'expliquer avec vous à ce sujet, faites passer je
vous prie aux Curés des Paroisses de CASTENAU et de CAZENEUVE un
avertissement conforme au modèle ci-joint. Après quoi vous recevrez les
différentes requêtes et mémoires qui vous seront donnés en conséquence
et me renverrez le tout avec votre avis." En
exécution de ces instructions,. le Subdélégué BOURRIOT fit rédiger un
"Avertissement" conforme au modèle qu'on lui avait donné
informant les populations de ce que l'on envisageait de faire. Il
l'adressa aux Curés de PRECHAC et de St LEGER. Cet
Avertissement est lu en chaire et affiché à la porte des Eglises
respectives le 11 Octobre à PRECHAC et le 18 à St LEGER. Aucune réaction
ne se manifesta. Le 29 Octobre, BOURRIOT rend compte à TOURNY en lui adressant les attestations des Curés ; il estime que personne ne s'opposera à la mesure, et voilà maintenant que, retourné dans son opinion, il développe que : "1° Dans le cas d'abondance des gains, du miel, de 1a cire, de la résine et autres denrées propres aux paroisses de la Lande, les habitants trouveront dans lesdites foires et marchés établis à VILLANDRAUT un débouché pour se défaire de ces mêmes denrées qui leur seroient devenues comme inutiles à cause de l'éloignement des ports de Rivière et des frais de voiture. 2°
Lors de la disette et de la cherté des gains, lesdits habitants des bords
de GARONNE qui ne recueillent que des vins ont toujours recours aux
greniers des habitants des Landes; il est donc évident que les foires et
marchés qui seront établis au Bourg de VILLANDRAUT qui se trouve à portée
des uns et des autres, leur seront d'un très grand secours dans les temps
de calamité. Ainsy, Monseigneur, je crois qu'il importe au Bien Public
que le Conseil permette à Mr. le Comte de PONS de transférer à ce lieu
de VILLANDRAUT lesdites foires et marchés enoncés dans son mémoire. " Le 6 Novembre 1744, TOURNY adresse ses conclusions à la Chancellerie à VERSAILLES : " Il
me paroit que les lieux de CASTELNAU et de CAZENEUVE ne retirent presque
aucun fruit des marchés et foires en question, soit par, leur position
hors de portée du commerce, soit par leurs abords presque
impraticables... " Et
qu'au contraire, VILLANDRAUT est mieux placé. Il y va donc du Bien Public et au surplus, à la suite de l'enquête menée sur place (il joint une copie de l'Avertissement) aucune protestation ne s'est élevée. |
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Le marché est rétabli.
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Le
11 Décembre, la Chancellerie, après quelques péripéties survenues
entre temps et offrant peu d'intérêt, décide d'accorder son
autorisation à ce transfert. C'est
ainsi que VILLANDRAUT vit s'ouvrir un marché régulier chaque mercredi à
partir du début de l'an 1745. Ce
marché devait rapidement prendre une importance considérable jusqu'à
devenir, avec CREON, LA REOLE et LIBOURNE, l'une des places de références
des cours des grains dans la Province. A
la veille de la Révolution, le Journal de GUYENNE ne manquait pas de
reproduire fidèlement ses mercuriales chaque semaine. On
devinera sans peine la joie d'un Jean FERRAND et de tous les meuniers de
la région de voir ainsi s'ouvrir à leur porte un carrefour d'échanges
hebdomadaires étendant sa zone de chalandise de la GARONNE à LABOUHEYRE
et à St JUSTIN (il en existe des preuves indiscutables). |
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Les affaires reprennent : Jean Ferrand
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Jean
FERRAND est entreprenant. Son fils aîné Étienne, nous l'avons vu, a
maintenant 21 ans. A l'époque, c'est un homme dans la force de l'âge, et
son Père va miser sur ce garçon pour développer son activité. Le
ler Janvier 1744, il prend en charge le moulin de LA FERRIERE,
dans des conditions un peu impromptues semble-t-il puisque son contrat de
Ferme ne sera passé que le 5 Février suivant. Au
matin de ce jour-la, Jean LALOUBIE maître d'Affaires du Comte de PONS
arrive au moulin de VILLANDRAUT et, outre Jean FERRAND il y retrouve Me
PERROY, Notaire à NOAILLAN. Il
y a déjà un mois que FERRAND a pris la responsabilité du moulin de La
FERRIERE (sans abandonner pour autant VILLANDRAUT) et les conditions de sa
ferme ont déjà été débattues. Il ne s'agit plus que de mettre tout
cela en forme et de préciser les détails ; beaucoup de détails au
demeurant. Le
bail sera de sept ans, expirant au 31 Décembre 1750. Le prix de la ferme
est fixé majoritairement en nature et un peu en argent. Il sera de 200
boisseaux de seigle, mesure de BAZAS (206 hl), 100 boisseaux de panis
(environ 103 hl), 35 Livres en argent plus 30 autres Livres pour le bail
d'un pré dit "du JUGE". Il
s'y ajoutera des redevances sous la forme de six paires de chapons et
l'obligation d'engraisser un porc que le Seigneur doit fournir à l'âge
de 4 à 5 mois, le meunier prenant alors le relais pour le conduire à son
terme. FEPRAND
devra faire toutes les réparations nécessaires, en particulier,
entreprendre les travaux de révision des toitures du moulin et de la
maison à charge pour le Seigneur de livrer sur place les matériaux qui
seront nécessaires. De même fournira-t-il le bois destiné à la réparation
des rouets de la machinerie, mais pas le "caillou" des
meules qui restera de la responsabilité du meunier. A
l'inventaire, on recensera 57 pouces de ce caillou, et l'on conviendra,
ici encore, d'un prix de 6 Livres par pouce en cas de variation en fin de
bail. Enfin,
de minutieuses dispositions sont arrêtées quant à l'exploitation du
poisson de l'étang. Il est convenu que cet étang sera vidé tous les
trois ans au moment du carême pour en prélever les produits. Le
meunier ne pourra demander aucune indemnité pour le chômage du moulin
qui s'ensuivra. Mais en contrepartie, il aura droit à l'exclusivité de
cette pêche moyennant un bail spécial dont le prix est fixé, pour
chaque année de pêche, à 800 Livres en argent avec livraison au Château
d'un poids de 50 livres de poisson (environ 24 kg.) que les représentants
du Seigneur choisiront parmi les prises. Ces
prises seront strictement calibrées. Les
carpes de moins d'une demi livre ( 240 gr.), les brochets et tanches de
moins d'un quart de livre (120 gr.) et les perches inférieures à un
demi-quart (30 Gr.) devront être remis à l'eau. Jean vendra le poisson
disponible à son entière convenance. Il
est enfin précisé que la présente année 1744 sera une année de pêche.
Le Carême commençant cette année-là le 19 Février, cette partie du
contrat n'allait pas tarder à pouvoir s'appliquer. Voilà donc Jean meunier de LA FERRIERE, sans pour autant quitter, c'est bien établi, le moulin de VILLANDRAUT dans lequel il continuera d'habiter. |
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Jean Ferrand
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A
la fin de la même année 1744, Jean DUBEDAT, dit CAPBLANC, frère de
Marie DUBEDAT, et par conséquent Beau Frère de Jean est au plus mal. Il
est boucher à LEOGEATS, au quartier de PEYLEBE; Depuis son veuvage, il élève
seul Marguerite et André, ses enfants mineurs dont la fille est néanmoins
adulte mais le garçon encore très jeune. Dans l'après midi du 3
novembre, il dicte son testament à Me PERROY qu'il a appelé à son
chevet. Il devait mourir presqu'aussitôt après. Dans
ce testament, il confie les deux orphelins à Jean FERRAND, et lui fait
don pour les entretenir, de l'usufruit de tous ses biens jusqu'à leur
majorité. Il en partage ensuite la propriété en attribuant les deux
tiers au garçon et le tiers restant à la fille. Dès
le 13 novembre Jean FERRAND se présente au Parquet du Tribunal et déclare
accepter la tutelle de ses neveu et nièce. Mais comme Marguerite, est déjà
adulte (quoi que mineure de 25 ans), la Coutume de BORDEAUX prévoit
qu'elle doit confirmer elle-même qu'elle accepte bien Jean FERAND pour
tuteur, ce qu'elle fait. L'intervention du Procureur d'Office est également nécessaire car il s'agit de protéger les droits des mineurs orphelins ; il donne aussi son accord. Le Juge invite donc Jean FERRAND à prêter le serment : " de
bien et fidèlement régir et gouverner les personnes et les biens desdits
mineurs, luy faisant inhibition et défance d'aliéner lesdits biens ny
lever aucun capitaux à eux appartenant que par assemblée et délibération
des parents et autorité de justice... " Pour
la seule formalité de prestation de serment il ne s'en tirera pas à
moins de 3 livres et 4 Sols pour le Juge, autant pour le Procureur
d'Office et encore autant pour le Greffier, soit donc 9 Livres et 12 Sols
majorées des frais d'expédition de l'acte qu'il devra régler ultérieurement.... Jean
FERRAND va tout aussitôt organiser cette nouvelle situation. il va
demander au Juge l'autorisation de vendre tous les meubles de la
succession afin de les transformer en une somme d'argent connue et
incontestable, et de donner les immeubles à bail judiciaire dont le
revenu sera lui aussi défini et, connu de tous. A cet effet, dès le lendemain 14 novembre, il présente une requête au même Juge de NOAILLAN lui exposant que : " ...
il a intérêt de veiller à la conservation entre autres chozes des
mubles et effaits mobilliers délaissés par lesdits feus DUBEDAT et
CAZENAVE dans leur maizon quy sont de très peu de valleur et presque
pourris. Et pour se mettre à l'abri du blâme que pourroient luy faire
ses mineurs à leur majorité, il a recours à l'authorité de Votre Bonne
Justice afin que, ce considéré, il, vous plaise, de Vos Grâces,
Monsieur, luy permettre sous le Bon Plaisir de Monsieur le Procureur... de
faire vendre et enquanter aux formes ordinaires tous les susdits mubless
et effaits quy sont existants dans ladite maizon et contenu dans
l'inventaire retenu par Me Étienne PERROY Notaire Royal ... " Il
ne faudrait pas croire qu'une mesure aussi radicale soit à mettre au
compte d'une quelconque suspicion entre FERRAND), son Neveu et sa Nièce.
Il s'agissait d'une règle très générale et qui souffrait peu
d'exception. Sur
le plan strictement juridique, le procédé éliminait tout risque de
contestation ultérieure fondée sur le vieillissement et l'usure des
meubles. En
vendant tout aux enchères sous contrôle judiciaire, on devenait
comptable d'une certaine somme qu'il suffisait de restituer à la fin de
la tutelle pour que personne n'ait plus rien à redire. C'était
simple et efficace. Sur le plan affectif, la mesure était plutôt rude.
Non seulement les mineurs venaient de perdre leur dernier parent, non
seulement il leur fallait quitter la maison de leur enfance, mais encore
il leur fallait voir disperser dans l'instant tous, absolument tous les
meubles, tous les souvenirs de leur foyer, tout ce qui aurait pu les
rattacher tant soit peu à leur passé. Certains
enfants l'ont très mal supporté, mais personne ne leur demandait leur
avis. Pour assurer la publicité de cette vente, il fallait procéder à un "proclamat" : "...préalablement
fait au devant la porte de l'Église ...de LEUGEATS , demain, jour de
Saint Dimanche tout comme le peuble sortira d'entendre la Sainte Messe
paroissialle, par LASSERRE Sergent Ordinaire du Présent lieu..." Avec
l'avis favorable du Procureur d'Office, le Juge lui accorda le jour même
cette autorisation; et il lui en coûtera encore 32 Sols pour le Juge, et
autant pour le Procureur et le Greffier, soit donc 4 Livres et 16 Sols
sans compter le prix du papier timbré.... Tout
cela avait donc pour but de régler la question des meubles. Mais il
fallait aussi régler celle des immeubles. Jean FERRAND avons-nous dit
avait résolu de recourir au bail judiciaire. Cette procédure consistait
à donner des immeubles à un particulier qui en devenait fermier à
l'issue d'enchères organisées par voie de Justice. Un
prix de ferme annuel serait ainsi fixé, et comme il avait reçu
l'usufruit de ces biens en contrepartie de la charge des enfants, le
montant lui en resterait acquis sans avoir de compte à rendre à
quiconque, pas même aux mineurs au moment de leur majorité. C'est
donc ce qu'il va demander au Juge le même jour 14 novembre dans une autre
requête faisant suite immédiate à la précédente. Mais
ici les choses sort un peu plus complexes car la Coutume exige, pour les
immeubles d'annoncer la mise aux enchères par trois "proclamats"
successifs (au lieu d'un seul pour les meubles), avec dispense de l'un
d'entre eux, en cas d'urgence, si le Juge l'estime opportun. Or c'est ce
que FERRAND va demander ici, car il a un motif sérieux de brûler les étapes.
Nous
sommes à la mi-novembre, et il est déjà bien tard pour les labours
d'automne, l'heure des semailles est déjà arrivée. Si l'on effectue les
trois "proclamats" prévus sur trois Dimanches consécutifs,
on va repousser la mise aux enchères de quinze jours au minimum et la
situer, au plus tôt, début décembre. On peut craindre une grande circonspection des candidats vis-à-vis d'un bail dont la première année serait compromise sinon perdue; il est même déjà bien tard. Il demande donc au Juge : " à
ces fins le dispenser d'un troisième proclamat, attendeü la saizon
pressante pour ensemencer les terres... " dispense qu'il obtiendra sans difficulté car le Juge est lui-même propriétaire foncier ce qui le rend particulièrement sensible à l'argument. FERRAND propose un bail de cinq ans et fixe la mise à prix à un niveau incroyablement bas : 3 Livres de rente annuelle...! il y a pourtant là des biens : " scitués
dans la Paroisse de LEUGEATS..(au lieu)..appelé à PEYLEBE, consistant en
maizons, terres labourables et à labourer, vignes, preds et bois... " En bref, un exploitation qui parait à peu près équilibrée. Pourtant, ni le Procureur d'Office, ni le Juge, ne paraissent trouver cette mise à prix anormale, aucun des deux ne réagit. Il sera simplement précisé que le futur fermier : "ne
pourra couper aucun arbre au pied en vie que pour les réparations de la
maizon et autres bâtiments et par authorité de justice... " Il
est décidé que les enchères se dérouleront devant le Parquet de
NOAILLAN, le 26 Novembre, jour d'audience du Tribunal. Le Procès Verbal
de cette vente n'a pu jusqu'ici être retrouvé et c'est bien dommage car
il eût été intéressant de suivre le déroulement des enchères et de
voir quel montant a pu atteindre cette ferme en partant d'une mise à prix
aussi modeste. Par contre, les archives nous ont conservé le Procès Verbal de la vente des meubles qui se déroula le Dimanche 29 novembre. Etienne LASSERRE, Sergent de la Cour de NOAILLAN, y déclare avoir fait : "une
proclamation sur la place publique dudit LEUGEATS à l'issue de la Messe
paroissialle, environ les onze heures du matin, tout comme le peuble
sortoit de l'entendre; et après avoir crié et recrié par plusieurs fois
d'une intelligible voix que tous ceux qui voudront acheter desdits mubles
seroient reçus et qu'à ces fins nous allions tout à l'instant avec
ledit FERRAND audit lieu de PEYLEBE pour en faire délivrance au plus
offrant et dernier enchérisseur..." Tout
le monde se transporte au lieu désigné et, devant la porte de la maison,
la vente commence. Sur des pages et des pages, la désignation des objets
proposés est soigneusement consignée avec le nom de chaque enchérisseur
et le montant de sa proposition jusqu'à la désignation de
l'adjudicataire. Nous
n'entrerons évidemment pas dans ce détail, mais nous en tirerons une
impression générale de pauvreté manifeste. Tout est usé ou en mauvais état. Il n'y a presque pas de linge, pratiquement pas de vaisselle (un plat, une écuelle, deux cuillères et une salière...), un seul lit "vieux, vermoulu" et un "mauvais châlit", deux chaises paillées, une modeste batterie de cuisine comportant un gril, deux poêles à frire et un petit poêlon. Par contre, il s'y trouve deux chaudrons de cuivre probablement liés à l'activité de la boucherie tout comme : "quatre
grands couteaux appelés poignards ... uzés servant aux bouchers pour
couper la viande, racler, une paire de balance avec la garniture des poids
pour pezer la viande, deux baguettes de boucher... et deux étrilles pour
éguizer les couteaux.." Il
y a enfin très peu de provisions, et c'est très surprenant, surtout si
l'on tient compte de la date de cet inventaire, fin Novembre, au moment où
chaque foyer doit avoir constitué ses réserves pour passer l'hiver. On
ne trouve à ce titre qu'un demi boisseau de blé (environ 51 litres), et
une "barrique de vin moyzi" qui s'enlève tout de même
au prix de 11 Livres (le prix normal d'une barrique de vin marchand étant
alors de 25 à 30 Livres). Enfin,
le seul objet un peu insolite qui sera proposé est "un pistollet
de ceinture" mis à prix 3 Livres et qui trouvera preneur à 4.
Au résultat final, le produit de la vente fournira 138 Livres et 11 Sols.
Le métier de boucher à LEOGEATS n'avait manifestement pas enrichi son
homme. Jean
FERRAND est bien connu au Tribunal de NOAILLAN, il doit y avoir ses
grandes et ses petites entrées. Dès la semaine suivante, le 5 Décembre,
il y assigne Jean BALIS, un maçon, toujours pour de petites dettes (ici
19 Livres et 10 Sols) dont il ne peut récupérer le montant. Après des renvois d'audience en audience pendant près de deux mois, la Cour condamnera son débiteur le 21 Janvier 1745 avec contrainte de saisie. Mais une affaire tient presque l'autre car dès le mois de Mars, il engage un nouveau procès contre un certain Pierre DUBOURG, dit PIERROT, qui lui doit 17 Livres et 7 Sols; et de nouveau, l'affaire est renvoyée d'audience en audience, le débiteur ne se présentant pas. Il sera condamné le 28 Mai, toujours par défaut. FERRAND tient presque en permanence une procédure "au chaud", un peu comme un fil rouge tout au long de sa vie. |
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Jean Ferrand marie son fils aîné.
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Pourtant,
en Janvier / Février 1745, il devait avoir d'autres préoccupations en tête,
car, le 23 Février, il marie son Fils aîné, Etienne, avec Marie CABIROL.
Elle était de LIGNAN de BAZAS, au quartier de LABARDIN, où le contrat de
mariage avait été signé le 29 Janvier. Nous reviendrons en détail sur
cet évènement en évoquant l'histoire de cet Etienne qui est l'un des
maillons de notre filiation. Pour
l'instant, contentons nous de noter qu'il va y avoir beaucoup de monde
autour de FERRAND au moulin de VILLANDRAUT. En Novembre, on y a vu arriver
la Nièce et le Neveu DUBEDAT, et trois mois plus tard, la jeune femme
d'Etienne. Beaucoup de jeunesse aussi, car si Marguerite DUBEDAT semble
avoir une vingtaine d'années, Etienne a 22 ans et sa femme Marie a peine
plus de 17.... |
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Une révolution familiale, Jean Ferrand déplace
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Une
année s'écoule ainsi, et soudain, Jean FERRAND va prendre une toute
nouvelle orientation. Il abandonne la rive gauche du CIRON, les moulins de
VILLANDRAUT et de LA FERRIERE, et passe sur la rive droite, sur la
Seigneurie de NOAILLAN dont il afferme les trois moulins en une seule opération
: celui du CASTAING sur le CIRON, du BASCANS à NOAILLAN, et de LEOGEATS. Tout
cela n'a pas coulé de source, et il nous faut examiner de très près
chacun des épisodes de cette révolution familiale. Nous
sommes au printemps de 1746, plus exactement dans l'après midi du lundi 4
Avril ; Jean FERRAND s'est rendu au Château de NOAILLAN, et là, il
rencontre pas mal de monde. Il
y trouve en effet François DUPRAT et Pierre SARRAUTE qui habitent
NOAILLAN et sont les Agents d'Affaires de Messire Joseph DUROY, Premier Président
de la Cour des Aides de Guyenne, mais il y a là également Me Jean
DANDIRAN, Prêtre, Docteur en Théologie, Curé de SAMADET, aux confins de
la CHALOSSE, car la situation de la Seigneurie de NOAILLAN n'est pas
simple. Elle
est en effet indivise entre le Président DUROY et Messire Pierre Joseph
DEPYS, Ecuyer, lequel est encore mineur et sous la tutelle de l'Abbé
DANDIRAN. Et rien ne peut se faire sans que les deux Co-Seigneurs
interviennent. Pour
le Président DUROY, les choses sont relativement simples puisqu'il est
représenté sur place par ses deux agents permanents. Il en va tout
autrement pour Pierre Joseph DESPYS dont le tuteur, à chaque fois, doit
faire le voyage de SAMADET à NOAILLAN, et à l'époque, ce n'était pas
une mince affaire. Et pourtant, cet Abbé DANDIRAN est très présent; de
nombreux textes attestent de ses interventions personnelles en diverses
affaires. En tous cas, il était bien là en cette après-midi du 4 Avril
1746. De
quoi allait-on débattre ? De l'attribution des moulins de la Seigneurie
de NOAILLAN à Jean FERRAND qui s'était porté candidat à leur reprise
et, sur sa bonne réputation, avait été agréé. Il y avait trois moulins sur cette Seigneurie, répartis sur deux Paroisses, et faisant l'objet d'un seul et même bail. Il y avait donc d'abord le moulin du CASTAING, lequel existe encore ; c'était le plus important : "
sur le fleuve du CIRON, moulant à trois meules, appelé à CASTAING. " Un autre : "appelé
le MOULIN, sur le Ruisseau de BASCANS, moulant à une meule, sur la
Paroisse de NOAILLAN." Le troisième enfin : "sur
le Ruisseau de LEUGEATS, moulant à deux meules. Le bail portait non seulement sur ces trois installations, mais aussi sur les : "près,
terres, jardins, aubarèdes, vergnères, bâtiments et autres appartenance
et dépendances desdits moulins sans en rien excepter et ce pour le temps
et espace de neuf années consécutives... qui commenceront le 20 du
courant (Avril 1746)..." Le prix total de la ferme était fixé à 1600 Livres payables en quatre quartiers égaux. S'y ajoutaient des redevances en volailles, savoir : "quatre
paires (de) chapons, quatre paires (de) poulets et quatre paires (de)
canards, chacune desdites neufs années, à la saison de chaque espèce..." FERRAND s'engageait en outre à y résider : " promet
et s'oblige aussi ledit FERRAND à les résider pendant le temps du présent
bail... " ce
qui, par le fait même, ouvrait un conflit avec les engagements qu'il
avait pris à VILLANDRAUT, ce qui va le conduire à prendre un certain
nombre de mesures importantes. Quant
à l'entretien et aux réparations, les obligations allaient s'enchevêtrer
d'une façon assez complexe. FERRAND assurera toutes les réparations aux
bâtiments et aux machines. Il fournira également le caillou des meules,
mais ce sont les Seigneurs, en cas de besoin, qui en assureront le
transport. Le bois dont FERRAN aura besoin pour réparer les rouets, les pelles, etc... des moulins sera fourni par les Seigneurs, sur pied, en tel lieu que désigneront leurs agents. Il appartiendra à FERRAND de le faire abattre et débiter à ses frais; mais ce sont les Seigneurs qui prendront le transport à leur charge jusqu'au moulin où il devra être utilisé. Il est néanmoins précisé que FERRAND pourra disposer à son usage de tous les déchets de bois (branches, délignages, etc...) qui subsisteront après l'exploitation de ce bois d'oeuvre. Enfin, les Seigneurs s'engagent à fournir et livrer sur place : "la
pierre qui sera nécessaire pour réparer et maintenir la digue et chaussée
dudit moulin de CASTAING..." Cette
digue existe encore. Tout est prévu, même les caprices du CIRON, et il en connaît toujours quelques uns. Dans le cas de débordements, si le moulin du CASTAING se trouvait "engorgé" et ne pouvait plus moudre, il était prévu que les premiers huit jours de chômage seraient au compte du meunier et sans indemnité; au delà, les Seigneurs consentiraient un rabais sur le prix de la ferme : "à
raison de trois Livres par jour..." On
peut se demander comment ce chiffre a pu être déterminé. En fait, il
est tout à fait cohérent, et on peut en reconstituer le calcul comme
suit : les 1600 Livres du bail reposent sur le travail de six meules dont
trois se trouvent au CASTAING. La
redevance affectable à ce moulin représentait donc à peu près la moitié
de cette somme, soit 800 Livres. Or,
à l'époque, il y avait 290 jours ouvrables dans l'année, ce qui définissait
une redevance quotidienne de 2 Livres 15 Sols. Il n'est pas douteux que
les intéressés avaient fait ce calcul avant nous... Enfin, et pour en terminer, il est prévu que les Seigneurs : " seront
tenus ..(de).. faire récurer le bassin du moulin du présent lieu
(NOAILLAN) qui est comblé, et le mettre en estas de recevoir les eaux du
ruisseau pour faire aller ledit moulin... " Tout
le monde est bien d'accord, et l'on signe, sauf FERRAND, bien sûr,
puisqu'il n'a jamais su écrire. Tout
cela est bel et bon, mais que faire maintenant des moulins de VILLANDRAUT
et de LA FERRIERE qu'il va falloir abandonner puisque FERRAND s'est engagé
à aller habiter au CASTAING ? |
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Jean Ferrand se désengage
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A
VILLANDRAUT, il est engagé jusqu'au 20 Mai 1749, soit donc pour quatre
ans encore, et à LA FERRIERE jusqu'au 31 Décembre 1750, soit pour quatre
ans et demi. Il
lui faut trouver des sous-fermiers qui assureront la poursuite de ses
engagements jusqu'à leur terme. Pour
VILLANDRAUT, c'est déjà fait. Avant de signer à NOAILLAN, il a cherché
et trouvé son homme en la personne de Barthélemy LACOSTE, marchand
meunier, habitant à PUJOLS. Il
lui cède son bail pour le temps qui reste à courir à partir du 20
Avril, date à laquelle il prendra en charge la ferme de NOAILLAN. Le
prix et les conditions seront identiques à ce qu'il a accepté lui-même;
le détail en est communiqué au preneur qui s'engage en outre à aller
habiter sur place. De plus, pour faciliter son installation et en particulier lui permettre d'acheter les chevaux nécessaires à l'exploitation, FERRAND lui prête 100 Livres en argent. Il est convenu que LACOSTE les lui rendra six mois avant l'échéance du bail, soit donc à la fin de 1748. Et pour tenir lieu d'intérêt, le même LACOSTE s'engage à fournir à FERRAND, l'année en cours (1746), et celle-là seulement : "
lors qu'il aura fait faucher et sécher le foin (du) pred (du moulin de
VILLANDRAUT) vingt quintaux dudit foin bon et bien conditionné que ledit
FERRAND prendra sur les lieux du plus près du moulin..." Toutefois,
Jean FERRAND a pris des précautions. Il a exigé que LACOSTE présente
une caution financière et c'est un certain Bernard TAUZIN, vigneron à
PUJOLS qui se porte garant sur ses biens de tous les paiements et
obligations incombant à LACOSTE. La
preuve que tout ceci avait été décidé et arrêté de longue date,
c'est que l'acte correspondant est dressé le même jour 4 Avril 1746, au
même lieu (au Château de NOAILLAN) et devant le même Notaire qui vient
de recevoir le bail des moulins de la Seigneurie. Au
surplus, ce sont les hommes d'affaires des Seigneurs locaux qui servent de
témoins à ce contrat de sous-ferme réglant le problème du moulin de
VILLANDRAUT. Pour
la LA FERRIERE, les choses ne vont pas être aussi simples. Jean FERRAND
avait lié langue avec Jean LACOSTE dit LABARTOULINE, probablement un
parent du Barthélémy LACOSTE que nous venons de rencontrer. Il avait
paru s'intéresser à cette sous-ferme. D'ailleurs,
le 4 Avril après midi, il avait assisté à la passation du bail des
trois moulins au Château de NOAILLAN puisqu'il figure dans l'acte à
titre de témoin. Le
soir du 11 Avril, jour du Lundi de Pâques, Jean FERRAND était resté à
NOAILLAN où il soupait chez François DUPRAT, l'un des Agents des
Seigneurs. A
la fin du repas, alors qu'ils étaient encore autour de la table en train
de discuter de leurs affaires, voilà que survient Jean LACOSTE; il
pouvait bien être de neuf à dix heures. Il n'était pas seul, car il s'était fait accompagner d'Arnaud DUPRAT, dit LAVIGNE, lequel était boucher à NOAILLAN. Les deux hommes savaient bien qu'ils trouveraient là FERRAND, car ils le cherchaient. Et voilà que tous deux, en présence de DUPRAT, maître des lieux, "unanimément
réitérèrent (à FERRAND) les propositions qu'ils lui avoient déjà
faites de consentir en faveur dudit LACOSTE le bail à sous-ferme des
moulin et pêche de LA FERRIERE.." Jean FERRAND n'y est certes pas opposé, mais il entend monnayer cette cession en exigeant : " trois
cens Livres pour présent (et) pure gratification (en échange) de ladite
cession..." C'est
vraiment, comme il le dit lui-même, une "pure gratification"
car on ne voit pas très bien ce qui pourrait justifier une telle reprise.
Il n'a pas réclamé un seul sol supplémentaire à Barthélémy LACOSTE
pour la cession de la ferme du moulin de VILLANDRAUT, mieux encore, il lui
a prêté de l'argent pour démarrer dans de bonnes conditions. Alors
pourquoi exiger la coquette somme de 300 Livres pour la ferme de La
FERRIERE ? Et
précisons bien qu'il n'y a là aucune manoeuvre tortueuse ou cachée, car
c'est très ouvertement, en présence d'un Homme d'Affaires des Seigneurs,
et à sa table même, qu'il formule cette exigence. Cette
sous-ferme devait constituer une bonne opération car, contre toute
attente, LACOSTE accepte le marché. FERRAND soulève encore la question
d'un cautionnement, mais le boucher intervient et donne verbalement
l'assurance qu'il y pourvoira. L'affaire
était donc pratiquement bouclée, mais, vu l'heure tardive, d'un commun
accord, on convint qu'il n'était pas opportun de déranger un Notaire
pour en dresser l'acte aussitôt. Toutefois,
LACOSTE, qui tenait à concrétiser les choses, décida de verser à
FERRAND, devant témoins, la somme symbolique de 6 Livres pour matérialiser
la conclusion du contrat, et rendez-vous fut pris pour le lendemain en vue
de passer l'acte et de procéder au versement complémentaire. Sur ce,
chacun se retira en sa demeure. La
journée du lendemain passa sans que FERRAND vit venir quiconque; mais c'était
le Mardi de Pâques qui, en ce temps-là, était un jour férié. Le
Mercredi 13, jour de marché à VILLANDRAUT, FERRAND dût avoir d'autres
occupations ; bref, le temps passa; mais le Samedi matin, le 16 Avril,
FERRAND n'avait toujours vu venir personne. Il s'en fut donc sans plus
tarder trouver Me PERROY en son Etude de NOAILLAN. Il lui expliqua toute l'affaire et lui demanda de dresser un acte de sommation à l'adresse de Jean LACOSTE pour le mettre en demeure de concrétiser l'engagement pris le soir du Lundi de Pâques en lui apportant les 294 Livres restant dues : "
offrant (ledit FERRAND), la remise de la somme préalablement faite, de
consentir ledit contrat de cession en faveur dudit LACOSTE, par devant tel
Notaire voisin qu'il lui indiquera..." Et
FERRAND concluait qu'à défaut de réaction rapide de sa part, il
l'assignerait en justice pour rupture abusive de contrat. A
peine l'encre de son acte était-elle sèche que le Notaire partit en
campagne pour aller le notifier à Jean LACOSTE, son destinataire. Il devait bien avoir une petite idée du lieu où il pourrait le trouver car la chose ne tarda guère. Il le découvrit presqu'aussitôt et lui signifia la sommation de FERRAND dont il lui remit copie : "
parlant à luy, trouvé au présent Bourg de NOAILLAN, chez JANIN, hôte
(de ce lieu)..." Si
Jean LACOSTE ne s'est pas manifesté, c'est probablement parce qu'il n'a
pas pu réunir la somme convenue dans un si bref délai. Mais il
n'abandonne pas son idée pour autant, et cette affaire va connaître,
moins de trois mois plus tard un rebondissement fracassant qu'il nous
faudra relater, à son heure, dans son détail, car l'épisode en vaut la
peine. Mais
entre temps, il va encore se passer bien des choses. |
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Prise en charge
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De grand matin, le 21 Avril, François DUPRAT et Pierre SARRAUTE, Hommes d'Affaires des Seigneurs et Jean FERRAND se sont donné rendez-vous au moulin du CASTAING. Ils
auraient dû y retrouver Arnaud BEZIN, le précédent fermier, qui vient
de déménager pour se retirer à BUDOS. Mais il est très malade et il a
envoyé son fils dit PETITON. A
ce groupe, se joignent deux experts, Jean DARQUEY, "faiseur de
meules" et Arnaud BIMES, "charpentier de moulin",
et pour compléter le groupe, Me PERROY, le Notaire, qui dressera Procès
Verbal de tout ce qui se dira au cours de cette journée. Il s'agit de
dresser un constat précis de l'état de chacun des trois moulins objets
de la ferme. Tous se transportent d'abord "au petit moulin du BASCANS" sur la Paroisse de NOAILLAN. Ce qu'ils y découvrent n'est guère réjouissant. Le rouet et l'arbre de la machinerie sont "coupés" (mot gascon signifiant "cassés"), l'échac (le déversoir) est délabré, la clampade (le bassin de rétention précédent le déversoir) est comblée de sable, "
enfin, tant à la couverture et charpente dudit moulin qu'à celle de l'écurie,
il y a un tiers de la charpente et (du) toit délabrés, enlevés et en
ruine, le restant de ladite charpente ayant besoin d'être recouvert et le
tout réparé incessamment pour éviter la ruine et chute totale." En
bref, en un mot comme en mille, ce moulin n'est plus en état de marche. De là, la petite troupe se rend à LEOGEATS. L'installation est tout de même en meilleur état, seule, la charpente a besoin d'être recouverte à neuf. La machinerie est en état. La première meule a : "
trois poulces d'épaisseur de caillou, le soustre (il s'agit de la meule
dormante) huit poulces, ... la seconde meule quatre poulces et demy d'épaisseur
de caillou, le soustre cinq poulces..." Avec
quelques huit centimètres d'épaisseur, la première meule est bien un
peu mince, mais elle pourra encore tourner quelques temps encore. Ce
moulin peut donc travailler. De là, tous reviennent au moulin du CASTAING d'où ils étaient partis le matin. La situation y est, globalement, acceptable. Certes, la charpente de la grange a besoin d'être révisée, mais des ouvriers sont en train de s'y employer. Par ailleurs : "L'abondance
des eaux empêche .... qu'on ne peut visiter la digue et chaussée..." mais
les Hommes d'Affaires disent qu'elles comportent "des défectuosités
considérables" et que leur état devra être reconsidéré
lorsque les eaux auront baissé. Au
résultat de tout ceci, BEZIN sera fermement invité à tout remettre en
état. Mais celui-ci, du fond de sa retraite à BUDOS va se refuser à
signer ce Procès Verbal car il en conteste les termes. Cinq
jours plus tard, les Hommes d'Affaires se retrouvent devant le Notaire
pour lui adresser une sommation en bonne et due forme d'avoir à procéder
aux réparations utiles et tout spécialement à la remise en état du
moulin du BASCANS qu'il avait manifestement laissé tomber depuis pas mal
de temps. Me
PERROY prend aussitôt le chemin de BUDOS et s'en va signifier cet acte,
le jour même, au chevet de BEZIN. Mais
décidément, ce BEZIN intéresse beaucoup de monde car, le même jour
encore, se présente au CASTAING, Pierre LAPIERRE dit PIERROT, marchand à
NOAILLAN, qui est Collecteur des Tailles de la Paroisse pour cette année
là. Il
fait constater au Notaire que BEZIN, sur les 215 Livres qu'il devait au
titre de l'impôt n'en avait acquitté que le quart. Il se propose donc de
procéder à une saisie conservatoire, mais il arrive trop tard puisque
BEZIN s'est déjà retiré à BUDOS avec son mobilier. Il
n'a laissé sur place qu'un cheval sellé et bridé et deux mules que
LAPIERRE s'empresse de mettre sous séquestre en en confiant la garde à
François DUPRAT, l'un des deux Hommes d'Affaires. Jean
FERRAND vit là une semaine chargée, surtout si l'on veut bien noter que,
dans le même temps, il déménage, avec toute sa famille, du moulin de
VILLANDRAUT à celui du CASTAING. Le
16 Avril il habitait encore à VILLANDRAUT, et le 27 du même mois, il
habite déjà à NOAILLAN. Son déménagement a donc pris place dans ce
laps de temps, et il est utile de rappeler que déménager d'une rive à
l'autre du CIRON, sans pont réellement praticable et en période de
fortes eaux (on vient de nous le dire), n'était certainement pas un
exercice de tout repos... Il
restait à dresser l'état des lieux au moulin de VILLANDRAUT pour en
passer la responsabilité à Barthélemy LACOSTE. C'est ce à quoi l'on
procède dans l'après-midi du 27 Avril. Mais là, les choses vont mieux
se passer car ce moulin est manifestement en bon état. FERRAND l'a
incontestablement bien tenu. Les trois "moulanges" (meules tournante et dormante) ont respectivement 18, 20 et 20 pouces ½ d'épaisseur, ce qui est correct; elles sont ceinturées de huit cercles de fer dont l'un est neuf, les arbres et rouets sont en état de marche, enfin les charpentes du moulin et de ses dépendance sont reconnues être en bon état. Le tout a été examiné : "par
des gens experts par eux commis et entendus..." Que
peut-on souhaiter de mieux, tout le monde est d'accord. |
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Une société d'exploitation.
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FERRAND
est donc désormais installé à NOAILLAN où il retrouve les racines de
sa famille. Mais il porte tout de même un souci. Il n'a pas assez de
prairies pour nourrir son bétail et tout particulièrement ses chevaux
dont il a besoin pour son commerce, car les meuniers, à la différence
des laboureurs, utilisent des chevaux pour le trait et des mules pour le bât.
Les
Seigneurs ont bien des prairies qui s'étendent entre le Château et le
CIRON, des prairies dont ils n'ont pas l'usage puisqu'ils ne résident pas
sur place, mais cela ferait une trop grande surface excédant, pour le
coup, les besoins de FERRAND. Pourtant,
en huit, jours, ce problème va être réglé. Il va monter une sorte de
société coopérative avec huit autres propriétaires locaux, et va
souscrire une ferme collective auprès des Seigneurs. Et
en cette occasion, le 4 Mai, on voit reparaître l'Abbé DANDIRAN, Curé
de SAMADET, car c'est avec lui que l'affaire va se conclure. Jean
FERRAND et ses associés vont affermer ces prairies pour une durée de
cinq ans au prix annuel de 400 Livres payables en deux pactes égaux aux Fêtes
de Noël et de Pâques. Dans cette société, FERRAND prendra presque la moitié des parts puisqu'il s'inscrit pour 188 Livres, les huit autres sociétaires se partageant le solde. L'Abbé DANDURAN prend bien soin de faire mentionner que les fermiers : "
promettent et s'obligent... de régir et gouverner ladite prairie en bons
Pères de famille et laisser les fossés et rouilles en état, ayant été
récurés la présente année...". Curieusement,
l'un des témoins de cet acte est Jean BEZIN, de BUDOS, un frère d'Arnaud
avec lequel les Seigneurs de NOAILLAN sont en difficulté pour leurs
moulins. A
quinze jours de là, le 16 Mai 1746, Etienne FERRAND, le Fils aîné et
Marie CABIROL ont un premier enfant, Jean, que nous retrouverons un peu
plus tard. Sa
Mère a tout juste 18 ans ½ , cela fait beaucoup de jeunesse dans ce
moulin du CASTAING, et de la jeunesse très remuante ainsi que nous allons
le découvrir dans l'instant. |
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Un épisode rocambolesque.
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Nous
n'avons pas oublié que Jean LACOSTE, depuis le soir du Lundi de Pâques
n'avait plus donné signe de vie à son interlocuteur Jean FERRAND. A
la vérité, c'est parce qu'il n'avait pas réussi à réunir les 300
Livres qui lui étaient demandées. Il en avait rassemblé 144 qu'il avait
proposées en attendant mieux. Mais
FERRAND avait refusé cette avance, estimant probablement que si LACOSTE,
avec le concours de sa caution, ne parvenait pas à réunir la somme
totale, cela laissait mal augurer de sa solvabilité future. En
attendant, LACOSTE avait fait constater devant Notaire qu'il disposait
bien des 144 Livres offertes et les avait consignées entre les mains d'un
certain Arnaud VIGNON, tonnelier à COIMERES, lequel en était devenu dépositaire.
Mais
FERRAND, dans l'intervalle, n'était pas resté inactif, et en exécution
de sa sommation du 16 Avril, nonobstant la proposition partielle de
LACOSTE, il l'avait assigné devant le Tribunal de BARSAC (dont PUJOLS dépendait).
Cette
affaire était bien mal engagée pour notre candidat fermier, et il
l'avait bien compris. Au
fond, tout venait du fait qu'Arnaud DUPRAT, le boucher de NOAILLAN qui lui
avait promis sa caution n'avait pas eu des moyens suffisants pour mettre
immédiatement à sa disposition les fonds nécessaires à l'agrément de
sa candidature. Il
avait alors cherché quelqu'un d'autre et avait trouvé Jean BOURRUT,
meunier à BALIZAC qui avait certainement d'autres capacités financières.
Mais
tout cela avait pris du temps. Ce n'est qu'en début Juillet 1746, que
Jean LACOSTE fut en mesure de se représenter devant Jean FERRAND pour lui
apporter les 300 Livres promises. Mais
ce qu'il ne sait pas, à ce moment-là, c'est que FERRAND, qui n'a pas
apprécié la légèreté de ses promesses, va, avec beaucoup de malice,
jouer avec lui à une sorte de jeu du chat et de la souris. Sans
prévenir FERRAND de sa démarche (autre légèreté), Jean LACOSTE avait
fixé rendez-vous à un certain nombre de personnes, le 9 Juillet au
matin, sur le Bourg de LEOGEATS. Il
y avait là Jean BOURRUT, sa nouvelle caution, venu de BALIZAC, et qui était
arrivé le premier, bientôt rejoint par Me BIRETON, Notaire, venu de
BARSAC, puis Armand VIGNON, le tonnelier de COIMERES, dépositaire des 144
Livres consignées et qui les emportait avec lui, Jean CASTAING, boucher
à BARSAC, qui avait déjà servi de témoin lorsque les mêmes 144 Livres
avaient été offertes à FERRAND une première fois, Jean LACOSTE, le
principal intéressé, venu de PUJOLS, et enfin, tout à fait par hasard,
Joseph COURDON, tailleur d'habits à BALIZAC, qui était venu là
uniquement parce qu'il avait entendu dire que Me BIRETON devait passer et
qu'il avait besoin de l'entretenir d'une certaine affaire.... Il
n'avait rien à voir dans l'expédition qui se préparait, mais on le
convia à l'accompagner, ce qui lui permettrait de s'entretenir, chemin
faisant, avec Me BIRETON, ce qu'il fit. Tous
étaient à cheval. C'était un peu avant huit heures. La petite troupe
des six cavaliers s'ébranle et se dirige vers le moulin du CASTAING. Dans la cour du moulin (qui n'a guère changé depuis l'époque), ils ne voient personne. Ils mettent pied à terre ; COURDON, qui n'a rien à voir dans cette affaire restera dehors pour garder les chevaux. Les autres se dirigent vers la maison et entrent dans la pièce principale où ils trouvent Marie CABIROL, la très jeune Nore de Jean FERRAND. Le Notaire se présente et demande : "Où est ton Beau Père ?" "Il
n'est pas là, il est au pré, qu'est-ce que vous lui voulez ?" Me
BIRETON lui explique qu'ils viennent apporter les 300 Livres que LACOSTE
doit remettre à FERRAND. Marie CABIROL répond qu'elle n'a ni ordre ni
pouvoir de son Beau Père pour recevoir de l'argent de quiconque. Qu'à
cela ne tienne, le Notaire dit à VIGNON et LACOSTE de déposer sur la
table qui se trouve là tout l'argent qu'ils apportent, savoir, VIGNON les
144 Livres, et LACOSTE le complément majoré de 9 Livres représentant
les frais de Justice que FERRAND à engagés jusque là dans cette
affaire. Le
tout est présenté en écus de 6 Livres et un écu de 3 Livres répartis
en deux tas, l'un de 49 écus d'argent représentant les 294 Livres
restant dues (puisque 6 avaient déjà été versées le soir du Lundi de
Pâques) et l'autre comportant un écu de 6 Livres et un de 3, représentant
les 9 Livres de frais de Justice. Pendant
que l'on prenait ces dispositions, Marie CABIROL s'était discrètement éclipsée,
probablement pour aller rendre compte de ce qui se passait à Jean FERRAND
dont tous pensaient fermement qu'il était par là quelque part, caché
dans le moulin. Soudain, Marie surgit dans la salle et se met aussitôt à crier : "Au
voleur ! au voleur ! Sortez d'ici ! Allez-vous en ! Vous êtes entré ici
pour me voler et me violer! Au voleur! Mon Beau Père a plus d'argent que
vous!... Allez-vous en...!" Me
BIRETON sort de la salle et passe dans le moulin, il y trouve Georges
LARRIEU, un garçon meunier qu'il interroge ; non, FERRAND n'est pas là...
Mais Marie CABIROL n'a pas apprécié cette intrusion du Notaire dans le
moulin. Elle
s'empare d'une broche en fer et le poursuit; elle lui en assène un coup
sur l'échine, il parvient cependant à le détourner et revient dans la
salle. Il s'efforce pour lors de garder son calme : "et
comme (il méprise) les mauvaizes raisons de cette femme et que ses
mauvais discours ne devoient pas (l') arrêter, (il s'asseoit) auprès de
ladite table pour conformer son acte.." Mais
Marie CABIROL est déchaînée, elle lui porte encore trois nouveaux coups
de broche qu'il esquive autant qu'il le peut, puis elle sort. A l'extérieur,
COURDON a attaché les chevaux et vient aux nouvelles se demandant ce que
peut bien signifier tout ce vacarme. Me
BIRETON finit de compléter son acte et le fait signer par les témoins,
il se dirige vers l'embrasure d'une fenêtre pour le relire, redoutant,
dans un tel désordre, d'avoir commis quelque bévue. Mais voilà que
Marie CABIROL revient en force, toujours armée de sa broche ; mais cette
fois-ci, elle amène du renfort avec la jeune Marguerite DUBEDAT, la Nièce
orpheline de FERRAN, armée d'une fourche de bois. Sur leurs talons déboulent
la Veuve du dénommé PELUCHE et deux autres femmes armées de gros bâtons
et d'une autre broche. La Nièce : "émue
de colère et rugissante comme une lionne dit : Que venez-vous faire icy,
canailles, voleurs, vous venez pour nous piller et nous forcer..." et ce disant, elle s'empare des actes restés sur la table et les déchire, puis elle balaye l'argent d'un revers de bras et une grande part des écus roulent en tous sens dans la pièce. La confusion est extrême. LACOSTE reçoit deux coups de manche de fourche sur la tête et sur une épaule, puis, la Nièce et la Veuve PELUCHE : "
prirent ledit LACOSTE aux cheveux et luy firent toucher le visage sur le
carreau..." VIGNON et LACOSTE, à quatre pattes tentent de récupérer les écus éparpillés. Marie CABIROL ne lâche pas le Notaire, elle continue à l'invectiver : "
et ladite Nore, ayant la broche en main, en lança un coup audit BIRETON
qui portoit au ventre et auroit indubitablement percé à jour quand (Jean
CASTAING) luy détourna le coup..." Tous
finissent par sortir, suivis par les femmes toujours vociférantes :
" Au voleur !Au voleur ! Marie CABIROL criant même que le Notaire était
le plus grand voleur de la troupe. LACOSTE reçut encore deux coups de
manche de fourche tandis qu'il remontait à cheval, et la troupe s'éloigna
vers LEOGEATS sous les huées des femmes : "
lesquelles susnommées les traitoient de voleurs autant qu'elles purent
les apercevoir..." On pensera bien que Me BIRETON n'en restera pas là. Il prit juste le temps de rédiger une nouvelle version de ses actes détruits, et il fila tout droit sur NOAILLAN où, dans l'après midi du même jour, il déposait une plainte en bonne et due forme auprès du Juge : "
la rébellion à Justice estant un crime qui est considéré comme un
crime de lèze Majesté..." Cette
plainte fut aussitôt accueillie, et une procédure criminelle fut engagée.
Tous les témoins furent convoqués pour le 14 Juillet et furent interrogés
l'un après l'autre tout au long de la journée si bien que de longues
pages de procédure permettent de reconstituer les évènements de cette mémorable
matinée. Mais
le plus curieux est que l'affaire s'arrête là. Normalement,
ce début d'enquête aurait dû être suivi, le jour-même ou au plus tard
le lendemain d'une comparution de Marie CABIROL, de Marguerite DUBEDAT et
de la Veuve PELUCHE, lesquelles auraient fait l'objet au préalable d'un
"Décret d'Ajournement Personnel" (citation à comparaître)
voire, en cas de rébellion, d'un "Décret de Prise de Corps"
(mandat d'amener). Parvenues
devant le Juge, elles auraient été "assises sur la sellette"
et le Juge, sur les questions posées par le Procureur d'Office, aurait
enregistré leur "confession". C'est
la procédure criminelle normale que nous retrouverons en toutes autres
circonstances semblables. De
tout cela, rien. Peut-être l'affaire a-t-elle été "arrangée"
à l'amiable par une transaction suivie d'un "Acte de Restauration
d'Honneur", mais de telles procédures laissent également des
traces, et là, toujours rien. Il faut donc nous résoudre à ne pas connaître la fin de l'épisode, et c'est bien dommage; à moins qu'un heureux hasard ne permette un jour de mettre la main sur les documents utiles, tout espoir n'en est pas nécessairement perdu. |
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L'état du pont de Villandraut revient
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Il
va nous falloir maintenant revenir quelques mois en arrière pour
reprendre le fil d'une affaire importante que nous avions laissé pendante
: celle du Pont de VILLANDRAUT. Nous
avons vu comment, à la fin de 1738, Jean FERRAND avait pris quelques
initiatives pour réparer sommairement ce pont. Mais
à la vérité, son intervention avait été bien loin des dimensions réelles
du problème. Il fallait absolument rétablir ce pont, et rien ne venait. L'absence
des Seigneurs locaux y était certainement pour quelque chose. A
une date non précisée, car le document n'est pas daté, mais qui doit se
situer dans les derniers temps d'exercice de l'Intendant BOUCHER, vers
1743, les habitants de 17 Paroisses de la Rivière et de la Lande s'étaient
assemblés pour présenter une supplique commune en vue de régler cette
irritante question. Et
pour bien se faire comprendre, ils avaient repris toute la genèse de
l'histoire. Sans reproduire ce document, qui est très développé, il
convient néanmoins de lui consacrer quelques instants d'attention, même
si nous connaissons déjà l'essentiel du problème : A Monseigneur de BOUCHER, Intendant en GUYENNE : "Supplient humblement les manans et habitans des paroisses de VILLANDRAUT, LAMOTHHE-NOAILLAN, SAUTERNES, UZESTE, PRECHAC, CAZALIS, BOURIDEYS, Saint LEGER, Saint SYMPHORIEN, ORIGNE, BALIZAC, OSTENS, LUXEY, SORE, BOMMES, PREIGNAC et FARGUES... (ils expliquent que le pont de pierre de VILLANDRAUT a été détruit en
1592 et disent l'avoir) " garni
d'arbres de pin les plus longs dans lesdites quatre arches pour faciliter
le passage des chevaux et des gens à pied..." ( Ces opérations
d'entretien ont été longtemps poursuivies)
" Mais Votre Grandeur, Monseigneur, n'ignore pas qu'il est de notoriété
que toutes ces sortes d'arbres de pin ont dépéri totalement par la gelée
de 1709 de telle sorte qu'il n'en reste plus aucun quy ne soit pourry ;
accident qui a privé lesdits suppliants, non seulement de la majeure
partie de leurs revenus, mais encore de l'utilité qu'ils retiroient
desdits pins pour l'entretien dudit pont qui ne peut plus se réparer en
bois, n'étant pas à présumer qu'il s'y trouve dans toute l'étendue
desdites paroisses des arbres Chesne de trente six pieds de long (12m,67)
comme il les faudroient pour la principale arche de ce pont..." (or, les crues du CIRON sont fréquentes
et il) "est si sablonneux que
les chevaux ne peuvent y passer sans courir beaucoup de risques".
(le commerce local qui s'établit avec LANGON, Saint MACAIRE et BORDEAUX
ne peut se passer de ce pont, ils proposent donc le rétablissement du
pont en pierre et se disent prêts à fournir tous les matériaux et à
les livrer sur place par corvée; ils proposent enfin qu'une adjudication
soit ouverte pour les travaux, et que le prix en soit réparti)
"entre tous sans distinction de privilégiés ou non privilégiés à
proportion de ce que chacun d'eux possède" Ce
texte passablement novateur est signé de tous les Curés, de tous les
Juges, de tous les Procureurs d'Office et de tous les notables des
paroisses concernées. On peut donc se demander pourquoi il n'a pas
abouti. Il est vraisemblable que la proposition d'imposer les privilégiés
a dû susciter ici ou là quelques obstacles sournois au sein de
l'administration. Trois
ans plus tard, la situation n'avait cessé de se dégrader jusqu'à
devenir insupportable. Quelques rafistolages effectués sur la rive
gauche, côté VILLANDRAUT avaient permis de maintenir un semblant de
passage, mais côté NOAILLAN, l'accès n'était pratiquement plus
possible sans graves dangers, même pour les animaux de bât et les
passants. Les
deux co-Seigneurs de NOAILLAN n'avaient aucun souci de l'affaire, et tous
désespéraient de la voir régler un jour. Une fois encore, ce fut Jean
FERRAND qui reprit l'initiative du mouvement. Convaincu
de n'aboutir à rien sur le plan local, il se paya d'audace et décida de
s'adresser tout seul, directement à l'Intendant. Il le fit sans succès
dans une première supplique aujourd'hui perdue et dont la date ne peut être
précisée. Nous n'en connaissons d'ailleurs l'existence que par
l'allusion qu'il y fait lui-même dans sa seconde intervention, celle qui
devait être la bonne, car FERRAND ne désarmait pas facilement et allait
enfin aboutir. Cette seconde supplique n'est pas datée, mais elle a toutes les chances d'avoir été rédigée dans les premiers mois de 1746. Laissons FERRAND expliquer son problème : "A Monseigneur le Marquis de TOURNY Intendant en GUYENNE Monseigneur, Jean FERRAND, fermier du moulin de VILLANDRAUT, a l'honneur de représenter à Votre Grandeur comme il l'a ci-devant fait par sa précédente requête que le pont de VILLANDRAUT sur la rivière du CIRON, lequel a été de tous les temps entretenu par le Seigneur de VILLANDRAUT et celluy de LAMOTHE-NOAILLAN, attendeû que ladite rivière fait les limites desdites Juridictions. Monsieur le Comte de PONS, comme Seigneur dudit VILLANDRAUT fait entretenir son côté pour la commodité du commerce, il n'y a que Monsieur DUROY, Premier Président de la Cour des Aydes et Monsieur DEPŸS, tous deux Seigneurs dudit NOAILLAN quy depuis plusieurs années n'ont fait aucune réparation de leur cotté ce qui fait qu'à présent, on ne peut plus passer sur ledit pont, même gens à pied. Et
depuis huit jours, il c'est tué un cheval du cotté dudit NOAILLAN. Ci
Votre Grandeur n'a la bonté de remédier au désordre que ce pont va
causer au commerce que la Lande fait à BAZAS, cella va empescher
plusieurs Juridictions, même celle de NOAILLAN de pouvoir payer leurs
charges. Le suppliant espère de Votre Grandeur qu'elle aura la bonté
d'envoyer un Commissaire sur les lieux pour examiner la nécessité qu'il
y a pour l'intérest public que ledit pont soit incessament rétably, et
le suppliant continuera ses voeux au Ciel pour la santé et la prospérité
de Votre Grandeur. " Ce
texte appelle quelques observations. Tout
d'abord, Jean FERRAND ménage son Seigneur le Comte de PONS, car la partie
du pont située côté VILLANDRAUT n'est pas entretenue au point que tous
les problèmes soient circonscrits sur l'autre rive..., des états
descriptifs ultérieurs le montreront; mais FERRAND, malin, a besoin de la
complicité objective des Officiers du Seigneur de VILLANDRAUT pour que sa
supplique parvienne bien à destination et il veut s'en faire des alliés.
C'est
également une autre malice que d'invoquer les conséquences possibles de
l'inertie sur la perception des impôts. L'argument
ne pouvait que toucher un Intendant dont l'un des soucis majeurs était précisément
de faire rentrer les impôts royaux; mais ici, la malice était un peu
grosse car tous les solliciteurs y avaient plus ou moins recours. Beaucoup
plus fine était la proposition d'envoyer sur place un Commissaire. Les
Intendants aimaient bien obtenir des rapports directs d'hommes en qui ils
avaient confiance et qui les renseignaient objectivement sur le sérieux
des situations qu'on leur exposait. Proposer
l'envoi d'un Commissaire pour enquêter sur place, c'était aller
au-devant des voeux d'un Intendant et lui montrer que la situation était
si dégradée que l'on ne redoutait pas une telle procédure. Cette
proposition ne pouvait qu'inspirer confiance en haut-lieu. Dans
le même temps, les Officiers Seigneuriaux de VILLANDRAUT avaient pris
contact avec le Comte de PONS et lui avaient préparé deux documents :
une lettre au Président DUROY, Seigneur de NOAILLAN pour lui demander de
procéder aux réparations utiles sur son côté de pont, et une supplique
à l'Intendant TOURNY pour lui demander son intervention. Mr.
de PONS les signe. Sur le premier point, l'échec est complet. Le Président DUROY ne répond même pas à la demande de réparation, et le Comte de PONS écrira lui-même un peu plus tard : "
(qu')il n'a pu l'obtenir quelque représentation qu'il ayt pu
faire..." La
seconde démarche est plus heureuse. Elle reprend elle aussi toute la genèse
de l'affaire sur laquelle nous ne reviendrons évidemment pas. Mais elle
apporte quelques précisions intéressantes. On y apprend en particulier que, lors de la relance de 1743, les choses étaient allé assez loin puisque l'Intendant BOUCHER avait demandé l'estimation du coût d'un projet de réfection générale en charpente et que l'on avait abouti à un prix de 2.000 Livres, "mais
Mr. de BOUCHER s'estant retiré, cette affaire a esté abandonnée..." Le Comte de PONS reconnaît ensuite que les travaux qu'il a fait faire sur sa partie de pont n'ont pas été effectués selon le plan d'ensemble qui en aurait fait un ouvrage définitif, et qu'à la vérité, il s'est borné, selon sa propre expression, à "raccommoder l'ancien". En
conclusion, il demande deux choses à TOURNY : -qu'il
ordonne au Président DUROY de faire réparer son côté en provisoire en
attendant mieux; -que l'on reprenne le projet de réfection complète et il se dit prêt à fournir gratuitement le bois que l'on pourrait trouver dans ses domaines. |
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L’Intendant Tourny intervient.
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L'Intendant
TOURNY n'est pas homme à laisser dormir une affaire dont il a été
saisi. Sans tarder, il demande à son administration de l'informer de ce
qui s'est passé jusqu'à l'heure. C'est Mr.de VIMAR, Ingénieur en chef de la Province qui lui répond le 11 Mars 1746 : "Lorsque
nous nous transportâmes, Mr de FORLUS et moy à VILLANDRAUT, ce ne fut
pas en exécution des ordres de M BOUCHER, mais à la prière de M.
BOUSQUET qui conoissoit la nécessité de la réparation du pont sur le
CIRON proche ledit lieu de VILLANDRAUT et qui la désiroit beaucoup, mais
en charpente seulement, ce fut aussy sur ce pied que je pris les mesures nécessaires,
mais mondit Sieur BOUSQUET qui s'estoit chargé de suivre ceste affaire
l'ayant oubliée ou négligée, je ne me souviens pas d'en avoir entendu
parler depuis..." C'est
l'exemple type d'une "affaire enterrée". Comment
imaginer que ce M. BOUSQUET qui connaissait si bien le problème et qui était
si attaché à le résoudre l'oublie soudain ou le néglige...? Et
comment imaginer aussi que M. de VIMAR, que l'on sait par ailleurs
toujours si finement informé de tous les projets de génie civil de la
Province, ait complètement perdu celui-là de vue après en avoir dressé
un plan et un devis estimatif...? Il
a dû y avoir quelque part des pressions souterraines de personnes peu
enclines à délier leur bourse pour financer un lointain projet qui ne
les mobilisait guère, et pourquoi pas, encore que nous n'en ayons aucune
preuve, le Président DUROY lui-même... Il
était le mieux placé de la Province pour superviser tous les dossiers
financiers qui s'y montaient, et le moins que l'on puisse dire est qu'il
n'avait jamais marqué beaucoup d'intérêt pour ce pont... Nous
noterons pourtant que les Curés du pays doivent être lavés de cette
suspicion car, bien que privilégiés et normalement exemptés de ce type
d'impôt, ils avaient tous signé la supplique des 17 paroisses de 1743
acceptant un partage équitable des charges entre tous sans distinction de
privilèges. C'est
tout à leur honneur, mais il faut dire aussi qu'ils vivaient sur place et
avaient eux-mêmes à pâtir de cette situation désastreuse. Mais
voilà qu'un nouvel accident se produit. Certes, ce n'était pas le
premier, car il y en avait eu bien d'autres plus ou moins graves, mais
celui-ci arrivait à point nommé en vue d'une exploitation, disons, médiatique.
Au
surplus, sa victime, le Sieur Pierre BESSIERE, Bourgeois de la Ville de
CASSENEUIL, en Agenais, était en affaires avec Me MARTINAUD, le Juge de
VILLANDRAUT, et venait précisément ce jour-là en ce lieu pour l'y
rencontrer. Cet accident se produisit le 28 Mai dans des circonstances qui méritent d'être rapportées: " étant vivement pressé pour des affaires qu'il a ... (BESSIERE) se résolut de faire le voyage dudit VILLANDRAUT et qu'étant en chemin, le temps devint si fâcheux que, passant par LANGON, il eût l'avisement et précaution de prendre un guide, ne sçachant le chemin pour éviter les dangers et périls qui peuvent arriver à ceux qui ne connoissent ce pais. Et malgray ces précautions, étant arrivé aux portes dudit VILLANDRAUT avec son guide qui en avoit fait le voyage plusieurs fois tant à pied qu'à cheval, il trouva le Ruisseau du CIRON tellement gros, qu'il n'aurait sçu le passer à guay. Son guide luy dit qu'on passoit sur le pont construit de bois quy est tout auprès du guay. Et
ledit BESSIERE ne s'en rapportant (pas trop) à son guide appella des
bouviers quy estoient au-delà du CIRON et du côté de VILLANDRAUT,
(lesquels) déchargeoient de la barreforte et leur demanda si l'on pouvoit
passer à guay; (ils) répondirent que non, mais qu'on pouvoit passer sur
le pont sans risque, et qu'il y passoit tous les jours des chevaux chargés,...
ce qui fit que, ledit BESSIERE ayant mis pied à terre et passant sur
yceluy en menant son cheval par la bride, ledit pont estoit de la largeur
de cinq poutres avec des planches sur ycelles en travers; une desdites
poutres cassa, et le cheval tomba dans l'eau et se tua par cette chute; et
ledit BESSIERE, saisi de frayeur, à cet instant plusieurs planches du
pont tombant avec le cheval, se saisit à une pièce de bois, si mort que
vif, pour se garantir du malheur quy luy seroit infailliblement arrivé..." De cet accident, il fut dressé un Procès Verbal très officiel par le Procureur d'Office devant le Juge du lieu dès le 30 Mai. Et le 2 Juin, il fut adressé à l'Intendance accompagné d'une lettre observant, entre autres arguments : "
(qu')il ne s'agit plus seulement de l'avantage du commerce mais de la sécurité
des personnes." Le
21 Juin suivant, le Sieur BESSIERE, entre temps revenu à CASSENEUIL,
adressait un lettre à l'Intendant TOURNY pour lui conter sa mésaventure,
spécifiant que, depuis cet accident, sa santé était "fort dérangée",
et précisant que son cheval valait 150 Livres, ce qui le conduisait à
demander la grâce d'une réduction de sa Taille pour l'année suivante en
compensation d'une si grande perte... TOURNY avait adressé les suppliques de FERRAND et du Comte de PONS à la Sénéchaussée de CASTELJALOUX (dont dépendait VILLANDRAUT). On y avait pris l'affaire au sérieux. Des gens compétents s'étaient rendus sur place, avaient levé des plans et procédé à l'établissement d'un avant projet chiffré. Le 17 Juillet 1746, Mr. de VILMAR rend compte à TOURNY de ce travail: |
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Contre l'avis de la population,
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"Monsieur, J'ai l'honneur de vous renvoyer les deux requêtes qui vous ont été présentées concernant le pont de VILLANDRAUT sur le CIRON. J'y joins un plan et une élévation de ce pont et un bon de mémoire à la suite duquel vous trouverez le projet de sa reconstruction en charpente. On
m'a assuré sur les lieux qu'on trouvera sans peine des bois des longueurs
désignées dans les Paroisses de VILLANDRAUT et de NOAILLAN. Si les
Seigneurs de ces terres voulaient en fournir ce qu'il faut, ils
opèreroient une diminution des trois quarts de ce à quoy monte la
charpente dudit pont.Je crois, Monsieur, qu'il seroit avantageux que
lesdits bois fussent coupés cette année pour entre employés la
prochaine. Ils sècheroient un peu et l'ouvrage en vaudroit beaucoup
mieux. Et cette précaution seroit aisée à prendre si Mr. le Comte de
PONS et Mr. DU ROY consentoient à cette fourniture en faveur de leurs
vassaux et habitans des paroisses qui font valoir leurs denrées et
marchandises." Ce
texte appelle quelques observations. Seuls,
en 1743, les délégués des dix sept Paroisses on envisagé de refaire le
pont en maçonnerie. Aucun représentant de l'Administration Royale, ni en
1743, ni maintenant en 1746, ne les a suivi sur ce terrain. Elle
n'envisage qu'une restauration en charpente. Force est de constater que ce
qui avait été possible au Moyen Age lors de la construction de l'ancien
pont n'était plus envisageable au XVIIIème siècle pour des raisons que
nous allons découvrir tout à l'heure. Par
ailleurs, pour faire pencher la balance en faveur de la maçonnerie, les
mêmes délégués des paroisses avaient insisté sur le fait que l'on ne
trouverait pas dans le pays de chênes aux dimensions requises. Ici, la
fourniture du bois ne parait plus relever que du bon vouloir des
Seigneurs. Celui du Comte de PONS est acquis puisqu'il a déjà donné son
accord de principe à ses représentants locaux et qu'ayant bien d'autres
choses en tête, il leur laisse carte blanche pour aboutir. Pour
Monsieur DUROY, cela risque d'être une toute autre affaire... Enfin, on
notera la proportion entre le prix du bois (les 3/4) et celui de la main
d'oeuvre (1/4 seulement). Au début de l'automne, l'Intendance avait communiqué à Mr. MARTINAUD, représentant local du Comte un "Etat des bois nécessaires" afin qu'il puisse : "rechercher
ces arbres, soit chez Monsieur de PONS, soit ailleurs..." Ce mot "d'ailleurs" est significatif. Personne n'a envisagé sérieusement de forcer la main du Président DUROY. Au demeurant, une lettre du 21 Novembre suivant émanant de l'Intendance met encore en avant le bon vouloir des Officiers Seigneuriaux de VILLANDRAUT et ne dit mot de ceux de NOAILLAN : "il
faudra payer les ouvriers qui couperont (ces bois ), l'Intendant de
Monsieur de PONS accepte d'en faire l'avance pour ne pas perdre de temps,
et sera remboursé par l'adjudicataire de ces travaux." Par contre, pour les transports, l'Intendance reprend tous ses droits car ce sont ses services qui décident souverainement de l'affectation des prestations de la corvée royale, et les Seigneurs n'ont rien à y voir; les manants de NOAILLAN seront donc requis pour ce travail tout comme leurs voisins : "Pour
le transport, on fera appel à la corvée de NOAILLAN, UZESTE,
VILLANDRAUT, PRECHAC et POMPEJAC, ceux qui seront les plus proches des
arbres à couper..." Enfin l'Administration ne néglige aucun détail : "il
faudra laisser aux propriétaires les débris des arbres..." A
partir de là, il s'écoule une longue année sans que rien ne se passe ;
du moins rien qui laisse trace au dossier. Ce dossier se serait-il une
fois encore enlisé dans les marais de l'oubli et de l'indifférence ? Non,
pas cette fois-ci. Ce délai a été mis à profit pour couper les bois et
les façonner. Mais il a aussi donné l'occasion d'une nouvelle offensive
des partisans de la réfection en maçonnerie. Leur requête ne nous est pas parvenue mais par contre la réponse que leur fournit l'Ingénieur, Mr. de VIMAR nous est connue : "Pour
reconstruire en maçonnerie le pont de VILLANDRAUT,.. il faudroit
commencer par démolir tout ce qui reste dudit pont pour pouvoir établir
solidement la maçonnerie nouvelle, ce qui ne pourroit se faire qu'à
grands frais attendu les masses considérables de l'ancien et les débris
qui sont couverts d'eau. C'est pourquoi j'estimerois plus convenable de le
réparer actuellement en charpente en attendant que la paix et de
meilleures années ayent mis lesdits habitants en état de fournir les
sommes qu'exigera sa reconstruction en maçonnerie." Voici
donc l'explication fondamentale. En 1746 et 47, nous sommes en pleine
Guerre de Succession d'AUTRICHE. L'éclatante victoire de FONTENOY en 1745
a été sans grands lendemains. La guerre s'étire, il faut de l'argent,
beaucoup d'argent pour la conduire et l'Etat n'en a plus. En tous cas n'en
a plus pour construire des ponts dans de lointaines provinces. Quant
aux populations locales, elles passent par bien des épreuves (famine du
printemps 1748 par exemple) et ont beaucoup de mal à payer leurs impôts.
On ne peut donc trop compter sur elles pour financer des projets avec les
seuls moyens locaux. Alors, au nom de la rigueur budgétaire, il faut
faire au mieux avec les moyens dont on dispose en espérant le retour de
la paix et de jours meilleurs. Le
23 Décembre 1747, le projet sort enfin des services de Mr. VIMAR. Il
porte sur des travaux de maçonnerie préparatoires pour conforter ce
qu'il reste des piles et des culées de l'ancien pont, et des travaux
d'une charpente en bois de chêne devant reposer sur ces maçonneries
aménagées. Un
plancher de madriers recouvrira le tout avec des garde fous de part et
d'autre de plate forme. Ce pont aura 19 toises de long (37 mètres) sur 13
pieds 6 pouces de large (environ 4m,70). Le
prix en est estimé 2.446 Livres et 7 deniers, admirable précision des
services techniques ! Il faudra ensuite prévoir de le peindre, deux ans
plus tard quand les bois seront secs et prévoir pour cela une somme
supplémentaire de 199 Livres 5 Sols et 7 Deniers. Tout cela, on le voit, est très précis, mais ce n'est encore rien à côté du Cahiers des Charges issu de ce Projet et qui est publié le lendemain, 24 Décembre, pour être présenté à l'adjudication. Il se présente sous la forme d'un document de huit pages d'écriture serrée, d'une incroyable précision; tout y est mesuré, compté et défini jusque dans le plus infime détail. Ainsi par exemple, pour la maçonnerie : " (le mortier sera) composé d'un tiers de la meilleure chaux du paÿs, et des deux autres tiers de sable maigre et graveleux, bien battus, broyés et corroyés..." il (les moellons seront) posés et rangés à la main dans un bain de mortier des qualités susdites, battus et raffermis au marteau en sorte qu'il regonfle par les joints..." La
partie charpente est tout aussi détaillée. Chacune des pièces est
minutieusement décrite et cotée tant en longueur qu'en largeur et
épaisseur. La longueur des tenons devant entrer dans chaque mortaise est également donnée. Le nombre des chevilles est indiqué pour chaque assemblage et l'on va jusqu'à préciser la dimension de ces chevilles... Enfin : "la
seconde année après la construction dudit pont, tous les bois des garde
fous, les liens pendants, les chasse roues, les liens arc boutants, les
parties saillantes des pièces de pont, le dessus de la sole, les poteaux
et les bouts du clapeau de la palée seront peints de deux couches de brun
rouge mélé d'une huitième partie de mine de plomb de même couleur,
bien broyé avec huile de noix. Ces deux couches seront faites avec ladite
couleur, de consistance convenable, avec attention d'en emplir avec soin
les gerçures du bois et d'attendre que la première couche soit bien
sèche avant de mettre la seconde..." Certes,
on avait mis beaucoup de temps pour en venir là, mais qui aurait imaginé
que l'on aurait un jour un pont peint à l'huile de noix...! L'Administration,
une fois lancée, faisait les choses en grand... Ce
pont fut enfin livré à la circulation vers le mois de Septembre 1748.
Jean FERRAND pourrait donc désormais exercer librement son commerce en
charrette entre le marché de VILLANDRAUT sur la rive gauche et ses trois
moulins sur la rive droite. Il avait passé la cinquantaine, mais du moins
aura-t-il vu la solution d'un problème posé depuis 156 ans... Cette affaire de pont qu'il fallait conduire à son terme nous a mené un peu loin. Il nous faut donc revenir quelques années en arrière pour reprendre le fil de la vie quotidienne au moulin du CASTAING, très exactement à l'automne de 1746. |
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Un contentieux fiscal.
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C'est
un temps où FERRAND n'est pas content, et il va le manifester sans ménagement.
Il ne sait ni lire ni écrire, mais il sait compter. Il vient de
s'apercevoir qu'Arnaud BEZIN, son prédécesseur dans la ferme des trois
moulins s'était laissé imposer deux fois au titre de la Taille sur le
moulin de LEOGEATS. Voici
en effet ce qui s'était passé : les Collecteurs des Tailles de NOAILLAN
l'avaient taxé sur le prix total de sa ferme qui était de 2.000 Livres.
C'est là qu'il tenait son "feu vif", C'était donc
normal. Mais
les Collecteurs de LEOGEATS, de leur côté avaient fait une règle de
trois approximative en partant des deux meules du moulin de leur paroisse
rapportées aux six meules composant la ferme et avaient estimé que la
part de ferme revenant au moulin de LEOGEATS représentait 300 Livres. Et,
d'autorité, ils avaient taxé Arnaud BEZIN sur cette base. La somme en
jeu n'était pas tout à fait négligeable. Les
Ordonnances Royales fixaient l'impôt sur les fermes à 5% de leur montant
ce qui, ici, représentait une imposition de 15 Livres annuelles que BEZIN
payait deux fois : une fois à NOAILLAN dans le cadre de son imposition
globale sur les 2.000 Livres de ferme et une autre fois à LEOGEATS sur le
montant partiel estimé. Jean
FERRAND n'entendait pas du tout tomber dans ce travers. Et comme l'on
commençait à parler de l'établissement du Rôle pour l'année 1747, il
allait signifier nettement aux Collecteurs qu'il n'entendait plus être la
victime de cette exaction fiscale. Sa
ferme globale pour les trois moulins avait été ramenée de 2.000 à
1.600 Livres pour tenir compte du fait que le moulin du BASCANS était
hors d'état de fonctionner. Il annonce alors qu'il paiera son vingtième
sur 1.600 Livres, soit 32 Livres, mais rien de plus. Si
les Collecteurs veulent ensuite se les répartir entre leurs paroisses
respectives, ce sera leur affaire, il n'y verra pas d'inconvénient pourvu
que le total n'excède pas les 32 Livres qu'il doit. Et afin que nul n'en ignore, le 12 Septembre, il se rend à l'Etude de Me PERROY au Bourg de NOAILLAN et il lui fait adresser une sommation aux Collecteurs de l'année à venir, les mettant en demeure de corriger cette anomalie, étant entendu que s'ils venaient à passer outre, il les attaquerait en Justice : "pour
faire réprimer les abus qu'ils pourroient commettre et les faire
condamner à restitution." Nous
pouvons ajouter que, à l'expérience de la jurisprudence générale en
ces matières, s'il avait dû en venir à cette extrémité, il aurait eu
toutes les chances de gagner son procès. |
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Le ban des vendanges.
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Nous sommes en septembre. Le temps des vendanges va bientôt venir,
mais à NOAILLAN, elles se présentent dans un bien grand désordre. Il y a beaucoup de petits, et même de très petits vignerons dans
la paroisse, et Jean FERRAND est d'ailleurs du nombre car il y avait
quelques rangs de vigne dans son bien familial du CHAY. Or, lorsque l'heure de la récolte approche, chacun est pris d'une
sorte de frénésie, et c'est à celui qui entrera dans sa vigne le
premier, au détriment de la qualité du vin bien sûr. Aux approches des
vendanges de 1746, le Procureur
d'Office de la Juridiction de NOAILLAN veut mettre un peu d'ordre dans
tout cela. Le 22 Septembre, il adresse ses réquisitions au Juge local en lui exposant : "que
par tous les endroits où il y a des vignes et vendanges à faire, il y a
des règles, et défenses d'ouvrir les vendanges que par permission de
justice ou par un signal de sa part à son de cloche. Que dans cette
Paroisse et Juridiction, il y a nombre d'habitans, parce qu'ils n'ont que
peu de vignes (qui) s'avisent de vendanger quand il leur plait et avant la
maturité de la vendange ce quy fait ... que les vins sont prématurés..
ce qui occasionne ledit Procureur d'Office ... de requérir qu'il soit
fait inhibition et défense à toutes sortes de personnes quy ont des
vignes ... de vendanger ny faire vendanger leurs vignes que par une
permission expresse de Justice quy leur sera donnée lorsque le temps de
la maturité de la vendange sera venu, par la grande cloche quy sera seule
sonnée pendant une heure la veille au soir de l'ouverture desdites
vendanges à peine de dix Livres contre chaque contrevenant..." Et
le Juge entérine cette proposition qui sera publiée "à son de
caisse" et affichée en tant que de besoin. |
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La famine de 1748.
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Jean
FERRAND n'a toujours pas reçu un seul sol de Barthélemy LACOSTE, son
sous fermier du moulin de VILLANDRAUT. Doit-il s'en inquiéter ? Oui, bien
sûr, puisque les versements trimestriels annoncés ne tombent pas à leur
échéance normale. Mais finalement non, car le 3 Août 1747, LACOSTE lui
verse cinq "quartiers" d'un coup pour un montant de 1.250
Livres. Après
quoi, les quartiers suivants, par 250 Livres l'un, sont réglés à échéances
régulières les 14 Octobre 1747, 21 Janvier 1748, 21 Avril, etc.. Le
spectre de l'insolvabilité, un moment envisagé, est pour l'instant écarté. Et
pourtant, Barthélémy LACOSTE a quelques mérites à respecter ses échéances,
car le commerce des grains est en train de traverser de sérieuses
turbulences. Tout
avait commencé à la mi-Janvier 1748. Il
faisait ce que l'on pourrait appeler un temps de saison avec des températures
oscillant entre moins un et plus un degré chaque matin, rien donc qui
puisse surprendre. Mais voilà que, sur une brusque chute du thermomètre,
le Dimanche 14, au moment de partir à la Messe, il faisait presque -10°.
Dans
les jours qui suivirent, il ne fit jamais beaucoup moins. En particulier,
on ne vit pas de ces excès de froid que l'on avait pu enregistrer au
cours de quelques grands hivers précédents. Mais il ne fit jamais
beaucoup plus non plus, et la température se maintint à ce niveau avec
constance. La
GARONNE se mit à charrier des glaçons. Cela dura une dizaine de jours,
puis, il y eut une petite rémission, la terre restant néanmoins gelée,
et le froid revint en force en début Février. Il fallut attendre la fin
de ce mois pour observer un dégel complet. Cette rigueur, qui n'avait
pourtant eu rien de réellement exceptionnel, suffit à alarmer l'opinion.
La récolte céréalière précédente n'avait pas été des meilleures; on se mit à craindre une disette de grains, et tout aussitôt ils se firent rares, et l'on en manqua. Dès la fin Mars, la situation était critique. Le 23 de ce mois, TOURNY écrit au Contrôleur Général à VERSAILLES : "Ce
qui vient de grain par la GARONNE entretient BORDEAUX et quelques
environs, comme ce qui descend de fèves par la GARONNE empêche de mourir
de faim les habitans des bords de cette rivière qui en peuvent avoir;
mais que d'autres en ces mêmes bords et en plus grand nombre à deux
lieues dans les terres, qui ne se nourrissent que de son, en regrettant de
n'y pouvoir joindre l'herbe qu'ont flétrie les dernières gelées : pâles,
défaits, exténués, ils languissent pour périr bientôt..." Un mois après, la situation s'était encore aggravée. Dans une nouvelle lettre, le 20 Avril, TOURNY écrit encore : "Il
y a peut-être actuellement dans ma Généralité plus de dix mille
personnes qui ont moins l'air de personnes vivantes que de squelettes
ambulants, leur nourriture n'étant presque, depuis longtemps que de son
et d'herbes, encore le son leur manque-t-il souvent..." Tout
ceci n'était malheureusement que trop vrai et le petit peuple de cette
contrée passa par une bien rude épreuve. Et pourtant, cette disette était,
au moins pour partie, injustifiée. Certes, la récolte avait été déficitaire,
certes, il avait fait très froid, mais il y avait pourtant encore du
grain, du grain que l'on avait caché, souvent par faibles quantités,
mais chez un très grand nombre de petits producteurs. Et
la preuve en est que lorsqu'il fut confirmé dans le pays que des préliminaires
de paix mettant fin à la Guerre de Succession d'AUTRICHE avaient été
signé le 2 Avril, des grains reparurent sur les marchés locaux et
permirent, à partir du début Mai, vaille que vaille, de réaliser la
soudure jusqu'à la récolte suivante. Cet
épisode illustre parfaitement une situation endémique qui perturbait
alors gravement tout le commerce des grains. Le petit peuple ne pouvait
imaginer que la constitution d'une réserve de grain put avoir un autre
motif que la spéculation. Le
négoce local s'exerçait donc au "fil de l'eau", sans
stock organisé et pratiquement au jour le jour, d'un marché à l'autre. Et
dès l'instant où une difficulté survenait, quelle qu'en soit la nature,
la première réaction, immédiate et générale, consistait à suspendre
les échanges, ce qui avait immanquablement pour effet de transformer en
crise grave ce qui n'aurait pu être qu'un à-coup passager. Marcel MARION l'a fort bien observé dans son "Etat des Classes rurales au XVIIIème Siècle dans la Généralité de BORDEAUX" lorsqu'il écrit : "C'était
la fatalité de l'Ancien Régime que les populations fussent en proie à
la disette dès qu'elles craignaient de l'être, et qu'elles fussent les
premières victimes de leurs absurdes préjugés contre la libre
circulation des grains." Ceci
est tout à fait évident, mais ce qui l'est moins, ce sont les conséquences
que pouvaient avoir ces comportements sur l'activité des meuniers locaux.
Peut-on imaginer que la disparition des grains sur les marchés se
traduisait par une baisse catastrophique de leur négoce, ou bien tout au
contraire que la pénurie leur permettait de réaliser de fructueuses
affaires clandestines ? Rien
ne nous permet de prendre nettement position sur ce point. Les textes sont
très discrets et ne nous apportent pas grand chose. Versons simplement au
dossier le fait que Barthélémy LACOSTE, en plein coeur de la disette, le
21 Avril 1748, paya rubis sur l'ongle à Jean FERRAND les 250 Livres de
son terme échu la veille. Il
serait probablement abusif d'en conclure à coup sûr que ses affaires du
moment étaient particulièrement prospères; mais on pourra néanmoins
avancer sans grand risque d'erreur que leur état n'était pas pour autant
catastrophique. Il semble difficile d'en dire davantage sans courir le
risque d'hypothèses hasardeuses. |
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Une situation économique dégradée. |
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On
sent bien néanmoins que la situation économique générale est dégradée.
Les endettements sont nombreux, ce qui, en soi, n'est pas particulièrement
significatif compte tenu des usages du temps. Mais, et c'est beaucoup plus
inquiétant, ils débouchent de plus en plus sur des aliénations du
patrimoine familial. Vendre
un bien foncier constitue une véritable amputation dans les oeuvres vives
de la famille ; on n'y recourt qu'en toute dernière extrémité. Lorsque
la chose se produit, on peut être assuré qu'il ne s'agit plus de dettes
que l'on laisse courir sciemment, par une sorte de jeu, et même parfois
jusque sur la tête de ses héritiers, mais de dettes bien réelles
auxquelles on sait ne plus pouvoir faire face. A
titre d'exemple d'une telle situation, évoquons le cas d'Arnaud MARTIN.
Il était vigneron et habitait au quartier de LANGLAIS, à 12 ou 1300 mètres
à l'est du Bourg de NOAILLAN. Voilà qu'il est au fond de son lit et se
sent très mal. Il doit, entre autres obligations, 400 Livres à Jean
FERRAND et ne voit plus aucune issue pour les lui payer. Le
31 Mai 1748, il vend une belle maison qu'il avait dans le Bourg de
NOAILLAN et dès le lendemain, convoque FERRAND et Me CAZALET, Notaire, à
son chevet. Et
là, il lui restitue ses 400 Livres prises sur le prix de l'immeuble
vendu. Certes, Arnaud MARTIN pourra mourir en paix, mais à quel prix pour
un vigneron ! ... Quant
à FERRAND lui-même, ses affaires paraissent assez saines. Mais
il n'empêche qu'il a toujours quelques problèmes. Le
27 Mars précédent, le Marquis de PONS l'avait assigné devant le
Tribunal de NOAILLAN. Cette
affaire est évoquée pour la première fois à l'audience du 20 Juin,
mais personne ne nous dit de quoi il s'agit. Il est seulement consigné
que le Marquis est demandeur des fins de son exploit contre Jean FERRAND. Et
l'affaire sera ensuite renvoyée d'audience en audience, le 27 Juin, les 4
et 11 Juillet, le 8 Août où l'on nous dit que le Seigneur a présenté
une requête la veille, mais sans jamais nous préciser l'objet du litige.
Finalement,
à l'audience du 8 Août, le Juge décide de "renvoyer à la
prochaine", et il n'y aura pas de "prochaine" puisque
ce litige ne sera plus évoqué, ni sous forme de jugement, ni sous forme
de transaction, et disparaîtra comme il était apparu... Faute
d'avoir pu retrouver le texte de l'exploit introductif d'instance, il
faudra nous résigner à tout ignorer de ce qui avait pu opposer notre
meunier au puissant Marquis. |
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Des moulins sous haute surveillance.
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Cela
se passait très précisément en un temps où les moulins étaient soumis
à une surveillance particulièrement vigilante. La
disette survenue au printemps avait vivement alerté l'opinion et placé
tout ce qui concernait le commerce de la farine et des grains au premier
plan de l'actualité. Quelques explications sont ici nécessaires. Les
meuniers ont toujours eu, dans la mentalité populaire une solide réputation
de malhonnêteté qui a certainement eu ici ou là, quelques fondements
objectifs. Le Parlement de BORDEAUX était en tous cas très attentif à l'exercice de cette activité et ne manquait pas d'intervenir quand besoin était, et il semble bien qu'il y était souvent besoin... "...dans
tous les temps, la Cour avoit donné une attention des plus exactes à prévenir
et même à faire punir les fraudes et larcins que pouvoient commettre les
meuniers au préjudice des particuliers qui leur donnoient ou portoient
des blés ou autres grains pour faire moudre et convertir en farine; en ce
que, d'un côté, ces meuniers prenoient un droit de moulage plus fort que
les coutumes et usages des lieux ne (le) leur permettoient, et de l'autre,
en ce que tenant leurs moulins à point carré, il restoit toujours dans
les angles de meule des grains ou de la farine en pure perte pour les
particuliers, et dont les meuniers profitoient quoiqu'ils eussent déjà
prélevé leur droit de mouture, le plus souvent excessif..." Ce
réquisitoire du Procureur Général DUVIGIER est sévère. Mais il y
avait quelques raisons à cela. Le Parlement était déjà intervenu à
bien des reprises sur le même sujet : en 1572, 1694, 1709, 1711, 1726,
pour ne citer que les occasions les plus importantes, et, pour la dernière
fois, le 19 Juin 1744, toujours en vain ou presque. Ce
dernier Arrêt prévoyait en particulier que dans chaque moulin une
balance et des poids à la marque du Seigneur devraient être tenus
gratuitement à la disposition des pratiques pour leur permettre de vérifier
l'exactitude des prélèvements du meunier. Celui-ci ne percevait en effet aucune rémunération en argent, mais se payait de sa peine en prélevant, selon la coutume locale, 1/16ème de la farine produite. Au surplus, le même Arrêt prévoyait : "que
tous les moulins dans l'étendue du ressort de la Cour seroient réduits
et tenus au point rond, avec défense d'en avoir et tenir au point carré
à peine de 500 Livres pour chaque contravention..." Ce
point était très important. Dans un moulin à point carré, la meule
dormante, circulaire, était inscrite dans un coffrage carré en bois. Une
part notable de la farine, au lieu de s'écouler vers l'extérieur,
trouvait refuge dans les quatre angles et y demeurait. A
la fin de l'opération, le meunier prélevait le 1/16ème qui lui revenait
sur les produits issus des meules, mais, le client parti, il récupérait
de surcroît la part de farine qu'il retrouvait dissimulée dans les
angles du bâti, et cette part était assez considérable. Dans
un moulin à point rond, le coffre de bois était circulaire, épousant au
plus près la forme de la meule dormante, si bien que la totalité de la
farine s'écoulait vers l'extérieur sans aucun reliquat. C'était toute
la différence, mais elle était considérable. Le Parlement avait chargé les Justices Seigneuriales de veiller à la bonne exécution de son Arrêt, et leur avait spécialement demandé de faire la chasse aux dispositifs à point carré. Le résultat n'avait guère été probant, et le Procureur Général DUVIGIER s'indignait : "que
ceux à qui la Cour avoit confié ce soin, l'avoient entièrement négligé
ou qu'ils s'y estoient portés avec tant de tiédeur et de nonchalance que
les mêmes abus subsistoient encore dans plusieurs endroits du
ressort..." Un
nouvel Arrêt fut prononcé, comminatoire cette fois-ci, le 13 Mars 1748
au cœur de la grande famine. Après les formalités d'usage, il parvint
à NOAILLAN vers la mi-Avril et fut lu en chaire par le Curé du lieu le
Dimanche 21. Le Tribunal Seigneurial l'enregistra en son audience du 26,
il ne restait donc plus qu'à le mettre à exécution. On aurait pu croire que cela se ferait dans les jours suivants car, en règle générale, les réactions du Procureur d'Office étaient assez rapides. Or il n'en est rien, et ce n'est en fait que le 15 Juillet que le Juge et le Procureur se mettront en route pour aller visiter les trois moulins de la Seigneurie, tous trois confiés à la gestion de Jean FERRAND. Ils arrivent ainsi au moulin du CASTAING : "et
y étant, avons remarqué qu'il y a trois meules audit moulin, qu'elles
sont nouvellement mises au point rond, sans qu'il y ait aucune distance ny
intervalle où il puisse rester de la farine que celle nécessaire pour
empêcher que la meule ne froisse au bois..." Nous
tenons peut-être là l'explication du délai d'attente anormal (plus de
deux mois et demi) avant de voir la Justice se mettre en branle. Les trois
meules ont été "nouvellement mises au point rond", ce
qui implique bien qu'elles étaient encore au point carré il n'y avait guère.
Or, depuis l'Arrêt du 19 Juin 1744, le Juge avait reçu mission de
s'assurer que les moulins de son Seigneur étaient bien tous à point
rond. Il eût été d'un grand désordre de s'apercevoir au début de Mai 1748 qu'ils étaient encore à point carré... Il se peut bien que Jean FERRAND ait été mis en demeure de mettre son installation en conformité et qu'on lui ait accordé pour cela le délai que nous avons constaté... Après quoi, les Officiers de Justice se firent présenter les poids et les balances : "ensuite
avons fait pezer lesdites balances que nous avons fait ajuster, et nous
ayant fait représenter par Jean FERRAND, munier dudit moulin la mezure du
moulage avec laquelle il tire sesdits droits, avons trouvé qu'elle est de
seize et laquelle a été marquée d'une fleur de lis..." Cette mesure était donc conforme (1/16ème), mais il a fallu réajuster la balance; on ne dit pas dans quel sens. Rappelons qu'il s'agit ici dans tous les cas de balances romaines et l'expérience montre la fragilité de leur équilibre, ce qui a fini par conduire à leur interdiction dans toutes les transactions commerciales; mais nous n'en sommes pas encore là... |
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Grave problème au moulin de Villandraut,
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A
la fin de l'été de la même année 1748, Barthélémy LACOSTE, le sous
fermier du moulin de VILLANDRAUT, vint à mourir dans des conditions qui
ne nous sont pas précisées, mais très rapidement selon toute apparence.
Nous
savons qu'il fut malade, mais ne put dicter son testament, ce qui implique
une incapacité soudaine car ce décès "ab intestat"
allait plonger Marie TAUZIN, sa Veuve, dans une situation bien difficile. Elle
restait seule avec Marie sa fille, mais la Coutume de BORDEAUX
n'attribuait la tutelle des enfants à leur mère que si leur Père
l'avait expressément décidé dans ses dernières volonté. Il
en allait de même pour l'attribution de l'usufruit. Faute
de testament, Marie TAUZIN allait voir se constituer un conseil de famille
réunissant les parents masculins de la famille (parfois de lointains
cousins) qui allaient désigner parmi eux un tuteur pour sa fille et désormais
décider de tout, de son éducation et de la gestion des biens de la
succession, sans que la Veuve n'ait plus rien à y voir. On se doutera sans peine qu'elle acceptait mal cette situation. Barthélémy LACOSTE était mort dans la soirée du 10 Septembre, on l'avait enterré le lendemain, et dès le 12, Marie TAUZIN comparaissait devant Me PEROY, Notaire, pour tenter de conserver la main sur sa fille et sur l'usufruit de sa succession du moins jusqu'à sa majorité. Elle va tenter de se faire reconnaître capable par voie de Justice, faisant valoir que son mari est décédé : "sans
pouvoir (lui) donner les preuves de reconnoissance qu'il lui avoit
promises par la jouissance de ses biens et élection de tutrice et
curatrice de Marie LACOSTE fille unique de leur mariage..." Et pour cela, il lui faut bien se faire reconnaître capable afin d'éviter l'irruption des parents dans ses affaires ... en devenant : "comme
privilégiée et préférable à tout autre parent selon la Loy, à la
charge (pour elle) de l'attestation qu'elle fera faire de sa capacité et
idoineté..." En
attendant, elle fait procéder à un inventaire extrêmement détaillé du
moulin de VILLANDRAUT en faisant soigneusement distinguer les biens
propres de LACOSTE, les acquêts de leur communauté et ce qu'elle avait
apporté en dot au moment de leur mariage. Nous ne nous engagerons pas
plus loin dans cette affaire qui, dans son fond, est étrangère à
l'histoire des FERRAND, mais nous dirons, pour couper court, que Marie
TAUZIN aura certainement eu beaucoup de mal à se faire reconnaître pour
tutrice de sa fille. On n'allait pas aisément à l'encontre de la
Coutume... Si
le fond de l'affaire est effectivement étranger à FERRAND, il n'en va
pas de même de ses conséquences. Barthélémy LACOSTE devait en effet
assumer l'exploitation du moulin de VILLANDRAUT jusqu'au 20 Mai 1749, date
d'expiration de la ferme que FERRAND avait lui-même souscrite auprès du
Marquis de PONS. C'était
ce qui avait été expressément convenu au moment de la souscription de
la sous ferme. La disparition soudaine de LACOSTE ne faisait certainement
pas l'affaire de FERRAND qui, en tout état de cause, devait faire tourner
le moulin de VILLANDRAUT jusqu'au terme de son contrat, et le restituer en
bon état. Il
avait là huit mauvais mois à passer pendant lesquels il lui faudrait
assumer cette charge sans négliger pour autant les engagements qu'il
avait pris sur les trois moulins des Seigneurs de NOAILLAN. Nous
ne savons trop comment, dans l'immédiat, il fit face à cette situation
nouvelle, mais ce qui est certain, c'est qu'un évènement quasi
providentiel vint faciliter sa tâche. L'ouverture
du pont de VILLANDRAUT correspondit en effet presque jour pour jour avec
la disparition de ce pauvre LACOSTE. Dès
lors, on pouvait librement circuler en charrette du moulin du CASTAING à
celui de VILLANDRAUT, et ceci a dû largement faciliter les activités de
FERRAND dans ce moment difficile. Au
demeurant, cela ne dura guère car il trouva rapidement un arrangementavec
les Agents du Marquis pour se dégager de ses obligations avant leur terme
contractuel. C'est
Jean BOURRUT qui lui succéda dans la ferme du moulin de VILLANDRAUT. Ce
Jean BOURRUT, nous le connaissons car nous l'avons déjà rencontré.
C'est lui qui avait servi de caution à Jean LACOSTE dans sa candidature
à la sous ferme du moulin de LA FERRIERE en 1746 ; et c'est à ce titre
qu'il avait participé à la mémorable journée du 9 Juillet de cette année-là,
lors de l'agression conduite par les femmes du moulin du CASTAING. Il
était déjà meunier à BALIZAC, le voilà maintenant meunier à
VILLANDRAUT où il est installé dès le mois de Février 1749. Mais
la transmission de la ferme n'a pas dû tellement bien se passer. Des
affrontements, parfois musclés, vont l'opposer à Jean FERRAND, et le
premier ne devait guère tarder. |
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La guerre des moulins.
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Le
Jeudi 27 Février, Jean BOURRUT, dit JEANTILLON, envoie son valet Pierre
chez Mathieu SOUBES, le forgeron de LA SAUBOTTE, pour y faire aiguiser des
"Priqs", autrement dit des ciseaux à froid destinés à
repiquer les meules. Et saisissant l'occasion de ce voyage, il lui dit de
passer chez le dénommé PIPY pour y prendre cinq quartes de panis (127
litres) achetées sur le marché de BAZAS "le Samedi avant fit
huit jours" et les ramener au moulin. Nous sommes en début d'après-midi; Pierre prend un cheval et s'en va. Tout se passe comme prévu, mais voilà qu'au retour, "ayant passé le Bourg de NOAILLAN, étant près de la métayrie appelée du GAHET ..(Pierre)..aperceut un homme et une fille cachés derrière les buissons, et quand il fut à portée, tout près d'eux, ils se (sont) levés et il (a) reconnu que c'estoit le nommé GAROUILLE et la servante de Jean FERRAND, munier, quy avoient un couteau chacun à la main. Ils
accoururent dans l'instant sur ledit valet ce quy l'effraya tout à coup,
craignant qu'ils ne voulussent le poignarder. Et voyant qu'il estoit saisy
de crainte, ils (ont) détaché les cinq quartes de panis de dessus ledit
cheval et se les (ont) emportées, luy disant que c'étoit par ordre dudit
Jean FERRAND, munier du moulin du CASTAING... et que son épouse les
attendoient dans la prairie de Messieurs les Seigneurs dudit NOAILLAN pour
se les emporter à leur moulin..." Ce
n'est ni plus ni moins qu'un vol à main armée perpétré sur un chemin
public avec l'aggravation d'un guet-apens. Jean
BOURRUT porte plainte aussitôt devant le Tribunal de NOAILLAN, plainte
immédiatement accueillie et à laquelle se joint le Procureur d'Office
car l'ordre public avait été ici gravement mis en cause. L'information
commence le 4 Mars. Huit témoins sont convoqués et déposent sous la foi
du serment. La majorité d'entre eux est jeune, voire très jeune.
Alexandre MORITON, "chirurgien" n'a que 15 ans... A cet
âge-là, il pourrait bien n'être qu'apprenti, mais il n'a pas
peur des mots, et d'ailleurs le Tribunal lui accorde quelque crédit
puisqu'on lui alloue 20 Sols pour prix de sa journée au lieu des 10 à 12
Sols qui sont de tradition pour un garçon de cet âge. Il a bel et bien
reconnu GAROUILLE, valet de Jean FERRAND au moulin du CASTAING, et il l'a
vu défaire les cordes qui liaient le sac sur le cheval. Pierre
BOURRICAUT, qui a 18 ans, est forgeron à LEOGEATS, il a vu courir un
homme et une femme venant du pré du Château vers le GAHET, et les a vu
rejoindre le valet et son cheval. Il n'a pas vu la suite. Moins heureux
que MORITON, il voit sa journée évaluée à 12 Sols. Thomas BEGUEY est beaucoup plus âgé, il a 83 ans ; "estant
ce jour-là à travailler de l'ail au lieu du GAHET.." il
n'a rien vu, mais à son âge, il pouvait avoir la vue basse. A lui aussi
on alloue 12 Sols. Marie FINORE, épouse de Jean DURON, dit PITROY, travaillait du blé lorsqu'elle vit : "au-delà
dudit lieu du GAHET deux hommes et une femme ayant un cheval chargé d'un
sacq de grain ou de farine, lequel sacq elle vit que cette femme déchargea
de dessus ledit cheval..." Sa fille Jeanne, 19 ans, et son fils Jean, 15 ans, travaillent avec elle, tous deux sont formels, c'est la femme qui a déchargé le sac : "ce
quy (leur) fit croire que le cheval estoit malade" La
Mère et la fille reçoivent chacune 6 Sols et le jeune garçon 8 ; éternelle
sous-évaluation du travail féminin.... On
notera en passant que FERRAND avait une forte servante, car un sac de cinq
quartes de panis pesait au bas mot de 85 à 90 kg, elle n'en était
certainement pas payé plus pour autant car les gages des servantes,
nourries et logées, ne dépassaient guère quelques Livres par an. Sans nous appesantir davantage sur ces témoignages, nous dirons qu'ils suffirent à convaincre la Cour. Elle ne s'en tint pas aux simples exécutants, c'est FERRAND qu'elle décida de poursuivre. En son réquisitoire, Me PERROY, Procureur d'Office prit nettement position : "...Nous
requérons que ledit FERRAND soit décrété à se faire ouïr sur les
faits résultant desdites charges et informations..." C'est
dire que FERRAND comparaîtrait en prévenu libre à la condition
toutefois de répondre à la convocation qui lui serait faite, sinon on
passerait à la contrainte par corps. Le 6 Mars, le Juge CAZALET suivit le
Procureur dans ses conclusions et le "Décret d'Ajournement"
fut lancé contre FERRAND. Et une fois encore, l'affaire s'arrête là. Ce
dossier ne comporte aucune suite. Passe
encore si FERRAND, au prix d'une transaction, a désintéressé BOURRUT
sur le plan civil, la chose n'est pas à exclure; mais il était beaucoup
plus difficile d'arrêter une action publique qui, en pareil cas, devait nécessairement
aboutir à une condamnation à une amende. Que s'est-il passé ? nous
l'ignorons, et c'est d'autant plus incompréhensible que nous disposons
des documents concernant cette période. Mais en vérité, l'affaire est
peut-être plus complexe qu'il n'y parait. Les
évènements que nous venons de relater se situent fin Février, début
Mars 1749. Or, voilà que moins de deux mois plus tard, sur la fin Mai,
Jean FERRAND porte plainte à son tour contre le même Jean BOURRUT, pour
injures publiques, devant la Cour de VILLANDRAUT. Ce
n'est pas trop l'attitude d'un coupable repentant... Peut-être était-il
convaincu, selon le vieil adage militaire, que la meilleure défense,
c'est l'attaque.. Soit. Mais la suite est bien plus curieuse encore. On
aurait pu imaginer un Jean BOURRUT campant sur des positions fortes vis-à-vis
de FERRAND car, après tout, c'était bien lui la victime des voies de
fait de la fin Février, et il avait la Justice avec lui... Eh bien c'est
l'inverse qui se produit, et l'on découvre soudain un Jean BOURRUT bien
ennuyé et très préoccupé d'apaiser FERRAND. Le 2 Juin, il se présente devant Me CAZALET, Notaire à NOAILLAN et lui raconte : "qu'il luy est revenu que Jean FERRAND, munier,..a donné plainte contre luy devant Monsieur le Juge (de) VILLANDRAUT (à l'occasion) de certaine querelle et injures qu'il prétend que (BOURRUT) proféra contre luy le vingt huit du mois de Mai dernier. Et quoi (qu'il) ne soit pas mémoratif d'avoir rien dit audit FERRAND ny contre luy quy puisse le fascher ny offenser, néanmoins sy fait est qu'estant pris de vin, il l'aye fait, il luy en fait réparation et excuse par le présent acte, avec offre de le faire en présence des personnes quy pourroient luy avoir entendu dire lesdites injures et paroles offensantes. Et pour éviter la suite desdites poursuites que ledit FERRAND pourroit faire sur ladite plainte, (BOURRUT) offre audit FERRAND, par les mains (du) Notaire, la somme de douze Livres pour (qu'il prélève) sur icelles les frais de ladite plainte et autres frais qu'il peut avoir légitimement faits, de l'arrière jusqu'au présent jour..." Ah
! le Bon Apôtre ! jamais il n'aurait proféré d'injures à l'endroit de
ce pauvre FERRAND... Mais s'il doit y avoir le moindre doute, il paiera
les frais engagés même au-delà des 12 Livres s'il le faut, et fera
toutes les excuses que l'on voudra, et même en public s'il plaît à
FERRAND ! En
fait, il n'est pas contestable que le 28 Mai, dans une auberge de
VILLANDRAUT, Jean BOURRUT, alors qu'il était plus ou moins ivre a dû
copieusement injurier FERRAND en ayant la langue un peu trop longue. Il a
dû trop en dire, et cette fois-ci, c'est FERRAND qui, du coup, marque un
point. On s'attend donc à le voir exploiter la situation. Eh bien pas du
tout ! Lorsque
le Notaire se présente chez lui, au moulin du CASTAING, pour lui présenter
les excuses de BOURRUT et lui offrir les 12 Livres avec possibilité de
les "parfaire en cas d'insuffisance", il trouve un
FERRAND raisonnable, et même grand seigneur, qui accepte les excuses et
ne prélève que 9 Livres seulement sur les 12 offertes, estimant n'avoir
pas exposé davantage de frais, et en conclusion, "tient quitte
ledit BOURRUT". On
ne peut imaginer attitude plus sage... Quel autre Bon Apôtre ! Il est
malin ! Tout s'éclaire si l'on sait que Me CAZALET, Notaire, est en même
temps le Juge du Tribunal de NOAILLAN. FERRAND
cherche à lui donner de lui-même une image d'honnêteté sympathique, et
il a intérêt à le faire, car en Juge qu'il est, Me CAZALET sait, au
denier près, combien FERRAND a dépensé d'argent pour déposer sa
plainte. Il
eût été de la dernière maladresse de prélever sur les 12 Livres
offertes un sol de plus que nécessaire. Cette image d'honnêteté
tranquille et bienveillante qu'il cherche à donner lui sera peut-être
bien utile en d'autres circonstances... L'ensemble de ces affaires, et
leurs divers rebondissements est décidément plein d'imprévu. |
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Les procès s'accumulent.
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Dans
le même temps, la famille FERRAND s'agrandit. Le 26 du même mois de Juin
naît au moulin du CASTAING un petit Bernard, fils d'Etienne et petit fils
de Jean, nous aurons l'occasion de le retrouver un peu plus tard à son
heure. Il
ne faut pas perdre de vue que tous les évènements que nous relatons ici
se déroulent sur un fond permanent de procès que FERRAND entretient
devant les diverses Cours Seigneuriales du voisinage. Il serait fastidieux
de les détailler les uns après les autres, mais il ne faut pas pour
autant oublier qu'ils constituent un véritable fil rouge continu tout au
long de notre histoire. FERRAND
a toujours autant de mal à se faire payer par ses pratiques des objets de
son commerce. Il
s'agit toujours de très modestes affaires mais qui s'étirent en longueur
sur des mois et des années, car il ne faut pas croire qu'une décision
judiciaire clôt nécessairement le litige, il faut souvent un nouveau
procès pour faire appliquer le jugement obtenu sur une première action
que l'on a gagnée... et le temps passe... Sans
donc prétendre évoquer chacune de ces affaires, il semble bon, au fil de
ce récit d'en rapporter quelques unes, ne serait-ce que pour bien
rappeler leur incontestable permanence. Le
22 Juillet 1749, Jean FERRAND assigne Barthélémy DULEAU en paiement dune
somme de 27 Livres représentant la valeur de deux boisseaux et demi de
farine de seigle (258 litres). L'affaire
traîne et finit par venir à l'audience du 4 Septembre devant le Tribunal
de NOAILLAN. Elle est renvoyée au 11 Septembre, puis au 18, et le défendeur
ne s'étant pas présenté, il est condamné par défaut à payer ces 27
Livres avec 4 Livres 19 Sols et 6 Deniers de dépens, le tout sous
contrainte de saisie. On pourrait croire l'affaire terminée. Quelle
erreur ! En fait, et en sautant par dessus toute la suite, Jean FERRAND ne
sera réglé que 26 mois plus tard, le 24 Novembre 1751. Encore faut-il préciser
que le débiteur est mort dans l'intervalle et que ce sont ses héritiers
qui régleront la dette lors de la liquidation de la succession... Parfois,
on évite le procès, mais pas nécessairement les complications. François
CABIROL, un laboureur de NOAILLAN, devait 66 Livres à Jean FERRAND depuis
déjà pas mal de temps. Nous sommes toujours à l'automne de 1749 et rien
ne vient. FERRAND s'impatiente. CABIROL ne peut s'exécuter, mais il a
lui-même une créance de 66 Livres sur un certain Jean PARAGE, laboureur
à LEOGEATS à qui il a vendu un petit bien immobilier en 1747. PARAGE
n'a pu finir de le payer, et le solde est précisément de 66 Livres.
CABIROL cède donc sa créance à FERRAND devant Notaire, et notre créancier,
par subrogation, actionnera désormais PARAGE pour obtenir son dû avec,
toutefois, la garantie d'une hypothèque sur l'immeuble. Il finira par être
payé cinq mois plus tard, le 15 Mars 1750. Ce
ne sont là que quelques exemples. Il faudrait évoquer les procès engagés
contre Jean DOUENCE, contre Pierre LAPUJADE, scieur de long, et tant
d'autres encore, tous pour impayés et pour des sommes du même ordre. Nous
ne quitterons pas néanmoins le domaine judiciaire sans avoir rapporté un
procès d'une toute autre nature qui opposa FERRAND à Mathieu SOUBES, le
forgeron de LA SAUBOTTE. Nous
connaissons déjà le nom de ce dernier puisque c'est chez lui que Pierre,
le valet de Jean BOURRUT était allé porter des "priqs" le
jour où il fut agressé au lieu-dit du GAHET sur son chemin de retour. Et
c'est encore d'une affaire de priqs qu'il va s'agir ici. Il semble
que ce forgeron s'était fait une spécialité de l'aiguisage de ces
ciseaux pour les meuniers des alentours. Nous
disposons d'un volumineux dossier sur cette affaire, mais,
malencontreusement, la pièce principale fait défaut, celle qui, tout au
début du procès, exposait les griefs de FERRAND à l'encontre de SOUBES.
On peut néanmoins reconstituer à peu près les termes du litige. Tout
avait commencé pour la St EUTROPE de 1746. Au soir de ce jour-là, Jean
FERRAN et Mathieu SOUBES s'étaient retrouvés à la table de Jean LARRUE
qui tenait cabaret à NOAILLAN. Cela
se passait juste au moment où FERRAND prenait possession du moulin du
CASTAING. Et
là, tout en buvant, les deux hommes convinrent d'un accord pour
l'entretien des priqs de ce moulin. Il y en avait 19 pour un poids
total de 52 livres (soit 1,3 Kg environ chacun). Chaque
fois qu'il en serait besoin, FERRAN enverrait ses ciseaux chez SOUBES qui
les aiguiserait et les lui retournerait après intervention. SOUBES serait
comptable du poids total à raison de 8 Sols la livre. Il
serait rémunéré de son travail en nature par la remise de grain ou de
farine. Ce système a fonctionné pendant bien des années. Puis est
survenu le temps de la contestation dans des conditions qui nous échappent
un peu du fait de l'absence de la plainte initiale de FERRAND. Il
semble bien qu'au printemps de 1752 celui-ci ait allégué la disparition
de 5 priqs qui ne lui auraient pas été renvoyés. Il en saisit le
Tribunal par une requête en date du 24 Avril 1752. L'affaire
vient à l'audience pour la première fois le 12 Mai. Les deux Procureurs
sont bien là, mais il ne se passe rien... lenteur et formalisme des
Justices Seigneuriales... Elle
sera de nouveau évoquée les 18 et 25 Mai ainsi que le 15 Juin, et il ne
se passe toujours rien. Tous se retrouvent le 22 Juin. Ce
jour-là, le Juge décide que FERRAND, à la prochaine audience, devra
prouver, que SOUBES a bien reçu les 19 priqs à aiguiser et que SOUBES
sera autorisé à prouver le contraire.... On
se défend mal de penser qu'une décision aussi simple aurait pu être
prise beaucoup plus tôt, mais c'était comme cela qu'allaient les
affaires. Dans la semaine, SOUBES a lancé une vaste opération d'appel à
témoignage dans toute la Paroisse. Il
a fait convoquer Jean LARRUE, tuilier, Marie LAPIERRE, son épouse, Pierre
SAINT PEY, valet de Jean LAPIERRE, François DUPRAT, tisserand, Arnaud
DUPRAT, scieur de long et Jean LEGLISE, dit BIBIEN, laboureur, tous
habitants de NOAILLAN. Mais
au jour dit, à 9 heures du matin, seuls LARRUE et Arnaud DUPRAT se présentent
à l'audience; les autres, prudents, se sont abstenus. On les attends : "(attendu)
que l'heure de neuf heures du matin intimée pour...l'assignation (qui
leur a été) donnée est expirée et qu'il est celle de dix heures et
au-delà ainsi qu'il a été remarqué à notre montre..." On
dresse contre eux un constat de défaut; ils seront reconvoqués. Mais les
deux qui se sont présentés n'ont pas grand chose à dire ; eux non plus
ne tiennent pas trop à se mettre mal avec l'un ou l'autre des plaideurs. Jean LARRUE a 43 ans, il dépose : "qu'il
y a six ans ou environ, que faisant cabaret, lesdits FERRAND et SOUBES
estant allés pour boire chez luy, il entendit qu'ils parloient
d'aiguisage de priqs de moulin, sans qu'il comprit autre chose; qu'est
tout ce qu'il dit savoir." Voilà qui ne nous renseigne guère. Et les autres témoins n'en diront pas beaucoup plus lorsque leur tour viendra. Marie LAPIERRE, 40 ans, épouse du même Jean LARRUE, confirmera bien : "qu'il
y a six ans échus depuis le jour de la St. EUTROPE dernier... que lesdits
FERRAND et SOUBES furent boire (dans son cabaret), et en beuvant, ils
firent convention entre eux pour l'aiguisement de priqs de moulin, sans
(qu'elle) sache ce que contenoit leur dite convention parce qu'elle ne
s'attacha pas à les comprendre, estant occupée à donner du vin à
d'autres personnes..." Elle n'en dira pas davantage. Dans ce cabaret, la discrétion était de rigueur; il est vrai que six années avaient passé et que tout cela était bien loin maintenant. Toutefois, le Juge, on ne sait trop pourquoi, semble attacher du prix à deux autres témoignages, ceux de François et Arnaud DUPRAT qui viennent affirmer sous serment : "qu'il
est bien assuré qu'il n'y a que quatre ans que Guillaume DUCAU estoit
valet dudit SOUBES..." ce
qui semble contredire un argument développé par FERRAND dans l'exploit
initial aujourd'hui perdu. Nous
allons passer rapidement sur la suite de l'enquête qui n'apporte rien de
bien nouveau pour en venir au jugement. A ce stade-là, et faute d'autre
preuve, FERRAND a proposé d'affirmer son bon droit sous serment, et
SOUBES a fait de même. En acceptant l'une de ces deux propositions et en rejetant l'autre, le Juge prendra position et tranchera le litige. C'est ce qu'il fait au cours de l'audience du 31 Août 1752 : "faisant
droit aux parties, sans nous arrêter à l'enquête faite par ledit
FERRAND (et) au serment décisoire par luy offert, ny choze par luy dite
ou alléguée, avons relaxé et relaxons ledit SOUBES de la demande, fins
et conclusions à luy faite par ledit FERRAND de cinq priqs et (des)
dommages et intérêts prétendus par ledit FERRAND, à la charge néanmoins
par ledit SOUBES de s'engager par serment pardevant nous (ainsi) qu'il l'a
offert..." Ainsi
donc, selon la coutume de BORDEAUX, le Juge a tranché en acceptant l'un
des deux serments, et c'est lui qui va en définir les termes. SOUBES devra jurer : "tout
dol et fraude cessant, que pendant tout le temps qu'il a aiguisé les
priqs dudit FERRAND, il en a aiguisé dix neuf toutes les fois qu'ils en
ont eu besoin, qu'ensuite il a chaque fois renvoyé audit FERRAND le même
nombre de dix neuf priqs et qu'il n'en a jamais retenu aucun chez luy
pendant tout le temps qu'il les a aiguisés, non plus qu'à la fin de la
convention de l'aiguisage faite entre luy et ledit FERRAND...." Coupons
court à cette longue sentence pour ne retenir que l'essentiel. FERRAND
est condamné à payer à SOUBES le prix de six quartes de seigle à
divers cours pratiqués sur le marché de VILLANDRAUT selon la date des échéances,
il devra en outre verser 18 Livres à SOUBES et régler les dépens qui s'élèvent
à 45 Livres et 4 Sols. Par contre SOUBES est débouté de toutes ses autres demandes reconventionnelles qui sont jugées mal fondées. C'est une bien mauvaise affaire pour FERRAND. Il avait pratiquement gagné jusqu'à l'heure la plupart de ses procès pour en venir à cet échec, échec d'autant plus significatif que cela devait être son dernier recours à la justice. |
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La fin de Jean Ferrand.
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Nous sommes au dernier jour d'Août 1752, et il va bientôt tomber malade. Au dernier jour de l'année, il se voit perdu. Le 31 Décembre dans l'après-midi, il appelle Me PERROY, le Notaire de NOAILLAN, qui se rend aussitôt à son chevet en son moulin du CASTAING. Il le trouve : "alité
de maladie corporelle, (mais) en plein bon sens, mémoire et
entendement..." Jean FERRAND demande expressément à être enterré : "devant
l'autel du St ESPRIT de l'Église St VINCENT de la présente Paroisse à
l'oeuvre de Fabrique de laquelle ledit testateur lègue la somme de dix
huit Livres qu'il veut être payées au Fabriqueur... pendant l'an de son
décès..." En
dehors des Seigneurs locaux et des Prêtres desservants, les inhumations
à l'intérieur des Églises étaient très rares; c'était en tous cas un
privilège envié, et de généreuses donations ne suffisaient pas
toujours à l'obtenir ; il fallait, en plus, que s'établisse un consensus
du Curé et des membres de la Fabrique. Et il ne faut pas croire qu'un
legs de 18 Livres aurait pu suffire à "acheter" ce
privilège. On
peut donc penser que Jean FERRAND a pu se montrer assez libéral en
d'autres circonstances, et que, de plus, il bénéficiait dans la Paroisse
d'une certaine considération, car son vœu, nous allons le voir bientôt,
sera effectivement exaucé. Soucieux du repos de son âme, FERRAND : "veut
et ordonne par exprès... qu'il soit dit soudain son décès dans ladite
Église par Monsieur le Curé pour la somme de dix huit Livres de messes
basses de requiem ... qu'il veut luy estre payées sur ses biens ... dès
qu'il les aura dites..." Ces
18 Livres représentent la valeur de 36 messes, c'est déjà un chiffre
important au regard des usages, mais ce qu'il faut noter, c'est la volonté
nettement exprimée de les voir dire dans l'Église de NOAILLAN et par son
Curé. Ce genre de précision n'est pas toujours apporté. Les testateurs
s'en remettent généralement à l'initiative de leur exécuteur
testamentaire; mieux encore, et il en existe des cas dans la famille, les
testateurs stipulent " en tel lieu qu'il lui plaira et par tel prêtre
qu'il jugera utile ". Pour
FERRAND, foin de ces libertés, il a des idées très précises, il est de
NOAILLAN par ses racines familiales et entend bien le rester jusqu'à sa
mort incluse. Il n'oublie pas pour autant les bons usages du commerce en
matière de services, le Curé ne sera payé que tout autant qu'il les
aura effectivement dites... Jean
FERRAND expose ensuite que de son mariage avec Marie DUBEDAT subsistent
deux enfants tous deux prénommés Etienne. En fait, nous savons qu'ils
ont eu neuf enfants et qu'ils ont perdu les sept autres, le plus souvent
en bas âge, mais aussi plus tard, tel Jean, le second, décédé à
BALIZAC à bien près de 14 ans. Seuls ont survécu Etienne, l'Aîné, qui
a maintenant 29 ans ½ marié depuis bientôt huit ans et déjà père de
trois enfants, et l'autre Etienne, le septième, qui a 14 ans ½ Les
dispositions de ce testament sont détaillées et assez complexes. Nous
retiendrons pour l'essentiel que Jean FERRAND lègue 1.500 Livres à
Etienne le Cadet pour solde de tous comptes et qu'il attribue tout le
surplus de sa succession à Etienne l'aîné. Rien
ne nous permet malheureusement d'évaluer ce que pouvait bien représenter
ce patrimoine. Nous ne pourrons donc pas savoir quelle part fut attribuée
au plus jeune. Certes, 1.500 Livres constituait une belle somme, et son
attribution sous forme d'un legs particulier nous permet de penser qu'elle
est inférieure à la moitié des biens délaissés par FERRAND, sinon, il
aurait purement et simplement procédé à un partage par moitié. Ce
meunier, au soir de sa vie, était donc un homme aisé se situant au
dessus de la moyenne des patrimoines ruraux de ce pays. Il stipulait en
outre que Marie DUBEDAT sa femme conservait l'usufruit de la totalité de
ses biens sa vie durant à charge pour elle d'assurer la subsistance des
deux enfants et de leur famille. Enfin, Marie se voyait attribuer la
tutelle de son fils cadet, en précisant que si elle venait à disparaître
avant qu'il ait atteint sa majorité, cette tutelle passerait
automatiquement au frère aîné. Jean
FERRAND décédait cinq jours plus tard, muni de tous les sacrements et
fut enterré le 6 Janvier 1753 en l'Eglise de NOAILLAN comme il l'avait
demandé. Son
testament ne fut présenté à l'enregistrement au Bureau de CAZENEUVE que
le 13 Juin 1759, c'est à dire à l'occasion de la majorité d'Etienne le
Cadet, et bien après le décès de Marie DUBEDAT. Jusque
là, toute la famille a vécu sous le régime d'une sorte de consensus
respectant le texte dicté par le Père disparu sans lui avoir pour autant
donné force de Loi. On n'a procédé à l'enregistrement que lorsqu'il
est devenu indispensable de procéder à la liquidation de la succession
pour verser au cadet les 1.500 Livres qui devaient lui revenir. Mais il n'y avait pas que cette affaire qui "traînait" dans la famille. |
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On règle les comptes
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En
ce début de 1753, le montant de la dot de Marie CABIROL, épouse
d'Etienne FERRAND l'aîné n'était toujours pas versée, alors qu'ils étaient
mariés depuis tantôt huit ans... Maintenant
que le Beau Père était mort et que Marie DUBEDAT avait pris la direction
des affaires de la famille cela commençait à faire un peu désordre.
Aussi les choses ne vont-elles pas traîner davantage. Le
Jeudi 25 Janvier, vingt jours après le décès de Jean FERRAND, Bernard
CABIROL, tailleur d'habits à LIGNAN de BAZAS, Père de Marie, retrouve
Marie DUBEDAT en l'Etude de Me PERROY au Bourg NOAILLAN, et lui verse en
espèces d'or et d'argent la somme de 300 Livres représentant le montant
de la dot de sa fille, majorée de 73 Livres 15 Sols au titre des intérêts
échus. Le
paiement est tardif, mais il est scrupuleux, personne n'est lésé. On
notera que le versement est effectué dans les mains de la Belle-Mère et
non dans celles de l'époux. Bien
qu'il ait presque trente ans et qu'il soit déjà Père de trois enfants,
il n'a rien à voir dans la perception de la dot de sa femme. Sa présence
n'est même pas signalée dans l'acte du Notaire. Il devait bien pourtant s'y trouver, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, pour ne pas laisser sa Mère rentrer seule du Bourg de NOAILLAN au Moulin du CASTAING en portant 300 Livres sur elle... mais finalement ce n'est pas absolument certain car l'acte dit par exemple que Marie DUBEDAT s'engage à : "faire
tenir quitte ledit CABIROL envers ledit Etienne FERRAND..." et
n'ajoute pas, comme on aurait pu s'y attendre "ici présent";
et pourtant, les Notaires sont d'ordinaire très attentifs à ce genre de
précision. L'absence de cette mention fait donc planer un doute sérieux
sur une présence que, par ailleurs, on aurait pu croire évidente. Ne
parlons pas bien sûr de la principale intéressée, Marie CABIROL, elle
n'avait aucune chance de se trouver là. Et pourtant, c'était bien de sa
dot et de son argent qu'il s'agissait... Quoi
qu'il en soit, l'épisode met bien en lumière la structure absolument
patriarcale ( et à défaut du Père, comme c'est le cas ici, matriarcale
) de cette société. Quel que soit leur âge et leur condition, les
enfants ne sont pas maîtres de leurs droits tant que les Parents
survivent sur l'exploitation. A
quelques jours de là, le 30 Janvier, la famille s'accroît d'un petit
Jean Baptiste, fils d'Etienne et de la même Marie CABIROL ; et c'est
Marie DUBEDAT qui en est la Marraine. Elle
ne le connaîtra guère car, déjà, à l'automne de la même année elle
se sentira bien malade. Malade d'une maladie non précisée mais qui pose
problème, car elle ne l'empêchera pas en effet de se rendre, en
personne, jusqu'au Bourg de NOAILLAN dans l'après midi du 21 Octobre
1753, en la maison de la Demoiselle Izabeau DUBOURDIEU où elle convoque
Me PERROY ; mais elle sera pour autant sans illusion puisqu'elle s'y dira "atteinte
de maladie dangereuse". Et
de fait, elle ne se trompe pas car il ne lui reste plus que quelques
semaines à vivre. Elle entend donc mettre ses affaires en ordre. Elle
demande, elle aussi à être inhumée dans l'Eglise de NOAILLAN, au même
endroit que son défunt mari, devant l'autel du St ESPRIT. A cet effet,
elle lègue 30 Livres à la Fabrique de la Paroisse. Elle
demande également que le Curé de la Paroisse dise pour 18 Livres de
messes basses à son intention. Tout ceci étant arrêté, elle dispose de ses biens propres qui sont constitués par sa dot et la moitié des acquêts réalisés pendant son mariage avec Jean FERRAND son mari. Elle en attribue un tiers par préciput à Etienne son fils aîné pour lui marquer : "l'amitié
particulière qu'elle a pour luy et le gratifier des soins et attentions
qu'il a toujours eu pour elle..." Après
quoi, elle partage le reste de ses biens en deux parts égales entre les
deux frères. Au terme de cette répartition, l'aîné recevra les deux
tiers de son patrimoine et le cadet le dernier tiers seulement. Un
tel mode de partage n'est pas très courant dans nos contrées où l'on ne
pratiquait pas le droit d'aînesse. Lorsqu'il y avait, comme ici, deux garçons,
on partageait habituellement les biens par moitié. Or, aussi bien du fait
de son Père que de sa Mère, Etienne FERRAND Cadet n'aura pas été aussi
bien traité. Il
a pour lors 15 ans ½ . Ses Parents auraient-ils déjà décelé qu'il
serait passablement instable et, sans pour autant trop le léser, ont-ils
fait davantage confiance à son aîné pour assurer la conservation du
patrimoine familial ? On ne saurait le dire, mais dans la pratique, tout
s'est passé comme s'ils avaient tenu ce raisonnement. Marie
DUBEDAT mourut le jour du Premier de l'An 1754. A quatre jours près, elle
avait survécu un an à son mari. On l'enterra le lendemain dans l'Eglise
de NOAILLAN ainsi qu'elle l'avait demandé. Décidément, ces FERRAND étaient
des notables locaux. Etienne FERRAND, l'Aîné, devenait, dès lors, le chef de famille et prenait la succession de ses Parents dans la gestion des moulins de la Seigneurie de NOAILLAN. Nous allons donc ici changer de génération, mais pas nécessairement de style de vie, bien au contraire. |
Réalisée le 30 août 2009 |
André Cochet |
Mise sur le Web le août 2009 |
Christian Flages. |