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Les Ferrand.

 

Histoire d'une famille de meuniers picaresques

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Jean DARTIGOLLES.

 

Sommaire:

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Chapitre 3.
HISTOIRE des DEUX FILS de JEAN FERRAND   Les DEUX ETIENNE L'AINE et le CADET.
 
I - ETIENNE L'AINE (1723-1787)
La famille d'Etienne Ferrand aîné. ( image)
Des rixes mémorables.     (Page) : 65
L'insécurité s'empare de Noaillan ;  le problème des jeunes de la banlieue.     (Page) : 71
Etienne Ferrand Aîné se marie.     (Page) : 72
Où l'on retrouve DUPUY, l'agresseur d'Etienne.     (Page) : 75
La famille d'Etienne Aîné s'agrandit.     (Page) : 75
Etienne reprend les procès de son père.     (Page) : 76
Etienne Aîné devient tuteur de son cousin germain.     (Page) : 77
La famille Ferrand s'agrandit encore.     (Page) : 80
Le désastre de 1758.     (Page) : 80
Un guet-apens.     (Page) : 82
Le procès qui s'ensuivit.     (Page) : 84
Le tremblement de terre de 1759.     (Page) : 86
De grands désordres se manifestent à Noaillan.     (Page) : 86
L'implacable enchaînement des dettes et des frais de justice.     (Page) : 88
Les deux frères Ferrand Etienne Aîné et Cadet entrent en conflit.     (Page) : 89
MAISON D'ETIENNE FERRAND AINE A HOURTHONLe 13 Novembre 1762    (Page) : 92
Il apparaît que le juge connaît bien les deux plaideurs.     (Page) : 94
Des fraudes de toutes sortes prolifèrent dans le commerce à Noaillan.     (Page) : 94
La prison seigneuriale de Noaillan n'a plus de geôlier.     (Page) : 95
La mauvaise récolte annoncée pour 1763 incite Ferrand Aîné  à reconsidérer sa situation.     (Page) : 96
Etienne Ferrand Cadet devenu majeur se manifeste sans tarder.     (Page) : 97
Ferrand Aîné redevient meunier  en reprenant le moulin de La Ferrière.     (Page) : 99
Ferrand aîné s'installe à la Ferrière.     (Page) : 100
1767, une bien triste année.     (Page) : 101
Etienne Ferrand aîné se remarie, une situation complexe.     (Page) : 102
Les moyens estimés nécessaires  pour assurer la subsistance d'une femme seule     (Page) : 105
Le commerce des grains devient libre.     (Page) : 106
Au seuil d'une nouvelle génération le fils d'Etienne Aîné se marie.     (Page) : 106
Le second fils trouve à son tour parti de mariage.     (Page) : 108
L'épizootie catastrophique de 1774.     (Page) : 109
Le troisième mariage d'Etienne Ferrand Aîné.     (Page) : 110
Ferrand Aîné en conflit avec le curé de Noaillan.     (Page) : 111
Un bien curieux contrat.     (Page) : 112
Mais quelle est donc la situation du jeune Bernard dit "Tchit".     (Page) : 113
Les mariages des derniers enfants d'Etienne Aîné.     (Page) : 114
La fin d'Etienne Ferrand Aîné.     (Page) : 115
II – ÉTIENNE LE CADET (1738 – 1808) 
Le mariage d'Etienne Ferrand Cadet.     (Page) : 115
Une aisance exceptionnelle.     (Page) : 117
Ferrand Cadet fait montre  d'une gestion douteuse et de réactions excessives.     (Page) : 117
D'autres querelles de voisinage.     (Page) : 119
Un délit de chasse.     (Page) : 122
Le procès qui s'en suit.     (Page) : 123
On ne saura pas comment l'affaire s'est terminée.     (Page) : 124
Ferrand Cadet redevient meunier.     (Page) : 124
Toute une affaire pour une plaisanterie après boire.     (Page) : 125
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?     (Page) : 127
L'ouragan de Notre Dame (8 septembre 1763)     (Page) : 128
Ferrand Cadet se lance dans une politique  de petites acquisitions successives.     (Page) : 130
L'aygat Dous Rameous et ses conséquences locales.     (Page) : 130
Une mauvaise affaire pour pas grand chose.     (Page) : 132
L'émouvante détresse d'une pauvre veuve.     (Page) : 132
Etienne Ferrand Cadet change de moulin.     (Page) : 133
Les émeutes frumentaires de mai 1773 à Villandraut.     (Page) : 134
Ferrand Cadet a des problèmes  avec les autorités, mais c'est lui qui a raison.     (Page) : 137
Peut-être une lueur sur une question pendante.     (Page) : 138
Et maintenant un procès devant le Tribunal de Commerce de Bordeaux.     (Page) : 139
L'affaire des péages perçus sur les radeaux au franchissement des moulins.     (Page) : 139
Un témoin peu coopératif.     (Page) : 140
Le moulin du Bascans a des problèmes.     (Page) : 141
Des voleurs récalcitrants.     (Page) : 141
Un syndic paroissial contesté.     (Page) : 142
Ferrand Cadet tente un coup de force qui échoue.     (Page) : 142
Hold up nocturne sur des choux.     (Page) : 143
Ferrand Cadet fait de la résistance.     (Page) : 144
Coup de théâtre.     (Page) : 145
Ferrand Cadet envisage une réforme de la fiscalité locale.     (Page) : 145
Une vive opposition se manifeste.     (Page) : 146
Un oubli bien fâcheux.     (Page) : 147
Comment faire une " affaire " avec rien ?     (Page) : 149
Une tentative de putsch avortée.     (Page) : 149
L'affaire rebondit.     (Page) : 150
Comment arrêter un procès que personne n'a engagé ?     (Page) : 151
Quelques remises en ordre s'imposent sur le marché de Villandraut.     (Page) : 152
Le moulin de Léogeats végète.     (Page) : 152
Des troubles en perspective.     (Page) : 153
Le moulin de Léogeats pose problème.     (Page) : 154
Etienne Ferrand Cadet change de métier mais pas de comportement.     (Page) : 155
Ferrand Cadet mauvais payeur.     (Page) : 156
Pierre Marsau un créancier énergique.     (Page) : 156
Une situation difficile qui ne saurait assagir Ferrand Cadet.     (Page) : 157
Un procès dont Ferrand Cadet n'avait certainement pas besoin.     (Page) : 158
Sa dette court toujours et il est à bout de ressources.     (Page) : 158
Avec les conséquences monétaires de la Révolution son créancier finira par être payé en monnaie de singe. (Page) :159
Ferrand Cadet marie ses derniers fils.     (Page) : 160
La fin d'Etienne Ferrand Cadet.     (Page) : 160

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     Chapitre 3.

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HISTOIRE des DEUX FILS de JEAN FERRAND
Les DEUX ETIENNE l'AINE et le CADET.

 

I - ETIENNE L'AINE (1723-1787)

 

La famille 
d'Etienne Ferrand Aîné.

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Etienne FERRAND Aîné, que l'on verra appeler parfois PETITON était né à NOAILLAN le 17 Mars 1723 et avait reçu pour Parrain Etienne PERROY, le Notaire du lieu, qui deviendra plus tard le Procureur d'Office du Tribunal local. Nous ne reviendrons pas sur cet évènement que nous avons déjà évoqué en son temps.

L'enfant suivit les pérégrinations de sa famille, mais passa l'essentiel de sa jeunesse au moulin de VILLANDRAUT où il arriva très jeune, vers l'âge de 8 ans. Il n'avait pas perdu pour autant le contact avec NOAILLAN, le berceau de sa famille, ainsi que nous allons le voir sans tarder.

C'est en fin 1743, à l'âge de vingt ans, et précisément à NOAILLAN qu'il commence à défrayer la chronique.

Sommaire.

     Des rixes mémorables.

L'affaire est confuse, et les quelques dizaines de pages de procédure qu'elle suscita ne nous éclairent pas toujours de façon décisive. Sur un fond d'inimitié préalable, tout est parti d'une querelle après boire.

Nous sommes au soir du 15 Décembre 1743, un Dimanche, Etienne FERRAND termine cette journée de repos en soupant avec quelques amis chez Barthélémy BANCON, Hôte au Bourg de NOAILLAN.

Outre FERRAND, il y a là André CAZADE, 27 ans, scieur de long, Jean Baptiste DUPRAT, 20 ans, qui est le fils de l'homme d'affaires du Seigneur local, Joseph PERROY, 21 ans, praticien à VILLANDRAUT, Pierre DESSALAS dit TENECHE, 21 ans, tailleur d'habits à VILLANDRAUT et Jean GAILLET, dit BAILLETON, le fils du Boucher de NOAILLAN.

Il s'agit donc d'un petit groupe de jeunes gens appartenant sinon à la jeunesse dorée locale, du moins à une catégorie sociale leur permettant d'avoir en poche les quelques dizaines de sols nécessaires pour dîner ensemble au cabaret un Dimanche soir, et, à l'époque, en milieu rural, ce n'était pas un cas général.

Pour être tranquilles pendant leur repas, ils avaient pris place dans une salle située à l'étage. Ce repas terminé, le petit groupe descendit dans l'une des salles du rez-de-chaussée "pour se divertir"; formule discrète recouvrant très probablement une partie de cartes ou un quelconque jeu de dés.

Comment en effet faire état devant des Officiers de Justice d'une participation à des activités formellement prohibées et que les mêmes Officiers étaient très précisément chargés de poursuivre...?

Dans une salle voisine se trouvait Arnaud DUPUY, dit LARRAT, 25 ans, cordonnier à NOAILLAN, qui, lui aussi, se "divertissait" avec d'autres amis. 

Dans des conditions mal précisées, il avait été, en début de soirée, écarté du souper qui s'était déroulé à l'étage, et il en avait conçu un certain dépit dont il faisait surtout porter le poids sur Etienne FERRAND.

Barthélemy BANCON, l'aubergiste, allait d'une salle à l'autre, affairé à servir tout un chacun. Mais, ce faisant, il avait néanmoins une oreille qui traînait suffisamment pour recueillir au passage côté DUPUY quelques propos qui lui parurent alarmants. Sa femme, revenant de coucher leur fils dans la pièce à côté lui confirma son inquiétude, rapportant qu'elle avait entendu DUPUY dire et répéter plusieurs fois

"Le lou pagaran bièn...! (Ils me le payeront bien)

BANCON s'en vint donc dans la salle où se trouvait FERRAND et sa compagnie en lui demandant de ne pas trop " faire de carillon" et même de partir discrètement dès qu'ils auraient terminé car il se pourrait bien qu'ils fussent attendus à la sortie et qu'ils fissent quelque mauvaise rencontre. Il ne voulut pas en dire davantage et ne cita aucun nom.

Sur les neuf heures, le petit groupe se leva et sortit. Sur le pas de la porte, FERRAND et ses amis rencontrèrent DUPUY qui leur souhaita le bonsoir et se dirigea :

"vers le ruouet (le petit passage) qui sépare le jardin du Sieur BAUDINET de celluy de Pierre FAURENS.."

Mais les jeunes n'entendaient pas terminer aussi tôt leur soirée. D'un commun accord, ils décidèrent d'aller "boire l'eau de vie" chez la nommée CATIN de la PEYCHOTTE. Et tandis qu'elle leur ouvrait sa porte, comme par hasard, ils retrouvèrent DUPUY passant par là qui lui dit, sans pour autant s'arrêter :

"Ne leur donne pas d'eau de vie, ils te la feront perdre, ils ne te payeront pas..."

Personne n'y prit garde sur le moment et ils entrèrent. Ils restèrent là un temps qu'il est bien difficile de préciser car les témoignages varient de un quart d'heure à bien près de quatre heures... Qui croire ? Certainement pas Joseph PERROY qui est le seul à avancer l'estimation du quart d'heure car, dans un interrogatoire ultérieur, il reconnaîtra lui-même qu'ils en sortirent "fort tard"... Probablement pas non plus DUBEDAT qui avance 2 heures du matin; il est le seul à le dire et cela paraît exagéré.

Tous les autres témoignages oscillent entre minuit et une heure du matin et ce sont ceux-là les plus crédibles car certains d'entre eux émanent de personnes n'ayant rien à voir dans l'affaire et par conséquent plus objectives. Au surplus, aucun des témoins ne disposant de montre ou de quelconque pendule, on ne peut en attendre une bien grande précision. Nous retiendrons donc que les six jeunes gens sortirent de chez CATIN de la PEYCHOTTE sur la minuit passée.

Sur le pas de la porte, il se souhaitèrent le bonsoir et se partagèrent en deux groupes. CAZADE, DUPRAT et BAILLET se dirigèrent vers la place du village où ils s'arrêtèrent encore un instant tandis que FERRAND, PERROY et DESSANS ramassèrent chacun un bâton et prirent la route de VILLANDRAUT pour s'en retourner chez eux.

Cette affaire de bâton sera ultérieurement contestée par FERRAND qui niera fermement avoir jamais eu un "paoû" (bâton) en main. C'est son intérêt de le dire, mais tous les autres sont bien d'accord pour dire également qu'en sortant, ils ont bel et bien ramassé chacun un "paoû".

DESSANS dira plus tard que c'était juste "à dessein de se retirer", pour s'aider dans leur marche, car ils vont évidemment à pied. En fait, ils n'ont pas oublié l'avertissement que leur avait donné l'aubergiste BANCON et veulent parer à toute éventualité...

A quelque distance de là, voilà que DUPUY, le cordonnier, jaillit de sous et l'énban (le hangar) du Sieur MICHEL et interpelle FERRAND. Pourquoi n'a-t-il pas voulu de lui à leur souper ? Et FERRAND répond " parce qu'il ne le voulait pas ".

A partir de là, deux versions s'affrontent. Selon FERRAND, DUPUY se serait jeté sur lui et l'aurait saisi par son mouchoir de cou, l'aurait jeté à terre et aurait cherché à l'entraîner vers le petit ruisseau qui traverse le chemin " pour chercher à l'y noyer ". Selon DUPUY :

" soudain,ledit FERRAND luy a sauté à ses cheveus, le trétant de voleur et l'a jetté par terre..."

Une rixe s'ensuit dans laquelle PERROY et DESSANS prêtent main forte et usent plus ou moins de leur bâton. Tout cela ne va pas sans bruit. Depuis la place du village où il est encore, CAZADE entend des cris et des appels. Il se doute aussitôt de ce qui se passe et propose à ses deux compagnons d'aller sur place ; mais ceux-ci n'y tiennent guère et n'approcheront qu'à bonne distance tandis que lui se précipite et intervient vigoureusement pour séparer les combattants.

Entre temps, Marguerite LACAMPAIGNE, âgée de 60 ans, Mère de DUPUY, est sortie de leur maison et accourt elle aussi. Son fils vient de se relever et s'enfuit vers elle, mais FERRAND le poursuit et lui assène un coup de bâton sur l'arrière de la tête et l'étend pour le compte.

Plus tard, FERRAND contestera vigoureusement avoir donné ce coup de bâton, d'ailleurs, il n'avait pas de "paoû"... Mais tous les témoignages concordent, même ceux de ses compagnons, pourtant discrets. DUPUY est tombé aux pieds de CAZADE et sa tête saigne sur ses sabots.

Marguerite LACAMPAIGNE s'est emparé du chapeau de FERRAND et crie de toutes ses forces :

"Ajude ! Ajude ! A tuoûat lou mèn drolle ! ... Ah ! FERRAND. N'aoûrèy pa jamèy crésut aco de tu ! " 

(Au secours ! Au secours ! Il a tué mon fils. Ah ! FERRAND ! Je n'aurais jamais cru cela de toi !)

DUPUY reprend bientôt ses esprits et demande que l'on appelle le Curé. Mais ce ne sera pas nécessaire, il se relève et se réfugie chez lui. Sa Mère occupe encore le champ de bataille et tient toujours en main le chapeau de FERRAND que celui-ci veut récupérer; en vain, elle ne veut pas le lâcher.

FERRAND se fâche et dit que si elle ne veut pas le lui rendre, il ira tous les "espoutyi" (les écraser) dans leur maison. Des gens apparaissent, qui au balcon du "sourey" (du grenier), qui aux fenêtres, mais personne ne descendra.

C'est CAZADE qui conduira la difficile négociation du chapeau ; il est en effet bien placé pour cela, d'abord parce qu'il n'a pas participé à la rixe, mais aussi et surtout parce qu'il détient lui-même le chapeau de DUPUY ... Il fallut tout de même qu'il menace de faire intervenir Jean FERRAND, le meunier de VILLANDRAUT, Père d'Etienne pour que l'échange finisse par se faire.

Chacun va enfin rentrer chez soi, non sans que Marguerite LACAMPAIGNE ait promis à FERRAND " qu'il ne mourrait pas dans son lit..."

Les braves gens de NOAILLAN ont pu alors se recoucher, il n'y avait plus rien à voir.

Cette affaire aurait pu en rester là. Et de fait, pendant douze jours, il ne se passa rien. Mais elle eut une suite, et quelle suite...!

Le Vendredi 27 Décembre, jour de la Fête de St JEAN l'Evangéliste, Etienne FERRAND et son Père Jean étaient venus entendre la messe à NOAILLAN. Ce détail est intéressant car il montre bien, entre beaucoup d'autres déjà rencontrés combien les FERRAND restaient attachés à NOAILLAN, de préférence à VILLANDRAUT où ils avaient pourtant leur domicile, leur industrie et leur commerce.

Ainsi donc, les voilà tous deux à NOAILLAN. Ils avaient déjeuné dans quelqu'auberge et rencontré par mal de monde car c'était une occasion de recouvrer quelques créances auprès de pratiques venues, elles aussi, à l'assemblée. Et sur ce point, le Père et le Fils s'étaient même semble-t-il partagé le travail puisque Jean, le Père, en début d'après midi, se tenait chez Jean JANIN, aubergiste, et avait envoyé Etienne à la recherche d'un débiteur chez Arnaud BAILLET, autre aubergiste, dit BAILLETON.

Et là, Etienne avait rencontré quelques amis à qui, un peu avant quatre heures, il proposa d'aller boire une pinte de vin nouveau chez Barthélemy BANCON avant d'aller rejoindre son Père chez JANIN.

L'auberge de BANCON parait avoir été un rendez-vous privilégié des jeunes puisque c'est chez lui que s'était déroulé le souper du 15 précédant la rixe.

Voilà donc un petit groupe sortant de chez BAILLETON pour traverser la place du village et se rendre chez BANCON lequel est installé de l'autre côté. Il y là, outre FERRAND qui les invite, Jean DUBOURG, 29 ans, scieur de long à NOAILLAN, Joseph PERROY, déjà connu, Jean DUPEYRON, 29 ans, boulanger au même lieu, un certain LAURAND, et le gendre de la Veuve DUPRAT de VILLANDRAUT.

Tout à coup, Arnaud DUPUY, le cordonnier, qui n'était pas tout à fait mort du coup qu'il avait reçu le 15, et qui ne semblait plus avoir, pour l'heure, un besoin immédiat de Monsieur le Curé, jaillit de sous " l'apan " (l'auvent) de BAILLETON et se précipite à toutes jambes derrière Etienne FERRAND.

Il lui saute dessus, et, le prenant aux cheveux par surprise, le fait choir dans la boue. Dans l'instant même, les deux soeurs de DUPUY, Mamy et Jeanne qui étaient aux aguets se précipitent à la rescousse, saisissent FERRAND aux cheveux et le maintiennent au sol tandis que leur frère lui assène de violents coups de poing au visage.

Tout ceci n'a duré qu'un instant. Surpris, les jeunes qui accompagnent FERRAND interviennent rapidement et séparent les combattants. DUPUY abandonne la partie, mais ses deux soeurs suivent la petite troupe en insultant copieusement FERRAND.

Et au moment précis où ils arrivent de l'autre côté de la place, sur le grand chemin public qui passe devant l'auberge de BANCON, les deux filles sautent de nouveau sur FERRAND par derrière, le prenant encore aux cheveux et parviennent à le faire tomber dans une mêlée confuse immédiatement dénouée par les autres jeunes, mais qui a duré assez longtemps pour que Mamy ait eu le temps de mordre FERRAND au majeur de la main droite "jusqu'à l'os".

Que croyez-vous qu'il arriva ? Pas tout à fait ce que vous pourriez imaginer. Arnaud DUPUY se précipita chez le Juge et alla lui déposer sa plainte, disant qu'il avait été attaqué par FERRAND dans la nuit du 15 au 16 écoulé, et qu'il venait de l'être à nouveau, sur la voie publique, en ce jour de la St JEAN d'hiver.

Il lui raconte que le 15 au soir, il :

" venoit de faire voyage et (s'était) trouvé être obligé de ne pouvoir point se retire chez luy que fort tard, c'est à dire environ une heure après minuit..."

Ce n'est pas très malin de sa part. Il peut bien se douter que la Justice va mener une enquête et que l'on va trouver quantité de témoins pouvant rapporter qu'au moins jusqu'à neuf heures, il a passé sa soirée chez Barthélémy BANCON...

Pourquoi donc aller inventer cette histoire de voyage ? Il explique ensuite que FERRAND, PERROY et DESSANS étaient cachés sous " l'enban" du Sieur MICHEL et qu'ils se jetèrent sur lui lorsqu'il vint à passer en le rouant de coups de bâton. Il se plaint donc :

"d'avoir esté assassiné à une heure après minuit tant par ledit FERRAND que par lesdits PERROY et (DESSANS) dit TENICHE, et que par ailleurs ledit FERRAND ne s'est point contenté de cella (puisque) il a continué sa malice quy l'a porté... à une réssidive, ayant retourné ataquer ce jourd'huy..."

Là encore, ce n'est pas très prudent, car il y avait des dizaines de témoins sur la place de NOAILLAN qui étaient à même de donner une toute autre version de l'affaire.

Le Juge accueille sa plainte et va autoriser l'ouverture d'une information.

Mais Etienne FERRAND prévenu accourt tout aussitôt et dépose à son tour une autre plainte devant le même Juge, présentant évidemment une autre version des faits.

Elle n'est guère plus sincère que celle de DUPUY...

Il expose : 

"...son Père fèzant commerce avec partie des habitants de cette Paroisse pour vente de farinnes de seigle, millet et panis, même de froment pour les bollangers et hôtes du présent lieu, ce quy est assès connu du public et de Vous, Monsieur (le Juge), il luy (avoit) ordonné de se rendre au présent Bourg pour y recevoir de l'argent de ses débiteurs, le quinze du courant, jour de Saint Dimanche, et s'estant voullu retirer, environ l'heure de neuf heures du soir, traversant sur la place publique, il (a) fait rencontre des nommés Arnaud DUPUY dit LARRAT, cordonnier du présent lieu, avec la nommée Mamy, sa soeur,... et de la nommée Marguerite LACAMPAIGNE, leur Mère quy estoient cachés derrière la muraille de la maison de Monsieur MICHEL l'Aîné, armés, chacun, d'un "paoû" de charrette, (là) où (lui FERRAND) devait passer pour se retirer. Et soudain qu'ils l'eurent aperçu, ils accoururent sur luy à grands coups de "paoûs" sur son corps, desquels il fût terrassé par terre...."

Pourquoi enjoliver ainsi l'affaire ? Pourquoi en particulier y mêler Mamy qui n'y était pas et Marguerite LACAMPAIGNE qui est effectivement intervenue après l'incident, mais qui n'était absolument pas en embuscade. Pourquoi ?

Ici encore, ce n'est pas très adroit car la moindre enquête va remettre les choses au point, et c'est bien ce qui va se passer. Quant à sa plainte sur les évènements de l'après midi, il n'a aucun besoin d'enjoliver les faits, ils se suffisent à eux-mêmes. Toutefois, il met une certaine complaisance dans la description des conséquences qu'il a subies :

"...comme ils le tenoient dessous, ladite Mamy luy a pris les doits de la main droite et les a mordus jusques aux os, de sorte qu'il est estropié pour sa vie..."

Le Juge accueillera également cette plainte et autorisera l'ouverture d'une autre information. La machine judiciaire est désormais lancée. Lancée, oui, mais non sans quelques traverses. En particulier, il se trouve que Monsieur PERROY, le Procureur d'Office qui doit requérir sur la cause est précisément le Parrain d'Étienne FERRAND. Il va donc se désister au bénéfice d'un autre Procureur :

"Nous, atendu la finité spirituelle avec ledit FERRAND, ... l'ayant tenu sur les fons de baptème, déclarons Nous abstenir et renvoyer la cause devant un Procureur Postulant pour la fonction de Procureur d'Office, dire et requérir ce qu'il avisera..."

C'est le Sieur De BOIRIE qui diligentera les deux enquêtes dans lesquelles les témoins comparaîtront deux fois pour raconter sensiblement les mêmes choses. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces volumineuses procédures sinon pour formuler quelques observations.

Nous noterons tout d'abord combien les Officiers de la Justice Seigneuriale connaissent bien leurs justiciables.

C'est normal, ils vivent dans le même village et les rencontrent à chaque heure, chaque jour. Ils ont donc inévitablement une idée personnelle sur les affaires qu'on leur soumet avant même d'avoir ouvert le dossier.

Lorsqu'Arnaud DUPUY prend place sur la sellette en vue de son interrogatoire, la toute première question que lui pose le Juge est particulièrement significative. Suivons le Procès Verbal du Greffier :

"Interrogé s'il n'est pas vray qu'il a depuis longtemps conu une haine implacable contre FERRAND"

"Répond et dénie ledit interrogat comme faux et supposé, sauf respect."

Comment le Juge peut-il savoir qu'une vieille inimitié oppose DUPUY et FERRAND ?

Le dossier n'en dit mot. Mais tout le Village le sait, et le Juge aussi, car il les connaît tous les deux. Et cela n'empêche nullement DUPUY, qui dépose pourtant sous la foi du serment, de nier l'évidence. Il niera bien d'autres choses :

"Interrogé s'il n'est pas vray qu'il auroit formé le dessein de guetter FERRAND... sur le chemin qui conduit à VILLANDRAUT à dessain de le maltraiter et s'il ne s'en venta pas le quinze du mois dernier, estant chez Barthélémy BANCON, l'après soupée ? "

"Répond qu'il n'a jamais conçu un tel dessain."

Comment tenir une pareille position ?

Le Juge a déjà entendu tous les témoins, il sait quelles menaces avait proféré DUPUY au cours de la soirée, il sait qu'il a été déçu de voir s'arrêter FERRAND et ses amis chez la PEYCHOTTE, et que c'est pour cela qu'il est revenu sur ses pas, il sait qu'il n'est pas rentré chez lui ... et qu'a-t-il donc fait dehors de neuf ou dix heures à la minuit passée ?

Et DUPUY nie tout en bloc.

Mais FERRAND n'est pas plus fiable. Il n'a pas pris de bâton en main en sortant de chez la PEYCHOTTE, alors que les témoignages en font une évidence. Pas davantage il n'en a frappé DUPUY alors que la rixe était pratiquement terminée et que CAZADE le ramenait vers sa maison :

"Interrogé comment il peut dénier que ledit DUPUY fut conduit par (CAZADE) puisque luy... ayant un bâton à la main, courut sur ledit DUPUY quy fut renversé par terre d'un coup qu'il luy donna-contre l'aureille... le sang en découlant abondament, ledit DUPUY (restant) sans parolle."

" - Répond et dénie n'avoir pris aucun bâton, ny donné aucun coup d'icelluy audit DUPUY. "

Nous en resterons là car tout le reste est à l'avenant.

Ces deux enquêtes iront jusqu'au terme de leur instruction, mais elles s'en tiendront là et n'aboutiront à aucune conclusion. Elles ne révéleront rien sur les origines lointaines du conflit ; en particulier nous ne saurons pas qui, des deux antagonistes en fut le véritable instigateur.

Par contre, elles auront mis en lumière que FERRAND, dans ces deux affaires fut réellement, par deux fois, l'agressé; mais elles auront aussi montré que le coup de bâton sur l'oreille de DUPUY dans la nuit du 15 au 16 Décembre, était absolument injustifié et parfaitement superflu...

Quelques semaines passent, plus rien ne bouge. Etienne FERRAND se présente à l'Audience du 30 Janvier 1744 et vient demander où en est l'instruction de sa plainte relative "aux excès " commis par Arnaud DUPUY, Mamy et Jeanne ses soeurs et Marguerite LACAMPPAIGNE, sa Mère.

On a l'impression que cette démarche est mal venue. DUPUY n'a rien demandé et ne demandera plus rien. Si FERRAND faisait de même, cela pourrait arranger bien des choses. On lui répond que les quatre coaccusés ont fait l'objet d'un Décret d'Ajournement Personnel, qu'ils ont comparu sur la sellette le 8 Janvier "qu'ils ont rendu leur audition " .

C'est parfaitement exact, mais la suite ? où en est-on ? La Cour permet à FERRAND de prendre connaissance du dossier par l'intermédiaire de son Procureur. Et l'on en restera là, plus personne ne reparlera de cette affaire. Il se peut que de discrets contacts entre Me PERROY Procureur d'Office et Parrain d'Étienne, rappelons-le, avec son Père Jean, ou avec lui-même, aient convaincu les FERRAND de ne pas trop insister.

Certes, Me PERROY s'était désisté de l'affaire, mais il ne pouvait pas en ignorer les développements, et du point de vue pénal, le malencontreux coup de bâton sur l'oreille de DUPUY après qu'il eût quitté le champ de bataille, pouvait difficilement être tenu pour légitime défense.

En menant les choses à leur terme, les DUPUY auraient certainement été punis d'amende, mais FERRAND n'en serait pas non plus sorti sans dommage. Alors, pour la paix des familles, ne valait-il pas mieux oublier un peu tout cela ?

Ce n'est qu'une hypothèse, mais force est de constater que plusieurs affaires concernant les FERRAND et dans lesquelles ils se sont trouvés en position pour le moins douteuse, s'évanouiront ainsi dans les dédales feutrés de l'oubli..

Et, si tel est le cas, Me PERROY avait matière pour donner force à son discours. Ce n'était pas en effet le moment d'attirer l'attention sur soi dans un village où grandissait l'insécurité et où se multipliaient les exactions de tous ordres. Il allait falloir sévir, et sans ménagement. Alors, attention à ceux qui se seraient mis dans le mauvais cas de participer, sous une forme quelconque, à ces désordres. 

Sommaire.

     L'insécurité s'empare de Noaillan ;
 le problème des jeunes de la banlieue.

De quoi s'agissait-il donc ? 

De bandes de jeunes, souvent venues de la campagne environnante qui venaient semer la panique dans le Bourg au cours d'expéditions nocturnes, cassant les charrettes, les brûlant à l'occasion, enfonçant les portes et importunant les paisibles villageois de toutes sortes de manières. Bref, un classique " problème de banlieue " et d'insécurité. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil...

Et c'est précisément Me PERROY qui était chargé de rétablir l'ordre et la tranquillité dans NOAILLAN. Il s'adresse au Juge et lui expose, quelques semaines après notre affaire, le 25 Mai 1744 :

" ... qu'il a le mal au coeur d'apprendre que bien loin, par la jeunesse du présent lieu, de se soummettre respectueusement (aux ordonances de Police), elle uze d'un mépris formel et punissable par les carillons et vols nocturnes qu'elle y commet, qui ont si fortement ému le public qu'il (ne) croit (plus) être en sûreté pour (sa) vie.

Il arriva il y a quelques temps que cette jeunesse s'avisa, la nuit, de faire dans le présent Bourg un carillon épouvantable, de heurter à toutes les portes, d'allumer un grand feu sur la place deux heures après minuit après avoir rompu plusieurs charrettes à des particuliers, transporté parties d'icelles dans le cimetière, dans les puids et ailleurs; razé et abattu le tour et margelle d'un puids, couppé et abattu toutes les barres et piquets qu'ils avoient trouvés, puis s'enfuirent. Ce qui causa une alarme aux habitants (et) qui les obligea à faire éteindre ce feu quy auroit pu cauzer du ravage, et de passer la nuit à faire garde, craignant quelqu'(autre) danger et pour découvrir les autheurs de cette entreprise...

....il est arrivé que la nuit du 24 du courant, jour de la Pentecôte, tirant au 25, ... Joseph LAPEYRE trouva le secret de débaucher et engager dans une de ses nouvelles entreprises certaine jeunesse faible qui se laissa cabaler en sorte qu'après s'être adressés à quelques hôtes au présent Bourg pour se faire donner du vin par force vers la minuit, ils furent rejetés et ils s'en allèrent ensuite chez quelques particuliers se faire donner du pain violemment, et non content de ce, ils parcoururent les maisons du présent Bourg et de la campagne où ils ont volé et enlevé nombre de poules, poulets, oeufs et fait des tapages affreux et préjudiciables au public..."

Il n'est pas douteux que si la Justice du Roi était venue se mêler de ce genre d'affaires, elles ne se seraient pas terminées sur quelques simples amendes au profit du Seigneur. Gare à ceux qui se seraient fait prendre, ils auraient bien pu aller apprendre des rudiments de navigation pendant quelques temps sur les galères de TOULON.

Mieux valait donc se démarquer de toute cette agitation sans trop attirer l'attention sur soi....

Sommaire.

     Etienne Ferrand Aîné se marie.

Quelques mois passent, Etienne va bientôt avoir 22 ans. Il travaille avec son Père en qualité de garçon meunier au moulin de VILLANDRAUT. Et voilà qu'il va être question de son mariage.

Un mariage bien hâtif, à la vérité, au regard des usages du temps, car, pour un garçon, l'âge normal se situait alors aux environs de 26 à 27 ans plutôt qu'à celui de 22. Marie CABIROL, la fiancée est encore plus jeune puisqu'elle en a tout juste un peu plus de 17... Des mariages aussi précoces sont assez rares. On ne les rencontre guère dans les familles que lorsqu'il s'agit d'orphelins.

En ce cas, le ou les tuteurs respectifs favorisent ces unions pour se dégager dès que possible des responsabilités de la tutelle qu'ils exercent. Mais ce n'est manifestement pas ici le cas.

La pratique très générale du mariage tardif constituait la seule méthode de contraception réellement fiable que connaissaient nos Ancêtres.

En repoussant le mariage des filles jusqu'aux environs de 24 ans, on faisait l'économie d'au moins deux, et souvent de trois naissances. En se mariant à 17 ans, Marie CABIROL aura dix enfants...

Cette petite Marie venait de LIGNAN de BAZAS où elle était née le 17 Novembre 1727. Elle était fille de Bernard CABIROL tailleur d'habits, et de Marie MARTIN.

Fait assez exceptionnel à l'époque, elle avait encore ses deux Grands Parents paternels au moment de son mariage : Pierre CABIROL et Jeanne DARQUEY appartenant à la génération née vers 1670. On note assez souvent en pareil cas la présence d'une Grand Mère, plus rarement d'un Grand Père (dont l'âge dépasserait alors 75 ans, ce qui est beaucoup pour l'époque) et bien plus rarement encore les deux réunis. Or c'est bien ici le cas.

Marie CABIROL avait passé toute sa jeunesse à LIGNAN, au Quartier de LABARDIN, à quelques 1500 mètres au sud d'UZESTE, Quartier qui, à la suite d'un nouveau découpage territorial à été par la suite rattaché à cette dernière Commune.

Ce n'était pas le premier contact des FERRAND avec LIGNAN de BAZAS. Pierre FERRAND, le Grand Père du marié avait déjà épousé une fille de LIGNAN, Françoise DUBOURG. Il se pouvait bien que quelques relations familiales aient été poursuivies dans cette Paroisse. Quoi qu'il en soit, c'est bien au Quartier de LABARDIN, dans la maison des Grands Parents de la mariée que va être signé le contrat de mariage, dans l'après midi du 29 Janvier 1745.

En cette circonstance, il y peu de parents et alliés côté FERRAND, seule apparaît Marie DUBEDAT, une tante maternelle d'Étienne, soeur de sa Mère qui, par un défaut d'imagination évident, était également prénommée Marie. Par contre, du côté de Marie CABIROL, on trouve, outre ses Grands Parents déjà cités, deux Oncles paternels, Bernard et Pierre CABIROL, et un Oncle maternel, Jean MARTIN. Pour l'occasion, on a fait venir Me PERROY, le Notaire de NOAILLAN.

Avec l'autorisation du Grand Père (patriarcat oblige) les Parents de Marie constituent à leur fille une dot de 300 Livres qui, par expresse convention, sera versée trois ans après la célébration du mariage :

"sans intérêt jusqu'alors, et ledit délay échu, avec l'intérêt annuel jusqu'au payement effectif..."

Une telle disposition, au demeurant assez courante, n'était pas un signe de fortune et d'aisance. Elle caractérise en général une famille modeste qui, par la pratique d'une économie vigilante parvient à se maintenir à un certain niveau social sans disposer de beaucoup de ressources.

Par contre, et la chose mérite d'être signalée, la dot ménagère est assez conséquente, et supérieure à la moyenne de celles que l'on peut observer dans les contrats locaux de l'époque.

Marie CABIROL recevra ainsi :

"- un lit composé d'une coite, un traversier de coutil sufisament remply de plume, une couverture de laine blanche et une courtepointe garnie de laine, et le tour du lit d'un cadis vert ;

(il s'agit de toile dite "de Cadix" et qui se fabriquait le plus souvent à AIGNAN, dans le GERS)

- un coffre neuf en bois de cerisier fermant à clef et tenant dix quarts ou environ ; (254 litres)

-   dix linceuls de toile d'atramadis ;

(il s'agit de draps en toile de la qualité intermédiaire entre l'étoupe commune et le brin, qui était la belle toile fine)

- une nappe de deux aunes; (2,37 mètres)

- une douzaine de serviette aussi d'atramadis;

- et une autre nappe et une douzaine de serviettes de toile de brin. "

Quant à la future épouse, outre "ses habits et nippes ordinaires", ses Parents :

"promètent l'habiller le jour desdites noces de brassières et jupe d'étamine en soye et la chausser suivant son état..."

On voit bien là que son Père était dans la couture, car les robes en soie, en milieu populaire rural étaient particulièrement rares.

N'oublions pas qu'il n'était pas d'usage de payer les services du tailleur en espèces d'argent, mais qu'on lui remettait un métrage de tissus supérieur à la quantité nécessaire à la fabrication du vêtement commandé, et qu'il se payait de sa peine sur la différence entre les deux mesures.

Il disposait donc de métrages de tissus divers parmi lesquels il pouvait exercer son choix afin que sa fille soit belle le jour de ses noces. Une telle facilité n'était pas à la disposition de tout le monde...

Le reste du contrat est tout à fait classique, instaurant entre les époux un régime de communauté réduite aux acquêts et prévoyant, entre autres dispositions, un "gain nuptial" de 50 Livres que "gagnera" l'époux survivant sur les biens du premier décédé.

Contrairement aux usages, ce mariage fut célébré non point à LIGNAN, mais à VILLANDRAUT, trois semaines plus tard, le 23 Février 1745. Bien que nous ne disposions d'aucun document sur la fête elle-même, on peut penser que ce fut un beau mariage, la qualité des témoins participant à la cérémonie en fait foi.

Tout d'abord, il fut célébré par le Doyen du Chapitre en personne, Me CAZALET, et ce n'était pas un cas général; mais de surcroît, deux autres Chanoines, Mes Antoine SAUTURON et Michel ACHARD, participaient à la cérémonie et servirent de témoins avec Me Jean Baptiste PERROY, Greffier du Tribunal de VILLANDRAUT.

On voit bien par là que les FERRAND avaient des relations bien placées et une sorte de notabilité locale. C'est probablement pour cela, d'ailleurs que le mariage fut célébré à VILLANDRAUT de préférence au cadre beaucoup plus modeste de LIGNAN.

Le jeune ménage s'installa au moulin des FERRAND mais n'y demeura guère plus d'un an puisque Jean FERRAND, le Père, le 4 Avril 1746, prit à ferme les moulins de la Seigneurie de NOAILLAN dans les conditions que nous avons déjà rapportées. Les choses allèrent alors très vite car aux environs du 20 du même mois, toute la tribu des FERRAND se transporta au moulin du CASTAING.

C'est là que naquit bientôt après un premier enfant, Jean, le 16 Mai, qui ne dut pas survivre car on n'en retrouve nulle part aucune trace, pas même celle de sa disparition. Ce genre d'omission n'est pas absolument exceptionnel. Lors du décès d'enfants de moins d'un an, les Curés avaient pour habitude de ne pas dresser d'acte d'inhumation, et se contentaient de porter une inscription latine en marge de l'acte de baptême du petit défunt : "obïit die..." autrement dit "il a passé le jour..." avec indication de la date.

Ces "obïit" sont très nombreux dans les Registres Paroissiaux, mais comme ils n'exigeaient aucune indication de témoins, les Curés devaient parfois remettre à plus tard leur inscription marginale, s'en remettant à leur mémoire laquelle s'est parfois révélée défaillante...

Au surplus, à l'évidence, ce Curé ne connaît pas la jeune Marie CABIROL qui est pour lui une toute nouvelle paroissienne.

Elle est de LIGNAN, mariée à VILLANDRAUT, et arrivée à NOAILLAN depuis tout juste trois semaines. Si, dans son acte de baptême du petit Jean, il n'hésite pas sur les FERRAND parce qu'il les connaît bien, il est manifestement perdu dans les CABIROL, au point d'attribuer l'enfant à sa Grand Mère qui est présente au titre de Marraine... C'est donc dire la prudence critique avec laquelle il convient d'aborder ces textes

Il n'y a que deux mois et demi que Marie CABIROL est installée au moulin du CASTAING lorsque s'y présente Me BIRETON et sa petite troupe de cavaliers au matin du 9 Juillet 1746.

Nous ne reviendrons pas sur cet épisode que nous avons déjà rapporté en détail, mais nous rappellerons simplement avec quelle fougue et quelle détermination Marie savait manier la broche, la fourche et le bâton. Elle n'avait pas tout à fait 19 ans...

A l'âge de vingt ans, elle a un second garçon, né le 19 Décembre 1747, encore un Jean, qui sera l'aîné de la fratrie survivante. Ce garçon, que nous retrouverons plus tard quitta très tôt la tribu des FERRAND pour aller vivre à LIGNAN avec ses Grands Parents CABIROL.

Il s'y trouva si bien qu'il s'y maria et, bien qu'il fut l'Aîné, renonça même à la succession de ses Parents à NOAILLAN pour recueillir celle de ses Grands Parents à LIGNAN. Il passa l'essentiel de sa vie en dehors du groupe FERRAND.

Sommaire.

     Où l'on retrouve DUPUY, l'agresseur d'Etienne.

Le temps passe encore, et nous en venons au début de l'été 1749. L'agitation nocturne que nous avons déjà évoquée a repris. NOAILLAN ne dort plus. Au mois de Juin, on interpelle une bande de jeunes scieurs de long d'à peine plus de vingt ans. On les interroge sans en tirer grand chose, mais l'enquête se précise et de graves soupçons portent bientôt sur... Arnaud DUPUY, le cordonnier qui par deux fois avait agressé Etienne FERRAND en Décembre 1743.

Et où le retrouve-t-on ? Eh bien, tout simplement en prison car, entre temps, on l'y a déjà mis, le 14 Juillet, pour d'autres perturbations... Cet homme est pour le moins turbulent. Il demande néanmoins à en sortir en offrant la caution de son Père. Il établit une requête en ce sens le 19 Juillet.

En son for intérieur, le Procureur d'Office hésite ; pourtant, la procédure ne fera pas état des véritables motifs de sa perplexité. La vrai raison est que l'on ne trouve plus de geôlier pour la prison de NOAILLAN et que celui qui est actuellement en poste va résigner sa fonction d'un moment à l'autre sans que l'on sache par qui le remplacer. La situation est délicate. Une audience extraordinaire de la Cour est donnée le 21 Juillet. Arnaud DUPUY est convaincu :

"de crime de rebellion, contravention aux Ordonnances et réfraction aux inhibitions (défenses) prononcées par la présente Cour"

Finalement, après avoir longuement entendu l'accusé et le Procureur d'Office, le Juge accepte la caution du Père de DUPUY et rend sa sentence :

"(Nous) amplions (c'est à dire, élargissons) ledit Arnaud DUPUY desdites prisons où il est détenu sous les offres par luy faites... de se présenter devant Nous à telle réquizition, assignation et signification qui luy seront faites... de la part dudit Sieur PERROY (Procureur d'Office).

Il est fait obligation au Père de DUPUY d'hypothéquer tous ses biens en garantie de la promesse de son Fils, moyennant quoi, le Juge Jacques CAZALET décide :

"Enjoignons à Jean CONCHEREUR, Geôlier desdites icy présent, de faire ouverture audit Arnaud DUPUY des portes desdites prisons et, ce faisant, le Geôlier en demeurera valablement déchargé."

Nul doute qu'Étienne FERRAND ait suivi le déroulement de cette affaire qui forma le meilleur de l'actualité locale pendant plusieurs semaines. 

Sommaire.

     La famille d'Etienne Aîné s'agrandit.

Pourtant, il avait eu, entre temps d'autres soucis en tête, car le 26 Juin 1749, il avait accueilli la naissance de son troisième enfant, encore un garçon, Bernard, qui sera surnommé TCHIC, peut-être en raison de sa petite taille, mais comment le savoir...? Celui-là aussi survivra et, plus tard, après avoir passé sa jeunesse à NOAILLAN, ira faire souche à BALIZAC en épousant une Jeanne CLAVERIE au Quartier de MAHON.

Le 10 Janvier 1752, il est suivi d'un nouveau garçon, Joseph qui reçut sa Grand Mère Marie DUBEDAT pour Marraine, une Grand Mère dite "munière au CASTAING". Cet enfant ne survivra pas..

Jean FERRAND, le Père est au soir de sa vie. Après avoir partagé ses biens comme nous l'avons déjà vu, il meurt le 5 Janvier 1753. Etienne l'Aîné a 30 ans moins deux mois et son frère Etienne le Jeune un peu plus de 14 ½ . Mais dans l'immédiat, rien ne change dans le gouvernement de la famille.

C'est Marie DUBEDAT, la "munière", leur Mère qui reste la maîtresse incontestée de la maison. Le seul évènement un peu notable qui survient est le versement de la dot de Marie CABIROL, le 25 Janvier suivant, versement effectué entre les mains de la "munière", bien entendu...

Et nous nous souvenons qu'aux termes du contrat de mariage, ce règlement aurait dû être effectué dans un délai de trois ans à compter de la fin Janvier 1745.

Le retard est donc de trois ans, mais nous avons également noté que les CABIROL avaient scrupuleusement réglé les intérêts échus. Tout est donc désormais en ordre.

A quelques jours de là, le 30 Janvier, naît un cinquième enfant, encore un garçon, Jean Baptiste, et c'est encore sa Grand Mère Marie DUBEDAT qui sera sa marraine. Il ne survivra pas non plus.

C'est à l'automne de la même année que cette Grand Mère, la "munière", se verra atteinte de cette "maladie dangereuse" dont nous ne savons rien. Une maladie manifestant des signes suffisamment clairs pour la convaincre d'une issue fatale puisqu'elle décide de dicter son testament, mais qui ne l'empêche pas d'aller et venir dans sa vie quotidienne.

La preuve en est, nous l'avons vu, c'est qu'elle ne convoque pas le Notaire au moulin du CASTAING, mais qu'elle se déplace elle-même et se rend au Bourg de NOAILLAN le 21 Octobre 1753.

C'était un Dimanche après-midi, probablement après les Vêpres, ce qui est assez courant. Encore avait-il fallu qu'elle puisse s'y rendre. Elle vivra encore dix semaines et mourra le Jour de l'An de 1754.

La "munière" n'est plus, c'est Etienne FERRAND Aîné qui devient le Chef de famille.    

Sommaire.

     Etienne reprend les procès de son père.

Il est tout aussitôt confronté aux mêmes problèmes de récupération de créances que son Père a connu tout au long de son activité. L'argent ne rentre pas. En particulier les sous fermiers du moulin de LEOGEATS ne lui versent pas un sol de la ferme qu'ils lui doivent alors que lui-même fait l'avance de l'argent en payant la ferme au Seigneur. L'affaire est ancienne. C'est Jean, son Père qui avait concédé la sous ferme de ce moulin à deux frères, Armand et Jean TENEZE, surnommés LAMOUROUX.

Et pas plus lui que sa Veuve n'ont pu en récupérer le prix. Or, voici qu'Etienne, héritier de la créance (tout comme de la dette envers le Seigneur bien sûr) apprend qu'un certain DUBEDAT, dit LARUINE, tonnelier à LEOGEATS, a une dette de 168 Livres envers les Frères TENEZE.

Le 26 Mai 1754, par le ministère de Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, à titre conservatoire, il fait opposition au versement de cette somme entre les mains de DUBEDAT. Puis il tente une négociation amiable qui n'aboutira pas, et finit par s'adresser à la Justice par un exploit du 23 Juillet. C'est que l'affaire est plus complexe qu'il n'avait tout d'abord prévu.

DUBEDAT est bien débiteur de la somme de 168 Livres, et il vient bien le confirmer devant le Tribunal à l'audience du 8 Août, mais il s'agit d'une dette conjointe envers Arnaud TENEZE et sa Mère Marthe LESQUERRE qui, elle, n'a rien à voir avec la dette de son Fils Arnaud envers les FERRAND... Peut-on saisir ces 168 Livres sans léser Marthe LESQUERRE ?

Un beau procès en perspective... Cela aurait pu durer des années. Mais Etienne FERRAND a de la chance. Aucun des deux défenseurs ne se présente à l'audience du 8 Août ni ne s'y fait représenter, pas davantage à celle du 22 Août. L'affaire est renvoyée au 29 Août, audience à laquelle les défenseurs ne se manifestent pas davantage.

Le Juge donne acte du défaut confirmé et en conclut que les défaillants n'ont rien à défendre. Il confirme FERRAND dans sa créance et l'autorise à l'exercer par voie de saisie contre DUBEDAT.

Au surplus, il condamne les défendeurs aux dépens envers FERRAND. Etienne se tire bien de cette première affaire. Mais dés lors qu'il est désormais en charge de la direction de la famille, il n'est pas prêt d'oublier le chemin des Tribunaux. Deux semaines plus tard, nous le retrouvons encore devant la Cour de NOAILLAN, mais, cette fois-ci, pour un tout autre motif.

Sommaire.

     Etienne Aîné devient tuteur de son cousin germain.

André et Marguerite DUBEDAT, ses cousins germains, enfants orphelins du frère de sa Mère, que nous avons un peu oubliés ont vécu et grandi au sein de sa famille, au moulin de VILLANDRAUT d'abord, puis au moulin du CASTAING.

Jean FERAND son Père en était le tuteur et les avaient recueillis. Le temps a maintenant passé. Marguerite s'est mariée et voudrait bien la part d'héritage qui lui revient sur les biens de ses Parents. Son frère André a quitté le CASTAING pour aller s'installer vigneron à PREIGNAC.

Il voudrait bien lui aussi procéder à ce partage, mais s'il est bien parvenu à l'âge adulte, il est encore mineur de 25 ans et n'a donc pas encore la capacité juridique nécessaire pour cela. Il lui faut un tuteur, et pour cela, il s'adresse au Juge de NOAILLAN et :

"requiert qu'il luy soit concédé acte de ce qu'il nomme pour son curateur réel Etienne FERRAND, dit PETITON, marchand meunier de la présente Paroisse, son couzin germain, aux fins de la régie et administration de ses biens.."

Le Procureur d'Office consulté n'y est pas opposé, mais la Coutume, en pareil cas, prescrit une enquête, c'est donc ce que va décider le Juge :

"Ordonons qu'à sa diligence et aux frais dudit DUBEDAT, adulte, trois de ses Parents paternels, et trois maternels, ou a défaut de parents, des voisins, seront assignés pour s'assembler par devant Nous, et entre eux délibérer et donner leur avis sur la nomination dudit Etienne FERRAND pour curateur réel audit DUBEDAT, adulte; ce faisant, déclarer s'yls atestent ou non ledit Etienne FERRAND idoine, capable et solvable pour faire et gérer ladite charge de curateur..."

On notera, et le cas est si fréquent qu'il va trouver ici une application, qu'à défaut de parents, on va recourir à l'avis de voisins. Tout repose sur le postulat d'une vie sociale communautaire dans laquelle chacun vit sous le regard des autres.

Certes, la Justice préférerait que l'enquête de capacité soit conduite entre membres de la famille, mais à défaut, on admettra sans hésiter que les proches voisins puissent avoir un avis qualifié sur le choix du tuteur.

C'est bien ce qui va se produire car, si l'on trouve sans peine trois Parents paternels d'André DUBEDAT en la personne de Jean DUBEDAT dit FLAY, maçon, de Bernard DUBEDAT dit LARUINE, tonnelier (que nous connaissons déjà) et de Jean LAVRIERE, sabotier, par contre, on n'a trouvé aucun Parent du côté de sa défunte Mère, ce qui a conduit à désigner trois des plus proches voisins.

Tous sont convoqués à une audience extraordinaire de la Cour, le 28 Septembre 1754 à 10 heures. Deux des personnes convoquées font défaut, on les attend jusqu'à onze heures, après quoi le Juge passe outre à leur absence :

"et quoy que l'heure portée par l'exploit soit expirée, et même celle de onze heures sonnée à l'horloge du présent lieu..."

Car, seule paroisse à bien des lieues à la ronde, NOAILLAN dispose désormais d'une horloge publique, et l'on ne manque jamais, avec une légitime fierté, d'en faire état en toutes circonstances. Le Juge ouvre donc la délibération du Conseil de Famille qui délivre un avis favorable au choix d'Etienne FERRAND. Reste à organiser sa prestation de serment devant le Juge.

Tout un formalisme de délais et de signification de "l'appointement" du Juge par Officier ministériel est normalement prévu. En homme impatient qu'il est, FERRAND n'en a cure et n'attend pas la date qui lui a été fixée par l'exploit qu'on lui a signifié. Le 4 Octobre il se présente à l'improviste à une audience de la Cour et propose de prêter son serment sur l'heure, et il va avoir gain de cause :

" ledit FERRAND s'est présenté avant l'échéance de l'exploit et a offert satisfaire audit appointement, le Procureur d'Office requiert qu'il soit reçu tout présentement à prêter ledit serment..."

D'une façon générale, les Officiers de Justice n'aimaient pas trop que l'on bouscule leurs usages. Le fait que le Procureur d'Office du Siège fut le Parrain d'Etienne a dû compter pour beaucoup dans l'acquiescement qu'il lui donna en cette circonstance... Toujours est-il que ce serment est prêté sur le champs avec toute la solennité requise et que FERRAND est institué curateur du jeune André DUBEDAT. Une telle démarche pourtant bien simple n'allait pas sans frais considérables. Il se trouve qu'ici, ils nous sont détaillés. Il a fallu verser :

-5 L. 12 Sols au Juge ;
-14 L. 4 Sols au Procureur d'Office ;
-6 L. 2 Sols au Greffier (y compris le papier) ;
-6 L.8 Sols au Sergent Ordinaire pour ses significations au domicile de chacun des intéressés ;
-24 Sols de droits d'enregistrement.

Soit un total de 33 Livres et 10 Sols, ou, pour fixer les idées, la contre valeur approximative de 12 à 15 brebis.

En 1744, Jean FERRAND avait fait établir un bail judiciaire sur les biens des deux enfants DUBEDAT mineurs. Depuis lors ce bail avait été revu et transformé à plusieurs reprises. Nous n'entrerons pas dans le détail assez complexe de ces opérations. Il suffira de savoir que le contrat en cours venait à expiration à la St :MARTIN de 1754. (11 novembre)

Etienne FERRAND avait donc des dispositions à prendre dès sa prise en charge de la tutelle d'André DUBEDAT. Mais auparavant, il voulut procéder à un inventaire de la situation actuelle de ces biens immeubles, car en dix ans, il avait pu se passer bien des choses, le Juge donne son accord et l'on fixe le rendez-vous au 19 Décembre.

Ce jour-là, tout le monde se rend sur place à LEOGEATS.

Outre le Juge et son Greffier, il y a là le Procureur d'Office, Etienne FERRAND et son propre Procureur et, au dernier moment, se présentent les derniers titulaires du bail qui demandent à participer à l'inventaire, ce qui leur est accordé.

Les enquêteurs examinent d'abord la maison, et nous ne savons trop que penser de ce qu'ils en disent car les termes du Procès Verbal sont assez contradictoires. L'état général parait bon :

"...les bâtiments de laquelle maison-nous ont apparû estre en assez bon estat..."

Si nous nous en tenions à cela, nous pourrions être optimistes, mais la phrase se poursuit :

" ...mais que le toit et charpente ont crevé en plusieurs endroits, qu'il y pleût beaucoup en dedans, et ont nécessité d'être suivis et réparés."

Les enquêteurs vont ensuite de pièce de terre en pièce de terre et nous décrivent une petite propriété très morcelée comportant des terres arables, des bois et surtout des vignes, le tout situé, pour l'essentiel dans la partie est de LEOGEATS, vers la SAUB0TTE et BROUQUET. L'état de ces pièces est très variable, allant d'un entretien correct à un quasi abandon. L'ensemble de cette démarche aura encore coûté 24 Livres 14 Sols et 6 Deniers.

Deux jours plus tard, FERRAND demande au Juge de procéder à l'adjudication d'un bail judiciaire sur ces immeubles pour une durée de cinq ans. Et il demande que l'on procède en urgence aux "proclamats" légaux, car il est déjà bien tard dans la saison et le temps des semailles est déjà passé.

Le Juge se rend à ses raisons et autorise ces "proclamats" le Dimanche 22 Décembre, le 24, veille de Noël et le Dimanche suivant 29. L'enchère fut organisée au Parquet du Tribunal le 2 Janvier 1755 à 10 heures. LASSERRE, le Sergent Ordinaire du lieu est alors invité à procéder à une dernière criée annonçant l'enchère devant la porte du Parquet, ce à quoi il procède aussitôt et rend compte : 

"avoir fait ladite quatrième et surabondante criée...audevant le présent Parquet et y avoir crié et recrié diverses fois à haute et intelligible voix..."

L'enchère peut commencer avec une mise à prix de vingt sols. Elle ne sera pas très animée puisque seul se présente un certain Pierre MARTIN qui propose 4 sols de plus. Et c'est à ce prix, soit 1 Livre 4 Sols de loyer annuel, qu'il emportera le bail. Somme dérisoire pour la mise à disposition d'une propriété petite, certes, mais qu'un peu de travail devrait rapidement remettre en état.

Il est possible que l'obligation d'entretenir la maison en ait fait réfléchir plus d'un, surtout si l'on tient compte des faibles possibilités d'amortissement des frais à engager sur un bail limité à cinq ans.

Quoi qu'il en soit, ce revenu sera parfaitement dérisoire pour le mineur, mais il aura fallu encore débourser 21 Livres 16 Sols et 10 Deniers pour couvrir les frais d'enchère... Le tout, bien évidemment, à la charge des immeubles de la succession.

Cette affaire offre un bel exemple de dilution d'un patrimoine en frais de Justice. Les opérations que nous venons de suivre ont coûté au total 80 Livres 1 Sol et 4 Deniers ; mais il ne faut pas oublier que le patrimoine des DUBEDAT avait déjà porté sensiblement la charge des mêmes frais lors de l'attribution du premier bail en 1744, ainsi que lors de son renouvellement intermédiaire, dont nous n'avons pas parlé, en 1749. En comptant bien tout, le total de ces frais ne doit pas être très éloigné de la valeur intrinsèque de la succession. Les jeunes DUBEDAT, au moment de la liquidation de la tutelle auront certainement de bien mauvaises surprises, et ce n'est pas un loyer de 24 sols par an qui y changera quelque chose.

Sommaire.

     La famille Ferrand s'agrandit encore.

Vers cette époque, fin 1754, début 1755, le foyer des FERRAND accueille un cinquième enfant, Etienne, dont la date de naissance précise n'a pu être jusqu'ici retrouvée. Ce garçon survivra un peu plus longtemps que les autres, mais mourra à BALIZAC, au moulin de LA FERRIERE, à l'âge de 18 ans, le 18 Février 1773.

Il sera suivi, un peu plus d'un an plus tard, le 23 Mars 1756, de Bernard, sixième enfant du couple et sixième garçon.

Ce Bernard, qui sera dit BERNACHON, est un personnage important car il s'établira à BAL1ZAC et sera le Père de Jeanne laquelle s'alliera aux DARTIGOLLES à TRISCOS. C'est donc lui qui nous rattache à la lignée des FERRAND. Nous reprendrons ultérieurement le détail de son histoire.

Deux ans plus tard, et presque jour pour jour, survient le huitième enfant, encore un garçon, un autre Etienne. On notera la qualité de ses Parrains et Marraine : Etienne PERROY, qui qui cumule les fonctions de Juge du Tribunal Seigneurial de BUDOS et de Procureur d'Office de celui de NOAILLAN et Marie Anne CAZALET, son épouse qui est également la soeur du Juge de NOAILLAN.

Décidément, les FERRAND sont remarquablement introduits dans le milieu judiciaire ; cela peut parfois être utile, à l'occasion. Ce jeune Etienne survivra. Il se mariera plus tard, en Février 1731 avec une certaine Marie LACASSAIGNE qui mourra avant la fin de la même année, peut-être à l'occasion de ses premières couches.

Cet Etienne se remariera par la suite avec une Marthe BATAILLEY et ils auront au moins un garçon, François, né à VILLANDRAUT le 21 Septembre 1792, la veille de la proclamation de la République.

Sommaire.

     Le désastre de 1758.

Ce printemps de 1758 devait se montrer riche en évènements. Outre la naissance du petit Etienne, on ne manquera pas de retenir le désastre de la gelée du 17 Avril. En fait, plutôt que de simple gelée, c'est de neige qu'il s'était agi. Cette année là, la végétation de la vigne s'était montrée précoce, et le 17 Avril, phénomène insolite pour la saison, il s'était mis à neiger.

Sur un coup de froid soudainement survenu, cette neige s'était transformée en glace formant bloc autour des jeunes pousses. Partout dans le pays, ce fut un désastre ; de nombreux documents l'attestent à FARGUES, à SAUTERNES, à BUDOS et autres lieux. A NOAILLAN, les dégâts furent tout aussi considérables que partout ailleurs, mais en plus, l'affaire s'agrémenta d'une polémique.

Sitôt après cette funeste journée, les habitants s'assemblèrent et décidèrent de porter leur problème à la connaissance de l'Intendant :

"(et) de (lui) rendre leurs pertes notoires pour exciter sa clémence (et) leur accorder un rabais sur les Impôts Royaux de toute espèce dont cette Juridiction est surchargée..."

Il fut convenu que l'on rédigerait une requête à son intention, ce qui fut fait. Pour lui donner davantage de poids, on jugea opportun de la faire transmettre par Monsieur DUROY, Président de la Cour des Aides, Seigneur du lieu. Celui-ci accepta de se charger de la démarche, mais l'Intendant, pour lors, était absent de BORDEAUX.

Monsieur DUROY en informa ses manants et leur suggéra qu'en attendant son retour, ils préparent : 

"quelqu'acte probatif du dommage.."

Les habitants s'assemblèrent de nouveau et décidèrent :

" ...qu'on feroit visiter les vignes par deux particuliers vignerons et connoisseurs de deux paroisses voisines pour, par leur déclarations sèrementées, constater le dégât et dommage et ensuite les joindre à ladite requête pour convaincre Sa Grandeur de son contenu...."

On tomba d'accord pour désigner Jean DUSSAUX, dit JEANTILLE, de SAUTERNES, et Jean BOIREAU d'UZESTE. Ces deux Experts, accompagnés des Collecteurs de l'Impôt pour l'année en cours, se livrèrent à une enquête très sérieuse et conclurent que pour se prononcer de façon définitive, ils souhaitaient repasser après le mois de Mai afin de mieux juger de l'évolution de la seconde végétation qui se manifesterait après la gelée.

Tout cela fut fait.

Mais au moment où ils allaient remettre leur rapport au Juge de NOAILLAN, les Collecteurs firent savoir qu'ils n'étaient pas disposés à faire l'avance des frais d'expertise. Les deux Experts rétorquèrent qu'en ce cas, ils ne déposeraient pas leur rapport. La situation était bloquée, et chacun campant sur ses positions, cela aurait pu durer très longtemps.

C'est alors qu'intervint Étienne PERROY, le Procureur d'Office, "l'intérêt public résidant dans (ses) mains", comme il le dit lui-même. Le 6 Juillet, il s'adressa au Juge de NOAILLAN et lui demanda de prendre un "appointement" enjoignant aux Collecteurs de faire l'avance des frais d'expertise, leur garantissant qu'ils en seraient ultérieurement remboursés par une répartition, effectuée sous son contrôle, entre tous les habitants; et dans le même temps d'enjoindre aux Experts ainsi défrayés de lui remettre leur Rapport.

Le Juge fit droit à cette requête et leur fit remettre 4 Livres à chacun pour prix de leur peine, avec engagement de les faire rembourser ultérieurement aux Collecteurs d'Impôts. Nous n'entrerons pas dans le détail de ce rapport, mais nous en retiendrons que, après trois visites sur le terrain :

"dans l'étendue des dites vignes, ils les (virent) aussy sèches qu'à la NOËL, toutes les (pousses) nouvelles étant brûlées par lesdites neige et glaces... (qu'ils) ont remarqué beaucoup de pieds morts (et) que les pieds qui ont repoussé sont presque tous de dessus le vieux bois sans beaucoup de vigueur et fort peu sur le jet nouveau taillé, par l'arrière bouton quy ne promet nulle perfection..."

En bref, ils estiment que les vignes qu'ils ont vues, dans l'état où ils les ont trouvées,

" ne produiront cette année qu'aux environ du seizième du vin (et) que ce vin ne pourra estre de bonne qualité ... "

Voilà donc une année qui se présentait bien mal...

Elle se présentait mal également pour Raymond LABARBE, Valet d'Etienne FERRAND... Il est vrai que lui l'avait probablement un peu cherché.

Les FERRAND avaient quitté le moulin du CASTAING à la fin de leur bail, probablement en Avril 1755. Depuis lors, ils étaient installés dans l'une de leurs maisons, à HOURTON, toujours dans le même secteur de NOAILLAN, entre la SAUBOTTE, PEYREBERNEDE et POUTCHEOU, sans jamais beaucoup s'écarter de leurs racines autour du CHAY.

Etienne exerce désormais la profession de "marchand" sans que soit précisé l'objet de son commerce, probablement celui des grains et des farines qu'il avait jusqu'ici toujours pratiqué et que nous allons lui voir retrouver tout à l'heure.

Sommaire.

     Un guet-apens.

Le Lundi 8 mai 1758, un peu après l'Angélus du soir, alors que le soleil venait de se coucher, il envoie son valet Raymond LABARBE, un garçon de 25 ans, chez Fortis LATIE, son métayer, pour lui demander s'il irait à LANGON le lendemain, et, le cas échéant s'ils pourraient faire route ensemble.

LABARBE arrive au moment où LATIE va se coucher car effectivement il envisage de partir à LANGON dans la nuit. On avait en effet pour habitude d'être très matinal. Aller à LANGON impliquait que l'on devait y parvenir vers les sept heures ce qui, avec bien près de quatre heures de marche, situait le départ de NOAILLAN sur les trois heures du matin. C'est ainsi que LABARBE fut chargé de revenir dire à son Maître que tout était bien convenu pour le rendez–vous "à l'heure habituelle". Il est alors environ huit heures. LABARBE s'engage dans le Chemin du CHINE en direction de POUTCHEOU tandis que LATIE gagne son lit.

A POUTCHEOU, le Petit BERNEDE et sa jeune soeur Jeanne sont aux aguets derrière une haie. Ils ont vu passer LABARBE à l'aller et attendent son retour. Voilà qu'ils l'aperçoivent dans l'enfilade du chemin.

-" Aqui qu'an l'homme ! " (L'homme est à nous !) dit le Petit BERNEDE; et il le dit si fort que Marguerite TAUZIN, leur voisine l'entend du pas de sa porte. Aussitôt, sa soeur s'empare d'un bâton qu'elle cache sous son tablier et ils se précipitent tous deux sur Raymond LABARBE pour lui faire un mauvais sort.

- "Gahe lou gahe lou !" (Attrape-le ! Attrape-le !) crie Jeanne à son frère, et elle frappe ce pauvre LABARBE à coups de bâton lancés à la volée.

- "nou ! nou ! pa sou lou cap !" (Non ! Non ! pas sur la tête!) modère le garçon.

Le bruit des coups est tel que LATIE les entend de chez lui. Il sort, mais il fait déjà nuit; il ne voit rien et s'engage dans le chemin du CHINE. Et là, à la hauteur du "grouilh" (le lavoir) de POUCHEOU, il tombe en plein dans la bataille. 

Le Petit BERNEDE et LABARBE se tiennent réciproquement l'un l'autre tandis que la fille manie le bâton sur le dos du second. Marie LAJUS, Veuve BERNEDE, Mère des deux jeunes est arrivée entre temps sur les lieux. Elle crie des choses que personne n'a compris ou n'a voulu comprendre, en tous cas, elle n'intervient pas et laisse faire.

LATIE intervient énergiquement et fait lâcher prise aux antagonistes, mais non sans mal, car si LABARBE s'effondre, le Petit BERNEDE se retourne aussitôt contre lui, et les voilà tous deux qui se tiennent par les cheveux.

Entre temps, Marguerite TAUZIN, du pas de sa porte a, elle aussi entendu les coups et les cris ; elle appelle son mari et veut y aller, il l'en dissuade. Mais Jeanne BERNEDE revient alors du combat en courant, sans coiffe, est-il précisé, elle l'aura perdue dans la bataille.

De même aura-t-elle abandonné son bâton sur place. Il sera ramassé comme pièce à conviction. Elle crie en passant aux époux TAUZIN d'aller séparer LATIE et son Frère, ce qu'ils vont faire.

" Dèche aco..." (Laisse cela..) dit TAUZIN à LATIE, et les choses n'iront pas plus loin.

Il ne reste plus qu'à ramasser LABARBE, fort mal en point et à le ramener chez les FERRAND à HOURTON. Pendant ce temps, Jeanne BERNEDE s'est rendue au puits de POUTCHEOU où Marguerite TAUZIN la retrouve en train de laver ses jupes tachées du sang de LABARBE. Elle ne fera qu'un bref commentaire, disant qu'elle était bien contente de ce qu'elle avait fait...

Dès le lendemain, LABARBE, incapable de se déplacer, fait porter sa plainte au Juge de NOAILLAN. Celui-ci décide d'un transport de Justice au chevet de la victime pour le jour suivant, 10 Mai à 8 heures.

Il y a là, outre le Juge, son Greffier, le Procureur d'Office, le Procureur postulant chargé des intérêts de LABARBE et Jean Bernard MANDOUSSE, Me Chirurgien qui a prodigué les premiers soins et qui, moyennant serment, procédera au Procès Verbal d'expertise.

Dans sa déposition, Raymond LABARBE précise que :

"sans avoir donné aucune occasion à la Veuve du nommé Louis (BERNEDE), son fils et sa fille plus jeune, ils l'ont plusieurs fois menacé de le tuer, outragé en parolles et poursuivy pour exécuter leurs dessains..."

Il n'est pas absolument certain qu'il n'y ait eu "aucune occasion" de conflit préalable.

Quelques pistes s'ouvriront tout à l'heure... Par ailleurs, LABARBE évoque :

" les grands coups d'un paoû (bâton) dont ils estoient chacun armés.."

Ou il a mal vu, ce qui, après tout, au regard des circonstances est bien possible, ou il cherche à enjoliver les choses, car seule, Jeanne avait un bâton. Enfin,

"...la Veuve de feu Louis (BERNEDE) accourut et se joignit à ses enfants auxquels elle ordonnait de le tuer..."

Ceci n'est peut-être pas à écarter, car il est bien curieux qu'aucun des témoins n'ait compris ce que disait la mère pendant qu'elle criait...

N'oublions pas que ces témoins étaient également des voisins et que s'ils rapportaient honnêtement ce qu'ils avaient vu, sous la foi du serment, ils ne se sentaient peut-être pas obligés d'avoir bien compris les propos particulièrement graves et compromettants qu'aurait pu tenir la Mère.

LABARBE, lui, ne se sentait pas tenu à une pareille réserve... Sous le bénéfice de ces observations, la déposition de la victime est conforme à l'évènement.

Le Juge demande alors au Maître Chirurgien de procéder a son expertise. Celui-ci précise bien qu'il effectue son constat au matin du 10 Mai, et il trouve :

"...ledit LABARBE tout ensanglanté, le visage et la chemise en estoient couverts, provenant d'une plage que j'ay vue à la partie écailleuse du temporal gauche, pénétrante jusques au péricrane de la longueur d'un pouce et demi "(un peu moins de 4 cm).

Est-ce que, par hasard on aurait laissé ce pauvre LABARBE dans sa chemise ensanglantée depuis l'avant veille au soir, sans même laver sa plaie en attendant l'expertise ?

On peut espérer que le Chirurgien parle au présent dans son rapport de choses qu'il a vues au passé, car il semble bien qu'il ait déjà vu le patient auparavant. On peut toujours l'espérer pour lui. Il a vu également :

"une équimose à l'oeil gauche avec épanchement de sang dans le globe de l'oeil gauche. Une contusion à la lèvre inférieure de la longueur d'un pouce et de la largeur d'un demi-pouce. Une contusion à l'ommeplate droit de la grosseur d'un liard, une contusion à la sixième vertèbre de l'épine du dos de la grosseur d'un écu de trois Livres... etc..."

Nous nous en tiendrons là, car ce triste tableau se développe sur plus d'une page avec la même minutie. Nous retiendrons seulement que toutes les parties du corps ont été atteintes de la tête aux pieds et que ces coups ont été donnés :

"avec des instrumens contondans comme barre, bâton ou autre chose semblable..."

Et que pensez-vous que fit Me MENDOUSSE à un blessé ayant déjà perdu pas mal de sang ? Ne cherchez pas, il nous le dit lui-même :

"pour raison desquelles plages et contusions je (l'ay) saigné deux fois..."

Il est vrai qu'il prescrit aussi de nettoyer les plaies avec de l'eau de vie "astiptique" (asceptique) afin d'éviter le risque d'infection et recommande de lui faire "observer un régime convenable" que tout le monde doit probablement connaître puisqu'il n'est pas autrement précisé.

Un Procès Verbal est dressé de tout cela; le bâton trouvé sur place est remis au Greffier et le Juge décide d'ouvrir une Information à laquelle s'associe le Procureur d'Office, garant de l'ordre public. La victime se porte évidemment partie civile et sa constitution est immédiatement agréée.

Les choses ne traînent pas. Dès l'après-midi du même jour, on commence à entendre les premiers témoins convoqués d'urgence au Parquet de la Cour. Fortis LATIE et Marguerite TAUZIN font des dépositions crédibles et déterminantes qui, au surplus, sont confirmées par d'autres témoins. 

Sommaire.

     Le procès qui s'ensuivit.

La jeune Jeanne PUJAUDE par exemple, qui a 14 ans; elle est servante et :

"se retirant chez sa Maîtresse avec son bétail qu'elle venoit de garder,... après soleil couché et estant arrivée chez ladite Maîtresse, elle entendit la voix du nommé LATIE qui disoit au fils de la Veuve Louis " Chaoû tu, bos tuoua un homme !" (Attention ! toi, tu veux tuer un homme !), ce qui (la décide) d'aller au lieu du Gouilh de POUTCHEOU, et y estant parvenue, elle vit le plaignant tout ensanglanté et ledit LATIE le dégageoit des mains dudit fils de ladite Veuve..."

Ce sont là désormais des faits bien acquis, mais l'enquête va révéler bien autre chose ; essentiellement deux points importants :

1) LABARBE a raison lorsqu'il prétend qu'il y a eu préméditation ;

2) Il est bien possible, sinon probable, que le même LABARBE n'ait pas été parfaitement innocent d'une agression antérieure qu'il aurait pu commettre sur la personne de Jeanne BERNEDE.

En effet, au petit matin du Dimanche 7 Mai, veille de l'agression, il s'est dit beaucoup de choses sur le chemin conduisant de PEYREBERNEDE au Bourg, tandis que tout un chacun se rendait à la première Messe du Village. Les témoins sont nombreux, mais nous ne retiendrons que les plus significatifs.

Marie DOUMINGUE, 50 ans, Veuve d'Arnaud DOUENCE :

"venant Dimanche dernier à la premère Messe du présent lieu, elle rencontra sur son chemin la plus jeune fille de la Veuve Louis ... qui avoit sous son tablier un bâton de la longueur du bras ; laquelle dit à la déposante de passer son chemin. Ensuite de quoi la déposante entendit que ladite fille ... disoit à la femme d'Étienne FERRAND qu'elle pouvoit se chercher un autre valet..."

Bernard REDGENT, valet meunier au moulin du CASTAING, 23 ans, dépose que :

" venant Dimanche dernier à la première Messe du présent lieu, estant sur le chemin quy conduit à la Veuve MOURA, il vit la plus jeune fille de la Veuve Louis... quy avoit un bâton ez mains, son frère estant aussi sur ledit chemin à une petite distance de sadite soeur, laquelle ayant aperçu la femme d'Etienne FERRAN luy dit parlant de (la victime) qu'il n'avoit pas voulu aller à la Messe au présent lieu, (mais) que s'il y fust allé, elle aurait eu sa revanche; ajoutant à ladite femme de FERRAND qu'elle pouvoit se chercher un autre valet et qu'il le luy payeroit en quel endroit qu'elle le retrouveroit, disant qu'il l'avoit bien battue..."

Sur le même chemin, faisant route avec Marie CABIROL, épouse FERRAND, se trouvait Marie DUPRAT, 40 ans, épouse de Jean THENEZE, dit MIAILLLE, elle dépose que :

"Dimanche dernier à la première Messe du présent lieu, estant en compagnie de l'épouze d'Etienne FERRAND et d'autres personnes, elle vit la fille (la) plus jeune de la Veuve Louis qui avoit un bâton à la main, laquelle estoit sur le chemin quy conduit chez la Veuve MOURA à HOURTON, et n'eût pas plutôt aperçu ladite épouze dudit dès qu'elle vit que son valet ne venoit pas à la Messe, (lui dit) qu'elle vouloit le tuer, qu'il l'avoit battue ; et la déposante continuant son chemin avec les mêmes personnes, joignit le fils de ladite Veuve Louis près (du) présent Bourg, lequel dit à l'épouze dudit FERRAND que son valet avoir battu sa soeur (et) que s'il s'y fust trouvé, il aurait fallu aller le (ramasser), mais qu'il le payeroit..."

On notera l'ostentation qu'ont mis les BERNEDE dans la préparation de leur coup de main; et si LABARBE fut allé à la messe à NOAILLAN ce Dimanche-là, c'est devant une dizaine de témoins à tout le moins que Jeanne BERNEDE aurait joué de son bâton... Le moins que l'on puisse dire est que ces deux-là n'avaient pas dissimulé leurs intentions. Mais on notera aussi, et c'est important, qu'aucun des témoins, ceux que nous avons cités tout comme les autres, ne met un seul instant en doute le fait que LABARBE aurait effectivement battu Jeanne BERNEDE.

Dans un hameau où chacun vit sous le regard des autres, tout le monde était manifestement au courant, et même Marie CABIROL n'a pas cru devoir jouer un air d'innocence, elle aussi était au courant. Mais au courant de quoi ? Quelle avait été la gravité de l'agression antérieure, si tant est qu'elle ait réellement existé ? Quelles en avaient été les circonstances et les modalités ? C'est ce que nous ignorons, et, bien pire encore, c'est ce que nous continuerons d'ignorer...

Au terme de ces premières investigations, le Procureur d'Office prend une décision radicale; il requiert l'incarcération du frère et de la soeur BERNEDE et la mise de leur Mère en examen :

" Ainsi Nous requérons... que lesdits fils et fille de ladite Veuve Louis BERNEDE soient pris, saizis au corps, menés et conduits sous bonne et sûre garde ès prisons du présent lieu pour y estre ouïs et interrogés.... et que ladite Veuve Louis BERNEDE soit adjournée au délay de l'Ordonnance pour rendre son audition sur les faits rézultants desdites charges et informations..."

Le frère et la soeur seront arrêtés par le Sergent de la Juridiction (en cas de résistance, ils se rendraient coupables du crime très grave de "rebellion"). Ils seront incarcérés dans la prison seigneuriale sous la garde du Geôlier. Quant à la Mère, il s'agit d'une simple citation à comparaître à la date qui lui sera fixée par une signification faite à son domicile dans le délai fixé par Ordonnance Royale.

Le Juge accède à cette requête et la rend exécutoire le 11 Mai 1758. La suite normale de la procédure aurait dû consister en la comparution des accusés "sur la sellette" pour y faire leur "confession" sous la foi du serment. Il en résulte en ce cas, pour chacun des comparants, une longue pièce de procédure quelquefois très détaillée, mais en tous cas toujours révélatrice des tenants et des aboutissants de l'affaire.

Or, malencontreusement, ce dossier s'arrête ici, et c'est la raison pour laquelle nous ne saurons rien de plus sur les évènements antérieurs à l'agression des BERNEDE, événements qui auraient plus ou moins engagé la responsabilité de LABARBE et, sinon justifié, du moins expliqué le désir de vengeance hautement proclamé par Jeanne BERNEDE.

Nous avons déjà vu que bien des dossiers concernant les FERRAND connaissaient des arrangements discrets. Mais ici, les circonstances sont assez différentes. Tout d'abord, les FERRAND ne paraissent pas être partie prenante dans le conflit, mais on ne voit pas très bien, surtout, comment aurait pu être "arrangée" par une quelconque transaction une affaire d'ordre public ayant abouti à une décision de prise de corps des accusés.

Il ne faut pas oublier que la Justice du Roi pouvait très bien s'intéresser à une telle agression sur la voie publique et que l'autorité de la Justice Seigneuriale n'avait rien à gagner à se faire coiffer par les gens du Roi. Or, ceux-ci n'étaient pas loin.

Il y avait une Prévôté Royale à BARSAC et une unité de Maréchaussée à LANGON dont les Gendarmes parcouraient le pays, notamment les foires et marchés, toujours à l'affût de tout ce qui pouvait concerner la sécurité publique.

Il semble donc peu probable qu'une telle affaire ait pu être "arrangée" sur le plan local, mais force nous est bien de constater que la suite en fait défaut. Nous n'en saurons pas davantage.

La vie allait son cours, mais l'année suivante, tout le pays allait être vivement secoué, et au sens le plus fort et le plus exact du terne.

Sommaire.

     Le tremblement de terre de 1759.

Dans la soirée du 10 Août 1759, très précisément à 22 h.15, alors que le plus grand nombre était déjà couché, la terre se mit à trembler violemment en plusieurs secousses successives.

Personne n'avait d'expérience personnelle d'un tel évènement, même les plus anciens, et pour cause, car la précédente secousse significative perçue dans le pays remontait à 1660.

Pour impressionnant qu'il fût, ce séisme ne provoqua aucun dégât notable dans les paroisses avoisinantes.

Il n'en fut pas de même à BORDEAUX où l'on vit s'effondrer la voûte de l'Église Notre Dame, et dans le Libournais où plusieurs maisons furent rasées tandis que le Château de VAYRES était sérieusement ébranlé.

On avait déjà entendu parler de la catastrophe de LISBONNE survenue le jour de la TOUSSAINT 1755.

A coup sûr, ils n'étaient pas très nombreux ceux qui savaient vraiment où se trouvait LISBONNE et ce que pouvait représenter 60.000 morts, mais les Curés, dans les paroisses avaient beaucoup prêché sur la colère de Dieu, si bien que l'on estima s'en être tiré, cette fois-ci, à bien bon compte.

L'évènement ne manqua pas néanmoins de frapper les imaginations et servit dès lors de référence, dans toute la région, et pour une longue période, faisant de 1759 " l'année du tremblement de terre".

Sommaire.

     De grands désordres se manifestent à Noaillan.

Et pourtant, la colère de Dieu aurait trouvé matière à s'exprimer à NOAILLAN car il s'y passait des choses assez répréhensibles. Me DUFAUX, le nouveau Procureur d'Office en dresse un catalogue qu'il présente au Juge local le 24 Janvier 1760 en lui demandant d'intervenir énergiquement. Disons le tout net, tout allait mal...

Ce sont d'abord les cabaretiers de NOAILLAN qui :

" donnent du vin pendant les Offices divins et pendant toute la nuit, ce quy cauze un grand scandale en ce qu'il s'y forme des attroupements nocturnes quy, en se retirant du cabaret troublent le repos public, menacent de battre et excéder (c'est-à-dire agresser) les personnes quy font des représentations à ce sujet..."

Mais il y a bien autre choses encore :

" Autre abus aussy, les boulangers de la présente Juridiction (s'avisent) de vendre le pain blanc à l'oeil (c'est-à-dire sans le peser) et excèdent ainsy le prix du pain en le rendant au-delà de la taxe portée par le tarif, affectant de ne pas le faire cuire suffisamment pour qu'il ait plus de poids et cauzant ainsy un préjudice très considérable au public."

Ce défaut de cuisson du pain reparaît souvent dans les contrôles ; il est vrai qu'il doit être tentant de vendre de l'eau au prix du pain, et que des générations de boulangers ont pu succomber à cette tentation (et peut-être pas seulement au XVIIIème siècle...).

Mais cette corporation n'est pas seule en cause, car les cabaretiers, encore eux, sont accusés d'autres fraudes :

"(ils) affectent de se servir de mesures courtes et trompent ainsy le public par la fausse mesure." 

Cette fraude consiste à servir les liquides, et tout spécialement le vin, au moyen de récipients comportant un double fond si bien que la profondeur intérieure en est plus courte que ne le laisse supposer l'aspect extérieur. La chose est d'autant plus facile à pratiquer que ces récipients sont en étain et par conséquent parfaitement opaques.

Ce n'est pas tout :

" Certains hôtes de la présente Juridiction (s'avisent) de recevoir chez eux des étrangers qui portent de la viande de cochon à vendre, quy se distribue chez lesdits hôtes (ce qui) va contre le droit exclusif que les habitants de la présente Juridiction ont, eux seuls, de débiter et vendre à la livre leur cochons."

Effectivement, la vente de la viande au détail ("à la livre") constituait un privilège seigneurial et ne pouvait se faire que dans la boucherie du Seigneur; mais par un privilège local, les habitants de NOAILLAN et de LEOGEATS avaient le droit de débiter et de vendre "à la livre" tout ou partie de leur porc, à condition qu'ils l'aient effectivement élevé chez eux. Ce privilège ne portait que sur les porcs, à l'exclusion de tout autre bétail, et ne pouvait être exercé que par les manants locaux.

Nous passerons sur les péripéties intermédiaires pour en venir à la réglementation issue de ce réquisitoire. Le Juge décide de proscrire la vente du vin pendant les Offices, quels qu'ils soient, ainsi que l'hiver après neuf heures du soir et l'été après dix, sous peine d'une amende de 50 Livres au profit de la Paroisse.

Il prohibe non seulement l'usage, mais même la simple détention des fausses mesures sous les mêmes peines. De même fait-il à tout hôte :

" inhibition et defense de tenir aucune assemblée ny attroupement chez eux pendant la nuit, ny de souffrir aucune dance..."

Dans le même temps, il est ordonné :

"à tous les habitants de la présente Juridiction de se retirer chez eux aux heures ci-dessus marquées et leur (fait) défense de s'assembler et faire des attroupements nocturnes sur (la) Place Publique (du) Bourg de la présente Juridiction, de troubler le repos public, d'insulter ny menasser personne sous les peynes portées par lesdites Ordonnances et d'estre punis comme perturbateurs du repos public...."

Voilà comment la répression naît d'un excès de désordre... 

Quant aux boulangers, il leur sera prescrit :

"de (ne) vendre et débiter du pain blanc qu'à la livre complète sur le poids du tarif, ... de tenir poids et balances et de bien faire cuire et conditionner ledit pain à peyne, en cas de contravention de confiscation et de cinquante Livres d'amende, le tout applicable au profit des pauvres de (la) Paroisse.."

Enfin, il sera formellement défendu aux Hôtes :

"et à tous autres particuliers de recevoir et laisser débiter par les étrangers de la viande de cochon à peyne de la confiscation et de cinquante Livres d'amende personnelle contre les contrevenants".

Tout ceci sera lu et publié sur la Place Publique à la sortie des Messes paroissiales et affiché " partout où besoin en sera ", c'est-à-dire, essentiellement à la porte du Parquet du Tribunal et à la porte de l'Église.

Il serait vain de croire que ces décisions aient pu suffire à ramener l'ordre dans un Village aussi turbulent que NOAILLAN.

D'autres traverses surviendront et continueront de défrayer la chronique locale...

Sommaire.

     L'implacable enchaînement des dettes
et des frais de justice.

A quelques semaines de là, le 6 Avril 1760, survient une neuvième naissance chez les FERRAND ; enfin une fille la première après une série continue de huit garçons. On l'appellera Jeanne, mais elle ne survivra pas.

Le dixième et dernier enfant devait arriver deux ans plus tard, encore un garçon, le 8 mai 1762 ; on l'appela Jean, mais lui non plus ne devait pas survivre. Lors de cette dernière naissance, Marie CABIROL, la Mère, avait 34 ans et demi.

Voilà plus de neuf ans que Jean FERRAND est mort, mais certaines de ses affaires ne sont toujours pas liquidées. Et encore une fois, des affaires de modeste importance, comme nous en avons déjà rencontré bien d'autres.

On laisse courir les dettes, on a toujours le temps de régler, mais c'est un jeu dangereux car nombreux sont ceux qui finissent par ne plus trop savoir où ils en sont.

Ainsi Etienne FERRAND ne peut-il récupérer la modeste somme de 11 Livres que Jean DUCLERC devait à son Père pour quelques mesures de farine de seigle et de millet qu'il lui avait avancées dans un moment difficile.

Depuis lors, il aurait eu bien des fois l'occasion de rembourser cette somme, mais il ne l'a pas fait, et il a engagé ailleurs d'autres découverts si bien que maintenant, si modeste que soit la somme, il ne peut pas s'en libérer. Il fait alors ce que font d'innombrables débiteurs de l'époque, il fait la sourde oreille et ne répond plus à rien.

Lassé, Etienne lui adresse un exploit le 14 Mai et l'assigne devant le Tribunal en son audience du 27.

Entrent alors en jeu les renvois successifs habituels des Justices seigneuriales, en Juin, en Juillet, etc... sans que l'affaire avance de façon significative. Tout au long de ce cursus judiciaire, Jean DUCLERC ne s'est jamais présenté ni fait représenter devant le Juge ; absence et silence total.

Finalement, le 9 Septembre, le Juge finit par le condamner à honorer sa signature sur le billet de reconnaissance de dette que présente FERRAND, et à lui payer cette somme de 11 Livres.

Mais ce qu'il est intéressant de noter, c'est que les dépens auxquels il est également condamné s'élèvent à 11 Livres et 5 Sols soit donc autant que la dette principale.

De dangereux qu'il était, le jeu devient là suicidaire car ces 22 Livres 5 Sols vont être désormais récupérables sur le débiteur par voie d'une saisie entraînant de nouveaux frais qui viendront s'ajouter à la dette.

Combien de patrimoines de petits laboureurs indépendants ont-ils ainsi fondu en frais de justice à l'occasion d'affaires qui, au départ, étaient sans importance ?

On retrouve ensuite ces pauvres gens brassiers ou journaliers soumis à tous les aléas des travaux saisonniers payés à la journée à des tarifs misérables. Encore heureux si leurs dettes passées ne les poursuivent pas encore sur ces maigres ressources.

Cette affaire se termine donc sur un jugement rendu, nous l'avons dit, le 9 Septembre 1762. 

Sommaire.

     Les deux frères Ferrand 
Etienne Aîné et Cadet entrent en conflit.

Etienne FERRAND n'aura pas le temps de reprendre son souffle car dès le lendemain, 10 Septembre, il recevait un exploit d'assignation délivré par son frère cadet, l'autre Etienne, pour comparaître devant le même Tribunal de NOAILLAN.

C'est le début d'une longue contestation. Etienne pouvait-il se douter ce jour-là qu'il s'engageait dans une procédure qui allait s'étirer tout au long des huit années à venir ?...

Que s'était-il passé ?

Nous nous souvenons que quinze années séparaient les deux frères; l'Aîné était né en 1723, et le Cadet en 1738. Cela n'avait pas posé de problème tant que leur Père Jean avait dirigé les affaires de la famille.

Il ne semble pas qu'il se soit non plus posé de problèmes majeurs dans les années qui ont suivi, pas même après la disparition de leur Mère au premier jour de Janvier 1754.

C'est au début de 1762 que les choses se sont gâtées. Du moins est-ce à ce moment-là que les dissensions sont apparues au grand jour, sans que l'on puisse dire si elles avaient ou non été précédées d'une période d'affrontements et de mésentente.

Toujours est-il qu'un beau jour du début 1762, Etienne le Cadet quitta la maison de HOURTON où il vivait en famille avec son Frère aîné, sa Belle Soeur Marie et ses Neveux. Et si nous n'avons pas de détail sur ce départ, nous pouvons affirmer qu'il fut précipité.

L'Aîné le qualifiera de "furtif", mais le Cadet confirme bien qu'en partant, il a laissé sur place tous ses effets personnels puisqu'il en réclamera ultérieurement la restitution.

Dans l'approche de cette affaire, il faut nous montrer critiques et prudents car nous ne disposons que de la version du Frère Aîné. Quelques indices objectifs permettront néanmoins d'éclairer un peu le débat sans le trancher de façon absolument certaine.

En quelques mots, et en simplifiant, la question est de savoir si le Cadet est parti pour fuir la tyrannie de son Aîné, ou bien simplement parce qu'il avait un profil de fils prodigue aventureux.

C'est l'objet du débat.

Si l'on en croit l'Aîné, la cause est vite entendue.

Il expose qu'il avait :

"auprès de luy ledit FERRAND son Frere (Cadet) dont il eût tout le soin possible tant pour son entretien que pour son éducation et luy reconnaissant alors un tempéramment propre à vivre avec luy sans nulle méfiance de fuite..."

Soit, mais en grandissant, le plus jeune pouvait de moins en moins ignorer que son Aîné, pour des raisons inconnues, avait été largement avantagé dans le testament de son Père.

Or, ce n'était pas l'usage du pays où le droit d'aînesse était très peu pratiqué. Alors pourquoi ? Une telle question ne pouvait que jeter un trouble dans les relations entre les deux garçons.

Mais l'Aîné poursuit :

"ledit FERRAND Jeune, qui vivoit avec (son Aîné) sans autre occupations que celles quy luy plaisoient, ne manifesta ses mauvais sentiments que vers le commencement de la présente année (1762), et enfin, livré au caprice de certains malintentionnés, il rejeta les douces et charitables représentations de (son Aîné), le quitta furtivement et s'en alla, errant de paroisse en paroisse, adonné à un train de paresse et d'oisiveté d'où, néanmoins, (son Aîné) a voulu le sortir par son rappel auprès de luy, (ce) qui n'a produit nul effet, au contraire,..."

On pourra douter que ce Cadet ait pu aller et venir sur l'exploitation familiale en ne faisant que ce qui lui plaisait...

De même les représentations fraternelles ont-elles plus de chances d'avoir été vigoureuses et péremptoires que "douces et charitables"... Par contre, le reste est assez vraisemblable, car, lorsque nous évoquerons l'histoire de ce Cadet, nous découvrirons quelques traits d'instabilité qui poseront question.

En l'état actuel de nos connaissances, nous pourrons simplement avancer que le Cadet a pu être irrité des marques de préférence que la famille avait manifestées à son Aîné, qu'il a fini par mal supporter la cohabitation avec lui et que, soit par dépit, soit par penchant naturel, il s'est lancé dans une expérience aventureuse en s'évadant du milieu familial. Il est bien difficile d'en dire davantage.

Ainsi donc, après un départ "furtif", et une tentative de rapprochement ultérieure qui devait échouer, Etienne FERRAND Cadet en vient, le 10 Septembre 1762 à assigner son Frère devant le Juge de NOAILLAN.

Que veut-il ?

Tout simplement procéder au partage des biens délaissés par ses Parents et se voir verser par son Frère les 1500 Livres qui lui reviennent.

Mais dès la première audience où l'affaire est appelée, le 16 Septembre, il apparaît qu'il est encore mineur (il n'a que 24 ans et 9 mois), et que la première chose à faire est de se trouver un curateur.

Ce ne sera pas nécessairement facile car nous avons déjà vu qu'en pareil cas, cette désignation doit être approuvée par un Conseil de Famille dont son Frère fera nécessairement partie en tant que plus proche parent...

Entre temps, sa situation financière ne doit pas être très brillante car il demande au Juge de lui faire attribuer un provision, ce qui est accepté lors de l'audience du 23 Septembre. Il faut bien qu'il puisse payer les frais de Justice...

Et par la même occasion, il demande et obtient qu'on lui remette "ses habits et nippes" qui sont restés à la maison de HOURTON.

FERRAND Aîné réagit, dénonce "son Conseil pernicieux" d'où vient tout le mal et soulève l'exception de sa minorité en fournissant au Tribunal un "Extrait Baptisaire" de son Frère.

Le Juge en prend bonne note mais maintient sa décision de lui voir verser sa provision de 50 Livres. L'Aîné n'est pas content mais s'exécute, de mauvaise grâce, en se disant condamné "contre toutes les règles". Il dira même qu'il :

"a mieux aimé acquitter (cette somme) que de se fatiguer à la suite de l'appel qu'il était fondé (à faire) et sur lequel, sans difficulté, il aurait obtenu la cassation de cette (décision)."

En fait, la position d'Etienne FERRAND Aîné n'est pas aussi solide que l'on pourrait le croire. Il a commis en effet une très grave imprudence, il le sait bien et n'en est pas trop fier. Au décès de sa Mère, le ler Janvier 1754, il n'a pas fait faire d'inventaire du mobilier laissé par ses Parents.

Il avait alors 30 ans, son jeune Frère en avait 15, et rien ne laissait supposer qu'ils entreraient un jour en conflit. Il avait donc fait l'économie de cette formalité sans se rendre compte que, devenant le tuteur de son Frère, il devenait également comptable de la conservation des meubles de la famille.

Faute de cet inventaire, Étienne Cadet pouvait maintenant prétendre qu'il avait fait disparaître tant et plus d'objets, même éventuellement imaginaires ...

C'était une situation inconfortable. Il va donc demander à Me PERROY, Notaire, le 13 Novembre 1762 de procéder, avec presque neuf ans de retard à l'inventaire de ces meubles qui, au surplus, ont été transportés dans l'intervalle du moulin du CASTAING dans la maison de HOURTHON.

Il explique à Me PERROY qu'il veut se mettre à couvert :

"dans la dernière régularité pour parer à toutes exceptions que le mauvais coeur dudit FERRAND Jeune et ses Conseils chicaneurs pourroient luy suggérer..."

Quoi qu'il fasse, il ne sera pas "dans la dernière régularité", il est incontestablement en faute.

Sommaire.

     Un inventaire très complet.

Toutefois, cette situation présente pour nous un bon côté car elle aboutit à un inventaire d'une grande précision qui se développe sur dix pages entières. A défaut d'avoir fait les choses en leur temps, du moins FERRAND les a-t-il faites à fond.

Ce document est d'une importance telle qu'il ne peut trouver ici sa place dans sa forme détaillée. Un plan des quatre pièces du rez-de-chaussée reproduit ci-après résume l'essentiel des dispositions que nous décrit Me PERROY.

La désignation de chacune des pièces est arbitraire. Pour Me PERROY, il n'y a ni cuisine, ni pièce principale, il n'y a que des "chambres" et il ne leur attribue aucune affectation particulière.

Cet inventaire appelle quelques commentaires.

Cette maison est exceptionnellement riche en vaisselle et en linge, très au-delà de l'équipement moyen d'une famille de laboureurs, même aisée.

La vaisselle en terre est ici mentionnée alors qu'elle est généralement considérée comme dépourvue de valeur et, à ce titre, ne figure généralement pas dans les inventaires.

On sent qu'Étienne FERRAND entend pousser très loin le scrupule dans cette opération.

Il nous est accessoirement précisé que cette vaisselle commune est destinée au service courant.

Mais outre cet équipement commun, on découvre 12 petites assiettes anciennes, 12 assiettes de faïence grise, 11 assiettes de faïence blanche, une autre douzaine d'assiettes de nature non précisée, 7 plats d'étain, sans parler d'autres plats de matière inconnue, et par dessus le tout, 18 petites cuillères et 12 fourchettes en fer.

La batterie de cuisine est, elle aussi bien pourvue. Il n'est pas rare qu'un foyer rural de l'époque, outre sa vaisselle commune, se contente d'un plat d'étain et quelquefois de six assiettes de faïence grise. Les petites cuillères sont rares et les fourchettes encore plus.

Cette maison est remarquablement équipée, et cette impression se confirme tout autant quand on réalise de quel linge elle est pourvue.

Sommaire.

MAISON D'ETIENNE FERRAND AINE A HOURTHON
 Le 13 Novembre 1762

Répartition du mobilier entre les quatre pièces du rez-de-chaussée.

Les documents disponibles ne permettent pas d'indiquer comment les pièces communiquaient, ni entre elles, ni avec l'extérieur (portes fenêtres, fenêtres, couloir éventuel, etc..). De même, l'emplacement du mobilier et des cheminées ne peut être précisé.

Nord.

1 -CHAMBRE DE L'OUTILLAGE

3 chaudières et un chaudron de cuivre rouge avec leurs anses en fer dont une grande contenant environ 50 litres

un passe partout,

une grande hache,

une petite,

une serpe, un pellefer,

deux vieux sarcles.

-une barre de fer,

une masse, un étau,11 prics

pour piquer les meules.

une grande cape et une petite en poil de chèvre.

 

2 -CHAMBRE NORD

une cheminée;

un lit en cerisier garni;

2 vieux coffres en noyer;

un coffre en cerisier fermant à cadenas et à clé contenant tout le linge (5 draps de brin, 20 draps de toile de bourre, 4 nappes ouvragées, 5 douzaines de serviettes ouvragées; 6 petites nappes de bourre; etc...)

2 maies

un grand trépied ; une chaudière de cuivre rouge; et …

 

 

3 -CUISINE

Une cheminée équipée.

un vaisselier garni (7 plats et une assiette d'étain,11assiettes de faïence blanche, une marmite en cuivre rouge,

12 autres assiettes,

24 écuelles en terre,

3 poêles, une tourtière, une casserole, 3 poêlons, 2 broches, 2 grils, etc...)

une chaudière de cuivre rouge de 25 litres environ;

un petit saloir;

2 petites tables sur tréteaux ( une ronde et une octogonale);

6 chaises paillées.

4 -PIECE PRINCIPALE

Une cheminée équipée.

un lit en noyer garni de rideaux où dormaient autrefois Jean FERRAND et sa femme.

un petit garde meuble

un vaisselier garni (12 assiettes anciennes,18 petites cuillères,12 fourchettes, 12 assiettes de faïence grise, 3 plats une salière d'étain, etc...)

une table en cerisier

un petit miroir;

4 fers à repasser

6 chaises paillées

 

 

Sud

Cinq draps de toile de brin constituent déjà une bonne dotation, mais que dire de 20 draps de toile de bourre ! Certes la matière n'en est pas très noble, et il est même curieux de constater qu'il n'y a aucun linge "d'atramadis" qui est la qualité intermédiaire entre le brin et la bourre. Mais le chiffre ne laisse pas d'être impressionnant.

Quant aux serviettes, on s'attend à en trouver une douzaine, exceptionnellement deux, dont la moitié "ouvrées", mais ici, c'est cinq douzaines ouvrées dont deux de brin... Et le reste à l'avenant.

Nous avons là la confirmation que la famille FERRAND bénéficiait, dans ce pays, d'une assez confortable aisance. Une aisance qui devait d'ailleurs remonter à pas mal de temps car il est significatif de constater qu'il y a là très peu de choses neuves.

Par contre, on pourra être surpris du très médiocre équipement en outillage. On ne devait pas beaucoup travailler la terre dans cette famille là... Autre sujet d'étonnement, c'est l'absence de balance, et il ne s'agit pas d'un oubli car le Notaire spécifie qu'il n'a pu peser les plats d'étain faute d'en avoir eu une à sa disposition.

Chez un "marchand", c'est un peu curieux, encore que le commerce des grains et des farines fasse davantage appel aux mesures de capacité qu'aux pesages.

A l'étage de cette maison, il n'y a qu'une chambre équipée, assez sommairement, d'une simple couchette de pin avec paillasse et une literie passablement usée. Ce pouvait être la chambre d'un domestique, à moins que ce ne fût celle d'Etienne FERRAND Cadet, rien ne permet de le préciser. Le reste de l'étage est en grenier.

Outre les biens ainsi décrits, FERRAND Aîné indique au Notaire qu'il y avait d'autres biens mobiliers au moment du décès des Parents. Il y avait, en particulier, chez un métayer, une paire de boeufs estimée 210 Livres et une charrette fustine (à roues en bois non cerclées) dont la valeur ne dépassait pas 15 Livres, plus trois vaches à 25 Livres l'une.

Et comme ce métayer est parti "furtivement", il est précisé que les FERRAND ont essuyé une perte de 30 Livres sur ce cheptel.

A POUTCHEOU, chez LATIE, autre métayer que nous avons déjà rencontré, se trouve une paire de petits boeufs dont la valeur ne dépasse pas 190 Livres, et une autre charrette fustine ainsi que du matériel et des vaisseaux vinaires en assez mauvais état puisqu'il a fallu faire refaire le pressoir récemment.

Enfin, au moulin du CASTAIN, se trouvait, toujours au moment du décès des Parents, une très belle paire de boeufs estimée 330 Livres (à ce prix là, ils devaient être magnifiques) une grande charrette estimée 60 Livres du fait de son usure, et 9 chevaux liés à l'exploitation du moulin dont 8 furent vendus pour un montant total de 540 Livres, le neuvième étant conservé sur la nouvelle exploitation comme animal de selle.

Il y avait bien aussi une réserve de 50 boisseaux de seigle et de 20 boisseaux de panis et millade, mais leur valeur contrebalançait tout juste le prix de la ferme qu'il fallait liquider entre les mains du Seigneur propriétaire.

Enfin, au décès de Marie DUBEDAT, sa Mère, Etienne FERRAND Aîné a trouvé dans la maison 500 Livres en or et argent liquide.

Pour être tout à fait complet, il signale encore qu'il a reçu deux barriques de vin blanc qui étaient dues à sa Mère, et qu'il a lui-même vendu pour 230 Livres de pins que, dans l'intervalle, il a fait couper sur l'héritage.

On sent combien FERRAND Aîné veut donner l'image d'une sincérité scrupuleuse, tant il redoute que soit critiquée chez lui la négligence de n'avoir pas procédé à cet inventaire en temps utile.

L'évaluation totale de ces meubles se montera à 2.800 Livres nettes, ce qui représente une fort jolie somme pour un exploitation rurale de notre Région.

Sommaire.

     Il apparaît que le juge
connaît bien les deux plaideurs.

Nous avons dit que cet inventaire se déroulait le 13 Novembre 1762. Moins de trois semaines plus tard, les Procureurs de chacun des deux frères devaient se retrouver devant le Juge de NOAILLAN, c'était le 2 Décembre. Le Cadet estimait que la provision qu'il avait reçue était insuffisante et voulait obtenir davantage. Mais on sent bien que le Juge, Me CAZALET, n'est pas très chaud pour répondre favorablement à cette demande.

Il connaît bien les deux parties et ne peut s'empêcher d'avoir sur l'affaire une opinion personnelle qui s'alimente à d'autres sources qu'aux seules pièces du dossier.

Il a alloué 50 Livres au plus jeune le 23 Septembre, et avec 50 Livres, un célibataire peut vivre quelques mois. Certes, il aura fallu prélever dessus les frais de justice, mais Me. CAZALET est bien placé pour en connaître le montant.

Pour peu que FERRAND Cadet veuille bien chercher un peu de travail au lieu de courir la campagne, il détient là une provision qui lui parait suffisante.

De tout cela, il ne soufflera mot dans sa décision, mais on sent bien combien il est réticent à aller plus avant. Qu'est-ce qui l'empêcherait en effet, sur le fond, d'allouer 50 ou 100 Livres de plus au demandeur ?

Le testament de son défunt Père est formel, à échéance, il aura droit à 1.500 Livres nettes pour sa part d'héritage. On est donc bien loin de la limite. Alors pourquoi ces réticences ? Pour des raisons de droit strict tout d'abord, puisque le Cadet est mineur et ne peut normalement recevoir d'argent sans le contrôle d'un curateur.

Mais sur ce point, il a déjà passé outre le 23 Septembre en usant de son pouvoir d'appréciation. Pour des raisons personnelles aussi peut-être, car il est bien possible qu'en son for intérieur, Me. CAZALET épouse les craintes du frère Aîné et redoute que le Cadet ne dilapide tout ce qui pourrait lui être alloué à titre provisionnel.

Aussi use-t-il cette fois- ci de la règle juridique stricte qu'il a pourtant déjà enfreinte une fois, en invoquant la minorité du demandeur :

"avant (de) statuer sur la demande en provision demandée par ledit FERRAND Jeune, ordonnons qu'il se faira pourvoir d'un curateur réel..."

Ce n'est pas une fin de non recevoir formelle et définitive, mais en fait c'est tout comme, puisque nous avons déjà vu que ce Curateur ne pourrait être éventuellement désigné que sur avis favorable d'un Conseil de Famille dans lequel le frère Aîné ne manquerait certainement pas de faire valoir son point de vue avec vigueur.

Ainsi donc, le 23 Septembre, le Juge avait pris la décision (en droit strict contestable) d'allouer 50 Livres au Cadet, décision prise "en équité" pour débloquer une situation qui lui avait paru difficile, mais il est clair qu'il n'ira plus au-delà. l'intéressé comprendra d'ailleurs fort bien la leçon et, comme nous le verrons tout à l'heure, décidera d'attendre... Il attendra tout simplement sa majorité qu'il atteindra dans un peu plus de six mois, et alors là, eh bien, on verra...

Sommaire.

     Des fraudes de toutes sortes prolifèrent
 dans le commerce à Noaillan.

Nous sommes donc à la fin de 1762, et nous avons encore en tête le proche souvenir de l'intervention rigoureuse de Me. DUFAUX, le Procureur d'Office, à l'encontre des divers fraudeurs qui se manifestaient à NOAILLAN, en particulier, les cabaretiers et les boulangers ; c'était en Janvier 1760.

Devant l'attitude ferme de la Justice, on aurait pu croire ces problèmes réglés pour un bon bout de temps.

Or, il n'en est rien, et les fraudes se multiplient à l'envie dans tous les commerces, au grand dam de la population qui en est la première victime. Ce sont encore les cabaretiers et les boulangers qui tiennent la vedette, certes, mais aussi désormais les bouchers..

Au cours de l'audience du 19 Novembre 1762, Me. DUFAUX adresse publiquement au Juge un réquisitoire fortement motivé dénonçant ces pratiques. Non seulement les Hôtes ont recommencé à débiter du vin pendant les Offices divins et pendant la nuit aux heures indues, mais ils ont également ressorti leurs "mesures courtes."

De même les boulangers :

"font leurs pains quy ne sont pas de poids et conformes au tarif..."

Quant aux bouchers, il leur est reproché d'utiliser des "poids courts", inférieurs aux poids étalons déposés auprès de la Juridiction de NOAILLAN.

Le Procureur d'Office demande une réaction immédiate et suggère au Juge de se rendre sur place, dans chacun des commerces, pour y procéder aux vérifications utiles, en particulier chez les bouchers :

"pour patronner leurs poids avec ceux de la présente Juridiction, afin que sy les poids desdits bouchers se trouvent courts, il leur soit enjoint de les faire augmenter et ajuster avec ceux de la présente Juridiction à peyne de dix Livres d'amende pour la première fois, du double pour la seconde et du triple pour la troisième; comme aussy de Nous transporter chez lesdits Hôtes pour y mesurer leurs cannettes et qu'il leur soit fait défense de donner du vin pendant les Offices divins et le soir après neuf heures frappées à l'horloge du présent lieu, aussy aux mêmes peynes que dessus; et aux boulangers de se conformer pour le débit de leur pain au poids du tarif... et de faire de bon pain, bien pétry, de deux levées et bien cuit, à peyne de confiscation dudit pain et de pareille amende que dessus en cas de contravention..."

Tout à fait convaincu du bien fondé de cette requête, le Juge donne son accord à toutes les propositions qui lui ont été faites. De tout cela, il sortira une Ordonnance qui reprendra chacun des points énoncés avec toutefois une petite précision concernant les boulangers qui devront "faire leur pain blanc bien pétry", alors que le Procureur n'avait établi aucune distinction entre le pain de froment et le pain de seigle.

Cette Ordonnance sera proclamée et affichée selon les usages, et ne réglera pas mieux les problèmes de fraudes marchandes que tous les textes qui l'avaient précédée puisque nous pourrions retrouver très exactement les mêmes griefs et les mêmes injonctions dans une autre Ordonnance qui sera prise le 7 Février 1765. Cette réitération montre bien à quel point le mal pouvait être profond et les remèdes inefficaces.

En tout état de cause, on aurait pu frapper les fraudeurs d'amende, mais certainement pas les mettre en prison, du moins à ce moment-là. 

Sommaire.

     La prison seigneuriale de Noaillan
n'a plus de geôlier.

Une fois encore, NOAILLAIN n'a plus de Geôlier, ou plus exactement, il y en a bien un désigné mais on ne sait trop où il est. Et précisément, en cet automne de 1752, il se trouve qu'il faut s'assurer de la personne d'un certain Simon LAPRIE , habitant de la Paroisse de St. COME.

Le prisonnier est là, et on ne sait trop qu'en faire.

Il y a bien une prison, mais personne pour la garder; et comble de malchance, le Geôlier a emporté avec lui le Registre d'écrou... Que faire ?

Les Officiers de Justice sont bien embarrassés. Finalement le Juge décide d'ouvrir une double feuille qui tiendra lieu de Registre :

"paraphé et signé par Nous, Juge de la présente Juridiction... pour servir de livre d'écrou en l'absence du Geôlier ordinaire, ce jourd'huy seizième Octobre mil sept cens soixante deux."

Passe pour le Registre, mais le gardien ? Eh bien on va réquisitionner un certain Pierre ROBERT, habitant de BAZAS, 

" lequel avons reçu.. après serment par luy fait, de bien et fidèlement faire, par provision (c'est-à-dire à titre de remplacement), la fonction et charge de Geôlier des prisons de la présente Juridiction... Ce faisant, tenir les prisonniers quy luy seront remis en main,... sans les laisser sortir directement ni indirectement, à peyne d'en répondre... Auquel (Geôlier) sera payé, par jour, trente sols par la partie (qui aura demandé l'incarcération)."

Et sans plus tarder, on écroue le prisonnier encombrant qui :

" a été amené ez prisons de céans et mis en garde de Sieur Pierre ROBERT, Concierge... desdites prisons, pris et nommé d'office..."

Mais ce n'est pas tout que de payer le gardien, il faut également assurer la subsistance du prisonnier. L'Huissier Audiencier y pourvoit auprès de Pierre ROBERT :

"auquel avons laissé trois Livres quinze sols pour la subsistance dudit prisonnier pour (la) quinzaine..."

ce qui représente donc une dotation de 5 sols par jour. Gageons qu'à ce prix-là, on ne lui fournira pas de la paille fraîche tous les jours, ... ni une bien grosse tranche de pain.

 Il ne sera pourtant élargi que trois mois plus tard, le 27 Janvier 17 63. Entre temps, on avait récupéré le Geôlier titulaire qui avait repris à la fois son poste et son Registre.

Sommaire.

     La mauvaise récolte annoncée pour 1763
 incite Ferrand Aîné à reconsidérer sa situation.

Le printemps qui allait suivre allait être lourd de conséquences. Dès le mois d'Avril, on sut que l'année serait mauvaise. Des gelées tardives avaient beaucoup éprouvé les vignes, mais les pluies incessantes qui survinrent au moment de la fleur provoquèrent une coulure non moins néfaste.

Tout allait mal, et des experts commis à l'examen de cette situation conclurent qu'il fallait s'attendre à la perte des trois quarts de la récolte de vin, au quart de celle de seigle, à la moitié des fourrages sans parler du chanvre dont les trois quarts paraissaient également perdus. Seules les millades paraissaient avoir à peu près résisté.

Ces considérations météorologiques et leurs conséquences ne sont pas ici gratuites, elles vont en effet ouvrir à Etienne FERRAND des perspectives de réflexion qui vont modifier le cours de ses activités.

Etre "marchand" comme il l'était, soit, mais être seulement marchand, la chose pouvait s'avérer dangereuse. En année faste, le commerce des grains et des farines pouvait nourrir son homme, mais que survienne une disette ou simplement une mauvaise campagne et il en allait tout autrement.

Il est probable qu'en pareille circonstance, le grand négoce spéculatif savait tirer son épingle du jeu en faisant venir des grains de marchés lointains. Mais il en allait tout autrement pour un FERRAND qui travaillait sur une bien moindre échelle avec pour horizon les limites des marchés de VILLANDRAUT, de LANGON et de BAZAS.

Et c'est probablement à ce moment-là qu'Étienne FERRAND Aîné comprit que s'il voulait maintenir son activité au niveau où son défunt Père avait porté la sienne, il lui fallait absolument reprendre la ferme d'un moulin qui lui permettrait de conserver un contact étroit avec la production locale.

Qu'il y ait peu ou beaucoup de récolte, le passage obligé par le moulin offrait à un meunier averti un poste d'observation stratégique irremplaçable. Tout cela était bel et bon, mais encore fallait-il qu'une bonne occasion se présente; à partir de là, Etienne FERRAND Aîné fut dans l'expectative.

Sommaire.

     Etienne Ferrand Cadet devenu majeur
se manifeste sans tarder.

Il ne fut pas en peine de meubler son attente. Son Frère Cadet, lui aussi, attendait. Il attendait, souvenons-nous en, l'échéance de sa majorité pour reprendre son procès en règlement de succession. Et il n'eût garde d'en oublier la date. Le 27 Juin 1763, le jour même de son anniversaire, il adressa à son Frère un "acte de dénonciation" remettant en cause le testament de son Père et réitérant une demande de provision en espèces.

L'affaire traîna en procédures diverses et vint enfin à l'audience du 21 Juillet suivant. Ce n'est pas pour autant qu'elle avança beaucoup, le Juge se bornant à constater que la demande était recevable et que l'on pourrait instruire le procès. Il fallut attendre le 9 Septembre pour la voir revenir au Rôle, soit donc plus de deux mois pratiquement perdus pour rien.

Du moins cette fois-ci va-t-on progresser un peu...

Etienne FERRAND Cadet entend attaquer le testament de son père, c'est une procédure extrêmement dangereuse. Si nous reprenons le texte de ce testament, il apparait clairement que Jean FERRAND a expressément prévu le cas.

Ayant constitué son legs de 1.500 Livres au Cadet, il ajoute qu'il :

" veut qu'il s'en contente et qu'autre chose il ne puisse demander; et si ledit FERRAND plus jeune prétendoit de plus forts droits, ledit testateur le met est réduit au droit de légitime . . . . tel que Coutume.,"

On ne saurait être plus clair, et, selon la Coutume, le "droit de légitime" représente une somme de 5 Sols ! ! . . . Ainsi ou bien le Cadet se satisfait du legs de 1.500 Livres, ou il le conteste et demande quelque chose en plus, auquel il perd tout et ne recevra que les 5 Sols, minimum obligé qu'un père doit laisser à son enfant.

En vue de poursuivre ce procès, il faut donc, au préalable, qu'il renonce solennellement au legs que lui a fait son père et s'il perd son procès, la renonciation, elle, restera valable et définitive. C'est un gros, très gros risque à courir.

Etienne FERRAND Cadet persiste et la Cour fait droit sa requête :

"Sur quoy, la Cour de céans,... ordonne que ledit FERRAND Jeune répudiera dans les formes requises .... le legs à luy fait par ledit FERRAND son père dans son testament."

Quant à la nouvelle demande de provision formulée dans la requête, le Juge l'accueille, mais du bout des lèvres, puisqu'il :

"adjuge audit FERRAND Jeune la somme de vingt cinq Livres par forme de provision alimentaire.."

C'est certainement beaucoup moins que n'avait espéré l'intéressé, tout juste la moitié de ce qu'il avait obtenu la première fois. On sent combien le Juge est réticent, et il l'est ici d'autant plus que si le Cadet perd son procès, il faudra qu'il restitue ces sommes en les prélevant sur le seul héritage qui lui restera celui venant de Marie DUBEDAT, sa Mère.

Pendant quelques quelques mois, l'affaire n'avance plus, du moins au grand jour, car en sous-main, des négociations se poursuivent, ainsi que nous le découvrirons tout à l'heure.

Entre temps, le 21 Février 1754, FERRAND, l'Aîné, a trouvé un moulin disponible, ce sera celui de LA FERRIERE, sur la HURE, sur la Paroisse de BALIZAC. Nous reviendrons sur cet événement que nous nous bornerons à signaler ici au passage à son ordre chronologique.

Pour la cohérence du récit, mieux vaut en terminer avec le litige pendant entre les deux frères, quitte à revenir un peu en arrière pour reprendre le fil de l'histoire.

Ce litige refait surface le 30 Avril 1764, soit donc presque huit mois après la dernière audience, celle du 9 Septembre précédant. Mais cette fois-ci, les choses ont sensiblement évolué.

Tout d'abord, il y a un fait nouveau important, le Cadet est en instance de mariage, et qui plus est, d'un riche mariage. Nous retrouverons cet épisode, le moment venu, au fil de sa propre histoire.

On peut espérer qu'il va se stabiliser un peu et cesser ses errances de paroisse en paroisse.

Mais il y a eu également des s interventions pressantes d'amis communs aux deux plaideurs :

" pour éviter toute continuation de procédure odieuse entre deux frères à qui les liens du sang prescrivent une union et amitié indissolubles, par l'avis de plusieurs amis communs, (le Cadet) s'est déterminé à recourir audit FERRAND son Frère aîné qui a souscrit à l'amodiation(c'est-à-dire l'arrangement) qu'il luy a proposée..."

C'est ainsi qu'il est convenu que l'Aîné cédera au Cadet la métairie de POUCHEOU, avec tout ce qui en dépend, y compris les boeufs et la charrette, une pièce de pins au GOUAROT, une lande au LANOT d'AMBLIS, et le quart d'une autre voisine, un jardin chènevier situé à LA MOTHE, et enfin la somme de 1.500 Livres en espèces dont 300 à l'échéance d'un mois et les 1.200 restantes dans un an. Moyennant quoi le procès est abandonné et chacun met l'autre "hors de Cour". La valeur des biens immobiliers cédés étant estimée à 2.200 Livres, il n'est pas douteux qu'au terme de cette transaction, le Cadet ait singulièrement amélioré sa condition.

Le 3 juin, l'Aîné procédait à un premier versement de 250 Livres, complété quatre jours plus tard de 50 autres réalisant le total des 300 promises dans la transaction. Le règlement de cette affaire paraissait donc en bonne voie. De celle-là, oui, mais dès le 17 Août, Etienne le Cadet assignait de nouveau son frère devant le même Tribunal . . . . verra-t-on jamais la fin de ces litiges ?

Oui pour cette fois car l'affaire, renvoyée d'audience en audience sans que l'on puisse jamais connaître l'objet de la contestation, disparaîtra du Rôle, sans explication, après une dernière évocation le 29 Novembre 1764.

Restaient à verser 1.200 Livres à échéance d'un an, soit donc le 30 Avril 1765. Étienne L'Aîné n'est pas tout à fait exact au rendez-vous, mais fait un geste de bonne volonté appréciable.

Le 27 Mai 1765, par devant Me PERROY, notaire, il verse 500 Livres à son frère en espèces d'or et d'argent. Et pour en terminer avec toutes ces péripéties judiciaires, nous ferons un saut dans le temps jusqu'au 16 Décembre 1770, date à laquelle les 400 Livres restantes seront réglées, pour solde de tous comptes, mettant ainsi un terme à une longue polémique qui durait depuis 1752.

Cette affaire étant ainsi réglée, il nous faut maintenant revenir au début de 1764, au moment où le moulin de LA FERRIERE va être disponible. 

Sommaire.

     Ferrand Aîné redevient meunier
en reprenant le moulin de La Ferrière.

A la vérité, il n'est pas réellement disponible car son fermier, Bernard FONTEBRIDE est titulaire d'un bail en bonne et due forme qui lui garantit le maintien dans les lieux jusqu'en Octobre 1766. Mais il se trouve qu'à la suite d'un arrangement dont nous ne savons rien, FONTEBRIDE accepte de résilier son contrat et de se retirer. Est-ce pour raison de santé, ou par suite d'une négociation avec FERRAND nous n'en savons rien.

Toujours est-il que ce retrait n'est pas précipité puisque nous allons voir FONTEBRIDE se réserver une partie des droits de pêche dans l'étang de LA FERRIERE pour l'année suivante. Au surplus, il s'agit bien d'un retrait amiable puisque le même FONTEBRIDE participe à la négociation du bail, que va souscrire FERRAND, son successeur.

Ce contrat va se discuter à VILLANDRAUT, dans l'après midi du 21 mars 1764.

C'était un mercredi, jour du marché local. C'est un contrat important, la qualité des témoins l'atteste. On n'a pas pris les premiers passants venus comme on le fait souvent dans les petites affaires, mais des notables locaux qui se sont déplacés pour l'occasion.

Il y a là Me Jean LAMARQUE, Chanoine du Chapitre de VILLANDRAUT, et Noble Pierre de GRENIER, Sieur de LAMOULETTE, Ecuyer, qui habite aussi VILLANDRAUT. Le propriétaire, Charles Philippe, Comte de PONS n'est évidemment pas là. Il habite pour lors à PARIS où il est Lieutenant Général des Armées du Roi.

Depuis tantôt sept ans, il a établi une procuration générale devant un Notaire du Châtelet en faveur Me François RAMUZAT qui est son Juge Seigneurial à CASTELNAU de CERNES.

Depuis lors, Me RAMUZAT gère au mieux les intérêts de son maître avec, semble-t-il, une assez grande indépendance.

Aux termes de ce contrat, Etienne FERRAND Aîné prend à ferme, pour une durée de neuf ans, l'exploitation du : 

"moulin banal appellé de La FERRIERE, situé dans la Paroisse de BALIZAC sur le Ruisseau de LA HURE, moulant à trois meules, appartenant audit Seigneur avec ses appartenances et dépendances, y compris le pré appelé le PRAT du JUTGE ..."

Le bail précédemment détenu par Bernard FONTEBRIDE est résilié, avec son accord, pour le temps qui lui restait à courir. Ferrand entrera en exercice le ler Avril suivant, soit neuf jours plus tard, ce qui parait un peu précipité... Le preneur s'engage :

" à bien servir le publiq aux rétributions et droits ordinaires.."

Il s'engage à faire les réparations nécessaires aux meules, aux rouets, à "l'échac", etc.., le propriétaire lui fournissant les matériaux nécessaires (pierres, bois, et autres fournitures) le tout livré sur place.

Toutefois, le fermier fera son affaire de la pierre des meules qu'il devra fournir à ses frais mais qui seront véhiculées aux frais du Seigneur. Pour les six meules en exercice, FERRAND prend en charge une épaisseur totale de 57 pouces de caillou (167 cm). Toute différence en plus ou en moins en fin de bail sera facturée à l'une ou l'autre des parties sur la base de six Livres par pouce.

Le prix de la ferme est fixé en nature et en argent ; FERRAND s'engage à verser chaque année :

- 220 boisseaux de seigle,

- 100 boisseaux de millade ou panic,

- 100 Livres en argent,

-     8 paires de chapons,

"et de nourrir et rendre deux cochons gras, le Seigneur luy fournissant lesdits deux cochons de quatre à cinq mois de naissance."

C'était un prix assez élevé. Dans un temps où il n'y avait pas beaucoup plus de 280 jours ouvrés par an, il fallait trouver plus d'un boisseau (103 litres) de céréales par jour à prélever sur les pratiques, sans parler de l'argent et des redevances...

La FERRIERE devait donc être un moulin particulièrement bien achalandé.

Mais ce n'est pas tout. Le bail du moulin est assorti d'un bail annexe concernant le droit de pêche dans l'étang.

Tous les trois ans, on videra cet étang pour en prendre le poisson au filet.

FERRAND fournira les filets et la main d'oeuvre et ne pourra demander aucune indemnité pour le chômage du moulin pendant l'opération. Il vendra le poisson à son profit comme il l'entendra, mais devra en offrir 50 livres (environ 24 Kg) au Seigneur.

Toutefois, il devra remettre à l'eau les "nourris" (c'est-à-dire les alevins), savoir : les carpes de moins de ½ livre (240 gr) et les tanches et brochets de moins de ¼ de livre (120 gr). Il est en outre bien spécifié qu'il : 

"ne pourra pécher dans ledit étang dans autre temps que le temps de la pêche..."

On notera en passant la curieuse absence des anguilles. Leur humeur vagabonde les faisant aller et venir au rythme des saisons sans souci de respecter les barrages les fait peut-être considérer comme étrangères au patrimoine.

Pour exercer ce droit, FERRAND payera une ferme de 800 Livres chaque année de pêche à la date du 20 Mars. La raison n'en est pas explicitée, mais elle est facile à imaginer ; s'il est une saison favorable à la vente du poisson, c'est bien celle du Carême...

La dernière pêche ayant été faite en 1762, la prochaine aura lieu l'année suivante, en 1765. Mais là, FONTEBRIDE intervient, il demande et obtient de participer par moitié avec FERRAND à cette prochaine pêche et à celle-là seulement.

Il est convenu qu'il prendra à sa charge la moitié du prix de la ferme et la moitié des frais et de la redevance.

FERRAND s'est engagé à ne pas demander au Seigneur d'indemnité pour le chômage du moulin pendant la pêche, mais il en demande une à FONTEBRIDE qui accepte de la lui donner :

"et baillera audit FERRAND pour l'indemnité de chaumage dudit moulin cinq boisseaux de grains (environ 515 litres) moitié blé seigle et moitié millade..."

Il est enfin prévu que FERRAND ne pourra sous-fermer aucun de ces deux baux sans l'accord de l'Agent du Seigneur.

Sommaire.

     Ferrand aîné s'installe à La Ferrière.

FERRAND quitte NOAILLAN pour aller s'installer à La FERRIERE vers le mois de Mai 1764. Le 30 Avril, il est encore à NOAILLAN, mais le 7 Juin, il est déjà à La FERRIERE.

Il retrouve rapidement un niveau d'activité tel qu'il avait pu connaître dans les moulins de son Père. Quelques signes ne trompent pas. Ainsi, il recommence à prêter de l'argent autour de lui, de petites sommes, certes, mais qui montrent bien que lui peut le faire alors que d'autres autour de lui en ont besoin.

Plus significatif encore, il peut se le permettre au cours de l'été 1766, au moment où les affaires vont mal. Cette année-là fut affectée d'une dramatique sécheresse, l'une des plus sévères du XVIIIème siècle, sinon même la plus sévère.

Sur la région immédiate, et pour toute l'année, il ne tomba que 15 pouces et 7 lignes d'eau (422 mm), avec les conséquences que l'on peut imaginer sur les récoltes céréalieres.

Et au cours même de cet été, le 31 Août, alors que le maigre produit des moissons était connu, Etienne FERRAND, meunier, peut se permettre de prêter 42 Livres à Arnaud RICAUD dit LAROUILLE, un Maître charbonnier du crû.

La somme n'est évidemment pas très conséquente, mais, du moins dans le milieu rural où se situe notre histoire, et dans un temps difficile, les prêteurs n'étaient pas légion ; mais FERRAND en était...

 

En Janvier 1767, Marie CABIROL tomba malade. Elle mourut, munie de tous les sacrements, dans la soirée du 23 Janvier et fut enterrée le lendemain dans l'église de BALIZAC.

Elle avait à peine un peu plus de 39 ans et avait eu dix enfants. On notera qu'elle fut enterrée dans l'église, marque de considération exceptionnelle dont nous avons parlé en d'autres temps, et qui n'était accordée qu'à des notables locaux.

Or, il n'y avait même pas quatre ans que les FERRAND étaient paroissiens de BALIZAC.

Pour qu'une telle inhumation ait été reconnue possible par la Fabrique et le Curé, il fallait que la famille ou la personne ait acquis un statut significatif dans la communauté.

Ce pouvait être par des libéralités importantes (mais l'expérience montre que cela ne suffisait pas toujours) ou par un rayonnement personnel au service de la paroisse, ou par tout autre moyen nous échappant; nous ne pourrons que constater le fait sans pouvoir l'expliquer davantage.

Le printemps qui allait suivre devait réserver quelques mauvaises surprises. 

Sommaire.

     1767, une bien triste année.

Il se produisit un gelée sévère le 18 Avril, cela n'avait rien d'exceptionnel, mais le plus grave, c'est que survint une seconde gelée, non moins sévère, le 7 Mai, et là, ce fut une véritable catastrophe.

A BALIZAC, comme dans toute la région avoisinante, les céréales en souffrirent d'autant plus que le printemps fut très sec et que de fortes chaleurs se manifestèrent à partir du 10 Juin.

Les Balizacais demandèrent et obtinrent de l'Administration royale l'autorisation de faire procéder à une expertise des dégâts qu'ils avaient subis.

Cet inventaire fut dressé le 26 Juin par Me PERROY, accompagné des témoins et des personnes qualifiées. Tous s'étaient donnés rendez-vous à quatre heures du matin; on savait se lever de bonne heure en ce temps-là. Ils partirent à cheval, et tout au long de la journée ont :

"parcouru généralement tous les biens qui sont audit lieu (de BALIZAC), quartier par quartier..."

Ce qui leur a donné l'occasion de constater qu'en bien des endroits :

"les blès ont été écrasés par les gelées..., les jets étant tombés (et) s'étant brisés sur la rège et (les) sillons; que néanmoins, les blès avoient repoussé mais que cette nouvelle repousse ne peut fleurir à cause de la grande sécheresse du printemps.."

Ce triste tableau s'étend tout autant aux millades et aux quelques vignes qui apparaissent dans BALIZAC; mais une mention spéciale est faite pour les fourrages :

"les preds quy sont dans ladite paroisse, par les effets de ces gelées, (de la sécheresse et (de la) chaleur n'ont produit que peu de foin, (une) partie n'ayant pu se faucher.."

Au résultat de tout ceci, il apparais que :

"tout mûrement combiné et réfléchy, nous estimons que lesdits habitans en général ont perdu le tiers de leur récolte en blé (par rapport) à une année commune, qu'il y aura peu de millade, poinc de vin et que les prairies n'ont (pas) produit au-delà du quart du foin ordinaire, sans espoir de secondes herbes (c'est-à-dire de regain), abandonnées à la nourriture actuelle des bestiaux, n'ayant d'autres ressources, leurs pacages étant brûlés..."

Sommaire.

     Etienne Ferrand aîné se remarie,
une situation complexe.

Nous arrivons au mois de Juin 1767, voilà un peu plus de cinq mois que FERRAND est veuf. Il a six enfants dont cinq vivent avec lui. Son Aîné, Jean, qui a 19 ans ½ demeure à LIGNAN chez ses Grands Parents, mais il y a les cinq autres : Bernard, dit TCHIC, 18 ans, Joseph 15 ans ½ , Etienne, 12 ans, Bernard, dit BERNACHON, futur auteur de notre lignée, 11 ans, enfin un autre Etienne, 9 ans.

Cette famille est lourde à porter. FERRAND songe à se remarier. Il se rapproche ainsi de Jeanne FOURTENS, veuve, elle aussi, issue d'une très vieille famille de BALIZAC dont les racines sont au Quartier de TRISCOS.

Ce mariage qui se prépare va entraîner des conventions et règlements d'une effarante complexité. Rien de ce qui gravite autour des FERRAND ne semble pouvoir être simple, mais il faut bien convenir qu'ici, nous touchons des sommets...

Tout d'abord, il faut régler la situation de Jeanne FOURTENS dans sa propre famille, et c'est déjà un bel exercice. Nous allons beaucoup simplifier, mais l'affaire mérite d'être exposée car elle est quasiment caricaturale.

Jeanne FOURTENS a environ 43 ans, elle est fille d'Arnaud et d'Izabeau MARTIN. Elle s'était mariée en 1744 avec André CARREYRE dont elle n'a pas eu d'enfant . Elle a un frère, Bernard FOURTENS ; André CARREYRE aussi, un certain Pierre.

Par contrat de mariage du ler Février 1744, elle avait apporté une dot de 90 Livres qui n'avait jamais été versée aux CARREYRE (depuis 23 ans...).). Son Père Arnaud était mort en transmettant le patrimoine familial à son frère Bernard, lequel Bernard, recueillant la succession, prenait également en charge la dette des 90 Livres vis-à-vis des CARREYRE.

A la veille de son remariage avec FERRAND, Jeanne doit impérativement régler cette situation pendante. Jusqu'ici, tout est simple, mais c'est maintenant qu'il ne faut surtout plus perdre le fil conducteur.

Tous les intéressés se réunissent dans l'après midi du 4 Juillet 1767 dans le Bourg de BALIZAC, au domicile de l'ancien Notaire, Me Joseph LAFOURCADE, maintenant décédé. Il n'y a plus désormais de Notaire à BALIZAC, si bien qu'il a fallu faire venir Me PERROY de NOAILLAN, mais on a retrouvé tout naturellement le chemin de l'ancienne étude.

Pour la circonstance, on a fait venir des témoins de haut niveau qui vont en fait servir de conseillers juridiques pour dénouer la situation. Il y a là un Clerc, Joseph PERROY, et le Procureur de la Juridiction de NOAILLAN, Me Jean CASTAN.

Tout d'abord, Bernard FOURTENS va verser les 90 Livres de sa dot à sa soeur Jeanne.

Et c'est vraiment à elle qu'il va les remettre. D'ordinaire, on verse une dot au Beau Père, ou, à la rigueur, au mari s'il n'y a pas de Beau Père à l'horizon, mais jamais à l'épouse. Or, ici, Jeanne est dans une situation insolite au regard de la Coutume. Elle n'a plus de mari, et elle n'en a pas encore un autre..., et comme elle est majeure, force est bien de lui remettre son argent en main propre.

Mais depuis 1744, sur ces 90 Livres, il s'est amassé 27 Livres d'intérêts.

Mais attention ! ces intérêts constituent un acquêt du ménage, et à ce titre, il faut le partager soit, la moitié à Jeanne, et, à défaut d'enfant, l'autre moitié à l'héritier de son mari, Pierre CARREYRE, son Beau Frère.

Mais ce même Pierre CARREYRE, en tant qu'héritier de son mari a des dettes envers elle.

Ce sont d'abord 30 Livres au titre du "gain nuptial" prévu par le contrat de mariage de 1744.

C'est une somme que le patrimoine du premier décédé doit payer au survivant des époux. Et cela, personne ne l'a jamais remis à Jeanne dans son ancienne famille chez les CARREYRE. Mais on lui doit encore 36 Livres supplémentaires qui représentent:

-a) le salaire du travail qu'elle a fourni au service de son Beau Frère Pierre, chez qui elle est resté après la disparition de son mari ; certes, on l'a logée et nourrie, mais on en aurait fait tout autant d'une servante que l'on aurait payée, il n'y a donc pas de raison pour qu'elle ait travaillé gratis ; on lui doit au moins le salaire d'une domestique.

-b) la moitié qui lui revient sur quelques menus acquêts qui avaient été faits dans son ménage pendant sa vie commune.

Au résultat de tout ceci, pour solde de tous comptes, Jeanne FOURTENS recevra 171 Livres et 15 Sols. Voilà donc une première affaire dénouée, mais il y en a d'autres à venir car, décidément, ce mariage n'est pas simple.

Maintenant, c'est FERRAND qui, l'instant d'après, va intervenir. Nous restons au même lieu, le même jour, avec les mêmes témoins, mais c'est maintenant du contrat de mariage de Jeanne FOURTENS et d'Etienne FERRAND Aîné qu'il va s'agir.

Ce mariage est une affaire de famille. Étienne FERRAND Cadet est là, enfin réconcilié, et assiste son frère Aîné de son conseil ; Bernard CABIROL, le Père de sa défunte épouse l'encourage également à ce mariage; et même ses deux premiers fils Jean et Bernard qui sont également cités dans le contrat (les autres étant trop jeunes).

De son côté, Jeanne FOURTENS reçoit également conseil et assistance de plusieurs de ses Parents, mais on notera qu'aucun CARREYRE ne figure parmi eux.

Jeanne apporte une dot de 210 Livres qu'elle se constitue elle-même en y incluant les 171 Livres qu'elle vient de recevoir des CARREYRE l'instant d'avant. Elle en remet aussitôt le montant entre les mains de FERRAND son futur mari. Elle apporte également un lit garni, cinq draps, six serviettes de toile fine et un coffre en bois de pin à demi usé. Elle estime le tout à 45 Livres. Passons sur les détails des autres conventions qui sont des plus classiques pour en venir à une clause parfaitement sibylline. Ils se réservent en effet :

" de consentir après le présent contrat et avant la célébration du présent mariage telles dispositions et avantages qu'ils trouveront à propos qu'ils n'insèrent, pour certaines raisons, dans les présentes (dispositions, mais) qu'ils veulent néanmoins avoir le même effet que si elles y estoient apposées."

Et ce faisant, ils déclarent renoncer à la clause du "gain nuptial" précisant bien qu'ils se mettent en marge:

"de la Coutume de BORDEAUX à laquelle ils dérogent.."

La surprise est grande. Où veulent-ils en venir ? Les deux futurs restent sur leur position et ne diront rien de plus. Le Notaire est bien obligé de boucler son contrat tel qu'ils l'ont voulu et sans autres précisions.

Ces précisions, il les aura, mais quatre jours plus tard...

En effet, le 8 Juillet au matin, Etienne FERRAND et Jeanne FOURTENS donnent rendez-vous au même Notaire chez un marchand de VILLANDRAUT. Et là, ils seront seuls, à l'exclusion de tous les parents et amis qui, selon la tradition, les entouraient de façon pressante lors de la rédaction de leur contrat à BALIZAC le Samedi précédent.

Leur démarche doit rester secrète, du moins jusqu'à la célébration du mariage.

Après, les gens diront ce qu'il voudront, mais leurs dispositions seront alors prises, bien prises et devenues irrévocables... A part le Notaire, seuls les deux témoins indispensables seront au courant. Encore les auront-ils bien choisis en la personne de PERROY, le marchand qui les accueille dans sa maison, et de Pierre PEYREMAGNE qui est le Sergent de la Juridiction de VILLANDRAUT.

De quoi s'agissait-il ?

De la situation future de Jeanne FOURTENS. Et l'analyse qu'en font les deux futurs époux est tout à fait judicieuse. Jeanne était en effet tombée veuve, sans avoir eu d'enfant, dans la famille CARREYRE. Une famille dans laquelle elle était entrée par la grande porte, sous l'autorité de son Beau Père, aujourd'hui décédé certes, mais avec un statut de belle Fille qu'elle avait conservé même après son veuvage. Elle était ainsi restée sous le toit patriarcal où son Beau Frère était devenu maître, en y apportant, nous l'avons vu, la contribution de son travail. Bien que, juridiquement, elle n'ait plus eu aucun droit dans cette famille, elle occupait pourtant une position sociale assez sûre.

Même en l'absence d'enfant, il eût été difficile d'imaginer que l'on puisse la mettre à la porte. Jamais les CARREYRE ne s'y seraient risqués, en supposant qu'ils en aient eu l'idée. C'eût été se mettre au ban de l'opinion de la Paroisse.

Mais cette situation ne tenait qu'à son état de veuve. A partir du moment où Jeanne allait sortir de chez les CARREYRE pour se marier avec FERRAND, elle coupait tout lien social avec eux, et ceci, sans espoir de retour. La chose eût été sans conséquence si elle avait été assurée de retrouver la même protection chez les FERRAND, mais ce n'était pas le cas. Elle avait 43 ans et avait perdu tout espoir d'avoir un enfant qui aurait définitivement garanti sa condition.

Si Etienne FERRAND venait à disparaître avant elle, elle allait se retrouver devant cinq enfants, maîtres de tout, et pour lesquels elle serait une parfaite étrangère. Ce serait pour elle une situation particulièrement précaire et elle ne serait plus assurée de ses lendemains. Grave problème méritant réflexion; épouser FERRAND, soit, mais pas sans garanties.

C'est tout le sens des dispositions qu'ils vont prendre.

Dans l'hypothèse où il disparaîtrait le premier, FERRAND décide de faire à Jeanne, par donation entre vifs, la promesse d'une rente viagère annuelle en argent et en nature que devront lui verser ses enfants jusqu'à la fin de ses jours :

"qui consistera en la somme de douze Livres en argent, quatre boisseaux (de) seigle (412 litres) et deux boisseaux de panis (206 litres), mesure de BAZAS, demy barrique de vin rouge... de la cave, un quartier cochon d'un prix total de trente Livres, et de l'usufruit sa vie durant d'une chambre de maison et d'un châlit, laquelle pension ledit FERRAND veut (qu'elle soit ) payée et remise chaque année par ses enfants (sur) les revenus de ses biens à ladite FOURTENS, ... le grain et le vin, (au moment de) la récolte de chaque espèce, le cochon à la St MARTIN et l'argent en deux parties et par avance.."

En contrepartie, Jeanne FOURTENS fait donation irrévocable aux enfants de FERRAND, de tout ce qu'elle pourra posséder à son décès.

Il pourra s'agir tout aussi bien de la dot qu'elle apporte que de la part des acquêts qui pourra lui revenir à l'issue de son mariage, ou de toute autre source d'enrichissement qui pourrait lui venir d'ailleurs (héritage par exemple) pour quelque cause que ce soit.

Ces dispositions ont deux conséquences. Elles mettent d'abord à la charge des futurs héritiers de FERRAND, pour peu que leur Père disparaisse le premier, la charge d'une rente à laquelle ils ne s'attendaient certainement pas. Et par ailleurs, dans tous les cas de figures, elles déshéritent le frère de Jeanne que la Coutume de BORDEAUX désignait comme son héritier naturel.

N'ayant pas eu d'enfant à qui léguer sa part de patrimoine, celle-ci, à son décès, devait normalement revenir à son "lignage", c'est-à-dire à son frère, à moins, comme c'est ici le cas, que par une disposition spéciale, elle n'en décide autrement.

Ces deux conséquences n'auraient pu évidemment échapper à l'une et l'autre des deux familles, et c'est pour cela qu'Etienne et Jeanne en ont fait un accord secret en marge de leur contrat de mariage officiel. Ils ne s'en cachent d'ailleurs absolument pas et l'explicitent même formellement dans le texte de cet accord du 8 Juillet. S'ils n'en ont pas parlé quatre jours plus tôt à BALIZAC devant tous les parents réunis c'est :

"pour éviter tout mal au coeur fait auxdits enfants (ou) au frère de ladite FOURTENS (lequel) pourrait seul lui succéder (et que tout cela) auroit causé en eux quelque révolution et tentative opposée à l'exécution (de leur projet)."

Il sera bien temps qu'ils prennent connaissance de ces dispositions après la célébration du mariage lorsqu'elles seront devenues irréversibles.... Et c'est bien ce qui va se passer. Ce mariage sera célébré à BALIZAC à la fin du même mois de Juillet 1767.

Au résumé de tout ceci, Jeanne FOURTENS, en faisant don de ses biens aux enfants de FERRAND, s'est constitué une rente viagère jusqu'à la fin de ses jours.

Sommaire.

     Les moyens estimés nécessaires pour assurer
la subsistance d'une femme seule.

Au-delà de l'anecdote, cet épisode est intéressant car il nous fournit une bonne indication sur les moyens estimés nécessaires à la vie d'une femme seule, en nos contrées, à la fin du règne de LOUIS XV.

Avec ce qui lui est alloué, elle ne vivra pas dans une large aisance, mais on estime qu'elle ne manquera de rien; elle vivra en tous cas très au-dessus de la condition de bien des pauvres veuves de journaliers toujours inquiètes de leur pain quotidien jusqu'à leur dernier jour.

Si l'on compare cette dotation avec d'autres semblables, on s'apercevra que, pour une raison indéterminée, elle comporte une lacune, celle du chauffage. Rien n'est en effet prévu pour approvisionner Jeanne en bois, et c'est assez surprenant. Serait-ce parce que la convention a été établie au mois de Juillet et que la température ambiante a rendu les contractants optimistes?

Certes, l'idée en serait plaisante, mais peu vraisemblable car il ne faut pas oublier qu'en ces temps-là, un feu brûlait en toutes saisons dans la cheminée de la maison pour assurer la cuisson des aliments. On le faisait évidemment moins vif qu'en hiver, mais il fallait tout de même l'entretenir en bois même au coeur de l'été.

Il est intéressant de comparer la situation ainsi faite à Jeanne FOURTENS à une autre très semblable définie huit ans auparavant, également à BALIZAC, au Quartier de TRISCOS. Dans une autre branche de notre famille, Guilhem MARSAU, dit LA BEZOUE, avait en effet prévu dans son testament des dispositions très voisines.

Il avait deux enfants, un garçon, Pierre et une fille, Mathive. Il laissait l'essentiel de son patrimoine à Pierre et dotait sa fille. Mais il avait prévu le cas où Mathive " ne trouverait pas parti de mariage" et il voulait alors assurer son indépendance vis-à-vis de son frère. A cet effet, il prescrivait qu'il lui fut attribué une pièce indépendante dans la maison, il fallait " l'entretenir de bois de pin pour son chauffage ", lui donner cinq boisseaux de seigle et trois boisseaux de millade par an ainsi qu'un quartier de cochon, 18 Livres en argent et demi barrique de vin blanc.

Cette dotation est un peu plus large que celle de Jeanne FOURTENS, mais les postes sont étrangement semblables, et ce que nous savons par ailleurs des MARSAU nous permet de dire que sur ces bases, Mathive aura eu un statut enviable et n'aura manqué de rien au regard des conditions de vie du temps.

Les jours s'écoulent sans incident notable autres que les menus faits de la vie quotidienne.

Nous en venons ainsi tout à la fin de 1770, date importante pour le commerce des grains.

Sommaire.

     Le commerce des grains devient libre.

Dans une Déclaration du Roi datée du 27 Décembre et qui fut connue dans nos contrées en Janvier 1771, le commerce des grains était déclaré définitivement libre :

"Article 1 : Il sera loisible à tous nos Sujets de faire le commerce des grains et des farines dans l'étendue de Notre Royaume, à la charge de ceux qui ont déjà entrepris ou qui entreprendront à l'avenir ledit commerce de faire enregistrer au Greffe de la Juridiction Royale de leur domicile leur nom, surnom, demeure, et celui de leurs associés... "

Il ne semble pas que cette disposition ait bouleversé fondamentalement l'activité et le commerce des meuniers de la région. Par contre, les prescriptions de l'article 6 ont pu être plus contraignantes

" Article 6 : Ordonnons que tous grains et farines ne pourront être vendus ni achetés ailleurs que dans les halles, marchés ou sur les ports ordinaires des Villes, Bourgs et lieux de Notre Royaume..."

Dans l'esprit de l'Administration cette contrainte constituait une contrepartie nécessaire à la liberté du commerce accordée par ailleurs. Une parfaite transparence des transactions était jugée indispensable. Respectée à la lettre, cette disposition aurait pu considérablement gêner nombre d'opérations commerciales traitées à la ferme ou au moulin.

Mais il semble bien que, faute de moyens de surveillance, l'application n'en fut jamais très rigoureuse. Par contre,les Justices Seigneuriales mirent davantage de zèle,et nous en avons des preuves, dans l'application de l'Article 7 :

"Il est interdit d'aller au-devant de ceux qui se rendent aux marchés et d'acheter des récoltes en vert ou sur pied avant récolte."

L'achat des grains sur les chemins, avant que le charroi n'atteigne le marché constituait une pratique assez courante, en particulier autour du marché de VILLANDRAUT, et la Justice locale dût en effet s'en mêler. Enfin, dans une sorte de redondance, il est solennellement confirmé :

" Article 8 : La circulation est totalement libre et il est interdit à quiconque de l'entraver sous quelque forme que ce soit. "

Voilà une disposition bien faite pour enchanter FERRAND et ses confrères.

Sommaire.

     Au seuil d'une nouvelle génération
le fils d'Etienne Aîné se marie.

Le texte de cette Déclaration Royale était donc parvenu dans le pays au cours de Janvier 1771. A la fin du même mois, Jean, le fils aîné d'Etienne FERRAND et de feue Marie CABIROL allait passer contrat de mariage. Il avait alors 23 ans.

Le temps passe décidément bien vite puisque nous voilà déjà au seuil d'une nouvelle génération.

Nous avons vu que ce garçon vivait depuis longtemps chez ses Grands Parents, sur la Paroisse de LIGNAN. C'est là qu'il allait trouver femme, dans le même Quartier, à LABARDIN. Un assez riche mariage en vérité.

Elle s'appelait Jeanne LAFOURCADE, fille de Michel et de Jeanne LATRILLE. Elle était née à LIGNAN le 19 Juin 1747, et la précision mérite d'être donnée, car, fait rarissime, elle était un peu plus âgée que son futur époux.

Pas de beaucoup, certes, mais de six mois tout ronds, jour pour jour. Or, cela n'était pas du tout dans les usages du temps. Le parti avait dû paraître assez avantageux pour passer outre à la règle ...

Le contrat est passé à LIGNAN, au Quartier de LABARDIN, au matin du 26 Janvier 1771.

Outre Etienne FERRAND Père de Jean, on trouve là également son frère cadet Bernard qui a 18 mois de moins que lui, mais l'évènement le plus notable, c'est bien que ses Grands Parents maternels soient également présents tous les deux.

La présence d'un Grand Père ou d'une Grand Mère lors de la rédaction d'un contrat de mariage n'est pas exceptionnelle, mais celle des deux, comme c'est le cas ici, est à coup sûr beaucoup plus rare du fait de la brièveté de la vie que l'on pouvait observer d'une façon générale.

Jeanne LAFOURCADE, la future épouse apportait une dot de 1.000 Livres la situant dans le compartiment des filles de laboureur les mieux dotées dans le pays. Elle apportait également un lit, un "cabinet" (une armoire) en bois de peuplier avec portes et tiroir fermant à clé, 12 draps dont 8 de toile fine, 2 nappes et 2 douzaines de serviettes, le tout à l'état neuf.

Il était également prévu qu'outre ses vêtements courants, elle recevrait : 

"un habit nuptial composé de brassières, (et) jupe de camelot de BRUXELLES..."

et qu'elle serait en outre :

"chaussée suivant son état."

Il était enfin convenu que les jeunes époux vivraient chez les Grands Parents, "à même pot et feu", selon l'expression consacrée et ne feraient :

" ny bourse à part ny trafic particulier au-delà de 24 Livres."

Cette dernière disposition est originale. Les jeunes ménages s'installant auprès des Parents ou des Grands Parents se voyaient généralement interdire toute activité lucrative indépendante. 

Ils devaient impérativement   "rapporter (au foyer) le produit de leur industrie".

Ici, il y aura une franchise de base permettant au jeune ménage d'avoir un certaine capacité d'initiative. C'est un cas unique dans le cercle de famille.

Enfin, les Grands Parents s'engagent, dans ce même contrat, à laisser à Jean FERRAND tous leurs biens meubles et immeubles, lors du décès du dernier survivant à la condition qu'il s'engage à ne rien revendiquer dans la succession de son Père Etienne. C'est ce qui est décidé. Jean est donc désormais définitivement ancré à LIGNAN et n'aura plus rien à voir dans les biens de NOAILLAN et de BALIZAC.

La dot de Jeanne était conséquente, et contrairement aux usages, elle fut payée dans les délais prévus. Le dernier versement fut effectué par Michel LAFOURCADE, son Père, pour un montant de 434 Livres, intérêts compris, le 28 Février 1773, entre les mains de Bernard CABIROL, Grand Père de son mari.

Jean FERRAND devait prendre rapidement la direction de l'exploitation des biens de LABARDIN. Dès le mois de Mars 1774, on l'y voit acheter une pièce de terre pour le prix de 115 Livres. Le voilà donc désormais chef de famille, et de ce fait, rameau détaché, il n'interférera plus dans la suite de notre histoire.

Entre temps, le 18 Février 1773, Etienne, le sixième enfant d'Etienne l'Aîné et de feue Marie CABIROL mourait au moulin de La FERRIERE à l'âge de 18 ans. Dès lors, sur les dix enfants qu'avait eu le couple, outre Jean, il ne restait plus que Bernard, dit TCHIC, 24 ans, Joseph, Bernard, dit BERNACHON, 17 ans, et un autre Etienne, 15 ans, soit donc quatre garçons restant encore au moulin.

La période était mauvaise. La récolte précédente avait été très insuffisante et l'on voyait bien que l'on ne parviendrait pas à faire la soudure avec la prochaine moisson. La famine rodait, et dès le mois de Mai, des émeutes éclatèrent, notamment à VILLANDRAUT, mais nous retrouverons cet épisode avec Etienne FERRAND Cadet qui y prit une certaine part.

La prospérité revint heureusement très vite avec la magnifique récolte de 1773.

Sommaire.

     Le second fils trouve à son tour parti de mariage.

A la fin de la même année, le second fils FERRAND, Bernard, dit TCHIC, trouva parti de mariage en la personne de Jeanne CLAVERIE.

Elle était fille de Jean et de feue Marguerite LACASSAIGNE et habitait avec les siens au Quartier de MAHON, Paroisse de BALIZAC. C'est là, dans sa maison familiale qu'est passé le contrat de mariage, dans l'après midi du 18 Décembre 1773, devant Me PERROY que l'on a fait venir de NOAILLAN tout exprès.

Les fils FERRAND font de bons et solides mariages. Ici encore, la future épouse apporte une dot de 1.000 Livres, mais il est bien précisé qu'elle représentent tout à la fois la part d'héritage qui lui vient de sa défunte Mère, et ce que lui donne son Père pour solde de tous comptes sur sa succession à venir.

En recevant cette somme, elle renonce donc à toute participation au futur partage de MAHON, lequel ne concernera donc plus désormais que ses frères. Nous aurons néanmoins l'occasion de voir pourquoi et comment, sept ans plus tard, cette situation pourra être reconsidérée.

Outre ces 1.000 Livres, payables à échéance d'un an sans intérêt, Jeanne apporte en dot un lit garni, 12 draps, 2 nappes, 2 douzaines de serviettes de toile fine dont une unie et l'autre "ouvrée", et une armoire en noyer, à une seule porte fermant à clé et dotée d'un tiroir, le tout étant neuf.

Elle arrivera le jour de ses noces habillée :

"de brassières, jupe de Cadix d'AIGNAN, et chaussée suivant son état".

Les époux partageront par moitié tous leurs acquêts et s'attribuent un gain nuptial réciproque de 50 Livres.

Le jeune ménage s'installa au moulin de La FERRIERE, sous le toit d'Etienne FERRAND, et la dot annoncée fut versée entre ses mains dans un délai raisonnable puisque les dernières 400 Livres lui furent réglées le 20 Mai 1775, avec un modeste retard de cinq mois seulement.

Entre temps, dans la soirée du 25 Août 1774, Jeanne FOURTENS, épouse d'Etienne FERRAND le Père, était morte au moulin. Nous ne savons rien sur ce décès sinon qu'il avait été suffisamment prévisible pour que le Curé ait pu venir lui administrer les derniers sacrements. On l'enterra le lendemain, non point dans l'Eglise comme on l'avait fait pour Marie CABIROL, mais dans le cimetière. Ainsi donc, à l'âge de 51 ans Étienne FERRAND Aîné se retrouvait veuf encore une fois, après une seconde union qui avait duré sept ans.

Sommaire.

     L'épizootie catastrophique de 1774.

Cet été de 1774 avait été marqué par d'autres évènements tout à fait singuliers. Dans son journal, le Curé BORNIOL nous a laissé un bon résumé de la situation telle qu'elle fut vécue dans nos contrées :

"L'année 1774 a été une des plus chaudes que l'on aye vu depuis longtemps pendant la fin du printemps, tout l'été et l'automne... L'air chaud et enflammé n'a laissé mûrir aucun menu grain. Ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'il a causé beaucoup de maladie sur le gros bétail et sur les bêtes à cornes. 

Cette province a été désolée par le ravage affreux d'une maladie pestilentielle et épizootique qui est tombé sur les animaux depuis le commencement de Juin, et qui (ne s'est pas) éteinte malgré les grandissimes froids qui ont précédé le mois de Décembre et qu'on regardoit comme un souverain remède envoyé du ciel pour enlever cette calamité. 

On ne sauroit dire combien de pays entiers n'ont pas conservé une seule tête de bétail (si bien) qu'on n'a pu semer d'aucune façon..."

Ce texte est intéressant car il montre bien comment, au début, l'opinion s'engagea sur une fausse piste en attribuant l'épidémie à une "pestilance" engendrée par la chaleur excessive.

Mais bien vite, une observation attentive du phénomène montra bien que, même si elle restait inconnue, la véritable cause était ailleurs. Et c'est ainsi que le Curé BORNIOL poursuit dans un deuxième temps :

"on a d'abord supprimé les foires et les transports de ces animaux pour arrêter la communication, mais le venin a gagné (tout autant). Enfin on s'est aperçu que les traiteurs eux-mêmes ou autres personnes quy entroient dans les granges où estoient les bestes malades portoient la contagion sur les habits ou sur eux-mêmes et les communiquoient aux bestes saines en les soignant seulement comme à l'ordinaire ou en entrant dans leurs parcs pour les visiter ou les toucher..."

C'est tout à fait bien vu. Mais que s'était-il donc passé ?

Pour autant qu'on le sache, il semble bien que l'épidémie ait pu être importée par le port de BAYONNE sur un chargement de cuirs frais en provenance de la GUADELOUPE.

Après une incubation de plusieurs mois en PAYS BASQUE, le mal éclata soudain à partir de la grande foire aux bestiaux tenue à St JUSTIN, en Pays de MARSAN, le 23 Juillet 1774 qui communiqua :

" l'incendie à toute la province.."

Il se peut d'ailleurs que la chaleur de cet été torride ait quelque peu favorisé le développement de l'épizootie, mais elle n'en a certainement pas été la cause première.

Les bestiaux contaminés furent mis en quarantaine; l'Intendance prescrivit d'enfouir les animaux morts dans de profondes fosses en mêlant des épineux à la terre remuée pour dissuader les carnassiers de venir les déterrer. On aligna un cordon de troupes tout au long de la rive gauche de la GARONNE pour interdire toutes traversées de bovins au-delà de la Rivière et tenter de préserver l'ENTRE DEUX MERS.

Rien n'y fit. Le 13 Octobre 1774, l'Intendant écrivait au Contrôleur Général à VERSAILLES :

" les progrès sont si rapides que les précautions les plus promptes et les plus multiples qu'on ne cesse de prendre sont une faible digue à lui opposer."

Le 22 Octobre et 8 décembre, l'Administration fit afficher à la porte des Eglises l'obligation de déclarer tout animal suspect de porter la maladie. S'il venait à mourir, le propriétaire était indemnisé des deux tiers de sa valeur. Mais s'il mourrait sans avoir été déclaré malade, son propriétaire se voyait frappé d'une lourde amende.

L'Eglise ordonna des prières publiques. On fit des processions les 18 Janvier et 3 Février 1775 pour demander au Ciel la :

"cessation de la maladie du bétail.."

Avec l'été de 1775, la contagion, un moment assagie, repartit de plus belle. Finalement elle ne cessa qu'en mi 1776, d'elle-même, comme elle avait commencé. Toute la proche région avait été durement touchée. Dans son Registre Paroissial, le Curé d'Origne mentionne :

"une très grande mortalité sur les bestiaux, causée par une maladie épizootique qui s'est répandue dans presque toutes les paroisses de Landes."

En fait, les quatre cinquièmes du cheptel bovin avaient disparu en deux ans.

Ce fut une catastrophe pure et simple. Les bovins étaient morts ou avaient été abattus et l'Intendant écrivait :

"Le peuple gémit et pleure pour l'avenir, attendu qu'il sera impossible de se procurer de l'engrais pour les terres."

Plus d'engrais, mais plus de labours non plus, ou si peu, et pas davantage de transports. En 1777 l'Intendant DUPRE DE SAINT MAUR estimait encore que :

"les pays qui ont éprouvé le fléau de l'épizootie n'ont pu encore se procurer qu'un tiers des bestiaux nécessaires pour la culture."

et que, de ce fait :

" beaucoup de terres sont restées en friche..."

Les conséquences de cette crise durèrent longtemps et le pays mit bien des années à s'en remettre.

Sommaire.

     Le troisième mariage d'Etienne Ferrand Aîné.

Mais cette affaire d'épizootie nous a mené un peu loin, il nous faut revenir au moulin de La FERRIERE au tout début du mois d'Avril 1776. Etienne FERRAND, le Père, est veuf depuis 20 mois, il vient tout juste d'avoir 53 ans, et il a une jeune servante, Jeanne CASTAIGNET qui, il s'en faut de quatre mois, n'a pas encore tout à fait 25 ans.

Une jeune servante qui, de surcroît, est enceinte de près de sept mois; ce sont des choses qui arrivent... Alors tout à coup, il va falloir faire très vite, et on va effectivement faire très, très vite.

Un troisième mariage est en cours...

Lundi 8 Avril, Etienne FERRAND, Jeanne CASTAIGNET et son Père (sa Mère étant déjà morte) se retrouvent chez Me LATASTE, Notaire à NOAILLAN. Ils y passent contrat dans la plus grande discrétion.

Un contrat au demeurant très dépouillé car, d'entrée de jeu :

" déclare ledit CASTAIGNET n'avoir rien à constituer (en dot) à sa fille, future épouse..."

ce qui simplifie évidemment beaucoup les choses. Les futurs époux déclarent s'associer par moitié aux acquêts qu'ils feront et prévoient un gain nuptial réciproque de 30 Livres. Un point c'est tout; le Notaire n'aura pas usé beaucoup de papier.

Le lendemain, Mardi 9 Avril, Etienne et Jeanne se retrouvent à l'Église de BALIZAC devant le Curé ROUDET, et lui font bénir leurs fiançailles. Ils lui demandent en outre d'introduire une demande de dispense de publication des second et troisième Ban du mariage (on ne peut en effet jamais être dispensé du premier car pour que le mariage soit canoniquement valable il doit être proclamé au moins une fois). Seul l'Archevêque de BORDEAUX peut accorder cette dispense. Il faut adresser la demande à sa chancellerie et attendre sa réponse.

Le Dimanche 14, le Curé ROUDET a déjà son autorisation et proclame l'unique Ban de ce mariage au prône de la Messe à BALIZAC. Il a fallu qu'un cavalier fasse toute diligence pour aller porter la demande à BORDEAUX et revenir chercher la réponse. Peut-être même l'a-t-il attendue sur place à la porte du Palais ROHAN (qui n'est pas encore tout à fait terminé..).

Enfin, le Mardi 16 Avril, huitième jour de l'aventure, le Curé ROUDET célébrait le mariage en l'Église de BALIZAC :

" Le 16 Avril 1776, après célébration des fiançailles, faite dans cette Eglise entre Etienne FERRAND, meunier, et Jeanne CASTAIGNET, servante, tous habitans dudit BALIZAC, et après la proclamation d'un Ban de leur futur mariage et avoir obtenu la dispense du second et du troisième Ban de leur futur mariage sans avoir découvert aucun empeschement canonique ni civil, Je soussigné, Curé de la Paroisse de BALIZAC leur ay imparti la bénédiction nuptiale aux formes prescites par le présent Diocèse..."

Si quelqu'un avait eu l'intention de soulever une objection quelconque à l'endroit de cette union, il aurait fallu qu'il fasse réellement très vite...

Le 13 Juin suivant naissaient à La FERRIERE deux petites jumelles "prématurées", Elizabeth et Marie. Elles ne devaient pas survivre.

Sommaire.

     Ferrand Aîné en conflit avec le curé de Noaillan

C'est un temps où FERAND Aîné est en conflit avec Me Jean DURANTY, le Curé de NOAILLAN. Ce Curé a deux métairies au lieu de POUCHON, à 500 mètres environ au sud de MAHON, sur la Paroisse de BALIZAC, et FERRAND est son métayer.

Il en a confié l'exploitation à ses valets du moulin, mais c'est bien lui qui est titulaire du contrat. Or, un litige s'est élevé sur ce contrat, litige sur lequel nous sommes d'ailleurs très mal renseignés, et, à titre conservatoire, Ferrand a décidé de ne plus partager les récoltes jusqu'à nouvel ordre.

Le Curé engage un autre procès sur ce nouveau point et le gagne. Par jugement du 3 Juin 1777, le Juge de CASTELNAU décide que, sans préjuger du fond, qui n'est toujours pas tranché, les récoltes devront être partagées cette année-là. Fort de cette décision, le Curé DURANTY somme FERRAND Aîné de se trouver sur place le 16 Août à 14 heures pour partager la récolte de seigle.

Il y vient avec son Notaire, Me LATASTE, mais FERRAND ne se présente pas. Tous attendent en vain jusqu'à 16 heures. Le Curé demande alors au Notaire de dresser un acte de défaut ; ce qu'il fait sur l'heure. Mais ceci ne fait pas avancer les affaires d'un pouce. Le Curé veut son grain. En vertu du jugement qui lui permet de :

"lever et percevoir provisoirement les fruits et récoltes pendantes dans les biens de POUCHON, "

il revient sur place le 25 Août, toujours accompagné du Notaire :

"(pour) faire constater la consistance de la récolte et de la remise qui lui (en) sera faite afin de se tenir à l'abry des chicanes que ledit FERRAND pourroit luy faire..."

Dans la petite métairie, il rencontre Gabriel DESCAZEAUX, valet, et lui fait mesurer 8 boisseaux, un quart et demi de seigle (850 litres), auxquels il faut ajouter 3 autres boisseaux (305 lit.) qu'il a fait moudre pour manger; il y trouve également 10 picotins de froment ( 32 lit.).

Dans la grande métairie, il rencontre Etienne DUBLIN, également valet, et sa Mère et il mesure avec lui 7 boisseaux 3/4 de seigle, soit  (787 litres.)  et un picotin de froment (28 lit. ½).

Mais se présente aussi Pierre MAUMUSSON, encore un autre valet qui a récolté 11 boisseaux ¾ et 3 picotin de seigle ( 1225 lit.) plus 2 boisseaux qu'il a lui aussi fait moudre.

Et puis voilà encore Arnaud MANO, lui aussi valet qui présente 13 boisseaux ¼ de seigle (1.346 lit.) plus 2 boisseaux qu'il a fait moudre et 1 quart et 3 picotins de froment ( 35 lit.). Il y a décidément beaucoup de monde dans ces deux maisons...

Le Curé DURANTY n'en restera pas là. Le 10 Octobre, il reviendra dans ces métairies pour un nouvel inventaire des récoltes tardives, celles de la filasse, millades et millets.

A la grande métairie, chez Arnaud MANO, il recensera 3 boisseaux de millade ( 305 lit.) et 5 boisseaux et 3 picotins de millet (517 lit.) à majorer d'un boisseau qu'il a déjà consommé (101 ½ ).

Il fait peser la filasse de chanvre et en trouve 13 livres ¾ (6,600 Kg). Il recommence la même opération chez Etienne DUBUN et note 1 boisseau ½ et 4 picotins de millade et ½ boisseau déjà consommé plus 12 livres ¾ de filasse de chanvre (6,200 Kg).

Arrêtons là cet inventaire qui n'a d'autre mérite, mais c'est à noter, que de nous donner une idée de la récolte de céréales et de chanvre, ainsi qu'une approche du rapport seigle/froment que l'on pouvait trouver en ce temps là dans une métairie. Encore faut-il rappeler que, sur ces quantités, il fallait prélever 1/13ème du total au titre de la Dîme due au Curé, et environ ¼ sur les grains pour les semences de l'année suivante.

Le Curé reviendra, toujours accompagné du Notaire, le 4 Novembre suivant, afin de retirer sa part de récolte. FERRAND ne se sera manifesté à aucun moment de cette affaire.

Sommaire.

   Un bien curieux contrat.

Un nouvel enfant naîtra au moulin le 13 Juillet 1779, une petite Jeanne qui mourra quelques semaines plus tard, le 9 Août suivant.

Quelques jours après, le 23 Août 1779, Etienne FERRAND, Aîné passait un bien curieux contrat. Il n'est évidemment pas envisageable de rapporter ici le détail de toutes les transactions foncières ou commerciales de notre meunier, mais la singularité de l'acquisition qu'il va faire mérite de retenir un instant l'attention sur cette affaire.

Il s'agit d'acheter une lande d'une superficie de 8 journaux située au lieu-dit des ARROUCATS sur la paroisse de BALIZAC.

Le vendeur, Jean CLAVERIE, habite le Quartier de PRUOUAILLET sur la paroisse de VILLANDRAUT. FERRAND n'est pas le seul acheteur. Avec deux autres personnes, Pierre BAILLET, de NOAILLAN, et Arnaud LACASSAIGNE, de BALIZAC, ils ont monté une sorte de société de fait pour acheter cette parcelle dans l'indivision. Mais la singularité est ailleurs.

Elle réside dans la réserve que formule le vendeur et qu'acceptent les acheteurs :

"se réservant ledit vendeur pour luy et les siens, à l'avenir,...et pour toujours, la faculté de faire pacager sur ladite pièce, ses bestes à grosses cornes quy pourront se trouver sur le bien actuellement à luy appartenant... appelé AUX PRUOUAILLETS sans que les acquéreurs ni les leurs à l'avenir puissent s'y opposer sous quelque prétexte que ce soit..."

Moyennant quoi, le vendeur s'engage à conserver à sa charge les impôts royaux (les plus élevés) tandis que les acheteurs acquitteront les impôts seigneuriaux (très faibles). La vente est faite pour 114 Livres payées comptant. Ce contrat est surprenant car, que pouvait-t-on faire d'une lande à l'époque ? Y envoyer paître les bestiaux ou bien en prélever la bruyère pour faire les litières. Mais pas les deux en même temps car il existe bien des exemples de conflits de voisinage dans lesquels une partie se plaint que des bestiaux égarés ont couché les bruyères et compromis leur récolte.

Alors, à quoi pouvait donc bien servir l'achat de 8 journaux de lande si l'on en laissait le pacage à disposition du vendeur ? 

La question restera pour le moment sans réponse.

Sommaire.

     Mais quelle est donc la situation
du jeune Bernard dit "Tchit".

Le 13 Novembre 1779, naît à BALIZAC une Marie FERRAND, fille de Bernard dit TCHIC, et de Jeanne CLAVERIE dont nous avons déjà évoqué le mariage à MAHON. C'est Bernard FERRAND, dit BERNACHON, qui en est le Parrain. Mais il se pourrait bien que TCHIC et sa famille aient déjà quitté La FERRIERE, car, dans l'acte de naissance, le Père est dit "meunier du petit moulin",ce qui semble bien indiquer un certain statut d'indépendance vis-à-vis de son Père.

Ce "petit moulin" pose néanmoins problème.

Il était situé sur la NERE, au pied de l'ancien Château aujourd'hui disparu, près du Quartier de PINOT, au lieu-dit MOULIOT qui atteste l'ancienneté de son implantation. Où donc est le problème ? C'est qu'il ne figure jamais dans aucun contrat de ferme. On pourrait penser qu'il était considéré comme une annexe du moulin de LA FERRIERE qui, lui, se trouvait sur LA HURE à quelque 900 mètres de là.

Mais cette hypothèse est difficile à retenir, car il serait bien curieux que les minutieuses descriptions des installations de LA FERRIERE aient pu systématiquement passer sous silence la présence d'une annexe avec sa retenue, sa machinerie, ses meules, etc..

C'est réellement bien peu vraisemblable. Mais alors où seraient les contrats de ferme de ce moulin s'ils ont fait, au fil du temps, l'objet d'actes indépendants ?

Aucun n'a pu être retrouvé.

Toujours est-il que Bernard dit TCHIC en est ici le meunier, et qu'il est donc bien affermé aux FERRAND.

Quelques mois plus tard, Jeanne CLAVERIE, la jeune Mère, vint à perdre son Père, Jean CLAVERIE, dit PETIT JEAN. Celui-ci laissait une confortable fortune qui, aux termes du contrat de mariage de Jeanne, passé en 1773, devait revenir intégralement à son frère Arnaud.

Rappelons qu'il avait été convenu qu'elle recevait une dot de 1.000 Livres et qu'à ce prix-là, elle renonçait à tout autre prétention sur la succession de son Père. Sept ans avaient passé sans que cette disposition soit remise en cause par quiconque. Mais au décès de Jean CLAVERIE, début 1780, les FERRAND se prirent à penser que ces dispositions étaient assez sensiblement draconiennes et qu'il y avait une évidente disproportion entre ces 1.000 Livres reçues et le restant de l'héritage.

Etienne FERRAND Aîné, Beau Père de Jeanne CLAVERIE, dut s'exprimer assez vigoureusement sur ce sujet car il est effectivement partie prenante dans l'arrangement qui va suivre. Les deux parties en présence savaient bien que le contrat de 1773 était inattaquable, seule une négociation amiable pouvait y apporter quelques corrections.

Et là, soit qu'Arnaud CLAVERIE ait été un brave garçon, soit qu'il ait bien aimé sa soeur Jeanne, soit que le Beau Père FERRAND ait su développer des arguments déterminants, soit pour toute autre cause, une transaction amiable allait s'amorcer le 24 Mai 1780 :

"Ladite CLAVERIE, femme dudit FERRAND, connaissant parfaitement les dispositions énoncées au contrat de mariage ... et la fortune délaissée par son Père, persuadée que la constitution quy luy a été faite... et quy luy a estée payée... ne la remplissoit pas de sa légitime (portion, a) fait part audit CLAVERIE son Frère de son intention de luy demander un supplément. Ledit CLAVERIE, de son côté, charmé de ne rien profiter au détriment de sa Soeur, acceptant sa proposition,..."

En bref, le Frère et la Soeur conviennent de désigner des experts pour examiner la situation et s'en remettent à leurs conclusions. Et au terme de leur enquête, ceux-ci concluent qu'il serait équitable qu'Arnaud CLAVERIE reverse à Jeanne une somme de 200 Livres, ce qu'il accepte de faire sans objection.

Ce n'est peut-être pas autant qu'avaient pu espérer les FERRAND, mais c'était toujours bon à prendre et en tous cas mieux que rien, car aucun procès, au prix de frais démesurés, ne leur aurait autant rapporté dans une situation où ils n'avaient strictement aucun droit à faire valoir.

Sommaire.

     Les mariages des derniers enfants d'Etienne Aîné.

La famille est au temps des mariages ; un à un, les garçons prennent femme.

Le 20 Janvier 1781, c'est au tour d'Etienne de passer contrat avec Marie LACASSAIGNE.

C'est le plus jeune des enfants survivants, il n' a pas encore tout à fait 23 ans et, pour une fois, ne s'est pas marié "à son tour", puisque Bernard, dit BERNACHON, qui a 25 ans est encore célibataire.

Ce mariage ne devait durer que quelque mois. La jeune Marie mourut en effet avant la fin de la même année, probablement au moment de la naissance de son premier enfant. Assez curieusement, elle avait apporté en dot une créance sur un tiers, créance que son Père détenait depuis trois ans.

Ce n'est qu'après son décès, la veille de Noël 1781 qu'Etienne FERRAND, le Père, parvint à encaisser les 400 Livres promises pour le compte de son fils. Le débiteur était un certain Jean DUCOS qui habitait au Quartier de PRAT.

Douze jours plus tard, le 5 Janvier 1782, tous les FERRAND se retrouvaient une fois encore réunis à l'occasion d'un nouveau contrat de mariage, cette fois-ci celui de Bernard, dit BERNACHON, le dernier garçon restant à marier. Il prenait Jeanne MARSAU pour épouse et allait venir s'installer au Quartier de TRISCOS, sur la même paroisse de BALIZAC.

Il est à l'origine de notre branche familiale, l'une de ses filles devant s'allier plus tard à Pierre DARTIGOLLES. Nous retrouverons cet épisode, le moment venu, lorsque nous relaterons son histoire. Ce mariage fut célébré en l'Église de BALIZAC le 9 Février suivant.

Le 10 Avril 1782, Etienne FERRAND Aîné, le Père, obtenait du Marquis de PONS le renouvellement de son bail à ferme sur le moulin de La FERRIERE. Désormais, il y restait seul avec sa jeune femme Jeanne CASTAGNET et son dernier fils Etienne.

Celui-ci, après son veuvage, s'était remarié avec une certaine Marthe BATAILLEY qui était venue vivre au moulin et dont il aura un fils, François, en 1792. C'est ce jeune couple qui assurera par la suite la pérennité des FERRAND à La FERRIERE.

Sommaire.

     La fin d'Etienne Ferrand Aîné.

Il se pourrait bien que les affaires du moulin aient connu à ce moment-là quelques difficultés. Le 17 Octobre 1787, Etienne, le Fils, rencontre Marie DUPRAT à VILLANDRAUT, chez Me DARTIGOLLES, et lui emprunte 800 Livres en espèces "pour le compte de son Père" et précise que cet argent est destiné au paiement des arrérages de la ferme des moulins de La FERRIERE et de BALIZAC au Comte de PONS.

Certes la durée prévue est très courte, un trimestre seulement, mais nous avons connu d'autres temps où c'étaient plutôt les FERRAND qui faisaient office de banquiers. Au surplus, cet acte nous révèle un signe très inquiétant.

Le Père ne s'est pas déplacé pour contracter cet emprunt. C'est que, bien malade, il en est incapable. En effet, six jours plus tard, le 23 Octobre 1787, il était mort.

Son testament n'a pu jusqu'ici être retrouvé. Nous savons pourtant qu'il existe car l'un de ses fils, BERNACHON, se plaindra plus tard de l'avoir prêté à son frère TCHIC qui ne le lui a pas restitué. Mieux encore, nous connaissons à peu près les dispositions qu'il contenait. Au demeurant, tout espoir n'est pas perdu de retrouver ce document; les recherches utiles doivent donc être poursuivies.

Etienne FERRAND Aîné avait donc 64 ans ½ au moment de sa mort, et son dernier Fils, Etienne, dit CADICHON, ainsi que nous venons de le voir, prenait sa succession dans la ferme du moulin à l'âge de 29 ans ½ .

Nous allons maintenant revenir bien en arrière pour reprendre l'histoire d'Etienne FERRAND Cadet, le frère du défunt. Nous l'avons déjà maintes fois rencontré au fil du présent récit du fait des nombreux démêlés qu'il a connus avec son Aîné. Mais il est temps, à cette heure, d'aborder son histoire détaillée car elle est riche d'anecdotes et de péripéties. 

Sommaire.

II – ÉTIENNE LE CADET (1738 – 1808)

Nous aurons tout d'abord à nous souvenir qu'Étienne FERRAND Cadet, septième enfant de Jean FERRAND et de Marie DUBEDAT, était né au moulin de VILLANDRAUT le 27 Juin 1738.

Avec son frère Aîné, l'autre Etienne dont nous venons de conter l'histoire, ils avaient été les seuls survivants des neuf enfants qu'avaient eus leurs Parents.

Au décès de sa Mère Marie, dernière survivante du couple parental, alors qu'il avait 16 ans ½ , il s'était retrouvé pupille de son frère Aîné, et, le temps passant, il avait de plus en plus mal supporté cette tutelle. Il en vint à quitter le moulin au début de 1762, "furtivement", nous avait dit son frère, et sans même emporter les quelques affaires qu'il pouvait avoir.

Il n'avait pas alors tout à fait 24 ans. Ce fut l'origine de cette longue controverse qui opposa les deux frères et sur laquelle nous ne reviendrons évidemment pas. Rappelons simplement qu'elle ne devait trouver son épilogue que huit ans plus tard, à la fin de 1770.

Sommaire.

     Le mariage d'Etienne Ferrand Cadet.

Après sa fugue, Étienne Cadet erra un certain temps de paroisse en paroisse et finit par se fixer à LANDIRAS. Il ne semble pas que sa situation y ait été bien assise. Cette instabilité ne dura guère, moins de deux ans en tous cas, car, dès la fin Avril/début Mai 1764, il revenait s'installer à NOAILLAN.

Et là, dans un délai très bref, il eût la chance de trouver un riche parti de mariage en la personne de Marie LAPIERRE, une jeune orpheline vivant au Quartier de PEYREBERNEDE, tout à côté des propriétés du CHAY appartenant aux FERRAND depuis au moins plus d'un siècle et probablement bien davantage.

Cette Marie LAPIERRE était fille de Pierre, dit CHIGNON, vigneron, décédé en Novembre 1763, et de Jeanne DUPRAT qui lui avait à peine survécu puisqu'elle était morte en mars 1764.

Par son testament, Pierre LAPIERRE avait désigné sa fille unique Marie comme son héritière universelle, et avait laissé l'usufruit de l'ensemble de ses biens à sa femme Jeanne, sous condition de "garder viduité", en lui attribuant la tutelle de Marie. C'étaient là les dispositions les plus classiques que l'on puisse imaginer dans une famille rurale de ce temps.

Jeanne, la veuve, les 3 et 6 Février, avait fait procéder à un inventaire notarial complet des meubles de leur maison. Ce document révèle un intérieur d'un niveau nettement confortable, du moins au regard des normes du temps, encore que quelques détails suggèrent qu'il a pu connaître des jours meilleurs.

Ainsi par exemple, si le lit dans lequel le Père est mort est en noyer, la couverture en est déchirée... La présence de quelques objets assez spécifiques donne à penser que le couple a pu, au moins à un certain moment, tenir un débit de boisson. Il en va ainsi de la présence de six pintes et trois pintons en verre.

Dans un intérieur de laboureur, on trouve souvent une pinte, mais certainement pas six... De même trouve-t-on "une petite oulette de fer blanc à tirer le vin" qui, avec quelques autres indices du même ordre confortent assez bien cette hypothèse.

Après le décès de sa Mère Jeanne, Marie LAPIERRE se retrouve donc seule et passe sous la tutelle de son Oncle maternel Jean Baptiste DUPRAT.

Comme Marie est d'âge adulte, et qu'il envisage de la marier sans trop tarder, ce tuteur ne fait pas vendre les meubles de la mineure aux enchères, mais il va néanmoins prendre la précaution de réactualiser l'inventaire qui vient d'en être fait au mois de Février précédent.

C'est ce qui se fait le 19 Mars. C'est une situation intéressante et d'ailleurs très rare, car nous disposons ainsi de deux inventaires très détaillés d'un même intérieur à un mois et demi d'intervalle. Cela permet de voir ce qui a changé en ce court laps de temps. Sans entrer dans trop de détails, signalons par exemple qu'en Février, on trouve :

"à côté du lit, une pièce (de) toile de bourre d'environ quinze aunes(17m,75) ...laquelle toile (la veuve) a déclaré être (destinée) ... à l'uzage de la maison."

C'est un métrage tout à fait considérable, mais le 19 Mars, on s'aperçoit : 

"qu'à la pièce de toile, il en a été sorty le tiers pour (faire des) tabliers et (une) jupe pour ladite LAPIERRE , mineure."

On remarquera en passant, et c'est intéressant, que la riche héritière portera des tabliers et une jupe "en toile de bourre", c'est à dire la plus commune qui soit. Certes, elle aura certainement une autre robe un peu moins rustique (très probablement la seule de sa vie), mais ses vêtements quotidiens ne la distingueront pas des filles des alentours moins bien pourvues qu'elle, sinon du fait qu'ils étaient neufs...

Autre exemple de modification entre les deux inventaires; à l'examen du stock de planches en attente sous le hangar, on retrouve bien le compte :

" à l'exception de sept tables de pin employées ainsi que ledit LAPIERRE, Oncle, l'a déclaré, à (la confection de) la bière de ladite DUPRAT".

Dès lors, l'Oncle DUPRAT va chercher un parti pour sa Nièce. Les choses vont d'ailleurs aller si vite que l'on peut se demander s'il n'avait pas déjà auparavant quelqu'idée en tête...

Deux mois et demi après le décès de sa Mère, la jeune orpheline a déjà rendez-vous avec Etienne Cadet, son futur, devant le Notaire, Me PERROY.

C'était dans l'après midi du 26 mai, un Samedi, dans sa maison de famille à PEYREBERNEDE.

Côté FERRAND, il n'y avait pas grand monde; outre le futur époux, il ne se trouvait là que son frère aîné, l'autre Etienne.

Ils avaient dû probablement se réconcilier, au moins pour la circonstance. L'Aîné n'était d'ailleurs probablement pas fâché de voir son Cadet se stabiliser dans un bon mariage. Il pouvait en espérer pour lui un avenir un peu moins chaotique que la vie qu'il venait de connaître depuis quelques mois.

Mais du côté de la mariée, c'était plutôt la foule... Entre ses Oncles, Grand Oncle, même, ses Tantes, Cousins, Cousines, le Notaire cite nommément treize personnes sans compter " les autres parents et amis " présents mais non recensés.

Sommaire.

     Une aisance exceptionnelle.

Marie LAPIERRE se constitue une dot de 5.000 Livres...C'est beaucoup ! L'une des plus belles dots de la région dans ce milieu de familles rurales ... Le futur époux qui n'a plus de domicile depuis qu'il a quitté le moulin de son Frère ira vivre :

"adventice dans la maison et les biens de ladite LAPIERRE future épouse."

Jean Baptiste DUPRAT, son tuteur est en charge des meubles qui lui appartiennent. Il va les remettre un à un à FERRAND Cadet. L'inventaire à la main, de pièce en pièce, il fait l'appel de chaque objet et les deux futurs reconnaissent l'avoir reçu :

"à mesure de la lecture qui en a été faite par nous Notaire ... article par article (tels) qu'ils se sont trouvés et ont été reconnus par les futurs époux, et tels qu'ils sont spécifiés par ledit inventaire..."

Il ne semble pas que règne une bien grande confiance... Qu'importe, c'est FERRAND Cadet qui devient désormais comptable de tous les biens de Marie :

"Ledit FERRAND s'est chargé(du tout) avec toutes les clés des portes, cabinets, coffres et armoires des maisons appartenantes à ladite LAPIERRE."

Après quoi, FERRAND s'engage à régler des frais d'obsèques et quelques messes qui sont encore dus depuis le décès des parents de Marie. Puis, les futurs conviennent de partager leurs acquêts à venir par moitié et décident d'un "gain nuptial" réciproque de 100 Livres.

Enfin, Etienne Cadet estime les biens et droits qui peuvent lui appartenir à la somme de 3.700 Livres. Voilà donc un mariage engagé sur des bases financières assez exceptionnelles au regard des usages locaux du temps. Nombre de familles bourgeoises de la contrée ne disposaient pas de telles ressources.  

Sommaire.

     Ferrand Cadet fait montre d'une gestion douteuse
 et des réactions excessives.

Les débuts de la gestion du nouveau maître de maison sont plutôt inquiétants. Quatre mois seulement après leur mariage, Etienne FERRAND Cadet commence par vendre l'une des maisons de sa femme. Il s'agissait d'une métairie située à DEYMAT, au Quartier de PIREC, pour la somme de 900 Livres dont 150 comptant et le solde à échéance d'un an, avec les intérêts d'usage. On notera que Marie LAPIERRE n'assistait même pas à la passation de ce contrat, le 4 Novembre 1764. Il s'agissait pourtant, incontestablement de son bien personnel.

Etienne a des réactions rapides et brutales. Il ne semble pas avoir eu le profil d'un homme de négociation, et il va le montrer sans tarder.

Dans la journée du 24 Janvier 1765, Bernard LAPIERRE, un Oncle paternel de sa femme, fait effectuer des travaux discutables sur la pièce dite de MARTAILLOT. Il s'agit d'un lieu-dit situé à quelques 200 mètres au nord du Quartier de PEYREBERNEDE.

Des travaux discutables certes puisqu'il a coupé un chemin charretier public aux deux extrémités de sa parcelle en y creusant un fossé, comblé une rigole d'écoulement des eaux, et prélevé deux saules dans une haie appartenant à FERRAND.

Autant de faits répréhensibles assurément, mais aussi affaire de famille car l'ensemble de ces biens avait appartenu au Grand Père de sa femme, et c'est à la suite d'un partage successoral que les deux parcelles mitoyennes avaient été dévolues l'une à Pierre LAPIERRE, son Beau Père, et l'autre à l'Oncle Bernard.

Il semble donc qu'avant toute entreprise, un contact aurait pu être établi au sein de la famille, au moins pour s'expliquer. D'autant qu'aucune hostilité particulière ne semblait affecter les relations entre les deux hommes. Nous avons la preuve que l'Oncle Bernard participait huit mois plus tôt au mariage d'Etienne et de Marie.

FERRAND n'hésite pas un instant. Dès le lendemain, il se précipite chez le Juge de NOAILLAN et porte plainte "au criminel" contre son Oncle. En admettant même qu'une action en justice ait été justifiée, une action civile aurait probablement suffit à trancher le litige.

Ce n'est pas l'avis de FERRAND qui voit là un délit et le dénonce comme tel en demandant le concours du Procureur d'Office au titre de la perturbation de l'ordre public. En outre, il se porte évidemment partie civile dans l'action pénale ainsi engagée. Et cette affaire démarre très vite et très fort.

A 13 heures, le 26 Janvier, le Juge décide d'un transport de Justice. A 15 heures, il est sur place avec son Greffier et le Procureur d'Office. FERRAND est là avec son défenseur, mais pas l'Oncle Bernard car on ne convoque pas l'accusé à l'enquête, il sera cité plus tard à comparaître sur la "sellette",c'est la marche normale d'une procédure criminelle. 

Ces Messieurs de la Justice constatent les faits matériels et le Greffier en dresse Procès Verbal. Dès le soir même, les témoins sont cités à comparaître pour le lendemain. On a tout juste le temps de rédiger les citations que le Sergent du Tribunal ira signifier à leur domicile.

La nuit tombe vite en cette fin de Janvier; il terminera sa tournée à la nuit close. On voit bien par là cette sorte de dramatisation qu'apporte le procédure criminelle. Il y aurait eu crime de sang que l'on n'aurait pas agi plus vite.

Ces témoins sont au nombre de quatre. Deux ont vu les travaux litigieux dans la journée de l'avant veille, les deux autres sont d'anciens ouvriers de Pierre LAPIERRE, l'un pendant quatorze ans et l'autre pendant six ans. Ils viennent dire qu'ils ont travaillé bien des fois sur cette parcelle de MARTAILLOT et que personne n'a jamais contesté à leur Maître la propriété de la haie ni le droit de passage sur le chemin.

On les interroge tous quatre longuement, et le Greffier noircit des pages et des pages de Procès Verbaux. En deux jours, et avant même que l'Oncle Bernard ait été prévenu, la procédure représente déjà un solide dossier de plusieurs dizaines de pages.

Nous allons couper court à cette démesure. Dans la journée du 27 Janvier, qui était un Dimanche, des "parents et amis communs" interviennent pour arrêter tout cela. Peut-être s'est-il agi de l'autre Oncle, Raymond LAPIERRE, un autre frère du Beau Père. Il était temps de se reprendre... Et de fait, l'affaire ne méritait pas une telle dramatisation.

L'Oncle BERNARD, dès le Lundi matin, reconnaissait ses torts dans un acte notarié devant Me PERROY, et l'affaire se terminait à l'amiable sans autre forme de procès. Retenons néanmoins le comportement que vient d'avoir Etienne Cadet, nous allons sans tarder retrouver d'autres exemples de ses turbulences. 

Sommaire.

     D'autres querelles de voisinage.

Dès l'automne de la même année, il allait ainsi s'engager dans un double litige de voisinage avec le meunier du moulin du CASTAING.

Bernard FONTEBRIDE, âgé de 35 ans, était fermier de ce moulin. Il était aussi propriétaire d'une grande prairie au lieu-dit PRAT du TERREHORT, situé entre PEYREBERNEDE et le CASTAING :

"dans lequel pré (il) avoit laissé venir de l'herbe qu'il auroit pu faucher s'il n'avoit résolu de la laisser croître pour la faire manger à une vingtaine de chevaux et de mulets qu'il a."

Arrêtons-nous juste un instant pour noter l'importance du cheptel de trait nécessaire au fonctionnement de ce moulin, et aussi la confirmation du fait que les meuniers, pour une raison non encore élucidée, assuraient leurs transports avec des équidés alors que la totalité des autres charrois se faisaient avec des boeufs.

Certes, il arrivait qu'un meunier ait une paire de boeufs (et cela va être le cas ici), mais c'était uniquement pour leurs travaux agricoles et non pour les transports liés à l'activité de meunerie. Cette observation, de portée très générale, était valable pour tous les moulins du pays.

Ainsi donc, en cette fin d'année 1765, FONTEBRIDE avait décidé de ne pas faucher le regain de sa prairie et de s'en servir à titre de pacage. Or, ce pré était passablement enclavé au milieu des biens de la femme de FERRAND sur deux côtés et une partie d'un troisième.

Mettant cette situation à profit, Etienne Cadet n'avait pas trop de scrupule à faire : 

"pacager chaque jour ses boeufs et son cheval au long et au large dudit pré.."

Ce n'était pas un simple accident. Passant par là le 13 Octobre, Guillaume CALLETORTE, dit MOUNOT, un marchand de NOAILLAN, avait vu les boeufs de FERRAND dans ce pré.

Rencontrant un gamin sur son chemin, il lui avait demandé d'aller avertir la métayère de FONTEBRIDE de la présence indue de ces animaux. Cette intervention ne régla rien. La semaine suivante, le 21, les boeufs de FERRAND sont de nouveau dans ce pré, et non seulement ses boeufs, mais aussi son cheval de selle.

Nombreux furent par la suite les témoins qui purent en attester : Marguerite MARS, une veuve de NOAILLAN, mais aussi la jeune Marie DUBOURG, âgée de 16 ans, et Jeanne LAPIERRE, 18 ans, etc.. ; les faits étaient incontestablement avérés.

Lassé, FONTEBRIDE finit par porter plainte, lui aussi "au criminel" auprès du Juge de NOAILLAN. Il ne manque pas en effet de souligner qu'il s'agit d'un délit très sévèrement sanctionné. Et c'est parfaitement exact.

L'herbe était alors recherchée et les fourrages rares, tout le pays en manquait, surtout cette année-là où la récolte en avait été mauvaise, ce qui conduisait à les protéger de façon draconienne. Il expose ainsi :

"que par plusieurs Arrêts et Règlements de la Cour du Parlement de BORDEIAUX, il (est) expressément inhibé et défendu à toutes sortes de personnes de laisser aller pacager leurs bestiaux soit boeufs, vaches, juments, mulets et autres dans le bien d'autruy dans quelque temps et saison que ce soit, à peine de cinq cent Livres d'amende contre les propriétaires des bestiaux, et du fouet contre les pasteurs..."

Cinq cent Livres et le fouet, c'est bien la preuve de la gravité que l'on attribue au délit.

Aussi le Juge prend-il l'affaire très au sérieux. La plainte est déposée le 24 Octobre. Le jour même, il délivre l'autorisation d'ouvrir une information. Dès le lendemain, quatre témoins sont interrogés et le dossier est transmis au Procureur d'Office qui, dans l'instant même requiert :

"que ledit FERRAND Cadet soit ajourné pour rendre son audition sur lesdites charges et informations..."

Autrement dit, qu'il soit convoqué à jour fixé, en tant que prévenu libre, pour être interrogé sur la sellette. Mais l'affaire s'arrête là, car FERRAND a parfaitement compris à quel point sa cause était mauvaise. Aussi, par acte notarié du 27 Octobre, a-t-il fait proposer à FONTEBRIDE de lui verser 18 Livres pour le dédommager des frais de Justice qu'il a déjà engagés, et de faire évaluer les dommages par deux experts désignés par chacune des deux parties.

FONTEBRIDE acceptera ce compromis le 31 courant et désignera son expert en la personne de Pierre DUBERNET, dit Pierre de la CABIROLLE. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que FERRAND a déjà porté plainte contre lui, toujours "au criminel" en avançant rien moins que trois chefs d inculpation. Il se plaint des dommages que lui inflige le sans gène de son voisin :

"et quoi (qu'il) ait toléré bien des dommages que ledit FONTEBRIDE luy avoir causés ou fait causer par ses boeufs, chevaux, mulets et cochons, soit dans les premières herbes (c'est-à-dire le foin), soit dans les blés avant la récolte, s'étant contenté complaisamment de l'averertir et luy défendre la récidive, ledit FONTEBRIDE, peu attentif, se prévalant de sa qualité de meunier, se persuadant que tout luy est permis a non seulement abandonné ses mulets et cochons dans les millades dernières des biens (de FERRAND) où ils ont causé un dommage affreux, mais encore, il a entrepris, contre tout droit, de faire passer et repasser et (depuis) peu de faire séjourner ses boeufs conduits par son pasteur par devant la maison (de FERRAND) et dans ses prairies où ils ont pacagé, et de là, été conduits dans le pré dudit FONTEBRIDE ( le pasteur abattant des barres de la clôture). 

Ces faits ont été suivis d'une autre entreprise de la part dudit FONTEBRIDE. (FERRAND) avoit ensemencé (son) jardin en blé d'ESPAGNE pour fourrage à ses boeufs. 

Ce blé d'ESPAGNE parvenu à toute beauté, ledit FONTEBRIDE faisant ensemencer dernièrement en blé seigle sa pièce de terre labourable au midy, au lieu de tourner ses boeufs et araire dans sa pièce comme il y est obligé, a affecté de les pousser avant, environ deux pas, dans ledit jardin de long en long, de sorte qu'outre qu'il a fait manger et brouter par ses boeufs partie dudit blé d'ESPAGNE, il en a aussi fait fouler aux pieds, et en même temps entrepris de s'arroger un droit de servitude sur ledit jardin au préjudice (de FERRAND)."

Il demande donc au Juge d'ouvrir une information, et, pour corser le tout, demande qu'un transport de justice soit fait sur place. FERRAND Cadet aime bien les transports de justice. Il en avait déjà demandé un dans le litige qui l'avait opposé à son Oncle Bernard.

FONTEBRIDE aurait tout aussi bien pu en demander un pour constater les dégâts provoqués dans son pré de TERREHORT ; il ne l'a pas jugé nécessaire, s'en remettant au dire des experts désignés. FERRAND Cadet a un goût prononcé pour la chicane et les situations plus ou moins contentieuses, cela fait incontestablement partie de son personnage.

Au matin du 31 Octobre, le juge, son Greffier et le Procureur d'Office se transportent donc chez FERRAND, au lieudit AU RIBOUS. Et là, il trouve bien un jardin :

"ensemencé en blé d'ESPAGNE quy ne peut être destiné à d'autre uzage que du fourrage.."

Ce jardin contient 16 pas en longueur et 9 pas en largeur (soit environ 113 m²). Tout à côté se trouve la parcelle de FONTEBRIDE qui vient juste d'être ensemencée. Et le Juge constate qu'en effectuant ce travail :

"il a fait tourner ses boeufs dans ledit jardin du côté du levant, d'environ un pas et demy (environ 1m,33) de large et cinq en longueur (environ 4m,43) dans laquelle étendue, il y paroît quelques blés d'ESPAGNE broutés et mangés et d'autres foulés et couchés par terre. 

Néanmoins, celuy quy est couché par terre peut très bien servir audit FERRAND pour faire manger à son bétail; et sur le bout du confront dudit jardin, nous avons vu et compté dix huit pieds dudit blé d'ESPAGNE aussy mangés que nous croyons que les boeufs dudit FONTEBRIDE ont pris en arrivant au bout de (ses ) règes."

Enfin il fallait bien que le Juge aille également constater le déplacement des barres formant passage dans la clôture et surtout, selon la plainte reçue, le "dommage affreux" subi par FERRAN.

C'est ce qu'il fait, mais sur le dernier point, sa description est remarquablement sobre :

" il nous a paru, dit-il, quelques traces des pieds d'un boeuf ou d'une vache..."

Il n'en a pas vu davantage; mais c'est néanmoins désormais une affaire qui marche. Dans l'après-midi du même jour, on entend déjà les cinq premiers témoins. Anne CAZADE, 30 ans, a bien vu le valet du meunier ensemencer la parcelle :

"et à même qu'il poussait ses boeufs vers les limites quy sont entre luy et le jardin dudit FERRAND, elle vit que lesdits boeufs, en se retournant pour prendre une autre rège, prirent une bouchée de blé d'ESPAGNE.."

Le petit Bernard VIDAL, 13 ans, ne se souvient plus trop ;

"Lundy ou Mardy dernier, (car il) n'est (pas) autrement ménoratif du jour..."

mais il a bien vu la même chose :

"pendant deux différentes fois qu'à mesure que lesdits boeufs arrivoient au bout de la rège... ils prirent une bouchée du blé d'ESPAGNE.."

Les autres ont vu le pasteur du meunier faire entrer les boeufs de son maître dans leur pré en abaissant une barre de la clôture plutôt que de leur faire faire le tour par le chemin public.

 On reprendra ces auditions le 31 Octobre avec deux témoins supplémentaires qui n'apporteront pas grand chose de plus à cette importante affaire, sinon Jean THENEZE, dit MICAILLE, 50 ans, qui a vu un jour les boeufs du meunier traverser le pré de FERRAND :

"sans être conduits par personne... mais sans qu'ils causassent le moindre dommage, du moins autant qu'il pût s'en apercevoir, avec d'autant plus de raison que lesdits boeufs sortirent dudit pré tout de suite.."

Ce volumineux dossier d'instruction (une quinzaine de pages) est aussitôt transmis au Procureur d'Office qui requiert, sans plus tarder "l'ajournement" de FONTEBRIDE pour le 4 Novembre. Ainsi en est-il décidé.

Effectivement, le 4 Novembre, FONTEBRIDE se présente, mais il ne faut pas oublier la première affaire, celle dans laquelle le même FONTEBRIDE est le plaignant.. C'est au début de l'audience de ce même jour que l'on va désigner les experts qui seront chargés d'évaluer les dégâts.

Puis on fait comparaître FONTEBRIDE au titre de la seconde affaire, et on le fait asseoir sur la sellette :

"Interrogé sy par malice ou bien à dessein il n'a pas livré ses mulets et cochons dans les millades, ou dernièrement dans les biens appartenants audit FERRAND Cadet ?

"Répond que ses mulets et cochons n'ont jamais esté dans les biens dudit FERRAND, les ayant au contraire fait régulièrement garder, et en conséquences, les bêtes susdites ne peuvent luy avoir causé aucun dommage"

Et les pages succèdent ainsi aux pages dans un interrogatoire dont il ressort, du moins le dit-il, que FONTEBRIDE est blanc comme neige.

A l'audience du 7 Novembre, les deux affaires sont encore évoquées. La première parce que les experts sont enfin là et vont prêter serment devant le Juge :

" la main levée, à DIEU, de bien et fidèlement procéder à l'estimation du dommage..."

et cela fera encore deux grandes pages de procédure... Et la seconde parce que FERRAND n'est pas content de n'avoir pas été convoqué à l'interrogatoire de FONTEBRIDE. On l'apaisera en l'autorisant à en lever une copie au greffe du Tribunal.

Enfin, le 13 Novembre, les experts reviennent devant le Juge pour déposer leurs conclusions. Au terme de deux nouvelles pages de procédure, nous apprenons qu'ils se sont rendus sur le pré de FONTEBRIDE :

"et après l'avoir parcouru et mûrement examiné,... d'un accord mutuel et moyennant leurs serments, (ils ont) estimé à la somme de cinq Livres et demy les dommages causés à l'herbe dudit pré..."

C'est donc ainsi que se terminera la première affaire, la somme convenue donnant une bonne idée de l'importance réelle du litige. encore faut-il rappeler que les frais de justice s'élèveront au moins à dix fois cette somme...

Quant à la seconde affaire, dans laquelle FERRAND s'était fait accusateur, nous n'en connaîtrons pas l'issue. Passé le 7 Novembre, les archives du Tribunal n'en font plus aucune mention.

Il est probable qu'elle a dû s'achever dans une transaction plus ou moins imposée par des gens un peu plus raisonnables, mais aucune trace n'a pu jusqu'ici en être retrouvée. En tout état de cause, il n'aura cependant pas été possible d'éviter les frais de procédure déjà engagés, et ceux-ci auront certainement été encore plus considérables que dans la première affaire (transport de Justice, instruction plus longue, double de témoins, etc..).

Le tout pour quelques pieds de maïs fourrager dans un jardin et le passage d'une paire de boeufs dans un pré qu'il suffisait d'interdire.

Ces turbulences judiciaires auraient-elles un peu calmé notre FERRAND Cadet ? Eh bien pas du tout.. A deux mois de là, il va, une fois encore s'engager dans une mauvaise affaire.

Une toute autre affaire d'ailleurs, mais le personnage n'est jamais à court d'imagination quand il s'agit de se mettre en situations contentieuses.

Sommaire.

     Un délit de chasse.

Au mois de Janvier 1766, il faisait très froid; réellement très froid... Cela avait commencé le 28 Décembre précédent et vers le 12 Janvier, la GARONNE était déjà entièrement prise, sous réserve d'un étroit canal encombré de glaces flottantes; et ce froid devait se poursuivre sans discontinuer, jusqu'au 7 Février suivant.

La terre, partout, était gelée, aucun travail extérieur n'était plus possible. La nature était comme endormie et figée. Et que faisait Étienne FERRAND Cadet en ce temps-là ? Eh bien, il chassait ! Activité formellement prohibée car relevant du seul privilège du Seigneur.

Un privilège au surplus jalousement défendu et surveillé par le garde chasse de la Dame Marianne MOINE CHANCLOU de BRUGNIAC, Veuve de Messire Joseph DUROY, Premier Président Honoraire de la Cour des AIDES de GUYENNE, Seigneuresse de NOAILLAN.

Etienne FERRAND chassait... Et pas au collet ou autre piège discret que pratiquaient ici et là quelques pauvres bougres en mal de braconnage, non, il chassait au fusil. Des coups de fusil qui, dans l'air glacé de la campagne engourdie pouvaient s'entendre jusqu'au Château de NOAILLAN.

La chose se sut évidemment très vite, et il fut aisé de le surprendre.

Le 9 Janvier 1766, le Garde Chasse seigneurial, accompagné du Sergent de la Juridiction se trouvait, comme par hasard du côté de PEYRBERNEDE :

" ils virent lever cinq perdrix, lesquelles allèrent dans le champ quy est entre ledit lieu de PEYRBERNEDE et la TUILERIE. Ledit FERRAND qui se trouva audit lieu avec un fusil ne les eût pas plutôt aperçues que quand elles furent vis-à-vis de luy, (il) leur lacha un coup de fusil, et il ramassa tout de suite celle qu'il tua. Et ayant dans l'instant aperçu ledit Garde Chasse quy alloit vers luy, il prit la fuite et se réfugia dans sa maison audit lieu de PEYREBERNEDE."

Le Garde Chasse fait évidemment son rapport et adresse son Procès Verbal au Procureur d'Office de NOAILLAN, lequel saisit le Juge d'une plainte :

"comme c'est une contravention formelle(aux) Ordonnances Royales et Arrêts de Règlement de la Cour rendus (sur ce sujet) quy mérite une punition exemplaire.."

Sommaire.

     Le procès qui s'en suit.

Et le Juge décide de l'ouverture d'une information criminelle le 13 Janvier 1766. L'affaire est rondement menée. Dans la journée du lendemain, la Cour entend quatre témoins.

Le premier Guillaume VILLETORTE a bien vu FERRAND :

"avec son fusil duquel il tira un coup vers le CIRON, sans (qu'il) ait pourtant vu la prise qu'il fit à raison du coup qu'il tira..."

Mais le lendemain, il :

"vit aussy que (FERRAND) avait un fusil sous son bras et qu'il alloit vers le CIRON..."

Il ajoute encore :

"l'avoir vu, les vendanges dernières avec son fusil, qui parcourait son bien.."

 

Il apparaît donc, à l'évidence, que cette affaire ne constitue pas un cas isolé, mais que FERRAN chassait ouvertement au mépris de toutes les interdictions. Le second témoin a entendu le coup de fusil mais n'a pas vu qui le tirait, par contre, il a bien vu FERRAND, avec son fusil, "en se retirant dans sa maison".

Les deux derniers ne sont autres que le Garde Chasse, Jean LAPEYRE, dit DROULIN, et Jean SORE, le Sergent de la Juridiction. Ils rapportent l'affaire avec plus de détail.

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Étant tout près de PEYREBERNEDE, ils ont fait lever cinq perdrix, puis aussitôt après, trois autres, qui, en s'élevant, passèrent toutes par dessus la maison du dénommé MONNOT. En s'avançant pour situer la "remise" où ce gibier avait bien pu se poser, SORE entendit un coup de fusil, sans voir qui le tirait, mais en s'avançant de quelques pas, il aperçut FERRAND se précipitant vers cette remise "pour ramasser une perdrix ou voir s'il l'avait manquée".

Mais LAPEYRE, mieux placé, a vu FERRAND tirer le coup de feu :

"sur lequel coup il courut, et (il) vit qu'il ramassa une perdrix, et comme il s'approchoit dudit FERRAN, celuy-ci prit la course et se réfugia chez luy..."

Les faits sont avérés, et sans plus tarder, dès le même 14 Janvier, la Cour décide que FERRAND Cadet sera :

"décrété de prise de corps, pris et saisi, et conduit sous bonne et sûre garde dans la prison de la présente juridiction pour (y) répondre, défendre et fournir à droit sur lesdites charges..."

Et une fois encore, le dossier s'arrête là. Pourtant, les documents du Tribunal existent, sans lacune apparente. Alors, que s'est-il passé ?

Lorsqu'un décret de prise de corps était lancé, il n'était pas facile d'y échapper, sauf à quitter le pays au plus vite pour aller refaire sa vie dans une ville éloignée où l'on serait à l'abri des recherches. Tous les biens du fuyard étaient alors saisis.

En milieu rural, la chose était plutôt rare, et en tout cas ce ne peut être l'hypothèse que l'on pourrait retenir ici car FERRAND est bel et bien resté chez lui où nous le retrouverons quelques semaines plus tard.

On trouve de nombreux cas de transaction sur des procès en cours, et on a bien l'impression que, devant les Cours Seigneuriales, bien des choses étaient négociables avec l'accord des parties en présence. Mais ici, c'est de l'intérêt du Seigneur qu'il s'agit et d'une infraction d'ordre public.

Un délit de chasse aussi caractérisé, commis par un manant relativement fortuné pouvait se voir sanctionné d'une amende de 100 Livres, des décisions comparables en font foi.

On ne voit surtout pas très bien comment ces Officiers de Justice ont pu se déjuger en abandonnant des poursuites qu'ils avaient eux-mêmes engagées sur des preuves certaines, sans créer dans la paroisse un très fâcheux précédent. 

Sommaire.

     On ne saura pas comment l'affaire s'est terminée.

comparution sur la sellette, et encore moins de sa condamnation. Nous n'en saurons malheureusement pas davantage.

Trois mois après cette affaire, nous retrouvons FERRAND tranquillement installé chez lui sans qu'il soit plus question d'une quelconque contrainte qui pèserait sur lui.

Le 27 Avril, il reçoit 300 Livres des mains d'un débiteur de son défunt Beau Père, une vieille créance remontant à 1757, qu'il encaisse au nom de sa femme.

La chose en soi serait de peu d'intérêt, mais elle apporte néanmoins deux informations. La première, est la confirmation du rôle que son Beau Père LAPIERRE avait tenu dans le pays. On voit ainsi ressortir périodiquement des créances non négligeables de 150 à 300 Livres établies à son profit depuis une dizaine d'années.

Il n'est pas douteux que, au moins dans les derniers temps de sa vie, cet homme avait prêté pas mal d'argent autour de lui. La seconde information est d'une toute autre nature, mais elle est précieuse.

Sommaire.

     Ferrand Cadet redevient meunier.

Lors de la restitution de cette somme, le 27 Avril, FERRAND Cadet est dit "marchand", et habitant à NOAILLAN.

Le fait ne saurait être contesté.

Or, le 4 Juin suivant, lors de la naissance de sa fille Marie, il est devenu meunier et est installé au moulin de VILLANDRAUT. Et le fait n'est pas davantage contestable.

Cette petite Marie, son Aînée, est née à VILLANDRAUT et y a été baptisée, son Père y étant meunier. Et à partir de ce moment-là, FERRAND sera effectivement systématiquement domicilié au moulin de VILLANDRAUT. Il faut donc que son changement d'état et de domicile se soit situé entre les 27 Avril et 4 Juin 1766.

Il est néanmoins bien singulier que la prise en charge de ce moulin n'ait strictement laissé aucune trace d'aucune sorte. En l'état actuel de nos connaissances, il nous est impossible de dire à quel titre FERRAND a pris cette charge.

A-t-il souscrit un bail à ferme auprès du Comte de PONS ?

C'est bien peu probable, et nous verrons pourquoi tout à l'heure. Aucun acte ne figure en tous cas dans les minutes d'aucun Notaire des environs et les services de l'Enregistrement n'ont pas vu davantage passer de contrat pendant cette période, ni avant, ni après.

A-t-il repris la sous-ferme d'un bail en cours souscrit par un tiers depuis déjà un certain temps ? Ce serait beaucoup plus vraisemblable, mais il ne l'aurait néanmoins certainement pas fait sans qu'un acte notarié soit venu préciser les conditions de cette reprise.

Nous disposons de nombreux documents réglant ce genre de transaction, ils sont tous bâtis sur le même modèle, très détaillés et rigoureux dans leur rédaction, notamment dans la description de l'état des lieux (épaisseur des meules, état des divers mécanismes, des toitures, etc...).

Ici, rien. Nous savons incidemment, par un contrat du 27 Janvier 1766, qu'au début de cette même année, le meunier du moulin de VILLANDRAUT était un certain Guillaume LARRUE. Mais ce renseignement est inexploitable car entre ce 27 Janvier et le 4 Juin, il a pu se passer bien des choses.

Son bail a pu arriver à son terme normal ouvrant le recours à une nouvelle adjudication, ou bien il a pu tomber malade et chercher un sous-fermier capable de poursuivre l'exploitation de sa ferme, ou bien encore enlever lui-même l'adjudication d'un moulin plus important vers lequel il aurait transféré son activité en cherchant ici encore un sous-fermier pour terminer le temps restant à courir sur son bail de VILLANDRAUT.

Autant d'hypothèses parfaitement plausibles et que l'expérience révèle un peu partout, selon les circonstances dans les divers moulins de la région. Mais laquelle est la bonne ? Et surtout cette absence de texte pose un réel problème qu'en l'état des connaissances actuelles, nous n'avons pas su résoudre.

Toujours est-il qu'il n'est pas douteux qu'à partir du début Juin 1766, FERRAND Cadet est bel et bien meunier au moulin de VILLANDRAUT et qu'il y habite avec sa famille.

On pourrait penser que ce nouveau statut social le mettrait à l'abri des turbulences qu'il avait connues jusqu'ici. Il n'en est rien. Etienne FERRAND semble ne manquer aucune occasion de susciter des "affaires" sous chacun de ses pas. Il faut dire aussi qu'il était en cela bien aidé par son entourage, toujours prêt à engager un procès sur le moindre incident plutôt que de rechercher une solution amiable. C'était, il faut le dire, un vice du temps, et FERRAND Cadet était bien loin d'être seul responsable.

Sommaire.

     Toute une affaire pour une plaisanterie après boire.

Il y a environ deux mois qu'il vient de s'installer à VILLANDRAUT, lorsqu'il doit reprendre la chemin du Tribunal de NOAILLAN pour y répondre à une plainte que Raymond LAFON a déposé contre lui. Laissons LAFON raconter sa version des faits, mais disons bien "sa version", car l'enquête qui suivra apportera quelques précisions et corrections intéressantes.

Raymond LAFON habite au Bourg de VILLANDRAUT où il est établi Maître Cordonnier. Il nous expose :

"qu'étant allé le vingt du présent mois de Juillet, jour de Dimanche, au lieu de LEOGEATS (pour) y porter des souliers, (et) se retirant chez luy, ... à VILLANDRAUT, environ sur (les) huit heures du soir, étant arrivé (au) Bourg (de NOAILLAN), et étant sur le grand chemin royal vis-à-vis (de) la maison de Jean Baptiste DUPRAT, Hôte (de ce) Bourg, Etienne FERRAND Cadet, munier, habitant de la Paroisse (de) VILLANDRAUT, quy estoit devant la porte de la mayson dudit Baptiste DUPRAT, l'ayant aperçu, le pria de vouloir l'attendre, luy disant qu'il vouloit se retirer (à) VILLANDRAUT avec luy. (LAFON) ayant acquiescé... s'approcha jusqu'au devant de la porte de la mayson (de) Baptiste DUPRAT pour y joindre ledit FERRAND. Il n'y fût pas sitôt arrivé..(que) FERRAND, sans cauze ny raison, courut sur (LAFON), tenant un gros fouet de cheval en main, duquel fouet il en donna de toute sa force plusieurs coups sur le corps de (LAFON) , et notamment sur son visage..."

De tout cela, LAFON, forma une plainte qu'il déposa deux jours plus tard, le 22 Juillet auprès du Juge de NOAILLAN. Notons bien ce délai, il avait eu le temps de réfléchir...

La procédure d'enquête s'enclencha selon le processus que nous connaissons bien désormais et dans le détail duquel nous n'entrerons pas.

Mais nous fondant sur les témoignages précis et concordants des personnes interrogées, nous pourrons reconstituer l'affaire en des termes assez sensiblement différents de ceux rapportés par la victime.

Tout d'abord, LAFON ne se trouvait pas là tout à fait par hasard. S'il revenait bien de quelque part, et pourquoi pas de LEOGEATS, puisqu'il le dit, ce n'était pas à 20 heures, mais bien à 16 heures.

Délaissant son cheval à l'extérieur, il était entré dans l'auberge de Jean Baptiste DUPRAT. Et là, en compagnie d'Etienne FERRAND et de quelques autres, il avait passé quatre heures à boire avec la compagnie.

Vers 20 heures, d'un commun accord FERRAND, le Fils de JANOTTE de BORDES, qui était de PRECHAC, et lui-même, estimèrent qu'il était temps de regagner leurs domiciles respectifs.

Tout naturellement, les trois compères décidèrent de faire route ensemble jusqu'à VILLANDRAUT, sur le tronc commun de leur itinéraire. FERRAND et le Fils de JANOTE furent en selle les premiers. Ils tenaient chacun un fouet en main et s'amusaient à les faire claquer.

LAFON, qui n'avait pas fini de brider son cheval, leur demanda de l'attendre, ce qu'il firent, mais en manifestant un peu d'impatience. " Aouance-té " (dépèche-toi) lui dit FERRAND en appliquant un coup de fouet au cheval de LAFO'N.

Lequel LAFON réagit en lui disant : " Je n'ai pas peur de toi. . ! " Et se tournant vers le jeune fils de l'aubergiste qui contemplait la scène, il lui dit va me chercher une" haoussine" (une baguette), ce que le gamin fit aussitôt.

Et dès qu'il eût cette baguette en main, LAFON en donna plusieurs coups sur la croupe du cheval de FERRAND, lequel, réagissant à son tour, envoya un coup de son fouet en direction du cheval de LAFON. Et là, coup malheureux ou intention malicieuse, LAFON fut atteint au visage d'une marque sanglante.

On s'empressa tout aussitôt auprès de lui, et Jean SARAUTE, dit MAROT, témoin de la scène lui appliqua une feuille de tabac sur la blessure, remède souverain, semble-t-il, pour en arrêter le sang.

Après quoi, les trois hommes remontèrent en selle, burent un dernier verre ensemble et partirent de concert en direction de VILLANDRAUT. Aucun témoin n'y a vu de drame. Marie LUCBERT a :

"alors compris que c'estoit entre eux un badinage."

tandis que Marguerite DUPRAT a vu :

"qu'ils burent ensemble et se retirèrent en riant l'un et l'autre..."

En bref, il n'y a eu là qu'une lourde plaisanterie entre gens plus ou moins avinés et probablement plus que moins, après quatre heures de libations, plaisanterie qui s'est terminée sur un coup malheureux.

L'affaire aurait pu en rester là. Mais nous avons vu que deux jours plus tard, après réflexion, et peut-être conseillé par quelque bonne âme, LAFON se décida à porter plainte auprès du Juge de NOAILLAN.

Plainte qu'il appuya d'un certificat médical délivré par Pierre CAZENAVE, Maître Chirurgien Juré à NOAILLLANS.

Et l'affaire suivit dés lors son cours, mais cette fois-ci avec une sage lenteur. Les premiers témoignages sont recueillis dès le 24 Juillet, d'autres n'interviendront que le 9 août, le Décret d'ajournement de FERRAND ne sera pris que le 27 Août; on sent bien que la justice traîne ici les pieds.

Enfin, ce n'est que le 18 Novembre suivant que FERRAND Cadet prit place, une fois encore, sur la sellette, pour s'expliquer devant la Cour. Du moins cette fois-ci comparaissait-il en qualité de prévenu libre.

A noter dans son interrogatoire un détail qui pourrait être intéressant. Sur demande du Juge, il se dit "munier de vacation", ce qui peut suggérer une sorte de situation provisoire d'intérim.

Ceci expliquant peut-être l'absence de tout contrat que nous avons signalé lors de son entrée en fonction au moulin de VILLANDRAUT. Toujours est-il qu'il s'agirait d'un intérim durable puisqu'il n'est pas douteux qu'il vit effectivement, nous l'avons déjà dit, dans ce moulin, avec sa famille depuis au moins six mois et pour longtemps encore.

Pour en terminer avec cette affaire, nous dirons que la version exposée par FERRAND concordait bien avec celle rapportée par les différents témoins, beaucoup mieux en tous cas que celle de LAFON.

Et ici encore, la conclusion fera défaut, ce qui devient une habitude ; mais il semble bien que l'on se soit acheminé vers un non-lieu.

Etienne FERRAND ne saurait oublier le chemin du Tribunal, un chemin qu'il pratique avec tant d'assiduité. 

Sommaire.

     Pourquoi faire simple
quand on peut faire compliqué ?

A la mi-1757, il poursuivait en justice la famille CLAVERIE en la personne du Père Pierre dit PIERROUTET, et de son fils Antoine. Tous deux habitaient au Quartier de PRUOUAILLET, sur la Paroisse de VILLANDRAUT. Le 19 Août, FERRAND gagnait son procès pour un montant de 131 Livres intérêts compris.

Mais ce n'est pas en cela que réside l'intérêt de l'histoire; cet intérêt est dans le mode de règlement de l'affaire, un an plus tard, ce qui va nous obliger à nous livrer à une petite anticipation.

Ce règlement va nous fournir un bon exemple de ces situations croisées complexes dans lesquelles se complaisaient nos Ancêtres et qui, bien souvent, alimentaient de nouveaux et interminables litiges.

Le Père CLAVERIE n'a pas un sou vaillant; mais il détient une créance sur un tiers que sa Belle Fille a apporté en dot lors de son mariage. Cette créance, sur un certain Bernard DEPRAT, laboureur au Quartier de PRAT, s'élève à 150 Livres plus les intérêts qui n'ont pas été payés, soit 168 Livres au total.

Le 22 Septembre 1768, CLAVERIE va la remettre à Etienne FERRAND en règlement des 131 Livres qu'il lui doit, et FERRAND va en quelque sorte lui rendre la monnaie en lui restituant en argent liquide les 37 Livres constituant la différence entre les deux sommes.

Mais ce n'est pas tout, car si FERRAND est bien désintéressé, c'est la Belle Fille de CLAVERIE qui en a fait les frais en voyant s'envoler une partie de sa dot... Qu'à cela ne tienne, son Beau Père, dans le même acte, lui consent en garantie une hypothèque sur deux pièces de terre, à CASAOU et au PALOUMEY.

Que l'on n'aille surtout pas croire qu'il s'agit là d'un cas limite. Ce genre d'arrangement est courant. D'ailleurs, dans le même temps, Etienne FERRAND est en train d'en parachever un autre tout aussi compliqué avec un sabotier de NOAILLAN.

Ici, il s'agit d'une créance (encore une autre) que sa femme Marie avait reçue dans la succession de son Père Pierre LAPIERRE.

Cette créance, déjà ancienne, remontait au 12 Juin 1748, date à laquelle Pierre LAPIERRE avait prêté 150 Livres à un certain Jean DILON, sabotier de son état. Et bien entendu, DILON n'avait pas le premier sol pour rembourser sa dette.

FERRAND commence par se montrer grand seigneur en acceptant un "relâchement", c'est à dire une remise de dette, sur les 150 Livres dues. Il se contentera d'une restitution de 120 Livres et on ne parlera plus des intérêts. Mais ces 120 Livres, DILON ne les a pas non plus.

Alors on cherche un tiers qui sera Mathieu SOUBES, le forgeron de NOAILLAN, auquel DILON vend un pré également estimé à 120 Livres à dire d'expert, le 13 Août 1765. Et au lieu d'en encaisser le prix, DILON charge l'acheteur de le régler à Etienne FERRAND, mais pas tout de suite car SOUBES n'a pas non plus cet argent...

Il s'engage à le payer dans les trois ans à venir avec l'intérêt d'usage (5%).

L'ensemble de l'opération ne sera finalement liquidée que le 26 Avril 1768 lorsque SOUBES finira de s'acquitter entre les mains de FERRAND des 120 Livres majorées de 16 Livres d'intérêts échus.

Ainsi donc, peu à peu, de façon simple ou compliquée, FERRAND récupère le montant de ses créances et de celles de sa femme. Il commence à acheter quelques terres.

Le 8 Septembre 1763, pour la somme de 160 Livres qu'il paye comptant en espèces d'argent, il achète un petit pré et une parcelle de jeunes pins partiellement enclavés dans les biens de sa femme.

Sommaire.

     L'ouragan de Notre Dame (8 septembre 1763)

Cet acte est passé en l'Etude du notaire de NOAILLAN, au matin de ce 8 Septembre qui devait devenir un jour mémorable entre tous et dont on devait parler au moins jusqu'à la fin du siècle et même au-delà.

Il restera en effet dans l'histoire  sous le nom d'ouragan de Notre Dame car il survint le jour de la fête de la Nativité de la Vierge Marie.

Personne, en cette fin de matinée, ne pouvait se douter de ce qui allait se passer avant la fin du jour.

Dans le courant de l'après midi, le ciel s'était chargé de nuées menaçantes.

Vers l'ouest, il devenait de plus en plus sombre; puis il devint d'un noir d'encre et les ténèbres envahirent toute la terre.

Sur les cinq heures du soir, se déclencha un formidable ouragan comme, de mémoire d'homme, on n'avait jamais connu.

D'heure en heure, le vent semblait redoubler de force, les arbres que l'on pouvait apercevoir s'abattaient par dizaines (en fait, dans les jours qui suivirent, on se rendit compte que dans tout le pays ce fut par milliers qu'ils avaient été déracinés ou vrillés), les toitures s'envolaient, les cheminées tombaient... Un véritable cataclysme, une vision de fin de monde.

Le phénomène se prolongea pendant presque toute la nuit suivante pour retrouver le niveau d'une tempête "normale" vers les trois heures du matin et s'apaiser enfin progressivement à partir du lever du jour.

Il ne restait plus qu'à mesurer les dégâts, et ils étaient immenses. Outre les bois et les bâtiments dévastés, toutes les récoltes non encore .. rentrées étaient détruites la vendange, la millade, le maïs, les pommes et autres fruits pendants, etc...

De tout cela, il ne restait rien. Les témoignages sont nombreux dans la région, et tous ces témoins signalent de façon insistante un phénomène difficilement explicable mais qui semble bien réel, celui d'une brûlure par le sel.

Les observations qui nous sont rapportées traduisent les faits chacune à leur manière, mais toujours de façon concordante, et la dispersion géographique de ces témoignages exclut pratiquement, du moins à l'époque, une quelconque influence réciproque.

Me PERROY, Notaire à NOAILLAN, a vu :

" la majeure partie des arbres chênes, brûles (ce sont les peupliers), ormeaux, vergnes (ce sont les aulnes), arbres fruitiers, pignadas et de toutes autres espèces brisés, déracinés, les millades en entier toutes brûlées, brisées et déracinées, les chanvres aussi brûlés et déracinés, les vignes aussi brûlées, tout l'échalas brisé (il s'agit des supports de la vigne) et renversé, en sorte qu'il n'y a nulle feuille verte et que tout parois mort comme dans le coeur de l'hyver... (et pour les millades) il nous est apparu ... que la fumée saline que le vent de cet origan avoit répandu partout avoit brûlé et séché le grain et la paille qui n'estoient (pas) encore en leur maturité, que cette même fumée avoit brûlé les feuilles, bois et raisin aux vignes..."

Le Curé d'ORIGNE est nettement moins prolixe, mais son témoignage est parfaitement concordant, il note que l'ouragan fut :

" si furieux qu'il déracina une quantité prodigieuse d'arbres et de pins et brûla toute la récolte de la millade" .

Bien plus loin, le Curé de POUSSIGNAC en LOT et GARONNE rapporte également que :

"vingt quatre heures après, toutes sortes de feuillages ont été grillés comme si le feu y eut passé.."

Me LAFARGUE Notaire à LANGON écrivant un peu plus tard expose que :

"les raisins furent dégainés et jonchés dans les règes (et que).. ce qu'on ramassa sous les vignes, et même ce qu'on coupa sur les ceps avoit contracté un goût de salure qui donna à cette récolte une réputation peu avantageuse."

Le Curé de FARGUES ne dit pas autre chose, mais il élargit son propos aux dimensions régionales en ajoutant :

"il y eut beaucoup d'avaries sur mer du côté de BAYONNE, des vaisseau perdus en pleine mer, le clocher de St MICHEL tomba, les cloches furent écrasées par les ruines en sorte qu'on ne vit rien de plus terrible..."

Et il termine sa note en ajoutant "Ad perpetuam rei memoria, (A la mémoire perpétuelle de la chose).

Sommaire.

     Ferrand Cadet se lance dans une politique
de petites acquisitions successives.

A partir de ce moment-là, et pour quelques années, nous allons voir Étienne poursuivre une politique systématique d'achats fonciers. Il ne s'agit jamais de très grosses opérations, mais plutôt de petites acquisitions portant souvent sur des parcelles contiguës aux biens de sa femme à NOAILLAN.

Sans entrer dans trop de détail, nous pourrons ainsi signaler :

-l'achat d'un bout de lande touchant le Ruisseau de l'OMBREY à NOAILLAN le 8 mars 1759, pour 24 Livres ; il ne devait pas être bien grand, mais il touche un bien familial sur deux de ses côtés.

-l'achat d'une pièce de taillis un peu plus conséquente, mais toujours modeste au lieu-dit JOUANDIN, près du Quartier de LAULAN, toujours à NOAILLAN pour 60 Livres ; ici encore, deux côtés de la parcelle sont mitoyens avec un bien déjà acquis.

-l'achat du tiers d'une vergnère située entre le CIRON et le Ruisseau de l'OMBREY le 1er janvier 1771, pour 13 Livres; ce doit être une toute petite parcelle, mais elle le touche sur l'une de ses limites.

-et moins de quatre mois plus tard, le 21 Avril, l'achat d'une autre vergnère au même endroit pour 27 Livres.

Puis, l'année suivante, en 1772, par trois fois en l'espace d'un mois, il procède à des acquisitions un peu plus importantes:

-le 22 mars, une vergnère pour 144 Livres au lieu-dit du BARTOT, près du Quartier de la FOURNIERE à NOAILLAN ;

-le 24 Mars, une pièce de bois taillis aux JOUANDINS, près du Quartier de LAULAN, pour 40 Livres ;

-le 23 Avril, 8 planches de jardin chènevier au Quartier de POUCHEOU, très exactement à la HOUN de LAMOTHE, presqu'entièrement enclavées dans les biens de sa femme, pour la somme de 250 Livres.

Ces quelques exemples suffiront à définir un nouveau profil de FERRAND Cadet. Meunier au moulin de VILLANDRAUT, il ne néglige pas pour autant son ancien état de laboureur. Entre temps, le couple a vu naître un second enfant, un garçon, André, né au moulin de VILLANDRAUT la veille de Noêl 1769.

FERRAND Cadet semble avoir un peu oublié le chemin du Tribunal. Mais pas pour longtemps, car il va bientôt le retrouver pour une affaire de chemin et de passage. 

Sommaire.

     L'aygat Dous Rameous et ses conséquences locales.

Cette affaire est très liée à la crue dévastatrice de la GARONNE du 7 Avril 1770 qui cet restée dans l'histoire sous le non de "l'AYGAT DOUS RAMEOUS" (la crue des Rameaux).

Ce n'est pas ici le lieu de décrire le détail de cette catastrophe, mais il suffira de rappeler que dans la nuit du 6 au 7 Avril de cette veille des Rameaux, le fleuve atteignit la côte de 13 m, 64 au pied de l'Eglise St GERVAIS de LANGON.

Pendant longtemps, la crue de Février 1618, avec 10 m 07 avait servi de référence aux plus grands excès de la GARONNE puis, était venue la crue de 1712, avec 12m, 02, et l'on avait alors pensé avoir vu là une côte maximale absolue.

C'était mal connaître le fleuve, 'l'Aygat" de 1770 balaya tout cela ; et depuis lors, cette côte n'a jamais plus été atteinte, même, et de très loin, en 1930 qui sert toujours pour nous de référence aux crues des temps modernes. Les dégâts furent partout considérables ; à titre de simple exemple, on recensa 309 maisons écroulées à LANGON.

Grossi par les pluies diluviennes qui s'étaient abattues sur tout le pays au fil des dernières semaines, le CIRON avait largement débordé. Or, rencontrant à son embouchure un "mur" d'eau de 12 à 13 mètres de haut, et faute de pouvoir s'écouler, il se répandit à son tour dans sa propre vallée très au-delà des limites habituelles de ses débordements. Ceci lui permit d'atteindre des zones mal drainées qui n'étaient pas préparées à recevoir autant d'eau, ni surtout, par la suite, à les évacuer.

Des mois après la crue, des points bas étaient encore inondés tout au long de la vallée, des chemins creux transformés en bourbier étaient encore impraticables. Il ne faut surtout pas perdre cette situation de vue car FERRAND Cadet n'y fera aucune allusion dans le litige qui va l'opposer à sa voisine, feignait de croire que le mauvais état du chemin de POUCHEOU est uniquement imputable au mauvais vouloir de Marie LAPIERRE, une proche parente de sa femme.

Six semaines à peine après le plus fort de la crue, le 13 Juin 1770, FERRAND adresse une sommation à sa voisine, lui disant :

"qu'il y a eu de tous temps un chemin public... (qui) conduit par un bout au gué du fleuve du CIRON appelé au GAND BOSC, ... et de l'autre vers le lieu des NOUGUEYRASSES, droit au village de la SAUB0TE où il va se perdre et se joindre au grand chemin qui conduit à LANGON et ailleurs... 

Duquel dit chemin il a toujours été libre à un chacun de se servir, même à tous charretiers et voituriers d'au-delà du CIRON qui avoient des denrées ou autres marchandises à transporter soit à LANGON soit ailleurs. Les propriétaires et possesseurs de la métairie de POUCHEOU,.. aujourd'huy appartenante ( à FERRAND ) par devant laquelle, au midy, (et) droit au levant ledit chemin est tracé, s'en servoient également pour retirer les bruyères et oeuvres (il s'agit de bois de chauffage) qu'ils avoient au-delà dudit fleuve du CIRON jusqu'à ce qu'il plut à ladite LAPIERRE de rendre ledit chemin absolument impraticable... le long de ses possessions audit lieu appelé POUCHEOU par la négligence à retirer ou détourner les eaux qui entrent audit lieu dans ledit chemin, et qu'elle y laisse malicieusement croupir au lieu de les conduire et évacuer par les fossés anciens comblés de sorte que FERRAND a un besoin pressant dudit chemin, n'en ayant pas d'autre pour retirer les denrées de sa métairie qui sont au-delà du CIRON.Il a souvent prié et requis verbalement Marie LAPIERRE de vouloir réparer ledit chemin au susdit endroit, ce qu'elle a toujours constamment refusé de faire..."

En bref, FERRAND met sa voisine en demeure de restaurer le chemin ou de l'autoriser à empiéter sur son bien à la hauteur du passage impraticable.

Il est bien possible, et peut-être même probable, que Marie LAPIERRE n'ait pas déployé tout le zèle nécessaire au dégagement des fossés et à l'entretien du chemin. Mais de là à passer complètement sous silence le phénomène exceptionnel de l'inondation, lequel vient juste de se produire, et même à prêter une intention malicieuse à sa voisine, il y a incontestablement un large pas à franchir.

FERRAND n'hésite pas à le faire. Un mois plus tard, le 20 Juillet il adressera à Marie LAPIERRE un exploit d'assignation, et l'affaire viendra à l'audience du 20 Juillet 1770. Marie LAPIERRE ne s'y présentera pas, pas plus que les 4 et 11 Août.

A l'audience du 22 Septembre, il sera question "d'écritures fournies" sans autres précisions, avec renvoi à l'audience suivante. et il ne sera plus question de cette affaire...

Peut-être Marie LAPIERRE est-elle utilement intervenue dans l'intervalle, à moins que les chaleurs de l'été n'ait tout simplement provoqué l'évaporation de la mare litigieuse et réglé le problème...

Sommaire.

     Une mauvaise affaire pour pas grand chose.

Pendant que cette affaire se plaidait à NOAILLAN, FERRAND Cadet en avait une autre sur les bras devant la Cour de VILLANDRAUT ; mais là, c'est lui qui était poursuivi.

L'incident remontait à l'été de 1769. Dans les derniers jours de Juin, les bestiaux du moulin s'étaient évadés et étaient allés vagabonder dans une parcelle récemment ensemencée en pins, et située dans le secteur actuellement dénommé la VALLÉE du SILENCE.

Circonstance aggravante, cette parcelle appartenait au Seigneur... C'était un mauvais cas.

Dès le 5 Juillet, des experts avaient été désignés par voie de Justice pour déterminer les dégâts, lesquels, d'ailleurs, ne devaient guère être considérables. FERRAND eut heureusement la chance de tomber sur des experts raisonnables qui ne cherchèrent absolument pas à grossir l'affaire.

Ils se rendirent sur place et constatèrent que sur trois journaux il y avait " quelques pins naissants " mais ils admirent que cette situation était évolutive, et qu'il allait encore pousser d'autres pins pendant tout l'été. Certes, par le travers de la parcelle, il y avait bien trois pistes tracées " par des pieds de chevaux et de boeufs ", mais comment savoir si l'absence de pin en tel ou tel endroit était dû au piétinement ou à une pousse tardive ? Ils décidèrent de revenir en Septembre afin de mieux apprécier la situation, puis un peu plus tard, pour finir par proposer une transaction très modeste dont le détail ne nous est pas parvenu. FERRAND Cadet avait eu chaud, c'est une affaire qui aurait pu lui coûter très cher...

C'est au début de l'hiver 1770, très précisément le 16 Décembre que le même FERRAND Cadet mettra un point final aux différends qui l'opposaient à son Frère Aîné depuis tantôt huit ans sur la succession de leur Père.

Nous avons déjà conté cet épisode dans le Chapitre consacré à l'Aîné, et n'y reviendrons donc pas. Mais c'est incontestablement une page importante dans la vie du Cadet qui va désormais détenir en ses mains la plénitude de ses moyens matériels.

Ses affaires marchent, certes, mais il lui faut toujours être vigilant car les mauvais payeurs sont nombreux. Ainsi par exemple a-t-il livré 4 boisseaux de farine de seigle a Joseph PERROY entre le 20 Avril et le 22 Juin 1770, et des mois plus tard, il n'est toujours pas payé.

Sur les 53 Livres de la facture, il n'a reçu que 6 livres et 10 Sols, c'est peu, il s'impatiente et finit par s'adresser au Juge de VILLANDRAUT qui, au terme de plusieurs audiences, lui donnera raison dans un jugement du 15 Mai 1771 en y ajoutant 7 Livres 10 Sols et 9 deniers de dépens...

Et ceci n'est qu'un exemple car ce genre d'incident est fréquent en ces temps difficiles.

Sommaire.

     L'émouvante détresse d'une pauvre veuve.

Les petites gens, surtout, ont bien du mal à survivre, les veuves surtout, car le travail féminin est très mal rémunéré, et les familles en charge de trop nombreux jeunes enfants. Les témoignages abondent sur ce point, mais nous n'en retiendrons qu'un seul, parce qu'il est émouvant et très exactement contemporain des évènements que nous sommes en train de relater.

Jeanne LOUVERIE habite à NOAILLAN, elle est veuve de Guillaume B0BUT, un tout petit vigneron aux ressources bien modestes. Son mari est resté grabataire pendant six ans avant de disparaître, la laissant avec deux jeunes enfants en bas âge.

Elle est pleine de courage, mais elle n'en peut plus et voit le moment où elle ne va plus faire face aux besoins de ses enfants. Elle ne voit plus d'autre issue que celle d'un remariage, un remariage de pure raison. Mais elle redoute les réactions de l'opinion publique; elle à peur que, dans le village, quelques mauvaises langues aillent colporter l'idée qu'elle est "agitée par la nature" alors qu'il s'agit de bien autre chose ... Et c'est ainsi que le 19 Mars 1772, elle va raconter son histoire à Me PERROY son Notaire, avant de lui exposer son projet de remariage :

" L'événement funeste (du décès de son mari) ne l'a point décontenancée ; sa confiance en la Providence l'a au contraire encouragée par amitié pour ses enfants dans l'espoir de les mettre en état de gagner leur vie. Elle a, pour y parvenir employé jusqu'à présent toutes ses forces, mais la rigueur du temps, (la) cherté des denrées, sans nulle ressource pour pourvoir à la suffisance des aliments pour elle et sa famille, (c'est) le principal motif, elle n'en a (pas) d'autres, agités par la nature ny autrement... pour passer un second mariage avec François LAPIERRE party avantageux pour elle et dont ses enfants ressentiront des faveurs..."

Le milieu social dans lequel nous voyons évoluer les FERRAND depuis le début de cette histoire et le niveau de vie qu'ils pratiquent correspondent à un certain niveau d'aisance qui ne doit absolument pas nous faire oublier la condition précaire de tout un petit peuple de journaliers et de brassiers qui ont bien du mal à vivre, sinon même à survivre dés lors que la nature se montre tant soit peu ingrate.

C'est bien d'ailleurs ce qui allait se produire au printemps 1773 ainsi que nous allons le voir tout à l'heure.

Mais ce même printemps allait marquer pour les FERRAND un tournant tout à fait notable.

Sommaire.

     Etienne Ferrand Cadet change de moulin.

Voilà que les Seigneurs de NOAILLAN remettent leurs trois moulins à l'adjudication : le CASTAING, le BASCANS, et LEOGEATS. Ces mêmes trois moulins dont Jean FERRAND, le Père d'Etienne Cadet a déjà été meunier il y a maintenant une vingtaine d'années.

Et Etienne Cadet l'emporte; il entrera en possession de sa ferme le 20 Avril 1773 pour une durée de neuf années.

Il calquera très exactement sa conduite sur celle de son Père. Il gardera pour lui le moulin du CASTAING où il établira son domicile, en y retrouvant tous ses souvenirs de jeunesse; et en deux actes successifs, il confirmera Guillaume LARRUE dans la sous-ferme qu'il détenait déjà du précédent fermier sur le moulin du BASCANS, et il mettra en place un nouveau sous-fermier à LEOGEATS en la personne d'un certain Pierre LASSERRE qui était jusqu'à l'heure meunier à PREIGNAC.

Ces deux actes sont intéressants car ils révèlent un certain nombre d'indications sur les relations commerciales à l'intérieur de la profession.

Ayant reçu l'investiture de la ferme des mains de Madame la Présidente DUR0Y et de son Fils, Etienne FERRAND Cadet rencontre Guillaume LARRUE le 8 Avril dans l'étude de Me PERROY. Il lui confirme son maintien dans les lieux, mais il lui définit une zone de chalandise bien précise. LARRUE ne pourra "quêter les grains" qu'au sud du ruisseau du BASCANS, en direction du Bourg de NOAILLAN (lequel entre dans son domaine), mais en aucun cas au nord, et surtout pas au Quartier de la SAUB0TE, cette zone de démarchage étant expressément réservée au moulin du CASTAING;

Il est en outre prévu que si ce petit moulin venait à manquer d'eau, LARRUE :

" pourra porter des grains à la concurrence de douze boisseaux par semaine (1236 litres) au grand moulin du CASTAING, où ledit FER.RAND promet et sera tenu de les luy laisser moudre à son tour en luy baillant demi droit de moulange, sans pouvoir faire moudre à d'autres moulins.

En cas de contravention de la part dudit ( s'il va) moudre ailleurs, ledit FERRAND pourra, (sur) le nombre de boisseaux qu'il découvrira, prendre le "poignérage" et droit entier sur le premier blé que LAIRRUE portera au moulin du CASTAING...".

II était également prévu que, réciproquement, si le moulin du CASTAING se trouvait engorgé par les eaux, FERRAN pourrait avoir recours aux service du moulin du BASCANS, en partageant également les droits avec son meunier.

Le prix de la sous-ferme était fixé à 250 Livres annuelles "et deux paires de beaux canards".

Ce problème étant ainsi réglé, FERRAND passa dès la semaine suivante au règlement de la situation de LEOGEATS. Le 14 Avril, il rencontra Pierre LASSERRE, son meunier pressenti, chez Jean LABAT, Aubergiste à VILLANDRAUT et arrêta avec lui des conditions identiques de réciprocité entre les deux exploitations. Quant à la zone de chalandise, il était précisé que LASSERRE s'interdirait :

"d'aller ny envoyer quêter des grains durant le temps de la présente ferme dans ladite paroisse de NOAILLAN.".

La redevance annuelle était fixée à 450 Livres et deux paires de canards. La différence de prix entre les deux sous-fermes venait de ce qu'il n'y avait qu'uns seule meule au BASCANS pour deux à LEOGEATS.

Il restait à quitter le moulin de VILLANDRAUT, ce que FERRAND fit avec autant de discrétion qu'il avait mis à y entrer puisque contrairement à tous les usages, aucune trace de procès-verbal ou d'état des lieux n'a pu être retrouvée jusqu'ici.

En tout état de cause, la chose se fit très vite car, le 14 Avril, FERRAND était encore incontestablement domicilié à VILLANDRAUT, son contrat de ferme au CASTAING prenant date au 20 Avril, et dés le 9 Mai suivant, dans un contrat qu'il passe l'occasion d'un échange de parcelles à PEYREBERNEDE, il est déjà installé "marchand meunier à NOAILLAN"

Cette installation se situe très précisément dans un moment particulièrement critique.

Sommaire.

     Les émeutes frumentaires de mai 1773 à Villandraut.

Depuis sept ans déjà, les récoltes céréalières étaient mauvaises. Et le pire est peut-être encore que ces récoltes semblaient devenir de plus en plus mauvaises au fur et à mesure que le temps passait. Dès la moisson de 1772, encore plus déficitaire, s'il se pouvait, que les précédentes, on sut que, de la misère, on allait immanquablement sombrer dans la famine.

Dès le 25 Juillet 1772, l'Intendant ESMANGARD écrivait à l'Abbé TERRAY, Contrôleur Général à VERSAILLES :

"Les froments ont été viciés dans presque toutes les contrées de cette Province par l'intempérie des saisons ; ils sont maigres, charbonnés et rendent très peu sous le fléau, de manière qu'on n'en évalue le produit qu'à la moitié ou même le quart d'une année commune. On craint fort que cette année ne soit dans cette Province encore plus misérable que toutes celles qui l'ont précédée depuis longtemps."

C'était fort bien voir le problème. Et la situation était d'autant plus critique qu'une très forte gelée printanière survenue le 21 Avril, avait détruit tout espoir de fruits pour l'automne. Bien souvent, pourtant, au fil des mauvaises années en céréales, ces fruits avaient permis de gagner du temps à bien des pauvres gens, surtout les fruits que l'on savait peu ou prou conserver, telles les pommes et les châtaignes.

Ils permettaient de préserver les maigres provisions de seigle des ménages en vue de mieux passer les mois du grand hiver au cours desquels la nature n'avait plus rien à leur offrir.

Le temps des récoltes venu, les pronostics les plus pessimistes se virent confirmés.

Céréales, vin et fruits firent défaut. Chacun survécut comme il le put, plutôt mal, avec des fèves et des haricots que l'on avait semés tardivement dans la saison.

L'Administration Royale se donnait pourtant beaucoup de mal. Elle importait des blés par terre et surtout par mer, parfois de très loin (de ROUEN, du HAVRE, d'AMSTERDAM, et de même de DANTZIG) .

Mais hélas, d'où qu'ils viennent, leur qualité était médiocre sinon parfois détestable. On importait aussi des fèves, nais quoi que l'on fasse, la soudure avec la récolte suivante s'annonçait très difficile. Bientôt, le bruit courut qu'il n'y avait plus de grain. Et la rumeur s'enfla. Alors, dans une réaction parfaitement incontrôlée et proprement suicidaire, les populations s'affolèrent, arrêtant tous transports de céréales, empêchant la tenue des marchés, pillant les greniers et, par ces désordres, rendant inextricable une situation qui était déjà bien assez difficile.

Une émeute éclata à BORDEAUX le 8 Mai 1773, suivie le lendemain de pillages de magasins et de maisons à LANGOIRAN et dans les environs ; des embuscades navales sur la GARONNE arraisonnèrent et pillèrent des bateaux chargés de grains et de farine.

Et pourtant, du grain, il y en avait encore. Pas beaucoup, certes, mais un peu tout de même.

Certainement pas assez pour aller jusqu'à la soudure, mais assez pour approvisionner chichement les marchés pour quelques temps encore.

Or il s'ouvre ici une polémique dans laquelle nous n'entrerons pas. Les négociants prétendaient qu'il eût été dangereux de présenter ces grains sans restriction sur les marchés jusqu'à épuisement des stocks et de se retrouver ensuite avec six à huit semaines de pénurie totale.

Le bon peuple qui avait faim rétorquait que l'on stockait le grain dans les greniers afin d'en entretenir la rareté et d'en faire monter progressivement les cours. Il se pourrait bien qu'il y eût un peu de vrai dans chacune des deux propositions.

Le 11 Mai, l'émeute éclate à PODENSAC, et le lendemain mercredi 12, c'est dans une atmosphère lourde et tendue que s'ouvrit le marché de VILLANDRAUT. Il y avait là, alignées sur place, une soixantaine de charrettes venues d'un peu partout, et en particulier de la Lande.

Chacune portait quelques sacs de grain, peu nombreux, et les bouviers se tenaient à côté.

Les chalands passaient et repassaient, cherchant à se faire une idée des quantités proposées et supputant le prix qui allait se pratiquer au Moment de l'ouverture du cours qui, traditionnellement, était fixée à onze heures. Nombre de bouviers n'avaient d'ailleurs pas des intentions bien claires car ils avaient recouvert leurs quelques sacs avec la provision de fourrage de leurs bœufs.

C'était le signe que, le moment venu, ils s'abstiendraient peut-être de proposer leur marchandise si le prix n'atteignait pas le niveau de leurs prétentions. Ce comportement spéculatif était contraire à tous les usages du marché. Tous les témoins de ces évènements rapporteront par la suite ce qu'ils avaient perçu de malsain dans cette situation. Depuis 9 heures, les gens venus de toutes les paroisses avoisinantes et bien au-delà, rodaient autour de ces charrettes.

Une Budossaise dénommée MARIANE, sorte de passionaria avant la lettre, parcourait activement le marché en y prodiguant des déclarations fracassantes, disant à qui voulait l'entendre:

"qu'ils verroient quelque chose de joly à l'heure de marché ; que le jour précédent, on avoit enlevé les blés à POUDENSAC et qu'on en ferait autant icy..."

L'émeute éclata à 11 heures. Le dénommé NOAILLAN, qui était de LANDIRAS, s'approcha d'un chariot situé au milieu de la place et se mit à :

"découvrir ledit chariot des fourrages dont le bouvier estoit muni..., se chargea un sac remply de grain qu'il emporta. "

Dans le même instant, MARIANNE, la Budossaise, monta sur une autre charrette et :

"de ce moment le marché fut remply d'une populasse qui suivit le même exemple et dans moins d'une demy (heure) ou trois quarts d'heure, tous les grains quy estoient sur la plasse sur des chariots, quoiqu'au nombre d'une soixantaine, furent enlevés."

En fait, la situation se révéla des plus confuses. Certains payèrent leur seigle à raison de six Livres le boisseau, ce qui était un prix normal pour un temps d'abondance, mais certainement pas pour un temps de pénurie.

D'autres payèrent un boisseau et profitèrent de la confusion pour en emporter trois ou quatre. La grande majorité enfin ne paya rien du tout et se livra à un pillage pur et simple.

Dans l'après midi, la troupe des manifestants se reconstitua et se dirigea vers l'auberge tenue par le dénommé PEYRAGUE. Celui-ci disposait d'un vaste grenier qu'il louait habituellement à des négociants pour la plupart landais, afin d'y entreposer leurs grains entre deux marchés.

Le pauvre homme, effrayé, s'était barricadé avec sa femme et refusait d'ouvrir à quiconque.

On alla chercher des bancs dont on se servit comme bélier, sa porte n'y résista pas. Il tenta bien de raisonner les émeutiers, mais en vain. Une véritable foule envahit sa maison et se précipita dans l'escalier des greniers "qui sont sur le corps de la maison". Il y avait là tant de monde que l'on put craindre un moment que le plancher ne s'effondre.

Ce fut la curée... Une partie du grain, essentiellement du seigle, était en vrac, et une autre en sacs. Ceux qui étaient assez forts s'emparaient d'un sac et partaient "en l'emportant sur le col".

Les autres remplissaient ce qu'ils pouvaient, les femmes leur tablier dont certains cédaient sous le poids, les hommes leur chapeau, les garçons leur bonnet, les jeunes enfants leurs petits sabots, des paniers, des petits sacs pour ceux qui avaient pu en trouver, et tout ce monde allait, venait, se bousculait, se disputait, vociférait dans un désordre absolument indescriptible.

Ce pillage dura plusieurs heures, jusqu'à ce que ces greniers soient entièrement vidés.

Mais c'est alors que l'on s'avisa qu'il y avait encore un autre grenier, indépendants, et auquel on ne pouvait accéder que par un petit chai attenant à la cuisine de PEYRAGUE.

Les émeutiers voulurent entrer dans ce petit chai dont PEYRAGUE avait soigneusement fermé la porte. Il voulut s'interposer, mal lui en prit, il reçut un magistral coup de poing au-dessus de l'oeil dont il fut tout ensanglanté.

C'est le dénommé BONNEVILLE, de la paroisse de BOMMES, qui menait cet assaut. Il se saisit de la barre de fer du foyer. La femme de PEYRAGUE voulut la récupérer, elle fut repoussée sans ménagement :

" Chienne ! Bougresse ! Putain ! tu retiens les grains pour faire mourir les gens de la campaigne !.."

Et à grands coups de barre cette porte fut à son tour enfoncée, donnant accès à un autre escalier conduisant à un autre grenier. Là, le grain était en sac et l'on organisa une sorte de chaîne pour le conduire jusqu'à la fenêtre en face de la maison de Martin TREVET.

Au pied de la fenêtre se tenait une charrette attelée, et sur cette charrette s'activait.... Etienne FERRAND Cadet :"auquel on donnoit les sacs pleins de grain, qu'il recevoir par la fenêtre et déposoit sur ladite charrette..."

A 35 ans, et en dépit de toute considération de statut social, FERRAND Cadet n'était pas encore assagi. Il courait encore à l'émeute comme le militaire marche au canon. Bien entendu, il fut aisément repéré, et au cours de l'enquête qui s'ensuivit, on privilégia la perquisition au moulin du CASTAING.

On interrogea tout spécialement Jean BOUCHER, le valet du moulin, mais on ne put en tirer grand chose. Il se souvint d'avoir accueilli des gens de LANDIRAS qu'il ne connaissait pas et qui lui avaient donné quelques sacs à moudre, mais il ne savait rien de plus. On saisit néanmoins quatre toiles de sac qui portaient des marques de provenance de la Lande et qui pourraient éventuellement servir de pièces à conviction.

En fait, et en dépit des plaintes déposées par les négociants spoliés, cette affaire n'eût pas de suite, pas plus qu'aucune autre affaire de sédition survenue dans la Province pendant cette quinzaine agitée.

Des instructions venues de très haut semblent bien avoir arrêté le cours de la Justice pour ne pas relancer des troubles encore plus graves. Ce genre de délit relevait en effet de la compétence du Parlement de BORDEAUX et aurait dû être sanctionné au moins de peines de galère à temps, sinon à perpétuité car l'importance des dommages était considérable.

La seule plainte de deux négociants de BOURIDEYS porte sur 180 sacs de seigle, et nous savons que bien d'autres marchands de PRECHAC, de SABRES et autres lieux avaient du grain entreposé dans ces greniers. C'est donc dire que l'affaire avait été importante, et FERRAND, là-dedans, ne s'était pas contenté de remplir son chapeau...

La récolte de 1773 fut magnifique. Après des années de disette puis de franche famine, l'abondance était enfin revenue.

Il y avait presque dix ans que l'on n'avait vu de pareils rendements. C'est bien peut-être pour cela que le Pouvoir Royal décida de passer l'éponge sur les délits commis pendant la famine.

Il pouvait y avoir quelqu'intérêt politique à oublier cette sombre période puisque la nature elle-même semblait montrer l'exemple.

Sommaire.

     Ferrand Cadet a des problèmes avec les autorités
 mais c'est lui qui a raison.

A quelques mois de là, FERRAND Cadet se trouva une fois encore en porte à faux vis-à-vis des autorités ; mais pour une fois, il faut bien reconnaître qu'il était dans son droit.

Le "Tableau" dressé de longue date le désignait comme collecteur des Tailles de VILLANDRAUT pour l'année 1774.

Mais nous avons vu qu'il avait quitté cette paroisse fin Avril 1773 pour aller s'installer au moulin du CASTAING à NOAILLAN. Il n'avait donc plus aucune attache avec VILLANDRAUT, pas même par une propriété quelconque, puisque tous ses biens, ainsi que ceux de sa femme, se situaient sur la paroisse de NOAILLAN.

Il considérait donc, avec juste raison qu'il n'avait plus à exercer la charge de Collecteur dans une paroisse qui lui était devenue parfaitement étrangère. C'est ce qu'il exposa à ses anciens concitoyens qui voulurent bien l'admettre dans une délibération du 13 Mars 1774 :

"reconnoissant que (FERRAND) n'est plus leur habitant depuis onze mois ou environ..."

Et dans le même temps, ils lui désignaient un successeur. Cette mesure était d'autant plus justifiée que, dans l'intervalle, les Notables de NOAILLAN le voyant revenir parmi eux s'étaient empressés de le désigner dès cette année-là comme Collecteur de leur propre paroisse.

Le "passage à la Collecte" était considéré par tous et partout comme une charge extrêmement désagréable mais que l'on ne pouvait que très difficilement éluder. Il restait à convaincre les autorités fiscales qui voyaient toujours d'un très mauvais oeil toute modification au Tableau établi.

C'est ce qu'entreprit FERRAND dans une supplique qu'il adressa à Messieurs les Présidents Lieutenants Conseillers Elus en l'Election de GUYENNE. Et il obtint satisfaction avec la stupéfiante rapidité de réaction que l'Administration Royale montrait en toutes circonstances.

Que l'on en juge plutôt. FERRAND rédigea sa supplique à NOAILLAN le Lundi 14 Mars 1774. Le lendemain 15, elle était chez Monsieur de COPMARTIN à BORDEAUX qui ordonnait sur le champ de la communiquer pour avis à Monsieur DROUILLARD, Procureur du Roy, lequel donnait incontinent un avis favorable et la retournait à Monsieur de COPMARTIN qui eut encore le temps de donner son accord le soir même et FERRAND reçut sa réponse favorable dans la journée du Mercredi à NOAILLAN....

Il y a bien peu de chances pour que nos administrations modernes soient à même d'en faire autant en dépit des moyens de communication dont elles peuvent disposer.

Sommaire.

     Peut-être une lueur sur une question pendante.

A quelque temps de là, survint une affaire qui n'a rien à voir avec FERRAND lui-même, mais qui pourrait peut-être nous éclairer quelque peu sur les conditions plutôt curieuses dans lesquelles il a géré pendant plusieurs années le moulin de VILLANDRAUT.

En effet, le 3 Mai 1774, une certaine Marguerite FLOUS, veuve de Vital DUBERNET, se présente chez Me PERROY, Notaire à NOAILLAN et lui demande de signifier à son Beau-Frère Jean DUBERNET que, pour raison de dettes, elle renonce formellement à la succession de son défunt mari. Et en cette occasion, elle lui expose sa triste histoire.

Elle était tombée veuve une première fois du meunier de VILLANDRAUT, et :

"se remariant avec (Vital) DUBERNET qui entra adventice chez elle sans y rien porter que son corps, elle croyoit prendre un mary intelligent et laborieux, mais tout au contraire elle n'éprouva, ledit mariage accomply, que paresse et dissipation de sa part de ce qu'elle avoit en main. Beaucoup d'inconstance et de légèreté dirigeoient ses pas et mauvaises affaires ; et enfin, après l'avoir supporté plusieurs années dans les pleurs et gémissements, il décéda au moulin de VILLANDRAUT, sans autre chose (lui) laisser que l'embarras du moulin qu'il avait à ferme, (laquelle) estoit due et (qu'elle) a été forcée de payer de ses travaux et économies pendant la continuation de cette ferme..."

Elle entendait donc désormais se tenir à l'écart d'une succession très obérée et se mettre à l'abri des créanciers qui l'assaillaient.

Cette affaire pourrait bien expliquer l'intervention de FERRAND dans ce moulin à partir de 1766. Ce ne sera qu'une hypothèse car, on l'aura noté, il n'est ici question de lui nulle part.

Mais il n'y a qu'un seul moulin à VILLANDRAUT, et par ailleurs, la veuve DUBERNET, dans son acte, avait un intérêt au moins moral à dire qu'elle avait payé cette ferme "de ses travaux et économies" plutôt que d'exposer qu'elle l'avait confiée à un tiers.

On peut donc peut-être avancer prudemment que Marguerite FLOUS a conservé la responsabilité de sa ferme vis-à-vis du Seigneur, mais qu'elle a fait venir FERRAND pour l'exploiter. Ceci pourrait éventuellement expliquer l'absence des Procès Verbaux de transmission de pouvoirs sur le moulin.

Mais il faut bien reconnaître que cette explication n'est pas tout à fait satisfaisante car Marguerite FLOUS, nous le savons par ailleurs, a quitté le moulin pour aller s'établir au Bourg de VILLANDRAUT, tandis que FERRAND s'installait à sa place. Alors pourquoi n'avoir pas simplement passé avec lui un contrat de sous-ferme comme cela se faisait si souvent ? La question restera entière tant que d'autres documents n'auront pas été découverts.

Sommaire.

     Et maintenant un procès devant
le Tribunal de Commerce de Bordeaux.

Entre temps, FERRAND Cadet poursuit un procès contre le boulanger de VILLANDRAUT. Il lui a vendu tant et plus de marchandises et ne peut s'en faire payer.

Cette fois-ci, la dette est d'importance puisqu'elle atteint 443 livres et 11 Sols, et elle se plaide devant la Cour de la Bourse à BORDEAUX, car il s'agit d'un litige entre commerçants. En deux Arrêts successifs, FERRAND a gain de cause sur toute la ligne et obtient même un droit de contrainte par corps sur son débiteur.

Il peut donc le faire enfermer dans la prison seigneuriale jusqu'au paiement de sa dette.

Jean DESSALLES, le Maître Boulanger débiteur prend ce risque très au sérieux et :

" pour s'en mettre à l'abry et pourvoir à sa libération.."

décide de vendre une grande pièce de pignadas qu'il possède au lieu-dit de MAGRIN, près du Bourg de St LEGER, sur le chemin qui mène au GUIGNET.

Elle lui est achetée, le 19 Avril 1775, par un certain Jean MARTIN, de St SYMPHORIEN, qui la lui paye comptant pour un montant de 670 Livres. FERRAND rentrera donc dans ses fonds et le boulanger sera libéré.

Mais, très exactement au même moment une vive contestation se manifeste dans VILLANDRAUT. 

Sommaire.

     L'affaire des péages perçus
sur les radeaux au franchissement des moulins.

Messieurs DUROY, Seigneur de NOAILLAN, propriétaire du moulin du CASTAING et De RUAT, propriétaire du moulin de LA SALLE, ont institué une taxe de 10 sols par radeau pour le passage des retenues de leurs moulins respectifs.

C'est déjà une vieille histoire. On avait souvent demandé (et on demandera encore souvent) que le CIRON soit rendu navigable au moins depuis LA TRAVE, sinon depuis BEAULAC, et jusqu'à son embouchure.

Le coût des travaux à entreprendre avait été jugé hors de proportion avec l'intérêt que l'on pouvait en attendre.

Par contre, il était bien convenu qu'il devait être flottable, et que tout devait être fait pour entretenir cette faculté indispensable à la vie régionale. C'est dans cet esprit que les deux propriétaires de moulin avaient ménagé dans leur digue des "pertuis" que l'on ouvrait à la demande pour faire passer les radeaux.

Mais cette opération avait l'inconvénient d'interrompre, un temps, le travail du moulin, la plus grande part de l'eau s'échappant par le pertuis lors de son ouverture. En amortissement du prix des travaux et des servitudes imposées par les passages, Messieurs DUROY et De RUAT avaient instauré un péage de 10 sols par radeau.

C'est ce que dénonçaient vigoureusement les populations tributaires de ces transports. Elles savaient pertinemment que le gouvernement de VERSAILLES pourchassait les péages injustifiés et, faute d'avoir pu aboutir auprès de l'Intendance à BORDEAUX, c'est au Contrôleur Général que les habitants de VILLANDRAUT s'adressèrent le 18 Avril 1775 :

"Un abus qui s'est glissé depuis quelques temps dans ce pays-ci et dont nous sommes les malheureuses victimes ainsi qu'un nombre infini d'autres particuliers nous force de réclamer votre autorité et votre justice.

"Les Sieurs DUROY et De RUAT, chacun d'eux propriétaire d'un moulin sur le CIRON, petite rivière qui coule des sables arides de la lande dans la GARONNE et qui s'y jette à six lieues au-dessus de BORDEAUX, entre la paroisse de PREIGNAC et celle de BARSAC, ayant bâti sans aucun droit depuis environ six ans chacun une écluse pour faire flotter les radeaux de planches, échalas, bûches de pin, forcent ceux qui y passent à leur payer un droit de péage exorbitant, sans même différencier la qualité de la marchandise. Ce droit est de dix sous par radeau, en sorte qu'un cent de bûches de pin qui est de très peu de valeur paye le même prix et enlève au propriétaire la moitié du net produit de cette denrée en enrichissant les propriétaires de ces moulins et leurs fermiers qui, se croyant tout permis, vexent les particuliers qui sont dans la nécessité de prendre cette voie pour les transports de leurs bois.

"Les habitants d'une contrée aussi maltraitée par la nature que celle que nous habitons seroient plongés dans la plus grande misère si Votre Grandeur, Monseigneur, ne nous tend une main secourable; ils osent espérer qu'elle voudra bien supprimer toutes sortes de droits perçus illégalement sur cette petite rivière et la rendre libre pour la navigation..."

Précisons bien que, contrairement à ce qui est dit ici, il ne s'agit pas d'écluses, mais de simples bâtards amovibles débouchant sur des plans inclinés.

Par contre, il est tout à fait vraisemblable qu'Etienne FERRAND ne devait pas mettre beaucoup de complaisance à interrompre le travail de son moulin pour faire passer un radeau, ce qui ne devait pas manquer de déboucher sur nombre de contestations dont les habitants de VILLANDRAUT se font ici l'écho.

L'affaire ne faisait que commencer. De rapports en enquêtes, elle connut de nombreux rebondissements et ceci dura jusqu'à la Révolution.

Sommaire.

     Un témoin peu coopératif.

Entre temps, FERRAND cascadait toujours de procès en procès.

En Août 1775, il poursuit "au criminel" Jean DUBOURG, un charron, devant le Tribunal de CASTELNAU de CERNES. Le motif de sa plainte ne nous a pas été conservé, mais la vigueur qu'il déploie pour faire comparaître les témoins a laissé des traces.

Il avait fait citer JEANTILLON de LAURENS à l'audience du 28 Août :

"pour déposer de vérité en l'information qu'il entend faire faire.."

mais le témoin ne se présente pas :

"et attendu que l'heure de huit heures intimée par ledit exploit est échue, (et) même celle de neuf, pour l'avoir vue à une montre portative et à l'aspect du soleil et que ledit JEANTILLON de LAURENS n'a tenu compte de se présenter pour déposer en ladite information..."

Le procureur de FERRAND demande qu'il soit condamné à dix Livres d'amende et qu'il soit reconvoqué à une autre audience sous la contrainte d'un doublement de cette peine. Et sur le champ, il en est ainsi jugé. Mais nous allons voir tout à l'heure, dans une autre affaire, que FERRAND peut faire bien mieux et aller beaucoup plus loin.

Sommaire.

     Le moulin du Bascans a des problèmes.

Entre temps, en Septembre 1775 Guillaume LARRUE quitte le petit moulin du BASCANS, près du Bourg de NOAILLAN et FERRAND se met en quête d'un autre meunier.

Il le trouve en la personne de Jean VIALE avec lequel il passe contrat le 27 Septembre.

Les conditions sont identiques à celles que nous avons déjà rencontrées deux ans plus tôt.

La définition de la zone de chalandise est la même, les accords de réciprocité en cas de caprice des eaux sont identiques. Mais il est intéressant de noter que le prix de la ferme a baissé.

Des 250 Livres annuelles et deux paires de canards demandées à Guillaume LARRUE en 1773, on passe à 190 Livres et trois paires de poulets. Ce n'est pas un signe de santé pour l'exploitation. Avec sa meule unique et son risque chronique de manque d'eau, c'est un tout petit moulin qui, au surplus n'est pas au mieux de son état puisque FERRAND s'engage à :

"mettre ledit moulin en état de moudre avec ses appartenances et (ses) dépendances.."

et qu'il lui faudra :

" pendant le cours de la première année ... faire révizer et mettre en état la gourgue bassin dudit moulin."

Nous aurons l'occasion de voir qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé et que le moulin de LEOGEATS présentera lui aussi bientôt quelques problèmes.

Sommaire.

     Des voleurs récalcitrants.

A l'entrée de l'hiver de 1775, Etienne FERRAND n'est pas content. On lui a volé du bois, et il accuse nommément SANSON et le Petit DEMANGEON, deux métayers de le lui avoir pris.

Le 23 Novembre, ils sont cités à comparaître devant le Tribunal de CASTELNAU de CERNES sur un Décret d'ajournement personnel, autrement dit comme prévenus libres. Or, ils ne se présentent pas, et pas davantage aux audiences suivantes. Le temps passe et l'on en vient à l'audience du 15 Janvier 1775 où le procureur de FERRAND demande qu'ils soient appréhendés et conduits en prison.

Le Juge estime que c'est aller un peu vite en besogne et décide de leur donner une dernière chance en leur adressant une nouvelle citation, ordonnant :

"qu'ils viendront dans le délay de trois jours pour rendre leurs auditions..."

On ne les voit pas davantage ; l'affaire traîne encore, FERRAND est de plus en plus impatient; enfin, à l'audience du 26 Février 1776, le Juge ordonne :

" qu'(ils) seront pris et saisis au corps, conduits et constitués en bonne et sûre garde prisonniers ez prisons de la présente Juridiction..."

Et c'est bien ce qui va se passer, car, sentant que leur affaire tourne mal, ils finiront par se présenter d'eux-mêmes à la prison de Saint LEGER où ils seront aussitôt incarcérés. 

Mais ils demandent au Juge de les élargir tandis que FERRAND s'y oppose. Finalement, le 13 Mai 1776, le Juge accepte de les libérer moyennant l'exigence du serment de se représenter devant la Cour à première demande. Il ordonne :

"que les portes desdites prisons leur seront ouvertes par le geolier d'icelles.."

Leur séjour en prison leur ayant donné à réfléchir, leur procès pourra se poursuivre en qualité de prévenus libres.

Etienne FERRAND, entre temps, a bien d'autres soucis en tête. 

Sommaire.

     Un syndic paroissial contesté.

Depuis trois ans, il était devenu Syndic de la Paroisse de NOAILLAN.

C'est dire qu'il était chargé de défendre les intérêts de la Communauté, en la représentant au besoin en Justice et en parlant en son nom auprès des diverses autorités : l'Intendant, le Seigneur, le Curé, etc.. On n'ose avancer l'image d'un Maire car l'institution était alors parfaitement inconnue dans les Communautés rurales, mais il en avait cependant quelques uns des pouvoirs.

La désignation s'en faisait au cours d'une Assemblée Capitulaire réunie un Dimanche autour de l'Eglise à la sortie de la Messe. Seuls y votaient les notables locaux reconnus comme tels car il n'y avait aucune liste et pas davantage de pointage.

FERRAND avait donc été ainsi désigné, mais il avait voulu prendre un certain nombre d'initiatives, notamment en matière fiscale, et cela n'avait pas plu à tout le monde. Ce qu'une Assemblée Capitulaire avait fait, une autre pouvait le défaire.

Et c'est ainsi que la contestation croissant, une nouvelle Assemblée avait été convoquée pour le 4 Août 1776. Il s'y trouva 29 bourgeois, artisans et propriétaires fonciers :

"tous habitants du Bourg et Paroisse du présent lieu et tous propriétaires et biens-tenants de ladite Paroisse, composant la majeure partie d'ycelle et les plus notables, (agissant) tant pour eux que pour les autres propriétaires... absents. Et ont dit qu'il y a environ trois ans qu'ils prirent et choisirent pour leur Syndicq Estienne FERRAND, dit CADET, meunier, habitant au lieu de CASTAING... Les comparants ayant des raisons (par) devers eux, déclarent par ces présentes révoquer... ledit FERRAND dans sadite charge de Syndicq et nomment d'une unanime voix à son lieu et place ...Bernard FONTEBRIDE..."

Cet acte de révocation fut signifié à l'intéressé le jour même dans son moulin.

Mais pour bien comprendre la portée du geste, il faut rappeler que ce Bernard FONTEBRIDE est l'ancien meunier du CASTAING, l'ennemi intime de FERRAND avec qui il a été maintes fois en procès, et en particulier en 1765, pour les questions de voisinage que nous avons déjà longuement évoquées. 

Sommaire.

     Ferrand Cadet tente un coup de force qui échoue.

Cette désignation constituait donc pour lui un véritable camouflet. Aussi, FERRAND intriguait-il en sous main dans la Paroisse.

En particulier, poursuivant son idée de réforme fiscale, et pour arriver à ses fins, il cherchait à prendre la place du Collecteur des Tailles de l'année suivante en lui proposant d'échanger son tour au Tableau.

Proposition peu banale quand on sait combien cette responsabilité était redoutée de chacun... Mais la chose se sut rapidement dans le village, et FONTEBRIDE, le nouveau Syndic, convoqua une nouvelle Assemblée Capitulaire pour le Dimanche 8 Septembre à la sortie des Vêpres.  

L'affaire avait dû être jugée d'importance car cette fois-ci, ils se retrouvèrent 78 notables. Il n'y manquait que le Curé, mais cela n'a rien d'étonnant puisqu'il était exempté du paiement de la Taille.

A la différence de la première, cette Assemblée avait pratiquement fait le plein de tous ceux qui étaient susceptibles d'y participer. C'est Bernard FONTEBRIDE, le nouveau Syndic qui conduisit les débats.

Il rappela tout d'abord qu'en le désignant le 4 Août écoulé, on lui avait bien recommandé de s'opposer à toute modification des tours de passage au Tableau.

Or, il venait d'être informé des manoeuvres de FERRAND visant à devenir Collecteur des Tailles pour l'année 1777 à la place de celui qui était normalement désigné. Il estimait donc utile d'en informer la Communauté. Une Communauté d'ailleurs parfaitement instruite d'une situation dans laquelle elle ne voyait que manigances d'un FERRAND cherchant à :

"se venger de ce que les délibérants (l'avaient) prié de cesser ses fonctions de Syndicq dans laquelle il auroit voulu se perpétuer et porter la désunion (entre) ses membres... ce que voulant entièrement prévenir, ils (décident) de charger.. Bernard FONTEBRIDE, leur Syndicq actuel de veiller à ce que l'on ne fasse pas adopter un nouveau Tableau jusqu'à l'extinction de l'ancien, ny qu'on porte dans l'ancien aucune innovation quelconque en faisant faire pour l'année prochaine la collecte par ledit FERRAND..."

Les choses sont donc bien claires, FERRAND a perdu tout crédit, et personne ne veut plus de lui dans les affaires publiques.

L'ambiance à NOAILLAN est électrique, on ressort de vieilles affaires, on en suscite d'autres, les situations les plus banales deviennent explosives. FERRAND trouve évidemment une place de choix dans un tel contexte; il est tout à fait dans son élément.

Sommaire.

     Hold up nocturne sur des choux.

NOAILLAN, se présente au moulin du CASTAING pour y acheter un sac de farine.

Il porte un sac vide d'une main, et tient un écu de 6 Livres dans l'autre. Au moment où il paye, FERRAND Cadet l'apostrophe et lui dit:

"Lous as aymats lous mèns caoulets ? "(Les as-tu aimés mes choux ?)

DUBOURG ne sait trop quoi répondre; alors FERRAND se déchaîne et le traite de :

" foutu pinson, foutu voleur et foutu fripon.."

et ceci en présence de diverses personnes se trouvant pour lors dans la cour du moulin. DUBOURG se défend en disant que s'il a pris des choux dans le jardin de FERRAND, c'est avec l'autorisation de son valet, ce que FERRAND conteste vigoureusement.

Dans l'instant, l'affaire en reste là. Mais deux jours plus tard, DUBOURG va déposer plainte pour injures auprès du Juge de NOAILLAN. Il raconte que FERRAND l'a injurié sans raison :

" d'un propos délibéré et sans le moindre sujet..."

mais il se garde bien de souffler mot de l'affaire des choux.

Le lendemain, on commence à interroger les témoins qui, à quelques infimes détails près sont tous bien d'accord sur le déroulement de l'affaire. Au moment du paiement, FERRAND lui a bien demandé s'il avait aimé ses choux, l'autre lui répondant qu'il en avait mangé l'année dernière après être allé les cueillir dans son jardin avec la permission de son valet, ce que FERRAND avait contesté.  

L'enquête se termine sur un Décret d'ajournement personnel lancé contre FERRAND. Mais celui-ci n'était pas resté inactif, le même jour, il déposait une plainte contre X pour le vol de ses choux disant :

"qu'il possède, attenant à sa maison, au lieu de PEYREBERNEDE, un grand jardin potager fermé de murailles qu'il fait cultiver pour son nécessaire, où, l'hiver dernier, il avoir fait venir grande quantité de choux verts bien pommés, d'une grosseur prodigieuse quy, dans le mois de Janvier et Février derniers luy furent nuitamment volés et enlevés. 

N'ayant pu découvrir les auteurs de ce vol, il garda le silence, ne s'attendant pas à une récidive. Cette année ayant fait venir dans le même jardin même quantité et plus de choux, qui avoient pommé de toute perfection, vendredy nuit, tirant à samedy, hier nuit et la (nuit) passée, on luy a enlevé aussy nombre desdits choux coupés au pied, (et) d'autres qu'ils ont laissé sur le lieu...."

A partir de là, tout l'appareil se remet en branle, et l'on interrogera neuf témoins. Ils ont vu quelques choux manquants et trois choux coupés restés à terre, on n'ira pas beaucoup plus loin.

Finalement, des amis communs interviendront sans trop tarder. Le ler Décembre, ils réuniront les deux parties dans l'Etude de Me PERROY Notaire à NOAILLAN.

François DUBOURG, dont la position n'était pas absolument nette fit les frais de l'opération. Il accepta de dédommager FERRAND des frais de procédure qu'il avait engagés jusque là, soit 42 Livres et 3 Sols, une coquette somme dont DUBOURG ne disposait manifestement pas.

Il fallut prévoir un échelonnement du paiement sur deux ans, sans intérêt. Certes, si l'affaire est exacte (restons ici sur un conditionnel prudent), il est bien désagréable de se faire voler ses choux, mais avec la tournure donnée à l'affaire, gageons que notre meunier ne s'est certainement pas fait là un ami...

Sommaire.

     Ferrand Cadet fait de la résistance.

Etienne FERRAND a mal vécu son éviction de la fonction de Syndic. Il ne fait rien pour reconquérir son crédit perdu.

On dirait même qu'il se fait un plaisir de provoquer les gens. Nous avons vu comment les habitants de VILLANDRAUT le mettaient en cause pour le peu de complaisance qu'il montrait lors des passages d'eau sur la digue de son moulin.

Ces habitants dénonçaient ces fermiers :

"qui se croient tout permis et vexent les particuliers qui sont dans la nécessité de prendre cette voie..."

Le temps passant n'a rien arrangé, et FERRAND n'en fait qu'à sa tête.

André PLANTEY, "voiturier sur le CIRON", habitant à VILLANDRAUT, avait pris en charge un gros marché de transport de bois à destination de PREIGNAC, il avait :

" fait faire sept radeaux, savoir six de planches refendues dont le tout formait soixante douzaines et demy, et un de bûches de pin composé de deux cent cinquante (bûches) avec lesquels il s'était rendu le jour d'hier audit moulin du CASTAING. 

Il (a) envoyé un de ses gens quy menoit l'un des radeaux pour payer audit FERRAND ce qu'on paye ordinairement pour le passage du (pertuis) dudit moulin (dont le montant) est, pour chaque radeau (de) dix sols. 

Ce que ledit FERRAND refusa de prendre et même (il a) fermé ledit (pertuis) pour... empêcher de passer lesdits radeaux. 

Et comme ce refus, de la part dudit FERRAND, est contre toute justice et porte (au voiturier) un préjudice considérable... parcequ'(il) n'a pu (livrer) ce jourd'huy ainsy qu'il s'y estoit obligé lesdites planches et bûches au lieu de PREIGNAC (et) qu'il (sera) obligé de payer le retardement aux persones quy (avaient commandé) les radeaux (et) enfin qu'il pourra très bien arriver qu'il y aura un déficit tant sur les planches que sur les bûches..."

Moyennant quoi, André PLANTEY adresse à FERRAND une sommation par acte notarié lui enjoignant de laisser passer ses radeaux contre le paiement du droit de passage qu'il tient à sa disposition.

Et le Notaire, Me LATASTE, se rend aussitôt au moulin, car le temps presse. Le préjudice s'accroît incontestablement au fil des heures et c'est pourquoi la notification est ici d'une précision tout à fait inhabituelle :

"(Acte notifié le même jour par Me LATASTE) :

à onze heures et quart du matin ainsy qu'il nous a paru à une montre portative, au domicile dudit FERRAND, parlant à sa femme qui a pris copie de l'acte cy-avant ... '

Lequel FERRAND en la circonstance, se sera, encore une fois, fait un nouvel ami...

A quatre jours de là, le 3 Février 1777, nous faisons une découverte plutôt stupéfiante.

Sommaire.

     Coup de théâtre !

Étienne FERRAND Cadet est Collecteur Principal des Tailles de la Paroisse de NOAILLAN pour l'année 1777 !!! Comment a-t-il pu parvenir à ses fins contre la volonté nettement affirmée de toute la population ?

Aucun texte, aucun indice, aucune allusion ne nous fournit la moindre indication sur cette surprenante décision. Que s'est-il passé au fil des derniers mois de 1776 ? Nous n'en savons strictement rien et, sauf à découvrir de nouveaux documents, il faudra nous résoudre à demeurer dans cette ignorance. Mais le fait est parfaitement incontestable, FERRAND est Collecteur en titre pour l'année nouvelle, ce qui va lui attirer d'ailleurs pas mal d'ennuis sur lesquels nous sommes nettement mieux renseignés.

Sommaire.

     Ferrand Cadet
envisage une réforme de la fiscalité locale.

Son idée majeure est de procéder à une réforme fiscale; une idée qui, en soi, n'est pas mauvaise, loin de là. De quoi s'agissait-il ?

Chaque année, à la fin Janvier, l'Intendance communiquait à chaque paroisse le montant global de son imposition. Ce chiffre était annoncé le Dimanche suivant à toute la population réunie à la sortie de la Messe et il appartenait ensuite aux Collecteurs désignés pour l'année d'en répartir le montant entre chacun des contribuables au prorata de leur fortune, essentiellement appréciée sur le fondement de leur patrimoine foncier et de leurs signes extérieurs de richesse.

En admettant que ce mode de répartition ait pu être bon en un moment donné, il devenait rapidement caduc si on n'en remettait pas les bases en cause chaque année. Lorsque quelqu'un s'appauvrissait, par la vente d'un bien par exemple, il s'empressait de le faire savoir aux Collecteurs afin d'être moins imposé l'année suivante.

Mais lorsqu'un quidam s'enrichissait, il se gardait bien de le signaler à quiconque, et si les Collecteurs manquaient de vigilance, l'assiette de l'impôt s'en trouvait faussée. Le cas était beaucoup plus fréquent qu'on ne pourrait le croire.

Ce pouvait être par exemple la prise en fermage d'une prairie ou d'une terre appartenant au Seigneur ou au Curé, donc exempte de Taille au titre de bien privilégié, mais qui s'y trouvait soumise à partir du moment où elle passait dans l'exploitation d'un manant.

D'ailleurs nous allons rencontrer un peu plus loin un exemple concret de ces discrètes mutations. Tout ceci revient donc à dire qu'il était mauvais de ne jamais remettre en question l'assiette du Rôle.

Or c'est bien ce qui s'était passé à NOAILLAN depuis longtemps, et c'est précisément ce que FERRAND contestait. Il voulait remettre à plat cette assiette pour en définir une nouvelle établie contradictoirement, après avoir entendu chacun des contribuables.

L'idée était donc plutôt bonne, mais elle menaçait trop de situations acquises, parfois depuis longtemps, pour ne pas rencontrer une franche hostilité dans la majorité de la paroisse.

FERRAND en avait fait, par deux fois, une première expérience en 1776, obstacle qu'il avait surmonté au prix de nous ne savons quelle intrigue, mais qui ne constituait que le premier acte d'une pièce qui restait à jouer.

FERRAND n'avait pas besoin des évaluations des années précédentes puisque c'est elles, précisément, qu'il voulait remettre en cause.

Par contre, il lui fallait absolument disposer de la liste des contribuables (très complexe avec les successions,. les indivisions, les fermages, etc..), et il ne pouvait la trouver que dans le Rôle de l'année précédente détenu en un seul exemplaire par Jean COMET, le Collecteur de 1776.

Et c'est là que l'attendaient ses opposants.

Sommaire.

Une vive opposition se manifeste.

Il avait reçu communication du montant global de l'imposition le 26 Janvier en fin d'après midi. Il le fit :

"lire et publier... (le) second (Février), jour de Dimanche, (à) l'issue de (la) Messe paroissiale, sur la place publique (de NOAILLAN). au peuple sortant et assemblé..."

Et il annonça qu'il procéderait, avec ses trois adjoints, le lendemain matin Lundi, sur la même place, à la confection du nouveau Rôle en demandant :

" que tous les habitants s'y trouvassent afin que justice soit rendue à chacun..."

Et pour plus ample précaution, le même avis fut renouvelé par cri public dans l'après midi du même Dimanche à la sortie des Vêpres. Dans le même temps, il demanda à Jean COMET "porte rôle" de l'année précédente et à ses adjoints :

"de s'y trouver aussy et d'y représenter leur rôle pour procéder à la (confection) du nouveau, ce que lesdits anciens Collecteurs promirent faire..."

Or, le Lundi matin,

"s'étant rendu sur (la) place publique sans y voir ledit COMET,... FERRAND s'est rendu chez luy et l'a requis de se rendre et porter son Rôle sur ladite place où nombre d'habitants estoient assemblés afin de procéder au Rôle de Taille de la présente année; ce que ledit COMET a refusé de faire. 

"Et un instant après, et comme on sortait de la Messe, il s'est néanmoins présenté sur ladite place, ayant son Rôle sous le bras. 

(FERRAND et ses adjoints) qui avaient fait préparer sur ladite place au devant (de) la maison de la... Veuve FAURENS, endroit le plus sec et commode, une table avec du papier et un écritoire, ont joint ledit COMET, et l'ont verbalement sommé d'y représenter son Rôle, ce qu'il a de nouveau refusé.

Et par mocquerie, il a affecté de se porter contre ladite table, son Rôle toujours sous le bras..."

Et là, en présence de divers témoins et de Me PERROY, Notaire requis pour effectuer le constat, FERRAND et ses Adjoints :

"ont de nouveau requis ledit COMET de représenter sondit Rôle pour, par eux, (être pris) communication de tous les taux, sans le déplacer de ses mains, pour procéder au... nouveau Rôle... A quoy ledit COMET a répondu qu'il n'en vouloit rien faire et s'est retiré."

C'est une situation extrêmement gênante, car FERRAND ne dispose d'aucun moyen de droit pour contraindre COMET à lui communiquer son Rôle.

Par ailleurs, le temps presse car la Taille se perçoit trimestre par trimestre, et le premier "quartier" est théoriquement exigible dès le ler Janvier.

Théoriquement puisque le montant de l'imposition ne lui a été communiqué que le 26 Janvier; mais à partir de cette date, le délai commence à courir et l'Administration surveille attentivement les conditions et les délais de la rentrée de l'impôt.

On ne peut se donner le loisir de procéder à la vaste enquête qu'exigerait la reconstitution d'un Rôle pour toute la paroisse en partant d'une feuille blanche.

Il faudrait pour cela bien des semaines et l'échéance du versement du premier quartier serait depuis longtemps dépassée.

C'est pour cela que FERRAND fait dresser un constat de la situation par le Notaire et en fait une sommation à COMET, le prévenant qu'il le rendra responsable devant qui de droit de tous les retards et toutes les conséquences qui pourront découler de son refus.

Que l'on se rassure, les impôts de NOAILLAN seront bien perçus, mais non sans quelques incidents de parcours.

En particulier, il est tout à fait louable de vouloir entreprendre une réforme fiscale, mais il faut pour cela être soi-même absolument au-dessus de tous soupçons.

Sommaire.

     Un oubli bien fâcheux.

Or, ce n'était pas tout à fait le cas de FERRAND Cadet.

Il avait affermé à Madame DUROY, la Seigneuresse de NOAILLAN, la moitié de la plus belle prairie de la paroisse pour un montant de 550 Livres annuelles, somme tout à fait considérable (représentant la valeur de 22 vaches ou de 220 moutons...).

Tant que ce bien était directement exploité par Mme DUROY, il était exempté de Taille mais dès lors qu'il était affermé par FERRAND, il s'y trouvait soumis.

Or, par un regrettable oubli, mais un simple oubli bien sûr, il se trouvait que FERRAND n'avait jamais signalé sa prise de fermage et la modification du statut fiscal de cette parcelle qui aurait dû être taxée pour 27 Livres et 10 Sols (5% du montant du prix de la ferme).

Dans le contexte de suspicion générale qui régnait désormais à NOAILLAN, une telle affaire ne pouvait passer inaperçue d'autant qu'elle entrait très exactement dans le cadre des anomalies que la réforme de FERRAND prétendait dénoncer.

Il a dû flairer le risque d'une dénonciation qui aurait été bien gênante car, le 21 Février 1777, alors que le nouveau Rôle venait tout juste d'être établi et communiqué depuis quelque jours à peine à l'Administration, Etienne FERRAND s'adresse à Messieurs les Présidents Lieutenants Elus en l'Election de GUYENNE, et, en accord avec ses Collecteurs Adjoints déclare :

"qu'en procédant à la faction de leur Rôle, ils ont omis de comprendre ledit FERRAND, Principal Collecteur pour la ferme qu'il tient de la moitié d'une praire appartenante à Madame DUROY à raison de cinq cent cinquante Livres par année qui, au moyen de ce, doit être imposée à vingt sept Livres dix Sols de pied de Taille, et trente Livres quatorze Sols pour menue impositions; et comme cet objet doit tendre à la décharge des habitants taillables, les (demandeurs) sont obligés de vous donner leur requête pour demander que ladite imposition soit mise au pied du Rôle de la présente année par le Greffier de la Cour de l'Election sous le nom d'Etienne FERRAND pour être ensuite remise aux Collecteurs qui entreront en charge l'année prochaine mil sept cens soixante dix huit à la décharge des habitants taillables de ladite paroisse."

Pour bien comprendre le sens de cette démarche, il faut bien se souvenir que la Taille est un impôt de répartition. Si, comme c'est le cas ici, on découvre un contribuable nouveau qui aurait dû prendre sa part de l'imposition globale, il faut reprendre la totalité de l'imposition, et restituer à chacun, au prorata de ce qu'il a payé, une fraction de la contribution apportée par le nouveau venu.

Tout serait donc à refaire, et ce ne peut être envisagé; d'où la proposition d'inscrire cette contribution en crédit pour venir en déduction de la somme globale qui sera imposée l'année suivante à la paroisse. Autrement dit, ce que FERRAND, par "oubli" n'a pas payé cette année, ce sont les autres qui l'ont payé à sa place, mais tout rentrera dans l'ordre l'année prochaine.

Avec son efficacité habituelle, cette affaire est traitée à BORDEAUX par l'Administration Royale en l'espace d'une seule journée. Le document reçu le matin au Bureau de l'Election fut aussitôt examiné, puis communiqué au Procureur du Roi qui donna son accord et la renvoya sur le champ à l'Election qui avant le soir du même jour trouva le temps de rédiger et renvoyer sa réponse.

Le montant de l'imposition supplémentaire devait être remis contre reçu aux Collecteurs de l'année 1778 :

"pour être ladite somme... d'autant moins répartie au soulagement des habitants taillables de (la) Paroisse de ...NOAILLAN,"

tandis que le reçu devait être déposé au Greffe de l'Election à titre de preuve engageant la responsabilité des futurs Collecteurs. Cette affaire aura donc coûté à FERRAND une majoration d'impôts annuelle de 58 Livres 4 Sols, mais il a mieux valu, dans le contexte du moment, qu'il "découvre" lui-même cet "oubli" plutôt que de le voir dénoncer par un autre contribuable de NOAILLAN, et tout spécialement par FONTEBRIDE, le nouveau Syndic Paroissial.

Car ce FONTEBRIDE est littéralement sa bête noire.

Avec des fortunes diverses, ils se poursuivent tour à tour devant toutes sortes de Juridictions. 

Sommaire.

     Comment faire une " affaire " avec rien ?

Ainsi, pendant le temps même des évènements que nous venons de relater, ils sont en procès devant la Cour de l'Election à BORDEAUX. Nous n'en connaissons pas le motif exact, mais il s'agit nécessairement d'une affaire fiscale, une affaire au demeurant bien modeste si l'on en juge par le montant de la condamnation : 12 Livres...

Et c'est FERRAND qui l'emporte. FONTEBRIDE est donc condamné à lui payer ces 12 Livres et, sans plus rien contester, il va vouloir les lui remettre tout aussitôt ; FERRAND les acceptant, l'affaire était close.

Mais ce serait bien mal le connaître de penser qu'il ne va pas trouver là l'occasion d'une nouvelle chicane. Il refuse cet argent et il le refuse plusieurs fois.

FONTEBRIDE en est très ennuyé, il veut en finir, et on le comprend.

Il va donc trouver Me LATASTE, Notaire local, et lui demande d'aller offrir ces 12 Livres à FERRAND, et s'il les refuse encore, de les consigner par devers lui dans son Etude, les tenant à la disposition de son créancier, mais aussi à ses risques et périls et désormais sans charge d'intérêt.

Moyennant quoi, FONTEBRIDE serait dégagé de toute responsabilité et n'aurait plus rien à voir dans cette affaire. Le 3 Avril 1777, Me LATASTE se rend donc au moulin du CASTAING et se présente à la porte de FERRAND. Il est bien là, mais ne le laisse pas entrer, et c'est là que la somme, en pièces d'argent :

"a été offerte et exhibée réellement et à découvert sur le seuil de la porte de la maison du moulin du CASTAING.."

FERRAND refuse encore et le Notaire repart avec l'argent. Une nouvelle démarche sera tentée sur sommation le 7 Juillet suivant. Peine perdue, non seulement FERRAND refuse l'argent, mais il refuse même de prendre la copie de l'acte de sommation qui lui est destinée.

Finalement, et pour couper court à cette interminable guerre d'escarmouches, disons que FERRAND acceptera ces 12 Livres le 14 Septembre 1780, soit donc trois ans et demi après la première offre de FONTEBRIDE. Voilà une affaire tout à fait caractéristique d'un personnage se complaisant dans ce que l'on pourrait appeler la "délectation chicanière".

Mais il va y avoir mieux encore. Sans que nous sachions comment il s'y était pris, nous avons vu que FERRAND, contre l'avis de la grande majorité de la Paroisse avait réussi à bousculer le Tableau de passage à la fonction de la Collecte des Tailles et à s'emparer du poste de Collecteur principal pour 1777.

Sommaire.

     Une tentative de putsch avortée.

A la suite de ce bouleversement de l'ordre établi, personne ne savait plus trop où l'on en était, et il fallait faire le point pour désigner clairement qui assurerait la Collecte en 1778. Bernard FONTEBRIDE, en tant que Syndic, convoqua donc une Assemblée Capitulaire à la sortie de la Messe du Dimanche 10 Août 1777, en présence de Me LAFOURCADE, Notaire chargé d'établir le Procès Verbal de séance. On commença par dresser la liste de tous les contribuables présents :

"manants et habitants de ladite Paroisse de NOAILLAN et composant la majeure partie des taillables..."

Puis, FONTEBRIDE procéda à la lecture de l'ancien Tableau et de l'usage qui en avait été fait. C'est alors que :

" s'est présenté Etienne FERRAND, Collecteur Principal de la présente année de ladite paroisse, (et ses Adjoints) Pierre MARTIN dit MARTINGOT et Pierre ROUMEGOUX dit JEANDET, aussi Collecteurs ladite année du présent lieu. Ledit FERRAND a dit avoir fait lui-même... procéder au récollement dudit Tableau et à la nomination des Collecteurs pour l'anée prochaine et qu'ainsy, il n'étoit pas nécessaire qu'il y fut procédé de nouveau."

On interroge ROUMEGOUX, lequel est passablement embarrassé et :

" dit qu'il étoit vray qu'il avoit été procédé audit récollement, mais qu'il n'y avoit point donné sa voix..."

Quant à MARTIN, c'est mieux encore, on le presse de dire ce qu'il en est, mais :

"par ledit MARTIN dit MARTINGOT, n'a été rien répondu..."

Il s'agit donc bien d'un véritable putsch monté par FERRAND et par lui seul.

"En conséquence, ledit FONTEBRIDE a tout présentement sommé ledit FERRAND de lui exhiber le susdit récollement prétendu par lui fait. Ce qu'il a refusé de faire, (et) même d'assister, ainsi que lesdits ROUMEGOUX et MARTIN au présent récollement et Assemblée."

Les trois compères se retirent sur l'heure et FONTEBRIDE enchaîne, l'Assemblée ne faisant aucune difficulté pour déclarer : 

" que ledit FERRAND n'ayant point eu (la) qualité (requise) pour faire ledit récollement par lui allégué, (celui-ci) ne peut subsister, d'autant que... FONTEBRIDE, vray Sindicq n'y a point été appelé et qu'il n'a point été fait dans une Assemblée de Paroisse aux formes ordinaires, lesdits délibérants n'en ayant eu de connoissance que dans ce moment..."

L'Assemblée décide donc que la désignation effectuée par FERRAND est nulle et de nul effet "comme clandestinement faite" et charge FONTEBRIDE d'entreprendre telle action en justice qui conviendra afin de le confirmer. Après quoi, elle désigne Jean LAPIERRE, cardeur de laine, comme Collecteur Principal pour l'année suivante.

L'affaire ne va pas en rester là. Il doit y avoir une faille dans la décision de l'Assemblée. 

Sommaire.

     L'affaire rebondit.

La chose n'est pas précisée, mais FONTEBRIDE a dû s'apercevoir que la désignation de Jean LAPIERRE, non prévue au précédent Tableau devait affaiblir sa position devant la Cour de l'Election de GUYENNE. Il fallait en revenir purement et simplement au Tableau qui avait été défini pour dix ans en 1773 en considérant l'intrusion de FERRAND en 1777 comme une simple péripétie à classer sans suite.

Pour cela, il fallait donc se réunir une fois encore en Assemblée Capitulaire afin de repartir sur une base indiscutable et en profiter pour procéder à quelques retouches de détails pour tenir compte des maladies et décès survenus entre temps parmi les intéressés inscrits au Tableau.

Le Dimanche suivant 17 Août, toujours à la sortie de la Messe, Bernard FONTEBRIDE "annonça au peuple" qu'une nouvelle Assemblée se tiendrait le 24 Août à la sortie des Vêpres. On peut se douter combien les langues allaient bon train, il n'était plus question que de cette affaire ; qu'allait-il se passer ?

Or donc, ce 24 Août, lorsque tout le monde eût été rassemblé au son de la cloche, FONTEBRIDE expliqua qu'il fallait revenir sur ce qui avait été décidé le 10 Août, et l'on commença par redonner lecture du Tableau et du Procès Verbal de la précédente Assemblée. Puis, s'adressant à FERRAND et à ses deux Adjonts, il les requit :

"d'assister à la présente Assemblée, ce qu'ils n'ont voulu faire, s'étant au contraire retirés.."

D'un commun accord, l'Assemblée décida de passer outre et, reprenant le Tableau de 1773 là où on l'avait laissé, désigna Jean DEMONS dit BICOT :

" porté à la première colonne"

autrement dit, le premier à prendre. il ne restait plus qu'à procéder aux retouches matérielles indispensables et à confirmer à FONTEBRIDE les pouvoirs nécessaires en vue de poursuivre en Justice l'annulation du dispositif prévu par FERRAND ; Ce qui fut fait. Et quand vint le moment de signer, le Notaire ne manqua pas de préciser que FERRAND et ses deux Adjoints :

"n'ont ... pu être interpellés de signer attendu qu'ils n'ont voulu assister à la présente Assemblée, ayant disparu tout de suite après avoir été requis..."

Le calme finira par revenir sur NOAILLAN, mais non sans quelques combats d'arrière-garde dont on ne sait trop, quelquefois que penser.

Ainsi en va-t-il de l'aventure courue par Pierre GARANS, marchand, et Bertrand LATRY.

Sommaire.

  Comment arrêter un procès
que personne n'a engagé ?

Nous sommes en Février 1778, la mission de Collecteur de FERRAND est terminée, mais il reste toujours quelques affaires qui traînent, des impayés, des retards, des contestations sur l'assiette de l'impôt, etc.. le tout ayant trait à l'année précédente mais pouvant encore mettre des mois avant de trouver une solution.

Or, donc, le 2 février 1778, nos deux compères apprennent (du moins le disent-ils, car il faut se montrer prudent) que FERRAND est en procès avec eux devant la Cour de l'Election à BORDEAUX. Ce procès aurait été engagé à leur initiative alors qu'ils déclarent n'y être pour rien et en ignorer jusqu'au premier mot :

"duquel procès (GARANS et LATRY) n'ont eu nulle connaissance, donné nulle commission à (aucun) huissier ny donné pour raison d'ycelui nul exploit, constitué nul procureur, ny fourni nul argent,, pour le faire; et comme ce doit être par l'invention et l'entreprise de quelque mal intentionné pour (leur) nuire et les exposer à des frais considérables vis-à-vis dudit FERRAND, surpris d'un pareil attentat et sensibles à un trait aussi venimeux, (ils) déclarent... audit FERRAND se défaire et se départir purement et simplement du prétendu exploit (qui lui a été) donné à leur insu et de l'instance qui peut avoir été introduite sur (son fondement) en ladite Cour de l'Election..."

Moyennant quoi, ils signifient à FERRAND qu'ils ne prendront aucune part à la suite de cette affaire.

Que s'est-il passé ? où est la vérité ?

En l'absence de toute autre pièce, il est bien difficile d'en décider. Il peut très bien s'agir de deux plaideurs ayant attaqué FERRAND devant la Cour de l'Election et qui ont pris peur, soudain, devant les frais de Justice considérables qu'ils voient s'accumuler devant eux, (et Dieu sait si leur montant pouvait être rapidement impressionnant...).

Mais comment renier un exploit de Justice ? Il a bien fallu l'intervention d'un Notaire pour le rédiger et d'un Sergent ou d'un Huissier pour le signifier à FERRAND ; comment pourraient-ils ensuite renier ces démarches dans une paroisse où tout finit par se savoir ?

La belle affaire qu'ils auraient ainsi offerte à FERRAND sur un plateau... on n'aurait pas eu fini d'en parler. Et puis, l'exploit n'est pas tout, encore fallait-il engager le procès auprès de la Cour ce qui ne pouvait se faire qu'en désignant un Procureur et cette démarche ne pouvait rester anonyme.

Décidément, si elle ne peut être rejetée a priori, cette hypothèse n'est pas très crédible.

Ou bien alors, il se serait agi d'une manoeuvre malicieuse montée par FERRAND lui-même qui aurait fait courir le bruit dans le pays qu'il était attaqué en justice par les deux compères et qu'ils s'inquiétait des frais considérables déjà engagés...

Bien monté, ce coup pouvait marcher, et les deux autres seraient tombés dans le panneau. Auquel cas, FERRAND a dû jubiler de les voir ainsi réagir au quart de tour.

Encore une fois, rien ne permet de trancher, mais tout ce que l'on peut dire est que la seconde hypothèse rencontre moins d'obstacles que la première; et par ailleurs, simple petit détail ne constituant pas une preuve mais un peu troublant tout de même, FERRAND accueille la signification de cet acte en main propre et ne fait strictement aucune observation, ce qui n'est guère dans ses habitudes...

L'affaire s'arrête là, et c'est également bien curieux; car si des frais de Justice avaient été réellement engagés devant la Cour de l'Election, il ne faut pas penser un seul instant qu'ils auraient été effacés d'un trait de plume sur la simple présentation d'un acte de protestation. Il aurait fallu que quelqu'un les paye, et ce ne pouvait plus, désormais, être que FERRAND. Serait-il resté sans réaction ? C'est bien peu probable. On ne peut en dire davantage.

Sommaire.

     Quelques remises en ordre s'imposent
sur le marché de Villandraut.

En ce début Février 1778, tout le pays est en émoi. La Police Seigneuriale locale vient d'intervenir sur le marché de VILLANDRAUT et d'y dresser nombre de Procès Verbaux. Cela venait de se passer le 28 Janvier, et il semble bien qu'une reprise en main s'avérait nécessaire.

En cette occasion, il est rappelé qu'il est interdit :

"aux regratières et revendeurs d'acheter au marché du présent lieu la volaille et autres provisions alimentaires, l'hiver avant onze heures du matin et l'été à dix heures..."

Et qu'il est également interdit d'y vendre :

"chair malade pour saine, celle de femelle pour malle."

Quant aux grains, les négociants et revendeurs seront spécialement surveillés car ils achètent induement avant leur heure et :

"vont même au-devant des bouviers sur les chemins pour acheter tout ce qu'ils portent avant qu'ils ne soient arrivés au marché..."

Sommaire.

 Le moulin de Léogeats végète.

A quelques jours de là, le 6 Février 1778, Étienne FERRAND changeait de fermier au moulin de LEOGEATS. Il en concède la sous-ferme pour les quelques quatre années qui restent à courir sur sa ferme principale, à Jean BOURRICAUD, qui habite déjà LEOGEATS.

Les conditions sont très voisines de celles qui ont déjà été convenues en pareilles circonstances. Toutefois, une fois encore, le prix de la ferme est revu à la baisse. Il avait été fixé à 450 Livres et deux paires de canards en Avril 1773, et se trouve ramené à 345 Livres, deux paires de canards et deux paires de poulets en Février 1778.

Les paires de poulets supplémentaires qui valent de 2 à 3 Livres ne sauraient expliquer une réduction de près d'un quart du loyer de la ferme. Ou bien l'état du moulin s'est dégradé, et c'est probable comme nous le verrons tout à l'heure, ou bien les affaires ne vont pas pour le mieux, ou bien encore les deux causes se trouvent réunies et la chose n'est pas impossible.

Les affaires de FERRAND paraissent pourtant se maintenir à peu près, du moins si l'on en juge par quelques achats qu'il fait encore, en particulier celui d'une lande assez importante dans LEOGEATS, sur la rive gauche du CIRON, pas très loin du CASTAING. Il y consacre 150 Livres, le 23 Mars 1778, ce qui, pour une lande est déjà un prix assez considérable.

Mais ce seront les dernières acquisitions que nous lui verrons faire, et il se peut bien que la fin des années soixante dix marque pour lui un certain déclin d'une prospérité qui, jusque là, et depuis nombre d'années, ne s'était guère démentie.

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    Des troubles en perspective.

Au demeurant, la période connaissait quelques troubles. Non point de ces mouvements spontanés tels que les émeutes frumentaires de Mai 1773 dans lesquelles l'urgence de la faim avait joué un rôle déterminant, mais des mouvements, semble-t-il, plus concertés et n'ayant d'autre but que de susciter des désordres gratuits.

En ce même mois de Février 1778, alors que l'on venait de procéder, comme nous venons de le voir, à une sérieuse remise en ordre du marché de VILLANDRAUT, Monsieur RAMUZAT, Juge de cette Juridiction, n'était pas du tout tranquille.

Ce n'était certes pas la première fois que la Justice Seigneuriale devait intervenir sur ce marché, mais cette fois-ci, M. RAMUZAT, à tort ou à raison, avait dû percevoir des réactions de contestation inhabituelles. Il redoutait surtout une explosion de manifestations violentes à l'occasion du prochain Mercredi des Cendres, également jour de marché, qui, cette année-là, tombait le 4 Mars.

Il était de tradition locale que se tînt à cette date une sorte de Carnaval de la jeunesse qui aurait dû normalement trouver sa place le jour de Mardi Gras mais qui, pour des raisons indéterminées, se déroulait à VILLANDRAUT le jour des Cendres. On notera d'ailleurs en passant que le cas n'en était pas isolé puisqu'il en allait de même en la ville de BORDEAUX.

Or donc, M. RAMUZAT, peu après la mi-Février, avait eu vent du projet d'un rassemblement de la jeunesse de toutes les paroisses avoisinantes à VILLANDRAUT ce 4 Mars, avec l'intention de mettre à profit les festivités habituelles pour y mener grand tapage.

Dans une lettre du 24 Février, il s'ouvrit de son inquiétude à Mr.BOURRIOT, Subdélégué de l'Intendant à BAZAS (une sorte de Sous Préfet avant la lettre). Celui-ci, qui n'avait pourtant pas l'habitude de s'émouvoir pour des riens, prit l'affaire très au sérieux et, avec la rapidité de réaction qui nous est maintenant familière dans tout ce qui touche à l'Administration Royale, il en saisit tout aussitôt l'Intendant à BORDEAUX :

" Monseigneur,

L'avis contenu dans la lettre cy-jointe que je viens de recevoir dans l'instant m'a paru mériter que je dépêche un exprès à LANGON pour charger Mr.DUTILH de vous le faire parvenir en diligence..."

Ce Mr.DUTILH était le Commandant de la Subdivision de LANGON. Et de fait, le lendemain, cette lettre était sur le bureau de l'Intendant avec la suggestion d'envoyer à VILLANDRAUT le prochain jour des Cendres les Brigades de Maréchaussée de BAZAS et de LANGON :

"pour y empêcher ou dissiper l'assemblée des jeunes turbulents des paroisses voisines qui s'y sont donné rendez-vous et d'y veiller au maintien du bon ordre et de la tranquillité publique."

L'Intendant partagea cet avis et, dans une lettre du 26, donna les ordres en conséquence à LANGON et à BAZAS :

"Il me parois très convenable, écrit-il, de prendre des mesures pour prévenir la suite des désordres qui (risquent de se commettre) à VILLANDRAUT le jour des Cendres..."

Les trublions locaux n'avaient plus qu'à bien se tenir. Apparemment, les choses durent bien se passer car les archives locales n'ont conservé aucune trace d'agitation particulière à cette date. Mais il est intéressant de noter, à travers quelques petits faits significatifs, une certaine évolution des mentalités. Au fur et à mesure que le XVIIIème siècle s'écoule, on voit apparaître ou s'établir des manifestations ou des situations que l'on n'aurait jamais imaginées en milieu rural quelque cinquante ans plus tôt.

N'oublions pas pour autant que sur la trame de ces divers évènements se tisse en permanence pour FERRAND une succession de procès dont il serait fastidieux de rendre compte lorsqu'ils ne présentent pas un intérêt anecdotique particulier ; des procès se déroulant devant toutes sortes de juridictions.

C'est ainsi, par exemple, qu'à la mi 1778, FERRAND Cadet est, une fois encore en litige avec Jean DESSALLE, le boulanger de VILLANDRAUT.

Après le Jugement d'Avril 1775, on aurait pu croire que, faute de s'entendre, les deux protagonistes auraient pu cesser leurs relations commerciales.

Il n'en est rien, et ils sont de nouveau devant la Cour Consulaire de BORDEAUX.

FERRAND vient d'y gagner son nouveau procès le 3 Juin, mais le 14 suivant, DESSALLE interjette appel. Encore une affaire qui ira loin.

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 Le moulin de Léogeats pose problème.

Entre temps, Jean BOURRICAUT, le sous-fermier du moulin de LEOGEATS manifeste son mécontentement. Certes, il a obtenu un prix de ferme réduit, mais il n'arrive pas à faire fonctionner l'une des meules de son moulin. Il a fait part de ses difficultés à Etienne FERRAND qui ne s'est pas trop intéressé à son problème.

BOURRICAUT demande avec insistance qu'on lui répare son moulin, non seulement la meule défectueuse, mais aussi la toiture de sa maison qui prend l'eau de toutes parts, sans parler du déversoir qui n'est pas en trop bon état. Or, FERRAND ne bouge toujours pas. Lassé, BOURRICAUT va lui adresser une sommation par acte notarié du 17 Décembre 1778. Il lui rappelle que dans leur contrat passé en Février de la même année, il avait pris l'engagement :

"de faire faire toutes les réparations requises et nécessaires... audit moulin et bâtiments en dépendant, ce qu'il négligea de faire puisque (BOURRICAUT) n'a pu moudre depuis plus de quatre mois qu'avec une meule, l'autre meule étant hors d'état de servir à aucun uzage, à moins de réparations, comme aussy la chambre de maison dudit moulin (qui) est inhabitable par les gouttières."

Il somme donc FERRAND de faire procéder à ces réparations

" et lui déclare qu'il ne luy payera que la moitié du prix de ladite ferme jusqu'à ce que lesdites réparations soient entièrement faites, attendu que par le défaut de la meule, il ne profite que de la moitié du produit du moulin.."

Or, FERRAND Cadet a pour le moment d'autres soucis en tête et n'a pas trop le temps de s'occuper du moulin de LEOGEATS. Il marque néanmoins sa bonne volonté en répondant à BOURRICAUT de faire faire les réparations nécessaires :

" à la moins dite des ouvriers..."

et qu'il en retienne le prix sur le montant des fermages qu'il lui doit. Il pose seulement pour condition d'être convoqué le jour où l'on comparera les diverses propositions de devis.

Cela aurait pu être une bonne solution, mais, pour des raisons que nous ignorons, elle n'a pas eu de suite car, l'année suivante, nous allons retrouver les deux protagonistes face à face devant les mêmes problèmes qui, dans l'intervalle, n'ont pas évolué d'un pouce.

Cette fois-ci, nous sommes devant une question de responsabilité.

Pourquoi cette meule ne fonctionne-t-elle pas ? Est-ce la faute de la vétusté de l'installation (donc, de FERRAND), ou bien celle d'une mauvaise utilisation de la mécanique (donc, de BOURRICAUT) ?

Mais qui est donc allé poser cette question puisque, pour une fois, FERRAND avait proposé une solution simple et immédiatement applicable en dehors de toute contestation. Nous ne le saurons pas. Toujours est-il, que le 20 Septembre 1779, les deux hommes se sont retrouvés au Bourg de LEOGEATS, et que, faute de pouvoir s'entendre sur ce problème de responsabilité, ils convinrent de s'en remettre à deux experts qu'ils désigneraient pour examiner cette meule BOURRICAUT choisit un meunier de BUEGUEY, et FERRAND un meunier de LANGON.

Mais les choses se passent mal ; l'expert de FERRAND se présente au moulin, tout seul, et sans avoir prévenu quiconque, alors que BOURRICAUT est absent. Il n'est pas content, et on le comprend, car il aurait eu des choses à lui dire. Par ailleurs, il eût été bien préférable que les deux experts procèdent à leur examen en commun ; les échanges de vues, en pareil cas, sont toujours fructueux.

Au surplus, BOURRICAUT joue de malheur car son propre expert ne peut se déplacer "à cause de ses infirmités"; il en désigne un autre venu, cette fois, de St MAURILLON. Et lui aussi, bien sûr travaille seul. Après quoi, il se rend à LANGON pour conférer avec l'expert de FERRAND et constater qu'aucun accord n'est possible car leurs conclusions sont parfaitement divergentes.

Il faut donc envisager la nomination d'un "tiers expert" pour départager les deux premiers.

Encore une affaire qui traînera pendant des mois pour en venir finalement à une solution de compromis qui ne nous sera même pas détaillée et que l'on aurait pu probablement trouver dès l'origine sans recourir à toutes ces procédures.

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     Etienne Ferrand Cadet change de métier
mais pas de comportement.

A partir de ce moment-là, Etienne FERRAND Cadet semble se détourner de plus en plus de la meunerie. Pourtant, le contrat de ferme qui le lie au Seigneur de NOAILLAN court jusqu'au 20 Avril 1782, un contrat qui ne sera certainement pas renouvelé car on n'en retrouve nulle trace.

Mieux encore, dès le 2 Février 1781, FERRAND est de nouveau domicilié en sa maison de PEYREBERNEDE où on le dit établi "marchand", sans autre précision.

Il va désormais s'occuper de commerce de bois et cela va aussitôt l'entraîner dans une interminable affaire qui va l'opposer à une autre branche de notre famille celle des MARSAU, à TRISCOS, Paroisse de BALIZAC.

Vers le mois d'Avril 1781, FERRAND Cadet avait acheté une importante quantité de pins à Pierre MARSAU, dit Pierre de LA BEZOUE (en gascon, "de la Veuve"). Ce marché avait été conclu pour la somme de 1800 Livres, une somme particulièrement importante. Lorsque le temps de l'exploitation fut venu, le 2 Février 1781, les deux parties passèrent devant Notaire une convention de paiement :

" laquelle somme de dix huit cent Livres ledit FERRAND promet et s'oblige de la payer audit MARSAU, savoir six cens Livres au premier Juin prochain, et les douze cens Livres du surplus dans un an prochain courant à compter de ce jour ; le tout sans intérêt jusqu'aux deux époques. Et faute de payement, les deux époques expirées, avec l'intérêt suivant les derniers Règlements...."

C'étaient là des conditions financières particulièrement avantageuses puisque FERRAND avait le temps d'exploiter ces bois, de les scier et de les vendre avant de les avoir lui-même payés.

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     Ferrand Cadet mauvais payeur.

Or, à l'échéance du 1er Juin, FERRAND n'est pas au rendez-vous. Les retards dans les paiements étaient alors chose courante; et des retards parfois très conséquents; on payait les intérêts convenus et nul ne s'en formalisait. Mais avec Pierre MARSAU, c'est une toute autre affaire ! Sa réaction est littéralement fulgurante.

Trois semaines plus tard, le 21 Juin 1781, il a déjà en main un ordre exécutoire délivré par le Parlement de BORDEAUX lui conférant le droit de saisir, si besoin est, les biens de FERRAND.

Comment a-t-il pu se procurer un tel document auprès d'une aussi haute Juridiction en si peu de temps ?

Car si l'Administration Royale était remarquablement expéditive, la Justice civile, sous quelque forme qu'elle se manifeste, Seigneuriale, Sénéchale, Parlementaire, et même Consulaire, était fort lente à se mouvoir.

Nous ne savons donc pas par quelle procédure Pierre MARSAU est passé, mais il est incontestable qu'avant la fin du mois, il avait en main, à l'encontre de FERRAND, un document absolument imparable. Et il le fit signifier à son domicile à PEYREBERNEDE le 3 Juillet suivant, non point par un simple Notaire, mais par un Huissier de la Prévôté Royale de BARSAC. Avec MARSAU, on ne plaisantait pas !

Cette affaire a démarré très vite et très fort, mais elle va maintenant s'enliser dans des procédures locales. FERRAND attaque la saisie prononcée en vertu de l'Ordre Exécutoire devant le Tribunal de NOAILLAN dans une action dite "en cassation".

C'est une voie qui ne saurait aboutir. Comment la Cour Seigneuriale de NOAILLAN pourrait-elle infirmer une décision de la Cour souveraine du Parlement ? Mais il s'agit simplement pour FERRAND de gagner du temps et de repousser les contraintes de la saisie. D'ici à ce qu'une décision soit prise, il pourra s'écouler bien des mois ; et FERRAND, qui n'a manifestement pas l'argent pour s'acquitter de sa dette espère, dans l'intervalle, rencontrer une fortune meilleure...

Or, Pierre MARSAU va commettre une erreur, il va confier son affaire à l'un de ses cousins, Bernard LARRUE qui habite NOAILLAN, et lui remettre tous les documents utiles pour suivre ses intérêts contre FERRAND.

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   Pierre Marsau un créancier énergique.  

Or ce LARRUE est loin de développer la même énergie que MARSAU. Au bout de deux ans, son affaire n'a pratiquement pas bougé. Soudain, Pierre MARSAU se réveille; et le fait que sa fille. Jeanne, dans l'intervalle, ait épousé Bernard FERRAND, neveu de son débiteur, ne va pas modérer sa réaction.

Elle va être énergique.

Il s'adresse directement au Procureur Général du Parlement de BORDEAUX. Apparemment il ne fréquente que les hauts degrés de Juridiction, mais la chose lui réussit assez bien. Il lui présente donc une supplique qui, une fois n'est pas coutume, est parfaitement claire et explique fort bien sa situation :

"A Monseigneur le Procureur Général du Parlement de BORDEAUX.

Supplie humblement Pierre MARSAU, dit la BESOUE, habitant de la Paroisse de BALIZAC, disant que voulant ramener à exécution un contrat d'obligation d'une some de 1800 Livres consenti en sa faveur par Etienne FERRAND, cy-devant meunier de NOAILLAN, il (a) fait procéder contre lui par saisie sur laquelle (est) intervenue une instance en cassation... devant l'Ordinaire de NOAILLAN, entre le suppliant et ledit FERRAND.

Que n'ayant pu poursuivre par lui-même cette instance, il (a) accepté l'offre que lui fit Bernard LARRUE dit REY, scieur de long de NOAILLAN, son cousin, d'en faire les poursuites, et lui (a) remis, il y a environ deux ans, les pièces qui y avoient trait, avec soixante douze Livres pour fournir aux frais.

"Le suppliant n'ayant jamais vu la fin de cette affaire, ni ne sachant (où) elle en est, soit parce que ledit LARRUE, après avoir reçu son argent a trouvé à propos de ne faire aucune poursuite, ou, s'il en a fait, les a abandonnées; et il s'est constamment refusé de remettre au suppliant ses pièces pour poursuivre lui-même le jugement, (il) se voit (donc) dans la nécessité d'implorer le secours et l'autorité de Votre Grandeur..."

Le Procureur Général appuiera sa démarche. La saisie effective sur les revenus de FERRAND interviendra le 26 Mai 1784. A partir de ce moment-là il va prendre l'affaire réellement au sérieux et va tenter de commencer à se dégager de sa dette. Mais il est à coup sûr en situation difficile, car, ayant beaucoup attendu, les frais se sont accumulés; le réveil est très pénible. 

Le 20 Juin, FERRAND procède à un premier versement.

On sent qu'il a mis au jeu tout ce dont il disposait, savoir l'équivalent de 630 Livres tant en monnaie d'argent qu'en vin rouge que MARSAU veut bien accepter en paiement. Sur cette somme, 132 Livres seront prélevées pour régler les intérêts échus, et 38 Livres pour les frais de saisie, si bien que seules 460 Livres viendront en déduction des 1800 Livres dues, et FERRAND restera redevable de 1340 Livres. Pierre MARSAU accepte néanmoins de lui accorder main levée de la saisie pour lui permettre de remettre en ordre ses affaires qui paraissent être plutôt mal en point.

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Une situation difficile 
qui ne saurait assagir Ferrand Cadet.

Cette situation difficile ne l'a pas pour autant assagi, ses réactions sont toujours aussi violentes et inattendues. Lors de la première saisie, celle de 1781, un certain Jean DUCOS Père avait été désigné comme l'un des séquestres.

On ne postulait pas une telle fonction qui était d'ailleurs passablement contraignante, on était désigné d'office, et seules, de graves considérations de santé, acceptées par le Tribunal pouvait en dispenser. Si donc Jean DUCOS Père était l'un des séquestres d'Etienne FERFAND, c'était bien malgré lui.

Or, voilà que le 6 Juin 1782, sur les huit heures du soir, Jean DUCOS Fils, dit BELLOT, se trouva d'entrer dans le cabaret qu'Etienne JEANIN tenait au Bourg de NOAILLAN.

Il avisa Michel ROCHEAU, dit le LIMOUSIN, un scieur de long, qui était en compagnie à une table. Il s'approcha et lui dit qu'il avait besoin de le voir.

Etienne FERRAND qui se trouvait là s'approcha et lui dit qu'il n'était qu'un enfant, que s'il avait besoin de parler à ROCHEAU, il n'avait qu'à le faire devant toute la compagnie, puis il se mit à l'injurier, le traitant de foutu drôle, de foutu gueux et même de ... "barbare" !!

Enfin, il lui envoya deux bourrades et le prit au collet. Jean DUCOS Fils ainsi agressé chercha à se défendre, mais Bernard LARRUE qui se trouvait parmi les consommateurs et servira ultérieurement de témoin s'interposa et sépara les deux antagonistes. Jean DUCOS Fils porta plainte auprès du Juge de NOAILLAN, et une information fût ouverte le 17 Juin.

Les divers témoins interrogés confirmèrent tous, à quelques détails sans importance près, la version du plaignant, et ceci sans marquer d'hostilité particulière à FERRAND.

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  Un procès dont Ferrand Cadet
n'avait certainement pas besoin.

Le 26 Juin, FERRAND fut "ajourné à comparaître" devant la Cour de NOAILLAN, et le dossier s'arrête là, mais nous savons qu'il a eu une suite et même qu'elle s' est prolongée très loin, jusque devant le Parlement de BORDEAUX.

Le Juge de NOAILLAN a prononcé une condamnation le 24 Septembre 1783, soit donc plus d'un an auprès l'incident, et FERRAND en a fait appel devant le Parlement.

Ce dernier a demandé au Juge de NOAILLAN de lui expédier toutes les pièces de ce procès, et un huissier de la Prévôté Royale de BARSAC s'est déplacé spécialement à NOAILLAN le 11 Février 1784 pour venir les chercher.

C'est pour cela que ces pièces n'ont pu être retrouvées sur place. En tout état de cause, il n'est pas douteux que FERRAND ait été condamné, et cela a dû lui coûter affreusement cher dans un moment où l'état de ses affaires ne lui permettait certainement plus une telle dépense.

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  Sa dette court toujours et il est à bout de ressources.

Nous parvenons ainsi à la fin de 1785 sans qu'il ait versé un seul sol à Pierre MARSAU sur les 1340 Livres et 17 Sols qu'il lui doit encore. MARSAU revient devant le Parlement et, le 7 Décembre, en obtient à grands frais (pour FERRAND) des "Lettres de Chancellerie" autorisant une nouvelle saisie des revenus du débiteur.

Les choses s'étirent en divers combats d'arrière garde jusqu'aux premiers jours de 1787. C'est alors que FERRAND, le 7 Janvier :

"étant instruit des agissements rigoureux dont il est menacé serait allé vers (MARSAU et) lui aurait fait part de l'impossibilité où il se trouvoit de luy payer ladite somme... et l'auroit prié de vouloir luy accorder pour cela un délay de quatre ans à compter du 20 Juin prochain, qu'en attendant,(il) luy en payeroit l'intérêt chaque année ... sans qu'il (soit) besoin de lui faire faire des commandements afin de luy éviter des frais... 

A laquelle prière, ledit MARSAU, par bonté de coeur a déféré.

En conséquence, ledit MARSAU a prorogé et accordé audit FERRAND ledit délay de quatre ans... de manière que ledit FERRAND promet et s'oblige de payer audit MARSAU ladite somme de 1340 Livres 17 Sols dans le délay de quatre ans.. avec l'intérêt d'icelle annuellement (fixé).. à deux barriques de vin chaque année, savoir une du rouge et l'autre du blanc, fût remis (c'est-à-dire, non logé), de celuy que ledit FERRAND recueillera dans son bien, (et) au choix dudit MARSAU... (chaque) mois d'Octobre de chacune desdites années..."

Il était en outre prévu que FERRAND aurait éventuellement la faculté de se libérer avant l'échéance, en un ou plusieurs paiements, à condition que chacun d'eux ne soit pas inférieur au tiers du total, l'intérêt diminuant au pro rata des remboursements.

En outre, dans le même acte, FERRAND versait à MARSAU 177 Livres représentant à la fois les intérêts échus jusqu'au 20 Juin suivant, et les frais de Justice engagés par MARSAU dans les diverses procédures de poursuite.

On voit bien que FERRAND était parvenu assez bas; non seulement il se reconnaissait incapable de régler le montant de sa dette, mais il ne pouvait même plus envisager de solder ses intérêts autrement qu'en nature.

Quant à Pierre MARSAU en dépit de toute sa diligence, il aura fait en tout cela une bien mauvaise affaire. Il suffit de compter quatre ans à partir du 20 Juin 1787 pour se rendre compte que l'échéance finale va tomber à la mi-1791, au moment de la grande pénurie de monnaie métallique.

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Avec les conséquences monétaires de la Révolution son créancier finira par être payé en monnaie de singe.

Cette crise s'était manifestée à BORDEAUX dès le mois de Septembre 1789. Les places étrangères avec lesquelles le négoce local était traditionnellement lié étaient normalement payées en billets à ordre. Inquiètes de la tournure que prenaient les évènements, ces places se mirent à exiger des règlements comptant et en espèces.

Il en résulta très vite une énorme hémorragie de monnaie métallique qui en vint très rapidement à poser d'insolubles problèmes au commerce local aussi bien qu'à la vie quotidienne de tout un chacun. L'étude de ce phénomène dépasserait de beaucoup notre propos. Retenons simplement qu'à la suite de pressantes démarches auprès de VERSAILLES, la Chambre de Commerce de BORDEAUX obtint l'autorisation de faire fondre des piastres espagnoles pour frapper des écus français à la Monnaie de BORDEAUX.

Peine perdue, même poursuivie jusqu'en 1791, cette opération fut bien loin d'être à la mesure de la pénurie. Finalement, avec un peu de chance, en admettant que FERRAND ait fini par faire face à ses obligations, Pierre MARSAU aura fini d'être payé en assignats, autant dire en monnaie de singe pour la majeure partie de sa créance.

Après ce dernier acte passé avec MARSAU, suivi quelques mois plus tard par le décès de son Frère Aîné au moulin de LA FERRIERE, le 23 Octobre 1787, un grand silence se fait autour de FERRAND Cadet.

Sa situation, passablement obérée, ne lui permet probablement plus de se livrer aux frasques diverses auxquelles il nous avait habitué. Nous le retrouvons pourtant, en pleine Révolution, le 17 Novembre 1792, mais là encore, si l'on en juge par les quelques documents qui nous sont parvenus, il va se retrouver en situation plutôt précaire.

En ce 17 Novembre 1792, le Curé DURANTY dresse les derniers actes d'Etat Civil sur ses Registres Paroissiaux de NOAILLAN. Il s'agit de deux mariages célébrés ce jour-là, après quoi ces Registres sont pris en charge par la toute jeune Commune, et remis... à FERRAND, qui devient "Officier Public" :

"Nous, Raymond LATRILLE, Maire de la présente Communauté de NOAILLAN, avons clos et arrêté le présent Registre pour être remis au Citoyen FERRAND, Officier Public, conformément à la Loy du 20.7bre et avec copie de cette même Loi"

"A NOAILLAN, le 21 9bre 1792, l'An ler de la République Française. LATRILLE Maire - DEBAT Greffier."

Or, FERRAND n'assurera cette fonction que pendant trois semaines, après quoi, à partir du 8 Décembre suivant, il disparaît de la tenue des registres sans autre explication.

Les actes suivants sont dressés par un nouveau Maire, DUBERNET, "'étant en place d'Officier Public".

Dans ces trois semaines, il a donc dû se produire une sorte de révolution de palais dans la Mairie de NOAILLAN, et FERRAND en a été apparemment la victime.

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Ferrand Cadet marie ses derniers fils.

Le 2 Messidor An III (21 Juin 1795), Etienne FERRAND Cadet marie le dernier de ses fils, un autre Etienne, pour ne pas changer. Ce devait être un enfant très précoce, car il n'était âgé que de quinze ans. A cette singularité, il s'en ajoutait une autre, non moins surprenante, sa jeune femme avait trois ans de plus que lui.

C'était enfreindre un tabou quasi absolu qui ne reposait sur aucune réglementation mais qui était consacré par l'usage. Ne fût-ce que de quelques mois, voire même de quelques semaines, les épouses devaient être plus jeunes que leur mari.

Et cet usage vole en éclat à la Révolution; les cas d'exception à cette vieille règle deviennent même si nombreux que l'on pourrait presque y voir une sorte de libération de contrainte.

Ce jeune couple attendra cinq ans avant d'avoir ses premiers enfants, deux jumeaux, le 13 Septembre 1800 Etienne et Arnaud dont aucun ne survivra puisque le premier mourra au bout de 17 jours et le second au bout de 25.

Frappé de malheur, ces jeunes perdront encore un petit Jean le 25 Novembre 1801 et encore un autre petit Arnaud, à l'âge de sept mois, le 28 Juillet 1804.

Entre temps, le 25 Vedémiaire An V (18 Octobre 1796), FERRAND Cadet était redevenu " Agent Municipal " et s'était vu remettre les Registres d'Etat Civil de la Commune. Il les conservera jusqu'au 23 Mars 1797, date à laquelle, toujours sans explication, il les reperdra.

Le 20 Germinal An VII (9 Avril 1799) l'aîné des garçons FERRAND, Jean, se mariait à son tour, à l'âge de 24 ans, avec Marguerite MATHA, originaire de LEOGEATS, laquelle en avait 21.

Et le 16 Thermidor de l'An VIII (4 Août 1800), FERRAND Cadet reprendra une dernière fois la tenue des Registres d'Etat Civil de la Commune, cette fois-ci avec le titre d'Adjoint au Maire.

Il en conservera la charge jusqu'au 13 Fructidor An IX (31 Août 1801), date à laquelle il en sera définitivement dessaisi.

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  La fin d'Etienne Ferrand Cadet.

Nous n'entendrons plus parler de lui jusqu'au décès de sa femme, Marie LAPIERRE, le 2 Décembre 1808, à l'âge de 59 ans. Elle lui avait apporté une bonne part de sa fortune et avait vécu dans la plus grande discrétion.

Etienne PERRAND Cadet ne lui survécut pas. Il mourut quinze jours plus tard en son domicile au Quartier de PEYREBERNEDE à l'âge de 70 ans et demi (et non de 72 comme le rapporte son acte de décès); il n'était plus Adjoint au Maire, mais était encore Conseiller Municipal :

"Le 17 Décembre 1808, à dix heures du matin, par devant nous, Maire de NOAILLAN, Officier de l'Etat Civil sont comparus Sieur Génome FONTEBRIDE, propriétaire, âgé de 48 ans et François GAZA,.. âgé de 47 ans, habitants de NOAILLAN, lesquels nous ont déclaré qu'Etienne FERRAND, membre du Conseil Municipal de cette Commune est décédé hier matin à sept heures à son domicile dans NOAILLAN, à PEYREBERNEDE ; ledit FERRAND âgé de 72 ans et veuf de Marie LAPIERRE, décédée eu cette Commune le 2 du courant..."

Ainsi devait s'achever la vie d'un personnage passablement picaresque qui avait souvent défrayé la chronique locale par ses foucades imprévisibles et son esprit de chicane impénitent.

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Réalisée le 30 août 2009

André Cochet

Mise sur le Web le    août  2009

 Christian Flages.