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Les Ferrand. |
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Histoire d'une famille de meuniers picaresques |
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Jean DARTIGOLLES. | |
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Retour à la table des matières. |
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Chapitre 3. |
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HISTOIRE des
DEUX FILS de JEAN FERRAND
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I - ETIENNE L'AINE (1723-1787) |
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La famille Clic sur l'image pour l'agrandir. |
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Etienne
FERRAND Aîné, que l'on verra appeler parfois PETITON était né à
NOAILLAN le 17 Mars 1723 et avait reçu pour Parrain Etienne PERROY, le
Notaire du lieu, qui deviendra plus tard le Procureur d'Office du Tribunal
local. Nous ne reviendrons pas sur cet évènement que nous avons déjà
évoqué en son temps. L'enfant
suivit les pérégrinations de sa famille, mais passa l'essentiel de sa
jeunesse au moulin de VILLANDRAUT où il arriva très jeune, vers l'âge
de 8 ans. Il n'avait pas perdu pour autant le contact avec NOAILLAN, le
berceau de sa famille, ainsi que nous allons le voir sans tarder. C'est
en fin 1743, à l'âge de vingt ans, et précisément à NOAILLAN qu'il
commence à défrayer la chronique. |
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Des rixes mémorables.
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L'affaire
est confuse, et les quelques dizaines de pages de procédure qu'elle
suscita ne nous éclairent pas toujours de façon décisive. Sur un fond
d'inimitié préalable, tout est parti d'une querelle après boire. Nous
sommes au soir du 15 Décembre 1743, un Dimanche, Etienne FERRAND termine
cette journée de repos en soupant avec quelques amis chez Barthélémy
BANCON, Hôte au Bourg de NOAILLAN. Outre
FERRAND, il y a là André CAZADE, 27 ans, scieur de long, Jean Baptiste
DUPRAT, 20 ans, qui est le fils de l'homme d'affaires du Seigneur local,
Joseph PERROY, 21 ans, praticien à VILLANDRAUT, Pierre DESSALAS dit
TENECHE, 21 ans, tailleur d'habits à VILLANDRAUT et Jean GAILLET, dit
BAILLETON, le fils du Boucher de NOAILLAN. Il
s'agit donc d'un petit groupe de jeunes gens appartenant sinon à la
jeunesse dorée locale, du moins à une catégorie sociale leur permettant
d'avoir en poche les quelques dizaines de sols nécessaires pour dîner
ensemble au cabaret un Dimanche soir, et, à l'époque, en milieu rural,
ce n'était pas un cas général. Pour
être tranquilles pendant leur repas, ils avaient pris place dans une
salle située à l'étage. Ce repas terminé, le petit groupe descendit
dans l'une des salles du rez-de-chaussée "pour se divertir";
formule discrète recouvrant très probablement une partie de cartes ou un
quelconque jeu de dés. Comment
en effet faire état devant des Officiers de Justice d'une participation
à des activités formellement prohibées et que les mêmes Officiers étaient
très précisément chargés de poursuivre...? Dans une salle voisine se trouvait Arnaud DUPUY, dit LARRAT, 25 ans, cordonnier à NOAILLAN, qui, lui aussi, se "divertissait" avec d'autres amis. Dans
des conditions mal précisées, il avait été, en début de soirée, écarté
du souper qui s'était déroulé à l'étage, et il en avait conçu un
certain dépit dont il faisait surtout porter le poids sur Etienne
FERRAND. Barthélemy
BANCON, l'aubergiste, allait d'une salle à l'autre, affairé à servir
tout un chacun. Mais, ce faisant, il avait néanmoins une oreille qui traînait
suffisamment pour recueillir au passage côté DUPUY quelques propos qui
lui parurent alarmants. Sa femme, revenant de coucher leur fils dans la pièce
à côté lui confirma son inquiétude, rapportant qu'elle avait entendu
DUPUY dire et répéter plusieurs fois "Le
lou pagaran bièn...! (Ils me le
payeront bien) BANCON
s'en vint donc dans la salle où se trouvait FERRAND et sa compagnie en
lui demandant de ne pas trop " faire de carillon" et même
de partir discrètement dès qu'ils auraient terminé car il se pourrait
bien qu'ils fussent attendus à la sortie et qu'ils fissent quelque
mauvaise rencontre. Il ne voulut pas en dire davantage et ne cita aucun
nom. Sur les neuf heures, le petit groupe se leva et sortit. Sur le pas de la porte, FERRAND et ses amis rencontrèrent DUPUY qui leur souhaita le bonsoir et se dirigea : "vers
le ruouet (le petit passage) qui sépare le jardin du Sieur BAUDINET de
celluy de Pierre FAURENS.." Mais les jeunes n'entendaient pas terminer aussi tôt leur soirée. D'un commun accord, ils décidèrent d'aller "boire l'eau de vie" chez la nommée CATIN de la PEYCHOTTE. Et tandis qu'elle leur ouvrait sa porte, comme par hasard, ils retrouvèrent DUPUY passant par là qui lui dit, sans pour autant s'arrêter : "Ne
leur donne pas d'eau de vie, ils te la feront perdre, ils ne te payeront
pas..." Personne
n'y prit garde sur le moment et ils entrèrent. Ils restèrent là un
temps qu'il est bien difficile de préciser car les témoignages varient
de un quart d'heure à bien près de quatre heures... Qui croire ?
Certainement pas Joseph PERROY qui est le seul à avancer l'estimation du
quart d'heure car, dans un interrogatoire ultérieur, il reconnaîtra
lui-même qu'ils en sortirent "fort tard"... Probablement
pas non plus DUBEDAT qui avance 2 heures du matin; il est le seul à le
dire et cela paraît exagéré. Tous
les autres témoignages oscillent entre minuit et une heure du matin et ce
sont ceux-là les plus crédibles car certains d'entre eux émanent de
personnes n'ayant rien à voir dans l'affaire et par conséquent plus
objectives. Au surplus, aucun des témoins ne disposant de montre ou de
quelconque pendule, on ne peut en attendre une bien grande précision.
Nous retiendrons donc que les six jeunes gens sortirent de chez CATIN de
la PEYCHOTTE sur la minuit passée. Sur
le pas de la porte, il se souhaitèrent le bonsoir et se partagèrent en
deux groupes. CAZADE, DUPRAT et BAILLET se dirigèrent vers la place du
village où ils s'arrêtèrent encore un instant tandis que FERRAND,
PERROY et DESSANS ramassèrent chacun un bâton et prirent la route de
VILLANDRAUT pour s'en retourner chez eux. Cette
affaire de bâton sera ultérieurement contestée par FERRAND qui niera
fermement avoir jamais eu un "paoû" (bâton) en main.
C'est son intérêt de le dire, mais tous les autres sont bien d'accord
pour dire également qu'en sortant, ils ont bel et bien ramassé chacun un
"paoû". DESSANS
dira plus tard que c'était juste "à dessein de se retirer",
pour s'aider dans leur marche, car ils vont évidemment à pied. En fait,
ils n'ont pas oublié l'avertissement que leur avait donné l'aubergiste
BANCON et veulent parer à toute éventualité... A
quelque distance de là, voilà que DUPUY, le cordonnier, jaillit de sous
et l'énban (le hangar) du Sieur MICHEL et interpelle FERRAND.
Pourquoi n'a-t-il pas voulu de lui à leur souper ? Et FERRAND répond "
parce qu'il ne le voulait pas ". A partir de là, deux versions s'affrontent. Selon FERRAND, DUPUY se serait jeté sur lui et l'aurait saisi par son mouchoir de cou, l'aurait jeté à terre et aurait cherché à l'entraîner vers le petit ruisseau qui traverse le chemin " pour chercher à l'y noyer ". Selon DUPUY : "
soudain,ledit FERRAND luy a sauté à ses cheveus, le trétant de voleur
et l'a jetté par terre..." Une
rixe s'ensuit dans laquelle PERROY et DESSANS prêtent main forte et usent
plus ou moins de leur bâton. Tout cela ne va pas sans bruit. Depuis la
place du village où il est encore, CAZADE entend des cris et des appels.
Il se doute aussitôt de ce qui se passe et propose à ses deux compagnons
d'aller sur place ; mais ceux-ci n'y tiennent guère et n'approcheront qu'à
bonne distance tandis que lui se précipite et intervient vigoureusement
pour séparer les combattants. Entre
temps, Marguerite LACAMPAIGNE, âgée de 60 ans, Mère de DUPUY, est
sortie de leur maison et accourt elle aussi. Son fils vient de se relever
et s'enfuit vers elle, mais FERRAND le poursuit et lui assène un coup de
bâton sur l'arrière de la tête et l'étend pour le compte. Plus
tard, FERRAND contestera vigoureusement avoir donné ce coup de bâton,
d'ailleurs, il n'avait pas de "paoû"... Mais tous les témoignages
concordent, même ceux de ses compagnons, pourtant discrets. DUPUY est
tombé aux pieds de CAZADE et sa tête saigne sur ses sabots. Marguerite LACAMPAIGNE s'est emparé du chapeau de FERRAND et crie de toutes ses forces : "Ajude ! Ajude ! A tuoûat lou mèn drolle ! ... Ah ! FERRAND. N'aoûrèy pa jamèy crésut aco de tu ! " (Au
secours ! Au secours ! Il a tué mon fils. Ah ! FERRAND ! Je n'aurais
jamais cru cela de toi !) DUPUY
reprend bientôt ses esprits et demande que l'on appelle le Curé. Mais ce
ne sera pas nécessaire, il se relève et se réfugie chez lui. Sa Mère
occupe encore le champ de bataille et tient toujours en main le chapeau de
FERRAND que celui-ci veut récupérer; en vain, elle ne veut pas le lâcher.
FERRAND
se fâche et dit que si elle ne veut pas le lui rendre, il ira tous les "espoutyi"
(les écraser) dans leur maison. Des gens apparaissent, qui au balcon du "sourey"
(du grenier), qui aux fenêtres, mais personne ne descendra. C'est
CAZADE qui conduira la difficile négociation du chapeau ; il est en effet
bien placé pour cela, d'abord parce qu'il n'a pas participé à la rixe,
mais aussi et surtout parce qu'il détient lui-même le chapeau de DUPUY
... Il fallut tout de même qu'il menace de faire intervenir Jean FERRAND,
le meunier de VILLANDRAUT, Père d'Etienne pour que l'échange finisse par
se faire. Chacun
va enfin rentrer chez soi, non sans que Marguerite LACAMPAIGNE ait promis
à FERRAND " qu'il ne mourrait pas dans son lit..." Les
braves gens de NOAILLAN ont pu alors se recoucher, il n'y avait plus rien
à voir. Cette
affaire aurait pu en rester là. Et de fait, pendant douze jours, il ne se
passa rien. Mais elle eut une suite, et quelle suite...! Le
Vendredi 27 Décembre, jour de la Fête de St JEAN l'Evangéliste, Etienne
FERRAND et son Père Jean étaient venus entendre la messe à NOAILLAN. Ce
détail est intéressant car il montre bien, entre beaucoup d'autres déjà
rencontrés combien les FERRAND restaient attachés à NOAILLAN, de préférence
à VILLANDRAUT où ils avaient pourtant leur domicile, leur industrie et
leur commerce. Ainsi
donc, les voilà tous deux à NOAILLAN. Ils avaient déjeuné dans quelqu'auberge
et rencontré par mal de monde car c'était une occasion de recouvrer
quelques créances auprès de pratiques venues, elles aussi, à l'assemblée.
Et sur ce point, le Père et le Fils s'étaient même semble-t-il partagé
le travail puisque Jean, le Père, en début d'après midi, se tenait chez
Jean JANIN, aubergiste, et avait envoyé Etienne à la recherche d'un débiteur
chez Arnaud BAILLET, autre aubergiste, dit BAILLETON. Et
là, Etienne avait rencontré quelques amis à qui, un peu avant quatre
heures, il proposa d'aller boire une pinte de vin nouveau chez Barthélemy
BANCON avant d'aller rejoindre son Père chez JANIN. L'auberge
de BANCON parait avoir été un rendez-vous privilégié des jeunes
puisque c'est chez lui que s'était déroulé le souper du 15 précédant
la rixe. Voilà
donc un petit groupe sortant de chez BAILLETON pour traverser la place du
village et se rendre chez BANCON lequel est installé de l'autre côté.
Il y là, outre FERRAND qui les invite, Jean DUBOURG, 29 ans, scieur de
long à NOAILLAN, Joseph PERROY, déjà connu, Jean DUPEYRON, 29 ans,
boulanger au même lieu, un certain LAURAND, et le gendre de la Veuve
DUPRAT de VILLANDRAUT. Tout
à coup, Arnaud DUPUY, le cordonnier, qui n'était pas tout à fait mort
du coup qu'il avait reçu le 15, et qui ne semblait plus avoir, pour
l'heure, un besoin immédiat de Monsieur le Curé, jaillit de sous "
l'apan " (l'auvent) de BAILLETON et se précipite à toutes
jambes derrière Etienne FERRAND. Il
lui saute dessus, et, le prenant aux cheveux par surprise, le fait choir
dans la boue. Dans l'instant même, les deux soeurs de DUPUY, Mamy et
Jeanne qui étaient aux aguets se précipitent à la rescousse, saisissent
FERRAND aux cheveux et le maintiennent au sol tandis que leur frère lui
assène de violents coups de poing au visage. Tout
ceci n'a duré qu'un instant. Surpris, les jeunes qui accompagnent FERRAND
interviennent rapidement et séparent les combattants. DUPUY abandonne la
partie, mais ses deux soeurs suivent la petite troupe en insultant
copieusement FERRAND. Et
au moment précis où ils arrivent de l'autre côté de la place, sur le
grand chemin public qui passe devant l'auberge de BANCON, les deux filles
sautent de nouveau sur FERRAND par derrière, le prenant encore aux
cheveux et parviennent à le faire tomber dans une mêlée confuse immédiatement
dénouée par les autres jeunes, mais qui a duré assez longtemps pour que
Mamy ait eu le temps de mordre FERRAND au majeur de la main droite "jusqu'à
l'os". Que
croyez-vous qu'il arriva ? Pas tout à fait ce que vous pourriez imaginer.
Arnaud DUPUY se précipita chez le Juge et alla lui déposer sa plainte,
disant qu'il avait été attaqué par FERRAND dans la nuit du 15 au 16 écoulé,
et qu'il venait de l'être à nouveau, sur la voie publique, en ce jour de
la St JEAN d'hiver. Il lui raconte que le 15 au soir, il : "
venoit de faire voyage et (s'était) trouvé être obligé de ne pouvoir
point se retire chez luy que fort tard, c'est à dire environ une heure
après minuit..." Ce
n'est pas très malin de sa part. Il peut bien se douter que la Justice va
mener une enquête et que l'on va trouver quantité de témoins pouvant
rapporter qu'au moins jusqu'à neuf heures, il a passé sa soirée chez
Barthélémy BANCON... Pourquoi donc aller inventer cette histoire de voyage ? Il explique ensuite que FERRAND, PERROY et DESSANS étaient cachés sous " l'enban" du Sieur MICHEL et qu'ils se jetèrent sur lui lorsqu'il vint à passer en le rouant de coups de bâton. Il se plaint donc : "d'avoir
esté assassiné à une heure après minuit tant par ledit FERRAND que par
lesdits PERROY et (DESSANS) dit TENICHE, et que par ailleurs ledit FERRAND
ne s'est point contenté de cella (puisque) il a continué sa malice quy
l'a porté... à une réssidive, ayant retourné ataquer ce jourd'huy..."
Là
encore, ce n'est pas très prudent, car il y avait des dizaines de témoins
sur la place de NOAILLAN qui étaient à même de donner une toute autre
version de l'affaire. Le
Juge accueille sa plainte et va autoriser l'ouverture d'une information. Mais
Etienne FERRAND prévenu accourt tout aussitôt et dépose à son tour une
autre plainte devant le même Juge, présentant évidemment une autre
version des faits. Elle
n'est guère plus sincère que celle de DUPUY... Il expose : "...son
Père fèzant commerce avec partie des habitants de cette Paroisse pour
vente de farinnes de seigle, millet et panis, même de froment pour les
bollangers et hôtes du présent lieu, ce quy est assès connu du public
et de Vous, Monsieur (le Juge), il luy (avoit) ordonné de se rendre au présent
Bourg pour y recevoir de l'argent de ses débiteurs, le quinze du courant,
jour de Saint Dimanche, et s'estant voullu retirer, environ l'heure de
neuf heures du soir, traversant sur la place publique, il (a) fait
rencontre des nommés Arnaud DUPUY dit LARRAT, cordonnier du présent
lieu, avec la nommée Mamy, sa soeur,... et de la nommée Marguerite
LACAMPAIGNE, leur Mère quy estoient cachés derrière la muraille de la
maison de Monsieur MICHEL l'Aîné, armés, chacun, d'un "paoû"
de charrette, (là) où (lui FERRAND) devait passer pour se retirer. Et
soudain qu'ils l'eurent aperçu, ils accoururent sur luy à grands coups
de "paoûs" sur son corps, desquels il fût terrassé par
terre...." Pourquoi
enjoliver ainsi l'affaire ? Pourquoi en particulier y mêler Mamy qui n'y
était pas et Marguerite LACAMPAIGNE qui est effectivement intervenue après
l'incident, mais qui n'était absolument pas en embuscade. Pourquoi ? Ici encore, ce n'est pas très adroit car la moindre enquête va remettre les choses au point, et c'est bien ce qui va se passer. Quant à sa plainte sur les évènements de l'après midi, il n'a aucun besoin d'enjoliver les faits, ils se suffisent à eux-mêmes. Toutefois, il met une certaine complaisance dans la description des conséquences qu'il a subies : "...comme
ils le tenoient dessous, ladite Mamy luy a pris les doits de la main
droite et les a mordus jusques aux os, de sorte qu'il est estropié pour
sa vie..." Le Juge accueillera également cette plainte et autorisera l'ouverture d'une autre information. La machine judiciaire est désormais lancée. Lancée, oui, mais non sans quelques traverses. En particulier, il se trouve que Monsieur PERROY, le Procureur d'Office qui doit requérir sur la cause est précisément le Parrain d'Étienne FERRAND. Il va donc se désister au bénéfice d'un autre Procureur : "Nous,
atendu la finité spirituelle avec ledit FERRAND, ... l'ayant tenu sur les
fons de baptème, déclarons Nous abstenir et renvoyer la cause devant un
Procureur Postulant pour la fonction de Procureur d'Office, dire et requérir
ce qu'il avisera..." C'est
le Sieur De BOIRIE qui diligentera les deux enquêtes dans lesquelles les
témoins comparaîtront deux fois pour raconter sensiblement les mêmes
choses. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces volumineuses procédures
sinon pour formuler quelques observations. Nous
noterons tout d'abord combien les Officiers de la Justice Seigneuriale
connaissent bien leurs justiciables. C'est
normal, ils vivent dans le même village et les rencontrent à chaque
heure, chaque jour. Ils ont donc inévitablement une idée personnelle sur
les affaires qu'on leur soumet avant même d'avoir ouvert le dossier. Lorsqu'Arnaud DUPUY prend place sur la sellette en vue de son interrogatoire, la toute première question que lui pose le Juge est particulièrement significative. Suivons le Procès Verbal du Greffier : "Interrogé s'il n'est pas vray qu'il a depuis longtemps conu une haine implacable contre FERRAND" "Répond
et dénie ledit interrogat comme faux et supposé, sauf respect." Comment
le Juge peut-il savoir qu'une vieille inimitié oppose DUPUY et FERRAND ? Le dossier n'en dit mot. Mais tout le Village le sait, et le Juge aussi, car il les connaît tous les deux. Et cela n'empêche nullement DUPUY, qui dépose pourtant sous la foi du serment, de nier l'évidence. Il niera bien d'autres choses : "Interrogé s'il n'est pas vray qu'il auroit formé le dessein de guetter FERRAND... sur le chemin qui conduit à VILLANDRAUT à dessain de le maltraiter et s'il ne s'en venta pas le quinze du mois dernier, estant chez Barthélémy BANCON, l'après soupée ? " "Répond
qu'il n'a jamais conçu un tel dessain." Comment
tenir une pareille position ? Le
Juge a déjà entendu tous les témoins, il sait quelles menaces avait
proféré DUPUY au cours de la soirée, il sait qu'il a été déçu de
voir s'arrêter FERRAND et ses amis chez la PEYCHOTTE, et que c'est pour
cela qu'il est revenu sur ses pas, il sait qu'il n'est pas rentré chez
lui ... et qu'a-t-il donc fait dehors de neuf ou dix heures à la minuit
passée ? Et
DUPUY nie tout en bloc. Mais FERRAND n'est pas plus fiable. Il n'a pas pris de bâton en main en sortant de chez la PEYCHOTTE, alors que les témoignages en font une évidence. Pas davantage il n'en a frappé DUPUY alors que la rixe était pratiquement terminée et que CAZADE le ramenait vers sa maison : "Interrogé comment il peut dénier que ledit DUPUY fut conduit par (CAZADE) puisque luy... ayant un bâton à la main, courut sur ledit DUPUY quy fut renversé par terre d'un coup qu'il luy donna-contre l'aureille... le sang en découlant abondament, ledit DUPUY (restant) sans parolle." "
- Répond et dénie n'avoir pris aucun bâton, ny donné aucun coup d'icelluy
audit DUPUY. " Nous
en resterons là car tout le reste est à l'avenant. Ces
deux enquêtes iront jusqu'au terme de leur instruction, mais elles s'en
tiendront là et n'aboutiront à aucune conclusion. Elles ne révéleront
rien sur les origines lointaines du conflit ; en particulier nous ne
saurons pas qui, des deux antagonistes en fut le véritable instigateur. Par
contre, elles auront mis en lumière que FERRAND, dans ces deux affaires
fut réellement, par deux fois, l'agressé; mais elles auront aussi montré
que le coup de bâton sur l'oreille de DUPUY dans la nuit du 15 au 16 Décembre,
était absolument injustifié et parfaitement superflu... Quelques
semaines passent, plus rien ne bouge. Etienne FERRAND se présente à
l'Audience du 30 Janvier 1744 et vient demander où en est l'instruction
de sa plainte relative "aux excès " commis par Arnaud
DUPUY, Mamy et Jeanne ses soeurs et Marguerite LACAMPPAIGNE, sa Mère. On
a l'impression que cette démarche est mal venue. DUPUY n'a rien demandé
et ne demandera plus rien. Si FERRAND faisait de même, cela pourrait
arranger bien des choses. On lui répond que les quatre coaccusés ont
fait l'objet d'un Décret d'Ajournement Personnel, qu'ils ont comparu sur
la sellette le 8 Janvier "qu'ils ont rendu leur audition "
. C'est
parfaitement exact, mais la suite ? où en est-on ? La Cour permet à
FERRAND de prendre connaissance du dossier par l'intermédiaire de son
Procureur. Et l'on en restera là, plus personne ne reparlera de cette
affaire. Il se peut que de discrets contacts entre Me PERROY Procureur
d'Office et Parrain d'Étienne, rappelons-le, avec son Père Jean, ou avec
lui-même, aient convaincu les FERRAND de ne pas trop insister. Certes,
Me PERROY s'était désisté de l'affaire, mais il ne pouvait pas en
ignorer les développements, et du point de vue pénal, le malencontreux
coup de bâton sur l'oreille de DUPUY après qu'il eût quitté le champ
de bataille, pouvait difficilement être tenu pour légitime défense. En
menant les choses à leur terme, les DUPUY auraient certainement été
punis d'amende, mais FERRAND n'en serait pas non plus sorti sans dommage.
Alors, pour la paix des familles, ne valait-il pas mieux oublier un peu
tout cela ? Ce
n'est qu'une hypothèse, mais force est de constater que plusieurs
affaires concernant les FERRAND et dans lesquelles ils se sont trouvés en
position pour le moins douteuse, s'évanouiront ainsi dans les dédales
feutrés de l'oubli.. Et, si tel est le cas, Me PERROY avait matière pour donner force à son discours. Ce n'était pas en effet le moment d'attirer l'attention sur soi dans un village où grandissait l'insécurité et où se multipliaient les exactions de tous ordres. Il allait falloir sévir, et sans ménagement. Alors, attention à ceux qui se seraient mis dans le mauvais cas de participer, sous une forme quelconque, à ces désordres. |
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L'insécurité s'empare de Noaillan ;
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De quoi s'agissait-il donc ? De bandes de jeunes, souvent venues de la campagne environnante qui venaient semer la panique dans le Bourg au cours d'expéditions nocturnes, cassant les charrettes, les brûlant à l'occasion, enfonçant les portes et importunant les paisibles villageois de toutes sortes de manières. Bref, un classique " problème de banlieue " et d'insécurité. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil... Et c'est précisément Me PERROY qui était chargé de rétablir l'ordre et la tranquillité dans NOAILLAN. Il s'adresse au Juge et lui expose, quelques semaines après notre affaire, le 25 Mai 1744 : " ... qu'il a le mal au coeur d'apprendre que bien loin, par la jeunesse du présent lieu, de se soummettre respectueusement (aux ordonances de Police), elle uze d'un mépris formel et punissable par les carillons et vols nocturnes qu'elle y commet, qui ont si fortement ému le public qu'il (ne) croit (plus) être en sûreté pour (sa) vie. Il arriva il y a quelques temps que cette jeunesse s'avisa, la nuit, de faire dans le présent Bourg un carillon épouvantable, de heurter à toutes les portes, d'allumer un grand feu sur la place deux heures après minuit après avoir rompu plusieurs charrettes à des particuliers, transporté parties d'icelles dans le cimetière, dans les puids et ailleurs; razé et abattu le tour et margelle d'un puids, couppé et abattu toutes les barres et piquets qu'ils avoient trouvés, puis s'enfuirent. Ce qui causa une alarme aux habitants (et) qui les obligea à faire éteindre ce feu quy auroit pu cauzer du ravage, et de passer la nuit à faire garde, craignant quelqu'(autre) danger et pour découvrir les autheurs de cette entreprise... ....il
est arrivé que la nuit du 24 du courant, jour de la Pentecôte, tirant au
25, ... Joseph LAPEYRE trouva le secret de débaucher et engager dans une
de ses nouvelles entreprises certaine jeunesse faible qui se laissa
cabaler en sorte qu'après s'être adressés à quelques hôtes au présent
Bourg pour se faire donner du vin par force vers la minuit, ils furent
rejetés et ils s'en allèrent ensuite chez quelques particuliers se faire
donner du pain violemment, et non content de ce, ils parcoururent les
maisons du présent Bourg et de la campagne où ils ont volé et enlevé
nombre de poules, poulets, oeufs et fait des tapages affreux et préjudiciables
au public..." Il
n'est pas douteux que si la Justice du Roi était venue se mêler de ce
genre d'affaires, elles ne se seraient pas terminées sur quelques simples
amendes au profit du Seigneur. Gare à ceux qui se seraient fait prendre,
ils auraient bien pu aller apprendre des rudiments de navigation pendant
quelques temps sur les galères de TOULON. Mieux valait donc se démarquer de toute cette agitation sans trop attirer l'attention sur soi.... |
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Etienne Ferrand Aîné se marie.
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Quelques
mois passent, Etienne va bientôt avoir 22 ans. Il travaille avec son Père
en qualité de garçon meunier au moulin de VILLANDRAUT. Et voilà qu'il
va être question de son mariage. Un
mariage bien hâtif, à la vérité, au regard des usages du temps, car,
pour un garçon, l'âge normal se situait alors aux environs de 26 à 27
ans plutôt qu'à celui de 22. Marie CABIROL, la fiancée est encore plus
jeune puisqu'elle en a tout juste un peu plus de 17... Des mariages aussi
précoces sont assez rares. On ne les rencontre guère dans les familles
que lorsqu'il s'agit d'orphelins. En
ce cas, le ou les tuteurs respectifs favorisent ces unions pour se dégager
dès que possible des responsabilités de la tutelle qu'ils exercent. Mais
ce n'est manifestement pas ici le cas. La
pratique très générale du mariage tardif constituait la seule méthode
de contraception réellement fiable que connaissaient nos Ancêtres. En
repoussant le mariage des filles jusqu'aux environs de 24 ans, on faisait
l'économie d'au moins deux, et souvent de trois naissances. En se mariant
à 17 ans, Marie CABIROL aura dix enfants... Cette
petite Marie venait de LIGNAN de BAZAS où elle était née le 17 Novembre
1727. Elle était fille de Bernard CABIROL tailleur d'habits, et de Marie
MARTIN. Fait
assez exceptionnel à l'époque, elle avait encore ses deux Grands Parents
paternels au moment de son mariage : Pierre CABIROL et Jeanne DARQUEY
appartenant à la génération née vers 1670. On note assez souvent en
pareil cas la présence d'une Grand Mère, plus rarement d'un Grand Père
(dont l'âge dépasserait alors 75 ans, ce qui est beaucoup pour l'époque)
et bien plus rarement encore les deux réunis. Or c'est bien ici le cas. Marie
CABIROL avait passé toute sa jeunesse à LIGNAN, au Quartier de LABARDIN,
à quelques 1500 mètres au sud d'UZESTE, Quartier qui, à la suite d'un
nouveau découpage territorial à été par la suite rattaché à cette
dernière Commune. Ce
n'était pas le premier contact des FERRAND avec LIGNAN de BAZAS. Pierre
FERRAND, le Grand Père du marié avait déjà épousé une fille de
LIGNAN, Françoise DUBOURG. Il se pouvait bien que quelques relations
familiales aient été poursuivies dans cette Paroisse. Quoi qu'il en
soit, c'est bien au Quartier de LABARDIN, dans la maison des Grands
Parents de la mariée que va être signé le contrat de mariage, dans
l'après midi du 29 Janvier 1745. En
cette circonstance, il y peu de parents et alliés côté FERRAND, seule
apparaît Marie DUBEDAT, une tante maternelle d'Étienne, soeur de sa Mère
qui, par un défaut d'imagination évident, était également prénommée
Marie. Par contre, du côté de Marie CABIROL, on trouve, outre ses Grands
Parents déjà cités, deux Oncles paternels, Bernard et Pierre CABIROL,
et un Oncle maternel, Jean MARTIN. Pour l'occasion, on a fait venir Me
PERROY, le Notaire de NOAILLAN. Avec l'autorisation du Grand Père (patriarcat oblige) les Parents de Marie constituent à leur fille une dot de 300 Livres qui, par expresse convention, sera versée trois ans après la célébration du mariage : "sans
intérêt jusqu'alors, et ledit délay échu, avec l'intérêt annuel
jusqu'au payement effectif..." Une
telle disposition, au demeurant assez courante, n'était pas un signe de
fortune et d'aisance. Elle caractérise en général une famille modeste
qui, par la pratique d'une économie vigilante parvient à se maintenir à
un certain niveau social sans disposer de beaucoup de ressources. Par
contre, et la chose mérite d'être signalée, la dot ménagère est assez
conséquente, et supérieure à la moyenne de celles que l'on peut
observer dans les contrats locaux de l'époque. Marie CABIROL recevra ainsi : "- un lit composé d'une coite, un traversier de coutil sufisament remply de plume, une couverture de laine blanche et une courtepointe garnie de laine, et le tour du lit d'un cadis vert ; (il s'agit de toile dite "de Cadix" et qui se fabriquait le plus souvent à AIGNAN, dans le GERS) - un coffre neuf en bois de cerisier fermant à clef et tenant dix quarts ou environ ; (254 litres) - dix linceuls de toile d'atramadis ; (il s'agit de draps en toile de la qualité intermédiaire entre l'étoupe commune et le brin, qui était la belle toile fine) - une nappe de deux aunes; (2,37 mètres) - une douzaine de serviette aussi d'atramadis; - et une autre nappe et une douzaine de serviettes de toile de brin. " Quant à la future épouse, outre "ses habits et nippes ordinaires", ses Parents : "promètent
l'habiller le jour desdites noces de brassières et jupe d'étamine en
soye et la chausser suivant son état..." On
voit bien là que son Père était dans la couture, car les robes en soie,
en milieu populaire rural étaient particulièrement rares. N'oublions
pas qu'il n'était pas d'usage de payer les services du tailleur en espèces
d'argent, mais qu'on lui remettait un métrage de tissus supérieur à la
quantité nécessaire à la fabrication du vêtement commandé, et qu'il
se payait de sa peine sur la différence entre les deux mesures. Il
disposait donc de métrages de tissus divers parmi lesquels il pouvait
exercer son choix afin que sa fille soit belle le jour de ses noces. Une
telle facilité n'était pas à la disposition de tout le monde... Le
reste du contrat est tout à fait classique, instaurant entre les époux
un régime de communauté réduite aux acquêts et prévoyant, entre
autres dispositions, un "gain nuptial" de 50 Livres que "gagnera"
l'époux survivant sur les biens du premier décédé. Contrairement
aux usages, ce mariage fut célébré non point à LIGNAN, mais à
VILLANDRAUT, trois semaines plus tard, le 23 Février 1745. Bien que nous
ne disposions d'aucun document sur la fête elle-même, on peut penser que
ce fut un beau mariage, la qualité des témoins participant à la cérémonie
en fait foi. Tout
d'abord, il fut célébré par le Doyen du Chapitre en personne, Me
CAZALET, et ce n'était pas un cas général; mais de surcroît, deux
autres Chanoines, Mes Antoine SAUTURON et Michel ACHARD, participaient à
la cérémonie et servirent de témoins avec Me Jean Baptiste PERROY,
Greffier du Tribunal de VILLANDRAUT. On
voit bien par là que les FERRAND avaient des relations bien placées et
une sorte de notabilité locale. C'est probablement pour cela, d'ailleurs
que le mariage fut célébré à VILLANDRAUT de préférence au cadre
beaucoup plus modeste de LIGNAN. Le
jeune ménage s'installa au moulin des FERRAND mais n'y demeura guère
plus d'un an puisque Jean FERRAND, le Père, le 4 Avril 1746, prit à
ferme les moulins de la Seigneurie de NOAILLAN dans les conditions que
nous avons déjà rapportées. Les choses allèrent alors très vite car
aux environs du 20 du même mois, toute la tribu des FERRAND se transporta
au moulin du CASTAING. C'est
là que naquit bientôt après un premier enfant, Jean, le 16 Mai, qui ne
dut pas survivre car on n'en retrouve nulle part aucune trace, pas même
celle de sa disparition. Ce genre d'omission n'est pas absolument
exceptionnel. Lors du décès d'enfants de moins d'un an, les Curés
avaient pour habitude de ne pas dresser d'acte d'inhumation, et se
contentaient de porter une inscription latine en marge de l'acte de baptême
du petit défunt : "obïit die..." autrement dit "il
a passé le jour..." avec indication de la date. Ces
"obïit" sont très nombreux dans les Registres
Paroissiaux, mais comme ils n'exigeaient aucune indication de témoins,
les Curés devaient parfois remettre à plus tard leur inscription
marginale, s'en remettant à leur mémoire laquelle s'est parfois révélée
défaillante... Au
surplus, à l'évidence, ce Curé ne connaît pas la jeune Marie CABIROL
qui est pour lui une toute nouvelle paroissienne. Elle
est de LIGNAN, mariée à VILLANDRAUT, et arrivée à NOAILLAN depuis tout
juste trois semaines. Si, dans son acte de baptême du petit Jean, il n'hésite
pas sur les FERRAND parce qu'il les connaît bien, il est manifestement
perdu dans les CABIROL, au point d'attribuer l'enfant à sa Grand Mère
qui est présente au titre de Marraine... C'est donc dire la prudence
critique avec laquelle il convient d'aborder ces textes Il
n'y a que deux mois et demi que Marie CABIROL est installée au moulin du
CASTAING lorsque s'y présente Me BIRETON et sa petite troupe de cavaliers
au matin du 9 Juillet 1746. Nous
ne reviendrons pas sur cet épisode que nous avons déjà rapporté en détail,
mais nous rappellerons simplement avec quelle fougue et quelle détermination
Marie savait manier la broche, la fourche et le bâton. Elle n'avait pas
tout à fait 19 ans... A
l'âge de vingt ans, elle a un second garçon, né le 19 Décembre 1747,
encore un Jean, qui sera l'aîné de la fratrie survivante. Ce garçon,
que nous retrouverons plus tard quitta très tôt la tribu des FERRAND
pour aller vivre à LIGNAN avec ses Grands Parents CABIROL. Il s'y trouva si bien qu'il s'y maria et, bien qu'il fut l'Aîné, renonça même à la succession de ses Parents à NOAILLAN pour recueillir celle de ses Grands Parents à LIGNAN. Il passa l'essentiel de sa vie en dehors du groupe FERRAND. |
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Où l'on retrouve DUPUY, l'agresseur d'Etienne.
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Le
temps passe encore, et nous en venons au début de l'été 1749.
L'agitation nocturne que nous avons déjà évoquée a repris. NOAILLAN ne
dort plus. Au mois de Juin, on interpelle une bande de jeunes scieurs de
long d'à peine plus de vingt ans. On les interroge sans en tirer grand
chose, mais l'enquête se précise et de graves soupçons portent bientôt
sur... Arnaud DUPUY, le cordonnier qui par deux fois avait agressé
Etienne FERRAND en Décembre 1743. Et
où le retrouve-t-on ? Eh bien, tout simplement en prison car, entre
temps, on l'y a déjà mis, le 14 Juillet, pour d'autres perturbations...
Cet homme est pour le moins turbulent. Il demande néanmoins à en sortir
en offrant la caution de son Père. Il établit une requête en ce sens le
19 Juillet. En son for intérieur, le Procureur d'Office hésite ; pourtant, la procédure ne fera pas état des véritables motifs de sa perplexité. La vrai raison est que l'on ne trouve plus de geôlier pour la prison de NOAILLAN et que celui qui est actuellement en poste va résigner sa fonction d'un moment à l'autre sans que l'on sache par qui le remplacer. La situation est délicate. Une audience extraordinaire de la Cour est donnée le 21 Juillet. Arnaud DUPUY est convaincu : "de
crime de rebellion, contravention aux Ordonnances et réfraction aux
inhibitions (défenses) prononcées par la présente Cour" Finalement, après avoir longuement entendu l'accusé et le Procureur d'Office, le Juge accepte la caution du Père de DUPUY et rend sa sentence : "(Nous)
amplions (c'est
à dire, élargissons) ledit Arnaud
DUPUY desdites prisons où il est détenu sous les offres par luy
faites... de se présenter devant Nous à telle réquizition, assignation
et signification qui luy seront faites... de la part dudit Sieur PERROY (Procureur d'Office). Il est fait obligation au Père de DUPUY d'hypothéquer tous ses biens en garantie de la promesse de son Fils, moyennant quoi, le Juge Jacques CAZALET décide : "Enjoignons
à Jean CONCHEREUR, Geôlier desdites icy présent, de faire ouverture
audit Arnaud DUPUY des portes desdites prisons et, ce faisant, le Geôlier
en demeurera valablement déchargé." Nul doute qu'Étienne FERRAND ait suivi le déroulement de cette affaire qui forma le meilleur de l'actualité locale pendant plusieurs semaines. |
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La famille d'Etienne Aîné s'agrandit.
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Pourtant,
il avait eu, entre temps d'autres soucis en tête, car le 26 Juin 1749, il
avait accueilli la naissance de son troisième enfant, encore un garçon,
Bernard, qui sera surnommé TCHIC, peut-être en raison de sa petite
taille, mais comment le savoir...? Celui-là aussi survivra et, plus tard,
après avoir passé sa jeunesse à NOAILLAN, ira faire souche à BALIZAC
en épousant une Jeanne CLAVERIE au Quartier de MAHON. Le
10 Janvier 1752, il est suivi d'un nouveau garçon, Joseph qui reçut sa
Grand Mère Marie DUBEDAT pour Marraine, une Grand Mère dite "munière
au CASTAING". Cet enfant ne survivra pas.. Jean
FERRAND, le Père est au soir de sa vie. Après avoir partagé ses biens
comme nous l'avons déjà vu, il meurt le 5 Janvier 1753. Etienne l'Aîné
a 30 ans moins deux mois et son frère Etienne le Jeune un peu plus de 14
½ . Mais dans l'immédiat, rien ne change dans le gouvernement de la
famille. C'est
Marie DUBEDAT, la "munière", leur Mère qui reste la maîtresse
incontestée de la maison. Le seul évènement un peu notable qui survient
est le versement de la dot de Marie CABIROL, le 25 Janvier suivant,
versement effectué entre les mains de la "munière",
bien entendu... Et
nous nous souvenons qu'aux termes du contrat de mariage, ce règlement
aurait dû être effectué dans un délai de trois ans à compter de la
fin Janvier 1745. Le
retard est donc de trois ans, mais nous avons également noté que les
CABIROL avaient scrupuleusement réglé les intérêts échus. Tout est
donc désormais en ordre. A
quelques jours de là, le 30 Janvier, naît un cinquième enfant, encore
un garçon, Jean Baptiste, et c'est encore sa Grand Mère Marie DUBEDAT
qui sera sa marraine. Il ne survivra pas non plus. C'est
à l'automne de la même année que cette Grand Mère, la "munière",
se verra atteinte de cette "maladie dangereuse" dont nous
ne savons rien. Une maladie manifestant des signes suffisamment clairs
pour la convaincre d'une issue fatale puisqu'elle décide de dicter son
testament, mais qui ne l'empêche pas d'aller et venir dans sa vie
quotidienne. La
preuve en est, nous l'avons vu, c'est qu'elle ne convoque pas le Notaire
au moulin du CASTAING, mais qu'elle se déplace elle-même et se rend au
Bourg de NOAILLAN le 21 Octobre 1753. C'était
un Dimanche après-midi, probablement après les Vêpres, ce qui est assez
courant. Encore avait-il fallu qu'elle puisse s'y rendre. Elle vivra
encore dix semaines et mourra le Jour de l'An de 1754. La "munière" n'est plus, c'est Etienne FERRAND Aîné qui devient le Chef de famille. |
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Etienne reprend les procès de son père.
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Il
est tout aussitôt confronté aux mêmes problèmes de récupération de
créances que son Père a connu tout au long de son activité. L'argent ne
rentre pas. En particulier les sous fermiers du moulin de LEOGEATS ne lui
versent pas un sol de la ferme qu'ils lui doivent alors que lui-même fait
l'avance de l'argent en payant la ferme au Seigneur. L'affaire est
ancienne. C'est Jean, son Père qui avait concédé la sous ferme de ce
moulin à deux frères, Armand et Jean TENEZE, surnommés LAMOUROUX. Et
pas plus lui que sa Veuve n'ont pu en récupérer le prix. Or, voici
qu'Etienne, héritier de la créance (tout comme de la dette envers le
Seigneur bien sûr) apprend qu'un certain DUBEDAT, dit LARUINE, tonnelier
à LEOGEATS, a une dette de 168 Livres envers les Frères TENEZE. Le
26 Mai 1754, par le ministère de Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, à titre
conservatoire, il fait opposition au versement de cette somme entre les
mains de DUBEDAT. Puis il tente une négociation amiable qui n'aboutira
pas, et finit par s'adresser à la Justice par un exploit du 23 Juillet.
C'est que l'affaire est plus complexe qu'il n'avait tout d'abord prévu. DUBEDAT
est bien débiteur de la somme de 168 Livres, et il vient bien le
confirmer devant le Tribunal à l'audience du 8 Août, mais il s'agit
d'une dette conjointe envers Arnaud TENEZE et sa Mère Marthe LESQUERRE
qui, elle, n'a rien à voir avec la dette de son Fils Arnaud envers les
FERRAND... Peut-on saisir ces 168 Livres sans léser Marthe LESQUERRE ? Un
beau procès en perspective... Cela aurait pu durer des années. Mais
Etienne FERRAND a de la chance. Aucun des deux défenseurs ne se présente
à l'audience du 8 Août ni ne s'y fait représenter, pas davantage à
celle du 22 Août. L'affaire est renvoyée au 29 Août, audience à
laquelle les défenseurs ne se manifestent pas davantage. Le
Juge donne acte du défaut confirmé et en conclut que les défaillants
n'ont rien à défendre. Il confirme FERRAND dans sa créance et
l'autorise à l'exercer par voie de saisie contre DUBEDAT. Au surplus, il condamne les défendeurs aux dépens envers FERRAND. Etienne se tire bien de cette première affaire. Mais dés lors qu'il est désormais en charge de la direction de la famille, il n'est pas prêt d'oublier le chemin des Tribunaux. Deux semaines plus tard, nous le retrouvons encore devant la Cour de NOAILLAN, mais, cette fois-ci, pour un tout autre motif. |
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Etienne Aîné devient tuteur de son cousin germain.
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André
et Marguerite DUBEDAT, ses cousins germains, enfants orphelins du frère
de sa Mère, que nous avons un peu oubliés ont vécu et grandi au sein de
sa famille, au moulin de VILLANDRAUT d'abord, puis au moulin du CASTAING. Jean
FERAND son Père en était le tuteur et les avaient recueillis. Le temps a
maintenant passé. Marguerite s'est mariée et voudrait bien la part d'héritage
qui lui revient sur les biens de ses Parents. Son frère André a quitté
le CASTAING pour aller s'installer vigneron à PREIGNAC. Il voudrait bien lui aussi procéder à ce partage, mais s'il est bien parvenu à l'âge adulte, il est encore mineur de 25 ans et n'a donc pas encore la capacité juridique nécessaire pour cela. Il lui faut un tuteur, et pour cela, il s'adresse au Juge de NOAILLAN et : "requiert
qu'il luy soit concédé acte de ce qu'il nomme pour son curateur réel
Etienne FERRAND, dit PETITON, marchand meunier de la présente Paroisse,
son couzin germain, aux fins de la régie et administration de ses
biens.." Le Procureur d'Office consulté n'y est pas opposé, mais la Coutume, en pareil cas, prescrit une enquête, c'est donc ce que va décider le Juge : "Ordonons
qu'à sa diligence et aux frais dudit DUBEDAT, adulte, trois de ses
Parents paternels, et trois maternels, ou a défaut de parents, des
voisins, seront assignés pour s'assembler par devant Nous, et entre eux délibérer
et donner leur avis sur la nomination dudit Etienne FERRAND pour curateur
réel audit DUBEDAT, adulte; ce faisant, déclarer s'yls atestent ou non
ledit Etienne FERRAND idoine, capable et solvable pour faire et gérer
ladite charge de curateur..." On
notera, et le cas est si fréquent qu'il va trouver ici une application,
qu'à défaut de parents, on va recourir à l'avis de voisins. Tout repose
sur le postulat d'une vie sociale communautaire dans laquelle chacun vit
sous le regard des autres. Certes,
la Justice préférerait que l'enquête de capacité soit conduite entre
membres de la famille, mais à défaut, on admettra sans hésiter que les
proches voisins puissent avoir un avis qualifié sur le choix du tuteur. C'est
bien ce qui va se produire car, si l'on trouve sans peine trois Parents
paternels d'André DUBEDAT en la personne de Jean DUBEDAT dit FLAY, maçon,
de Bernard DUBEDAT dit LARUINE, tonnelier (que nous connaissons déjà) et
de Jean LAVRIERE, sabotier, par contre, on n'a trouvé aucun Parent du côté
de sa défunte Mère, ce qui a conduit à désigner trois des plus proches
voisins. Tous sont convoqués à une audience extraordinaire de la Cour, le 28 Septembre 1754 à 10 heures. Deux des personnes convoquées font défaut, on les attend jusqu'à onze heures, après quoi le Juge passe outre à leur absence : "et
quoy que l'heure portée par l'exploit soit expirée, et même celle de
onze heures sonnée à l'horloge du présent lieu..." Car,
seule paroisse à bien des lieues à la ronde, NOAILLAN dispose désormais
d'une horloge publique, et l'on ne manque jamais, avec une légitime fierté,
d'en faire état en toutes circonstances. Le Juge ouvre donc la délibération
du Conseil de Famille qui délivre un avis favorable au choix d'Etienne
FERRAND. Reste à organiser sa prestation de serment devant le Juge. Tout un formalisme de délais et de signification de "l'appointement" du Juge par Officier ministériel est normalement prévu. En homme impatient qu'il est, FERRAND n'en a cure et n'attend pas la date qui lui a été fixée par l'exploit qu'on lui a signifié. Le 4 Octobre il se présente à l'improviste à une audience de la Cour et propose de prêter son serment sur l'heure, et il va avoir gain de cause : "
ledit FERRAND s'est présenté avant l'échéance de l'exploit et a offert
satisfaire audit appointement, le Procureur d'Office requiert qu'il soit
reçu tout présentement à prêter ledit serment..." D'une
façon générale, les Officiers de Justice n'aimaient pas trop que l'on
bouscule leurs usages. Le fait que le Procureur d'Office du Siège fut le
Parrain d'Etienne a dû compter pour beaucoup dans l'acquiescement qu'il
lui donna en cette circonstance... Toujours est-il que ce serment est prêté
sur le champs avec toute la solennité requise et que FERRAND est institué
curateur du jeune André DUBEDAT. Une telle démarche pourtant bien simple
n'allait pas sans frais considérables. Il se trouve qu'ici, ils nous sont
détaillés. Il a fallu verser : -5 L.
12 Sols au Juge ; Soit un total de 33
Livres et 10 Sols, ou, pour fixer les idées, la contre valeur
approximative de 12 à 15 brebis. En
1744, Jean FERRAND avait fait établir un bail judiciaire sur les biens
des deux enfants DUBEDAT mineurs. Depuis lors ce bail avait été revu et
transformé à plusieurs reprises. Nous n'entrerons pas dans le détail
assez complexe de ces opérations. Il suffira de savoir que le contrat en
cours venait à expiration à la St :MARTIN de 1754. (11 novembre) Etienne
FERRAND avait donc des dispositions à prendre dès sa prise en charge de
la tutelle d'André DUBEDAT. Mais auparavant, il voulut procéder à un
inventaire de la situation actuelle de ces biens immeubles, car en dix
ans, il avait pu se passer bien des choses, le Juge donne son accord et
l'on fixe le rendez-vous au 19 Décembre. Ce
jour-là, tout le monde se rend sur place à LEOGEATS. Outre
le Juge et son Greffier, il y a là le Procureur d'Office, Etienne FERRAND
et son propre Procureur et, au dernier moment, se présentent les derniers
titulaires du bail qui demandent à participer à l'inventaire, ce qui
leur est accordé. Les enquêteurs examinent d'abord la maison, et nous ne savons trop que penser de ce qu'ils en disent car les termes du Procès Verbal sont assez contradictoires. L'état général parait bon : "...les
bâtiments de laquelle maison-nous ont apparû estre en assez bon estat..." Si nous nous en tenions à cela, nous pourrions être optimistes, mais la phrase se poursuit : "
...mais que le toit et charpente ont crevé en plusieurs endroits, qu'il y
pleût beaucoup en dedans, et ont nécessité d'être suivis et réparés." Les
enquêteurs vont ensuite de pièce de terre en pièce de terre et nous décrivent
une petite propriété très morcelée comportant des terres arables, des
bois et surtout des vignes, le tout situé, pour l'essentiel dans la
partie est de LEOGEATS, vers la SAUB0TTE et BROUQUET. L'état de ces pièces
est très variable, allant d'un entretien correct à un quasi abandon.
L'ensemble de cette démarche aura encore coûté 24 Livres 14 Sols et 6
Deniers. Deux
jours plus tard, FERRAND demande au Juge de procéder à l'adjudication
d'un bail judiciaire sur ces immeubles pour une durée de cinq ans. Et il
demande que l'on procède en urgence aux "proclamats" légaux,
car il est déjà bien tard dans la saison et le temps des semailles est déjà
passé. Le Juge se rend à ses raisons et autorise ces "proclamats" le Dimanche 22 Décembre, le 24, veille de Noël et le Dimanche suivant 29. L'enchère fut organisée au Parquet du Tribunal le 2 Janvier 1755 à 10 heures. LASSERRE, le Sergent Ordinaire du lieu est alors invité à procéder à une dernière criée annonçant l'enchère devant la porte du Parquet, ce à quoi il procède aussitôt et rend compte : "avoir
fait ladite quatrième et surabondante criée...audevant le présent
Parquet et y avoir crié et recrié diverses fois à haute et intelligible
voix..." L'enchère
peut commencer avec une mise à prix de vingt sols. Elle ne sera pas très
animée puisque seul se présente un certain Pierre MARTIN qui propose 4
sols de plus. Et c'est à ce prix, soit 1 Livre 4 Sols de loyer annuel,
qu'il emportera le bail. Somme dérisoire pour la mise à disposition
d'une propriété petite, certes, mais qu'un peu de travail devrait
rapidement remettre en état. Il
est possible que l'obligation d'entretenir la maison en ait fait réfléchir
plus d'un, surtout si l'on tient compte des faibles possibilités
d'amortissement des frais à engager sur un bail limité à cinq ans. Quoi
qu'il en soit, ce revenu sera parfaitement dérisoire pour le mineur, mais
il aura fallu encore débourser 21 Livres 16 Sols et 10 Deniers pour
couvrir les frais d'enchère... Le tout, bien évidemment, à la charge
des immeubles de la succession. Cette affaire offre un bel exemple de dilution d'un patrimoine en frais de Justice. Les opérations que nous venons de suivre ont coûté au total 80 Livres 1 Sol et 4 Deniers ; mais il ne faut pas oublier que le patrimoine des DUBEDAT avait déjà porté sensiblement la charge des mêmes frais lors de l'attribution du premier bail en 1744, ainsi que lors de son renouvellement intermédiaire, dont nous n'avons pas parlé, en 1749. En comptant bien tout, le total de ces frais ne doit pas être très éloigné de la valeur intrinsèque de la succession. Les jeunes DUBEDAT, au moment de la liquidation de la tutelle auront certainement de bien mauvaises surprises, et ce n'est pas un loyer de 24 sols par an qui y changera quelque chose. |
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La famille Ferrand s'agrandit encore. |
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Vers
cette époque, fin 1754, début 1755, le foyer des FERRAND accueille un
cinquième enfant, Etienne, dont la date de naissance précise n'a pu être
jusqu'ici retrouvée. Ce garçon survivra un peu plus longtemps que les
autres, mais mourra à BALIZAC, au moulin de LA FERRIERE, à l'âge de 18
ans, le 18 Février 1773. Il
sera suivi, un peu plus d'un an plus tard, le 23 Mars 1756, de Bernard,
sixième enfant du couple et sixième garçon. Ce
Bernard, qui sera dit BERNACHON, est un personnage important car il s'établira
à BAL1ZAC et sera le Père de Jeanne laquelle s'alliera aux DARTIGOLLES
à TRISCOS. C'est donc lui qui nous rattache à la lignée des FERRAND.
Nous reprendrons ultérieurement le détail de son histoire. Deux
ans plus tard, et presque jour pour jour, survient le huitième enfant,
encore un garçon, un autre Etienne. On notera la qualité de ses Parrains
et Marraine : Etienne PERROY, qui qui cumule les fonctions de Juge du
Tribunal Seigneurial de BUDOS et de Procureur d'Office de celui de
NOAILLAN et Marie Anne CAZALET, son épouse qui est également la soeur du
Juge de NOAILLAN. Décidément,
les FERRAND sont remarquablement introduits dans le milieu judiciaire ;
cela peut parfois être utile, à l'occasion. Ce jeune Etienne survivra.
Il se mariera plus tard, en Février 1731 avec une certaine Marie
LACASSAIGNE qui mourra avant la fin de la même année, peut-être à
l'occasion de ses premières couches. Cet
Etienne se remariera par la suite avec une Marthe BATAILLEY et ils auront
au moins un garçon, François, né à VILLANDRAUT le 21 Septembre 1792,
la veille de la proclamation de la République. |
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Le désastre de 1758.
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Ce
printemps de 1758 devait se montrer riche en évènements. Outre la
naissance du petit Etienne, on ne manquera pas de retenir le désastre de
la gelée du 17 Avril. En fait, plutôt que de simple gelée, c'est de
neige qu'il s'était agi. Cette année là, la végétation de la vigne s'était
montrée précoce, et le 17 Avril, phénomène insolite pour la saison, il
s'était mis à neiger. Sur
un coup de froid soudainement survenu, cette neige s'était transformée
en glace formant bloc autour des jeunes pousses. Partout dans le pays, ce
fut un désastre ; de nombreux documents l'attestent à FARGUES, à
SAUTERNES, à BUDOS et autres lieux. A NOAILLAN, les dégâts furent tout
aussi considérables que partout ailleurs, mais en plus, l'affaire s'agrémenta
d'une polémique. Sitôt après cette funeste journée, les habitants s'assemblèrent et décidèrent de porter leur problème à la connaissance de l'Intendant : "(et)
de (lui) rendre leurs pertes notoires pour exciter sa clémence (et) leur
accorder un rabais sur les Impôts Royaux de toute espèce dont cette
Juridiction est surchargée..." Il
fut convenu que l'on rédigerait une requête à son intention, ce qui fut
fait. Pour lui donner davantage de poids, on jugea opportun de la faire
transmettre par Monsieur DUROY, Président de la Cour des Aides, Seigneur
du lieu. Celui-ci accepta de se charger de la démarche, mais l'Intendant,
pour lors, était absent de BORDEAUX. Monsieur DUROY en informa ses manants et leur suggéra qu'en attendant son retour, ils préparent : "quelqu'acte
probatif du dommage.." Les habitants s'assemblèrent de nouveau et décidèrent : "
...qu'on feroit visiter les vignes par deux particuliers vignerons et
connoisseurs de deux paroisses voisines pour, par leur déclarations sèrementées,
constater le dégât et dommage et ensuite les joindre à ladite requête
pour convaincre Sa Grandeur de son contenu...." On
tomba d'accord pour désigner Jean DUSSAUX, dit JEANTILLE, de SAUTERNES,
et Jean BOIREAU d'UZESTE. Ces deux Experts, accompagnés des Collecteurs
de l'Impôt pour l'année en cours, se livrèrent à une enquête très sérieuse
et conclurent que pour se prononcer de façon définitive, ils
souhaitaient repasser après le mois de Mai afin de mieux juger de l'évolution
de la seconde végétation qui se manifesterait après la gelée. Tout
cela fut fait. Mais
au moment où ils allaient remettre leur rapport au Juge de NOAILLAN, les
Collecteurs firent savoir qu'ils n'étaient pas disposés à faire
l'avance des frais d'expertise. Les deux Experts rétorquèrent qu'en ce
cas, ils ne déposeraient pas leur rapport. La situation était bloquée,
et chacun campant sur ses positions, cela aurait pu durer très longtemps. C'est
alors qu'intervint Étienne PERROY, le Procureur d'Office, "l'intérêt
public résidant dans (ses) mains", comme il le dit lui-même. Le
6 Juillet, il s'adressa au Juge de NOAILLAN et lui demanda de prendre un "appointement"
enjoignant aux Collecteurs de faire l'avance des frais d'expertise, leur
garantissant qu'ils en seraient ultérieurement remboursés par une répartition,
effectuée sous son contrôle, entre tous les habitants; et dans le même
temps d'enjoindre aux Experts ainsi défrayés de lui remettre leur
Rapport. Le Juge fit droit à cette requête et leur fit remettre 4 Livres à chacun pour prix de leur peine, avec engagement de les faire rembourser ultérieurement aux Collecteurs d'Impôts. Nous n'entrerons pas dans le détail de ce rapport, mais nous en retiendrons que, après trois visites sur le terrain : "dans
l'étendue des dites vignes, ils les (virent) aussy sèches qu'à la NOËL,
toutes les (pousses) nouvelles étant brûlées par lesdites neige et
glaces... (qu'ils) ont remarqué beaucoup de pieds morts (et) que les
pieds qui ont repoussé sont presque tous de dessus le vieux bois sans
beaucoup de vigueur et fort peu sur le jet nouveau taillé, par l'arrière
bouton quy ne promet nulle perfection..." En bref, ils estiment que les vignes qu'ils ont vues, dans l'état où ils les ont trouvées, "
ne produiront cette année qu'aux environ du seizième du vin (et) que ce
vin ne pourra estre de bonne qualité ... " Voilà
donc une année qui se présentait bien mal... Elle
se présentait mal également pour Raymond LABARBE, Valet d'Etienne
FERRAND... Il est vrai que lui l'avait probablement un peu cherché. Les
FERRAND avaient quitté le moulin du CASTAING à la fin de leur bail,
probablement en Avril 1755. Depuis lors, ils étaient installés dans
l'une de leurs maisons, à HOURTON, toujours dans le même secteur de
NOAILLAN, entre la SAUBOTTE, PEYREBERNEDE et POUTCHEOU, sans jamais
beaucoup s'écarter de leurs racines autour du CHAY. Etienne exerce désormais la profession de "marchand" sans que soit précisé l'objet de son commerce, probablement celui des grains et des farines qu'il avait jusqu'ici toujours pratiqué et que nous allons lui voir retrouver tout à l'heure. |
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Un guet-apens.
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Le
Lundi 8 mai 1758, un peu après l'Angélus du soir, alors que le soleil
venait de se coucher, il envoie son valet Raymond LABARBE, un garçon de
25 ans, chez Fortis LATIE, son métayer, pour lui demander s'il irait à
LANGON le lendemain, et, le cas échéant s'ils pourraient faire route
ensemble. LABARBE
arrive au moment où LATIE va se coucher car effectivement il envisage de
partir à LANGON dans la nuit. On avait en effet pour habitude d'être très
matinal. Aller à LANGON impliquait que l'on devait y parvenir vers les
sept heures ce qui, avec bien près de quatre heures de marche, situait le
départ de NOAILLAN sur les trois heures du matin. C'est ainsi que LABARBE
fut chargé de revenir dire à son Maître que tout était bien convenu
pour le rendez–vous "à l'heure habituelle". Il est
alors environ huit heures. LABARBE s'engage dans le Chemin du CHINE en
direction de POUTCHEOU tandis que LATIE gagne son lit. A
POUTCHEOU, le Petit BERNEDE et sa jeune soeur Jeanne sont aux aguets derrière
une haie. Ils ont vu passer LABARBE à l'aller et attendent son retour.
Voilà qu'ils l'aperçoivent dans l'enfilade du chemin. -"
Aqui qu'an l'homme ! " (L'homme est à nous !) dit le Petit
BERNEDE; et il le dit si fort que Marguerite TAUZIN, leur voisine l'entend
du pas de sa porte. Aussitôt, sa soeur s'empare d'un bâton qu'elle cache
sous son tablier et ils se précipitent tous deux sur Raymond LABARBE pour
lui faire un mauvais sort. -
"Gahe lou gahe lou !" (Attrape-le
! Attrape-le !) crie Jeanne à son frère, et elle frappe ce pauvre
LABARBE à coups de bâton lancés à la volée. - "nou
! nou ! pa sou lou cap !" (Non ! Non ! pas sur la tête!) modère
le garçon. Le bruit des coups est tel que LATIE les entend de chez lui. Il sort, mais il fait déjà nuit; il ne voit rien et s'engage dans le chemin du CHINE. Et là, à la hauteur du "grouilh" (le lavoir) de POUCHEOU, il tombe en plein dans la bataille. Le
Petit BERNEDE et LABARBE se tiennent réciproquement l'un l'autre tandis
que la fille manie le bâton sur le dos du second. Marie LAJUS, Veuve
BERNEDE, Mère des deux jeunes est arrivée entre temps sur les lieux.
Elle crie des choses que personne n'a compris ou n'a voulu comprendre, en
tous cas, elle n'intervient pas et laisse faire. LATIE
intervient énergiquement et fait lâcher prise aux antagonistes, mais non
sans mal, car si LABARBE s'effondre, le Petit BERNEDE se retourne aussitôt
contre lui, et les voilà tous deux qui se tiennent par les cheveux. Entre
temps, Marguerite TAUZIN, du pas de sa porte a, elle aussi entendu les
coups et les cris ; elle appelle son mari et veut y aller, il l'en
dissuade. Mais Jeanne BERNEDE revient alors du combat en courant, sans
coiffe, est-il précisé, elle l'aura perdue dans la bataille. De
même aura-t-elle abandonné son bâton sur place. Il sera ramassé comme
pièce à conviction. Elle crie en passant aux époux TAUZIN d'aller séparer
LATIE et son Frère, ce qu'ils vont faire. "
Dèche aco..." (Laisse
cela..) dit TAUZIN à LATIE, et les choses n'iront pas plus loin. Il
ne reste plus qu'à ramasser LABARBE, fort mal en point et à le ramener
chez les FERRAND à HOURTON. Pendant ce temps, Jeanne BERNEDE s'est rendue
au puits de POUTCHEOU où Marguerite TAUZIN la retrouve en train de laver
ses jupes tachées du sang de LABARBE. Elle ne fera qu'un bref
commentaire, disant qu'elle était bien contente de ce qu'elle avait
fait... Dès
le lendemain, LABARBE, incapable de se déplacer, fait porter sa plainte
au Juge de NOAILLAN. Celui-ci décide d'un transport de Justice au chevet
de la victime pour le jour suivant, 10 Mai à 8 heures. Il
y a là, outre le Juge, son Greffier, le Procureur d'Office, le Procureur
postulant chargé des intérêts de LABARBE et Jean Bernard MANDOUSSE, Me
Chirurgien qui a prodigué les premiers soins et qui, moyennant serment,
procédera au Procès Verbal d'expertise. Dans sa déposition, Raymond LABARBE précise que : "sans
avoir donné aucune occasion à la Veuve du nommé Louis (BERNEDE), son
fils et sa fille plus jeune, ils l'ont plusieurs fois menacé de le tuer,
outragé en parolles et poursuivy pour exécuter leurs dessains..." Il
n'est pas absolument certain qu'il n'y ait eu "aucune
occasion" de conflit préalable. Quelques pistes s'ouvriront tout à l'heure... Par ailleurs, LABARBE évoque : "
les grands coups d'un paoû (bâton) dont ils estoient chacun armés.." Ou il a mal vu, ce qui, après tout, au regard des circonstances est bien possible, ou il cherche à enjoliver les choses, car seule, Jeanne avait un bâton. Enfin, "...la
Veuve de feu Louis (BERNEDE) accourut et se joignit à ses enfants
auxquels elle ordonnait de le tuer..." Ceci
n'est peut-être pas à écarter, car il est bien curieux qu'aucun des témoins
n'ait compris ce que disait la mère pendant qu'elle criait... N'oublions
pas que ces témoins étaient également des voisins et que s'ils
rapportaient honnêtement ce qu'ils avaient vu, sous la foi du serment,
ils ne se sentaient peut-être pas obligés d'avoir bien compris les
propos particulièrement graves et compromettants qu'aurait pu tenir la Mère.
LABARBE,
lui, ne se sentait pas tenu à une pareille réserve... Sous le bénéfice
de ces observations, la déposition de la victime est conforme à l'évènement. Le Juge demande alors au Maître Chirurgien de procéder a son expertise. Celui-ci précise bien qu'il effectue son constat au matin du 10 Mai, et il trouve : "...ledit
LABARBE tout ensanglanté, le visage et la chemise en estoient couverts,
provenant d'une plage que j'ay vue à la partie écailleuse du temporal
gauche, pénétrante jusques au péricrane de la longueur d'un pouce et
demi "(un peu moins de 4 cm). Est-ce
que, par hasard on aurait laissé ce pauvre LABARBE dans sa chemise
ensanglantée depuis l'avant veille au soir, sans même laver sa plaie en
attendant l'expertise ? On peut espérer que le Chirurgien parle au présent dans son rapport de choses qu'il a vues au passé, car il semble bien qu'il ait déjà vu le patient auparavant. On peut toujours l'espérer pour lui. Il a vu également : "une
équimose à l'oeil gauche avec épanchement de sang dans le globe de
l'oeil gauche. Une contusion à la lèvre inférieure de la longueur d'un
pouce et de la largeur d'un demi-pouce. Une contusion à l'ommeplate droit
de la grosseur d'un liard, une contusion à la sixième vertèbre de l'épine
du dos de la grosseur d'un écu de trois Livres... etc..." Nous nous en tiendrons là, car ce triste tableau se développe sur plus d'une page avec la même minutie. Nous retiendrons seulement que toutes les parties du corps ont été atteintes de la tête aux pieds et que ces coups ont été donnés : "avec
des instrumens contondans comme barre, bâton ou autre chose
semblable..." Et que pensez-vous que fit Me MENDOUSSE à un blessé ayant déjà perdu pas mal de sang ? Ne cherchez pas, il nous le dit lui-même : "pour
raison desquelles plages et contusions je (l'ay) saigné deux
fois..." Il
est vrai qu'il prescrit aussi de nettoyer les plaies avec de l'eau de vie "astiptique"
(asceptique) afin d'éviter le risque d'infection et recommande de lui
faire "observer un régime convenable" que tout le monde
doit probablement connaître puisqu'il n'est pas autrement précisé. Un
Procès Verbal est dressé de tout cela; le bâton trouvé sur place est
remis au Greffier et le Juge décide d'ouvrir une Information à laquelle
s'associe le Procureur d'Office, garant de l'ordre public. La victime se
porte évidemment partie civile et sa constitution est immédiatement agréée. Les choses ne traînent pas. Dès l'après-midi du même jour, on commence à entendre les premiers témoins convoqués d'urgence au Parquet de la Cour. Fortis LATIE et Marguerite TAUZIN font des dépositions crédibles et déterminantes qui, au surplus, sont confirmées par d'autres témoins. |
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Le procès qui s'ensuivit. |
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La jeune Jeanne PUJAUDE par exemple, qui a 14 ans; elle est servante et : "se
retirant chez sa Maîtresse avec son bétail qu'elle venoit de garder,...
après soleil couché et estant arrivée chez ladite Maîtresse, elle
entendit la voix du nommé LATIE qui disoit au fils de la Veuve Louis
" Chaoû tu, bos tuoua un homme !" (Attention ! toi, tu veux
tuer un homme !), ce qui (la décide) d'aller au lieu du Gouilh de
POUTCHEOU, et y estant parvenue, elle vit le plaignant tout ensanglanté
et ledit LATIE le dégageoit des mains dudit fils de ladite Veuve..." Ce sont là désormais des faits bien acquis, mais l'enquête va révéler bien autre chose ; essentiellement deux points importants : 1)
LABARBE a raison lorsqu'il prétend qu'il y a eu préméditation ; 2)
Il est bien possible, sinon probable, que le même LABARBE n'ait pas été
parfaitement innocent d'une agression antérieure qu'il aurait pu
commettre sur la personne de Jeanne BERNEDE. En
effet, au petit matin du Dimanche 7 Mai, veille de l'agression, il s'est
dit beaucoup de choses sur le chemin conduisant de PEYREBERNEDE au Bourg,
tandis que tout un chacun se rendait à la première Messe du Village. Les
témoins sont nombreux, mais nous ne retiendrons que les plus
significatifs. Marie DOUMINGUE, 50 ans, Veuve d'Arnaud DOUENCE : "venant
Dimanche dernier à la premère Messe du présent lieu, elle rencontra sur
son chemin la plus jeune fille de la Veuve Louis ... qui avoit sous son
tablier un bâton de la longueur du bras ; laquelle dit à la déposante
de passer son chemin. Ensuite de quoi la déposante entendit que ladite
fille ... disoit à la femme d'Étienne FERRAND qu'elle pouvoit se
chercher un autre valet..." Bernard REDGENT, valet meunier au moulin du CASTAING, 23 ans, dépose que : "
venant Dimanche dernier à la première Messe du présent lieu, estant sur
le chemin quy conduit à la Veuve MOURA, il vit la plus jeune fille de la
Veuve Louis... quy avoit un bâton ez mains, son frère estant aussi sur
ledit chemin à une petite distance de sadite soeur, laquelle ayant aperçu
la femme d'Etienne FERRAN luy dit parlant de (la victime) qu'il n'avoit
pas voulu aller à la Messe au présent lieu, (mais) que s'il y fust allé,
elle aurait eu sa revanche; ajoutant à ladite femme de FERRAND qu'elle
pouvoit se chercher un autre valet et qu'il le luy payeroit en quel
endroit qu'elle le retrouveroit, disant qu'il l'avoit bien battue..." Sur le même chemin, faisant route avec Marie CABIROL, épouse FERRAND, se trouvait Marie DUPRAT, 40 ans, épouse de Jean THENEZE, dit MIAILLLE, elle dépose que : "Dimanche
dernier à la première Messe du présent lieu, estant en compagnie de l'épouze
d'Etienne FERRAND et d'autres personnes, elle vit la fille (la) plus jeune
de la Veuve Louis qui avoit un bâton à la main, laquelle estoit sur le
chemin quy conduit chez la Veuve MOURA à HOURTON, et n'eût pas plutôt
aperçu ladite épouze dudit dès qu'elle vit que son valet ne venoit pas
à la Messe, (lui dit) qu'elle vouloit le tuer, qu'il l'avoit battue ; et
la déposante continuant son chemin avec les mêmes personnes, joignit le
fils de ladite Veuve Louis près (du) présent Bourg, lequel dit à l'épouze
dudit FERRAND que son valet avoir battu sa soeur (et) que s'il s'y fust
trouvé, il aurait fallu aller le (ramasser), mais qu'il le payeroit..." On
notera l'ostentation qu'ont mis les BERNEDE dans la préparation de leur
coup de main; et si LABARBE fut allé à la messe à NOAILLAN ce
Dimanche-là, c'est devant une dizaine de témoins à tout le moins que
Jeanne BERNEDE aurait joué de son bâton... Le moins que l'on puisse dire
est que ces deux-là n'avaient pas dissimulé leurs intentions. Mais on
notera aussi, et c'est important, qu'aucun des témoins, ceux que nous
avons cités tout comme les autres, ne met un seul instant en doute le
fait que LABARBE aurait effectivement battu Jeanne BERNEDE. Dans
un hameau où chacun vit sous le regard des autres, tout le monde était
manifestement au courant, et même Marie CABIROL n'a pas cru devoir jouer
un air d'innocence, elle aussi était au courant. Mais au courant de quoi
? Quelle avait été la gravité de l'agression antérieure, si tant est
qu'elle ait réellement existé ? Quelles en avaient été les
circonstances et les modalités ? C'est ce que nous ignorons, et, bien
pire encore, c'est ce que nous continuerons d'ignorer... Au terme de ces premières investigations, le Procureur d'Office prend une décision radicale; il requiert l'incarcération du frère et de la soeur BERNEDE et la mise de leur Mère en examen : "
Ainsi Nous requérons... que lesdits fils et fille de ladite Veuve Louis
BERNEDE soient pris, saizis au corps, menés et conduits sous bonne et sûre
garde ès prisons du présent lieu pour y estre ouïs et interrogés....
et que ladite Veuve Louis BERNEDE soit adjournée au délay de
l'Ordonnance pour rendre son audition sur les faits rézultants desdites
charges et informations..." Le
frère et la soeur seront arrêtés par le Sergent de la Juridiction (en
cas de résistance, ils se rendraient coupables du crime très grave de "rebellion").
Ils seront incarcérés dans la prison seigneuriale sous la garde du Geôlier.
Quant à la Mère, il s'agit d'une simple citation à comparaître à la
date qui lui sera fixée par une signification faite à son domicile dans
le délai fixé par Ordonnance Royale. Le
Juge accède à cette requête et la rend exécutoire le 11 Mai 1758. La
suite normale de la procédure aurait dû consister en la comparution des
accusés "sur la sellette" pour y faire leur "confession"
sous la foi du serment. Il en résulte en ce cas, pour chacun des
comparants, une longue pièce de procédure quelquefois très détaillée,
mais en tous cas toujours révélatrice des tenants et des aboutissants de
l'affaire. Or,
malencontreusement, ce dossier s'arrête ici, et c'est la raison pour
laquelle nous ne saurons rien de plus sur les évènements antérieurs à
l'agression des BERNEDE, événements qui auraient plus ou moins engagé
la responsabilité de LABARBE et, sinon justifié, du moins expliqué le désir
de vengeance hautement proclamé par Jeanne BERNEDE. Nous
avons déjà vu que bien des dossiers concernant les FERRAND connaissaient
des arrangements discrets. Mais ici, les circonstances sont assez différentes.
Tout d'abord, les FERRAND ne paraissent pas être partie prenante dans le
conflit, mais on ne voit pas très bien, surtout, comment aurait pu être "arrangée"
par une quelconque transaction une affaire d'ordre public ayant abouti à
une décision de prise de corps des accusés. Il
ne faut pas oublier que la Justice du Roi pouvait très bien s'intéresser
à une telle agression sur la voie publique et que l'autorité de la
Justice Seigneuriale n'avait rien à gagner à se faire coiffer par les
gens du Roi. Or, ceux-ci n'étaient pas loin. Il
y avait une Prévôté Royale à BARSAC et une unité de Maréchaussée à
LANGON dont les Gendarmes parcouraient le pays, notamment les foires et
marchés, toujours à l'affût de tout ce qui pouvait concerner la sécurité
publique. Il
semble donc peu probable qu'une telle affaire ait pu être "arrangée"
sur le plan local, mais force nous est bien de constater que la suite en
fait défaut. Nous n'en saurons pas davantage. La
vie allait son cours, mais l'année suivante, tout le pays allait être
vivement secoué, et au sens le plus fort et le plus exact du terne. |
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Le tremblement de terre de 1759.
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Dans
la soirée du 10 Août 1759, très précisément à 22 h.15, alors que le
plus grand nombre était déjà couché, la terre se mit à trembler
violemment en plusieurs secousses successives. Personne
n'avait d'expérience personnelle d'un tel évènement, même les plus
anciens, et pour cause, car la précédente secousse significative perçue
dans le pays remontait à 1660. Pour
impressionnant qu'il fût, ce séisme ne provoqua aucun dégât notable
dans les paroisses avoisinantes. Il
n'en fut pas de même à BORDEAUX où l'on vit s'effondrer la voûte de l'Église
Notre Dame, et dans le Libournais où plusieurs maisons furent rasées
tandis que le Château de VAYRES était sérieusement ébranlé. On
avait déjà entendu parler de la catastrophe de LISBONNE survenue le jour
de la TOUSSAINT 1755. A
coup sûr, ils n'étaient pas très nombreux ceux qui savaient vraiment où
se trouvait LISBONNE et ce que pouvait représenter 60.000 morts, mais les
Curés, dans les paroisses avaient beaucoup prêché sur la colère de
Dieu, si bien que l'on estima s'en être tiré, cette fois-ci, à bien bon
compte. L'évènement
ne manqua pas néanmoins de frapper les imaginations et servit dès lors
de référence, dans toute la région, et pour une longue période,
faisant de 1759 " l'année du tremblement de terre". |
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De grands désordres se manifestent à Noaillan.
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Et
pourtant, la colère de Dieu aurait trouvé matière à s'exprimer à
NOAILLAN car il s'y passait des choses assez répréhensibles. Me DUFAUX,
le nouveau Procureur d'Office en dresse un catalogue qu'il présente au
Juge local le 24 Janvier 1760 en lui demandant d'intervenir énergiquement.
Disons le tout net, tout allait mal... Ce sont d'abord les cabaretiers de NOAILLAN qui : "
donnent du vin pendant les Offices divins et pendant toute la nuit, ce quy
cauze un grand scandale en ce qu'il s'y forme des attroupements nocturnes
quy, en se retirant du cabaret troublent le repos public, menacent de
battre et excéder (c'est-à-dire agresser)
les personnes quy font des représentations à ce sujet..." Mais il y a bien autre choses encore : "
Autre abus aussy, les boulangers de la présente Juridiction (s'avisent)
de vendre le pain blanc à l'oeil (c'est-à-dire sans le peser) et
excèdent ainsy le prix du pain en le rendant au-delà de la taxe portée
par le tarif, affectant de ne pas le faire cuire suffisamment pour qu'il
ait plus de poids et cauzant ainsy un préjudice très considérable au
public." Ce
défaut de cuisson du pain reparaît souvent dans les contrôles ; il est
vrai qu'il doit être tentant de vendre de l'eau au prix du pain, et que
des générations de boulangers ont pu succomber à cette tentation (et
peut-être pas seulement au XVIIIème siècle...). Mais cette corporation n'est pas seule en cause, car les cabaretiers, encore eux, sont accusés d'autres fraudes : "(ils) affectent de se servir de mesures courtes et trompent ainsy le public par la fausse mesure." Cette
fraude consiste à servir les liquides, et tout spécialement le vin, au
moyen de récipients comportant un double fond si bien que la profondeur
intérieure en est plus courte que ne le laisse supposer l'aspect extérieur.
La chose est d'autant plus facile à pratiquer que ces récipients sont en
étain et par conséquent parfaitement opaques. Ce n'est pas tout : "
Certains hôtes de la présente Juridiction (s'avisent) de recevoir chez
eux des étrangers qui portent de la viande de cochon à vendre, quy se
distribue chez lesdits hôtes (ce qui) va contre le droit exclusif que les
habitants de la présente Juridiction ont, eux seuls, de débiter et
vendre à la livre leur cochons." Effectivement,
la vente de la viande au détail ("à la livre")
constituait un privilège seigneurial et ne pouvait se faire que dans la
boucherie du Seigneur; mais par un privilège local, les habitants de
NOAILLAN et de LEOGEATS avaient le droit de débiter et de vendre "à
la livre" tout ou partie de leur porc, à condition qu'ils
l'aient effectivement élevé chez eux. Ce privilège ne portait que sur
les porcs, à l'exclusion de tout autre bétail, et ne pouvait être exercé
que par les manants locaux. Nous
passerons sur les péripéties intermédiaires pour en venir à la réglementation
issue de ce réquisitoire. Le Juge décide de proscrire la vente du vin
pendant les Offices, quels qu'ils soient, ainsi que l'hiver après neuf
heures du soir et l'été après dix, sous peine d'une amende de 50 Livres
au profit de la Paroisse. Il prohibe non seulement l'usage, mais même la simple détention des fausses mesures sous les mêmes peines. De même fait-il à tout hôte : "
inhibition et defense de tenir aucune assemblée ny attroupement chez eux
pendant la nuit, ny de souffrir aucune dance..." Dans le même temps, il est ordonné : "à
tous les habitants de la présente Juridiction de se retirer chez eux aux
heures ci-dessus marquées et leur (fait) défense de s'assembler et faire
des attroupements nocturnes sur (la) Place Publique (du) Bourg de la présente
Juridiction, de troubler le repos public, d'insulter ny menasser personne
sous les peynes portées par lesdites Ordonnances et d'estre punis comme
perturbateurs du repos public...." Voilà comment la répression naît d'un excès de désordre... Quant aux boulangers, il leur sera prescrit : "de
(ne) vendre et débiter du pain blanc qu'à la livre complète sur le
poids du tarif, ... de tenir poids et balances et de bien faire cuire
et conditionner ledit pain à peyne, en cas de contravention de
confiscation et de cinquante Livres d'amende, le tout applicable au profit
des pauvres de (la) Paroisse.." Enfin, il sera formellement défendu aux Hôtes : "et
à tous autres particuliers de recevoir et laisser débiter par les étrangers
de la viande de cochon à peyne de la confiscation et de cinquante Livres
d'amende personnelle contre les contrevenants". Tout
ceci sera lu et publié sur la Place Publique à la sortie des Messes
paroissiales et affiché " partout où besoin en sera ",
c'est-à-dire, essentiellement à la porte du Parquet du Tribunal et à la
porte de l'Église. Il
serait vain de croire que ces décisions aient pu suffire à ramener
l'ordre dans un Village aussi turbulent que NOAILLAN. D'autres traverses surviendront et continueront de défrayer la chronique locale... |
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L'implacable enchaînement des dettes
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A
quelques semaines de là, le 6 Avril 1760, survient une neuvième
naissance chez les FERRAND ; enfin une fille la première après une série
continue de huit garçons. On l'appellera Jeanne, mais elle ne survivra
pas. Le
dixième et dernier enfant devait arriver deux ans plus tard, encore un
garçon, le 8 mai 1762 ; on l'appela Jean, mais lui non plus ne devait pas
survivre. Lors de cette dernière naissance, Marie CABIROL, la Mère,
avait 34 ans et demi. Voilà
plus de neuf ans que Jean FERRAND est mort, mais certaines de ses affaires
ne sont toujours pas liquidées. Et encore une fois, des affaires de
modeste importance, comme nous en avons déjà rencontré bien d'autres. On
laisse courir les dettes, on a toujours le temps de régler, mais c'est un
jeu dangereux car nombreux sont ceux qui finissent par ne plus trop savoir
où ils en sont. Ainsi
Etienne FERRAND ne peut-il récupérer la modeste somme de 11 Livres que
Jean DUCLERC devait à son Père pour quelques mesures de farine de seigle
et de millet qu'il lui avait avancées dans un moment difficile. Depuis
lors, il aurait eu bien des fois l'occasion de rembourser cette somme,
mais il ne l'a pas fait, et il a engagé ailleurs d'autres découverts si
bien que maintenant, si modeste que soit la somme, il ne peut pas s'en libérer.
Il fait alors ce que font d'innombrables débiteurs de l'époque, il fait
la sourde oreille et ne répond plus à rien. Lassé,
Etienne lui adresse un exploit le 14 Mai et l'assigne devant le Tribunal
en son audience du 27. Entrent
alors en jeu les renvois successifs habituels des Justices seigneuriales,
en Juin, en Juillet, etc... sans que l'affaire avance de façon
significative. Tout au long de ce cursus judiciaire, Jean DUCLERC ne s'est
jamais présenté ni fait représenter devant le Juge ; absence et silence
total. Finalement,
le 9 Septembre, le Juge finit par le condamner à honorer sa signature sur
le billet de reconnaissance de dette que présente FERRAND, et à lui
payer cette somme de 11 Livres. Mais
ce qu'il est intéressant de noter, c'est que les dépens auxquels il est
également condamné s'élèvent à 11 Livres et 5 Sols soit donc autant
que la dette principale. De
dangereux qu'il était, le jeu devient là suicidaire car ces 22 Livres 5
Sols vont être désormais récupérables sur le débiteur par voie d'une
saisie entraînant de nouveaux frais qui viendront s'ajouter à la dette. Combien
de patrimoines de petits laboureurs indépendants ont-ils ainsi fondu en
frais de justice à l'occasion d'affaires qui, au départ, étaient sans
importance ? On
retrouve ensuite ces pauvres gens brassiers ou journaliers soumis à tous
les aléas des travaux saisonniers payés à la journée à des tarifs misérables.
Encore heureux si leurs dettes passées ne les poursuivent pas encore sur
ces maigres ressources. Cette affaire se termine donc sur un jugement rendu, nous l'avons dit, le 9 Septembre 1762. |
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Les deux frères Ferrand
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Etienne
FERRAND n'aura pas le temps de reprendre son souffle car dès le
lendemain, 10 Septembre, il recevait un exploit d'assignation délivré
par son frère cadet, l'autre Etienne, pour comparaître devant le même
Tribunal de NOAILLAN. C'est
le début d'une longue contestation. Etienne pouvait-il se douter ce
jour-là qu'il s'engageait dans une procédure qui allait s'étirer tout
au long des huit années à venir ?... Que
s'était-il passé ? Nous
nous souvenons que quinze années séparaient les deux frères; l'Aîné
était né en 1723, et le Cadet en 1738. Cela n'avait pas posé de problème
tant que leur Père Jean avait dirigé les affaires de la famille. Il
ne semble pas qu'il se soit non plus posé de problèmes majeurs dans les
années qui ont suivi, pas même après la disparition de leur Mère au
premier jour de Janvier 1754. C'est
au début de 1762 que les choses se sont gâtées. Du moins est-ce à ce
moment-là que les dissensions sont apparues au grand jour, sans que l'on
puisse dire si elles avaient ou non été précédées d'une période
d'affrontements et de mésentente. Toujours
est-il qu'un beau jour du début 1762, Etienne le Cadet quitta la maison
de HOURTON où il vivait en famille avec son Frère aîné, sa Belle Soeur
Marie et ses Neveux. Et si nous n'avons pas de détail sur ce départ,
nous pouvons affirmer qu'il fut précipité. L'Aîné
le qualifiera de "furtif", mais le Cadet confirme bien
qu'en partant, il a laissé sur place tous ses effets personnels puisqu'il
en réclamera ultérieurement la restitution. Dans
l'approche de cette affaire, il faut nous montrer critiques et prudents
car nous ne disposons que de la version du Frère Aîné. Quelques indices
objectifs permettront néanmoins d'éclairer un peu le débat sans le
trancher de façon absolument certaine. En
quelques mots, et en simplifiant, la question est de savoir si le Cadet
est parti pour fuir la tyrannie de son Aîné, ou bien simplement parce
qu'il avait un profil de fils prodigue aventureux. C'est
l'objet du débat. Si
l'on en croit l'Aîné, la cause est vite entendue. Il expose qu'il avait : "auprès
de luy ledit FERRAND son Frere (Cadet) dont il eût tout le soin possible
tant pour son entretien que pour son éducation et luy reconnaissant alors
un tempéramment propre à vivre avec luy sans nulle méfiance de
fuite..." Soit,
mais en grandissant, le plus jeune pouvait de moins en moins ignorer que
son Aîné, pour des raisons inconnues, avait été largement avantagé
dans le testament de son Père. Or,
ce n'était pas l'usage du pays où le droit d'aînesse était très peu
pratiqué. Alors pourquoi ? Une telle question ne pouvait que jeter un
trouble dans les relations entre les deux garçons. Mais l'Aîné poursuit : "ledit
FERRAND Jeune, qui vivoit avec (son Aîné) sans autre occupations que
celles quy luy plaisoient, ne manifesta ses mauvais sentiments que vers le
commencement de la présente année (1762), et enfin, livré au caprice de
certains malintentionnés, il rejeta les douces et charitables représentations
de (son Aîné), le quitta furtivement et s'en alla, errant de paroisse en
paroisse, adonné à un train de paresse et d'oisiveté d'où, néanmoins,
(son Aîné) a voulu le sortir par son rappel auprès de luy, (ce) qui n'a
produit nul effet, au contraire,..." On
pourra douter que ce Cadet ait pu aller et venir sur l'exploitation
familiale en ne faisant que ce qui lui plaisait... De
même les représentations fraternelles ont-elles plus de chances d'avoir
été vigoureuses et péremptoires que "douces et
charitables"... Par contre, le reste est assez vraisemblable,
car, lorsque nous évoquerons l'histoire de ce Cadet, nous découvrirons
quelques traits d'instabilité qui poseront question. En
l'état actuel de nos connaissances, nous pourrons simplement avancer que
le Cadet a pu être irrité des marques de préférence que la famille
avait manifestées à son Aîné, qu'il a fini par mal supporter la
cohabitation avec lui et que, soit par dépit, soit par penchant naturel,
il s'est lancé dans une expérience aventureuse en s'évadant du milieu
familial. Il est bien difficile d'en dire davantage. Ainsi
donc, après un départ "furtif", et une tentative de
rapprochement ultérieure qui devait échouer, Etienne FERRAND Cadet en
vient, le 10 Septembre 1762 à assigner son Frère devant le Juge de
NOAILLAN. Que
veut-il ? Tout
simplement procéder au partage des biens délaissés par ses Parents et
se voir verser par son Frère les 1500 Livres qui lui reviennent. Mais
dès la première audience où l'affaire est appelée, le 16 Septembre, il
apparaît qu'il est encore mineur (il n'a que 24 ans et 9 mois), et que la
première chose à faire est de se trouver un curateur. Ce
ne sera pas nécessairement facile car nous avons déjà vu qu'en pareil
cas, cette désignation doit être approuvée par un Conseil de Famille
dont son Frère fera nécessairement partie en tant que plus proche
parent... Entre
temps, sa situation financière ne doit pas être très brillante car il
demande au Juge de lui faire attribuer un provision, ce qui est accepté
lors de l'audience du 23 Septembre. Il faut bien qu'il puisse payer les
frais de Justice... Et
par la même occasion, il demande et obtient qu'on lui remette "ses
habits et nippes" qui sont restés à la maison de HOURTON. FERRAND
Aîné réagit, dénonce "son Conseil pernicieux" d'où
vient tout le mal et soulève l'exception de sa minorité en fournissant
au Tribunal un "Extrait Baptisaire" de son Frère. Le Juge en prend bonne note mais maintient sa décision de lui voir verser sa provision de 50 Livres. L'Aîné n'est pas content mais s'exécute, de mauvaise grâce, en se disant condamné "contre toutes les règles". Il dira même qu'il : "a
mieux aimé acquitter (cette somme) que de se fatiguer à la suite de
l'appel qu'il était fondé (à faire) et sur lequel, sans difficulté, il
aurait obtenu la cassation de cette (décision)." En
fait, la position d'Etienne FERRAND Aîné n'est pas aussi solide que l'on
pourrait le croire. Il a commis en effet une très grave imprudence, il le
sait bien et n'en est pas trop fier. Au décès de sa Mère, le ler
Janvier 1754, il n'a pas fait faire d'inventaire du mobilier laissé par
ses Parents. Il
avait alors 30 ans, son jeune Frère en avait 15, et rien ne laissait
supposer qu'ils entreraient un jour en conflit. Il avait donc fait l'économie
de cette formalité sans se rendre compte que, devenant le tuteur de son
Frère, il devenait également comptable de la conservation des meubles de
la famille. Faute
de cet inventaire, Étienne Cadet pouvait maintenant prétendre qu'il
avait fait disparaître tant et plus d'objets, même éventuellement
imaginaires ... C'était
une situation inconfortable. Il va donc demander à Me PERROY, Notaire, le
13 Novembre 1762 de procéder, avec presque neuf ans de retard à
l'inventaire de ces meubles qui, au surplus, ont été transportés dans
l'intervalle du moulin du CASTAING dans la maison de HOURTHON. Il explique à Me PERROY qu'il veut se mettre à couvert : "dans
la dernière régularité pour parer à toutes exceptions que le mauvais
coeur dudit FERRAND Jeune et ses Conseils chicaneurs pourroient luy suggérer..."
Quoi
qu'il fasse, il ne sera pas "dans la dernière régularité",
il est incontestablement en faute. |
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Un inventaire très complet.
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Toutefois,
cette situation présente pour nous un bon côté car elle aboutit à un
inventaire d'une grande précision qui se développe sur dix pages entières.
A défaut d'avoir fait les choses en leur temps, du moins FERRAND les
a-t-il faites à fond. Ce
document est d'une importance telle qu'il ne peut trouver ici sa place
dans sa forme détaillée. Un plan des quatre pièces du rez-de-chaussée
reproduit ci-après résume l'essentiel des dispositions que nous décrit
Me PERROY. La
désignation de chacune des pièces est arbitraire. Pour Me PERROY, il n'y
a ni cuisine, ni pièce principale, il n'y a que des "chambres"
et il ne leur attribue aucune affectation particulière. Cet
inventaire appelle quelques commentaires. Cette
maison est exceptionnellement riche en vaisselle et en linge, très au-delà
de l'équipement moyen d'une famille de laboureurs, même aisée. La
vaisselle en terre est ici mentionnée alors qu'elle est généralement
considérée comme dépourvue de valeur et, à ce titre, ne figure généralement
pas dans les inventaires. On
sent qu'Étienne FERRAND entend pousser très loin le scrupule dans cette
opération. Il
nous est accessoirement précisé que cette vaisselle commune est destinée
au service courant. Mais
outre cet équipement commun, on découvre 12 petites assiettes anciennes,
12 assiettes de faïence grise, 11 assiettes de faïence blanche, une
autre douzaine d'assiettes de nature non précisée, 7 plats d'étain,
sans parler d'autres plats de matière inconnue, et par dessus le tout, 18
petites cuillères et 12 fourchettes en fer. La
batterie de cuisine est, elle aussi bien pourvue. Il n'est pas rare qu'un
foyer rural de l'époque, outre sa vaisselle commune, se contente d'un
plat d'étain et quelquefois de six assiettes de faïence grise. Les
petites cuillères sont rares et les fourchettes encore plus. Cette
maison est remarquablement équipée, et cette impression se confirme tout
autant quand on réalise de quel linge elle est pourvue. |
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MAISON D'ETIENNE FERRAND AINE
A HOURTHON
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Répartition
du mobilier entre les quatre pièces du rez-de-chaussée. Les documents disponibles ne permettent pas d'indiquer comment les pièces communiquaient, ni entre elles, ni avec l'extérieur (portes fenêtres, fenêtres, couloir éventuel, etc..). De même, l'emplacement du mobilier et des cheminées ne peut être précisé.
Sud Cinq draps de toile de brin constituent déjà
une bonne dotation, mais que dire de 20 draps de toile de bourre !
Certes la matière n'en est pas très noble, et il est même curieux de
constater qu'il n'y a aucun linge "d'atramadis" qui est
la qualité intermédiaire entre le brin et la bourre. Mais le chiffre ne
laisse pas d'être impressionnant. Quant
aux serviettes, on s'attend à en trouver une douzaine, exceptionnellement
deux, dont la moitié "ouvrées", mais ici, c'est cinq
douzaines ouvrées dont deux de brin... Et le reste à l'avenant. Nous
avons là la confirmation que la famille FERRAND bénéficiait, dans ce
pays, d'une assez confortable aisance. Une aisance qui devait d'ailleurs
remonter à pas mal de temps car il est significatif de constater qu'il y
a là très peu de choses neuves. Par
contre, on pourra être surpris du très médiocre équipement en
outillage. On ne devait pas beaucoup travailler la terre dans cette
famille là... Autre sujet d'étonnement, c'est l'absence de balance, et
il ne s'agit pas d'un oubli car le Notaire spécifie qu'il n'a pu peser
les plats d'étain faute d'en avoir eu une à sa disposition. Chez
un "marchand", c'est un peu curieux, encore que le
commerce des grains et des farines fasse davantage appel aux mesures de
capacité qu'aux pesages. A
l'étage de cette maison, il n'y a qu'une chambre équipée, assez
sommairement, d'une simple couchette de pin avec paillasse et une literie
passablement usée. Ce pouvait être la chambre d'un domestique, à moins
que ce ne fût celle d'Etienne FERRAND Cadet, rien ne permet de le préciser.
Le reste de l'étage est en grenier. Outre
les biens ainsi décrits, FERRAND Aîné indique au Notaire qu'il y avait
d'autres biens mobiliers au moment du décès des Parents. Il y avait, en
particulier, chez un métayer, une paire de boeufs estimée 210 Livres et
une charrette fustine (à roues en bois non cerclées) dont la valeur ne dépassait
pas 15 Livres, plus trois vaches à 25 Livres l'une. Et
comme ce métayer est parti "furtivement", il est précisé
que les FERRAND ont essuyé une perte de 30 Livres sur ce cheptel. A
POUTCHEOU, chez LATIE, autre métayer que nous avons déjà rencontré, se
trouve une paire de petits boeufs dont la valeur ne dépasse pas 190
Livres, et une autre charrette fustine ainsi que du matériel et des
vaisseaux vinaires en assez mauvais état puisqu'il a fallu faire refaire
le pressoir récemment. Enfin,
au moulin du CASTAIN, se trouvait, toujours au moment du décès des
Parents, une très belle paire de boeufs estimée 330 Livres (à ce prix là,
ils devaient être magnifiques) une grande charrette estimée 60 Livres du
fait de son usure, et 9 chevaux liés à l'exploitation du moulin dont 8
furent vendus pour un montant total de 540 Livres, le neuvième étant
conservé sur la nouvelle exploitation comme animal de selle. Il
y avait bien aussi une réserve de 50 boisseaux de seigle et de 20
boisseaux de panis et millade, mais leur valeur contrebalançait tout
juste le prix de la ferme qu'il fallait liquider entre les mains du
Seigneur propriétaire. Enfin,
au décès de Marie DUBEDAT, sa Mère, Etienne FERRAND Aîné a trouvé
dans la maison 500 Livres en or et argent liquide. Pour
être tout à fait complet, il signale encore qu'il a reçu deux barriques
de vin blanc qui étaient dues à sa Mère, et qu'il a lui-même vendu
pour 230 Livres de pins que, dans l'intervalle, il a fait couper sur l'héritage.
On
sent combien FERRAND Aîné veut donner l'image d'une sincérité
scrupuleuse, tant il redoute que soit critiquée chez lui la négligence
de n'avoir pas procédé à cet inventaire en temps utile. L'évaluation totale de ces meubles se montera à 2.800 Livres nettes, ce qui représente une fort jolie somme pour un exploitation rurale de notre Région. |
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Il apparaît que le juge
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Nous
avons dit que cet inventaire se déroulait le 13 Novembre 1762. Moins de
trois semaines plus tard, les Procureurs de chacun des deux frères
devaient se retrouver devant le Juge de NOAILLAN, c'était le 2 Décembre.
Le Cadet estimait que la provision qu'il avait reçue était insuffisante
et voulait obtenir davantage. Mais on sent bien que le Juge, Me CAZALET,
n'est pas très chaud pour répondre favorablement à cette demande. Il
connaît bien les deux parties et ne peut s'empêcher d'avoir sur
l'affaire une opinion personnelle qui s'alimente à d'autres sources
qu'aux seules pièces du dossier. Il
a alloué 50 Livres au plus jeune le 23 Septembre, et avec 50 Livres, un célibataire
peut vivre quelques mois. Certes, il aura fallu prélever dessus les frais
de justice, mais Me. CAZALET est bien placé pour en connaître le
montant. Pour
peu que FERRAND Cadet veuille bien chercher un peu de travail au lieu de
courir la campagne, il détient là une provision qui lui parait
suffisante. De
tout cela, il ne soufflera mot dans sa décision, mais on sent bien
combien il est réticent à aller plus avant. Qu'est-ce qui l'empêcherait
en effet, sur le fond, d'allouer 50 ou 100 Livres de plus au demandeur ? Le
testament de son défunt Père est formel, à échéance, il aura droit à
1.500 Livres nettes pour sa part d'héritage. On est donc bien loin de la
limite. Alors pourquoi ces réticences ? Pour des raisons de droit strict
tout d'abord, puisque le Cadet est mineur et ne peut normalement recevoir
d'argent sans le contrôle d'un curateur. Mais
sur ce point, il a déjà passé outre le 23 Septembre en usant de son
pouvoir d'appréciation. Pour des raisons personnelles aussi peut-être,
car il est bien possible qu'en son for intérieur, Me. CAZALET épouse les
craintes du frère Aîné et redoute que le Cadet ne dilapide tout ce qui
pourrait lui être alloué à titre provisionnel. Aussi use-t-il cette fois- ci de la règle juridique stricte qu'il a pourtant déjà enfreinte une fois, en invoquant la minorité du demandeur : "avant
(de) statuer sur la demande en provision demandée par ledit FERRAND
Jeune, ordonnons qu'il se faira pourvoir d'un curateur réel..." Ce
n'est pas une fin de non recevoir formelle et définitive, mais en fait
c'est tout comme, puisque nous avons déjà vu que ce Curateur ne pourrait
être éventuellement désigné que sur avis favorable d'un Conseil de
Famille dans lequel le frère Aîné ne manquerait certainement pas de
faire valoir son point de vue avec vigueur. Ainsi donc, le 23 Septembre, le Juge avait pris la décision (en droit strict contestable) d'allouer 50 Livres au Cadet, décision prise "en équité" pour débloquer une situation qui lui avait paru difficile, mais il est clair qu'il n'ira plus au-delà. l'intéressé comprendra d'ailleurs fort bien la leçon et, comme nous le verrons tout à l'heure, décidera d'attendre... Il attendra tout simplement sa majorité qu'il atteindra dans un peu plus de six mois, et alors là, eh bien, on verra... |
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Des fraudes de toutes sortes prolifèrent
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Nous
sommes donc à la fin de 1762, et nous avons encore en tête le proche
souvenir de l'intervention rigoureuse de Me. DUFAUX, le Procureur
d'Office, à l'encontre des divers fraudeurs qui se manifestaient à
NOAILLAN, en particulier, les cabaretiers et les boulangers ; c'était en
Janvier 1760. Devant
l'attitude ferme de la Justice, on aurait pu croire ces problèmes réglés
pour un bon bout de temps. Or,
il n'en est rien, et les fraudes se multiplient à l'envie dans tous les
commerces, au grand dam de la population qui en est la première victime.
Ce sont encore les cabaretiers et les boulangers qui tiennent la vedette,
certes, mais aussi désormais les bouchers.. Au
cours de l'audience du 19 Novembre 1762, Me. DUFAUX adresse publiquement
au Juge un réquisitoire fortement motivé dénonçant ces pratiques. Non
seulement les Hôtes ont recommencé à débiter du vin pendant les
Offices divins et pendant la nuit aux heures indues, mais ils ont également
ressorti leurs "mesures courtes." De même les boulangers : "font
leurs pains quy ne sont pas de poids et conformes au tarif..." Quant
aux bouchers, il leur est reproché d'utiliser des "poids
courts", inférieurs aux poids étalons déposés auprès de la
Juridiction de NOAILLAN. Le Procureur d'Office demande une réaction immédiate et suggère au Juge de se rendre sur place, dans chacun des commerces, pour y procéder aux vérifications utiles, en particulier chez les bouchers : "pour
patronner leurs poids avec ceux de la présente Juridiction, afin que sy
les poids desdits bouchers se trouvent courts, il leur soit enjoint de les
faire augmenter et ajuster avec ceux de la présente Juridiction à peyne
de dix Livres d'amende pour la première fois, du double pour la seconde
et du triple pour la troisième; comme aussy de Nous transporter chez
lesdits Hôtes pour y mesurer leurs cannettes et qu'il leur soit fait défense
de donner du vin pendant les Offices divins et le soir après neuf heures
frappées à l'horloge du présent lieu, aussy aux mêmes peynes que
dessus; et aux boulangers de se conformer pour le débit de leur pain au
poids du tarif... et de faire de bon pain, bien pétry, de deux levées et
bien cuit, à peyne de confiscation dudit pain et de pareille amende que
dessus en cas de contravention..." Tout
à fait convaincu du bien fondé de cette requête, le Juge donne son
accord à toutes les propositions qui lui ont été faites. De tout cela,
il sortira une Ordonnance qui reprendra chacun des points énoncés avec
toutefois une petite précision concernant les boulangers qui devront "faire
leur pain blanc bien pétry", alors que le Procureur n'avait établi
aucune distinction entre le pain de froment et le pain de seigle. Cette
Ordonnance sera proclamée et affichée selon les usages, et ne réglera
pas mieux les problèmes de fraudes marchandes que tous les textes qui
l'avaient précédée puisque nous pourrions retrouver très exactement
les mêmes griefs et les mêmes injonctions dans une autre Ordonnance qui
sera prise le 7 Février 1765. Cette réitération montre bien à quel
point le mal pouvait être profond et les remèdes inefficaces. En tout état de cause, on aurait pu frapper les fraudeurs d'amende, mais certainement pas les mettre en prison, du moins à ce moment-là. |
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La prison seigneuriale de Noaillan
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Une
fois encore, NOAILLAIN n'a plus de Geôlier, ou plus exactement, il y en a
bien un désigné mais on ne sait trop où il est. Et précisément, en
cet automne de 1752, il se trouve qu'il faut s'assurer de la personne d'un
certain Simon LAPRIE , habitant de la Paroisse de St. COME. Le
prisonnier est là, et on ne sait trop qu'en faire. Il
y a bien une prison, mais personne pour la garder; et comble de malchance,
le Geôlier a emporté avec lui le Registre d'écrou... Que faire ? Les Officiers de Justice sont bien embarrassés. Finalement le Juge décide d'ouvrir une double feuille qui tiendra lieu de Registre : "paraphé
et signé par Nous, Juge de la présente Juridiction... pour servir de
livre d'écrou en l'absence du Geôlier ordinaire, ce jourd'huy seizième
Octobre mil sept cens soixante deux." Passe pour le Registre, mais le gardien ? Eh bien on va réquisitionner un certain Pierre ROBERT, habitant de BAZAS, "
lequel avons reçu.. après serment par luy fait, de bien et fidèlement
faire, par provision (c'est-à-dire à titre de remplacement), la fonction
et charge de Geôlier des prisons de la présente Juridiction... Ce
faisant, tenir les prisonniers quy luy seront remis en main,... sans les
laisser sortir directement ni indirectement, à peyne d'en répondre...
Auquel (Geôlier) sera payé, par jour, trente sols par la partie (qui
aura demandé l'incarcération)." Et
sans plus tarder, on écroue le prisonnier encombrant qui : "
a été amené ez prisons de céans et mis en garde de Sieur Pierre
ROBERT, Concierge... desdites prisons, pris et nommé d'office..." Mais ce n'est pas tout que de payer le gardien, il faut également assurer la subsistance du prisonnier. L'Huissier Audiencier y pourvoit auprès de Pierre ROBERT : "auquel
avons laissé trois Livres quinze sols pour la subsistance dudit
prisonnier pour (la) quinzaine..." ce
qui représente donc une dotation de 5 sols par jour. Gageons qu'à ce
prix-là, on ne lui fournira pas de la paille fraîche tous les jours, ...
ni une bien grosse tranche de pain. Il ne sera pourtant élargi que trois mois plus tard, le 27 Janvier 17 63. Entre temps, on avait récupéré le Geôlier titulaire qui avait repris à la fois son poste et son Registre. |
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La mauvaise récolte annoncée pour 1763
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Le
printemps qui allait suivre allait être lourd de conséquences. Dès le
mois d'Avril, on sut que l'année serait mauvaise. Des gelées tardives
avaient beaucoup éprouvé les vignes, mais les pluies incessantes qui
survinrent au moment de la fleur provoquèrent une coulure non moins néfaste.
Tout
allait mal, et des experts commis à l'examen de cette situation
conclurent qu'il fallait s'attendre à la perte des trois quarts de la récolte
de vin, au quart de celle de seigle, à la moitié des fourrages sans
parler du chanvre dont les trois quarts paraissaient également perdus.
Seules les millades paraissaient avoir à peu près résisté. Ces
considérations météorologiques et leurs conséquences ne sont pas ici
gratuites, elles vont en effet ouvrir à Etienne FERRAND des perspectives
de réflexion qui vont modifier le cours de ses activités. Etre
"marchand" comme il l'était, soit, mais être seulement
marchand, la chose pouvait s'avérer dangereuse. En année faste, le
commerce des grains et des farines pouvait nourrir son homme, mais que
survienne une disette ou simplement une mauvaise campagne et il en allait
tout autrement. Il
est probable qu'en pareille circonstance, le grand négoce spéculatif
savait tirer son épingle du jeu en faisant venir des grains de marchés
lointains. Mais il en allait tout autrement pour un FERRAND qui
travaillait sur une bien moindre échelle avec pour horizon les limites
des marchés de VILLANDRAUT, de LANGON et de BAZAS. Et
c'est probablement à ce moment-là qu'Étienne FERRAND Aîné comprit que
s'il voulait maintenir son activité au niveau où son défunt Père avait
porté la sienne, il lui fallait absolument reprendre la ferme d'un moulin
qui lui permettrait de conserver un contact étroit avec la production
locale. Qu'il
y ait peu ou beaucoup de récolte, le passage obligé par le moulin
offrait à un meunier averti un poste d'observation stratégique irremplaçable.
Tout cela était bel et bon, mais encore fallait-il qu'une bonne occasion
se présente; à partir de là, Etienne FERRAND Aîné fut dans
l'expectative. |
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Etienne Ferrand Cadet devenu majeur
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Il
ne fut pas en peine de meubler son attente. Son Frère Cadet, lui aussi,
attendait. Il attendait, souvenons-nous en, l'échéance de sa majorité
pour reprendre son procès en règlement de succession. Et il n'eût garde
d'en oublier la date. Le 27 Juin 1763, le jour même de son anniversaire,
il adressa à son Frère un "acte de dénonciation"
remettant en cause le testament de son Père et réitérant une demande de
provision en espèces. L'affaire
traîna en procédures diverses et vint enfin à l'audience du 21 Juillet
suivant. Ce n'est pas pour autant qu'elle avança beaucoup, le Juge se
bornant à constater que la demande était recevable et que l'on pourrait
instruire le procès. Il fallut attendre le 9 Septembre pour la voir
revenir au Rôle, soit donc plus de deux mois pratiquement perdus pour
rien. Du
moins cette fois-ci va-t-on progresser un peu... Etienne
FERRAND Cadet entend attaquer le testament de son père, c'est une procédure
extrêmement dangereuse. Si nous reprenons le texte de ce testament, il
apparait clairement que Jean FERRAND a expressément prévu le cas. Ayant constitué son legs de 1.500 Livres au Cadet, il ajoute qu'il : "
veut qu'il s'en contente et qu'autre chose il ne puisse demander; et si
ledit FERRAND plus jeune prétendoit de plus forts droits, ledit testateur
le met est réduit au droit de légitime . . . . tel que Coutume.," On
ne saurait être plus clair, et, selon la Coutume, le "droit de légitime"
représente une somme de 5 Sols ! ! . . . Ainsi ou bien le Cadet se
satisfait du legs de 1.500 Livres, ou il le conteste et demande quelque
chose en plus, auquel il perd tout et ne recevra que les 5 Sols, minimum
obligé qu'un père doit laisser à son enfant. En
vue de poursuivre ce procès, il faut donc, au préalable, qu'il renonce
solennellement au legs que lui a fait son père et s'il perd son procès,
la renonciation, elle, restera valable et définitive. C'est un gros, très
gros risque à courir. Etienne FERRAND Cadet persiste et la Cour fait droit sa requête : "Sur
quoy, la Cour de céans,... ordonne que ledit FERRAND Jeune répudiera
dans les formes requises .... le legs à luy fait par ledit FERRAND son père
dans son testament." Quant à la nouvelle demande de provision formulée dans la requête, le Juge l'accueille, mais du bout des lèvres, puisqu'il : "adjuge
audit FERRAND Jeune la somme de vingt cinq Livres par forme de provision
alimentaire.." C'est
certainement beaucoup moins que n'avait espéré l'intéressé, tout juste
la moitié de ce qu'il avait obtenu la première fois. On sent combien le
Juge est réticent, et il l'est ici d'autant plus que si le Cadet perd son
procès, il faudra qu'il restitue ces sommes en les prélevant sur le seul
héritage qui lui restera celui venant de Marie DUBEDAT, sa Mère. Pendant
quelques quelques mois, l'affaire n'avance plus, du moins au grand jour,
car en sous-main, des négociations se poursuivent, ainsi que nous le découvrirons
tout à l'heure. Entre
temps, le 21 Février 1754, FERRAND, l'Aîné, a trouvé un moulin
disponible, ce sera celui de LA FERRIERE, sur la HURE, sur la Paroisse de
BALIZAC. Nous reviendrons sur cet événement que nous nous bornerons à
signaler ici au passage à son ordre chronologique. Pour
la cohérence du récit, mieux vaut en terminer avec le litige pendant
entre les deux frères, quitte à revenir un peu en arrière pour
reprendre le fil de l'histoire. Ce
litige refait surface le 30 Avril 1764, soit donc presque huit mois après
la dernière audience, celle du 9 Septembre précédant. Mais cette
fois-ci, les choses ont sensiblement évolué. Tout
d'abord, il y a un fait nouveau important, le Cadet est en instance de
mariage, et qui plus est, d'un riche mariage. Nous retrouverons cet épisode,
le moment venu, au fil de sa propre histoire. On
peut espérer qu'il va se stabiliser un peu et cesser ses errances de
paroisse en paroisse. Mais il y a eu également des s interventions pressantes d'amis communs aux deux plaideurs : "
pour éviter toute continuation de procédure odieuse entre deux frères
à qui les liens du sang prescrivent une union et amitié indissolubles,
par l'avis de plusieurs amis communs, (le Cadet) s'est déterminé
à recourir audit FERRAND son Frère aîné qui a souscrit à
l'amodiation(c'est-à-dire l'arrangement) qu'il luy a proposée..." C'est
ainsi qu'il est convenu que l'Aîné cédera au Cadet la métairie de
POUCHEOU, avec tout ce qui en dépend, y compris les boeufs et la
charrette, une pièce de pins au GOUAROT, une lande au LANOT d'AMBLIS, et
le quart d'une autre voisine, un jardin chènevier situé à LA MOTHE, et
enfin la somme de 1.500 Livres en espèces dont 300 à l'échéance d'un
mois et les 1.200 restantes dans un an. Moyennant quoi le procès est
abandonné et chacun met l'autre "hors de Cour". La
valeur des biens immobiliers cédés étant estimée à 2.200 Livres, il
n'est pas douteux qu'au terme de cette transaction, le Cadet ait singulièrement
amélioré sa condition. Le
3 juin, l'Aîné procédait à un premier versement de 250 Livres, complété
quatre jours plus tard de 50 autres réalisant le total des 300 promises
dans la transaction. Le règlement de cette affaire paraissait donc en
bonne voie. De celle-là, oui, mais dès le 17 Août, Etienne le Cadet
assignait de nouveau son frère devant le même Tribunal . . . .
verra-t-on jamais la fin de ces litiges ? Oui
pour cette fois car l'affaire, renvoyée d'audience en audience sans que
l'on puisse jamais connaître l'objet de la contestation, disparaîtra du
Rôle, sans explication, après une dernière évocation le 29 Novembre
1764. Restaient
à verser 1.200 Livres à échéance d'un an, soit donc le 30 Avril 1765.
Étienne L'Aîné n'est pas tout à fait exact au rendez-vous, mais fait
un geste de bonne volonté appréciable. Le
27 Mai 1765, par devant Me PERROY, notaire, il verse 500 Livres à son frère
en espèces d'or et d'argent. Et pour en terminer avec toutes ces péripéties
judiciaires, nous ferons un saut dans le temps jusqu'au 16 Décembre 1770,
date à laquelle les 400 Livres restantes seront réglées, pour solde de
tous comptes, mettant ainsi un terme à une longue polémique qui durait
depuis 1752. Cette affaire étant ainsi réglée, il nous faut maintenant revenir au début de 1764, au moment où le moulin de LA FERRIERE va être disponible. |
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Ferrand Aîné redevient meunier
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A
la vérité, il n'est pas réellement disponible car son fermier, Bernard
FONTEBRIDE est titulaire d'un bail en bonne et due forme qui lui garantit
le maintien dans les lieux jusqu'en Octobre 1766. Mais il se trouve qu'à
la suite d'un arrangement dont nous ne savons rien, FONTEBRIDE accepte de
résilier son contrat et de se retirer. Est-ce pour raison de santé, ou
par suite d'une négociation avec FERRAND nous n'en savons rien. Toujours
est-il que ce retrait n'est pas précipité puisque nous allons voir
FONTEBRIDE se réserver une partie des droits de pêche dans l'étang de
LA FERRIERE pour l'année suivante. Au surplus, il s'agit bien d'un
retrait amiable puisque le même FONTEBRIDE participe à la négociation
du bail, que va souscrire FERRAND, son successeur. Ce
contrat va se discuter à VILLANDRAUT, dans l'après midi du 21 mars 1764.
C'était
un mercredi, jour du marché local. C'est un contrat important, la qualité
des témoins l'atteste. On n'a pas pris les premiers passants venus comme
on le fait souvent dans les petites affaires, mais des notables locaux qui
se sont déplacés pour l'occasion. Il
y a là Me Jean LAMARQUE, Chanoine du Chapitre de VILLANDRAUT, et Noble
Pierre de GRENIER, Sieur de LAMOULETTE, Ecuyer, qui habite aussi
VILLANDRAUT. Le propriétaire, Charles Philippe, Comte de PONS n'est évidemment
pas là. Il habite pour lors à PARIS où il est Lieutenant Général des
Armées du Roi. Depuis
tantôt sept ans, il a établi une procuration générale devant un
Notaire du Châtelet en faveur Me François RAMUZAT qui est son Juge
Seigneurial à CASTELNAU de CERNES. Depuis
lors, Me RAMUZAT gère au mieux les intérêts de son maître avec,
semble-t-il, une assez grande indépendance. Aux termes de ce contrat, Etienne FERRAND Aîné prend à ferme, pour une durée de neuf ans, l'exploitation du : "moulin
banal appellé de La FERRIERE, situé dans la Paroisse de BALIZAC sur le
Ruisseau de LA HURE, moulant à trois meules, appartenant audit Seigneur
avec ses appartenances et dépendances, y compris le pré appelé le PRAT
du JUTGE ..." Le bail précédemment détenu par Bernard FONTEBRIDE est résilié, avec son accord, pour le temps qui lui restait à courir. Ferrand entrera en exercice le ler Avril suivant, soit neuf jours plus tard, ce qui parait un peu précipité... Le preneur s'engage : "
à bien servir le publiq aux rétributions et droits ordinaires.." Il
s'engage à faire les réparations nécessaires aux meules, aux rouets, à
"l'échac", etc.., le propriétaire lui fournissant les matériaux
nécessaires (pierres, bois, et autres fournitures) le tout livré sur
place. Toutefois,
le fermier fera son affaire de la pierre des meules qu'il devra fournir à
ses frais mais qui seront véhiculées aux frais du Seigneur. Pour les six
meules en exercice, FERRAND prend en charge une épaisseur totale de 57
pouces de caillou (167 cm). Toute différence en plus ou en moins en fin
de bail sera facturée à l'une ou l'autre des parties sur la base de six
Livres par pouce. Le
prix de la ferme est fixé en nature et en argent ; FERRAND s'engage à
verser chaque année : -
220 boisseaux de seigle, -
100 boisseaux de millade ou panic, -
100 Livres en argent, - 8 paires de chapons, "et
de nourrir et rendre deux cochons gras, le Seigneur luy fournissant
lesdits deux cochons de quatre à cinq mois de naissance." C'était
un prix assez élevé. Dans un temps où il n'y avait pas beaucoup plus de
280 jours ouvrés par an, il fallait trouver plus d'un boisseau (103
litres) de céréales par jour à prélever sur les pratiques, sans parler
de l'argent et des redevances... La
FERRIERE devait donc être un moulin particulièrement bien achalandé. Mais
ce n'est pas tout. Le bail du moulin est assorti d'un bail annexe
concernant le droit de pêche dans l'étang. Tous
les trois ans, on videra cet étang pour en prendre le poisson au filet. FERRAND
fournira les filets et la main d'oeuvre et ne pourra demander aucune
indemnité pour le chômage du moulin pendant l'opération. Il vendra le
poisson à son profit comme il l'entendra, mais devra en offrir 50 livres
(environ 24 Kg) au Seigneur. Toutefois, il devra remettre à l'eau les "nourris" (c'est-à-dire les alevins), savoir : les carpes de moins de ½ livre (240 gr) et les tanches et brochets de moins de ¼ de livre (120 gr). Il est en outre bien spécifié qu'il : "ne
pourra pécher dans ledit étang dans autre temps que le temps de la pêche..." On
notera en passant la curieuse absence des anguilles. Leur humeur vagabonde
les faisant aller et venir au rythme des saisons sans souci de respecter
les barrages les fait peut-être considérer comme étrangères au
patrimoine. Pour
exercer ce droit, FERRAND payera une ferme de 800 Livres chaque année de
pêche à la date du 20 Mars. La raison n'en est pas explicitée, mais
elle est facile à imaginer ; s'il est une saison favorable à la vente du
poisson, c'est bien celle du Carême... La
dernière pêche ayant été faite en 1762, la
prochaine aura lieu l'année suivante, en
1765. Mais là, FONTEBRIDE intervient, il demande et obtient de participer
par moitié avec FERRAND à cette prochaine pêche et à celle-là
seulement. Il
est convenu qu'il prendra à sa charge la moitié du prix de la ferme et
la moitié des frais et de la redevance. FERRAND s'est engagé à ne pas demander au Seigneur d'indemnité pour le chômage du moulin pendant la pêche, mais il en demande une à FONTEBRIDE qui accepte de la lui donner : "et
baillera audit FERRAND pour l'indemnité de chaumage dudit moulin cinq
boisseaux de grains (environ 515 litres) moitié blé seigle et moitié
millade..." Il est enfin prévu que FERRAND ne pourra sous-fermer aucun de ces deux baux sans l'accord de l'Agent du Seigneur. |
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Ferrand aîné s'installe à La Ferrière.
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FERRAND
quitte NOAILLAN pour aller s'installer à La FERRIERE vers le mois de Mai
1764. Le 30 Avril, il est encore à NOAILLAN, mais le 7 Juin, il est déjà
à La FERRIERE. Il
retrouve rapidement un niveau d'activité tel qu'il avait pu connaître
dans les moulins de son Père. Quelques signes ne trompent pas. Ainsi, il
recommence à prêter de l'argent autour de lui, de petites sommes,
certes, mais qui montrent bien que lui peut le faire alors que d'autres
autour de lui en ont besoin. Plus
significatif encore, il peut se le permettre au cours de l'été 1766, au
moment où les affaires vont mal. Cette année-là fut affectée d'une
dramatique sécheresse, l'une des plus sévères du XVIIIème siècle,
sinon même la plus sévère. Sur
la région immédiate, et pour toute l'année, il ne tomba que 15 pouces
et 7 lignes d'eau (422 mm), avec les conséquences que l'on peut imaginer
sur les récoltes céréalieres. Et
au cours même de cet été, le 31 Août, alors que le maigre produit des
moissons était connu, Etienne FERRAND, meunier, peut se permettre de prêter
42 Livres à Arnaud RICAUD dit LAROUILLE, un Maître charbonnier du crû. La
somme n'est évidemment pas très conséquente, mais, du moins dans le
milieu rural où se situe notre histoire, et dans un temps difficile, les
prêteurs n'étaient pas légion ; mais FERRAND en était... En
Janvier 1767, Marie CABIROL tomba malade. Elle mourut, munie de tous les
sacrements, dans la soirée du 23 Janvier et fut enterrée le lendemain
dans l'église de BALIZAC. Elle
avait à peine un peu plus de 39 ans et avait eu dix enfants. On notera
qu'elle fut enterrée dans l'église, marque de considération
exceptionnelle dont nous avons parlé en d'autres temps, et qui n'était
accordée qu'à des notables locaux. Or,
il n'y avait même pas quatre ans que les FERRAND étaient paroissiens de
BALIZAC. Pour
qu'une telle inhumation ait été reconnue possible par la Fabrique et le
Curé, il fallait que la famille ou la personne ait acquis un statut
significatif dans la communauté. Ce
pouvait être par des libéralités importantes (mais l'expérience montre
que cela ne suffisait pas toujours) ou par un rayonnement personnel au
service de la paroisse, ou par tout autre moyen nous échappant; nous ne
pourrons que constater le fait sans pouvoir l'expliquer davantage. Le printemps qui allait suivre devait réserver quelques mauvaises surprises. |
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1767, une bien triste année.
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Il
se produisit un gelée sévère le 18 Avril, cela n'avait rien
d'exceptionnel, mais le plus grave, c'est que survint une seconde gelée,
non moins sévère, le 7 Mai, et là, ce fut une véritable catastrophe. A
BALIZAC, comme dans toute la région avoisinante, les céréales en
souffrirent d'autant plus que le printemps fut très sec et que de fortes
chaleurs se manifestèrent à partir du 10 Juin. Les
Balizacais demandèrent et obtinrent de l'Administration royale
l'autorisation de faire procéder à une expertise des dégâts qu'ils
avaient subis. Cet inventaire fut dressé le 26 Juin par Me PERROY, accompagné des témoins et des personnes qualifiées. Tous s'étaient donnés rendez-vous à quatre heures du matin; on savait se lever de bonne heure en ce temps-là. Ils partirent à cheval, et tout au long de la journée ont : "parcouru
généralement tous les biens qui sont audit lieu (de BALIZAC), quartier
par quartier..." Ce qui leur a donné l'occasion de constater qu'en bien des endroits : "les
blès ont été écrasés par les gelées..., les jets étant tombés (et)
s'étant brisés sur la rège et (les) sillons; que néanmoins, les blès
avoient repoussé mais que cette nouvelle repousse ne peut fleurir à
cause de la grande sécheresse du printemps.." Ce triste tableau s'étend tout autant aux millades et aux quelques vignes qui apparaissent dans BALIZAC; mais une mention spéciale est faite pour les fourrages : "les
preds quy sont dans ladite paroisse, par les effets de ces gelées, (de la
sécheresse et (de la) chaleur n'ont produit que peu de foin, (une) partie
n'ayant pu se faucher.." Au résultat de tout ceci, il apparais que : "tout
mûrement combiné et réfléchy, nous estimons que lesdits habitans en général
ont perdu le tiers de leur récolte en blé (par rapport) à une année
commune, qu'il y aura peu de millade, poinc de vin et que les prairies
n'ont (pas) produit au-delà du quart du foin ordinaire, sans espoir de
secondes herbes (c'est-à-dire de regain), abandonnées à la nourriture
actuelle des bestiaux, n'ayant d'autres ressources, leurs pacages étant
brûlés..." |
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Etienne Ferrand aîné se remarie,
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Nous
arrivons au mois de Juin 1767, voilà un peu plus de cinq mois que FERRAND
est veuf. Il a six enfants dont cinq vivent avec lui. Son Aîné, Jean,
qui a 19 ans ½ demeure à LIGNAN chez ses Grands Parents, mais il y a les
cinq autres : Bernard, dit TCHIC, 18 ans, Joseph 15 ans ½ , Etienne, 12
ans, Bernard, dit BERNACHON, futur auteur de notre lignée, 11 ans, enfin
un autre Etienne, 9 ans. Cette
famille est lourde à porter. FERRAND songe à se remarier. Il se
rapproche ainsi de Jeanne FOURTENS, veuve, elle aussi, issue d'une très
vieille famille de BALIZAC dont les racines sont au Quartier de TRISCOS. Ce
mariage qui se prépare va entraîner des conventions et règlements d'une
effarante complexité. Rien de ce qui gravite autour des FERRAND ne semble
pouvoir être simple, mais il faut bien convenir qu'ici, nous touchons des
sommets... Tout
d'abord, il faut régler la situation de Jeanne FOURTENS dans sa propre
famille, et c'est déjà un bel exercice. Nous allons beaucoup simplifier,
mais l'affaire mérite d'être exposée car elle est quasiment
caricaturale. Jeanne
FOURTENS a environ 43 ans, elle est fille d'Arnaud et d'Izabeau MARTIN.
Elle s'était mariée en 1744 avec André CARREYRE dont elle n'a pas eu
d'enfant . Elle a un frère, Bernard FOURTENS ; André CARREYRE aussi, un
certain Pierre. Par
contrat de mariage du ler Février 1744, elle avait apporté une dot de 90
Livres qui n'avait jamais été versée aux CARREYRE (depuis 23 ans...).).
Son Père Arnaud était mort en transmettant le patrimoine familial à son
frère Bernard, lequel Bernard, recueillant la succession, prenait également
en charge la dette des 90 Livres vis-à-vis des CARREYRE. A
la veille de son remariage avec FERRAND, Jeanne doit impérativement régler
cette situation pendante. Jusqu'ici, tout est simple, mais c'est
maintenant qu'il ne faut surtout plus perdre le fil conducteur. Tous
les intéressés se réunissent dans l'après midi du 4 Juillet 1767 dans
le Bourg de BALIZAC, au domicile de l'ancien Notaire, Me Joseph LAFOURCADE,
maintenant décédé. Il n'y a plus désormais de Notaire à BALIZAC, si
bien qu'il a fallu faire venir Me PERROY de NOAILLAN, mais on a retrouvé
tout naturellement le chemin de l'ancienne étude. Pour
la circonstance, on a fait venir des témoins de haut niveau qui vont en
fait servir de conseillers juridiques pour dénouer la situation. Il y a là
un Clerc, Joseph PERROY, et le Procureur de la Juridiction de NOAILLAN, Me
Jean CASTAN. Tout
d'abord, Bernard FOURTENS va verser les 90 Livres de sa dot à sa soeur
Jeanne. Et
c'est vraiment à elle qu'il va les remettre. D'ordinaire, on verse une
dot au Beau Père, ou, à la rigueur, au mari s'il n'y a pas de Beau Père
à l'horizon, mais jamais à l'épouse. Or, ici, Jeanne est dans une
situation insolite au regard de la Coutume. Elle n'a plus de mari, et elle
n'en a pas encore un autre..., et comme elle est majeure, force est bien
de lui remettre son argent en main propre. Mais
depuis 1744, sur ces 90 Livres, il s'est amassé 27 Livres d'intérêts. Mais
attention ! ces intérêts constituent un acquêt du ménage, et à ce
titre, il faut le partager soit, la moitié à Jeanne, et, à défaut
d'enfant, l'autre moitié à l'héritier de son mari, Pierre CARREYRE, son
Beau Frère. Mais
ce même Pierre CARREYRE, en tant qu'héritier de son mari a des dettes
envers elle. Ce
sont d'abord 30 Livres au titre du "gain nuptial" prévu
par le contrat de mariage de 1744. C'est
une somme que le patrimoine du premier décédé doit payer au survivant
des époux. Et cela, personne ne l'a jamais remis à Jeanne dans son
ancienne famille chez les CARREYRE. Mais on lui doit encore 36 Livres
supplémentaires qui représentent: -a)
le salaire du travail qu'elle a fourni au service de son Beau Frère
Pierre, chez qui elle est resté après la disparition de son mari ;
certes, on l'a logée et nourrie, mais on en aurait fait tout autant d'une
servante que l'on aurait payée, il n'y a donc pas de raison pour qu'elle
ait travaillé gratis ; on lui doit au moins le salaire d'une domestique. -b)
la moitié qui lui revient sur quelques menus acquêts qui avaient été
faits dans son ménage pendant sa vie commune. Au
résultat de tout ceci, pour solde de tous comptes, Jeanne FOURTENS
recevra 171 Livres et 15 Sols. Voilà donc une première affaire dénouée,
mais il y en a d'autres à venir car, décidément, ce mariage n'est pas
simple. Maintenant,
c'est FERRAND qui, l'instant d'après, va intervenir. Nous restons au même
lieu, le même jour, avec les mêmes témoins, mais c'est maintenant du
contrat de mariage de Jeanne FOURTENS et d'Etienne FERRAND Aîné qu'il va
s'agir. Ce
mariage est une affaire de famille. Étienne FERRAND Cadet est là, enfin
réconcilié, et assiste son frère Aîné de son conseil ; Bernard
CABIROL, le Père de sa défunte épouse l'encourage également à ce
mariage; et même ses deux premiers fils Jean et Bernard qui sont également
cités dans le contrat (les autres étant trop jeunes). De
son côté, Jeanne FOURTENS reçoit également conseil et assistance de
plusieurs de ses Parents, mais on notera qu'aucun CARREYRE ne figure parmi
eux. Jeanne apporte une dot de 210 Livres qu'elle se constitue elle-même en y incluant les 171 Livres qu'elle vient de recevoir des CARREYRE l'instant d'avant. Elle en remet aussitôt le montant entre les mains de FERRAND son futur mari. Elle apporte également un lit garni, cinq draps, six serviettes de toile fine et un coffre en bois de pin à demi usé. Elle estime le tout à 45 Livres. Passons sur les détails des autres conventions qui sont des plus classiques pour en venir à une clause parfaitement sibylline. Ils se réservent en effet : "
de consentir après le présent contrat et avant la célébration du présent
mariage telles dispositions et avantages qu'ils trouveront à propos
qu'ils n'insèrent, pour certaines raisons, dans les présentes
(dispositions, mais) qu'ils veulent néanmoins avoir le même effet que si
elles y estoient apposées." Et ce faisant, ils déclarent renoncer à la clause du "gain nuptial" précisant bien qu'ils se mettent en marge: "de
la Coutume de BORDEAUX à laquelle ils dérogent.." La
surprise est grande. Où veulent-ils en venir ? Les deux futurs restent
sur leur position et ne diront rien de plus. Le Notaire est bien obligé
de boucler son contrat tel qu'ils l'ont voulu et sans autres précisions. Ces
précisions, il les aura, mais quatre jours plus tard... En
effet, le 8 Juillet au matin, Etienne FERRAND et Jeanne FOURTENS donnent
rendez-vous au même Notaire chez un marchand de VILLANDRAUT. Et là, ils
seront seuls, à l'exclusion de tous les parents et amis qui, selon la
tradition, les entouraient de façon pressante lors de la rédaction de
leur contrat à BALIZAC le Samedi précédent. Leur
démarche doit rester secrète, du moins jusqu'à la célébration du
mariage. Après,
les gens diront ce qu'il voudront, mais leurs dispositions seront alors
prises, bien prises et devenues irrévocables... A part le Notaire, seuls
les deux témoins indispensables seront au courant. Encore les auront-ils
bien choisis en la personne de PERROY, le marchand qui les accueille dans
sa maison, et de Pierre PEYREMAGNE qui est le Sergent de la Juridiction de
VILLANDRAUT. De
quoi s'agissait-il ? De
la situation future de Jeanne FOURTENS. Et l'analyse qu'en font les deux
futurs époux est tout à fait judicieuse. Jeanne était en effet tombée
veuve, sans avoir eu d'enfant, dans la famille CARREYRE. Une famille dans
laquelle elle était entrée par la grande porte, sous l'autorité de son
Beau Père, aujourd'hui décédé certes, mais avec un statut de belle
Fille qu'elle avait conservé même après son veuvage. Elle était ainsi
restée sous le toit patriarcal où son Beau Frère était devenu maître,
en y apportant, nous l'avons vu, la contribution de son travail. Bien que,
juridiquement, elle n'ait plus eu aucun droit dans cette famille, elle
occupait pourtant une position sociale assez sûre. Même
en l'absence d'enfant, il eût été difficile d'imaginer que l'on puisse
la mettre à la porte. Jamais les CARREYRE ne s'y seraient risqués, en
supposant qu'ils en aient eu l'idée. C'eût été se mettre au ban de
l'opinion de la Paroisse. Mais
cette situation ne tenait qu'à son état de veuve. A partir du moment où
Jeanne allait sortir de chez les CARREYRE pour se marier avec FERRAND,
elle coupait tout lien social avec eux, et ceci, sans espoir de retour. La
chose eût été sans conséquence si elle avait été assurée de
retrouver la même protection chez les FERRAND, mais ce n'était pas le
cas. Elle avait 43 ans et avait perdu tout espoir d'avoir un enfant qui
aurait définitivement garanti sa condition. Si
Etienne FERRAND venait à disparaître avant elle, elle allait se
retrouver devant cinq enfants, maîtres de tout, et pour lesquels elle
serait une parfaite étrangère. Ce serait pour elle une situation
particulièrement précaire et elle ne serait plus assurée de ses
lendemains. Grave problème méritant réflexion; épouser FERRAND, soit,
mais pas sans garanties. C'est
tout le sens des dispositions qu'ils vont prendre. Dans l'hypothèse où il disparaîtrait le premier, FERRAND décide de faire à Jeanne, par donation entre vifs, la promesse d'une rente viagère annuelle en argent et en nature que devront lui verser ses enfants jusqu'à la fin de ses jours : "qui
consistera en la somme de douze Livres en argent, quatre boisseaux (de)
seigle (412 litres) et deux boisseaux de panis (206 litres), mesure de
BAZAS, demy barrique de vin rouge... de la cave, un quartier cochon d'un
prix total de trente Livres, et de l'usufruit sa vie durant d'une chambre
de maison et d'un châlit, laquelle pension ledit FERRAND veut (qu'elle
soit ) payée et remise chaque année par ses enfants (sur) les revenus de
ses biens à ladite FOURTENS, ... le grain et le vin, (au moment de) la récolte
de chaque espèce, le cochon à la St MARTIN et l'argent en deux parties
et par avance.." En
contrepartie, Jeanne FOURTENS fait donation irrévocable aux enfants de
FERRAND, de tout ce qu'elle pourra posséder à son décès. Il
pourra s'agir tout aussi bien de la dot qu'elle apporte que de la part des
acquêts qui pourra lui revenir à l'issue de son mariage, ou de toute
autre source d'enrichissement qui pourrait lui venir d'ailleurs (héritage
par exemple) pour quelque cause que ce soit. Ces
dispositions ont deux conséquences. Elles mettent d'abord à la charge
des futurs héritiers de FERRAND, pour peu que leur Père disparaisse le
premier, la charge d'une rente à laquelle ils ne s'attendaient
certainement pas. Et par ailleurs, dans tous les cas de figures, elles déshéritent
le frère de Jeanne que la Coutume de BORDEAUX désignait comme son héritier
naturel. N'ayant
pas eu d'enfant à qui léguer sa part de patrimoine, celle-ci, à son décès,
devait normalement revenir à son "lignage", c'est-à-dire
à son frère, à moins, comme c'est ici le cas, que par une disposition
spéciale, elle n'en décide autrement. Ces deux conséquences n'auraient pu évidemment échapper à l'une et l'autre des deux familles, et c'est pour cela qu'Etienne et Jeanne en ont fait un accord secret en marge de leur contrat de mariage officiel. Ils ne s'en cachent d'ailleurs absolument pas et l'explicitent même formellement dans le texte de cet accord du 8 Juillet. S'ils n'en ont pas parlé quatre jours plus tôt à BALIZAC devant tous les parents réunis c'est : "pour
éviter tout mal au coeur fait auxdits enfants (ou) au frère de ladite
FOURTENS (lequel) pourrait seul lui succéder (et que tout cela) auroit
causé en eux quelque révolution et tentative opposée à l'exécution
(de leur projet)." Il
sera bien temps qu'ils prennent connaissance de ces dispositions après la
célébration du mariage lorsqu'elles seront devenues irréversibles....
Et c'est bien ce qui va se passer. Ce mariage sera célébré à BALIZAC
à la fin du même mois de Juillet 1767. Au résumé de tout ceci, Jeanne FOURTENS, en faisant don de ses biens aux enfants de FERRAND, s'est constitué une rente viagère jusqu'à la fin de ses jours. |
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Les moyens estimés nécessaires pour assurer
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Au-delà
de l'anecdote, cet épisode est intéressant car il nous fournit une bonne
indication sur les moyens estimés nécessaires à la vie d'une femme
seule, en nos contrées, à la fin du règne de LOUIS XV. Avec
ce qui lui est alloué, elle ne vivra pas dans une large aisance, mais on
estime qu'elle ne manquera de rien; elle vivra en tous cas très au-dessus
de la condition de bien des pauvres veuves de journaliers toujours inquiètes
de leur pain quotidien jusqu'à leur dernier jour. Si
l'on compare cette dotation avec d'autres semblables, on s'apercevra que,
pour une raison indéterminée, elle comporte une lacune, celle du
chauffage. Rien n'est en effet prévu pour approvisionner Jeanne en bois,
et c'est assez surprenant. Serait-ce parce que la convention a été établie
au mois de Juillet et que la température ambiante a rendu les
contractants optimistes? Certes,
l'idée en serait plaisante, mais peu vraisemblable car il ne faut pas
oublier qu'en ces temps-là, un feu brûlait en toutes saisons dans la
cheminée de la maison pour assurer la cuisson des aliments. On le faisait
évidemment moins vif qu'en hiver, mais il fallait tout de même
l'entretenir en bois même au coeur de l'été. Il
est intéressant de comparer la situation ainsi faite à Jeanne FOURTENS
à une autre très semblable définie huit ans auparavant, également à
BALIZAC, au Quartier de TRISCOS. Dans une autre branche de notre famille,
Guilhem MARSAU, dit LA BEZOUE, avait en effet prévu dans son testament
des dispositions très voisines. Il
avait deux enfants, un garçon, Pierre et une fille, Mathive. Il laissait
l'essentiel de son patrimoine à Pierre et dotait sa fille. Mais il avait
prévu le cas où Mathive " ne trouverait pas parti de
mariage" et il voulait alors assurer son indépendance vis-à-vis
de son frère. A cet effet, il prescrivait qu'il lui fut attribué une pièce
indépendante dans la maison, il fallait " l'entretenir de bois de
pin pour son chauffage ", lui donner cinq boisseaux de seigle et
trois boisseaux de millade par an ainsi qu'un quartier de cochon, 18
Livres en argent et demi barrique de vin blanc. Cette
dotation est un peu plus large que celle de Jeanne FOURTENS, mais les
postes sont étrangement semblables, et ce que nous savons par ailleurs
des MARSAU nous permet de dire que sur ces bases, Mathive aura eu un
statut enviable et n'aura manqué de rien au regard des conditions de vie
du temps. Les
jours s'écoulent sans incident notable autres que les menus faits de la
vie quotidienne. Nous
en venons ainsi tout à la fin de 1770, date importante pour le commerce
des grains. |
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Le commerce des grains devient libre.
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Dans une Déclaration du Roi datée du 27 Décembre et qui fut connue dans nos contrées en Janvier 1771, le commerce des grains était déclaré définitivement libre : "Article
1 : Il sera loisible à tous nos Sujets de faire le commerce des grains et
des farines dans l'étendue de Notre Royaume, à la charge de ceux qui ont
déjà entrepris ou qui entreprendront à l'avenir ledit commerce de faire
enregistrer au Greffe de la Juridiction Royale de leur domicile leur nom,
surnom, demeure, et celui de leurs associés... " Il
ne semble pas que cette disposition ait bouleversé fondamentalement
l'activité et le commerce des meuniers de la région. Par contre, les
prescriptions de l'article 6 ont pu être plus contraignantes " Article 6 :
Ordonnons que tous grains et farines ne pourront être vendus ni achetés
ailleurs que dans les halles, marchés ou sur les ports ordinaires des
Villes, Bourgs et lieux de Notre Royaume..." Dans
l'esprit de l'Administration cette contrainte constituait une contrepartie
nécessaire à la liberté du commerce accordée par ailleurs. Une
parfaite transparence des transactions était jugée indispensable.
Respectée à la lettre, cette disposition aurait pu considérablement gêner
nombre d'opérations commerciales traitées à la ferme ou au moulin. Mais il semble bien que, faute de moyens de surveillance, l'application n'en fut jamais très rigoureuse. Par contre,les Justices Seigneuriales mirent davantage de zèle,et nous en avons des preuves, dans l'application de l'Article 7 : "Il
est interdit d'aller au-devant de ceux qui se rendent aux marchés et
d'acheter des récoltes en vert ou sur pied avant récolte." L'achat des grains sur les chemins, avant que le charroi n'atteigne le marché constituait une pratique assez courante, en particulier autour du marché de VILLANDRAUT, et la Justice locale dût en effet s'en mêler. Enfin, dans une sorte de redondance, il est solennellement confirmé : "
Article 8 : La circulation est totalement libre et il est interdit à
quiconque de l'entraver sous quelque forme que ce soit. " Voilà une disposition bien faite pour enchanter FERRAND et ses confrères. |
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Au seuil d'une nouvelle génération
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Le
texte de cette Déclaration Royale était donc parvenu dans le pays au
cours de Janvier 1771. A la fin du même mois, Jean, le fils aîné
d'Etienne FERRAND et de feue Marie CABIROL allait passer contrat de
mariage. Il avait alors 23 ans. Le
temps passe décidément bien vite puisque nous voilà déjà au seuil
d'une nouvelle génération. Nous
avons vu que ce garçon vivait depuis longtemps chez ses Grands Parents,
sur la Paroisse de LIGNAN. C'est là qu'il allait trouver femme, dans le même
Quartier, à LABARDIN. Un assez riche mariage en vérité. Elle
s'appelait Jeanne LAFOURCADE, fille de Michel et de Jeanne LATRILLE. Elle
était née à LIGNAN le 19 Juin 1747, et la précision mérite d'être
donnée, car, fait rarissime, elle était un peu plus âgée que son futur
époux. Pas
de beaucoup, certes, mais de six mois tout ronds, jour pour jour. Or, cela
n'était pas du tout dans les usages du temps. Le parti avait dû paraître
assez avantageux pour passer outre à la règle ... Le
contrat est passé à LIGNAN, au Quartier de LABARDIN, au matin du 26
Janvier 1771. Outre
Etienne FERRAND Père de Jean, on trouve là également son frère cadet
Bernard qui a 18 mois de moins que lui, mais l'évènement le plus
notable, c'est bien que ses Grands Parents maternels soient également présents
tous les deux. La
présence d'un Grand Père ou d'une Grand Mère lors de la rédaction d'un
contrat de mariage n'est pas exceptionnelle, mais celle des deux, comme
c'est le cas ici, est à coup sûr beaucoup plus rare du fait de la brièveté
de la vie que l'on pouvait observer d'une façon générale. Jeanne
LAFOURCADE, la future épouse apportait une dot de 1.000 Livres la situant
dans le compartiment des filles de laboureur les mieux dotées dans le
pays. Elle apportait également un lit, un "cabinet" (une
armoire) en bois de peuplier avec portes et tiroir fermant à clé, 12
draps dont 8 de toile fine, 2 nappes et 2 douzaines de serviettes, le tout
à l'état neuf. Il était également prévu qu'outre ses vêtements courants, elle recevrait : "un
habit nuptial composé de brassières, (et) jupe de camelot de
BRUXELLES..." et qu'elle serait en outre : "chaussée
suivant son état." Il était enfin convenu que les jeunes époux vivraient chez les Grands Parents, "à même pot et feu", selon l'expression consacrée et ne feraient : "
ny bourse à part ny trafic particulier au-delà de 24 Livres." Cette dernière disposition est originale. Les jeunes ménages s'installant auprès des Parents ou des Grands Parents se voyaient généralement interdire toute activité lucrative indépendante. Ils
devaient impérativement "rapporter (au foyer) le
produit de leur industrie". Ici,
il y aura une franchise de base permettant au jeune ménage d'avoir un
certaine capacité d'initiative. C'est un cas unique dans le cercle de
famille. Enfin,
les Grands Parents s'engagent, dans ce même contrat, à laisser à Jean
FERRAND tous leurs biens meubles et immeubles, lors du décès du dernier
survivant à la condition qu'il s'engage à ne rien revendiquer dans la
succession de son Père Etienne. C'est ce qui est décidé. Jean est donc
désormais définitivement ancré à LIGNAN et n'aura plus rien à voir
dans les biens de NOAILLAN et de BALIZAC. La
dot de Jeanne était conséquente, et contrairement aux usages, elle fut
payée dans les délais prévus. Le dernier versement fut effectué par
Michel LAFOURCADE, son Père, pour un montant de 434 Livres, intérêts
compris, le 28 Février 1773, entre les mains de Bernard CABIROL, Grand Père
de son mari. Jean
FERRAND devait prendre rapidement la direction de l'exploitation des biens
de LABARDIN. Dès le mois de Mars 1774, on l'y voit acheter une pièce de
terre pour le prix de 115 Livres. Le voilà donc désormais chef de
famille, et de ce fait, rameau détaché, il n'interférera plus dans la
suite de notre histoire. Entre
temps, le 18 Février 1773, Etienne, le sixième enfant d'Etienne l'Aîné
et de feue Marie CABIROL mourait au moulin de La FERRIERE à l'âge de 18
ans. Dès lors, sur les dix enfants qu'avait eu le couple, outre Jean, il
ne restait plus que Bernard, dit TCHIC, 24 ans, Joseph, Bernard, dit
BERNACHON, 17 ans, et un autre Etienne, 15 ans, soit donc quatre garçons
restant encore au moulin. La
période était mauvaise. La récolte précédente avait été très
insuffisante et l'on voyait bien que l'on ne parviendrait pas à faire la
soudure avec la prochaine moisson. La famine rodait, et dès le mois de
Mai, des émeutes éclatèrent, notamment à VILLANDRAUT, mais nous
retrouverons cet épisode avec Etienne FERRAND Cadet qui y prit une
certaine part. La prospérité revint heureusement très vite avec la magnifique récolte de 1773. |
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Le second fils trouve à son tour parti de mariage.
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A
la fin de la même année, le second fils FERRAND, Bernard, dit TCHIC,
trouva parti de mariage en la personne de Jeanne CLAVERIE. Elle
était fille de Jean et de feue Marguerite LACASSAIGNE et habitait avec
les siens au Quartier de MAHON, Paroisse de BALIZAC. C'est là, dans sa
maison familiale qu'est passé le contrat de mariage, dans l'après midi
du 18 Décembre 1773, devant Me PERROY que l'on a fait venir de NOAILLAN
tout exprès. Les
fils FERRAND font de bons et solides mariages. Ici encore, la future épouse
apporte une dot de 1.000 Livres, mais il est bien précisé qu'elle représentent
tout à la fois la part d'héritage qui lui vient de sa défunte Mère, et
ce que lui donne son Père pour solde de tous comptes sur sa succession à
venir. En
recevant cette somme, elle renonce donc à toute participation au futur
partage de MAHON, lequel ne concernera donc plus désormais que ses frères.
Nous aurons néanmoins l'occasion de voir pourquoi et comment, sept ans
plus tard, cette situation pourra être reconsidérée. Outre
ces 1.000 Livres, payables à échéance d'un an sans intérêt, Jeanne
apporte en dot un lit garni, 12 draps, 2 nappes, 2 douzaines de serviettes
de toile fine dont une unie et l'autre "ouvrée", et une
armoire en noyer, à une seule porte fermant à clé et dotée d'un
tiroir, le tout étant neuf. Elle arrivera le jour de ses noces habillée : "de
brassières, jupe de Cadix d'AIGNAN, et chaussée suivant son état". Les
époux partageront par moitié tous leurs acquêts et s'attribuent un gain
nuptial réciproque de 50 Livres. Le
jeune ménage s'installa au moulin de La FERRIERE, sous le toit d'Etienne
FERRAND, et la dot annoncée fut versée entre ses mains dans un délai
raisonnable puisque les dernières 400 Livres lui furent réglées le 20
Mai 1775, avec un modeste retard de cinq mois seulement. Entre temps, dans la soirée du 25 Août 1774, Jeanne FOURTENS, épouse d'Etienne FERRAND le Père, était morte au moulin. Nous ne savons rien sur ce décès sinon qu'il avait été suffisamment prévisible pour que le Curé ait pu venir lui administrer les derniers sacrements. On l'enterra le lendemain, non point dans l'Eglise comme on l'avait fait pour Marie CABIROL, mais dans le cimetière. Ainsi donc, à l'âge de 51 ans Étienne FERRAND Aîné se retrouvait veuf encore une fois, après une seconde union qui avait duré sept ans. |
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L'épizootie catastrophique de 1774.
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Cet été de 1774 avait été marqué par d'autres évènements tout à fait singuliers. Dans son journal, le Curé BORNIOL nous a laissé un bon résumé de la situation telle qu'elle fut vécue dans nos contrées : "L'année 1774 a été une des plus chaudes que l'on aye vu depuis longtemps pendant la fin du printemps, tout l'été et l'automne... L'air chaud et enflammé n'a laissé mûrir aucun menu grain. Ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'il a causé beaucoup de maladie sur le gros bétail et sur les bêtes à cornes. Cette province a été désolée par le ravage affreux d'une maladie pestilentielle et épizootique qui est tombé sur les animaux depuis le commencement de Juin, et qui (ne s'est pas) éteinte malgré les grandissimes froids qui ont précédé le mois de Décembre et qu'on regardoit comme un souverain remède envoyé du ciel pour enlever cette calamité. On
ne sauroit dire combien de pays entiers n'ont pas conservé une seule tête
de bétail (si bien) qu'on n'a pu semer d'aucune façon..." Ce
texte est intéressant car il montre bien comment, au début, l'opinion
s'engagea sur une fausse piste en attribuant l'épidémie à une "pestilance"
engendrée par la chaleur excessive. Mais bien vite, une observation attentive du phénomène montra bien que, même si elle restait inconnue, la véritable cause était ailleurs. Et c'est ainsi que le Curé BORNIOL poursuit dans un deuxième temps : "on
a d'abord supprimé les foires et les transports de ces animaux pour arrêter
la communication, mais le venin a gagné (tout autant). Enfin on s'est
aperçu que les traiteurs eux-mêmes ou autres personnes quy entroient
dans les granges où estoient les bestes malades portoient la contagion
sur les habits ou sur eux-mêmes et les communiquoient aux bestes saines
en les soignant seulement comme à l'ordinaire ou en entrant dans leurs
parcs pour les visiter ou les toucher..." C'est
tout à fait bien vu. Mais que s'était-il donc passé ? Pour
autant qu'on le sache, il semble bien que l'épidémie ait pu être importée
par le port de BAYONNE sur un chargement de cuirs frais en provenance de
la GUADELOUPE. Après une incubation de plusieurs mois en PAYS BASQUE, le mal éclata soudain à partir de la grande foire aux bestiaux tenue à St JUSTIN, en Pays de MARSAN, le 23 Juillet 1774 qui communiqua : "
l'incendie à toute la province.." Il
se peut d'ailleurs que la chaleur de cet été torride ait quelque peu
favorisé le développement de l'épizootie, mais elle n'en a certainement
pas été la cause première. Les
bestiaux contaminés furent mis en quarantaine; l'Intendance prescrivit
d'enfouir les animaux morts dans de profondes fosses en mêlant des épineux
à la terre remuée pour dissuader les carnassiers de venir les déterrer.
On aligna un cordon de troupes tout au long de la rive gauche de la
GARONNE pour interdire toutes traversées de bovins au-delà de la Rivière
et tenter de préserver l'ENTRE DEUX MERS. Rien n'y fit. Le 13 Octobre 1774, l'Intendant écrivait au Contrôleur Général à VERSAILLES : "
les progrès sont si rapides que les précautions les plus promptes et les
plus multiples qu'on ne cesse de prendre sont une faible digue à lui
opposer." Le
22 Octobre et 8 décembre, l'Administration fit afficher à la porte des
Eglises l'obligation de déclarer tout animal suspect de porter la
maladie. S'il venait à mourir, le propriétaire était indemnisé des
deux tiers de sa valeur. Mais s'il mourrait sans avoir été déclaré
malade, son propriétaire se voyait frappé d'une lourde amende. L'Eglise ordonna des prières publiques. On fit des processions les 18 Janvier et 3 Février 1775 pour demander au Ciel la : "cessation
de la maladie du bétail.." Avec l'été de 1775, la contagion, un moment assagie, repartit de plus belle. Finalement elle ne cessa qu'en mi 1776, d'elle-même, comme elle avait commencé. Toute la proche région avait été durement touchée. Dans son Registre Paroissial, le Curé d'Origne mentionne : "une
très grande mortalité sur les bestiaux, causée par une maladie épizootique
qui s'est répandue dans presque toutes les paroisses de Landes." En
fait, les quatre cinquièmes du cheptel bovin avaient disparu en deux ans. Ce fut une catastrophe pure et simple. Les bovins étaient morts ou avaient été abattus et l'Intendant écrivait : "Le
peuple gémit et pleure pour l'avenir, attendu qu'il sera impossible de se
procurer de l'engrais pour les terres." Plus d'engrais, mais plus de labours non plus, ou si peu, et pas davantage de transports. En 1777 l'Intendant DUPRE DE SAINT MAUR estimait encore que : "les
pays qui ont éprouvé le fléau de l'épizootie n'ont pu encore se
procurer qu'un tiers des bestiaux nécessaires pour la culture." et que, de ce fait : "
beaucoup de terres sont restées en friche..." Les
conséquences de cette crise durèrent longtemps et le pays mit bien des
années à s'en remettre. |
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Le troisième mariage d'Etienne Ferrand Aîné.
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Mais
cette affaire d'épizootie nous a mené un peu loin, il nous faut revenir
au moulin de La FERRIERE au tout début du mois d'Avril 1776. Etienne
FERRAND, le Père, est veuf depuis 20 mois, il vient tout juste d'avoir 53
ans, et il a une jeune servante, Jeanne CASTAIGNET qui, il s'en faut de
quatre mois, n'a pas encore tout à fait 25 ans. Une
jeune servante qui, de surcroît, est enceinte de près de sept mois; ce
sont des choses qui arrivent... Alors tout à coup, il va falloir faire très
vite, et on va effectivement faire très, très vite. Un
troisième mariage est en cours... Lundi
8 Avril, Etienne FERRAND, Jeanne CASTAIGNET et son Père (sa Mère étant
déjà morte) se retrouvent chez Me LATASTE, Notaire à NOAILLAN. Ils y
passent contrat dans la plus grande discrétion. Un contrat au demeurant très dépouillé car, d'entrée de jeu : "
déclare ledit CASTAIGNET n'avoir rien à constituer (en dot) à sa fille,
future épouse..." ce
qui simplifie évidemment beaucoup les choses. Les futurs époux déclarent
s'associer par moitié aux acquêts qu'ils feront et prévoient un gain
nuptial réciproque de 30 Livres. Un point c'est tout; le Notaire n'aura
pas usé beaucoup de papier. Le
lendemain, Mardi 9 Avril, Etienne et Jeanne se retrouvent à l'Église de
BALIZAC devant le Curé ROUDET, et lui font bénir leurs fiançailles. Ils
lui demandent en outre d'introduire une demande de dispense de publication
des second et troisième Ban du mariage (on ne peut en effet jamais être
dispensé du premier car pour que le mariage soit canoniquement valable il
doit être proclamé au moins une fois). Seul l'Archevêque de BORDEAUX
peut accorder cette dispense. Il faut adresser la demande à sa
chancellerie et attendre sa réponse. Le
Dimanche 14, le Curé ROUDET a déjà son autorisation et proclame
l'unique Ban de ce mariage au prône de la Messe à BALIZAC. Il a fallu
qu'un cavalier fasse toute diligence pour aller porter la demande à
BORDEAUX et revenir chercher la réponse. Peut-être même l'a-t-il
attendue sur place à la porte du Palais ROHAN (qui n'est pas encore tout
à fait terminé..). Enfin, le Mardi 16 Avril, huitième jour de l'aventure, le Curé ROUDET célébrait le mariage en l'Église de BALIZAC : "
Le 16 Avril 1776, après célébration des fiançailles, faite dans cette
Eglise entre Etienne FERRAND, meunier, et Jeanne CASTAIGNET, servante,
tous habitans dudit BALIZAC, et après la proclamation d'un Ban de leur
futur mariage et avoir obtenu la dispense du second et du troisième Ban
de leur futur mariage sans avoir découvert aucun empeschement canonique
ni civil, Je soussigné, Curé de la Paroisse de BALIZAC leur ay imparti
la bénédiction nuptiale aux formes prescites par le présent Diocèse..." Si
quelqu'un avait eu l'intention de soulever une objection quelconque à
l'endroit de cette union, il aurait fallu qu'il fasse réellement très
vite... Le 13 Juin suivant naissaient à La FERRIERE deux petites jumelles "prématurées", Elizabeth et Marie. Elles ne devaient pas survivre. |
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Ferrand Aîné en conflit avec le curé de Noaillan. |
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C'est
un temps où FERAND Aîné est en conflit avec Me Jean DURANTY, le Curé
de NOAILLAN. Ce Curé a deux métairies au lieu de POUCHON, à 500 mètres
environ au sud de MAHON, sur la Paroisse de BALIZAC, et FERRAND est son métayer.
Il
en a confié l'exploitation à ses valets du moulin, mais c'est bien lui
qui est titulaire du contrat. Or, un litige s'est élevé sur ce contrat,
litige sur lequel nous sommes d'ailleurs très mal renseignés, et, à
titre conservatoire, Ferrand a décidé de ne plus partager les récoltes
jusqu'à nouvel ordre. Le
Curé engage un autre procès sur ce nouveau point et le gagne. Par
jugement du 3 Juin 1777, le Juge de CASTELNAU décide que, sans préjuger
du fond, qui n'est toujours pas tranché, les récoltes devront être
partagées cette année-là. Fort de cette décision, le Curé DURANTY
somme FERRAND Aîné de se trouver sur place le 16 Août à 14 heures pour
partager la récolte de seigle. Il y vient avec son Notaire, Me LATASTE, mais FERRAND ne se présente pas. Tous attendent en vain jusqu'à 16 heures. Le Curé demande alors au Notaire de dresser un acte de défaut ; ce qu'il fait sur l'heure. Mais ceci ne fait pas avancer les affaires d'un pouce. Le Curé veut son grain. En vertu du jugement qui lui permet de : "lever
et percevoir provisoirement les fruits et récoltes pendantes dans les
biens de POUCHON, " il revient sur place le 25 Août, toujours accompagné du Notaire : "(pour)
faire constater la consistance de la récolte et de la remise qui lui (en)
sera faite afin de se tenir à l'abry des chicanes que ledit FERRAND pourroit luy
faire..." Dans
la petite métairie, il rencontre Gabriel DESCAZEAUX, valet, et lui fait
mesurer 8 boisseaux, un quart et demi de seigle (850 litres), auxquels il
faut ajouter 3 autres boisseaux (305 lit.) qu'il a fait moudre pour
manger; il y trouve également 10 picotins de froment ( 32 lit.). Dans
la grande métairie, il rencontre Etienne DUBLIN, également valet, et sa
Mère et il mesure avec lui 7 boisseaux 3/4 de seigle, soit (787 litres.) et
un picotin de froment (28 lit. ½). Mais
se présente aussi Pierre MAUMUSSON, encore un autre valet qui a récolté
11 boisseaux ¾ et 3 picotin de seigle ( 1225 lit.) plus 2 boisseaux qu'il
a lui aussi fait moudre. Et
puis voilà encore Arnaud MANO, lui aussi valet qui présente 13 boisseaux
¼ de seigle (1.346 lit.) plus 2 boisseaux qu'il a fait moudre et 1 quart
et 3 picotins de froment ( 35 lit.). Il y a décidément beaucoup de monde
dans ces deux maisons... Le
Curé DURANTY n'en restera pas là. Le 10 Octobre, il reviendra dans ces métairies
pour un nouvel inventaire des récoltes tardives, celles de la filasse,
millades et millets. A
la grande métairie, chez Arnaud MANO, il recensera 3 boisseaux de millade
( 305 lit.) et 5 boisseaux et 3 picotins de millet (517 lit.) à majorer
d'un boisseau qu'il a déjà consommé (101 ½ ). Il
fait peser la filasse de chanvre et en trouve 13 livres ¾ (6,600 Kg). Il
recommence la même opération chez Etienne DUBUN et note 1 boisseau ½ et
4 picotins de millade et ½ boisseau déjà consommé plus 12 livres ¾ de
filasse de chanvre (6,200 Kg). Arrêtons
là cet inventaire qui n'a d'autre mérite, mais c'est à noter, que de
nous donner une idée de la récolte de céréales et de chanvre, ainsi
qu'une approche du rapport seigle/froment que l'on pouvait trouver en ce
temps là dans une métairie. Encore faut-il rappeler que, sur ces quantités,
il fallait prélever 1/13ème du total au titre de la Dîme due au Curé,
et environ ¼ sur les grains pour les semences de l'année suivante. Le Curé reviendra, toujours accompagné du Notaire, le 4 Novembre suivant, afin de retirer sa part de récolte. FERRAND ne se sera manifesté à aucun moment de cette affaire. |
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Un bien curieux contrat. |
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Un
nouvel enfant naîtra au moulin le 13 Juillet 1779, une petite Jeanne qui
mourra quelques semaines plus tard, le 9 Août suivant. Quelques
jours après, le 23 Août 1779, Etienne FERRAND, Aîné passait un bien
curieux contrat. Il n'est évidemment pas envisageable de rapporter ici le
détail de toutes les transactions foncières ou commerciales de notre
meunier, mais la singularité de l'acquisition qu'il va faire mérite de
retenir un instant l'attention sur cette affaire. Il
s'agit d'acheter une lande d'une superficie de 8 journaux située au
lieu-dit des ARROUCATS sur la paroisse de BALIZAC. Le
vendeur, Jean CLAVERIE, habite le Quartier de PRUOUAILLET sur la paroisse
de VILLANDRAUT. FERRAND n'est pas le seul acheteur. Avec deux autres
personnes, Pierre BAILLET, de NOAILLAN, et Arnaud LACASSAIGNE, de BALIZAC,
ils ont monté une sorte de société de fait pour acheter cette parcelle
dans l'indivision. Mais la singularité est ailleurs. Elle réside dans la réserve que formule le vendeur et qu'acceptent les acheteurs : "se
réservant ledit vendeur pour luy et les siens, à l'avenir,...et pour
toujours, la faculté de faire pacager sur ladite pièce, ses bestes à
grosses cornes quy pourront se trouver sur le bien actuellement à luy
appartenant... appelé AUX PRUOUAILLETS sans que les acquéreurs ni les
leurs à l'avenir puissent s'y opposer sous quelque prétexte que ce
soit..." Moyennant
quoi, le vendeur s'engage à conserver à sa charge les impôts royaux
(les plus élevés) tandis que les acheteurs acquitteront les impôts
seigneuriaux (très faibles). La vente est faite pour 114 Livres payées
comptant. Ce contrat est surprenant car, que pouvait-t-on faire d'une
lande à l'époque ? Y envoyer paître les bestiaux ou bien en prélever
la bruyère pour faire les litières. Mais pas les deux en même temps car
il existe bien des exemples de conflits de voisinage dans lesquels une
partie se plaint que des bestiaux égarés ont couché les bruyères et
compromis leur récolte. Alors, à quoi pouvait donc bien servir l'achat de 8 journaux de lande si l'on en laissait le pacage à disposition du vendeur ? La question restera pour le moment sans réponse. |
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Mais quelle est donc la situation
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Le
13 Novembre 1779, naît à BALIZAC une Marie FERRAND, fille de Bernard dit
TCHIC, et de Jeanne CLAVERIE dont nous avons déjà évoqué le mariage à
MAHON. C'est Bernard FERRAND, dit BERNACHON, qui en est le Parrain. Mais
il se pourrait bien que TCHIC et sa famille aient déjà quitté La
FERRIERE, car, dans l'acte de naissance, le Père est dit "meunier
du petit moulin",ce qui semble bien indiquer un certain statut
d'indépendance vis-à-vis de son Père. Ce "petit
moulin" pose néanmoins problème. Il
était situé sur la NERE, au pied de l'ancien Château aujourd'hui
disparu, près du Quartier de PINOT, au lieu-dit MOULIOT qui atteste
l'ancienneté de son implantation. Où donc est le problème ? C'est qu'il
ne figure jamais dans aucun contrat de ferme. On pourrait penser qu'il était
considéré comme une annexe du moulin de LA FERRIERE qui, lui, se
trouvait sur LA HURE à quelque 900 mètres de là. Mais
cette hypothèse est difficile à retenir, car il serait bien curieux que
les minutieuses descriptions des installations de LA FERRIERE aient pu
systématiquement passer sous silence la présence d'une annexe avec sa
retenue, sa machinerie, ses meules, etc.. C'est
réellement bien peu vraisemblable. Mais alors où seraient les contrats
de ferme de ce moulin s'ils ont fait, au fil du temps, l'objet d'actes indépendants
? Aucun
n'a pu être retrouvé. Toujours
est-il que Bernard dit TCHIC en est ici le meunier, et qu'il est donc bien
affermé aux FERRAND. Quelques
mois plus tard, Jeanne CLAVERIE, la jeune Mère, vint à perdre son Père,
Jean CLAVERIE, dit PETIT JEAN. Celui-ci laissait une confortable fortune
qui, aux termes du contrat de mariage de Jeanne, passé en 1773, devait
revenir intégralement à son frère Arnaud. Rappelons
qu'il avait été convenu qu'elle recevait une dot de 1.000 Livres et qu'à
ce prix-là, elle renonçait à tout autre prétention sur la succession
de son Père. Sept ans avaient passé sans que cette disposition soit
remise en cause par quiconque. Mais au décès de Jean CLAVERIE, début
1780, les FERRAND se prirent à penser que ces dispositions étaient assez
sensiblement draconiennes et qu'il y avait une évidente disproportion
entre ces 1.000 Livres reçues et le restant de l'héritage. Etienne
FERRAND Aîné, Beau Père de Jeanne CLAVERIE, dut s'exprimer assez
vigoureusement sur ce sujet car il est effectivement partie prenante dans
l'arrangement qui va suivre. Les deux parties en présence savaient bien
que le contrat de 1773 était inattaquable, seule une négociation amiable
pouvait y apporter quelques corrections. Et là, soit qu'Arnaud CLAVERIE ait été un brave garçon, soit qu'il ait bien aimé sa soeur Jeanne, soit que le Beau Père FERRAND ait su développer des arguments déterminants, soit pour toute autre cause, une transaction amiable allait s'amorcer le 24 Mai 1780 : "Ladite
CLAVERIE, femme dudit FERRAND, connaissant parfaitement les dispositions
énoncées au contrat de mariage ... et la fortune délaissée par son Père,
persuadée que la constitution quy luy a été faite... et quy luy a estée
payée... ne la remplissoit pas de sa légitime (portion, a) fait part
audit CLAVERIE son Frère de son intention de luy demander un supplément.
Ledit CLAVERIE, de son côté, charmé de ne rien profiter au détriment
de sa Soeur, acceptant sa proposition,..." En
bref, le Frère et la Soeur conviennent de désigner des experts pour
examiner la situation et s'en remettent à leurs conclusions. Et au terme
de leur enquête, ceux-ci concluent qu'il serait équitable qu'Arnaud
CLAVERIE reverse à Jeanne une somme de 200 Livres, ce qu'il accepte de
faire sans objection. Ce n'est peut-être pas autant qu'avaient pu espérer les FERRAND, mais c'était toujours bon à prendre et en tous cas mieux que rien, car aucun procès, au prix de frais démesurés, ne leur aurait autant rapporté dans une situation où ils n'avaient strictement aucun droit à faire valoir. |
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Les mariages des derniers enfants d'Etienne Aîné.
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La
famille est au temps des mariages ; un à un, les garçons prennent femme.
Le
20 Janvier 1781, c'est au tour d'Etienne de passer contrat avec Marie
LACASSAIGNE. C'est
le plus jeune des enfants survivants, il n' a pas encore tout à fait 23
ans et, pour une fois, ne s'est pas marié "à son tour",
puisque Bernard, dit BERNACHON, qui a 25 ans est encore célibataire. Ce
mariage ne devait durer que quelque mois. La jeune Marie mourut en effet
avant la fin de la même année, probablement au moment de la naissance de
son premier enfant. Assez curieusement, elle avait apporté en dot une créance
sur un tiers, créance que son Père détenait depuis trois ans. Ce
n'est qu'après son décès, la veille de Noël 1781 qu'Etienne FERRAND,
le Père, parvint à encaisser les 400 Livres promises pour le compte de
son fils. Le débiteur était un certain Jean DUCOS qui habitait au
Quartier de PRAT. Douze
jours plus tard, le 5 Janvier 1782, tous les FERRAND se retrouvaient une
fois encore réunis à l'occasion d'un nouveau contrat de mariage, cette
fois-ci celui de Bernard, dit BERNACHON, le dernier garçon restant à
marier. Il prenait Jeanne MARSAU pour épouse et allait venir s'installer
au Quartier de TRISCOS, sur la même paroisse de BALIZAC. Il
est à l'origine de notre branche familiale, l'une de ses filles devant
s'allier plus tard à Pierre DARTIGOLLES. Nous retrouverons cet épisode,
le moment venu, lorsque nous relaterons son histoire. Ce mariage fut célébré
en l'Église de BALIZAC le 9 Février suivant. Le
10 Avril 1782, Etienne FERRAND Aîné, le Père, obtenait du Marquis de
PONS le renouvellement de son bail à ferme sur le moulin de La FERRIERE.
Désormais, il y restait seul avec sa jeune femme Jeanne CASTAGNET et son
dernier fils Etienne. Celui-ci, après son veuvage, s'était remarié avec une certaine Marthe BATAILLEY qui était venue vivre au moulin et dont il aura un fils, François, en 1792. C'est ce jeune couple qui assurera par la suite la pérennité des FERRAND à La FERRIERE. |
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La fin d'Etienne Ferrand Aîné.
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Il
se pourrait bien que les affaires du moulin aient connu à ce moment-là
quelques difficultés. Le 17 Octobre 1787, Etienne, le Fils, rencontre
Marie DUPRAT à VILLANDRAUT, chez Me DARTIGOLLES, et lui emprunte 800
Livres en espèces "pour le compte de son Père" et précise
que cet argent est destiné au paiement des arrérages de la ferme des
moulins de La FERRIERE et de BALIZAC au Comte de PONS. Certes
la durée prévue est très courte, un trimestre seulement, mais nous
avons connu d'autres temps où c'étaient plutôt les FERRAND qui
faisaient office de banquiers. Au surplus, cet acte nous révèle un signe
très inquiétant. Le
Père ne s'est pas déplacé pour contracter cet emprunt. C'est que, bien
malade, il en est incapable. En effet, six jours plus tard, le 23 Octobre
1787, il était mort. Son
testament n'a pu jusqu'ici être retrouvé. Nous savons pourtant qu'il
existe car l'un de ses fils, BERNACHON, se plaindra plus tard de l'avoir
prêté à son frère TCHIC qui ne le lui a pas restitué. Mieux encore,
nous connaissons à peu près les dispositions qu'il contenait. Au
demeurant, tout espoir n'est pas perdu de retrouver ce document; les
recherches utiles doivent donc être poursuivies. Etienne
FERRAND Aîné avait donc 64 ans ½ au moment de sa mort, et son dernier
Fils, Etienne, dit CADICHON, ainsi que nous venons de le voir, prenait sa
succession dans la ferme du moulin à l'âge de 29 ans ½ . Nous allons maintenant revenir bien en arrière pour reprendre l'histoire d'Etienne FERRAND Cadet, le frère du défunt. Nous l'avons déjà maintes fois rencontré au fil du présent récit du fait des nombreux démêlés qu'il a connus avec son Aîné. Mais il est temps, à cette heure, d'aborder son histoire détaillée car elle est riche d'anecdotes et de péripéties. |
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II – ÉTIENNE
LE CADET (1738 – 1808)
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Nous
aurons tout d'abord à nous souvenir qu'Étienne FERRAND Cadet, septième
enfant de Jean FERRAND et de Marie DUBEDAT, était né au moulin de
VILLANDRAUT le 27 Juin 1738. Avec
son frère Aîné, l'autre Etienne dont nous venons de conter l'histoire,
ils avaient été les seuls survivants des neuf enfants qu'avaient eus
leurs Parents. Au
décès de sa Mère Marie, dernière survivante du couple parental, alors
qu'il avait 16 ans ½ , il s'était retrouvé pupille de son frère Aîné,
et, le temps passant, il avait de plus en plus mal supporté cette
tutelle. Il en vint à quitter le moulin au début de 1762, "furtivement",
nous avait dit son frère, et sans même emporter les quelques affaires
qu'il pouvait avoir. Il
n'avait pas alors tout à fait 24 ans. Ce fut l'origine de cette longue
controverse qui opposa les deux frères et sur laquelle nous ne
reviendrons évidemment pas. Rappelons simplement qu'elle ne devait
trouver son épilogue que huit ans plus tard, à la fin de 1770. |
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Le mariage d'Etienne Ferrand Cadet.
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Après
sa fugue, Étienne Cadet erra un certain temps de paroisse en paroisse et
finit par se fixer à LANDIRAS. Il ne semble pas que sa situation y ait été
bien assise. Cette instabilité ne dura guère, moins de deux ans en tous
cas, car, dès la fin Avril/début Mai 1764, il revenait s'installer à
NOAILLAN. Et
là, dans un délai très bref, il eût la chance de trouver un riche
parti de mariage en la personne de Marie LAPIERRE, une jeune orpheline
vivant au Quartier de PEYREBERNEDE, tout à côté des propriétés du
CHAY appartenant aux FERRAND depuis au moins plus d'un siècle et
probablement bien davantage. Cette
Marie LAPIERRE était fille de Pierre, dit CHIGNON, vigneron, décédé en
Novembre 1763, et de Jeanne DUPRAT qui lui avait à peine survécu
puisqu'elle était morte en mars 1764. Par
son testament, Pierre LAPIERRE avait désigné sa fille unique Marie comme
son héritière universelle, et avait laissé l'usufruit de l'ensemble de
ses biens à sa femme Jeanne, sous condition de "garder viduité",
en lui attribuant la tutelle de Marie. C'étaient là les dispositions les
plus classiques que l'on puisse imaginer dans une famille rurale de ce
temps. Jeanne,
la veuve, les 3 et 6 Février, avait fait procéder à un inventaire
notarial complet des meubles de leur maison. Ce document révèle un intérieur
d'un niveau nettement confortable, du moins au regard des normes du temps,
encore que quelques détails suggèrent qu'il a pu connaître des jours
meilleurs. Ainsi
par exemple, si le lit dans lequel le Père est mort est en noyer, la
couverture en est déchirée... La présence de quelques objets assez spécifiques
donne à penser que le couple a pu, au moins à un certain moment, tenir
un débit de boisson. Il en va ainsi de la présence de six pintes et
trois pintons en verre. Dans
un intérieur de laboureur, on trouve souvent une pinte, mais certainement
pas six... De même trouve-t-on "une petite oulette de fer blanc
à tirer le vin" qui, avec quelques autres indices du même ordre
confortent assez bien cette hypothèse. Après
le décès de sa Mère Jeanne, Marie LAPIERRE se retrouve donc seule et
passe sous la tutelle de son Oncle maternel Jean Baptiste DUPRAT. Comme
Marie est d'âge adulte, et qu'il envisage de la marier sans trop tarder,
ce tuteur ne fait pas vendre les meubles de la mineure aux enchères, mais
il va néanmoins prendre la précaution de réactualiser l'inventaire qui
vient d'en être fait au mois de Février précédent. C'est ce qui se fait le 19 Mars. C'est une situation intéressante et d'ailleurs très rare, car nous disposons ainsi de deux inventaires très détaillés d'un même intérieur à un mois et demi d'intervalle. Cela permet de voir ce qui a changé en ce court laps de temps. Sans entrer dans trop de détails, signalons par exemple qu'en Février, on trouve : "à
côté du lit, une pièce (de) toile de bourre d'environ quinze
aunes(17m,75) ...laquelle toile (la veuve) a déclaré être (destinée)
... à l'uzage de la maison." C'est un métrage tout à fait considérable, mais le 19 Mars, on s'aperçoit : "qu'à
la pièce de toile, il en a été sorty le tiers pour (faire des) tabliers
et (une) jupe pour ladite LAPIERRE , mineure." On
remarquera en passant, et c'est intéressant, que la riche héritière
portera des tabliers et une jupe "en toile de bourre",
c'est à dire la plus commune qui soit. Certes, elle aura certainement une
autre robe un peu moins rustique (très probablement la seule de sa vie),
mais ses vêtements quotidiens ne la distingueront pas des filles des
alentours moins bien pourvues qu'elle, sinon du fait qu'ils étaient
neufs... Autre exemple de modification entre les deux inventaires; à l'examen du stock de planches en attente sous le hangar, on retrouve bien le compte : "
à l'exception de sept tables de pin employées ainsi que ledit LAPIERRE,
Oncle, l'a déclaré, à (la confection de) la bière de ladite
DUPRAT". Dès
lors, l'Oncle DUPRAT va chercher un parti pour sa Nièce. Les choses vont
d'ailleurs aller si vite que l'on peut se demander s'il n'avait pas déjà
auparavant quelqu'idée en tête... Deux
mois et demi après le décès de sa Mère, la jeune orpheline a déjà
rendez-vous avec Etienne Cadet, son futur, devant le Notaire, Me PERROY. C'était
dans l'après midi du 26 mai, un Samedi, dans sa maison de famille à
PEYREBERNEDE. Côté
FERRAND, il n'y avait pas grand monde; outre le futur époux, il ne se
trouvait là que son frère aîné, l'autre Etienne. Ils
avaient dû probablement se réconcilier, au moins pour la circonstance.
L'Aîné n'était d'ailleurs probablement pas fâché de voir son Cadet se
stabiliser dans un bon mariage. Il pouvait en espérer pour lui un avenir
un peu moins chaotique que la vie qu'il venait de connaître depuis
quelques mois. Mais du côté de la mariée, c'était plutôt la foule... Entre ses Oncles, Grand Oncle, même, ses Tantes, Cousins, Cousines, le Notaire cite nommément treize personnes sans compter " les autres parents et amis " présents mais non recensés. |
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Une aisance exceptionnelle.
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Marie LAPIERRE se constitue une dot de 5.000 Livres...C'est beaucoup ! L'une des plus belles dots de la région dans ce milieu de familles rurales ... Le futur époux qui n'a plus de domicile depuis qu'il a quitté le moulin de son Frère ira vivre : "adventice
dans la maison et les biens de ladite LAPIERRE future épouse." Jean Baptiste DUPRAT, son tuteur est en charge des meubles qui lui appartiennent. Il va les remettre un à un à FERRAND Cadet. L'inventaire à la main, de pièce en pièce, il fait l'appel de chaque objet et les deux futurs reconnaissent l'avoir reçu : "à
mesure de la lecture qui en a été faite par nous Notaire ... article par
article (tels) qu'ils se sont trouvés et ont été reconnus par les
futurs époux, et tels qu'ils sont spécifiés par ledit
inventaire..." Il ne semble pas que règne une bien grande confiance... Qu'importe, c'est FERRAND Cadet qui devient désormais comptable de tous les biens de Marie : "Ledit
FERRAND s'est chargé(du tout) avec toutes les clés des portes, cabinets,
coffres et armoires des maisons appartenantes à ladite LAPIERRE." Après
quoi, FERRAND s'engage à régler des frais d'obsèques et quelques messes
qui sont encore dus depuis le décès des parents de Marie. Puis, les
futurs conviennent de partager leurs acquêts à venir par moitié et décident
d'un "gain nuptial" réciproque de 100 Livres. Enfin, Etienne Cadet estime les biens et droits qui peuvent lui appartenir à la somme de 3.700 Livres. Voilà donc un mariage engagé sur des bases financières assez exceptionnelles au regard des usages locaux du temps. Nombre de familles bourgeoises de la contrée ne disposaient pas de telles ressources. |
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Ferrand Cadet fait montre d'une gestion douteuse
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Les
débuts de la gestion du nouveau maître de maison sont plutôt inquiétants.
Quatre mois seulement après leur mariage, Etienne FERRAND Cadet commence
par vendre l'une des maisons de sa femme. Il s'agissait d'une métairie
située à DEYMAT, au Quartier de PIREC, pour la somme de 900 Livres dont
150 comptant et le solde à échéance d'un an, avec les intérêts
d'usage. On notera que Marie LAPIERRE n'assistait même pas à la
passation de ce contrat, le 4 Novembre 1764. Il s'agissait pourtant,
incontestablement de son bien personnel. Etienne
a des réactions rapides et brutales. Il ne semble pas avoir eu le profil
d'un homme de négociation, et il va le montrer sans tarder. Dans
la journée du 24 Janvier 1765, Bernard LAPIERRE, un Oncle paternel de sa
femme, fait effectuer des travaux discutables sur la pièce dite de
MARTAILLOT. Il s'agit d'un lieu-dit situé à quelques 200 mètres au nord
du Quartier de PEYREBERNEDE. Des
travaux discutables certes puisqu'il a coupé un chemin charretier public
aux deux extrémités de sa parcelle en y creusant un fossé, comblé une
rigole d'écoulement des eaux, et prélevé deux saules dans une haie
appartenant à FERRAND. Autant
de faits répréhensibles assurément, mais aussi affaire de famille car
l'ensemble de ces biens avait appartenu au Grand Père de sa femme, et
c'est à la suite d'un partage successoral que les deux parcelles
mitoyennes avaient été dévolues l'une à Pierre LAPIERRE, son Beau Père,
et l'autre à l'Oncle Bernard. Il
semble donc qu'avant toute entreprise, un contact aurait pu être établi
au sein de la famille, au moins pour s'expliquer. D'autant qu'aucune
hostilité particulière ne semblait affecter les relations entre les deux
hommes. Nous avons la preuve que l'Oncle Bernard participait huit mois
plus tôt au mariage d'Etienne et de Marie. FERRAND
n'hésite pas un instant. Dès le lendemain, il se précipite chez le Juge
de NOAILLAN et porte plainte "au criminel" contre son
Oncle. En admettant même qu'une action en justice ait été justifiée,
une action civile aurait probablement suffit à trancher le litige. Ce
n'est pas l'avis de FERRAND qui voit là un délit et le dénonce comme
tel en demandant le concours du Procureur d'Office au titre de la
perturbation de l'ordre public. En outre, il se porte évidemment partie
civile dans l'action pénale ainsi engagée. Et cette affaire démarre très
vite et très fort. A
13 heures, le 26 Janvier, le Juge décide d'un transport de Justice. A 15
heures, il est sur place avec son Greffier et le Procureur d'Office.
FERRAND est là avec son défenseur, mais pas l'Oncle Bernard car on ne
convoque pas l'accusé à l'enquête, il sera cité plus tard à comparaître
sur la "sellette",c'est la marche normale d'une procédure
criminelle. Ces
Messieurs de la Justice constatent les faits matériels et le Greffier en
dresse Procès Verbal. Dès le soir même, les témoins sont cités à
comparaître pour le lendemain. On a tout juste le temps de rédiger les
citations que le Sergent du Tribunal ira signifier à leur domicile. La
nuit tombe vite en cette fin de Janvier; il terminera sa tournée à la
nuit close. On voit bien par là cette sorte de dramatisation qu'apporte
le procédure criminelle. Il y aurait eu crime de sang que l'on n'aurait
pas agi plus vite. Ces
témoins sont au nombre de quatre. Deux ont vu les travaux litigieux dans
la journée de l'avant veille, les deux autres sont d'anciens ouvriers de
Pierre LAPIERRE, l'un pendant quatorze ans et l'autre pendant six ans. Ils
viennent dire qu'ils ont travaillé bien des fois sur cette parcelle de
MARTAILLOT et que personne n'a jamais contesté à leur Maître la propriété
de la haie ni le droit de passage sur le chemin. On
les interroge tous quatre longuement, et le Greffier noircit des pages et
des pages de Procès Verbaux. En deux jours, et avant même que l'Oncle
Bernard ait été prévenu, la procédure représente déjà un solide
dossier de plusieurs dizaines de pages. Nous
allons couper court à cette démesure. Dans la journée du 27 Janvier,
qui était un Dimanche, des "parents et amis communs"
interviennent pour arrêter tout cela. Peut-être s'est-il agi de l'autre
Oncle, Raymond LAPIERRE, un autre frère du Beau Père. Il était temps de
se reprendre... Et de fait, l'affaire ne méritait pas une telle
dramatisation. L'Oncle BERNARD, dès le Lundi matin, reconnaissait ses torts dans un acte notarié devant Me PERROY, et l'affaire se terminait à l'amiable sans autre forme de procès. Retenons néanmoins le comportement que vient d'avoir Etienne Cadet, nous allons sans tarder retrouver d'autres exemples de ses turbulences. |
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D'autres querelles de voisinage.
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Dès
l'automne de la même année, il allait ainsi s'engager dans un double
litige de voisinage avec le meunier du moulin du CASTAING. Bernard
FONTEBRIDE, âgé de 35 ans, était fermier de ce moulin. Il était aussi
propriétaire d'une grande prairie au lieu-dit PRAT du TERREHORT, situé
entre PEYREBERNEDE et le CASTAING : "dans lequel pré
(il) avoit laissé venir de l'herbe qu'il auroit pu faucher s'il n'avoit résolu
de la laisser croître pour la faire manger à une vingtaine de chevaux et
de mulets qu'il a." Arrêtons-nous
juste un instant pour noter l'importance du cheptel de trait nécessaire
au fonctionnement de ce moulin, et aussi la confirmation du fait que les
meuniers, pour une raison non encore élucidée, assuraient leurs
transports avec des équidés alors que la totalité des autres charrois
se faisaient avec des boeufs. Certes,
il arrivait qu'un meunier ait une paire de boeufs (et cela va être le cas
ici), mais c'était uniquement pour leurs travaux agricoles et non pour
les transports liés à l'activité de meunerie. Cette observation, de
portée très générale, était valable pour tous les moulins du pays. Ainsi
donc, en cette fin d'année 1765, FONTEBRIDE avait décidé de ne pas
faucher le regain de sa prairie et de s'en servir à titre de pacage. Or,
ce pré était passablement enclavé au milieu des biens de la femme de
FERRAND sur deux côtés et une partie d'un troisième. Mettant cette situation à profit, Etienne Cadet n'avait pas trop de scrupule à faire : "pacager
chaque jour ses boeufs et son cheval au long et au large dudit pré.." Ce n'était pas un simple accident. Passant par là le 13 Octobre, Guillaume CALLETORTE, dit MOUNOT, un marchand de NOAILLAN, avait vu les boeufs de FERRAND dans ce pré. Rencontrant
un gamin sur son chemin, il lui avait demandé d'aller avertir la métayère
de FONTEBRIDE de la présence indue de ces animaux. Cette intervention ne
régla rien. La semaine suivante, le 21, les boeufs de FERRAND sont de
nouveau dans ce pré, et non seulement ses boeufs, mais aussi son cheval
de selle. Nombreux
furent par la suite les témoins qui purent en attester : Marguerite MARS,
une veuve de NOAILLAN, mais aussi la jeune Marie DUBOURG, âgée de 16
ans, et Jeanne LAPIERRE, 18 ans, etc.. ; les faits étaient
incontestablement avérés. Lassé,
FONTEBRIDE finit par porter plainte, lui aussi "au criminel"
auprès du Juge de NOAILLAN. Il ne manque pas en effet de souligner qu'il
s'agit d'un délit très sévèrement sanctionné. Et c'est parfaitement
exact. L'herbe était alors recherchée et les fourrages rares, tout le pays en manquait, surtout cette année-là où la récolte en avait été mauvaise, ce qui conduisait à les protéger de façon draconienne. Il expose ainsi : "que
par plusieurs Arrêts et Règlements de la Cour du Parlement de BORDEIAUX,
il (est) expressément inhibé et défendu à toutes sortes de personnes
de laisser aller pacager leurs bestiaux soit boeufs, vaches, juments,
mulets et autres dans le bien d'autruy dans quelque temps et saison que ce
soit, à peine de cinq cent Livres d'amende contre les propriétaires des
bestiaux, et du fouet contre les pasteurs..." Cinq
cent Livres et le fouet, c'est bien la preuve de la gravité que l'on
attribue au délit. Aussi le Juge prend-il l'affaire très au sérieux. La plainte est déposée le 24 Octobre. Le jour même, il délivre l'autorisation d'ouvrir une information. Dès le lendemain, quatre témoins sont interrogés et le dossier est transmis au Procureur d'Office qui, dans l'instant même requiert : "que
ledit FERRAND Cadet soit ajourné pour rendre son audition sur lesdites
charges et informations..." Autrement
dit, qu'il soit convoqué à jour fixé, en tant que prévenu libre, pour
être interrogé sur la sellette. Mais l'affaire s'arrête là, car
FERRAND a parfaitement compris à quel point sa cause était mauvaise.
Aussi, par acte notarié du 27 Octobre, a-t-il fait proposer à FONTEBRIDE
de lui verser 18 Livres pour le dédommager des frais de Justice qu'il a déjà
engagés, et de faire évaluer les dommages par deux experts désignés
par chacune des deux parties. FONTEBRIDE acceptera ce compromis le 31 courant et désignera son expert en la personne de Pierre DUBERNET, dit Pierre de la CABIROLLE. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que FERRAND a déjà porté plainte contre lui, toujours "au criminel" en avançant rien moins que trois chefs d inculpation. Il se plaint des dommages que lui inflige le sans gène de son voisin : "et quoi (qu'il) ait toléré bien des dommages que ledit FONTEBRIDE luy avoir causés ou fait causer par ses boeufs, chevaux, mulets et cochons, soit dans les premières herbes (c'est-à-dire le foin), soit dans les blés avant la récolte, s'étant contenté complaisamment de l'averertir et luy défendre la récidive, ledit FONTEBRIDE, peu attentif, se prévalant de sa qualité de meunier, se persuadant que tout luy est permis a non seulement abandonné ses mulets et cochons dans les millades dernières des biens (de FERRAND) où ils ont causé un dommage affreux, mais encore, il a entrepris, contre tout droit, de faire passer et repasser et (depuis) peu de faire séjourner ses boeufs conduits par son pasteur par devant la maison (de FERRAND) et dans ses prairies où ils ont pacagé, et de là, été conduits dans le pré dudit FONTEBRIDE ( le pasteur abattant des barres de la clôture). Ces faits ont été suivis d'une autre entreprise de la part dudit FONTEBRIDE. (FERRAND) avoit ensemencé (son) jardin en blé d'ESPAGNE pour fourrage à ses boeufs. Ce
blé d'ESPAGNE parvenu à toute beauté, ledit FONTEBRIDE faisant
ensemencer dernièrement en blé seigle sa pièce de terre labourable au
midy, au lieu de tourner ses boeufs et araire dans sa pièce comme il y
est obligé, a affecté de les pousser avant, environ deux pas, dans ledit
jardin de long en long, de sorte qu'outre qu'il a fait manger et brouter
par ses boeufs partie dudit blé d'ESPAGNE, il en a aussi fait fouler aux
pieds, et en même temps entrepris de s'arroger un droit de servitude sur
ledit jardin au préjudice (de FERRAND)." Il
demande donc au Juge d'ouvrir une information, et, pour corser le tout,
demande qu'un transport de justice soit fait sur place. FERRAND Cadet aime
bien les transports de justice. Il en avait déjà demandé un dans le
litige qui l'avait opposé à son Oncle Bernard. FONTEBRIDE
aurait tout aussi bien pu en demander un pour constater les dégâts
provoqués dans son pré de TERREHORT ; il ne l'a pas jugé nécessaire,
s'en remettant au dire des experts désignés. FERRAND Cadet a un goût
prononcé pour la chicane et les situations plus ou moins contentieuses,
cela fait incontestablement partie de son personnage. Au matin du 31 Octobre, le juge, son Greffier et le Procureur d'Office se transportent donc chez FERRAND, au lieudit AU RIBOUS. Et là, il trouve bien un jardin : "ensemencé
en blé d'ESPAGNE quy ne peut être destiné à d'autre uzage que du
fourrage.." Ce jardin contient 16 pas en longueur et 9 pas en largeur (soit environ 113 m²). Tout à côté se trouve la parcelle de FONTEBRIDE qui vient juste d'être ensemencée. Et le Juge constate qu'en effectuant ce travail : "il a fait tourner ses boeufs dans ledit jardin du côté du levant, d'environ un pas et demy (environ 1m,33) de large et cinq en longueur (environ 4m,43) dans laquelle étendue, il y paroît quelques blés d'ESPAGNE broutés et mangés et d'autres foulés et couchés par terre. Néanmoins,
celuy quy est couché par terre peut très bien servir audit FERRAND pour
faire manger à son bétail; et sur le bout du confront dudit jardin, nous
avons vu et compté dix huit pieds dudit blé d'ESPAGNE aussy mangés que
nous croyons que les boeufs dudit FONTEBRIDE ont pris en arrivant au bout
de (ses ) règes." Enfin
il fallait bien que le Juge aille également constater le déplacement des
barres formant passage dans la clôture et surtout, selon la plainte reçue,
le "dommage affreux" subi par FERRAN. C'est ce qu'il fait, mais sur le dernier point, sa description est remarquablement sobre : "
il nous a paru, dit-il, quelques traces des pieds d'un boeuf ou d'une
vache..." Il n'en a pas vu davantage; mais c'est néanmoins désormais une affaire qui marche. Dans l'après-midi du même jour, on entend déjà les cinq premiers témoins. Anne CAZADE, 30 ans, a bien vu le valet du meunier ensemencer la parcelle : "et
à même qu'il poussait ses boeufs vers les limites quy sont entre luy et
le jardin dudit FERRAND, elle vit que lesdits boeufs, en se retournant
pour prendre une autre rège, prirent une bouchée de blé
d'ESPAGNE.." Le petit Bernard VIDAL, 13 ans, ne se souvient plus trop ; "Lundy
ou Mardy dernier, (car il) n'est (pas) autrement ménoratif du
jour..." mais il a bien vu la même chose : "pendant
deux différentes fois qu'à mesure que lesdits boeufs arrivoient au bout
de la rège... ils prirent une bouchée du blé d'ESPAGNE.." Les
autres ont vu le pasteur du meunier faire entrer les boeufs de son maître
dans leur pré en abaissant une barre de la clôture plutôt que de leur
faire faire le tour par le chemin public. On reprendra ces auditions le 31 Octobre avec deux témoins supplémentaires qui n'apporteront pas grand chose de plus à cette importante affaire, sinon Jean THENEZE, dit MICAILLE, 50 ans, qui a vu un jour les boeufs du meunier traverser le pré de FERRAND : "sans
être conduits par personne... mais sans qu'ils causassent le moindre
dommage, du moins autant qu'il pût s'en apercevoir, avec d'autant plus de
raison que lesdits boeufs sortirent dudit pré tout de suite.." Ce
volumineux dossier d'instruction (une quinzaine de pages) est aussitôt
transmis au Procureur d'Office qui requiert, sans plus tarder "l'ajournement"
de FONTEBRIDE pour le 4 Novembre. Ainsi en est-il décidé. Effectivement,
le 4 Novembre, FONTEBRIDE se présente, mais il ne faut pas oublier la
première affaire, celle dans laquelle le même FONTEBRIDE est le
plaignant.. C'est au début de l'audience de ce même jour que l'on va désigner
les experts qui seront chargés d'évaluer les dégâts. Puis on fait comparaître FONTEBRIDE au titre de la seconde affaire, et on le fait asseoir sur la sellette : "Interrogé sy par malice ou bien à dessein il n'a pas livré ses mulets et cochons dans les millades, ou dernièrement dans les biens appartenants audit FERRAND Cadet ? "Répond
que ses mulets et cochons n'ont jamais esté dans les biens dudit FERRAND,
les ayant au contraire fait régulièrement garder, et en conséquences,
les bêtes susdites ne peuvent luy avoir causé aucun dommage" Et
les pages succèdent ainsi aux pages dans un interrogatoire dont il
ressort, du moins le dit-il, que FONTEBRIDE est blanc comme neige. A l'audience du 7 Novembre, les deux affaires sont encore évoquées. La première parce que les experts sont enfin là et vont prêter serment devant le Juge : "
la main levée, à DIEU, de bien et fidèlement procéder à l'estimation
du dommage..." et
cela fera encore deux grandes pages de procédure... Et la seconde parce
que FERRAND n'est pas content de n'avoir pas été convoqué à
l'interrogatoire de FONTEBRIDE. On l'apaisera en l'autorisant à en lever
une copie au greffe du Tribunal. Enfin, le 13 Novembre, les experts reviennent devant le Juge pour déposer leurs conclusions. Au terme de deux nouvelles pages de procédure, nous apprenons qu'ils se sont rendus sur le pré de FONTEBRIDE : "et
après l'avoir parcouru et mûrement examiné,... d'un accord mutuel et
moyennant leurs serments, (ils ont) estimé à la somme de cinq Livres et
demy les dommages causés à l'herbe dudit pré..." C'est
donc ainsi que se terminera la première affaire, la somme convenue
donnant une bonne idée de l'importance réelle du litige. encore faut-il
rappeler que les frais de justice s'élèveront au moins à dix fois cette
somme... Quant
à la seconde affaire, dans laquelle FERRAND s'était fait accusateur,
nous n'en connaîtrons pas l'issue. Passé le 7 Novembre, les archives du
Tribunal n'en font plus aucune mention. Il
est probable qu'elle a dû s'achever dans une transaction plus ou moins
imposée par des gens un peu plus raisonnables, mais aucune trace n'a pu
jusqu'ici en être retrouvée. En tout état de cause, il n'aura cependant
pas été possible d'éviter les frais de procédure déjà engagés, et
ceux-ci auront certainement été encore plus considérables que dans la
première affaire (transport de Justice, instruction plus longue, double
de témoins, etc..). Le
tout pour quelques pieds de maïs fourrager dans un jardin et le passage
d'une paire de boeufs dans un pré qu'il suffisait d'interdire. Ces
turbulences judiciaires auraient-elles un peu calmé notre FERRAND Cadet ?
Eh bien pas du tout.. A deux mois de là, il va, une fois encore s'engager
dans une mauvaise affaire. Une toute autre affaire d'ailleurs, mais le personnage n'est jamais à court d'imagination quand il s'agit de se mettre en situations contentieuses. |
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Un délit de chasse.
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Au
mois de Janvier 1766, il faisait très froid; réellement très froid...
Cela avait commencé le 28 Décembre précédent et vers le 12 Janvier, la
GARONNE était déjà entièrement prise, sous réserve d'un étroit canal
encombré de glaces flottantes; et ce froid devait se poursuivre sans
discontinuer, jusqu'au 7 Février suivant. La
terre, partout, était gelée, aucun travail extérieur n'était plus
possible. La nature était comme endormie et figée. Et que faisait Étienne
FERRAND Cadet en ce temps-là ? Eh bien, il chassait ! Activité
formellement prohibée car relevant du seul privilège du Seigneur. Un
privilège au surplus jalousement défendu et surveillé par le garde
chasse de la Dame Marianne MOINE CHANCLOU de BRUGNIAC, Veuve de Messire
Joseph DUROY, Premier Président Honoraire de la Cour des AIDES de
GUYENNE, Seigneuresse de NOAILLAN. Etienne
FERRAND chassait... Et pas au collet ou autre piège discret que
pratiquaient ici et là quelques pauvres bougres en mal de braconnage,
non, il chassait au fusil. Des coups de fusil qui, dans l'air glacé de la
campagne engourdie pouvaient s'entendre jusqu'au Château de NOAILLAN. La
chose se sut évidemment très vite, et il fut aisé de le surprendre. Le 9 Janvier 1766, le Garde Chasse seigneurial, accompagné du Sergent de la Juridiction se trouvait, comme par hasard du côté de PEYRBERNEDE : "
ils virent lever cinq perdrix, lesquelles allèrent dans le champ quy est
entre ledit lieu de PEYRBERNEDE et la TUILERIE. Ledit FERRAND qui se
trouva audit lieu avec un fusil ne les eût pas plutôt aperçues que
quand elles furent vis-à-vis de luy, (il) leur lacha un coup de fusil, et
il ramassa tout de suite celle qu'il tua. Et ayant dans l'instant aperçu
ledit Garde Chasse quy alloit vers luy, il prit la fuite et se réfugia
dans sa maison audit lieu de PEYREBERNEDE." Le Garde Chasse fait évidemment son rapport et adresse son Procès Verbal au Procureur d'Office de NOAILLAN, lequel saisit le Juge d'une plainte : "comme c'est une contravention formelle(aux) Ordonnances Royales et Arrêts de Règlement de la Cour rendus (sur ce sujet) quy mérite une punition exemplaire.." |
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Le procès qui s'en suit.
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Et
le Juge décide de l'ouverture d'une information criminelle le 13 Janvier
1766. L'affaire est rondement menée. Dans la journée du lendemain, la
Cour entend quatre témoins. Le premier Guillaume VILLETORTE a bien vu FERRAND : "avec
son fusil duquel il tira un coup vers le CIRON, sans (qu'il) ait pourtant
vu la prise qu'il fit à raison du coup qu'il tira..." Mais le lendemain, il : "vit
aussy que (FERRAND) avait un fusil sous son bras et qu'il alloit vers le
CIRON..." Il ajoute encore : "l'avoir
vu, les vendanges dernières avec son fusil, qui parcourait son
bien.." Il
apparaît donc, à l'évidence, que cette affaire ne constitue pas un cas
isolé, mais que FERRAN chassait ouvertement au mépris de toutes les
interdictions. Le second témoin a entendu le coup de fusil mais n'a pas
vu qui le tirait, par contre, il a bien vu FERRAND, avec son fusil, "en
se retirant dans sa maison". Les
deux derniers ne sont autres que le Garde Chasse, Jean LAPEYRE, dit
DROULIN, et Jean SORE, le Sergent de la Juridiction. Ils rapportent
l'affaire avec plus de détail. (
137 ) Étant
tout près de PEYREBERNEDE, ils ont fait lever cinq perdrix, puis aussitôt
après, trois autres, qui, en s'élevant, passèrent toutes par dessus la
maison du dénommé MONNOT. En s'avançant pour situer la "remise"
où ce gibier avait bien pu se poser, SORE entendit un coup de fusil, sans
voir qui le tirait, mais en s'avançant de quelques pas, il aperçut
FERRAND se précipitant vers cette remise "pour ramasser une
perdrix ou voir s'il l'avait manquée". Mais LAPEYRE, mieux placé, a vu FERRAND tirer le coup de feu : "sur
lequel coup il courut, et (il) vit qu'il ramassa une perdrix, et comme il
s'approchoit dudit FERRAN, celuy-ci prit la course et se réfugia chez luy..." Les faits sont avérés, et sans plus tarder, dès le même 14 Janvier, la Cour décide que FERRAND Cadet sera : "décrété
de prise de corps, pris et saisi, et conduit sous bonne et sûre garde
dans la prison de la présente juridiction pour (y) répondre, défendre
et fournir à droit sur lesdites charges..." Et
une fois encore, le dossier s'arrête là. Pourtant, les documents du
Tribunal existent, sans lacune apparente. Alors, que s'est-il passé ? Lorsqu'un
décret de prise de corps était lancé, il n'était pas facile d'y échapper,
sauf à quitter le pays au plus vite pour aller refaire sa vie dans une
ville éloignée où l'on serait à l'abri des recherches. Tous les biens
du fuyard étaient alors saisis. En
milieu rural, la chose était plutôt rare, et en tout cas ce ne peut être
l'hypothèse que l'on pourrait retenir ici car FERRAND est bel et bien
resté chez lui où nous le retrouverons quelques semaines plus tard. On
trouve de nombreux cas de transaction sur des procès en cours, et on a
bien l'impression que, devant les Cours Seigneuriales, bien des choses étaient
négociables avec l'accord des parties en présence. Mais ici, c'est de
l'intérêt du Seigneur qu'il s'agit et d'une infraction d'ordre public. Un
délit de chasse aussi caractérisé, commis par un manant relativement
fortuné pouvait se voir sanctionné d'une amende de 100 Livres, des décisions
comparables en font foi. On ne voit surtout pas très bien comment ces Officiers de Justice ont pu se déjuger en abandonnant des poursuites qu'ils avaient eux-mêmes engagées sur des preuves certaines, sans créer dans la paroisse un très fâcheux précédent. |
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On ne saura pas comment l'affaire s'est terminée.
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comparution
sur la sellette, et encore moins de sa condamnation. Nous n'en saurons
malheureusement pas davantage. Trois
mois après cette affaire, nous retrouvons FERRAND tranquillement installé
chez lui sans qu'il soit plus question d'une quelconque contrainte qui pèserait
sur lui. Le
27 Avril, il reçoit 300 Livres des mains d'un débiteur de son défunt
Beau Père, une vieille créance remontant à 1757, qu'il encaisse au nom
de sa femme. La
chose en soi serait de peu d'intérêt, mais elle apporte néanmoins deux
informations. La première, est la confirmation du rôle que son Beau Père
LAPIERRE avait tenu dans le pays. On voit ainsi ressortir périodiquement
des créances non négligeables de 150 à 300 Livres établies à son
profit depuis une dizaine d'années. Il
n'est pas douteux que, au moins dans les derniers temps de sa vie, cet
homme avait prêté pas mal d'argent autour de lui. La seconde information
est d'une toute autre nature, mais elle est précieuse. |
||||
Ferrand Cadet redevient meunier.
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Lors
de la restitution de cette somme, le 27 Avril, FERRAND Cadet est dit "marchand",
et habitant à NOAILLAN. Le
fait ne saurait être contesté. Or,
le 4 Juin suivant, lors de la naissance de sa fille Marie, il est devenu
meunier et est installé au moulin de VILLANDRAUT. Et le fait n'est pas
davantage contestable. Cette
petite Marie, son Aînée, est née à VILLANDRAUT et y a été baptisée,
son Père y étant meunier. Et à partir de ce moment-là, FERRAND sera
effectivement systématiquement domicilié au moulin de VILLANDRAUT. Il
faut donc que son changement d'état et de domicile se soit situé entre
les 27 Avril et 4 Juin 1766. Il
est néanmoins bien singulier que la prise en charge de ce moulin n'ait
strictement laissé aucune trace d'aucune sorte. En l'état actuel de nos
connaissances, il nous est impossible de dire à quel titre FERRAND a pris
cette charge. A-t-il
souscrit un bail à ferme auprès du Comte de PONS ? C'est
bien peu probable, et nous verrons pourquoi tout à l'heure. Aucun acte ne
figure en tous cas dans les minutes d'aucun Notaire des environs et les
services de l'Enregistrement n'ont pas vu davantage passer de contrat
pendant cette période, ni avant, ni après. A-t-il
repris la sous-ferme d'un bail en cours souscrit par un tiers depuis déjà
un certain temps ? Ce serait beaucoup plus vraisemblable, mais il ne
l'aurait néanmoins certainement pas fait sans qu'un acte notarié soit
venu préciser les conditions de cette reprise. Nous
disposons de nombreux documents réglant ce genre de transaction, ils sont
tous bâtis sur le même modèle, très détaillés et rigoureux dans leur
rédaction, notamment dans la description de l'état des lieux (épaisseur
des meules, état des divers mécanismes, des toitures, etc...). Ici,
rien. Nous savons incidemment, par un contrat du 27 Janvier 1766, qu'au début
de cette même année, le meunier du moulin de VILLANDRAUT était un
certain Guillaume LARRUE. Mais ce renseignement est inexploitable car
entre ce 27 Janvier et le 4 Juin, il a pu se passer bien des choses. Son
bail a pu arriver à son terme normal ouvrant le recours à une nouvelle
adjudication, ou bien il a pu tomber malade et chercher un sous-fermier
capable de poursuivre l'exploitation de sa ferme, ou bien encore enlever
lui-même l'adjudication d'un moulin plus important vers lequel il aurait
transféré son activité en cherchant ici encore un sous-fermier pour
terminer le temps restant à courir sur son bail de VILLANDRAUT. Autant
d'hypothèses parfaitement plausibles et que l'expérience révèle un peu
partout, selon les circonstances dans les divers moulins de la région.
Mais laquelle est la bonne ? Et surtout cette absence de texte pose un réel
problème qu'en l'état des connaissances actuelles, nous n'avons pas su résoudre. Toujours
est-il qu'il n'est pas douteux qu'à partir du début Juin 1766, FERRAND
Cadet est bel et bien meunier au moulin de VILLANDRAUT et qu'il y habite
avec sa famille. On pourrait penser que ce nouveau statut social le mettrait à l'abri des turbulences qu'il avait connues jusqu'ici. Il n'en est rien. Etienne FERRAND semble ne manquer aucune occasion de susciter des "affaires" sous chacun de ses pas. Il faut dire aussi qu'il était en cela bien aidé par son entourage, toujours prêt à engager un procès sur le moindre incident plutôt que de rechercher une solution amiable. C'était, il faut le dire, un vice du temps, et FERRAND Cadet était bien loin d'être seul responsable. |
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Toute une affaire pour une plaisanterie après boire.
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Il
y a environ deux mois qu'il vient de s'installer à VILLANDRAUT, lorsqu'il
doit reprendre la chemin du Tribunal de NOAILLAN pour y répondre à une
plainte que Raymond LAFON a déposé contre lui. Laissons LAFON raconter
sa version des faits, mais disons bien "sa version", car
l'enquête qui suivra apportera quelques précisions et corrections intéressantes. Raymond LAFON habite au Bourg de VILLANDRAUT où il est établi Maître Cordonnier. Il nous expose : "qu'étant
allé le vingt du présent mois de Juillet, jour de Dimanche, au lieu de
LEOGEATS (pour) y porter des souliers, (et) se retirant chez luy, ... à
VILLANDRAUT, environ sur (les) huit heures du soir, étant arrivé (au)
Bourg (de NOAILLAN), et étant sur le grand chemin royal vis-à-vis (de)
la maison de Jean Baptiste DUPRAT, Hôte (de ce) Bourg, Etienne FERRAND
Cadet, munier, habitant de la Paroisse (de) VILLANDRAUT, quy estoit devant
la porte de la mayson dudit Baptiste DUPRAT, l'ayant aperçu, le pria de
vouloir l'attendre, luy disant qu'il vouloit se retirer (à) VILLANDRAUT
avec luy. (LAFON) ayant acquiescé... s'approcha jusqu'au devant de la
porte de la mayson (de) Baptiste DUPRAT pour y joindre ledit FERRAND. Il
n'y fût pas sitôt arrivé..(que) FERRAND, sans cauze ny raison, courut
sur (LAFON), tenant un gros fouet de cheval en main, duquel fouet il en
donna de toute sa force plusieurs coups sur le corps de (LAFON) , et
notamment sur son visage..." De
tout cela, LAFON, forma une plainte qu'il déposa deux jours plus tard, le
22 Juillet auprès du Juge de NOAILLAN. Notons bien ce délai, il avait eu
le temps de réfléchir... La
procédure d'enquête s'enclencha selon le processus que nous connaissons
bien désormais et dans le détail duquel nous n'entrerons pas. Mais
nous fondant sur les témoignages précis et concordants des personnes
interrogées, nous pourrons reconstituer l'affaire en des termes assez
sensiblement différents de ceux rapportés par la victime. Tout
d'abord, LAFON ne se trouvait pas là tout à fait par hasard. S'il
revenait bien de quelque part, et pourquoi pas de LEOGEATS, puisqu'il le
dit, ce n'était pas à 20 heures, mais bien à 16 heures. Délaissant
son cheval à l'extérieur, il était entré dans l'auberge de Jean
Baptiste DUPRAT. Et là, en compagnie d'Etienne FERRAND et de quelques
autres, il avait passé quatre heures à boire avec la compagnie. Vers
20 heures, d'un commun accord FERRAND, le Fils de JANOTTE de BORDES, qui
était de PRECHAC, et lui-même, estimèrent qu'il était temps de
regagner leurs domiciles respectifs. Tout
naturellement, les trois compères décidèrent de faire route ensemble
jusqu'à VILLANDRAUT, sur le tronc commun de leur itinéraire. FERRAND et
le Fils de JANOTE furent en selle les premiers. Ils tenaient chacun un
fouet en main et s'amusaient à les faire claquer. LAFON,
qui n'avait pas fini de brider son cheval, leur demanda de l'attendre, ce
qu'il firent, mais en manifestant un peu d'impatience. " Aouance-té
" (dépèche-toi) lui dit FERRAND en appliquant un coup de fouet
au cheval de LAFO'N. Lequel
LAFON réagit en lui disant : " Je n'ai pas peur de toi. . !
" Et se tournant vers le jeune fils de l'aubergiste qui contemplait
la scène, il lui dit va me chercher une" haoussine" (une
baguette), ce que le gamin fit aussitôt. Et
dès qu'il eût cette baguette en main, LAFON en donna plusieurs coups sur
la croupe du cheval de FERRAND, lequel, réagissant à son tour, envoya un
coup de son fouet en direction du cheval de LAFON. Et là, coup malheureux
ou intention malicieuse, LAFON fut atteint au visage d'une marque
sanglante. On
s'empressa tout aussitôt auprès de lui, et Jean SARAUTE, dit MAROT, témoin
de la scène lui appliqua une feuille de tabac sur la blessure, remède
souverain, semble-t-il, pour en arrêter le sang. Après quoi, les trois hommes remontèrent en selle, burent un dernier verre ensemble et partirent de concert en direction de VILLANDRAUT. Aucun témoin n'y a vu de drame. Marie LUCBERT a : "alors
compris que c'estoit entre eux un badinage." tandis que Marguerite DUPRAT a vu : "qu'ils
burent ensemble et se retirèrent en riant l'un et l'autre..." En
bref, il n'y a eu là qu'une lourde plaisanterie entre gens plus ou moins
avinés et probablement plus que moins, après quatre heures de libations,
plaisanterie qui s'est terminée sur un coup malheureux. L'affaire
aurait pu en rester là. Mais nous avons vu que deux jours plus tard, après
réflexion, et peut-être conseillé par quelque bonne âme, LAFON se décida
à porter plainte auprès du Juge de NOAILLAN. Plainte
qu'il appuya d'un certificat médical délivré par Pierre CAZENAVE, Maître
Chirurgien Juré à NOAILLLANS. Et
l'affaire suivit dés lors son cours, mais cette fois-ci avec une sage
lenteur. Les premiers témoignages sont recueillis dès le 24 Juillet,
d'autres n'interviendront que le 9 août, le Décret d'ajournement de
FERRAND ne sera pris que le 27 Août; on sent bien que la justice traîne
ici les pieds. Enfin,
ce n'est que le 18 Novembre suivant que FERRAND Cadet prit place, une fois
encore, sur la sellette, pour s'expliquer devant la Cour. Du moins cette
fois-ci comparaissait-il en qualité de prévenu libre. A
noter dans son interrogatoire un détail qui pourrait être intéressant.
Sur demande du Juge, il se dit "munier de vacation", ce
qui peut suggérer une sorte de situation provisoire d'intérim. Ceci
expliquant peut-être l'absence de tout contrat que nous avons signalé
lors de son entrée en fonction au moulin de VILLANDRAUT. Toujours est-il
qu'il s'agirait d'un intérim durable puisqu'il n'est pas douteux qu'il
vit effectivement, nous l'avons déjà dit, dans ce moulin, avec sa
famille depuis au moins six mois et pour longtemps encore. Pour
en terminer avec cette affaire, nous dirons que la version exposée par
FERRAND concordait bien avec celle rapportée par les différents témoins,
beaucoup mieux en tous cas que celle de LAFON. Et
ici encore, la conclusion fera défaut, ce qui devient une habitude ; mais
il semble bien que l'on se soit acheminé vers un non-lieu. Etienne FERRAND ne saurait oublier le chemin du Tribunal, un chemin qu'il pratique avec tant d'assiduité. |
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Pourquoi faire simple
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A
la mi-1757, il poursuivait en justice la famille CLAVERIE en la personne
du Père Pierre dit PIERROUTET, et de son fils Antoine. Tous deux
habitaient au Quartier de PRUOUAILLET, sur la Paroisse de VILLANDRAUT. Le
19 Août, FERRAND gagnait son procès pour un montant de 131 Livres intérêts
compris. Mais
ce n'est pas en cela que réside l'intérêt de l'histoire; cet intérêt
est dans le mode de règlement de l'affaire, un an plus tard, ce qui va
nous obliger à nous livrer à une petite anticipation. Ce
règlement va nous fournir un bon exemple de ces situations croisées
complexes dans lesquelles se complaisaient nos Ancêtres et qui, bien
souvent, alimentaient de nouveaux et interminables litiges. Le
Père CLAVERIE n'a pas un sou vaillant; mais il détient une créance sur
un tiers que sa Belle Fille a apporté en dot lors de son mariage. Cette
créance, sur un certain Bernard DEPRAT, laboureur au Quartier de PRAT, s'élève
à 150 Livres plus les intérêts qui n'ont pas été payés, soit 168
Livres au total. Le
22 Septembre 1768, CLAVERIE va la remettre à Etienne FERRAND en règlement
des 131 Livres qu'il lui doit, et FERRAND va en quelque sorte lui rendre
la monnaie en lui restituant en argent liquide les 37 Livres constituant
la différence entre les deux sommes. Mais
ce n'est pas tout, car si FERRAND est bien désintéressé, c'est la Belle
Fille de CLAVERIE qui en a fait les frais en voyant s'envoler une partie
de sa dot... Qu'à cela ne tienne, son Beau Père, dans le même acte, lui
consent en garantie une hypothèque sur deux pièces de terre, à CASAOU
et au PALOUMEY. Que
l'on n'aille surtout pas croire qu'il s'agit là d'un cas limite. Ce genre
d'arrangement est courant. D'ailleurs, dans le même temps, Etienne
FERRAND est en train d'en parachever un autre tout aussi compliqué avec
un sabotier de NOAILLAN. Ici,
il s'agit d'une créance (encore une autre) que sa femme Marie avait reçue
dans la succession de son Père Pierre LAPIERRE. Cette
créance, déjà ancienne, remontait au 12 Juin 1748, date à laquelle
Pierre LAPIERRE avait prêté 150 Livres à un certain Jean DILON,
sabotier de son état. Et bien entendu, DILON n'avait pas le premier sol
pour rembourser sa dette. FERRAND
commence par se montrer grand seigneur en acceptant un "relâchement",
c'est à dire une remise de dette, sur les 150 Livres dues. Il se
contentera d'une restitution de 120 Livres et on ne parlera plus des intérêts.
Mais ces 120 Livres, DILON ne les a pas non plus. Alors
on cherche un tiers qui sera Mathieu SOUBES, le forgeron de NOAILLAN,
auquel DILON vend un pré également estimé à 120 Livres à dire
d'expert, le 13 Août 1765. Et au lieu d'en encaisser le prix, DILON
charge l'acheteur de le régler à Etienne FERRAND, mais pas tout de suite
car SOUBES n'a pas non plus cet argent... Il
s'engage à le payer dans les trois ans à venir avec l'intérêt d'usage
(5%). L'ensemble
de l'opération ne sera finalement liquidée que le 26 Avril 1768 lorsque
SOUBES finira de s'acquitter entre les mains de FERRAND des 120 Livres
majorées de 16 Livres d'intérêts échus. Ainsi
donc, peu à peu, de façon simple ou compliquée, FERRAND récupère le
montant de ses créances et de celles de sa femme. Il commence à acheter
quelques terres. Le
8 Septembre 1763, pour la somme de 160 Livres qu'il paye comptant en espèces
d'argent, il achète un petit pré et une parcelle de jeunes pins
partiellement enclavés dans les biens de sa femme. |
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L'ouragan de Notre Dame (8 septembre 1763)
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Cet
acte est passé en l'Etude du notaire de NOAILLAN, au matin de ce 8
Septembre qui devait devenir un jour mémorable entre tous et dont on
devait parler au moins jusqu'à la fin du siècle et même au-delà. Il
restera en effet dans l'histoire sous
le nom d'ouragan de Notre Dame car il survint le jour de la fête de la
Nativité de la Vierge Marie. Personne,
en cette fin de matinée, ne pouvait se douter de ce qui allait se passer
avant la fin du jour. Dans
le courant de l'après midi, le ciel s'était chargé de nuées menaçantes.
Vers
l'ouest, il devenait de plus en plus sombre; puis il devint d'un noir
d'encre et les ténèbres envahirent toute la terre. Sur
les cinq heures du soir, se déclencha un formidable ouragan comme, de mémoire
d'homme, on n'avait jamais connu. D'heure
en heure, le vent semblait redoubler de force, les arbres que l'on pouvait
apercevoir s'abattaient par dizaines (en fait, dans les jours qui
suivirent, on se rendit compte que dans tout le pays ce fut par milliers
qu'ils avaient été déracinés ou vrillés), les toitures s'envolaient,
les cheminées tombaient... Un véritable cataclysme, une vision de fin de
monde. Le
phénomène se prolongea pendant presque toute la nuit suivante pour
retrouver le niveau d'une tempête "normale" vers les trois
heures du matin et s'apaiser enfin progressivement à partir du lever du
jour. Il
ne restait plus qu'à mesurer les dégâts, et ils étaient immenses.
Outre les bois et les bâtiments dévastés, toutes les récoltes non
encore .. rentrées étaient détruites la vendange, la millade, le maïs,
les pommes et autres fruits pendants, etc... De
tout cela, il ne restait rien. Les témoignages sont nombreux dans la région,
et tous ces témoins signalent de façon insistante un phénomène
difficilement explicable mais qui semble bien réel, celui d'une brûlure
par le sel. Les
observations qui nous sont rapportées traduisent les faits chacune à
leur manière, mais toujours de façon concordante, et la dispersion géographique
de ces témoignages exclut pratiquement, du moins à l'époque, une
quelconque influence réciproque. Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, a vu : "
la majeure partie des arbres chênes, brûles (ce sont les peupliers),
ormeaux, vergnes (ce sont les aulnes),
arbres fruitiers, pignadas et de toutes autres espèces brisés, déracinés,
les millades en entier toutes brûlées, brisées et déracinées, les
chanvres aussi brûlés et déracinés, les vignes aussi brûlées, tout
l'échalas brisé (il s'agit des supports de la vigne)
et renversé, en sorte qu'il n'y a nulle feuille verte et que tout parois
mort comme dans le coeur de l'hyver... (et pour les millades) il nous est
apparu ... que la fumée saline que le vent de cet origan avoit répandu
partout avoit brûlé et séché le grain et la paille qui n'estoient
(pas) encore en leur maturité, que cette même fumée avoit brûlé les
feuilles, bois et raisin aux vignes..." Le Curé d'ORIGNE est nettement moins prolixe, mais son témoignage est parfaitement concordant, il note que l'ouragan fut : "
si furieux qu'il déracina une quantité prodigieuse d'arbres et de pins
et brûla toute la récolte de la millade" . Bien plus loin, le Curé de POUSSIGNAC en LOT et GARONNE rapporte également que : "vingt
quatre heures après, toutes sortes de feuillages ont été grillés comme
si le feu y eut passé.." Me LAFARGUE Notaire à LANGON écrivant un peu plus tard expose que : "les
raisins furent dégainés et jonchés dans les règes (et que).. ce qu'on
ramassa sous les vignes, et même ce qu'on coupa sur les ceps avoit
contracté un goût de salure qui donna à cette récolte une réputation
peu avantageuse." Le Curé de FARGUES ne dit pas autre chose, mais il élargit son propos aux dimensions régionales en ajoutant : "il
y eut beaucoup d'avaries sur mer du côté de BAYONNE, des vaisseau perdus
en pleine mer, le clocher de St MICHEL tomba, les cloches furent écrasées
par les ruines en sorte qu'on ne vit rien de plus terrible..." Et il termine sa note en ajoutant "Ad perpetuam rei memoria, (A la mémoire perpétuelle de la chose). |
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Ferrand Cadet se lance dans une politique
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A
partir de ce moment-là, et pour quelques années, nous allons voir Étienne
poursuivre une politique systématique d'achats fonciers. Il ne s'agit
jamais de très grosses opérations, mais plutôt de petites acquisitions
portant souvent sur des parcelles contiguës aux biens de sa femme à
NOAILLAN. Sans
entrer dans trop de détail, nous pourrons ainsi signaler : -l'achat
d'un bout de lande touchant le Ruisseau de l'OMBREY à NOAILLAN le 8 mars
1759, pour 24 Livres ; il ne devait pas être bien grand, mais il touche
un bien familial sur deux de ses côtés. -l'achat
d'une pièce de taillis un peu plus conséquente, mais toujours modeste au
lieu-dit JOUANDIN, près du Quartier de LAULAN, toujours à NOAILLAN pour
60 Livres ; ici encore, deux côtés de la parcelle sont mitoyens avec un
bien déjà acquis. -l'achat
du tiers d'une vergnère située entre le CIRON et le Ruisseau de l'OMBREY
le 1er janvier 1771, pour 13 Livres; ce doit être une toute petite
parcelle, mais elle le touche sur l'une de ses limites. -et
moins de quatre mois plus tard, le 21 Avril, l'achat d'une autre vergnère
au même endroit pour 27 Livres. Puis,
l'année suivante, en 1772, par trois fois en l'espace d'un mois, il procède
à des acquisitions un peu plus importantes: -le
22 mars, une vergnère pour 144 Livres au lieu-dit du BARTOT, près du
Quartier de la FOURNIERE à NOAILLAN ; -le
24 Mars, une pièce de bois taillis aux JOUANDINS, près du Quartier de
LAULAN, pour 40 Livres ; -le
23 Avril, 8 planches de jardin chènevier au Quartier de POUCHEOU, très
exactement à la HOUN de LAMOTHE, presqu'entièrement enclavées dans les
biens de sa femme, pour la somme de 250 Livres. Ces
quelques exemples suffiront à définir un nouveau profil de FERRAND
Cadet. Meunier au moulin de VILLANDRAUT, il ne néglige pas pour autant
son ancien état de laboureur. Entre temps, le couple a vu naître un
second enfant, un garçon, André, né au moulin de VILLANDRAUT la veille
de Noêl 1769. FERRAND Cadet semble avoir un peu oublié le chemin du Tribunal. Mais pas pour longtemps, car il va bientôt le retrouver pour une affaire de chemin et de passage. |
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L'aygat Dous Rameous et ses conséquences locales.
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Cette
affaire est très liée à la crue dévastatrice de la GARONNE du 7 Avril
1770 qui cet restée dans l'histoire sous le non de "l'AYGAT DOUS
RAMEOUS" (la crue des Rameaux). Ce
n'est pas ici le lieu de décrire le détail de cette catastrophe, mais il
suffira de rappeler que dans la nuit du 6 au 7 Avril de cette veille des
Rameaux, le fleuve atteignit la côte de 13 m, 64 au pied de l'Eglise St
GERVAIS de LANGON. Pendant
longtemps, la crue de Février 1618, avec 10 m 07 avait servi de référence
aux plus grands excès de la GARONNE puis, était venue la crue de 1712,
avec 12m, 02, et l'on avait alors pensé avoir vu là une côte maximale
absolue. C'était
mal connaître le fleuve, 'l'Aygat" de 1770 balaya tout cela ;
et depuis lors, cette côte n'a jamais plus été atteinte, même, et de
très loin, en 1930 qui sert toujours pour nous de référence aux crues
des temps modernes. Les dégâts furent partout considérables ; à titre
de simple exemple, on recensa 309 maisons écroulées à LANGON. Grossi
par les pluies diluviennes qui s'étaient abattues sur tout le pays au fil
des dernières semaines, le CIRON avait largement débordé. Or,
rencontrant à son embouchure un "mur" d'eau de 12 à 13
mètres de haut, et faute de pouvoir s'écouler, il se répandit à son
tour dans sa propre vallée très au-delà des limites habituelles de ses
débordements. Ceci lui permit d'atteindre des zones mal drainées qui n'étaient
pas préparées à recevoir autant d'eau, ni surtout, par la suite, à les
évacuer. Des
mois après la crue, des points bas étaient encore inondés tout au long
de la vallée, des chemins creux transformés en bourbier étaient encore
impraticables. Il ne faut surtout pas perdre cette situation de vue car
FERRAND Cadet n'y fera aucune allusion dans le litige qui va l'opposer à
sa voisine, feignait de croire que le mauvais état du chemin de POUCHEOU
est uniquement imputable au mauvais vouloir de Marie LAPIERRE, une proche
parente de sa femme. Six semaines à peine après le plus fort de la crue, le 13 Juin 1770, FERRAND adresse une sommation à sa voisine, lui disant : "qu'il y a eu de tous temps un chemin public... (qui) conduit par un bout au gué du fleuve du CIRON appelé au GAND BOSC, ... et de l'autre vers le lieu des NOUGUEYRASSES, droit au village de la SAUB0TE où il va se perdre et se joindre au grand chemin qui conduit à LANGON et ailleurs... Duquel
dit chemin il a toujours été libre à un chacun de se servir, même à
tous charretiers et voituriers d'au-delà du CIRON qui avoient des denrées
ou autres marchandises à transporter soit à LANGON soit ailleurs. Les
propriétaires et possesseurs de la métairie de POUCHEOU,.. aujourd'huy
appartenante ( à FERRAND ) par devant laquelle, au midy, (et) droit au
levant ledit chemin est tracé, s'en servoient également pour retirer les
bruyères et oeuvres (il s'agit de bois de chauffage)
qu'ils avoient au-delà dudit fleuve du CIRON jusqu'à ce qu'il plut à
ladite LAPIERRE de rendre ledit chemin absolument impraticable... le long
de ses possessions audit lieu appelé POUCHEOU par la négligence à
retirer ou détourner les eaux qui entrent audit lieu dans ledit chemin,
et qu'elle y laisse malicieusement croupir au lieu de les conduire et évacuer
par les fossés anciens comblés de sorte que FERRAND a un besoin pressant
dudit chemin, n'en ayant pas d'autre pour retirer les denrées de sa métairie
qui sont au-delà du CIRON.Il a souvent prié et requis verbalement Marie
LAPIERRE de vouloir réparer ledit chemin au susdit endroit, ce qu'elle a
toujours constamment refusé de faire..." En
bref, FERRAND met sa voisine en demeure de restaurer le chemin ou de
l'autoriser à empiéter sur son bien à la hauteur du passage
impraticable. Il
est bien possible, et peut-être même probable, que Marie LAPIERRE n'ait
pas déployé tout le zèle nécessaire au dégagement des fossés et à
l'entretien du chemin. Mais de là à passer complètement sous silence le
phénomène exceptionnel de l'inondation, lequel vient juste de se
produire, et même à prêter une intention malicieuse à sa voisine, il y
a incontestablement un large pas à franchir. FERRAND
n'hésite pas à le faire. Un mois plus tard, le 20 Juillet il adressera
à Marie LAPIERRE un exploit d'assignation, et l'affaire viendra à
l'audience du 20 Juillet 1770. Marie LAPIERRE ne s'y présentera pas, pas
plus que les 4 et 11 Août. A
l'audience du 22 Septembre, il sera question "d'écritures
fournies" sans autres précisions, avec renvoi à l'audience
suivante. et il ne sera plus question de cette affaire... Peut-être Marie LAPIERRE est-elle utilement intervenue dans l'intervalle, à moins que les chaleurs de l'été n'ait tout simplement provoqué l'évaporation de la mare litigieuse et réglé le problème... |
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Une mauvaise affaire pour pas grand chose.
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Pendant
que cette affaire se plaidait à NOAILLAN, FERRAND Cadet en avait une
autre sur les bras devant la Cour de VILLANDRAUT ; mais là, c'est lui qui
était poursuivi. L'incident
remontait à l'été de 1769. Dans les derniers jours de Juin, les
bestiaux du moulin s'étaient évadés et étaient allés vagabonder dans
une parcelle récemment ensemencée en pins, et située dans le secteur
actuellement dénommé la VALLÉE du SILENCE. Circonstance
aggravante, cette parcelle appartenait au Seigneur... C'était un mauvais
cas. Dès
le 5 Juillet, des experts avaient été désignés par voie de Justice
pour déterminer les dégâts, lesquels, d'ailleurs, ne devaient guère être
considérables. FERRAND eut heureusement la chance de tomber sur des
experts raisonnables qui ne cherchèrent absolument pas à grossir
l'affaire. Ils
se rendirent sur place et constatèrent que sur trois journaux il y avait "
quelques pins naissants " mais ils admirent que cette situation
était évolutive, et qu'il allait encore pousser d'autres pins pendant
tout l'été. Certes, par le travers de la parcelle, il y avait bien trois
pistes tracées " par des pieds de chevaux et de boeufs ",
mais comment savoir si l'absence de pin en tel ou tel endroit était dû
au piétinement ou à une pousse tardive ? Ils décidèrent de revenir en
Septembre afin de mieux apprécier la situation, puis un peu plus tard,
pour finir par proposer une transaction très modeste dont le détail ne
nous est pas parvenu. FERRAND Cadet avait eu chaud, c'est une affaire qui
aurait pu lui coûter très cher... C'est
au début de l'hiver 1770, très précisément le 16 Décembre que le même
FERRAND Cadet mettra un point final aux différends qui l'opposaient à
son Frère Aîné depuis tantôt huit ans sur la succession de leur Père.
Nous
avons déjà conté cet épisode dans le Chapitre consacré à l'Aîné,
et n'y reviendrons donc pas. Mais c'est incontestablement une page
importante dans la vie du Cadet qui va désormais détenir en ses mains la
plénitude de ses moyens matériels. Ses
affaires marchent, certes, mais il lui faut toujours être vigilant car
les mauvais payeurs sont nombreux. Ainsi par exemple a-t-il livré 4
boisseaux de farine de seigle a Joseph PERROY entre le 20 Avril et le 22
Juin 1770, et des mois plus tard, il n'est toujours pas payé. Sur
les 53 Livres de la facture, il n'a reçu que 6 livres et 10 Sols, c'est
peu, il s'impatiente et finit par s'adresser au Juge de VILLANDRAUT qui,
au terme de plusieurs audiences, lui donnera raison dans un jugement du 15
Mai 1771 en y ajoutant 7 Livres 10 Sols et 9 deniers de dépens... Et
ceci n'est qu'un exemple car ce genre d'incident est fréquent en ces
temps difficiles. |
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L'émouvante détresse d'une pauvre veuve.
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Les petites gens, surtout, ont bien du mal à survivre, les veuves
surtout, car le travail féminin est très mal rémunéré, et les
familles en charge de trop nombreux jeunes enfants. Les témoignages abondent
sur ce point, mais nous n'en retiendrons qu'un seul, parce qu'il est émouvant
et très exactement contemporain des évènements que nous sommes en train
de relater. Jeanne
LOUVERIE habite à NOAILLAN, elle est veuve de Guillaume B0BUT, un tout
petit vigneron aux ressources bien modestes. Son mari est resté
grabataire pendant six ans avant de disparaître, la laissant avec deux
jeunes enfants en bas âge. Elle est pleine de courage, mais elle n'en peut plus et voit le moment où elle ne va plus faire face aux besoins de ses enfants. Elle ne voit plus d'autre issue que celle d'un remariage, un remariage de pure raison. Mais elle redoute les réactions de l'opinion publique; elle à peur que, dans le village, quelques mauvaises langues aillent colporter l'idée qu'elle est "agitée par la nature" alors qu'il s'agit de bien autre chose ... Et c'est ainsi que le 19 Mars 1772, elle va raconter son histoire à Me PERROY son Notaire, avant de lui exposer son projet de remariage : "
L'événement funeste (du décès de son mari) ne l'a point décontenancée
; sa confiance en la Providence l'a au contraire encouragée par amitié
pour ses enfants dans l'espoir de les mettre en état de gagner leur vie.
Elle a, pour y parvenir employé jusqu'à présent toutes ses forces, mais
la rigueur du temps, (la) cherté des denrées, sans nulle ressource pour
pourvoir à la suffisance des aliments pour elle et sa famille, (c'est) le
principal motif, elle n'en a (pas) d'autres, agités par la nature ny
autrement... pour passer un second mariage avec François LAPIERRE party
avantageux pour elle et dont ses enfants ressentiront des faveurs..." Le
milieu social dans lequel nous voyons évoluer les FERRAND depuis le début
de cette histoire et le niveau de vie qu'ils pratiquent correspondent à
un certain niveau d'aisance qui ne doit absolument pas nous faire oublier
la condition précaire de tout un petit peuple de journaliers et de
brassiers qui ont bien du mal à vivre, sinon même à survivre dés lors
que la nature se montre tant soit peu ingrate. C'est
bien d'ailleurs ce qui allait se produire au printemps 1773 ainsi que nous
allons le voir tout à l'heure. Mais ce même printemps allait marquer pour les FERRAND un tournant tout à fait notable. |
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Etienne Ferrand Cadet change de moulin.
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Voilà
que les Seigneurs de NOAILLAN remettent leurs trois moulins à
l'adjudication : le CASTAING, le BASCANS, et LEOGEATS. Ces mêmes trois
moulins dont Jean FERRAND, le Père d'Etienne Cadet a déjà été meunier
il y a maintenant une vingtaine d'années. Et
Etienne Cadet l'emporte; il entrera en possession de sa ferme le 20 Avril
1773 pour une durée de neuf années. Il
calquera très exactement sa conduite sur celle de son Père. Il gardera
pour lui le moulin du CASTAING où il établira son domicile, en y
retrouvant tous ses souvenirs de jeunesse; et en deux actes successifs, il
confirmera Guillaume LARRUE dans la sous-ferme qu'il détenait déjà du
précédent fermier sur le moulin du BASCANS, et il mettra en place un
nouveau sous-fermier à LEOGEATS en la personne d'un certain Pierre
LASSERRE qui était jusqu'à l'heure meunier à PREIGNAC. Ces
deux actes sont intéressants car ils révèlent un certain nombre
d'indications sur les relations commerciales à l'intérieur de la
profession. Ayant
reçu l'investiture de la ferme des mains de Madame la Présidente DUR0Y
et de son Fils, Etienne FERRAND Cadet rencontre Guillaume LARRUE le 8
Avril dans l'étude de Me PERROY. Il lui confirme son maintien dans les
lieux, mais il lui définit une zone de chalandise bien précise. LARRUE
ne pourra "quêter les grains" qu'au sud du ruisseau du
BASCANS, en direction du Bourg de NOAILLAN (lequel entre dans son
domaine), mais en aucun cas au nord, et surtout pas au Quartier de la
SAUB0TE, cette zone de démarchage étant expressément réservée au
moulin du CASTAING; Il est en outre prévu que si ce petit moulin venait à manquer d'eau, LARRUE : " pourra porter des grains à la concurrence de douze boisseaux par semaine (1236 litres) au grand moulin du CASTAING, où ledit FER.RAND promet et sera tenu de les luy laisser moudre à son tour en luy baillant demi droit de moulange, sans pouvoir faire moudre à d'autres moulins. En
cas de contravention de la part dudit ( s'il va) moudre ailleurs, ledit
FERRAND pourra, (sur) le nombre de boisseaux qu'il découvrira, prendre le
"poignérage" et droit entier sur le premier blé que LAIRRUE
portera au moulin du CASTAING...". II
était également prévu que, réciproquement, si le moulin du CASTAING se
trouvait engorgé par les eaux, FERRAN pourrait avoir recours aux service
du moulin du BASCANS, en partageant également les droits avec son
meunier. Le
prix de la sous-ferme était fixé à 250 Livres annuelles "et
deux paires de beaux canards". Ce problème étant ainsi réglé, FERRAND passa dès la semaine suivante au règlement de la situation de LEOGEATS. Le 14 Avril, il rencontra Pierre LASSERRE, son meunier pressenti, chez Jean LABAT, Aubergiste à VILLANDRAUT et arrêta avec lui des conditions identiques de réciprocité entre les deux exploitations. Quant à la zone de chalandise, il était précisé que LASSERRE s'interdirait : "d'aller
ny envoyer quêter des grains durant le temps de la présente ferme dans
ladite paroisse de NOAILLAN.". La
redevance annuelle était fixée à 450 Livres et deux paires de canards.
La différence de prix entre les deux sous-fermes venait de ce qu'il n'y
avait qu'uns seule meule au BASCANS pour deux à LEOGEATS. Il
restait à quitter le moulin de VILLANDRAUT, ce que FERRAND fit avec
autant de discrétion qu'il avait mis à y entrer puisque contrairement à
tous les usages, aucune trace de procès-verbal ou d'état des lieux n'a
pu être retrouvée jusqu'ici. En
tout état de cause, la chose se fit très vite car, le 14 Avril, FERRAND
était encore incontestablement domicilié à VILLANDRAUT, son contrat de
ferme au CASTAING prenant date au 20 Avril, et dés le 9 Mai suivant, dans
un contrat qu'il passe l'occasion d'un échange de parcelles à
PEYREBERNEDE, il est déjà installé "marchand meunier à
NOAILLAN" Cette installation se situe très précisément dans un moment particulièrement critique. |
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Les émeutes frumentaires de mai 1773 à Villandraut.
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Depuis
sept ans déjà, les récoltes céréalières étaient mauvaises. Et le
pire est peut-être encore que ces récoltes semblaient devenir de plus en
plus mauvaises au fur et à mesure que le temps passait. Dès la moisson
de 1772, encore plus déficitaire, s'il se pouvait, que les précédentes,
on sut que, de la misère, on allait immanquablement sombrer dans la
famine. Dès le 25 Juillet 1772, l'Intendant ESMANGARD écrivait à l'Abbé TERRAY, Contrôleur Général à VERSAILLES : "Les
froments ont été viciés dans presque toutes les contrées de cette
Province par l'intempérie des saisons ; ils sont maigres, charbonnés et
rendent très peu sous le fléau, de manière qu'on n'en évalue le
produit qu'à la moitié ou même le quart d'une année commune. On craint
fort que cette année ne soit dans cette Province encore plus misérable
que toutes celles qui l'ont précédée depuis longtemps." C'était
fort bien voir le problème. Et la situation était d'autant plus critique
qu'une très forte gelée printanière survenue le 21 Avril, avait détruit
tout espoir de fruits pour l'automne. Bien souvent, pourtant, au fil des
mauvaises années en céréales, ces fruits avaient permis de gagner du
temps à bien des pauvres gens, surtout les fruits que l'on savait peu ou
prou conserver, telles les pommes et les châtaignes. Ils
permettaient de préserver les maigres provisions de seigle des ménages
en vue de mieux passer les mois du grand hiver au cours desquels la nature
n'avait plus rien à leur offrir. Le
temps des récoltes venu, les pronostics les plus pessimistes se virent
confirmés. Céréales,
vin et fruits firent défaut. Chacun survécut comme il le put, plutôt
mal, avec des fèves et des haricots que l'on avait semés tardivement
dans la saison. L'Administration
Royale se donnait pourtant beaucoup de mal. Elle importait des blés par
terre et surtout par mer, parfois de très loin (de ROUEN, du HAVRE,
d'AMSTERDAM, et de même de DANTZIG) . Mais
hélas, d'où qu'ils viennent, leur qualité était médiocre sinon
parfois détestable. On importait aussi des fèves, nais quoi que l'on
fasse, la soudure avec la récolte suivante s'annonçait très difficile.
Bientôt, le bruit courut qu'il n'y avait plus de grain. Et la rumeur
s'enfla. Alors, dans une réaction parfaitement incontrôlée et
proprement suicidaire, les populations s'affolèrent, arrêtant tous
transports de céréales, empêchant la tenue des marchés, pillant les
greniers et, par ces désordres, rendant inextricable une situation qui était
déjà bien assez difficile. Une
émeute éclata à BORDEAUX le 8 Mai 1773, suivie le lendemain de pillages
de magasins et de maisons à LANGOIRAN et dans les environs ; des
embuscades navales sur la GARONNE arraisonnèrent et pillèrent des
bateaux chargés de grains et de farine. Et
pourtant, du grain, il y en avait encore. Pas beaucoup, certes, mais un
peu tout de même. Certainement
pas assez pour aller jusqu'à la soudure, mais assez pour approvisionner
chichement les marchés pour quelques temps encore. Or
il s'ouvre ici une polémique dans laquelle nous n'entrerons pas. Les négociants
prétendaient qu'il eût été dangereux de présenter ces grains sans
restriction sur les marchés jusqu'à épuisement des stocks et de se
retrouver ensuite avec six à huit semaines de pénurie totale. Le
bon peuple qui avait faim rétorquait que l'on stockait le grain dans les
greniers afin d'en entretenir la rareté et d'en faire monter
progressivement les cours. Il se pourrait bien qu'il y eût un peu de vrai
dans chacune des deux propositions. Le
11 Mai, l'émeute éclate à PODENSAC, et le lendemain mercredi 12, c'est
dans une atmosphère lourde et tendue que s'ouvrit le marché de
VILLANDRAUT. Il y avait là, alignées sur place, une soixantaine de
charrettes venues d'un peu partout, et en particulier de la Lande. Chacune
portait quelques sacs de grain, peu nombreux, et les bouviers se tenaient
à côté. Les
chalands passaient et repassaient, cherchant à se faire une idée des
quantités proposées et supputant le prix qui allait se pratiquer au
Moment de l'ouverture du cours qui, traditionnellement, était fixée à
onze heures. Nombre de bouviers n'avaient d'ailleurs pas des intentions
bien claires car ils avaient recouvert leurs quelques sacs avec la
provision de fourrage de leurs bœufs. C'était
le signe que, le moment venu, ils s'abstiendraient peut-être de proposer
leur marchandise si le prix n'atteignait pas le niveau de leurs prétentions.
Ce comportement spéculatif était contraire à tous les usages du marché.
Tous les témoins de ces évènements rapporteront par la suite ce qu'ils
avaient perçu de malsain dans cette situation. Depuis 9 heures, les gens
venus de toutes les paroisses avoisinantes et bien au-delà, rodaient
autour de ces charrettes. Une Budossaise dénommée MARIANE, sorte de passionaria avant la lettre, parcourait activement le marché en y prodiguant des déclarations fracassantes, disant à qui voulait l'entendre: "qu'ils
verroient quelque chose de joly à l'heure de marché ; que le jour précédent,
on avoit enlevé les blés à POUDENSAC et qu'on en ferait autant icy..." L'émeute éclata à 11 heures. Le dénommé NOAILLAN, qui était de LANDIRAS, s'approcha d'un chariot situé au milieu de la place et se mit à : "découvrir
ledit chariot des fourrages dont le bouvier estoit muni..., se chargea un
sac remply de grain qu'il emporta. " Dans le même instant, MARIANNE, la Budossaise, monta sur une autre charrette et : "de
ce moment le marché fut remply d'une populasse qui suivit le même
exemple et dans moins d'une demy (heure) ou trois quarts d'heure, tous les
grains quy estoient sur la plasse sur des chariots, quoiqu'au nombre d'une
soixantaine, furent enlevés." En
fait, la situation se révéla des plus confuses. Certains payèrent leur
seigle à raison de six Livres le boisseau, ce qui était un prix normal
pour un temps d'abondance, mais certainement pas pour un temps de pénurie.
D'autres
payèrent un boisseau et profitèrent de la confusion pour en emporter
trois ou quatre. La grande majorité enfin ne paya rien du tout et se
livra à un pillage pur et simple. Dans
l'après midi, la troupe des manifestants se reconstitua et se dirigea
vers l'auberge tenue par le dénommé PEYRAGUE. Celui-ci disposait d'un
vaste grenier qu'il louait habituellement à des négociants pour la
plupart landais, afin d'y entreposer leurs grains entre deux marchés. Le
pauvre homme, effrayé, s'était barricadé avec sa femme et refusait
d'ouvrir à quiconque. On
alla chercher des bancs dont on se servit comme bélier, sa porte n'y résista
pas. Il tenta bien de raisonner les émeutiers, mais en vain. Une véritable
foule envahit sa maison et se précipita dans l'escalier des greniers "qui
sont sur le corps de la maison". Il y avait là tant de monde que
l'on put craindre un moment que le plancher ne s'effondre. Ce
fut la curée... Une partie du grain, essentiellement du seigle, était en
vrac, et une autre en sacs. Ceux qui étaient assez forts s'emparaient
d'un sac et partaient "en l'emportant sur le col". Les
autres remplissaient ce qu'ils pouvaient, les femmes leur tablier dont
certains cédaient sous le poids, les hommes leur chapeau, les garçons
leur bonnet, les jeunes enfants leurs petits sabots, des paniers, des
petits sacs pour ceux qui avaient pu en trouver, et tout ce monde allait,
venait, se bousculait, se disputait, vociférait dans un désordre
absolument indescriptible. Ce
pillage dura plusieurs heures, jusqu'à ce que ces greniers soient entièrement
vidés. Mais
c'est alors que l'on s'avisa qu'il y avait encore un autre grenier, indépendants,
et auquel on ne pouvait accéder que par un petit chai attenant à la
cuisine de PEYRAGUE. Les
émeutiers voulurent entrer dans ce petit chai dont PEYRAGUE avait
soigneusement fermé la porte. Il voulut s'interposer, mal lui en prit, il
reçut un magistral coup de poing au-dessus de l'oeil dont il fut tout
ensanglanté. C'est le dénommé BONNEVILLE, de la paroisse de BOMMES, qui menait cet assaut. Il se saisit de la barre de fer du foyer. La femme de PEYRAGUE voulut la récupérer, elle fut repoussée sans ménagement : "
Chienne ! Bougresse ! Putain ! tu retiens les grains pour faire mourir les
gens de la campaigne !.." Et
à grands coups de barre cette porte fut à son tour enfoncée, donnant
accès à un autre escalier conduisant à un autre grenier. Là, le grain
était en sac et l'on organisa une sorte de chaîne pour le conduire
jusqu'à la fenêtre en face de la maison de Martin TREVET. Au
pied de la fenêtre se tenait une charrette attelée, et sur cette
charrette s'activait.... Etienne FERRAND Cadet :"auquel on donnoit
les sacs pleins de grain, qu'il recevoir par la fenêtre et déposoit sur
ladite charrette..." A
35 ans, et en dépit de toute considération de statut social, FERRAND
Cadet n'était pas encore assagi. Il courait encore à l'émeute comme le
militaire marche au canon. Bien entendu, il fut aisément repéré, et au
cours de l'enquête qui s'ensuivit, on privilégia la perquisition au
moulin du CASTAING. On
interrogea tout spécialement Jean BOUCHER, le valet du moulin, mais on ne
put en tirer grand chose. Il se souvint d'avoir accueilli des gens de
LANDIRAS qu'il ne connaissait pas et qui lui avaient donné quelques sacs
à moudre, mais il ne savait rien de plus. On saisit néanmoins quatre
toiles de sac qui portaient des marques de provenance de la Lande et qui
pourraient éventuellement servir de pièces à conviction. En
fait, et en dépit des plaintes déposées par les négociants spoliés,
cette affaire n'eût pas de suite, pas plus qu'aucune autre affaire de sédition
survenue dans la Province pendant cette quinzaine agitée. Des
instructions venues de très haut semblent bien avoir arrêté le cours de
la Justice pour ne pas relancer des troubles encore plus graves. Ce genre
de délit relevait en effet de la compétence du Parlement de BORDEAUX et
aurait dû être sanctionné au moins de peines de galère à temps, sinon
à perpétuité car l'importance des dommages était considérable. La
seule plainte de deux négociants de BOURIDEYS porte sur 180 sacs de
seigle, et nous savons que bien d'autres marchands de PRECHAC, de SABRES
et autres lieux avaient du grain entreposé dans ces greniers. C'est donc
dire que l'affaire avait été importante, et FERRAND, là-dedans, ne s'était
pas contenté de remplir son chapeau... La
récolte de 1773 fut magnifique. Après des années de disette puis de
franche famine, l'abondance était enfin revenue. Il
y avait presque dix ans que l'on n'avait vu de pareils rendements. C'est
bien peut-être pour cela que le Pouvoir Royal décida de passer l'éponge
sur les délits commis pendant la famine. Il pouvait y avoir quelqu'intérêt politique à oublier cette sombre période puisque la nature elle-même semblait montrer l'exemple. |
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Ferrand Cadet a des problèmes avec les autorités
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A
quelques mois de là, FERRAND Cadet se trouva une fois encore en porte à
faux vis-à-vis des autorités ; mais pour une fois, il faut bien reconnaître
qu'il était dans son droit. Le "Tableau"
dressé de longue date le désignait comme collecteur des Tailles de
VILLANDRAUT pour l'année 1774. Mais
nous avons vu qu'il avait quitté cette paroisse fin Avril 1773 pour aller
s'installer au moulin du CASTAING à NOAILLAN. Il n'avait donc plus aucune
attache avec VILLANDRAUT, pas même par une propriété quelconque,
puisque tous ses biens, ainsi que ceux de sa femme, se situaient sur la
paroisse de NOAILLAN. Il considérait donc, avec juste raison qu'il n'avait plus à exercer la charge de Collecteur dans une paroisse qui lui était devenue parfaitement étrangère. C'est ce qu'il exposa à ses anciens concitoyens qui voulurent bien l'admettre dans une délibération du 13 Mars 1774 : "reconnoissant
que (FERRAND) n'est plus leur habitant depuis onze mois ou
environ..." Et
dans le même temps, ils lui désignaient un successeur. Cette mesure était
d'autant plus justifiée que, dans l'intervalle, les Notables de NOAILLAN
le voyant revenir parmi eux s'étaient empressés de le désigner dès
cette année-là comme Collecteur de leur propre paroisse. Le "passage
à la Collecte" était considéré par tous et partout comme une
charge extrêmement désagréable mais que l'on ne pouvait que très
difficilement éluder. Il restait à convaincre les autorités fiscales
qui voyaient toujours d'un très mauvais oeil toute modification au
Tableau établi. C'est
ce qu'entreprit FERRAND dans une supplique qu'il adressa à Messieurs les
Présidents Lieutenants Conseillers Elus en l'Election de GUYENNE. Et il
obtint satisfaction avec la stupéfiante rapidité de réaction que
l'Administration Royale montrait en toutes circonstances. Que
l'on en juge plutôt. FERRAND rédigea sa supplique à NOAILLAN le Lundi
14 Mars 1774. Le lendemain 15, elle était chez Monsieur de COPMARTIN à
BORDEAUX qui ordonnait sur le champ de la communiquer pour avis à
Monsieur DROUILLARD, Procureur du Roy, lequel donnait incontinent un avis
favorable et la retournait à Monsieur de COPMARTIN qui eut encore le
temps de donner son accord le soir même et FERRAND reçut sa réponse
favorable dans la journée du Mercredi à NOAILLAN.... Il y a bien peu de chances pour que nos administrations modernes soient à même d'en faire autant en dépit des moyens de communication dont elles peuvent disposer. |
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Peut-être une lueur sur une question pendante.
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||||
A
quelque temps de là, survint une affaire qui n'a rien à voir avec
FERRAND lui-même, mais qui pourrait peut-être nous éclairer quelque peu
sur les conditions plutôt curieuses dans lesquelles il a géré pendant
plusieurs années le moulin de VILLANDRAUT. En
effet, le 3 Mai 1774, une certaine Marguerite FLOUS, veuve de Vital
DUBERNET, se présente chez Me PERROY, Notaire à NOAILLAN et lui demande
de signifier à son Beau-Frère Jean DUBERNET que, pour raison de dettes,
elle renonce formellement à la succession de son défunt mari. Et en
cette occasion, elle lui expose sa triste histoire. Elle était tombée veuve une première fois du meunier de VILLANDRAUT, et : "se
remariant avec (Vital) DUBERNET qui entra adventice chez elle sans y rien
porter que son corps, elle croyoit prendre un mary intelligent et
laborieux, mais tout au contraire elle n'éprouva, ledit mariage accomply,
que paresse et dissipation de sa part de ce qu'elle avoit en main.
Beaucoup d'inconstance et de légèreté dirigeoient ses pas et mauvaises
affaires ; et enfin, après l'avoir supporté plusieurs années dans les
pleurs et gémissements, il décéda au moulin de VILLANDRAUT, sans autre
chose (lui) laisser que l'embarras du moulin qu'il avait à ferme,
(laquelle) estoit due et (qu'elle) a été forcée de payer de ses travaux
et économies pendant la continuation de cette ferme..." Elle
entendait donc désormais se tenir à l'écart d'une succession très obérée
et se mettre à l'abri des créanciers qui l'assaillaient. Cette
affaire pourrait bien expliquer l'intervention de FERRAND dans ce moulin
à partir de 1766. Ce ne sera qu'une hypothèse car, on l'aura noté, il
n'est ici question de lui nulle part. Mais
il n'y a qu'un seul moulin à VILLANDRAUT, et par ailleurs, la veuve
DUBERNET, dans son acte, avait un intérêt au moins moral à dire qu'elle
avait payé cette ferme "de ses travaux et économies"
plutôt que d'exposer qu'elle l'avait confiée à un tiers. On
peut donc peut-être avancer prudemment que Marguerite FLOUS a conservé
la responsabilité de sa ferme vis-à-vis du Seigneur, mais qu'elle a fait
venir FERRAND pour l'exploiter. Ceci pourrait éventuellement expliquer
l'absence des Procès Verbaux de transmission de pouvoirs sur le moulin. Mais il faut bien reconnaître que cette explication n'est pas tout à fait satisfaisante car Marguerite FLOUS, nous le savons par ailleurs, a quitté le moulin pour aller s'établir au Bourg de VILLANDRAUT, tandis que FERRAND s'installait à sa place. Alors pourquoi n'avoir pas simplement passé avec lui un contrat de sous-ferme comme cela se faisait si souvent ? La question restera entière tant que d'autres documents n'auront pas été découverts. |
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Et maintenant un procès devant
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Entre
temps, FERRAND Cadet poursuit un procès contre le boulanger de
VILLANDRAUT. Il lui a vendu tant et plus de marchandises et ne peut s'en
faire payer. Cette
fois-ci, la dette est d'importance puisqu'elle atteint 443 livres et 11
Sols, et elle se plaide devant la Cour de la Bourse à BORDEAUX, car il
s'agit d'un litige entre commerçants. En deux Arrêts successifs, FERRAND
a gain de cause sur toute la ligne et obtient même un droit de contrainte
par corps sur son débiteur. Il
peut donc le faire enfermer dans la prison seigneuriale jusqu'au paiement
de sa dette. Jean DESSALLES, le Maître Boulanger débiteur prend ce risque très au sérieux et : "
pour s'en mettre à l'abry et pourvoir à sa libération.." décide
de vendre une grande pièce de pignadas qu'il possède au lieu-dit de
MAGRIN, près du Bourg de St LEGER, sur le chemin qui mène au GUIGNET. Elle
lui est achetée, le 19 Avril 1775, par un certain Jean MARTIN, de St
SYMPHORIEN, qui la lui paye comptant pour un montant de 670 Livres.
FERRAND rentrera donc dans ses fonds et le boulanger sera libéré. Mais, très exactement au même moment une vive contestation se manifeste dans VILLANDRAUT. |
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L'affaire des péages perçus
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Messieurs
DUROY, Seigneur de NOAILLAN, propriétaire du moulin du CASTAING et De
RUAT, propriétaire du moulin de LA SALLE, ont institué une taxe de 10
sols par radeau pour le passage des retenues de leurs moulins respectifs. C'est
déjà une vieille histoire. On avait souvent demandé (et on demandera
encore souvent) que le CIRON soit rendu navigable au moins depuis LA TRAVE,
sinon depuis BEAULAC, et jusqu'à son embouchure. Le
coût des travaux à entreprendre avait été jugé hors de proportion
avec l'intérêt que l'on pouvait en attendre. Par
contre, il était bien convenu qu'il devait être flottable, et que tout
devait être fait pour entretenir cette faculté indispensable à la vie régionale.
C'est dans cet esprit que les deux propriétaires de moulin avaient ménagé
dans leur digue des "pertuis" que l'on ouvrait à la
demande pour faire passer les radeaux. Mais
cette opération avait l'inconvénient d'interrompre, un temps, le travail
du moulin, la plus grande part de l'eau s'échappant par le pertuis lors
de son ouverture. En amortissement du prix des travaux et des servitudes
imposées par les passages, Messieurs DUROY et De RUAT avaient instauré
un péage de 10 sols par radeau. C'est ce que dénonçaient vigoureusement les populations tributaires de ces transports. Elles savaient pertinemment que le gouvernement de VERSAILLES pourchassait les péages injustifiés et, faute d'avoir pu aboutir auprès de l'Intendance à BORDEAUX, c'est au Contrôleur Général que les habitants de VILLANDRAUT s'adressèrent le 18 Avril 1775 : "Un abus qui s'est glissé depuis quelques temps dans ce pays-ci et dont nous sommes les malheureuses victimes ainsi qu'un nombre infini d'autres particuliers nous force de réclamer votre autorité et votre justice. "Les Sieurs DUROY et De RUAT, chacun d'eux propriétaire d'un moulin sur le CIRON, petite rivière qui coule des sables arides de la lande dans la GARONNE et qui s'y jette à six lieues au-dessus de BORDEAUX, entre la paroisse de PREIGNAC et celle de BARSAC, ayant bâti sans aucun droit depuis environ six ans chacun une écluse pour faire flotter les radeaux de planches, échalas, bûches de pin, forcent ceux qui y passent à leur payer un droit de péage exorbitant, sans même différencier la qualité de la marchandise. Ce droit est de dix sous par radeau, en sorte qu'un cent de bûches de pin qui est de très peu de valeur paye le même prix et enlève au propriétaire la moitié du net produit de cette denrée en enrichissant les propriétaires de ces moulins et leurs fermiers qui, se croyant tout permis, vexent les particuliers qui sont dans la nécessité de prendre cette voie pour les transports de leurs bois. "Les
habitants d'une contrée aussi maltraitée par la nature que celle que
nous habitons seroient plongés dans la plus grande misère si Votre
Grandeur, Monseigneur, ne nous tend une main secourable; ils osent espérer
qu'elle voudra bien supprimer toutes sortes de droits perçus illégalement
sur cette petite rivière et la rendre libre pour la navigation..." Précisons
bien que, contrairement à ce qui est dit ici, il ne s'agit pas d'écluses,
mais de simples bâtards amovibles débouchant sur des plans inclinés. Par
contre, il est tout à fait vraisemblable qu'Etienne FERRAND ne devait pas
mettre beaucoup de complaisance à interrompre le travail de son moulin
pour faire passer un radeau, ce qui ne devait pas manquer de déboucher
sur nombre de contestations dont les habitants de VILLANDRAUT se font ici
l'écho. L'affaire ne faisait que commencer. De rapports en enquêtes, elle connut de nombreux rebondissements et ceci dura jusqu'à la Révolution. |
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Un témoin peu coopératif.
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Entre
temps, FERRAND cascadait toujours de procès en procès. En
Août 1775, il poursuit "au criminel" Jean DUBOURG, un
charron, devant le Tribunal de CASTELNAU de CERNES. Le motif de sa plainte
ne nous a pas été conservé, mais la vigueur qu'il déploie pour faire
comparaître les témoins a laissé des traces. Il avait fait citer JEANTILLON de LAURENS à l'audience du 28 Août : "pour
déposer de vérité en l'information qu'il entend faire faire.." mais le témoin ne se présente pas : "et
attendu que l'heure de huit heures intimée par ledit exploit est échue,
(et) même celle de neuf, pour l'avoir vue à une montre portative et à
l'aspect du soleil et que ledit JEANTILLON de LAURENS n'a tenu compte de
se présenter pour déposer en ladite information..." Le procureur de FERRAND demande qu'il soit condamné à dix Livres d'amende et qu'il soit reconvoqué à une autre audience sous la contrainte d'un doublement de cette peine. Et sur le champ, il en est ainsi jugé. Mais nous allons voir tout à l'heure, dans une autre affaire, que FERRAND peut faire bien mieux et aller beaucoup plus loin. |
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Le moulin du Bascans a des problèmes.
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Entre
temps, en Septembre 1775 Guillaume LARRUE quitte le petit moulin du
BASCANS, près du Bourg de NOAILLAN et FERRAND se met en quête d'un autre
meunier. Il
le trouve en la personne de Jean VIALE avec lequel il passe contrat le 27
Septembre. Les
conditions sont identiques à celles que nous avons déjà rencontrées
deux ans plus tôt. La
définition de la zone de chalandise est la même, les accords de réciprocité
en cas de caprice des eaux sont identiques. Mais il est intéressant de
noter que le prix de la ferme a baissé. Des 250 Livres annuelles et deux paires de canards demandées à Guillaume LARRUE en 1773, on passe à 190 Livres et trois paires de poulets. Ce n'est pas un signe de santé pour l'exploitation. Avec sa meule unique et son risque chronique de manque d'eau, c'est un tout petit moulin qui, au surplus n'est pas au mieux de son état puisque FERRAND s'engage à : "mettre
ledit moulin en état de moudre avec ses appartenances et (ses) dépendances.." et qu'il lui faudra : " pendant le cours de la première année ... faire révizer et mettre en état la gourgue bassin dudit moulin." Nous aurons l'occasion de voir qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé et que le moulin de LEOGEATS présentera lui aussi bientôt quelques problèmes. |
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Des voleurs récalcitrants.
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A
l'entrée de l'hiver de 1775, Etienne FERRAND n'est pas content. On lui a
volé du bois, et il accuse nommément SANSON et le Petit DEMANGEON, deux
métayers de le lui avoir pris. Le
23 Novembre, ils sont cités à comparaître devant le Tribunal de
CASTELNAU de CERNES sur un Décret d'ajournement personnel, autrement dit
comme prévenus libres. Or, ils ne se présentent pas, et pas davantage
aux audiences suivantes. Le temps passe et l'on en vient à l'audience du
15 Janvier 1775 où le procureur de FERRAND demande qu'ils soient appréhendés
et conduits en prison. Le Juge estime que c'est aller un peu vite en besogne et décide de leur donner une dernière chance en leur adressant une nouvelle citation, ordonnant : "qu'ils
viendront dans le délay de trois jours pour rendre leurs
auditions..." On ne les voit pas davantage ; l'affaire traîne encore, FERRAND est de plus en plus impatient; enfin, à l'audience du 26 Février 1776, le Juge ordonne : "
qu'(ils) seront pris et saisis au corps, conduits et constitués en bonne
et sûre garde prisonniers ez prisons de la présente Juridiction..." Et c'est bien ce qui va se passer, car, sentant que leur affaire tourne mal, ils finiront par se présenter d'eux-mêmes à la prison de Saint LEGER où ils seront aussitôt incarcérés. Mais ils demandent au Juge de les élargir tandis que FERRAND s'y oppose. Finalement, le 13 Mai 1776, le Juge accepte de les libérer moyennant l'exigence du serment de se représenter devant la Cour à première demande. Il ordonne : "que
les portes desdites prisons leur seront ouvertes par le geolier
d'icelles.." Leur
séjour en prison leur ayant donné à réfléchir, leur procès pourra se
poursuivre en qualité de prévenus libres. Etienne FERRAND, entre temps, a bien d'autres soucis en tête. |
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Un syndic paroissial contesté.
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Depuis
trois ans, il était devenu Syndic de la Paroisse de NOAILLAN. C'est
dire qu'il était chargé de défendre les intérêts de la Communauté,
en la représentant au besoin en Justice et en parlant en son nom auprès
des diverses autorités : l'Intendant, le Seigneur, le Curé, etc.. On
n'ose avancer l'image d'un Maire car l'institution était alors
parfaitement inconnue dans les Communautés rurales, mais il en avait
cependant quelques uns des pouvoirs. La
désignation s'en faisait au cours d'une Assemblée Capitulaire réunie un
Dimanche autour de l'Eglise à la sortie de la Messe. Seuls y votaient les
notables locaux reconnus comme tels car il n'y avait aucune liste et pas
davantage de pointage. FERRAND
avait donc été ainsi désigné, mais il avait voulu prendre un certain
nombre d'initiatives, notamment en matière fiscale, et cela n'avait pas
plu à tout le monde. Ce qu'une Assemblée Capitulaire avait fait, une
autre pouvait le défaire. Et c'est ainsi que la contestation croissant, une nouvelle Assemblée avait été convoquée pour le 4 Août 1776. Il s'y trouva 29 bourgeois, artisans et propriétaires fonciers : "tous
habitants du Bourg et Paroisse du présent lieu et tous propriétaires et
biens-tenants de ladite Paroisse, composant la majeure partie d'ycelle et
les plus notables, (agissant) tant pour eux que pour les autres propriétaires...
absents. Et ont dit qu'il y a environ trois ans qu'ils prirent et
choisirent pour leur Syndicq Estienne FERRAND, dit CADET, meunier,
habitant au lieu de CASTAING... Les comparants ayant des raisons (par)
devers eux, déclarent par ces présentes révoquer... ledit FERRAND dans
sadite charge de Syndicq et nomment d'une unanime voix à son lieu et
place ...Bernard FONTEBRIDE..." Cet
acte de révocation fut signifié à l'intéressé le jour même dans son
moulin. Mais pour bien comprendre la portée du geste, il faut rappeler que ce Bernard FONTEBRIDE est l'ancien meunier du CASTAING, l'ennemi intime de FERRAND avec qui il a été maintes fois en procès, et en particulier en 1765, pour les questions de voisinage que nous avons déjà longuement évoquées. |
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Ferrand Cadet tente un coup de force qui échoue. |
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Cette
désignation constituait donc pour lui un véritable camouflet. Aussi,
FERRAND intriguait-il en sous main dans la Paroisse. En
particulier, poursuivant son idée de réforme fiscale, et pour arriver à
ses fins, il cherchait à prendre la place du Collecteur des Tailles de
l'année suivante en lui proposant d'échanger son tour au Tableau. Proposition
peu banale quand on sait combien cette responsabilité était redoutée de
chacun... Mais la chose se sut rapidement dans le village, et FONTEBRIDE,
le nouveau Syndic, convoqua une nouvelle Assemblée Capitulaire pour le
Dimanche 8 Septembre à la sortie des Vêpres. L'affaire
avait dû être jugée d'importance car cette fois-ci, ils se retrouvèrent
78 notables. Il n'y manquait que le Curé, mais cela n'a rien d'étonnant
puisqu'il était exempté du paiement de la Taille. A
la différence de la première, cette Assemblée avait pratiquement fait
le plein de tous ceux qui étaient susceptibles d'y participer. C'est
Bernard FONTEBRIDE, le nouveau Syndic qui conduisit les débats. Il
rappela tout d'abord qu'en le désignant le 4 Août écoulé, on lui avait
bien recommandé de s'opposer à toute modification des tours de passage
au Tableau. Or, il venait d'être informé des manoeuvres de FERRAND visant à devenir Collecteur des Tailles pour l'année 1777 à la place de celui qui était normalement désigné. Il estimait donc utile d'en informer la Communauté. Une Communauté d'ailleurs parfaitement instruite d'une situation dans laquelle elle ne voyait que manigances d'un FERRAND cherchant à : "se
venger de ce que les délibérants (l'avaient) prié de cesser ses
fonctions de Syndicq dans laquelle il auroit voulu se perpétuer et porter
la désunion (entre) ses membres... ce que voulant entièrement prévenir,
ils (décident) de charger.. Bernard FONTEBRIDE, leur Syndicq actuel de
veiller à ce que l'on ne fasse pas adopter un nouveau Tableau jusqu'à
l'extinction de l'ancien, ny qu'on porte dans l'ancien aucune innovation
quelconque en faisant faire pour l'année prochaine la collecte par ledit
FERRAND..." Les
choses sont donc bien claires, FERRAND a perdu tout crédit, et personne
ne veut plus de lui dans les affaires publiques. L'ambiance à NOAILLAN est électrique, on ressort de vieilles affaires, on en suscite d'autres, les situations les plus banales deviennent explosives. FERRAND trouve évidemment une place de choix dans un tel contexte; il est tout à fait dans son élément. |
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Hold up nocturne sur des choux.
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NOAILLAN,
se présente au moulin du CASTAING pour y acheter un sac de farine. Il porte un sac vide d'une main, et tient un écu de 6 Livres dans l'autre. Au moment où il paye, FERRAND Cadet l'apostrophe et lui dit: "Lous
as aymats lous mèns caoulets ? "(Les as-tu aimés mes choux ?) DUBOURG ne sait trop quoi répondre; alors FERRAND se déchaîne et le traite de : "
foutu pinson, foutu voleur et foutu fripon.." et
ceci en présence de diverses personnes se trouvant pour lors dans la cour
du moulin. DUBOURG se défend en disant que s'il a pris des choux dans le
jardin de FERRAND, c'est avec l'autorisation de son valet, ce que FERRAND
conteste vigoureusement. Dans l'instant, l'affaire en reste là. Mais deux jours plus tard, DUBOURG va déposer plainte pour injures auprès du Juge de NOAILLAN. Il raconte que FERRAND l'a injurié sans raison : "
d'un propos délibéré et sans le moindre sujet..." mais
il se garde bien de souffler mot de l'affaire des choux. Le
lendemain, on commence à interroger les témoins qui, à quelques infimes
détails près sont tous bien d'accord sur le déroulement de l'affaire.
Au moment du paiement, FERRAND lui a bien demandé s'il avait aimé ses
choux, l'autre lui répondant qu'il en avait mangé l'année dernière après
être allé les cueillir dans son jardin avec la permission de son valet,
ce que FERRAND avait contesté. L'enquête se termine sur un Décret d'ajournement personnel lancé contre FERRAND. Mais celui-ci n'était pas resté inactif, le même jour, il déposait une plainte contre X pour le vol de ses choux disant : "qu'il possède, attenant à sa maison, au lieu de PEYREBERNEDE, un grand jardin potager fermé de murailles qu'il fait cultiver pour son nécessaire, où, l'hiver dernier, il avoir fait venir grande quantité de choux verts bien pommés, d'une grosseur prodigieuse quy, dans le mois de Janvier et Février derniers luy furent nuitamment volés et enlevés. N'ayant
pu découvrir les auteurs de ce vol, il garda le silence, ne s'attendant
pas à une récidive. Cette année ayant fait venir dans le même jardin même
quantité et plus de choux, qui avoient pommé de toute perfection,
vendredy nuit, tirant à samedy, hier nuit et la (nuit) passée, on luy a
enlevé aussy nombre desdits choux coupés au pied, (et) d'autres qu'ils
ont laissé sur le lieu...." A
partir de là, tout l'appareil se remet en branle, et l'on interrogera
neuf témoins. Ils ont vu quelques choux manquants et trois choux coupés
restés à terre, on n'ira pas beaucoup plus loin. Finalement,
des amis communs interviendront sans trop tarder. Le ler Décembre, ils réuniront
les deux parties dans l'Etude de Me PERROY Notaire à NOAILLAN. François
DUBOURG, dont la position n'était pas absolument nette fit les frais de
l'opération. Il accepta de dédommager FERRAND des frais de procédure
qu'il avait engagés jusque là, soit 42 Livres et 3 Sols, une coquette
somme dont DUBOURG ne disposait manifestement pas. Il fallut prévoir un échelonnement du paiement sur deux ans, sans intérêt. Certes, si l'affaire est exacte (restons ici sur un conditionnel prudent), il est bien désagréable de se faire voler ses choux, mais avec la tournure donnée à l'affaire, gageons que notre meunier ne s'est certainement pas fait là un ami... |
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Ferrand Cadet fait de la résistance.
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Etienne
FERRAND a mal vécu son éviction de la fonction de Syndic. Il ne fait
rien pour reconquérir son crédit perdu. On
dirait même qu'il se fait un plaisir de provoquer les gens. Nous avons vu
comment les habitants de VILLANDRAUT le mettaient en cause pour le peu de
complaisance qu'il montrait lors des passages d'eau sur la digue de son
moulin. Ces habitants dénonçaient ces fermiers : "qui
se croient tout permis et vexent les particuliers qui sont dans la nécessité
de prendre cette voie..." Le
temps passant n'a rien arrangé, et FERRAND n'en fait qu'à sa tête. André PLANTEY, "voiturier sur le CIRON", habitant à VILLANDRAUT, avait pris en charge un gros marché de transport de bois à destination de PREIGNAC, il avait : " fait faire sept radeaux, savoir six de planches refendues dont le tout formait soixante douzaines et demy, et un de bûches de pin composé de deux cent cinquante (bûches) avec lesquels il s'était rendu le jour d'hier audit moulin du CASTAING. Il (a) envoyé un de ses gens quy menoit l'un des radeaux pour payer audit FERRAND ce qu'on paye ordinairement pour le passage du (pertuis) dudit moulin (dont le montant) est, pour chaque radeau (de) dix sols. Ce que ledit FERRAND refusa de prendre et même (il a) fermé ledit (pertuis) pour... empêcher de passer lesdits radeaux. Et
comme ce refus, de la part dudit FERRAND, est contre toute justice et
porte (au voiturier) un préjudice considérable... parcequ'(il) n'a pu
(livrer) ce jourd'huy ainsy qu'il s'y estoit obligé lesdites planches et
bûches au lieu de PREIGNAC (et) qu'il (sera) obligé de payer le
retardement aux persones quy (avaient commandé) les radeaux (et) enfin
qu'il pourra très bien arriver qu'il y aura un déficit tant sur les
planches que sur les bûches..." Moyennant
quoi, André PLANTEY adresse à FERRAND une sommation par acte notarié
lui enjoignant de laisser passer ses radeaux contre le paiement du droit
de passage qu'il tient à sa disposition. Et
le Notaire, Me LATASTE, se rend aussitôt au moulin, car le temps presse.
Le préjudice s'accroît incontestablement au fil des heures et c'est
pourquoi la notification est ici d'une précision tout à fait
inhabituelle : "(Acte notifié le même jour par Me LATASTE) : à
onze heures et quart du matin ainsy qu'il nous a paru à une montre
portative, au domicile dudit FERRAND, parlant à sa femme qui a pris copie
de l'acte cy-avant ... ' Lequel
FERRAND en la circonstance, se sera, encore une fois, fait un nouvel
ami... A quatre jours de là, le 3 Février 1777, nous faisons une découverte plutôt stupéfiante. |
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Coup de théâtre !
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Étienne
FERRAND Cadet est Collecteur Principal des Tailles de la Paroisse de
NOAILLAN pour l'année 1777 !!! Comment a-t-il pu parvenir à ses fins
contre la volonté nettement affirmée de toute la population ? Aucun
texte, aucun indice, aucune allusion ne nous fournit la moindre indication
sur cette surprenante décision. Que s'est-il passé au fil des derniers
mois de 1776 ? Nous n'en savons strictement rien et, sauf à découvrir de
nouveaux documents, il faudra nous résoudre à demeurer dans cette
ignorance. Mais le fait est parfaitement incontestable, FERRAND est
Collecteur en titre pour l'année nouvelle, ce qui va lui attirer
d'ailleurs pas mal d'ennuis sur lesquels nous sommes nettement mieux
renseignés. |
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Ferrand Cadet
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Son
idée majeure est de procéder à une réforme fiscale; une idée qui, en
soi, n'est pas mauvaise, loin de là. De quoi s'agissait-il ? Chaque
année, à la fin Janvier, l'Intendance communiquait à chaque paroisse le
montant global de son imposition. Ce chiffre était annoncé le Dimanche
suivant à toute la population réunie à la sortie de la Messe et il
appartenait ensuite aux Collecteurs désignés pour l'année d'en répartir
le montant entre chacun des contribuables au prorata de leur fortune,
essentiellement appréciée sur le fondement de leur patrimoine foncier et
de leurs signes extérieurs de richesse. En
admettant que ce mode de répartition ait pu être bon en un moment donné,
il devenait rapidement caduc si on n'en remettait pas les bases en cause
chaque année. Lorsque quelqu'un s'appauvrissait, par la vente d'un bien
par exemple, il s'empressait de le faire savoir aux Collecteurs afin d'être
moins imposé l'année suivante. Mais
lorsqu'un quidam s'enrichissait, il se gardait bien de le signaler à
quiconque, et si les Collecteurs manquaient de vigilance, l'assiette de
l'impôt s'en trouvait faussée. Le cas était beaucoup plus fréquent
qu'on ne pourrait le croire. Ce
pouvait être par exemple la prise en fermage d'une prairie ou d'une terre
appartenant au Seigneur ou au Curé, donc exempte de Taille au titre de
bien privilégié, mais qui s'y trouvait soumise à partir du moment où
elle passait dans l'exploitation d'un manant. D'ailleurs
nous allons rencontrer un peu plus loin un exemple concret de ces discrètes
mutations. Tout ceci revient donc à dire qu'il était mauvais de ne
jamais remettre en question l'assiette du Rôle. Or
c'est bien ce qui s'était passé à NOAILLAN depuis longtemps, et c'est
précisément ce que FERRAND contestait. Il voulait remettre à plat cette
assiette pour en définir une nouvelle établie contradictoirement, après
avoir entendu chacun des contribuables. L'idée
était donc plutôt bonne, mais elle menaçait trop de situations
acquises, parfois depuis longtemps, pour ne pas rencontrer une franche
hostilité dans la majorité de la paroisse. FERRAND
en avait fait, par deux fois, une première expérience en 1776, obstacle
qu'il avait surmonté au prix de nous ne savons quelle intrigue, mais qui
ne constituait que le premier acte d'une pièce qui restait à jouer. FERRAND
n'avait pas besoin des évaluations des années précédentes puisque
c'est elles, précisément, qu'il voulait remettre en cause. Par
contre, il lui fallait absolument disposer de la liste des contribuables
(très complexe avec les successions,. les indivisions, les fermages,
etc..), et il ne pouvait la trouver que dans le Rôle de l'année précédente
détenu en un seul exemplaire par Jean COMET, le Collecteur de 1776. Et
c'est là que l'attendaient ses opposants. |
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Une vive opposition se manifeste. |
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Il avait reçu communication du montant global de l'imposition le 26 Janvier en fin d'après midi. Il le fit : "lire
et publier... (le) second (Février), jour de Dimanche, (à) l'issue de
(la) Messe paroissiale, sur la place publique (de NOAILLAN). au peuple
sortant et assemblé..." Et il annonça qu'il procéderait, avec ses trois adjoints, le lendemain matin Lundi, sur la même place, à la confection du nouveau Rôle en demandant : "
que tous les habitants s'y trouvassent afin que justice soit rendue à
chacun..." Et pour plus ample précaution, le même avis fut renouvelé par cri public dans l'après midi du même Dimanche à la sortie des Vêpres. Dans le même temps, il demanda à Jean COMET "porte rôle" de l'année précédente et à ses adjoints : "de
s'y trouver aussy et d'y représenter leur rôle pour procéder à la
(confection) du nouveau, ce que lesdits anciens Collecteurs promirent
faire..." Or, le Lundi matin, "s'étant rendu sur (la) place publique sans y voir ledit COMET,... FERRAND s'est rendu chez luy et l'a requis de se rendre et porter son Rôle sur ladite place où nombre d'habitants estoient assemblés afin de procéder au Rôle de Taille de la présente année; ce que ledit COMET a refusé de faire. "Et un instant après, et comme on sortait de la Messe, il s'est néanmoins présenté sur ladite place, ayant son Rôle sous le bras. (FERRAND et ses adjoints) qui avaient fait préparer sur ladite place au devant (de) la maison de la... Veuve FAURENS, endroit le plus sec et commode, une table avec du papier et un écritoire, ont joint ledit COMET, et l'ont verbalement sommé d'y représenter son Rôle, ce qu'il a de nouveau refusé. Et par mocquerie, il a affecté de se porter contre ladite table, son Rôle toujours sous le bras..." Et là, en présence de divers témoins et de Me PERROY, Notaire requis pour effectuer le constat, FERRAND et ses Adjoints : "ont
de nouveau requis ledit COMET de représenter sondit Rôle pour, par eux,
(être pris) communication de tous les taux, sans le déplacer de ses
mains, pour procéder au... nouveau Rôle... A quoy ledit COMET a répondu
qu'il n'en vouloit rien faire et s'est retiré." C'est
une situation extrêmement gênante, car FERRAND ne dispose d'aucun moyen
de droit pour contraindre COMET à lui communiquer son Rôle. Par
ailleurs, le temps presse car la Taille se perçoit trimestre par
trimestre, et le premier "quartier" est théoriquement
exigible dès le ler Janvier. Théoriquement
puisque le montant de l'imposition ne lui a été communiqué que le 26
Janvier; mais à partir de cette date, le délai commence à courir et
l'Administration surveille attentivement les conditions et les délais de
la rentrée de l'impôt. On
ne peut se donner le loisir de procéder à la vaste enquête qu'exigerait
la reconstitution d'un Rôle pour toute la paroisse en partant d'une
feuille blanche. Il
faudrait pour cela bien des semaines et l'échéance du versement du
premier quartier serait depuis longtemps dépassée. C'est
pour cela que FERRAND fait dresser un constat de la situation par le
Notaire et en fait une sommation à COMET, le prévenant qu'il le rendra
responsable devant qui de droit de tous les retards et toutes les conséquences
qui pourront découler de son refus. Que
l'on se rassure, les impôts de NOAILLAN seront bien perçus, mais non
sans quelques incidents de parcours. En particulier, il est tout à fait louable de vouloir entreprendre une réforme fiscale, mais il faut pour cela être soi-même absolument au-dessus de tous soupçons. |
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Un oubli bien fâcheux.
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Or,
ce n'était pas tout à fait le cas de FERRAND Cadet. Il
avait affermé à Madame DUROY, la Seigneuresse de NOAILLAN, la moitié de
la plus belle prairie de la paroisse pour un montant de 550 Livres
annuelles, somme tout à fait considérable (représentant la valeur de 22
vaches ou de 220 moutons...). Tant
que ce bien était directement exploité par Mme DUROY, il était exempté
de Taille mais dès lors qu'il était affermé par FERRAND, il s'y
trouvait soumis. Or,
par un regrettable oubli, mais un simple oubli bien sûr, il se trouvait
que FERRAND n'avait jamais signalé sa prise de fermage et la modification
du statut fiscal de cette parcelle qui aurait dû être taxée pour 27
Livres et 10 Sols (5% du montant du prix de la ferme). Dans
le contexte de suspicion générale qui régnait désormais à NOAILLAN,
une telle affaire ne pouvait passer inaperçue d'autant qu'elle entrait très
exactement dans le cadre des anomalies que la réforme de FERRAND prétendait
dénoncer. Il a dû flairer le risque d'une dénonciation qui aurait été bien gênante car, le 21 Février 1777, alors que le nouveau Rôle venait tout juste d'être établi et communiqué depuis quelque jours à peine à l'Administration, Etienne FERRAND s'adresse à Messieurs les Présidents Lieutenants Elus en l'Election de GUYENNE, et, en accord avec ses Collecteurs Adjoints déclare : "qu'en
procédant à la faction de leur Rôle, ils ont omis de comprendre ledit
FERRAND, Principal Collecteur pour la ferme qu'il tient de la moitié
d'une praire appartenante à Madame DUROY à raison de cinq cent cinquante
Livres par année qui, au moyen de ce, doit être imposée à vingt sept
Livres dix Sols de pied de Taille, et trente Livres quatorze Sols pour
menue impositions; et comme cet objet doit tendre à la décharge des
habitants taillables, les (demandeurs) sont obligés de vous donner leur
requête pour demander que ladite imposition soit mise au pied du Rôle de
la présente année par le Greffier de la Cour de l'Election sous le nom
d'Etienne FERRAND pour être ensuite remise aux Collecteurs qui entreront
en charge l'année prochaine mil sept cens soixante dix huit à la décharge
des habitants taillables de ladite paroisse." Pour
bien comprendre le sens de cette démarche, il faut bien se souvenir que
la Taille est un impôt de répartition. Si, comme c'est le cas ici, on découvre
un contribuable nouveau qui aurait dû prendre sa part de l'imposition
globale, il faut reprendre la totalité de l'imposition, et restituer à
chacun, au prorata de ce qu'il a payé, une fraction de la contribution
apportée par le nouveau venu. Tout
serait donc à refaire, et ce ne peut être envisagé; d'où la
proposition d'inscrire cette contribution en crédit pour venir en déduction
de la somme globale qui sera imposée l'année suivante à la paroisse.
Autrement dit, ce que FERRAND, par "oubli" n'a pas payé
cette année, ce sont les autres qui l'ont payé à sa place, mais tout
rentrera dans l'ordre l'année prochaine. Avec
son efficacité habituelle, cette affaire est traitée à BORDEAUX par
l'Administration Royale en l'espace d'une seule journée. Le document reçu
le matin au Bureau de l'Election fut aussitôt examiné, puis communiqué
au Procureur du Roi qui donna son accord et la renvoya sur le champ à l'Election
qui avant le soir du même jour trouva le temps de rédiger et renvoyer sa
réponse. Le montant de l'imposition supplémentaire devait être remis contre reçu aux Collecteurs de l'année 1778 : "pour
être ladite somme... d'autant moins répartie au soulagement des
habitants taillables de (la) Paroisse de ...NOAILLAN," tandis
que le reçu devait être déposé au Greffe de l'Election à titre de
preuve engageant la responsabilité des futurs Collecteurs. Cette affaire
aura donc coûté à FERRAND une majoration d'impôts annuelle de 58
Livres 4 Sols, mais il a mieux valu, dans le contexte du moment, qu'il
"découvre" lui-même cet "oubli" plutôt que de le
voir dénoncer par un autre contribuable de NOAILLAN, et tout spécialement
par FONTEBRIDE, le nouveau Syndic Paroissial. Car
ce FONTEBRIDE est littéralement sa bête noire. Avec des fortunes diverses, ils se poursuivent tour à tour devant toutes sortes de Juridictions. |
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Comment faire une " affaire " avec rien
?
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Ainsi,
pendant le temps même des évènements que nous venons de relater, ils
sont en procès devant la Cour de l'Election à BORDEAUX. Nous n'en
connaissons pas le motif exact, mais il s'agit nécessairement d'une
affaire fiscale, une affaire au demeurant bien modeste si l'on en juge par
le montant de la condamnation : 12 Livres... Et
c'est FERRAND qui l'emporte. FONTEBRIDE est donc condamné à lui payer
ces 12 Livres et, sans plus rien contester, il va vouloir les lui remettre
tout aussitôt ; FERRAND les acceptant, l'affaire était close. Mais
ce serait bien mal le connaître de penser qu'il ne va pas trouver là
l'occasion d'une nouvelle chicane. Il refuse cet argent et il le refuse
plusieurs fois. FONTEBRIDE
en est très ennuyé, il veut en finir, et on le comprend. Il
va donc trouver Me LATASTE, Notaire local, et lui demande d'aller offrir
ces 12 Livres à FERRAND, et s'il les refuse encore, de les consigner par
devers lui dans son Etude, les tenant à la disposition de son créancier,
mais aussi à ses risques et périls et désormais sans charge d'intérêt.
Moyennant quoi, FONTEBRIDE serait dégagé de toute responsabilité et n'aurait plus rien à voir dans cette affaire. Le 3 Avril 1777, Me LATASTE se rend donc au moulin du CASTAING et se présente à la porte de FERRAND. Il est bien là, mais ne le laisse pas entrer, et c'est là que la somme, en pièces d'argent : "a
été offerte et exhibée réellement et à découvert sur le seuil de la
porte de la maison du moulin du CASTAING.." FERRAND
refuse encore et le Notaire repart avec l'argent. Une nouvelle démarche
sera tentée sur sommation le 7 Juillet suivant. Peine perdue, non
seulement FERRAND refuse l'argent, mais il refuse même de prendre la
copie de l'acte de sommation qui lui est destinée. Finalement,
et pour couper court à cette interminable guerre d'escarmouches, disons
que FERRAND acceptera ces 12 Livres le 14 Septembre 1780, soit donc trois
ans et demi après la première offre de FONTEBRIDE. Voilà une affaire
tout à fait caractéristique d'un personnage se complaisant dans ce que
l'on pourrait appeler la "délectation chicanière". Mais il va y avoir mieux encore. Sans que nous sachions comment il s'y était pris, nous avons vu que FERRAND, contre l'avis de la grande majorité de la Paroisse avait réussi à bousculer le Tableau de passage à la fonction de la Collecte des Tailles et à s'emparer du poste de Collecteur principal pour 1777. |
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Une tentative de putsch avortée.
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A la suite de ce bouleversement de l'ordre établi, personne ne savait plus trop où l'on en était, et il fallait faire le point pour désigner clairement qui assurerait la Collecte en 1778. Bernard FONTEBRIDE, en tant que Syndic, convoqua donc une Assemblée Capitulaire à la sortie de la Messe du Dimanche 10 Août 1777, en présence de Me LAFOURCADE, Notaire chargé d'établir le Procès Verbal de séance. On commença par dresser la liste de tous les contribuables présents : "manants
et habitants de ladite Paroisse de NOAILLAN et composant la majeure partie
des taillables..." Puis, FONTEBRIDE procéda à la lecture de l'ancien Tableau et de l'usage qui en avait été fait. C'est alors que : "
s'est présenté Etienne FERRAND, Collecteur Principal de la présente année
de ladite paroisse, (et ses Adjoints) Pierre MARTIN dit MARTINGOT et
Pierre ROUMEGOUX dit JEANDET, aussi Collecteurs ladite année du présent
lieu. Ledit FERRAND a dit avoir fait lui-même... procéder au récollement
dudit Tableau et à la nomination des Collecteurs pour l'anée prochaine
et qu'ainsy, il n'étoit pas nécessaire qu'il y fut procédé de
nouveau." On interroge ROUMEGOUX, lequel est passablement embarrassé et : "
dit qu'il étoit vray qu'il avoit été procédé audit récollement, mais
qu'il n'y avoit point donné sa voix..." Quant à MARTIN, c'est mieux encore, on le presse de dire ce qu'il en est, mais : "par
ledit MARTIN dit MARTINGOT, n'a été rien répondu..." Il s'agit donc bien d'un véritable putsch monté par FERRAND et par lui seul. "En
conséquence, ledit FONTEBRIDE a tout présentement sommé ledit FERRAND
de lui exhiber le susdit récollement prétendu par lui fait. Ce qu'il a
refusé de faire, (et) même d'assister, ainsi que lesdits ROUMEGOUX et
MARTIN au présent récollement et Assemblée." Les trois compères se retirent sur l'heure et FONTEBRIDE enchaîne, l'Assemblée ne faisant aucune difficulté pour déclarer : "
que ledit FERRAND n'ayant point eu (la) qualité (requise) pour faire
ledit récollement par lui allégué, (celui-ci) ne peut subsister,
d'autant que... FONTEBRIDE, vray Sindicq n'y a point été appelé et
qu'il n'a point été fait dans une Assemblée de Paroisse aux formes
ordinaires, lesdits délibérants n'en ayant eu de connoissance que dans
ce moment..." L'Assemblée
décide donc que la désignation effectuée par FERRAND est nulle et de
nul effet "comme clandestinement faite" et charge
FONTEBRIDE d'entreprendre telle action en justice qui conviendra afin de
le confirmer. Après quoi, elle désigne Jean LAPIERRE, cardeur de laine,
comme Collecteur Principal pour l'année suivante. L'affaire ne va pas en rester là. Il doit y avoir une faille dans la décision de l'Assemblée. |
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L'affaire rebondit. |
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La
chose n'est pas précisée, mais FONTEBRIDE a dû s'apercevoir que la désignation
de Jean LAPIERRE, non prévue au précédent Tableau devait affaiblir sa
position devant la Cour de l'Election de GUYENNE. Il fallait en revenir
purement et simplement au Tableau qui avait été défini pour dix ans en
1773 en considérant l'intrusion de FERRAND en 1777 comme une simple péripétie
à classer sans suite. Pour
cela, il fallait donc se réunir une fois encore en Assemblée Capitulaire
afin de repartir sur une base indiscutable et en profiter pour procéder
à quelques retouches de détails pour tenir compte des maladies et décès
survenus entre temps parmi les intéressés inscrits au Tableau. Le
Dimanche suivant 17 Août, toujours à la sortie de la Messe, Bernard
FONTEBRIDE "annonça au peuple" qu'une nouvelle Assemblée
se tiendrait le 24 Août à la sortie des Vêpres. On peut se douter
combien les langues allaient bon train, il n'était plus question que de
cette affaire ; qu'allait-il se passer ? Or donc, ce 24 Août, lorsque tout le monde eût été rassemblé au son de la cloche, FONTEBRIDE expliqua qu'il fallait revenir sur ce qui avait été décidé le 10 Août, et l'on commença par redonner lecture du Tableau et du Procès Verbal de la précédente Assemblée. Puis, s'adressant à FERRAND et à ses deux Adjonts, il les requit : "d'assister
à la présente Assemblée, ce qu'ils n'ont voulu faire, s'étant au
contraire retirés.." D'un commun accord, l'Assemblée décida de passer outre et, reprenant le Tableau de 1773 là où on l'avait laissé, désigna Jean DEMONS dit BICOT : "
porté à la première colonne" autrement dit, le premier à prendre. il ne restait plus qu'à procéder aux retouches matérielles indispensables et à confirmer à FONTEBRIDE les pouvoirs nécessaires en vue de poursuivre en Justice l'annulation du dispositif prévu par FERRAND ; Ce qui fut fait. Et quand vint le moment de signer, le Notaire ne manqua pas de préciser que FERRAND et ses deux Adjoints : "n'ont
... pu être interpellés de signer attendu qu'ils n'ont voulu assister à
la présente Assemblée, ayant disparu tout de suite après avoir été
requis..." Le
calme finira par revenir sur NOAILLAN, mais non sans quelques combats
d'arrière-garde dont on ne sait trop, quelquefois que penser. Ainsi en va-t-il de l'aventure courue par Pierre GARANS, marchand, et Bertrand LATRY. |
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Comment arrêter un procès
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Nous
sommes en Février 1778, la mission de Collecteur de FERRAND est terminée,
mais il reste toujours quelques affaires qui traînent, des impayés, des
retards, des contestations sur l'assiette de l'impôt, etc.. le tout ayant
trait à l'année précédente mais pouvant encore mettre des mois avant
de trouver une solution. Or, donc, le 2 février 1778, nos deux compères apprennent (du moins le disent-ils, car il faut se montrer prudent) que FERRAND est en procès avec eux devant la Cour de l'Election à BORDEAUX. Ce procès aurait été engagé à leur initiative alors qu'ils déclarent n'y être pour rien et en ignorer jusqu'au premier mot : "duquel
procès (GARANS et LATRY) n'ont eu nulle connaissance, donné nulle
commission à (aucun) huissier ny donné pour raison d'ycelui nul exploit,
constitué nul procureur, ny fourni nul argent,, pour le faire; et comme
ce doit être par l'invention et l'entreprise de quelque mal intentionné
pour (leur) nuire et les exposer à des frais considérables vis-à-vis
dudit FERRAND, surpris d'un pareil attentat et sensibles à un trait aussi
venimeux, (ils) déclarent... audit FERRAND se défaire et se départir
purement et simplement du prétendu exploit (qui lui a été) donné à
leur insu et de l'instance qui peut avoir été introduite sur (son
fondement) en ladite Cour de l'Election..." Moyennant
quoi, ils signifient à FERRAND qu'ils ne prendront aucune part à la
suite de cette affaire. Que
s'est-il passé ? où est la vérité ? En
l'absence de toute autre pièce, il est bien difficile d'en décider. Il
peut très bien s'agir de deux plaideurs ayant attaqué FERRAND devant la
Cour de l'Election et qui ont pris peur, soudain, devant les frais de
Justice considérables qu'ils voient s'accumuler devant eux, (et Dieu sait
si leur montant pouvait être rapidement impressionnant...). Mais
comment renier un exploit de Justice ? Il a bien fallu l'intervention d'un
Notaire pour le rédiger et d'un Sergent ou d'un Huissier pour le
signifier à FERRAND ; comment pourraient-ils ensuite renier ces démarches
dans une paroisse où tout finit par se savoir ? La
belle affaire qu'ils auraient ainsi offerte à FERRAND sur un plateau...
on n'aurait pas eu fini d'en parler. Et puis, l'exploit n'est pas tout,
encore fallait-il engager le procès auprès de la Cour ce qui ne pouvait
se faire qu'en désignant un Procureur et cette démarche ne pouvait
rester anonyme. Décidément,
si elle ne peut être rejetée a priori, cette hypothèse n'est pas très
crédible. Ou
bien alors, il se serait agi d'une manoeuvre malicieuse montée par
FERRAND lui-même qui aurait fait courir le bruit dans le pays qu'il était
attaqué en justice par les deux compères et qu'ils s'inquiétait des
frais considérables déjà engagés... Bien
monté, ce coup pouvait marcher, et les deux autres seraient tombés dans
le panneau. Auquel cas, FERRAND a dû jubiler de les voir ainsi réagir au
quart de tour. Encore
une fois, rien ne permet de trancher, mais tout ce que l'on peut dire est
que la seconde hypothèse rencontre moins d'obstacles que la première; et
par ailleurs, simple petit détail ne constituant pas une preuve mais un
peu troublant tout de même, FERRAND accueille la signification de cet
acte en main propre et ne fait strictement aucune observation, ce qui
n'est guère dans ses habitudes... L'affaire s'arrête là, et c'est également bien curieux; car si des frais de Justice avaient été réellement engagés devant la Cour de l'Election, il ne faut pas penser un seul instant qu'ils auraient été effacés d'un trait de plume sur la simple présentation d'un acte de protestation. Il aurait fallu que quelqu'un les paye, et ce ne pouvait plus, désormais, être que FERRAND. Serait-il resté sans réaction ? C'est bien peu probable. On ne peut en dire davantage. |
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Quelques remises en ordre s'imposent
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En
ce début Février 1778, tout le pays est en émoi. La Police Seigneuriale
locale vient d'intervenir sur le marché de VILLANDRAUT et d'y dresser
nombre de Procès Verbaux. Cela venait de se passer le 28 Janvier, et il
semble bien qu'une reprise en main s'avérait nécessaire. En cette occasion, il est rappelé qu'il est interdit : "aux
regratières et revendeurs d'acheter au marché du présent lieu la
volaille et autres provisions alimentaires, l'hiver avant onze heures du
matin et l'été à dix heures..." Et qu'il est également interdit d'y vendre : "chair
malade pour saine, celle de femelle pour malle." Quant aux grains, les négociants et revendeurs seront spécialement surveillés car ils achètent induement avant leur heure et : "vont même au-devant des bouviers sur les chemins pour acheter tout ce qu'ils portent avant qu'ils ne soient arrivés au marché..." |
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Le moulin de Léogeats végète. |
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A
quelques jours de là, le 6 Février 1778, Étienne FERRAND changeait de
fermier au moulin de LEOGEATS. Il en concède la sous-ferme pour les
quelques quatre années qui restent à courir sur sa ferme principale, à
Jean BOURRICAUD, qui habite déjà LEOGEATS. Les
conditions sont très voisines de celles qui ont déjà été convenues en
pareilles circonstances. Toutefois, une fois encore, le prix de la ferme
est revu à la baisse. Il avait été fixé à 450 Livres et deux paires
de canards en Avril 1773, et se trouve ramené à 345 Livres, deux paires
de canards et deux paires de poulets en Février 1778. Les
paires de poulets supplémentaires qui valent de 2 à 3 Livres ne
sauraient expliquer une réduction de près d'un quart du loyer de la
ferme. Ou bien l'état du moulin s'est dégradé, et c'est probable comme
nous le verrons tout à l'heure, ou bien les affaires ne vont pas pour le
mieux, ou bien encore les deux causes se trouvent réunies et la chose
n'est pas impossible. Les
affaires de FERRAND paraissent pourtant se maintenir à peu près, du
moins si l'on en juge par quelques achats qu'il fait encore, en
particulier celui d'une lande assez importante dans LEOGEATS, sur la rive
gauche du CIRON, pas très loin du CASTAING. Il y consacre 150 Livres, le
23 Mars 1778, ce qui, pour une lande est déjà un prix assez considérable.
Mais
ce seront les dernières acquisitions que nous lui verrons faire, et il se
peut bien que la fin des années soixante dix marque pour lui un certain déclin
d'une prospérité qui, jusque là, et depuis nombre d'années, ne s'était
guère démentie. |
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Des troubles en perspective. |
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Au
demeurant, la période connaissait quelques troubles. Non point de ces
mouvements spontanés tels que les émeutes frumentaires de Mai 1773 dans
lesquelles l'urgence de la faim avait joué un rôle déterminant, mais
des mouvements, semble-t-il, plus concertés et n'ayant d'autre but que de
susciter des désordres gratuits. En
ce même mois de Février 1778, alors que l'on venait de procéder, comme
nous venons de le voir, à une sérieuse remise en ordre du marché de
VILLANDRAUT, Monsieur RAMUZAT, Juge de cette Juridiction, n'était pas du
tout tranquille. Ce
n'était certes pas la première fois que la Justice Seigneuriale devait
intervenir sur ce marché, mais cette fois-ci, M. RAMUZAT, à tort ou à
raison, avait dû percevoir des réactions de contestation inhabituelles.
Il redoutait surtout une explosion de manifestations violentes à
l'occasion du prochain Mercredi des Cendres, également jour de marché,
qui, cette année-là, tombait le 4 Mars. Il
était de tradition locale que se tînt à cette date une sorte de
Carnaval de la jeunesse qui aurait dû normalement trouver sa place le
jour de Mardi Gras mais qui, pour des raisons indéterminées, se déroulait
à VILLANDRAUT le jour des Cendres. On notera d'ailleurs en passant que le
cas n'en était pas isolé puisqu'il en allait de même en la ville de
BORDEAUX. Or
donc, M. RAMUZAT, peu après la mi-Février, avait eu vent du projet d'un
rassemblement de la jeunesse de toutes les paroisses avoisinantes à
VILLANDRAUT ce 4 Mars, avec l'intention de mettre à profit les festivités
habituelles pour y mener grand tapage. Dans une lettre du 24 Février, il s'ouvrit de son inquiétude à Mr.BOURRIOT, Subdélégué de l'Intendant à BAZAS (une sorte de Sous Préfet avant la lettre). Celui-ci, qui n'avait pourtant pas l'habitude de s'émouvoir pour des riens, prit l'affaire très au sérieux et, avec la rapidité de réaction qui nous est maintenant familière dans tout ce qui touche à l'Administration Royale, il en saisit tout aussitôt l'Intendant à BORDEAUX : " Monseigneur, L'avis
contenu dans la lettre cy-jointe que je viens de recevoir dans l'instant
m'a paru mériter que je dépêche un exprès à LANGON pour charger
Mr.DUTILH de vous le faire parvenir en diligence..." Ce Mr.DUTILH était le Commandant de la Subdivision de LANGON. Et de fait, le lendemain, cette lettre était sur le bureau de l'Intendant avec la suggestion d'envoyer à VILLANDRAUT le prochain jour des Cendres les Brigades de Maréchaussée de BAZAS et de LANGON : "pour
y empêcher ou dissiper l'assemblée des jeunes turbulents des paroisses
voisines qui s'y sont donné rendez-vous et d'y veiller au maintien du bon
ordre et de la tranquillité publique." L'Intendant partagea cet avis et, dans une lettre du 26, donna les ordres en conséquence à LANGON et à BAZAS : "Il
me parois très convenable, écrit-il, de prendre des mesures pour prévenir
la suite des désordres qui (risquent de se commettre) à VILLANDRAUT le
jour des Cendres..." Les
trublions locaux n'avaient plus qu'à bien se tenir. Apparemment, les
choses durent bien se passer car les archives locales n'ont conservé
aucune trace d'agitation particulière à cette date. Mais il est intéressant
de noter, à travers quelques petits faits significatifs, une certaine évolution
des mentalités. Au fur et à mesure que le XVIIIème siècle s'écoule,
on voit apparaître ou s'établir des manifestations ou des situations que
l'on n'aurait jamais imaginées en milieu rural quelque cinquante ans plus
tôt. N'oublions
pas pour autant que sur la trame de ces divers évènements se tisse en
permanence pour FERRAND une succession de procès dont il serait
fastidieux de rendre compte lorsqu'ils ne présentent pas un intérêt
anecdotique particulier ; des procès se déroulant devant toutes sortes
de juridictions. C'est
ainsi, par exemple, qu'à la mi 1778, FERRAND Cadet est, une fois encore
en litige avec Jean DESSALLE, le boulanger de VILLANDRAUT. Après
le Jugement d'Avril 1775, on aurait pu croire que, faute de s'entendre,
les deux protagonistes auraient pu cesser leurs relations commerciales. Il
n'en est rien, et ils sont de nouveau devant la Cour Consulaire de
BORDEAUX. FERRAND vient d'y gagner son nouveau procès le 3 Juin, mais le 14 suivant, DESSALLE interjette appel. Encore une affaire qui ira loin. |
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Le
moulin de Léogeats pose problème.
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Entre
temps, Jean BOURRICAUT, le sous-fermier du moulin de LEOGEATS manifeste
son mécontentement. Certes, il a obtenu un prix de ferme réduit, mais il
n'arrive pas à faire fonctionner l'une des meules de son moulin. Il a
fait part de ses difficultés à Etienne FERRAND qui ne s'est pas trop intéressé
à son problème. BOURRICAUT demande avec insistance qu'on lui répare son moulin, non seulement la meule défectueuse, mais aussi la toiture de sa maison qui prend l'eau de toutes parts, sans parler du déversoir qui n'est pas en trop bon état. Or, FERRAND ne bouge toujours pas. Lassé, BOURRICAUT va lui adresser une sommation par acte notarié du 17 Décembre 1778. Il lui rappelle que dans leur contrat passé en Février de la même année, il avait pris l'engagement : "de
faire faire toutes les réparations requises et nécessaires... audit
moulin et bâtiments en dépendant, ce qu'il négligea de faire puisque
(BOURRICAUT) n'a pu moudre depuis plus de quatre mois qu'avec une meule,
l'autre meule étant hors d'état de servir à aucun uzage, à moins de réparations,
comme aussy la chambre de maison dudit moulin (qui) est inhabitable par
les gouttières." Il somme donc FERRAND de faire procéder à ces réparations "
et lui déclare qu'il ne luy payera que la moitié du prix de ladite ferme
jusqu'à ce que lesdites réparations soient entièrement faites, attendu
que par le défaut de la meule, il ne profite que de la moitié du produit
du moulin.." Or, FERRAND Cadet a pour le moment d'autres soucis en tête et n'a pas trop le temps de s'occuper du moulin de LEOGEATS. Il marque néanmoins sa bonne volonté en répondant à BOURRICAUT de faire faire les réparations nécessaires : "
à la moins dite des ouvriers..." et
qu'il en retienne le prix sur le montant des fermages qu'il lui doit. Il
pose seulement pour condition d'être convoqué le jour où l'on comparera
les diverses propositions de devis. Cela
aurait pu être une bonne solution, mais, pour des raisons que nous
ignorons, elle n'a pas eu de suite car, l'année suivante, nous allons
retrouver les deux protagonistes face à face devant les mêmes problèmes
qui, dans l'intervalle, n'ont pas évolué d'un pouce. Cette
fois-ci, nous sommes devant une question de responsabilité. Pourquoi
cette meule ne fonctionne-t-elle pas ? Est-ce la faute de la vétusté de
l'installation (donc, de FERRAND), ou bien celle d'une mauvaise
utilisation de la mécanique (donc, de BOURRICAUT) ? Mais
qui est donc allé poser cette question puisque, pour une fois, FERRAND
avait proposé une solution simple et immédiatement applicable en dehors
de toute contestation. Nous ne le saurons pas. Toujours est-il, que le 20
Septembre 1779, les deux hommes se sont retrouvés au Bourg de LEOGEATS,
et que, faute de pouvoir s'entendre sur ce problème de responsabilité,
ils convinrent de s'en remettre à deux experts qu'ils désigneraient pour
examiner cette meule BOURRICAUT choisit un meunier de BUEGUEY, et FERRAND
un meunier de LANGON. Mais
les choses se passent mal ; l'expert de FERRAND se présente au moulin,
tout seul, et sans avoir prévenu quiconque, alors que BOURRICAUT est
absent. Il n'est pas content, et on le comprend, car il aurait eu des
choses à lui dire. Par ailleurs, il eût été bien préférable que les
deux experts procèdent à leur examen en commun ; les échanges de vues,
en pareil cas, sont toujours fructueux. Au
surplus, BOURRICAUT joue de malheur car son propre expert ne peut se déplacer
"à cause de ses infirmités"; il en désigne un autre
venu, cette fois, de St MAURILLON. Et lui aussi, bien sûr travaille seul.
Après quoi, il se rend à LANGON pour conférer avec l'expert de FERRAND
et constater qu'aucun accord n'est possible car leurs conclusions sont
parfaitement divergentes. Il
faut donc envisager la nomination d'un "tiers expert"
pour départager les deux premiers. Encore une affaire qui traînera pendant des mois pour en venir finalement à une solution de compromis qui ne nous sera même pas détaillée et que l'on aurait pu probablement trouver dès l'origine sans recourir à toutes ces procédures. |
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Etienne Ferrand Cadet change de métier
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A
partir de ce moment-là, Etienne FERRAND Cadet semble se détourner de
plus en plus de la meunerie. Pourtant, le contrat de ferme qui le lie au
Seigneur de NOAILLAN court jusqu'au 20 Avril 1782, un contrat qui ne sera
certainement pas renouvelé car on n'en retrouve nulle trace. Mieux
encore, dès le 2 Février 1781, FERRAND est de nouveau domicilié en sa
maison de PEYREBERNEDE où on le dit établi "marchand",
sans autre précision. Il
va désormais s'occuper de commerce de bois et cela va aussitôt l'entraîner
dans une interminable affaire qui va l'opposer à une autre branche de
notre famille celle des MARSAU, à TRISCOS, Paroisse de BALIZAC. Vers le mois d'Avril 1781, FERRAND Cadet avait acheté une importante quantité de pins à Pierre MARSAU, dit Pierre de LA BEZOUE (en gascon, "de la Veuve"). Ce marché avait été conclu pour la somme de 1800 Livres, une somme particulièrement importante. Lorsque le temps de l'exploitation fut venu, le 2 Février 1781, les deux parties passèrent devant Notaire une convention de paiement : " laquelle somme de dix huit cent Livres ledit FERRAND promet et s'oblige de la payer audit MARSAU, savoir six cens Livres au premier Juin prochain, et les douze cens Livres du surplus dans un an prochain courant à compter de ce jour ; le tout sans intérêt jusqu'aux deux époques. Et faute de payement, les deux époques expirées, avec l'intérêt suivant les derniers Règlements...." C'étaient là des conditions financières particulièrement avantageuses puisque FERRAND avait le temps d'exploiter ces bois, de les scier et de les vendre avant de les avoir lui-même payés. |
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Ferrand Cadet mauvais payeur. |
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Or,
à l'échéance du 1er Juin, FERRAND n'est pas au rendez-vous. Les retards
dans les paiements étaient alors chose courante; et des retards parfois
très conséquents; on payait les intérêts convenus et nul ne s'en
formalisait. Mais avec Pierre MARSAU, c'est une toute autre affaire ! Sa réaction
est littéralement fulgurante. Trois
semaines plus tard, le 21 Juin 1781, il a déjà en main un ordre exécutoire
délivré par le Parlement de BORDEAUX lui conférant le droit de saisir,
si besoin est, les biens de FERRAND. Comment
a-t-il pu se procurer un tel document auprès d'une aussi haute
Juridiction en si peu de temps ? Car
si l'Administration Royale était remarquablement expéditive, la Justice
civile, sous quelque forme qu'elle se manifeste, Seigneuriale, Sénéchale,
Parlementaire, et même Consulaire, était fort lente à se mouvoir. Nous
ne savons donc pas par quelle procédure Pierre MARSAU est passé, mais il
est incontestable qu'avant la fin du mois, il avait en main, à l'encontre
de FERRAND, un document absolument imparable. Et il le fit signifier à
son domicile à PEYREBERNEDE le 3 Juillet suivant, non point par un simple
Notaire, mais par un Huissier de la Prévôté Royale de BARSAC. Avec
MARSAU, on ne plaisantait pas ! Cette
affaire a démarré très vite et très fort, mais elle va maintenant
s'enliser dans des procédures locales. FERRAND attaque la saisie prononcée
en vertu de l'Ordre Exécutoire devant le Tribunal de NOAILLAN dans une
action dite "en cassation". C'est
une voie qui ne saurait aboutir. Comment la Cour Seigneuriale de NOAILLAN
pourrait-elle infirmer une décision de la Cour souveraine du Parlement ?
Mais il s'agit simplement pour FERRAND de gagner du temps et de repousser
les contraintes de la saisie. D'ici à ce qu'une décision soit prise, il
pourra s'écouler bien des mois ; et FERRAND, qui n'a manifestement pas
l'argent pour s'acquitter de sa dette espère, dans l'intervalle,
rencontrer une fortune meilleure... Or,
Pierre MARSAU va commettre une erreur, il va confier son affaire à l'un
de ses cousins, Bernard LARRUE qui habite NOAILLAN, et lui remettre tous
les documents utiles pour suivre ses intérêts contre FERRAND. |
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Pierre Marsau un créancier énergique.
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Or
ce LARRUE est loin de développer la même énergie que MARSAU. Au bout de
deux ans, son affaire n'a pratiquement pas bougé. Soudain, Pierre MARSAU
se réveille; et le fait que sa fille. Jeanne, dans l'intervalle, ait épousé
Bernard FERRAND, neveu de son débiteur, ne va pas modérer sa réaction. Elle
va être énergique. Il s'adresse directement au Procureur Général du Parlement de BORDEAUX. Apparemment il ne fréquente que les hauts degrés de Juridiction, mais la chose lui réussit assez bien. Il lui présente donc une supplique qui, une fois n'est pas coutume, est parfaitement claire et explique fort bien sa situation : "A Monseigneur le Procureur Général du Parlement de BORDEAUX. Supplie humblement Pierre MARSAU, dit la BESOUE, habitant de la Paroisse de BALIZAC, disant que voulant ramener à exécution un contrat d'obligation d'une some de 1800 Livres consenti en sa faveur par Etienne FERRAND, cy-devant meunier de NOAILLAN, il (a) fait procéder contre lui par saisie sur laquelle (est) intervenue une instance en cassation... devant l'Ordinaire de NOAILLAN, entre le suppliant et ledit FERRAND. Que n'ayant pu poursuivre par lui-même cette instance, il (a) accepté l'offre que lui fit Bernard LARRUE dit REY, scieur de long de NOAILLAN, son cousin, d'en faire les poursuites, et lui (a) remis, il y a environ deux ans, les pièces qui y avoient trait, avec soixante douze Livres pour fournir aux frais. "Le
suppliant n'ayant jamais vu la fin de cette affaire, ni ne sachant (où)
elle en est, soit parce que ledit LARRUE, après avoir reçu son argent a
trouvé à propos de ne faire aucune poursuite, ou, s'il en a fait, les a
abandonnées; et il s'est constamment refusé de remettre au suppliant ses
pièces pour poursuivre lui-même le jugement, (il) se voit (donc) dans la
nécessité d'implorer le secours et l'autorité de Votre
Grandeur..." Le
Procureur Général appuiera sa démarche. La saisie effective sur les
revenus de FERRAND interviendra le 26 Mai 1784. A partir de ce moment-là
il va prendre l'affaire réellement au sérieux et va tenter de commencer
à se dégager de sa dette. Mais il est à coup sûr en situation
difficile, car, ayant beaucoup attendu, les frais se sont accumulés; le réveil
est très pénible. Le
20 Juin, FERRAND procède à un premier versement. On sent qu'il a mis au jeu tout ce dont il disposait, savoir l'équivalent de 630 Livres tant en monnaie d'argent qu'en vin rouge que MARSAU veut bien accepter en paiement. Sur cette somme, 132 Livres seront prélevées pour régler les intérêts échus, et 38 Livres pour les frais de saisie, si bien que seules 460 Livres viendront en déduction des 1800 Livres dues, et FERRAND restera redevable de 1340 Livres. Pierre MARSAU accepte néanmoins de lui accorder main levée de la saisie pour lui permettre de remettre en ordre ses affaires qui paraissent être plutôt mal en point. |
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Une situation difficile
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Cette
situation difficile ne l'a pas pour autant assagi, ses réactions sont
toujours aussi violentes et inattendues. Lors de la première saisie,
celle de 1781, un certain Jean DUCOS Père avait été désigné comme
l'un des séquestres. On
ne postulait pas une telle fonction qui était d'ailleurs passablement
contraignante, on était désigné d'office, et seules, de graves considérations
de santé, acceptées par le Tribunal pouvait en dispenser. Si donc Jean
DUCOS Père était l'un des séquestres d'Etienne FERFAND, c'était bien
malgré lui. Or,
voilà que le 6 Juin 1782, sur les huit heures du soir, Jean DUCOS Fils,
dit BELLOT, se trouva d'entrer dans le cabaret qu'Etienne JEANIN tenait au
Bourg de NOAILLAN. Il
avisa Michel ROCHEAU, dit le LIMOUSIN, un scieur de long, qui était en
compagnie à une table. Il s'approcha et lui dit qu'il avait besoin de le
voir. Etienne
FERRAND qui se trouvait là s'approcha et lui dit qu'il n'était qu'un
enfant, que s'il avait besoin de parler à ROCHEAU, il n'avait qu'à le
faire devant toute la compagnie, puis il se mit à l'injurier, le traitant
de foutu drôle, de foutu gueux et même de ... "barbare"
!! Enfin,
il lui envoya deux bourrades et le prit au collet. Jean DUCOS Fils ainsi
agressé chercha à se défendre, mais Bernard LARRUE qui se trouvait
parmi les consommateurs et servira ultérieurement de témoin s'interposa
et sépara les deux antagonistes. Jean DUCOS Fils porta plainte auprès du
Juge de NOAILLAN, et une information fût ouverte le 17 Juin. Les
divers témoins interrogés confirmèrent tous, à quelques détails sans
importance près, la version du plaignant, et ceci sans marquer d'hostilité
particulière à FERRAND. |
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Un procès dont Ferrand Cadet
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Le
26 Juin, FERRAND fut "ajourné à comparaître" devant la
Cour de NOAILLAN, et le dossier s'arrête là, mais nous savons qu'il a eu
une suite et même qu'elle s' est prolongée très loin, jusque devant le
Parlement de BORDEAUX. Le
Juge de NOAILLAN a prononcé une condamnation le 24 Septembre 1783, soit
donc plus d'un an auprès l'incident, et FERRAND en a fait appel devant le
Parlement. Ce
dernier a demandé au Juge de NOAILLAN de lui expédier toutes les pièces
de ce procès, et un huissier de la Prévôté Royale de BARSAC s'est déplacé
spécialement à NOAILLAN le 11 Février 1784 pour venir les chercher. C'est
pour cela que ces pièces n'ont pu être retrouvées sur place. En tout état
de cause, il n'est pas douteux que FERRAND ait été condamné, et cela a
dû lui coûter affreusement cher dans un moment où l'état de ses
affaires ne lui permettait certainement plus une telle dépense. |
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Sa dette court toujours et il est à bout de ressources. |
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Nous
parvenons ainsi à la fin de 1785 sans qu'il ait versé un seul sol à
Pierre MARSAU sur les 1340 Livres et 17 Sols qu'il lui doit encore. MARSAU
revient devant le Parlement et, le 7 Décembre, en obtient à grands frais
(pour FERRAND) des "Lettres de Chancellerie" autorisant
une nouvelle saisie des revenus du débiteur. Les choses s'étirent en divers combats d'arrière garde jusqu'aux premiers jours de 1787. C'est alors que FERRAND, le 7 Janvier : "étant instruit des agissements rigoureux dont il est menacé serait allé vers (MARSAU et) lui aurait fait part de l'impossibilité où il se trouvoit de luy payer ladite somme... et l'auroit prié de vouloir luy accorder pour cela un délay de quatre ans à compter du 20 Juin prochain, qu'en attendant,(il) luy en payeroit l'intérêt chaque année ... sans qu'il (soit) besoin de lui faire faire des commandements afin de luy éviter des frais... A laquelle prière, ledit MARSAU, par bonté de coeur a déféré. En
conséquence, ledit MARSAU a prorogé et accordé audit FERRAND ledit délay
de quatre ans... de manière que ledit FERRAND promet et s'oblige de payer
audit MARSAU ladite somme de 1340 Livres 17 Sols dans le délay de quatre
ans.. avec l'intérêt d'icelle annuellement (fixé).. à deux barriques
de vin chaque année, savoir une du rouge et l'autre du blanc, fût remis
(c'est-à-dire, non logé), de celuy que ledit FERRAND recueillera dans
son bien, (et) au choix dudit MARSAU... (chaque) mois d'Octobre de chacune
desdites années..." Il
était en outre prévu que FERRAND aurait éventuellement la faculté de
se libérer avant l'échéance, en un ou plusieurs paiements, à condition
que chacun d'eux ne soit pas inférieur au tiers du total, l'intérêt
diminuant au pro rata des remboursements. En
outre, dans le même acte, FERRAND versait à MARSAU 177 Livres représentant
à la fois les intérêts échus jusqu'au 20 Juin suivant, et les frais de
Justice engagés par MARSAU dans les diverses procédures de poursuite. On
voit bien que FERRAND était parvenu assez bas; non seulement il se
reconnaissait incapable de régler le montant de sa dette, mais il ne
pouvait même plus envisager de solder ses intérêts autrement qu'en
nature. Quant à Pierre MARSAU en dépit de toute sa diligence, il aura fait en tout cela une bien mauvaise affaire. Il suffit de compter quatre ans à partir du 20 Juin 1787 pour se rendre compte que l'échéance finale va tomber à la mi-1791, au moment de la grande pénurie de monnaie métallique. |
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Avec les conséquences monétaires de la Révolution son créancier finira par être payé en monnaie de singe. |
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Cette
crise s'était manifestée à BORDEAUX dès le mois de Septembre 1789. Les
places étrangères avec lesquelles le négoce local était
traditionnellement lié étaient normalement payées en billets à ordre.
Inquiètes de la tournure que prenaient les évènements, ces places se
mirent à exiger des règlements comptant et en espèces. Il
en résulta très vite une énorme hémorragie de monnaie métallique qui
en vint très rapidement à poser d'insolubles problèmes au commerce
local aussi bien qu'à la vie quotidienne de tout un chacun. L'étude de
ce phénomène dépasserait de beaucoup notre propos. Retenons simplement
qu'à la suite de pressantes démarches auprès de VERSAILLES, la Chambre
de Commerce de BORDEAUX obtint l'autorisation de faire fondre des piastres
espagnoles pour frapper des écus français à la Monnaie de BORDEAUX. Peine
perdue, même poursuivie jusqu'en 1791, cette opération fut bien loin d'être
à la mesure de la pénurie. Finalement, avec un peu de chance, en
admettant que FERRAND ait fini par faire face à ses obligations, Pierre
MARSAU aura fini d'être payé en assignats, autant dire en monnaie de
singe pour la majeure partie de sa créance. Après
ce dernier acte passé avec MARSAU, suivi quelques mois plus tard par le décès
de son Frère Aîné au moulin de LA FERRIERE, le 23 Octobre 1787, un
grand silence se fait autour de FERRAND Cadet. Sa
situation, passablement obérée, ne lui permet probablement plus de se
livrer aux frasques diverses auxquelles il nous avait habitué. Nous le
retrouvons pourtant, en pleine Révolution, le 17 Novembre 1792, mais là
encore, si l'on en juge par les quelques documents qui nous sont parvenus,
il va se retrouver en situation plutôt précaire. En ce 17 Novembre 1792, le Curé DURANTY dresse les derniers actes d'Etat Civil sur ses Registres Paroissiaux de NOAILLAN. Il s'agit de deux mariages célébrés ce jour-là, après quoi ces Registres sont pris en charge par la toute jeune Commune, et remis... à FERRAND, qui devient "Officier Public" : "Nous, Raymond LATRILLE, Maire de la présente Communauté de NOAILLAN, avons clos et arrêté le présent Registre pour être remis au Citoyen FERRAND, Officier Public, conformément à la Loy du 20.7bre et avec copie de cette même Loi" "A
NOAILLAN, le 21 9bre 1792, l'An ler de la République Française. LATRILLE
Maire - DEBAT Greffier." Or,
FERRAND n'assurera cette fonction que pendant trois semaines, après quoi,
à partir du 8 Décembre suivant, il disparaît de la tenue des registres
sans autre explication. Les
actes suivants sont dressés par un nouveau Maire, DUBERNET, "'étant
en place d'Officier Public". Dans ces trois semaines, il a donc dû se produire une sorte de révolution de palais dans la Mairie de NOAILLAN, et FERRAND en a été apparemment la victime. |
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Ferrand Cadet marie ses derniers fils. |
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Le
2 Messidor An III (21 Juin 1795), Etienne FERRAND Cadet marie le dernier
de ses fils, un autre Etienne, pour ne pas changer. Ce devait être un
enfant très précoce, car il n'était âgé que de quinze ans. A cette
singularité, il s'en ajoutait une autre, non moins surprenante, sa jeune
femme avait trois ans de plus que lui. C'était
enfreindre un tabou quasi absolu qui ne reposait sur aucune réglementation
mais qui était consacré par l'usage. Ne fût-ce que de quelques mois,
voire même de quelques semaines, les épouses devaient être plus jeunes
que leur mari. Et
cet usage vole en éclat à la Révolution; les cas d'exception à cette
vieille règle deviennent même si nombreux que l'on pourrait presque y
voir une sorte de libération de contrainte. Ce
jeune couple attendra cinq ans avant d'avoir ses premiers enfants, deux
jumeaux, le 13 Septembre 1800 Etienne et Arnaud dont aucun ne survivra
puisque le premier mourra au bout de 17 jours et le second au bout de 25. Frappé
de malheur, ces jeunes perdront encore un petit Jean le 25 Novembre 1801
et encore un autre petit Arnaud, à l'âge de sept mois, le 28 Juillet
1804. Entre
temps, le 25 Vedémiaire An V (18 Octobre 1796), FERRAND Cadet était
redevenu " Agent Municipal " et s'était vu remettre les
Registres d'Etat Civil de la Commune. Il les conservera jusqu'au 23 Mars
1797, date à laquelle, toujours sans explication, il les reperdra. Le
20 Germinal An VII (9 Avril 1799) l'aîné des garçons FERRAND, Jean, se
mariait à son tour, à l'âge de 24 ans, avec Marguerite MATHA,
originaire de LEOGEATS, laquelle en avait 21. Et
le 16 Thermidor de l'An VIII (4 Août 1800), FERRAND Cadet reprendra une
dernière fois la tenue des Registres d'Etat Civil de la Commune, cette
fois-ci avec le titre d'Adjoint au Maire. Il
en conservera la charge jusqu'au 13 Fructidor An IX (31 Août 1801), date
à laquelle il en sera définitivement dessaisi. |
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La fin d'Etienne Ferrand Cadet. |
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Nous
n'entendrons plus parler de lui jusqu'au décès de sa femme, Marie
LAPIERRE, le 2 Décembre 1808, à l'âge de 59 ans. Elle lui avait apporté
une bonne part de sa fortune et avait vécu dans la plus grande discrétion. Etienne PERRAND Cadet ne lui survécut pas. Il mourut quinze jours plus tard en son domicile au Quartier de PEYREBERNEDE à l'âge de 70 ans et demi (et non de 72 comme le rapporte son acte de décès); il n'était plus Adjoint au Maire, mais était encore Conseiller Municipal : "Le 17 Décembre 1808, à dix heures du matin, par devant nous, Maire de NOAILLAN, Officier de l'Etat Civil sont comparus Sieur Génome FONTEBRIDE, propriétaire, âgé de 48 ans et François GAZA,.. âgé de 47 ans, habitants de NOAILLAN, lesquels nous ont déclaré qu'Etienne FERRAND, membre du Conseil Municipal de cette Commune est décédé hier matin à sept heures à son domicile dans NOAILLAN, à PEYREBERNEDE ; ledit FERRAND âgé de 72 ans et veuf de Marie LAPIERRE, décédée eu cette Commune le 2 du courant..." Ainsi devait s'achever la vie d'un personnage passablement picaresque qui avait souvent défrayé la chronique locale par ses foucades imprévisibles et son esprit de chicane impénitent. |
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Réalisée le 30 août 2009 |
André Cochet |
Mise sur le Web le août 2009 |
Christian Flages. |