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Les Ferrand. |
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Histoire d'une famille de meuniers picaresques |
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Jean DARTIGOLLES. |
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Chapitre 4. |
I - LES QUATRE FILS D'ETIENNE FERRAND AINE. |
Sur
les dix enfants qu'avaient eus Etienne FERRAND Aîné et Marie CABIROL,
quatre seulement étaient parvenus à l'âge adulte : -
Jean, dit JEANTOULET, - Bernard, dit TCHIC, - Bernard, dit
BERNACHON, -
Etienne, dit CADICHON. Rappelons
très rapidement leurs premiers parcours que nous avons déjà évoqués
à l'occasion de l'histoire de leur Père, en réservant toutefois le cas
de BERNACHON auquel nous consacrerons le plus grand développement
puisqu'il nous conduira jusqu'à l'union finale avec les DARTIGOLLES. |
Jean Ferrand prend ses distances avec le clan familial. |
Jean
FERRAND, dit JEANTOULET, l'Aîné, était né le 19 Décembre 1747. Très
tôt, il était allé vivre chez ses Grands Parents maternels à LIGNAN près
de BAZAS. Il y restera longtemps avant de revenir sur NOAILLAN, et même,
pendant un peu plus de trois ans, à TRISCOS, où il prendra
provisoirement la ferme du moulin. Nous
le retrouverons donc pour un temps un peu plus loin lorsqu'il croisera de
nouveau notre route. Il
s'était marié à LIGNAN le 11 Février 1771 avec Jeanne LAFOURCADE. Ils
eurent au moins une fille, Jeanne, née le 12 Août 1775, qui se maria à
son tour à NOAILLAN le 30 Pluviose An VII (19 Février 1799) avec un
certain Pierre MARSADIE, originaire de BALIZAC. Ce
jeune époux n'avait que 17 ans alors que Jeanne en avait 23, nouvelle
entorse à la règle fondamentale des différences d'âge, la Révolution
était passée par là... Nous
avons déjà eu l'occasion de voir comment ce Jean dit JEANTOULET avait
recueilli la totalité de la succession des biens de ses Grands Parents
CABIROL en échange du renoncement total à ses droits sur la succession
de son Père. Cette
disposition, assez insolite pour l'Aîné d'une famille, allait néanmoins
le mettre à l'abri de bien des soucis et le tenir à l'écart de toutes
les controverses que nous allons bientôt découvrir. De
ce fait, nous ne le retrouverons plus qu'après la tempête.. |
Bernard Ferrand dit Tchic,
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Bernard
FERRAND, dit TCHIC, était né le 26 Juin 1749. Demeuré
au foyer paternel, il se maria à BALIZAC, le 18 Décembre 1773 avec
Jeanne CLAVERIE, issue d'une très ancienne famille du Quartier de MAHON.
C'était en quelque sorte un mariage de voisins puisqu'il n'y a guère que
1500 mètres entre MAHON et le moulin de LA FERRIERE où vivait Bernard. Jeanne
avait apporté une dot de 1.000 Livres et un important trousseau, et nous
nous souvenons que le tout avait été remis aux FERRAND sans problème et
dans un délai raisonnable. Mieux encore, à la suite d'un arrangement de
famille, Jeanne, au décès de son Père CLAVERIE, avait reçu un complément
de 200 Livres que son Frère avait bien voulu lui verser. Nous avons déjà
vu tout cela, il ne s'agit donc ici que d'un rapide rappel. Ce
ménage eut au moins une fille, Marie, née le 13 Novembre 1779. Bernard
avait quitté son Père quelques temps après son mariage pour aller
s'installer avec sa famille au petit moulin de BALIZAC. Il y a une assez
forte probabilité pour que ce transfert se soit fait en 1776, au moment
de la troisième union de son Père. A
ce moment-là, la situation familiale a pu en effet devenir délicate à
LA FERRIERE avec Jeanne CASTAGNET qui, tout à coup, de servante est
devenue maîtresse en ayant, à quelques mois près, le même âge que le
jeune couple vivant sous le même toit "à même pot et feu"...
En
tous cas, en 1779 nous savons que cette séparation est déjà bel et bien
accomplie. Plus tard, très probablement en 1789, TCHIC ira s'installer au
moulin de FONBANNE sur la Paroisse de BUDOS, où il restera jusqu'à la
fin de 1793. Il reviendra alors sur la Paroisse de BALIZAC où son frère
Etienne, dit CADICHON lui cédera la gestion du moulin de LA FERRIERE le
15 Janvier 1794 (26 Nivose An II) . En
ce temps-là, TCHIC donne l'impression d'une bonne aisance financière. Le
12 Avril 1794 (23 Germinal An II), il achète pour 1.700 Livres une propriété
au Quartier de MOULIEY à un certain FONTEBRIDE dit DROLLE. Il verse 600
Livres comptant, mais ne tardera pas à s'acquitter du solde, le 26
Octobre 1794 (4 Brumaire An III). Mieux encore, moins de cinq mois plus
tard, le 14 Mars 1795 (24 Ventose An III) il trouve le moyen de régler
2.400 Livres à Me DARSAC, Notaire en paiement d'un autre achat
immobilier. Il
n'est donc pas douteux que ses affaires marchent, même si l'inflation,
une fois encore vient relativiser la valeur de ces chiffres. Et pourtant,
il y a quelques ombres au tableau. Depuis
quinze mois qu'il est à LA FERRIERE, il n'a pas encore payé un sol de
loyer à son frère Etienne, et celui-ci, qui doit régler le prix de sa
ferme, non plus au Seigneur, mais à la Nation, n'est pas du tout content.
Et il l'est d'autant moins que, selon un bruit fâcheux, TCHIC, qui est déjà
sous-fermier, s'apprêterait à "sous-sous-fermer" son moulin à
un tiers... Etienne
lui adresse donc une sommation le 9 Floréal An III (28 Avril 1795)
exigeant le paiement immédiat de ses fermes et lui interdisant tout
transfert de bail, se disant prêt à reprendre lui-même l'exploitation
de ce moulin s'il envisage d'en partir. L'affaire ne se fit pas tout de
suite puisque nous savons que TCHIC est encore à LA FERRIERE le 5
Septembre suivant, pas pour longtemps, car son frère a déjà désigné
un nouveau fermier, un certain DESCAURION, tandis que lui-même, un peu
plus tard va prendre en charge le moulin de VILLANDRAUT.... Tout cela est
bien compliqué. A
la limite, on peut se demander si tous ces gens-là sont bien sérieux
lorsqu'on les voit donner tant de preuves d'instabilité. Certes, les
meuniers ont toujours été un peu d'humeur vagabonde, mais ils restaient
habituellement en place au moins pour la durée d'un bail. Ce n'est plus désormais
le cas. Enfin, le 20 Prairial An IV (8 Juin 1796), TCHIC prend en charge
une ferme au Quartier de LA NERE et, deux mois plus tard, procède à des
échanges de terrains laissant supposer une sérieuse reconversion dans
l'agriculture. Entre
temps, nous allons retrouver le même TCHIC sans trop tarder dans les
relations fort complexes qu'il va entretenir avec ses autres frères,
Etienne, dit CADICHON, et Bernard, dit BERNACHON. Nous
citerons tout juste ici pour mémoire la personne de ce même BERNACHON, né
le 23 Mars 1756, pour qu'il figure à son rang dans la fratrie. Il
quittera son Père lors de son mariage pour s'installer chez son Beau Père,
Pierre MARSAU au Quartier de TRISCOS, à BALIZAC, et devenir désormais le
personnage principal de la suite de notre récit. |
Etienne Ferrand dit Cadichon se marie deux fois.
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Enfin,
le quatrième et dernier enfant survivant de la famille était Etienne,
dit CADICHON, né le 18 Mars 1758, demeuré au moulin de LA FERRIERE. Il
se maria en Février 1781 avec une Marie LACASSAGNE qui mourut avant la
fin de la même année, probablement, avons-nous dit, à l'occasion de ses
premières couches. Il
se remaria un peu plus tard avec une Marie BATAILLEY dont il eût au moins
un fils, François, né, un peu par hasard, à VILLANDRAUT le 21 Septembre
1792 et un fille, à la mi-1795 qui mourra deux ans plus tard. C'est
lui, nous l'avons également déjà vu, qui prendra la succession de son Père,
en 1787, dans la gestion du moulin de LA FERRIERE, pour la céder, en
Janvier 1794 à son frère TCHIC, lors de son retour de BUDOS, et la lui
reprendre d'ailleurs deux ans plus tard au prix d'une situation
passablement embrouillée. Il
sera Adjoint au Maire de BALIZAC en Avril 1796 (Germinal An IV). Entre
temps, nous allons le retrouver sans tarder dans les diverses affaires que
nous allons maintenant évoquer. |
II
- BERNARD FERRAND dit BERNACHON.
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Etienne
FERRAND Aîné venait de mourir à LA FERRIERE le 23 Octobre 1787 et très
vite, des contestations successorales et autres allaient s'élever entre
ses enfants. Seul, Jean, l'Aîné n'y prendra aucune part puisqu'il était
déjà désintéressé par ce qu'il avait reçu à LIGNAN. Etienne,
dit CADICHON, qui reprend l'exploitation du moulin de son Père, n'est
visiblement pas pressé de liquider sa succession. Il est certain que ce
partage va lui poser de nombreux problèmes dans un temps où sa situation
financière n'est peut-être pas des meilleures. |
Etienne Ferrand, dit Cadichon,
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Rappelons
que quelques jours à peine avant le décès de son Père, nous l'avons vu
aller emprunter 800 Livres à VILLANDRAUT afin de pouvoir payer au Comte
de PONS le prix de la ferme du moulin qui arrivait à échéance. Il
les avait empruntées pour trois mois, et, en ce début de l'année 1788,
ne les avait toujours pas rendues. Il les rendra, avec trois mois de
retard, le 23 Avril suivant ; on sent qu'il a fait de ce remboursement une
priorité. Mais il avait bien d'autres charges à régler. En particulier,
son Père avait promis à son frère BERNACHON une dot de 1.500 Livres au
moment de son mariage avec Jeanne MARSAU, en Février 1782. Cette
somme devait être versée dans les trois ans. Et depuis, six ans avaient
passé, sans qu'un sol ait encore été versé, pas plus en capital qu'en
intérêt. Pierre MARSAU, le Beau Père, commençait à s'agiter... Or,
ces 1.500 Livres, il fallait les trouver impérativement avant de procéder
au partage entre les trois frères car les deux opérations avaient un
ordre chronologique bien précis. Le Père FERRAND avait donné 1.500
Livres à son fils BERNACHON en 1782, affaire qui aurait dû être réglée
en 1785 au plus tard, et la succession devait ensuite être partagée en
trois après le décès du Père en 1787. Il
fallait donc trouver et sortir ces 1.500 Livres de la masse successorale
avant de procéder au partage. C'était certainement un coup très dur
pour Etienne. Il n'était pas pour autant lésé, car, pour sa part, en
lieu et place de dot, il avait reçu tout le mobilier de la maison et le
cheptel mort et vif du moulin. Il ne contestait donc pas le bien fondé de
sa dette, mais faute de savoir comment s'en acquitter, il se serait bien
accommodé d'un moratoire qui aurait laissé courir l'indivision pendant
quelques années. |
Une succession qui s'annonce difficile.
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Or,
chez les MARSAU, on ne l'entendait pas de cette oreille. D'ailleurs,
Pierre MARSAU, le Beau-Père, commençait à en avoir assez des FERRAND à
quelque branche familiale qu'ils appartiennent. N'oublions
pas en effet que dans le même temps, il était en train de se débattre
à NOAILLAN avec FERRAND Cadet, l'Oncle de son Gendre. L'un lui doit 1.800
Livres pour des pins qu'il ne lui a pas payés depuis 1780, l'autre lui
doit 1.500 Livres de dot, également impayée depuis 1782, et maintenant
il faudrait différer le partage de cette succession... Cela commence à
faire beaucoup ! Le 9 janvier 1788, probablement poussé par son Beau-Père, Bernard FERRAND dit BERNACHON assigne ses deux frères Bernard dit TCHIC et Etienne dit CADICHON devant le Tribunal de CASTELNAU : "
pour se voir condamner à venir à division et partage de la succession
mobiliaire et immobiliaire délaissé par feux Etienne FERRAND et Marie
CABIROL, leur Père et Mère, concourant comme co-héritiers de ces
derniers avec un règlement en trois lots égaux et (lui) en (attribuer)
un en règlement (de sa succession)..." Car
il y a à partager non seulement les biens de FERRAND leur Père, mais
aussi ceux de leur Mère Marie CABIROL décédée il y a plus de vingt
ans, en 1767. Des biens qui n'avaient jamais été partagés puisque
FERRAND leur Père en avait reçu l'usufruit sa vie durant. Cette
situation est, à coup sûr, complexe et chez les MARSAU, avec beaucoup de
réalisme, on va s'efforcer de la simplifier. |
Arbitrage et procès se succèdent,
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BERNACHON
et TCHIC se rapprochent et réfléchissent ensemble. Un partage en trois
lots venant après le prélèvement des 1.500 Livres de la dot promise
laissera peu de chose à chacun, et surtout, beaucoup plus grave, des lots
économiquement mal composés et difficilement exploitables. Ils
en viennent donc à l'idée de simplifier cette situation en éliminant
l'un d'entre eux par une licitation. Ils vont procéder à une enchère
entre eux : "Combien me donnes-tu pour mon lot ?" - "Et
toi pour le mien ?". L'opération
se déroule à Saint SYMPHORIEN, devant Me MARTIN, Notaire, le 11 Juillet
1788. C'est Bernard dit TCHIC qui l'emporte en proposant 2.500 Livres
nettes de tous frais à son frère BERNACHON qui, à ce prix-là, lui
abandonne ses droits sur la succession de leurs Parents. Désormais, la situation sera donc un peu plus simple. Pas assez cependant pour éviter que les deux frères restant en compétition n'entrent en procès devant la Cour Seigneuriale de CASTELNAU. Heureusement que des amis communs s'interposent et les conduisent à accepter un arbitrage dont ils conviennent le 24 Septembre 1788 devant Me DARTIGOLLES, Notaire à VILLANDRAUT. Leurs motivations sont sages : "considérant
qu'un tel procès pourroit causer leur ruine, ce que voulant éviter, et
conserver d'ailleurs union et amitié qui doit entre (eux) régner..." Ils
désignent donc chacun un expert. Mais pour des raisons qui nous échappent,
cet arbitrage n'aboutira pas, et nous retrouverons une fois encore les
deux frères devant la Cour de CASTELNAU. Entre temps, TCHIC a émigré
vers BUDOS, et CADICHON gère incontestablement seul LA FERRIERE. On
le voit transiger sur un procès engagé par son Père, en poursuivre un
autre contre un certain SAUBOUA jusque devant le Sénéchal de
CASTELJALOUX, etc... Il agit en maître et sans référence à la
situation d'indivision dans laquelle il se trouve encore. Cette nouvelle relance procédurale tournera court, toujours sous la même pression d'amis communs et au nom des mêmes motifs, il est vrai que c'est le même Notaire qui tient la plume, toujours à VILLANDAUT, le 17 Mars 1790 : "considérant
qu'un tel procès pourrait leur devenir coûteux, pour ce éviter et
maintenir l'amitié qui doit entre (eux) régner..." Un
désir aussi obstinément répété de conciliation mériterait une
meilleure fortune... Ils désignent deux nouveaux experts, et prévoient
que s'ils ne parviennent pas à s'entendre, ils désigneront un super
arbitre qui tranchera souverainement. Et cette fois-ci, les choses vont
aller vite. Au
mois de Mai 1791, Etienne rachète purement et simplement tous ses droits
à son frère TCHIC. Il devient donc le seul et unique héritier de leurs
Parents. Mai, ce faisant, il ne faut pas oublier qu'il a également
"acheté" la dette de 2.500 Livres que TCHIC avait envers
BERNACHON et qui n'est évidemment toujours pas payée. Et
puis n'oublions pas non plus les 1.500 Livres de la dot de BERNACHON,
toujours en litige devant les Tribunaux, et sur laquelle nous allons
revenir tout à l'heure. Tout
cela est bien compliqué, mais peu à peu, les choses vont, commencer à
se clarifier. |
L'affaire s'éclaircit, mais à quel prix ?
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Déjà,
dans la succession FERRAND, il n'y a plus qu'un seul et unique
interlocuteur en face du clan MARSAU/BERNACHON, et c'est un progrès
considérable. Il ne restera plus qu'à attendre le secours de l'inflation
pour régler avantageusement toutes ces vieilles affaires. C'est
bien ce qui va se passer devant Me DARTIGOLLES, Notaire à VILLANDRAUT, le
11 Février 1793. Ce jour-là, Etienne FERRAND, son frère BERNACHON et
Pierre MARSAU le Beau Père se trouvent réunis au Quartier de TRISCOS,
dans la maison des MARSAU. Tout
va se passer entre Etienne et le Beau-Père MARSAU. Bien qu'âgé de bientôt
37 ans, BERNACHON n'a pas voix au chapitre, c'est bien pourtant de son
argent qu'il s'agit, mais c'est le Beau-Père MARSAU qui le reçoit, et
lui seul.. Cette
société est encore profondément patriarcale. Etienne verse alors non
seulement les 2.500 Livres du capital de la dette, mais aussi 413 Livres
d'intérêts échus. Il
ne reste plus à Pierre MARSAU qu'à se reconnaître dépositaire de la
somme vis-à-vis de son Gendre, ce qu'il fait dans le même acte, et
chacun sera enfin rentré dans ses droits. Il
aura fallu pour cela cinq ans et demi; des années lourdes de conséquences
car il est bien évident que 2.500 Livres de Février 1793 n'avaient plus,
tant s'en faut, la valeur qu'elles pouvaient avoir au moment du décès du
Père FERRAND en Octobre 1787. Bien des évènements étaient survenus
dans l'intervalle.... |
Mais une autre affaire est en cours.
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Cette
affaire est donc réglée; mais en nous attachant exclusivement à son déroulement,
nous avons délibérément laissé de côté l'autre litige, presque aussi
important, qui, dans le même temps, oppose les mêmes antagonistes sur la
question du paiement de la dot de BERNACHON. Le
procédé a été commode, mais il est abusivement simplificateur car les
procès successifs qui ont tenté de résoudre cette autre affaire se sont
déroulés très exactement dans la même période, et les personnages que
nous venons de voir s'agiter devant nous vivaient en même temps les
contraintes et les soucis imputables à d'autres affrontements. En
fait, ce sont deux pièces qui se jouaient sur une même scène avec les mêmes
acteurs, et seul notre artifice de présentation les a distingués. Ne
perdons pas de vue que les protagonistes ont vécu ces évènements tout
autrement. Ainsi
donc, au décès d'Etienne FERRAND Père, le 23 Octobre 1787, les 1.500
Livres de dot promises à son fils Bernard, dit BERNACHON lors de son
contrat de mariage, le 5 Janvier 1782, n'étaient toujours pas payées.
Or, la somme devait être versée dans les trois ans du mariage, soit donc
en Février 1785. Les
intérêts couraient depuis lors. Mais ce n'était pas tellement les intérêts
qui étaient en cause. Nous
avons déjà vu comment TCHIC et CADICHON auraient volontiers fait payer
ces 1.500 Livres par la succession en les partageant en trois, alors que
BERNACHON et le clan MARSAU exigeaient, avec juste raison, que les 1.500
Livres fussent payées d'abord, comme elles auraient dû l'être à l'échéance
de 1785, et que l'on partage ensuite le reliquat en trois, mais ensuite
seulement... Ce
qui était évidemment fort différent. Dans un premier temps, Pierre
MARSAU voulut s'en tenir à une affaire simple (du moins le
croyait-il...). Dans son esprit, les 1.500 Livres étant incontestablement
dues, leur récupération interviendrait tôt ou tard dans la liquidation
du partage. Mais ce qu'il voulait dans l'immédiat, c'était se faire payer les intérêts qui lui étaient dûs, et surtout ceux qui étaient échus à la date de la mort du Père FERRAND en 1787. Il en évaluait la durée à 2 ans 8 mois et 15 jours, et son calcul était exact. Or : "...
s'étant inutilement adressé tant audit Etienne...qu'à autre Bernard
FERRAND (TCHIC) son troisième frère, sans avoir pu en obtenir le
payement..." il les cita en Justice devant le Tribunal de CASTELNAU par un Exploit du 17 Septembre 1788. Bernard : "se
contenta de se faire représenter (par) un Procureur et ne fournit point
de défense...; il n'y eut que son frère qui voulut entrer en
lice..." Il
avança des arguments peu convaincants, ce qui n'empêcha pas l'affaire de
traîner pendant presque deux ans devant cette Juridiction. Finalement,
le Juge rendit son "appointement" le 30 Août 1790 en
condamnant purement et simplement les deux frères FERRAND à payer les
intérêts échus à Pierre MARSAU et BERNACHON leur frère, majorés de
tous les dépens. En
application de ce jugement, Pierre MARSAU calcule le montant des intérêts
qui lui sont dus, arrêté à 170 Livres et le soumet au Juge le 8
Septembre en lui demandant de l'entériner. Celui-ci ne veut pas se
prononcer sans avoir entendu ceux qu'il a condamnés. Mais il mettra
jusqu'au 29 Novembre pour prendre cette décision pourtant toute simple ;
il les convoque alors à la prochaine audience pour : "s'accorder
ou contredire ledit règlement..."
Seulement, voilà, il n'y aura jamais de prochaine audience, car c'est le
moment où le Tribunal Seigneurial va être supprimé... Après un temps de flottement consacré à la mise en place des nouvelles institutions, Etienne FERRAND, le 7 Avril 1791, fait appel du Jugement du 10 Août précédent devant le nouveau Tribunal de BAZAS. Il est le seul à le faire : "car
pour ce qui est de Bernard, il est toujours défaillant et trop pénétré
de la justice de la demande (de MARSAU) pour ozer entreprendre de la
combattre..." C'est
du moins l'avis de Pierre MARSAU qui réagit en présentant à la Cour un
mémoire détaillé sur toute l'affaire ajoutant que : "rien n'est plus
facile à démontrer que la faiblesse et la frivolité des... prétendus
griefs (de FERRAND)" Etienne avance l'argument que BERNACHON a eu sa part des fruits produits par l'héritage et qu'à ce titre : "
il doit donc supporter sa contingeante part des intérêts..." ce que les intéressés contestent avec la dernière vigueur. Bernard, dit BERNACHON, vit avec sa famille au Quartier de TRISCOS dans la maison de Pierre MARSAU. Il n'a jamais perçu aucun fruit de l'héritage de son Père alors qu'Etienne, vivant sur place à LA FERRIERE a toute l'exploitation en main et jouit de toutes les récoltes. Aussi MARSAU estime-t-il que sa créance : "est
claire et certaine (et qu')elle est hypothéquée (par le contrat de
mariage) sur tous les biens de feu FERRAND Père.." Il
demande donc au Juge de BAZAS de confirmer purement et simplement la décision
prise par le ci-devant Juge de CASTELNAU le 30 Août 1790. L'affaire
parait simple. Elle ne l'est pas, du moins aux yeux des nouveaux
magistrats. La nouvelle Justice Civile. Républicaine n'est pas plus expéditive
que la défunte Seigneuriale. De défauts en renvois successifs, ce procès
reviendra huit fois devant la Cour jusqu'au 27 Mai 1791. Pierre
MARSAU et BERNACHON finissent par l'emporter, ils auront leurs 170 Livres
d'intérêts, mais il reste à établir le compte des dépens. Nous en
avons le détail au denier près, il est tout à fait conséquent. Le
procès devant le Tribunal de CASTELNAU avait coûté 45 Livres 12 Sols 3
Deniers, mais celui plaidé devant la Cour de BAZAS s'élève à 81 Livres
13 Sols 3 Deniers. Ce qui fait un total de 127 Livres 5 Sols 6 deniers,
dont le mémoire est présenté aux frères FERRAND au titre des dépens. Le
rapprochement des 127 Livres de frais de Justice avec les 170 Livres objet
du litige donne à réfléchir. Mieux encore, la dette des 170 Livres était
absolument incontestable et n'a d'ailleurs jamais été contestée, ce qui
était en cause, c'était sa répartition entre deux (selon MARSAU) ou
trois héritiers (selon FERRAND). Le
litige portait donc en fait sur un peu moins de 57 Livres, et c'est pour
cela que l'on a exposé 127 Livres de frais et de dépens... Quant au
capital des 1.500 Livres de la dot, il sera liquidé par compensation dans
le règlement final de la succession en 1793. Nous allons enfin sortir de cette période de conflits pour retrouver des conditions de vie un peu plus sereines. |
La situation se normalise, la famille s'agrandit.
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Au
cours de l'année 1791, le foyer de BERNACHON avait accueilli un premier
enfant, Etienne (encore un autre..). Un enfant un peu tardif puisque ses
Parents étaient déjà mariés depuis neuf ans. Le
23 Août 1793, à 10 heures du matin, naissait à son tour une petite
Jeanne. Lorsque son Père alla la présenter le lendemain matin à Jean
BATAILLEY, Officier d'Etat Civil à BALIZAC, il devait régner une
certaine confusion dans la "Maison Commune" car, si l'enfant est
appelée Jeanne dans l'intitulé de l'acte, dans le corps du texte, elle répond
ensuite au prénom de Marie... En
fait, c'est bien de Jeanne qu'il s'agit car elle s'appellera bien ainsi
jusqu'à la fin de ses jours. La chose n'est pas indifférente. Cette
enfant, par son mariage ultérieur assurera en effet toute la descendance
de notre branche des DARTIGOLLES. Sa
Mère avait déjà plus de 36 ans, ce qui, pour l'époque, était un âge
un peu limite. Mais Jeanne MARSAU fera beaucoup mieux puisque, quatre ans
plus tard, elle aura encore une autre fille dont nous aurons l'occasion de
reparler. Pierre
MARSAU commençait à prendre de l'âge. Certes, personne ne pouvait
encore douter qu'il fût le maître en sa maison, mais son gendre
BERNACHON commençait à prendre des initiatives. |
Bernachon va redevenir meunier.
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En
particulier, lui qui avait passé toute son enfance et sa jeunesse dans
les moulins devait être un peu frustré de la bonne odeur de farine...
Mais l'odeur ne devait pas être la seule en jeu. Dans
les temps troublés que l'on vivait en 1793, il devait y avoir quelqu'intérêt
à commercer dans les grains et farines plutôt que de se cantonner à la
seule production de ses terres. Le marché de VILLANDRAUT ne fonctionnait plus que sur réquisitions et sous la surveillance de la Garde Nationale. Les Districts de la Lande, en particulier ceux de SORE et de TARTAS si fidèles jusque là aux marchés du Mercredi, ne fournissaient plus rien. La Municipalité s'était un peu naïvement étonné de cette carence et avait invité ces fournisseurs traditionnels à revenir sur son marché. En vain. Elle écrivit alors très officiellement au District de TARTAS en invoquant la réglementation prévoyant : "que
les Communes qui étaient dans l'usage de fréquenter le marché de
VILLANDRAUT fussent tenues d'y apporter tous les grains qu'elles avaient
à vendre..." Et pour donner du poids à sa démarche, le ler Brumaire An II (22 Octobre 1793), elle en informa le Département en lui demandant son appui pour : "
l'aider à sortir de la situation alarmante où se trouvait le marché de
VILLANDRAUT relativement aux subsistances.." Le
Département avait bien d'autres soucis en tête avec l'approvisionnement
de BORDEAUX et les fournitures aux Armées. La Commune n'obtint même pas
de réponse. Il n'est pas douteux que dans un tel contexte, on avait intérêt
à se situer dans le courant actif des affaires plutôt que d'attendre
passivement les évènements. D'autant que la fonte rapide de la monnaie
incitait aux investissements immédiats. Or,
comme le privilège de meunerie avait été aboli, n'importe qui, désormais,
s'il en avait les moyens et pour peu qu'il connaisse un peu le métier,
pouvait se faire construire un moulin. C'est ce que fit Bernard FERRAND
dit BERNACHON. Et
c'est bien lui qui parait partout dans cette affaire et non plus son
Beau-Père. BERNACHON aura son moulin, dans un endroit discret, loin de
toute habitation, sur le Ruisseau d'ORIGNE; ce sera le moulin que nous
appelons maintenant "de
TRISCOS". Pour
ce faire, il aura eu recours à l'aide financière et technique de son frère
Etienne dit CADICHON, ce qui tend à prouver que leurs relations se sont
améliorées depuis la fin de leurs procès. Mais ne péchons pas par excès
d'optimisme, car ce concours fraternel donnera lui-même matière quelques
années plus tard à un nouveau conflit heureusement arrêté à temps par
quelques amis raisonnables. Ces FERRAND sont décidément incorrigibles... |
Le moulin de Triscos connaît des débuts
difficiles.
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Cette construction s'engage mal. On a dû vouloir faire trop vite et le déversoir ne résiste pas. Il faut le refaire, mais les artisans deviennent rares, la guerre est partout, nous sommes en l'An II et la conscription laisse de grands vides dans la main d'oeuvre. Pour rétablir son déversoir, BERNACHON doit faire appel à un maçon de CERONS avec lequel il passe un contrat sous seing privé le 17 Pluviose An II (5 Février 1794): " Moi, Pierre FILLAU, maçon de la Commune de CERONS, je suis convenu avec le Citoyen Bernard FERRAND de la Commune de BALLIZAC pour le relèvement d'un échac de moulin. Moi, Pierre FILLAU, et mé deux petits frères, m'oblige de travaillé au susdit échac moyenant les ouvriers que nous jugerons (utiles) entre nous deux; ces ouvriers aux fraix du Citoyen FERRAND. Si
dans le cas je viens à être requéri je entand que le restant de la
somme qui m'est dû me soit payé avant de partir. Si je ne part pas, je
veu être payé en trois fois comme nous sommes convenus..." Nous
sommes là dans un temps où les affaires doivent tourner très vite et
les règlements intervenir sans délai sous peine de les voir effectuer en
monnaie de singe. A peine ces travaux sont-ils terminés que tous les intéressés
deviennent impatients et nerveux. Dés le début du mois d'Avril, le
forgeron de BALIZAC assigne FILLEAU à comparaître devant le Bureau de
Paix et de Conciliation de CADILLAC pour lui règler 113 livres de fer et
diverses fournitures livrées au chantier du moulin. Cette assignation est pour le 23 Germinal An II (12 Avril 1794). Aussitôt, FILLEAU cite BERNACHON à comparaître devant la même instance le 5 Floréal (24 Avril) pour : "s'expliquer
sur les différends survenus entre eux relativement à une entreprise du
moulin de TRISCOS de 7.050 Livres ... (sur laquelle) ledit FERRAND se
trouve devoir la somme de 1.717 Livres et 5 Sols." Nous n'en saurons pas plus sur cette affaire qui semble s'être arrangée, du moins sous son aspect financier car pour l'exécution du travail, ce sera une toute autre chose, il faudra en effet reprendre ce chantier un an plus tard. |
Le décès de Pierre Marsau, dernier du nom.
|
Le
22 Thermidor An II (9 Août 1794) à six heures du soir, Pierre MARSAU décède
en sa maison de TRISCOS. Les
deux témoins qui vont déclarer son décès le lendemain à la Maison
Commune sont BERNACHON, son gendre, et, beaucoup plus inattendu, Etienne
FERRAND dit CADICHON, avec qui le défunt a été si longuement en
conflit... Retenons
cette anecdote comme un autre signe montrant que les deux frères, en dépit
des procès qui les ont opposés, ont néanmoins conservé quelques
relations ; il en existe d'ailleurs bien d'autres preuves en d'autres
circonstances. En
cette occasion, il nous est confirmé que BERNACHON est bien devenu
meunier, et nous apprenons par ailleurs qu'Etienne dit CADICHON, depuis
qu'il a cédé le bail de LA FERRIERE à son frère TCHIC, est venu
s'installer, du moins pour le moment, cultivateur à TRISCOS. Avec Pierre s'éteignait cette branche de la famille MARSAU qui, par sa dernière fille, Jeanne,allait désormais se fondre dans la lignée des FERRAND, et, à la génération suivante, dans celle des DARTIGOLLES. |
Le grand hiver de 1794 / 1795.
|
Nous
ne saurions passer cette période sans évoquer les rigueurs de l'hiver
1794/95. Jusqu'à la Noël, la température avait été très clémente.
Le 24 Décembre, il faisait encore relativement doux puisqu'on relevait 6°,
mais le lendemain, au matin de Noël, il faisait -5°. On
avait perdu 11° en quelques heures. La chose surprit par sa soudaineté,
mais ce n'était qu'un début. Dès
le 26 Décembre, la GARONNE commença à charrier des glaçons venus du
Haut Pays et fut bientôt prise presque en son entier; cela dura jusqu'au
30. Après
un dégel de quelques jours, il se mit à neiger abondamment et le froid
revint en force, encore plus vif que la première fois. La
GARONNE gela complètement et resta prise du 17 au 26 Janvier 1795, si
bien qu'on put la traverser à pied entre PODENSAC et RIONS. Au
printemps suivant, on voit apparaître une curieuse transaction familiale. BERNACHON
vend son moulin de TRISCOS à son frère CADICHON. Bien
qu'aucun acte de cette vente n'ait jamais pu être retrouvé, la chose ne
parait pas contestable ainsi que nous allons le voir dans un instant. Mais
le plus curieux, c'est bien qu'en Janvier 1797, ce même moulin appartient
de nouveau à BERNACHON toujours sans qu'aucun acte relatif à cette
transaction ait davantage pu être découvert. |
Et ce moulin ne tourne toujours pas …
|
Ainsi donc, Etienne vient d'acheter ce moulin à son frère, et, une fois encore, le déversoir est en cause. C'est à peine croyable, mais il faut encore le refaire... A cet effet, le 4 Floréal An III (23 Avril 1795), Etienne passe une convention avec DUBERNET, maçon à NOAILLAN, et le texte dont il conviennent porte bien la marque de la langue gasconne dans laquelle ils ont conduit leur négociation avant de la traduire en français (orthographe respectée). "Entre nous a été convenu et demeuré dacort de ce qui suit moy étienne ferran habitant de la Commune de Balizac et moy dubernet maçoun habitant de la Commune de nauillan Sçavoir moy Dubernet, je m'oblige a faire un échaq neuf au moulin que le Citoien ferran a acqis de son frère au lieu de Triscos Commune de Ballizac, devant le faire de la même grandeur que celui qui existe maintenant et que je dois démolir, les matériaux devant me rester pour constrire le nouveau. Je m'oblige en outre,moy dubernet de fermer la brèche, c'est à dire le lieu où est maintenant l'échaq, un meur qui doit avoir quatre pieds dépêsseur et le mur du nouveau ne doit en avoir que trois pieds aussi dépésseur. Je
dois en outre fournir huit pierres de cinq à six piés de long que ferran
doit venir chercher à la Carrière, et moy ferran je m'oblige de rendre
pour faire l'ouvrage ci-dessus maintenant tout le matériaux sur le lieu,
je m'oblige en outre de faire sortir la terre qui enpêche à Battir le
nouveau échacq. pour pris du dit ouvrage je m'oblige moy étienne ferran
donner audit Dubédat la somme de seize cents livres et dix Boissaux
seigle mesure de Bazas après la récolte prochaine; je m'oblige en outre
moy ferran de tremper la soupe deux fois par jour au dit dubernet et ces
ouvriers tout comme aussi de les coucher de tout quoy avons fait le présent
double pour nous servir et valoir en temps que de beisoin à noavillan le
quatre floréal de lan troisième de la République française une et
indivisible - ferran" On
notera la forme que prennent les contrats de 1'époque. Les
prix sont de moins en moins exprimés en argent. Une
part notable du montant des fermes, des travaux et des services est calculé
en nature, surtout pour les paiements à terme. C'est encore un signe de défiance vis à vis de la monnaie; même si le mot est peu connu à BALIZAC, on sait désormais très bien ce que peut être l'inflation. |
Bernachon abandonne la meunerie
|
Voilà
donc BERNACHON dépossédé de son moulin et redevenu, au moins pour un
temps, cultivateur, ce qu'il n'avait certainement jamais cessé d'être
car on le voit mal abandonner la gestion des importantes propriétés des
MARSAU. Depuis
la disparition de son Beau-Père, il est devenu le chef de famille. Il a
maintenant 40 ans et deux enfants. Etienne et Jeanne. Mais petit Etienne
va mourir, à l'âge de cinq ans. le 12 Germinal An IV (let avril 1796). Au
mois de Juillet de la même année, BERNACHON a un accident à
VILLANDRAUT. Nous
ignorons tout de sa gravité et de ce qu'il a pu être, mais nous savons
qu'il lui a fallu recevoir des soins du Citoyen BOUSQUET, Officier de Santé
auquel il régla trois francs d'honoraires, treize mois plus tard, le 8
Fructidor An V (25 Août 1797). Cet
accident n'a pas dû trop l'handicaper, d'abord parce que le montant des
soins est modeste, mais aussi parce que le 18 Messidor An V (7 Juillet
1797), il est désigné comme séquestre des revenus d'une métairie de
TRISCOS à la suite d'une saisie. C'était
une fonction peu prisée et passablement contraignante que l'on cherchait
à éviter sous toutes sortes de prétextes. Si
son état de santé lui avait fourni un motif d'en éviter la charge, il
est bien probable qu'il en aurait fait valoir l'argument, ce que, à l'évidence,
il n'a pas fait. Accessoirement,
l'ordre de mission qui lui est délivré par l'huissier est intéressant
en ce qu'il nous désigne ce que pouvaient être les récoltes d'une métairie
à TRISCOS en ces toutes dernières années du XVIIIème siècle. On a : "pris, saisi, (et) mis sous la main de la Nation et de la Loi tous les fruits et revenus appartenans (au saisi)..- qui se recueilleront la présente année dans ladite métairie ...et qui sont actuellement ou serons cy-après pendans par branches et racines ... et qui consistent en bled seigle, froment, mil, millade et chanvre." |
Une
naissance et un contentieux fiscal.
|
Le
27 Vendémiaire An VI (17 Octobre 1797), sur les deux heures du matin
naquit à TRISCOS chez BERNACHON et Jeanne FERRAND, une seconde fille également
prénommée Jeanne, tout comme sa soeur aînée (et comme sa mère...). Cette
famille n'avait jamais eu beaucoup d'imagination dans le choix de ses prénoms...
et elle n'était pas la seule en ce cas. Les
Impôts avaient été supprimés par le nouveau Régime pour être remplacés
par des Contributions. Mais
Bernard FERRAND ne parait pas avoir été très sensible à la nuance.
Qu'il s'agisse des uns ou des autres, la première réaction d'un
contribuable est de se situer par rapport à ses voisins et de se faire
une idée (toute personnelle) sur la position qu'il occupe vis-à-vis de
situations qu'il estime comparables. C'est très exactement ce que fait BERNACHON au début de 1798, et il trouve là matière à mécontentement. Un mécontentement dont il va faire part, aux Administrateurs du Canton de Saint SYMPHORIEN : "Citoyens Administrateurs, " Bernard FERRAND, propriétaire, domicilié de la Commune de BALIZAC ...vous expose qu'il a été prévenu par le Percepteur de la Contribution foncière le l'An six; que la somme portée sur son article de rôle pour la dite année monte au total à cent six francs ; ce taux lui parait extrêmement exagéré au pro rata de ses possessions et revenus. Comparativement avec d'autres propriétaires plus forts que lui en possessions et revenus, et que leurs taux, portés sur le même rôle sont beaucoup inférieurs au sien. Tels sont les articles du Citoyen Arnaud LACASSAIGNE, Arnaud CLAVERIE, (la) Veuve de Martin COUTRON et celui de Jean CALLEN dit MOT. "
Il se croit fondé à demander une réduction sur sa taxe foncière de la
susdite année de l'An six attendu qu'il en a déjà payé la moitié,
conformément à la Loi, et qu'il prouvera par le rôle en exercice qu'il
n'est point au niveau des autres propriétaires; qu'à cet effet il réclame
la vérification de son article comparativement avec les autres sur toutes
les propriétés qui en dépendent pour estatuer ce que de droit..." Nous
ne savons pas si BERNACHON a su convaincre les Citoyens Administrateurs de
la légitimité de sa démarche, mais en tous cas, cette pression fiscale
ne l'aura pas empêché de reconstituer son patrimoine. En
effet, moins de trois ans après l'avoir cédé à son frère Etienne,
nous apprenons, ainsi que nous l'avons déjà vu, qu'il est de nouveau
propriétaire du moulin de TRISCOS. |
Nouveau revirement,
|
Et
là encore, pas plus que lorsqu'il s'en était défait, il ne subsiste
aucune trace d'acte sanctionnant cette transaction. C'est si surprenant
que l'on se prend à douter de sa réalité. Tout ce que nous en savons
repose après tout sur bien peu de chose, sur la simple mention figurant
dans le contrat de travaux passé le 23 Avril 1795 avec le maçon DUBERNET
concernant ce moulin de TRISCOS: "que
le Citoyen FERRAND a acquis de son frère..." Peut-être
faisons-nous un contre sens sur ce terme "d'acquis". Il
pourrait ne viser qu'une simple prise en location. Mais
cette hypothèse n'en reste pas moins fragile car tout le reste de la
convention montre bien un Etienne agissant en véritable propriétaire, et
à aucun moment il n'est fait référence à BERNACHON, ce qui serait
surprenant s'il avait conservé quelques droits sur ce bien, car les
travaux prévus sont très importants et touchent aux oeuvres vives du
moulin. Force
est donc de dire que nous n'en savons pas davantage et que cette
transaction, incontestable sous une forme ou sous une autre, n'en reste
pas moins obscure dans sa nature même. Ainsi
donc, voici de nouveau BERNACHON maître en son moulin. Il
ne va pas le reprendre pour son compte, mais va l'affermer à des cousins
MARSAU. Outre
la branche avec laquelle s'était allié BERNACHON, celle dite de LA
BESOUE, il y avait deux autres branches de la famille MARSAU vivant également
toutes deux à TRISCOS, celle dite de CALEBIN, la plus importante, et
celle du REY. Toutes
les trois semblent bien être issues d'un ancêtre commun, Pey MARSAU, né
à TRISCOS vers 1620 ; en tous cas pour les LA BESOUE, c'est parfaitement
incontestable puisque nous disposons de leur filiation continue depuis
lors. BERNACHON
va donc affermer son moulin de TRISCOS le 12 Pluviose An VI (ler Février
1798) pour une durée de cinq ans, à Jeanne ROUMAZEILLES, Veuve MARSAU,
et à ses deux fils Guilhem et Jean. Il
était précisé que ce moulin travaillait à deux meules. Le prix de la
ferme était de 55 boisseaux de grain dont 35 de seigle et 20 de millade,
deux paires de chapons et deux autres de canards. On
notera qu'il n'est plus ici question d'argent, la totalité du loyer est
évalué en nature. En fait, il sera évalué à 500 Francs, mais
uniquement pour des raisons fiscales, à seule fin de pouvoir calculer les
droits d'enregistrement du bail. Seules
les spécifications en nature lieront les parties contractantes; c'est un
excellent exemple de fuite devant la monnaie. Nous sommes au début de
1798 et, du moins en milieu rural, la confiance n'est pas encore revenue. Le
retrait d'Etienne FERRAND de ce moulin ne s'est pas fait sans
contestation, on aurait pu s'en douter. Les frères FERRAND ne peuvent
s'empêcher de traiter des affaires entre eux, et chacune de ces expériences
aboutit à une situation contentieuse. Le retour du moulin d'Etienne à BERNACHON n'y échappera pas. Toutefois, cette fois-ci, ils auront évité le recours à la justice en s'en remettant à un arbitrage privé de deux amis de BALIZAC. Ces arbitres ont reconnu qu'Etienne FERRAND avait fait des avances et fournitures pour la construction du : "moulin
à eau qu'a fait construire ledit (Bernard FERRAND) sur le Ruisseau d'AURIGNE,
au cartier de TRISCOS... et,
le 15 Fructidor An VI (2 Septembre 1798), ont estimé son apport à 1.000
Francs. BERNACHON
ne contestera pas cette décision et s'acquittera de sa dette le 28 du même
mois (14 Septembre) non sans y ajouter les 1 Fr,65 d'intérêts que lui réclame
son frère Etienne pour les quinze jours écoulés. C'est
une famille où l'on ne se fait pas de cadeaux... Au demeurant, la
confiance ne semble guère régner, car BERNACHON va prendre un luxe de précautions
vis-à-vis de la quittance que lui remet Etienne. Non seulement il la fait authentifier par le Juge de Paix de St SYMPHORIEN, mais il va la déposer sous couvert d'un acte également authentique chez Me DUCASSE qui est Notaire à LANDIRAS, ce qui est fait le 11 Nivose de l'An VII (2 Janvier 1799) ."Le
vingt huit fructidor an six de la république française une et
indivisible, je soussigné, Etienne Ferran jeune, fermier du moulin de
Villandraut certifie avoir reçu du cit. Bernard Ferran mon frère la
somme de mille livres que le dit Ferran mon frère, me doit, pour avances
par moi faittes à un moulin à eau qu'a fait construire ledit sur le
ruisseau d'Aurigne, au Cartier de Triscos, à laquelle ditte somme de
mille francs, mon dit frère est condemné par jugement arbitral du quinze
fructidor présent mois, Rendû par les Citoyens Batailley fils, et
Etienne Augé officier de santé, tous Deux de la Commune de Balizac.
Enregistré à BAZAS le dix neuf fructidor an six par Becquet qui a reçû
huit francs vingt cinq centimes, plus celle de un franc soixante douze
centimes pour la levée du verbal de conciliation du Juge de paix du
Canton de St Simphorien en datte du vingt sept pluviose an six, et celle
de un franc soixante cinq centimes pour !'intérêt Depuis le quinze, Jour
du Jugement arbitral, jusques à ce jour vingt huit; total desdittes
sommes Mille trois francs cinquante cinq centimes, au moyen de quoy je
tiens quittes Bernard Ferran mon frère, de ce que je puis". |
La fin de la Révolution.
|
Nous
sommes là à la charnière du Directoire et du Consulat dans une Révolution
qui ne finit pas d'en finir et qui cherche vainement une stabilité
improbable. Ils sont peu nombreux, à BALIZAC ou à NOAILLAN ceux qui se
posent des problèmes de grande politique. Par
contre, chacun a son idée sur le bilan de ce qu'il est en train de vivre.
Les FERRAND ne pouvaient manquer de trouver que cette Révolution avait eu
du bon lorsqu'ils prenaient leur fusil un matin d'hiver pour chasser la
perdrix ou pour courir un lièvre. De
même, BERNACHON avait-il connu une légitime satisfaction à construire
son propre moulin à TRISCOS dès qu'il avait su que la chose était désormais
possible ... La
suppression des droits seigneuriaux les avaient moins marqués. Si l'on
excepte les droits de mutation (les "lods et ventes") qui
étaient de 12,5%, ces droits étaient devenus, dans nos régions, à peu
près négligeables ; et comme la Nation avait inventé d'autres droits de
mutation, le bénéfice était plutôt mince. De
même, des Contributions avaient-elles remplacé les Impôts Royaux, et
nous avons vu que BERNACHON, n'y avait pas trouvé un avantage évident.
La suppression de la Dîme, pourtant intéressante (environ 7,5% du
produit des récoltes), n'avait pas soulevé un grand enthousiasme. Il
est d'ailleurs significatif de noter qu'aucun des Cahiers de Doléances de
la région, en 1789, n'avait demandé sa suppression. Par contre, nombre
d'entre eux avaient suggéré d'y apporter des aménagements souvent très
judicieux. Ce
qui avait finalement le plus sensiblement modifié la vie quotidienne
rurale, c'était la suppression du culte catholique et des traditions
ancestrales auxquelles chacun était viscéralement attaché. Il
y avait déjà longtemps que les braves paysans locaux avaient déserté
les cérémonies du Culte de la Raison qui se déroulaient dans les
ci-devant églises désormais débarrassées de leur mobilier liturgique. Au
début, ils les avaient fréquentées parce que c'était là que l'on
apprenait les nouvelles; mais bien vite, les discours pompeux qu'ils y
entendaient, encore plus ennuyeux que les sermons habituels de leur Curé,
les en avaient finalement détournés. Les
Gascons n'ont jamais été très friands de sermons. Dans
leur langue, "sarmouney" (littéralement "sermoneur")
signifie tout bonnement "casse pieds". C'est tout dire
... Les responsables locaux s'en désolaient en vain. Or, une certaine tolérance
avait commencé à se manifester sous le Directoire. Ici et là, un peu
partout dans les campagnes, on voyait plus ou moins ouvertement reparaître
des prêtres, et. même des prêtres insermentés qui avaient survécu à
la tourmente. Un culte clandestin se remettait peu à peu en place. En
contrepartie de cette tolérance, le Gouvernement se montrait de plus en
plus strict vis-à-vis des manifestations extérieures de la religion, Ce qui lui permettait de sauver la face. L'utilisation des cloches, par exemple, était tout spécialement proscrite. Des Lois draconiennes prévoyaient des peines correctionnelles envers ceux qui auraient passé outre. Un Arrêté du Département de la GIRONDE en date du 26 Pluviose An IV (15 Février 1796) prévoyait entre autres choses que : "Toutes
les fois que les cloches auront été sonnées dans une Commune,
l'Administration Municipale du Canton en ordonnera le brisement et en
rendra compte à l'Administration Départementale, les cloches ainsi brisées
seront envoyées à la Monnaie de BORDEAUX." Cette
contrainte était très mal vécue. Que l'on puisse par exemple enterrer
un proche parent sans pouvoir lui rendre les "honneurs funèbres"
dans lesquels les sonneries de cloche avaient tant d'importance, dépassait
l'entendement de nos ancêtres. A la limite, ils se seraient peut-être
plus facilement passé du Curé que des cloches. Leur mécontentement était
très vif, cette Révolution n'avait pas que du bon.... Mais il n'y avait pas que les cloches... Un autre Arrêté du Département de la GIRONDE rappelle le ler Messidor An VI (19 Juin 1798) : "qu'il
était défendu d'allumer... des feux de joye au jour correspondant au 23
Juin (vieux style)..." et
prescrit de les reporter au 10 Messidor (29 Juin) jour où le calendrier républicain
situait la fête de l'Agriculture. Un feu de St JEAN le 29 Juin ne
signifiait rien, et c'était tout le problème des fêtes républicaines.
Le peuple revenait de plus en plus aux anciennes pratiques. Le chômage n'était plus observé les décadis, alors qu'il redevenait de plus en plus suivi lors des anciens Dimanches. Les Officiers Municipaux, mi-débordés et mi-complices laissaient faire. Le Pouvoir central ne désarmait pas pour autant. Le 29 Thermidor An VI (16 Août 1798), l'Administration départementale rappelle une fois encore aux Cantons d'empêcher la sonnerie des cloches et leur renouvelle qu'ils sont dans l'obligation : "de
faire briser immédiatement les cloches coupables..." Nouveau
rappel le 29 Germinal An VII (18 Avril 1799) sur l'impérieux devoir de
faire observer le repos décadaire et les fêtes nationales, obligation
scandaleusement violée dans bien des Cantons. La répétition même de
ces textes suffit à confirmer la précarité de leur application. A
BORDEAUX, on finit par se rendre compte que l'on a perdu le contact avec
la réalité du terrain. Le Citoyen BALGUERIE, Président de
l'Administration Départementale de la GIRONDE, veut faire le point exact
de la situation. Pour cela, le ler Fructidor An VII (18 Août 1799),il adresse personnellement à chaque responsable de Canton un questionnaire très précis sollicitant de son patriotisme : "des
renseignements détaillés sur les véritables causes de l'éloignement
que le peuple montre pour les Fêtes nationales et décadaires.." Et il insiste beaucoup pour savoir l'entière vérité : "...
qu'aucune considération n'arrête votre plume..." Il
va être servi. Cette lettre parvient aux Cantons de NOAILLAN et de St
SYMPHORIEN. Il a demandé des réponses franches, il va les avoir. Glanons quelques unes de ces réponses : -
Question : " La Loi du 17 Thermidor An VI est-elle observée dans
toutes les Communes de votre Canton ?" - Réponse
: "Elle n'y est presque plus connue." -
Question : "Les Agents Municipaux surveillent-ils l'exécution de
la Loi précitée ?" - Réponse
: " Les Agents Municipaux et l'Administration en entier voyent
chaque jour de décadi et fêtes nationales travailler sous leurs yeux
leurs familles, travaillent eux-mêmes, le font avant et après qu'ils
sont de retour du Temple (de la Raison), lorsqu'il assistent à la Fête,
ce qui ne leur arrive pas souvent..." -
Question : " Les fonctionnaires publics donnent-ils de funestes
exemples ?" - Réponse
: " Les fonctionnaires publics suspendent, tous, leurs travaux les
jours des ci-devant Dimanches et Fêtes et font travailler les jours de Décade.
J'ose dire avoir été le seul qui aye voulu faire travailler les jours de
Dimanche et faire chômer la Décade; mes gens à gages ont été hués au
point que tous voulaient me quitter; j'en ai même cinq qui me quittent.
J'ai été obligé de cesser, faute de bras. " Cet
interrogatoire se poursuit sur plusieurs pages et obtient en tous points
des réponses semblables. Il
faut vraiment vivre cloîtré dans un bureau Bordelais pour n'avoir pas
compris que l'on vivait là la fin d'une époque. Au surplus, et sans
faire appel au "fanatisme" qui aurait pu le porter à
respecter le "Saint Dimanche", le bon peuple préférait
tout naturellement prendre un jour de repos tous les sept jours plutôt
que tous les dix... C'est
ce que la République n'avait pas bien compris. |
Et Bernachon redevient meunier !
|
Entre
temps, BERNACHON poursuit sa politique de remembrement de son domaine
autour du moulin de TRISCOS. On
le voit par exemple, le 14 Floréal An VII (3 Mai 1799) procéder à un échange
de terrain qui lui permet d'acquérir une pièce de terre au GOUA de
MOULIEY, confrontant à la retenue de l'étang. Ce moulin, il va falloir maintenant en reparler, car ses fermiers vont abandonner prématurément leur ferme. Leur bail de cinq ans aurait dû les mener jusqu'au début Février 1803, en fait, ils se retrouvent devant BERNACHON dès le 3 Germinal An VIII (23 Mars 1800) : " Les parties étant aujourd'huy toutes bien aize de résilier le susdit acte de ferme, (ont) fait leurs comptes..." tant sur le prix des annuités que sur les redevances et compensations diverses. Elles tombent d'accord sur une somme de 300 Francs que Jeanne ROUMAZEILLES, Veuve MARSAU, et ses deux fils devront payer à Bernard FERRAND sous un délai de deux ans avec un intérêt calculé au taux de 5%. Dès lors, il semble bien que BERNACHON prenne personnellement en main l'exploitation de son moulin, et, mieux encore qu'il aille y habiter. Nous n'en avons pas la preuve formelle, mais il n'existe aucune trace de cession de ce moulin à quiconque, et nous savons, cette fois avec certitude, que deux ans plus tard, il y habite effectivement et qu'il en est le meunier. Il
est donc bien possible qu'il en ait fait son affaire sitôt le départ de
ses fermiers. |
Encore un litige entre deux frères.
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Les relations entre les frères FERRAND ont toujours été difficiles; elles le seront jusqu'au bout. Cette fois-ci. les difficultés ont dû s'élever entre BERNACHON et TCHIC ; sous ne savons trop lesquelles, mais les archives de BERNACHON qui nous sont parvenues conservent le double de ce que l'on pourrait appeler un "compte de dépit". Ce curieux document qui n'est pas daté mais qui se situe à peu près certainement en 1802 offre un relevé de tous les services que BERNACHON a rendu à son frère depuis une dizaine d'années à titre d'entr'aide et dont, à la suite d'une brouille probable, il lui présente maintenant la facture chiffrée. On trouve de tout dans ce relevé, par exemple : "Deux barriques (en) vuidange que jè porté chez mon frère TCHIC au moulin de BALIZAQ, que luy-même se chargea de les remettre chez mon Oncle à NOAILLAN (il s'agit de FERRAND Cadet), ce qu'il n'a point fait, montent la somme de 12 Fr. Ou encore : " Quatre journées que jè employé avec mes boeufs pour luy semer son bien, il y a environ cinq années, à 4 chaque,monte 16 Fr. Ou bien encore, et l'indication est intéressante : " Une journée avec les boeufs pour remuer ses meubles à CASTELNAU, monte 3 Fr. Le mot "remuer" est ici la traduction littérale du mot gascon "muda" qui signifie bien remuer mais aussi et surtout "déménager". Il s'agit bien ici d'un déménagement des meubles de TCHIC à CASTELNAU, et c'est à retenir, sans trop savoir quoi faire de cette information, car c'est bien le seul document nous donnant à entendre que TCHIC, dans ses pérégrinations, ait pu un jour habiter à CASTELNAU. Le document se poursuit, d'article en article et aboutit à un total de 193 Fr. qui ont dû, sous une forme ou sous une autre être réclamés à TCHIC en vue de lui remettre en mémoire les services gracieux dont il avait bénéficié et qu'il avait certainement oubliés .... |
Les cousins MARSAU,
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Le mot "remuer" est ici la traduction littérale du mot gascon "muda" qui signifie bien remuer mais aussi et surtout "déménager". Il s'agit bien ici d'un déménagement des meubles de TCHIC à CASTELNAU, et c'est à retenir, sans trop savoir quoi faire de cette information, car c'est bien le seul document nous donnant à entendre que TCHIC, dans ses pérégrinations, ait pu un jour habiter à CASTELNAU. Le document se poursuit, d'article en article et aboutit à un total de 193 Fr. qui ont dû, sous une forme ou sous une autre être réclamés à TCHIC en vue de lui remettre en mémoire les services gracieux dont il avait bénéficié et qu'il avait certainement oubliés .... Les MARSAU ont heureusement meilleure mémoire, ce sont des gens sans histoire et sérieux en affaires. Le 23 Mars 1800, ils s'étaient reconnus débiteurs de BERNACHON pour une somme de 300 Fr. pour solde des comptes de la ferme du moulin de TRISCOS, et s'étaient engagés à la régler dans les deux ans. Au terme, leur Mère Jeanne ROUMAZEILLES n'est plus là, mais les deux garçons Guillaume et Jean reprennent contact avec BERNACHON. Faute d'avoir pu réunir la somme due, ils vont lui remettre une pièce de jeunes pins qui leur appartient et qui est située à LA CALATE tout près du moulin de TRISCOS. Elle est d'ailleurs contigüe à un terrain appartenant au moulin. Cette parcelle est évaluée, d'un commun accord à la somme de 135 Fr, elle n'est donc certainement pas très grande. Par ailleurs, la dette est de 300 Fr. auxquels il faut ajouter 37 Fr,50 de frais d'acte et les intérêts sur le capital calculés au taux de 5%, soit donc, pour deux ans, 30 Fr. supplémentaires. L'affaire s'arrange à l'amiable. BERNACHON accepte de prendre à sa charge la moitié des frais d'acte, soit 17 Fr,75, et personne ne parle plus des intérêts... Les deux parties se retrouvent le 14 Germinal An X (4 Avril 1802) chez Etienne PEYRI, Maréchal Ferrant au Bourg de VILLANDRAUT, et devant Me PERROY, on procède à la liquidation de la dette ramenée à 317 Fr,75. BERNACHON reçoit la propriété de la pièce de LA CALATE pour 135 Fr. et le complément, soit 182 Fr,75, en monnaie métallique qui lui est remise à la vue du Notaire. Cet acte est intéressant parce qu'il domicilie formellement BERNACHON "dans son moulin de TRISCOS", et aussi, et c'est un fait nouveau, parce qu'il identifie sa profession de meunier en précisant qu'il est : "pourvu de la patente de la 3ème classe pour l'An X, à lui délivrée le 29 Ventôse (20 Mars) dernier par le Maire de BALIZAC, sous le N° 5 de son Registre." C'est la dernière activité que nous connaissions à BERNACHON. Il meurt le 28 Brumaire An XI (18 Octobre 1802), à l'âge de 46 ans ½ . Nous ne disposons d'aucune indication sur les conditions de ce décès. Il semble qu'il ait pu être rapide. Peut-être pas accidentel, car en pareil cas les actes d'Etat Civil en faisaient souvent une mention sommaire, ce qui n'est pas ici le cas. Mais il est très probable que BERNACHON ait été, d'une façon ou d'une autre, surpris par la mort; car, comment expliquer qu'il n'ait pas rédigé de testament et qu'il ait laissé sa veuve seule, face à une famille plutôt turbulente, et sans lui confier expressément la tutelle de ses deux petites filles ? Jeanne MARSAU va se trouver de ce fait en situation délicate car sa désignation comme tutrice va désormais dépendre pour une large part du bon vouloir de ses Beaux-Frères réunis en conseil de Famille... |
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JEANNE EPOUSE
DARTIGOLLES
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Dans son malheur, Jeanne MARSAU, veuve de BERNACHON, va tout de même avoir de la chance. C'est l'un de ses Beaux Frères, le plus solide, Jean FERRAND dit JEANTOULET qui va prendre les affaires les plus urgentes en main. BERNACHON est mort à 9 heures du soir le 18 Octobre et dés le lendemain, Jean est déjà là. C'est lui qui va déclarer le décès de son frère à la Maison Commune. Jean, l'Aîné, c'est celui des quatre frères qui n'a jamais été mêlé à aucun des conflits qui ont opposé les trois autres. C'est le sage de la famille, il en faut bien un... Jeanne MARSAU a 45 ans, l'aînée de ses filles 9 ans 3 mois et la plus jeune 5 ans. Va-t-elle pouvoir faire marcher le moulin ? Ce n'est pas un métier très féminin ; il y a beaucoup de manutentions lourdes, il faut piquer les meules, aller sur les marchés, autant d'activités peu compatibles avec les obligations d'une femme en charge de jeunes enfants. Par contre, Jeanne pourra très bien gérer la propriété qui lui vient de son Père. Nombre de veuves l'ont fait avant elle en pareille circonstances et y ont très bien réussi. C'est alors qu'intervient JEANTOULET. Il va prendre le moulin de TRISCOS à ferme pour une durée de neuf ans, et il en prend effectivement possession dès le 6 Frimaire An XI (7 Décembre 1802). L'acte sera passé dans le moulin lui-même devant Me PERROY, venu tout exprès de NOAILLAN, le 22 Frimaire (13 Décembre). Le bail porte sur les bâtiments et leurs annexes, le déversoir, la maison, les parcs, le four, les terrains environnants dont il est précisé qu'ils sont entourés de fossés, mais : "sans cependant y comprendre une pièce acquise par feu FERRAND des MARSAU et qui n'est pas bien éloignée dudit moulin.." Il s'agit de la parcelle reçue huit mois plus tôt en compensation de la dette des MARSAU. Mais un moulin a toujours quelques prairies dans sa concession. Qu'à cela ne tienne,Jeanne y ajoute: "deux près, l'un appelé à GARRE, près le RIQUE et l'autre à TOUTSAINTS, tous les deux dans le champ de TRISCOS..." Sont également compris dans le bail tous les ustensiles du moulin ainsi que deux chevaux, "deux cordes et deux couvertures appelées caperaits, et un fouet, neuf priqs en fer et un autre fer appelé sarre, pesant ces trois objets vingt neuf livres (14 Kg)." L'épaisseur totale des meules est prise en compte pour 34 pouces. Les chevaux sont estimés à 240 Fr, les cordes, les couvertures et le fouet à 17 Fr, tandis que le pouce de caillou manquant sera payé sur la base de 6 Fr. l'unité. Le contrat poursuit avec les clauses habituelles d'entretien et de fourniture de matériaux qui n'ont rien d'original, mais il se termine sur deux dispositions que l'on ne retrouve dans aucun des nombreux baux de ferme de moulins que nous avons en l'occasion de rencontrer. On pourrait être tenté d'y voir une touche féminine qu'aurait apportée Jeanne MARSAU. Tout d'abord, les risques d'accidents sont pris en compte : "en outre, il est bien convenu que le preneur répondra et supportera tous les frais pour les accidents qui surviendront par sa faute et négligence ou (celle) des siens et payera tous les dépens dommages ou intérêts, ou bien rétablira les choses qui auraient été gâtées par cet accident et les remettra dans le premier état..." Mais au surplus, il est prévu qu'à la fin du bail, le fermier devra : "laisser le tout libre et net de toutes saletés et immondices, les portes et fenêtres ouvrantes et fermantes, les clefs, serrures et autres fermures en bon état..." Et cela, aucun des nombreux contractants dans aucun autre de nos contrats de moulins n'y avait jamais pensé... Le prix était fixé à 460 Fr. par an, étant bien précisé qu'il serait versé "en bon numéraire métallique " semestre par semestre et payable d'avance. On notera ici que dans les derniers jours de 1802, la confiance dans la monnaie commence à se rétablir. L'inflation est maîtrisée, mais le billet de banque n'est pas encore reconnu comme une monnaie fiable, et il faudra beaucoup de temps, du moins en milieu rural pour qu'il le devienne. Enfin : "Le fermier donnera à la propriétaire chaque année deux paires de canards, deux paires de chapons et six douzaines d'oeufs, livrables, partie à la St MARTIN, partie au Carnaval." L'un des témoins de ce contrat était Gabriel PERIE, Officier de Santé, Maire de BALIZAC, dont le fils épousera plus tard la petite fille de Jeanne MARSAU. Laquelle Jeanne MARSAU avait besoin d'argent, cela se devine à quelques détails que l'on peut relever au passage. Dans le contrat de ferme qu'elle vient de passer, au moment de la détermination du prix du bail et des modalités de paiement, elle fait préciser que : "le
premier semestre actuellement commencé (sera) payé dans dix jours sans
faute..." |
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Jeanne Marsau met ses affaires en ordre. |
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Ce "sans faute" en dit long... Mais il est bien probable que les 230 Francs qu'elle va percevoir à l'occasion de ce premier versement ne suffiront pas à régulariser sa situation. Il lui faut avant tout liquider les affaires que le décès de BERNACHON a laissées pendantes. Ce n'est probablement pas le plus facile, car il y a bien peu de chances pour qu'elle fût au courant de toutes les affaires en cours de son défunt mari.. BERNACHON n'avait jamais su écrire et l'essentiel des transactions qu'il avait en cours n'avait laissé de traces que dans sa mémoire. En pareil cas, une veuve voyait souvent se manifester des personnes peu recommandables toujours prêtes à exploiter la situation en faisant état de créances et d'engagements plus ou moins supposés. Le 13 Nivôse An XI (3 Janvier 1803), elle se décida à vendre deux parcelles lui appartenant en propre pour en avoir hérité de son Père en Août 1794. L'une d'entre elles, située à LA MOLE, aux limites méridionales de BALIZAC était partie en lande rase et partie en pins ; l'autre, tout près de là, mais dans St LEGER, comportait une petite prairie sur le bord de la HURE et une pièce de pins. Par un contrat passé en sa maison de TRISCOS devant Me PERROY, elle en tira 380 Francs payés comptants en monnaie métallique. Ce n'était pas un bien ancestral faisant partie du patrimoine fondamental de la famille. Pierre MARSAU son Père l'avait acquis vers 1783, probablement au titre d'un placement provisoire. Il n'était pas en effet prudent de conserver de l'argent liquide chez soi; le bas de laine ou le pot de terre n'offraient aucune sécurité. Dès que l'on avait un peu d'argent devant soi, ou bien on le prêtait, moyennant intérêt, avec des garanties hypothécaires, ou bien on l'investissait dans l'achat de quelques parcelles, parfois minuscules, parfois plus conséquentes, que l'on pourrait négocier, en cas de besoin, le moment venu. Il semble bien que cela ait pu être ici le cas . Jeanne MARSAU poursuit son entreprise d'assainissement et parviendra à son terme au début du printemps de 1804. Le dernier règlement connu concerne l'apurement d'un compte relatif à diverses opérations successives, échelonnées sur une dizaine d'années, et qui avaient mis en rapport BERNACHON et une certaine Demoiselle DURAND à BARSAC. Jeanne négocie cette affaire avec Jean CONSTANTIN, l'homme d'affaires de la Demoiselle et finit par en obtenir une quittance libératoire le 26 Ventôse An XII (17 Mars 1804) : " Je soussigné Jean CONSTANTIN, homme d'affaires de la Demoiselle DURAND, de la Commune de BARSAC, déclare avoir arrêté tous comptes avec Jeanne MARSAU, Veuve FERRAND, de la Commune de BALIZAC, que ladite Demoiselle avoit avec feu Bernard FERRAND son mari, soit pour prêt de 1.200 Francs en assignats que ladite Demoiselle avoit prêté audit FERRAND, que de certaines marchandises, soit en bois d'oeuvre et autres que ledit FERRAND avoit fourny et livré à ladite Demoiselle et par l'arrestation du compte qu'il en a été fait entre moi soussigné et Jeanne MARSAU, d'après la réduction des assignats faitte en argent, ainsi que lesdites marchandises fournies par ledit FERRAND à ladite Demoiselle, j'ai trouvé que ladite Demoiselle et la Veuve MARSAU, se trouvent réellement quittes l'une envers l'autre, dont je lui ai livré bonne et valable quittance..." |
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Le délicat problème
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La situation de Jeanne MARSAU est donc désormais assainie. Mais il faut bien souligner qu'elle a réglé tout cela sur les "ressources de son industrie" et ses fonds propres. Sa situation vis à vis de ses propres enfants reste à régler. Son mari est mort depuis le 19 Octobre 1802 et, en l'absence de testament, elle n'est toujours pas tutrice de ses filles. Il faut régler cet important problème. Mais il faut aussi, avons-nous dit, compter avec la personnalité de ses Beaux Frères FERRAND qui devraient normalement constituer l'essentiel du Conseil de Famille. Leurs incessants démêlés augurent mal d'une solution raisonnablement concertée, et Jeanne MARSAU a certainement beaucoup à craindre de leur intervention qui ne manquera pas d'être déterminante. Pourtant, les choses vont mieux se passer que prévu. Le Conseil de Famille se réunit le 28 Germinal An XI ( 18 Avril 1803) au domicile du Juge de Paix de St SYMPHORIEN. Sa composition est un peu surprenante. On y trouve évidemment Jeanne MARSAU, Mère des deux fillettes qui ont respectivement 6 et 10 ans ; y figure également Jean FERRAND dit JEANTOULET, leur oncle paternel qui représente un élément solide et sûr ; Etienne FERRAND, dit CADICHON, beaucoup plus imprévisible; deux Jean CALLEN, parfaits homonymes, tous deux cousins second de Jeanne, et enfin Jean DUPART, dit Jean de MICHEL : "cousin à un degré éloigné des mineures du côté maternel..." On remarquera tout de suite l'absence de Bernard FERRAND dit TCHIC, oncle des enfants, qui est pourtant l'un de leurs parents les plus proches. Cette absence est d'autant plus notable qu'il aurait pu parfaitement avoir sa place dans ce Conseil puisque qu'il n'y a que deux représentants côté paternel contre trois côté maternel. Quant à ces trois derniers, leur lien de parenté est beaucoup plus lointain, ce qui s'explique par le fait que Jeanne MARSAU ayant déjà perdu ses trois frères, dont deux très jeunes, se retrouvait à peu près dépourvue de famille immédiate. Finalement, la composition de ce Conseil permettra de faire l'économie des affrontements que l'on aurait pu redouter entre TCHIC et CADICHON, l'un d'entre eux (ou les deux) pouvant parfaitement revendiquer l'attribution de cette tutelle. On peut se demander si le Juge de Paix de St SYMPHORIEN n'avait pas eu vent des problèmes qui l'attendaient et n'avait pas infléchi la composition du Conseil en conséquence... La question restera pendante, mais le fait est que tout va se passer dans une ambiance un peu inespérée : " Tous lesquels parents des mineures sus-nommées nous ont dit et déclaré qu'ils sont d'avis de nommer... ladite Citoyenne Jeanne MARSAU, veuve de Bernard FERRAND, dit BERNACHON, pour tutrice desdites mineures ses filles, à l'effet de gérer et gouverner leurs persones et (leurs) biens. Et ladite Citoyenne Jeanne MARSAU, veuve FERRAND, dit BERNACHON, ayant déclaré accepter ladite commission et à l'instant fait et prêté en nos mains et en présence des parents susnommés le serment de bien et fidellement remplir la fonction qui luy est defférée. " Voilà donc une affaire réglée et bien réglée. Jeanne MARSAU alliera désormais la gestion des biens propres qu'elle a reçu de son Père à celle des biens que ses deux filles ont hérités du leur. |
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L'exploitation du moulin de Triscos
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Ces derniers biens devaient être exclusivement immobiliers car on ne trouve nulle part aucune trace d'inventaire, ni au moment du décès de BERNACHON, ni au moment de la prise en charge de la tutelle. Il faut donc croire qu'on ne l'avait pas jugé nécessaire. On pourra croire aussi que la rentabilité du moulin de TRISCOS était passablement aléatoire car Jean FERRAND, son fermier, en abandonna l'exploitation au bout de deux ans et demi, alors qu'il avait souscrit un bail de neuf ans. Aucun des fermiers qui l'ont jusqu'ici pris en main n'est parvenu au terme de son bail. Ce peut être un hasard, mais tous, et c'est plus inquiétant, en sont ressortis avec des dettes. C'est bien ce qui va se renouveler avec Jean FERRAND. Lorsque le 9 Mai 1806 il arrête ses comptes avec sa Belle Soeur Jeanne MARSAU, il se trouve redevable de la somme de 562 Fr,40 qu'il ne conteste d'ailleurs absolument pas. Ce montant est le résultat de compensations passablement complexes dans lesquelles on retrouve à la fois le montant des loyers, des fournitures diverses, des travaux, etc... Il s'en reconnaît débiteur devant Me PERROY et promet de s'en acquitter : "en numéraire dans deux ans de ce jour avec l'intérêt à raison de cinq pour cent l'an..." C'est bien ce qu'il fera, scrupuleusement, devant le même Notaire, le 27 Mai 1808. Jean FERRAND, dit JEANTOULET était un homme sérieux dans une famille où ils n'étaient pas légion. Reste que le problème de la rentabilité du moulin de TRISCOS était bel et bien posé. Dés que l'abolition des privilèges l'avait permis, BERNACHON s'était offert "son" moulin. Il n'avait pas dû procéder, au préalable, à des études de marché bien approfondies. Il s'était lancé dans l'aventure avec l'enthousiasme propre à un esprit d'entreprise soudain libéré de contraintes séculaires. Ce fut probablement une fantaisie coûteuse. Elle le fut dés le départ du fait des incroyables malfaçons que nous avons eu l'occasion de découvrir dans la construction de ce moulin; elle le fut encore dans les années qui suivirent car nous verrons Jeanne MARSAU lourdement sollicitée pour son entretien, mais elle le fut aussi, enfin, jusque dans son exploitation. De toute tradition, il y avait eu deux moulins à BALIZAC, celui de LA FERRIERE, important, et le Petit Moulin sur LA NERE, plus modeste. Il n'est pas évident que, dans le pays, il y ait eu du travail pour un troisième. La production céréalière locale restant stable, la part de marché conquise par le nouveau venu ne pouvait provenir que d'un prélèvement sur l'activité des deux autres. Cette évidence a pu cependant être masquée dans les premières années de son exploitation. Dans un temps de disette et de sévère contingentement, nous avons eu l'occasion de penser qu'un moulin discret situé loin de la curiosité des regards pouvait offrir quelqu'intérêt. Mais lorsque la situation normale fut rétablie, ce moulin ne put guère plus prétendre accueillir d'autres pratiques que celles de TRISCOS. Et même si les superficies ensemencées étaient alors très supérieures à celles que nous avons pu connaître, la faiblesse des rendements obtenus à l'époque ramenait la production à des chiffres dont la modestie ne permettait probablement pas à ce moulin de travailler tout au long de l'année. |
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La situation matérielle précaire de Jeanne Marsau.
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Tout cela ne faisait évidemment pas les affaires de Jeanne MARSAU dont la situation matérielle, après apuration de tous les comptes pendants, n'était peut-être pas très confortable. Certes, elle avait du bien; sa situation d'héritière unique des MARSAU dits LA BESOUE la mettait à coup sûr à l'abri du besoin ; l'évaluation de sa succession que nous découvrirons un peu plus loin nous éclairera sur ce point. Mais ce qu'elle possède n'est pas négociable, du moins à ses yeux. Vendre quelques pièces de terre acquises, il n'y avait guère, au titre de provision en vue de mauvais jours, elle l'avait fait sans trop de scrupules, comme bien d'autres l'avaient également fait en d'autres temps, dans l'histoire de sa famille. Mais toucher au noyau dur du patrimoine, cela ne pouvait s'envisager. Or il semble bien qu'après avoir rétabli la situation que lui avait laissée son mari et face à de nouveaux problèmes soulevés par le moulin de TRISCOS, Jeanne MARSAU a pu en venir au seuil de cette extrémité. Il semble évident qu'elle a vécu là quelques années relativement difficiles. La branche LA BEZOUE des MARSAU avait connu à TRISCOS de meilleurs temps. Nous ne disposons pas de documents suffisants pour analyser finement cette situation, mais quelques raisons simples permettent de comprendre le sens général de cette évolution malheureuse. Pierre MARSAU avait perdu pas mal d'argent dans de mauvaises affaires dont, à vrai dire, il n'était pas réellement responsable. Nous avons eu l'occasion de suivre l'une d'entre elles en évoquant toutes les péripéties qui ont entouré le règlement des 1.800 Livres que lui devait Etienne FERRAND Cadet pour une grosse coupe de pins effectuée en 1780 et qui ne lui seront réglées, en assignats, que bien après l'inflation. La même mésaventure lui est arrivée avec la dot de son gendre BERNACHON, affaire que nous avons également suivie; et puis il y a eu également, en 1793, la construction de ce fameux moulin qui s'est révélée bien plus coûteuse que prévue et n'a pas, nous l'avons vu, apporté les résultats escomptés. Tout cela cumulé faisait beaucoup de choses à supporter pour un patrimoine qui, au départ, était confortable, mais qui est sorti incontestablement amoindri de la tourmente révolutionnaire. |
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L'intérêt
qu'il y a
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Jeanne MARSAU élevait tant bien que mal ses deux filles, mais elle aurait bien aimé établir au moins l'Aînée dès qu'elle aurait été en âge de mariage. C'est en tous cas ce qui va se produire sans tarder. Il y a pour lors à TRISCOS un parti tout à fait convenable; c'est le plus jeune des fils DARTIGOLLES, le jeune Pierre. Les DARTIGOLLES sont presque des nouveaux venus à TRISCOS. Pierre, Père du jeune homme à marier, était né posthume à NOAILLAN en 1762. Son tuteur l'avait pris chez lui, à TRISCOS et l'y avait élevé. Il y avait passé toute sa jeunesse depuis 1765, et s'y était marié avec Catherine FAURENS qui, elle, appartenait à une très ancienne famille locale. En fait, les DARTIGOLLES n'étaient là que depuis une génération. Toutes leurs racines, et leurs propriétés se situaient à St LEGER au lieu-dit du GUIGNET. Les hasards de la vie avaient fini par réunir sur la tête de Pierre, le posthume, la quasi totalité des biens de sa famille, et ces biens étaient assez considérables. Son mariage avec Catherine FAURENS lui avait permis de recueillir dans BALIZAC, par voie de succession, d'autres propriétés, assez conséquentes, qui étaient venues arrondir le patrimoine ancestral. Chez ces DARTIGOLLES, il y avait eu trois enfants: - Guillaume (quelquefois dénommé Jean), né en 1782, marié une première fois, tombé veuf, et remarié depuis 1806, - Pierre, né en 1785, encore célibataire, - Jeanne, née en 1791, qui, restée elle aussi célibataire, mourra très jeune, avant d'avoir atteint ses 22 ans. Le Père, Pierre, était mort depuis les derniers jours de 1795. Sa succession n'avait pas été partagée, et ses deux fils, Guillaume et Pierre en poursuivait l'exploitation en indivision, donnant l'exemple d'une très remarquable entente. Ils prenaient toutes leurs décisions en commun et, si l'on en croit les acquisitions foncières qu'ils vont faire, ils paraissent avoir géré leurs affaires avec un certain succès. C'était donc ce Pierre qui formait un bon parti possible pour la jeune, la très jeune, Jeanne MARSAU. Nous sommes au tout début de 1810, elle a tout juste 16 ans ½ , Pierre en a un peu plus de 24. Il n'y avait pas, semble-t-il, d'urgence particulière à les marier; mais ce n'était pas l'avis de Jeanne MARSAU, sa Mère. Une alliance avec les DARTIGOLLES était, à coup sûr, financièrement avantageuse; une alliance, dans l'autre sens, avec les FERRAND, l'était beaucoup moins. Par contre, du point de vue notoriété, on ne pouvait oublier que la petite Jeanne descendait directement par sa Mère de cette très vieille famille MARSAU qui, depuis des siècles avait compté parmi les notables de BALIZAC. Dans cette longue tradition de notoriété et de sérieux, la survenance d'un gendre FERRAND n'avait en sorte été qu'une péripétie... Mais
une péripétie lourde de conséquences tout de même, et Jeanne MARSAU en
savait quelque chose. Bref, ce mariage fut décidé, mais sa préparation
et sa célébration fournirent matière à plusieurs singularités. |
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Un contrat de mariage tout à fait inhabituel.
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On aurait pu penser que les deux fiancés vivant à TRISCOS la rédaction du contrat aurait pu y trouver sa place naturelle, eh bien, pas du tout... Le 17 Février 1810, les deux familles se retrouvèrent à NOAILLAN, chez un certain SARRAZIN au lieudit de PIQUELAINE, encore non identifié. Pourquoi à NOAILLAN ? Nous n'en savons strictement rien. Ce contrat, et c'est une première, est conclu sous le régime paraphernal : " faisant exclusion de celui dotal ainsi que de celui de la communauté.." C'est dire que chacun des époux conservera la propriété de ses biens présents et à venir : " les apports qu'ils se fairont (restant acquis) au profit de l'apportant." Quant aux acquêts du ménage, les futurs époux se les partageront par moitié : "pour chacun d'eux en jouir, faire et disposer de sa moitié et portion à son plaisir et volonté..." La seule concession faite à la communauté consistait à se faire donation réciproque de la jouissance de ces acquêts au survivant des deux époux, avec une donation supplémentaire de 400 Francs en toute propriété. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la confiance ne régnait guère dans ces conventions... Pour l'essentiel, chacun gardait son bien à l'abri des défaillances éventuelles de l'autre. Et le régime dotal était si soigneusement exclu que ce contrat ne fait strictement aucune allusion aux meubles que toute nouvelle épouse apportait normalement dans son ménage. Ici, il n'est question ni de lit, ni d'armoire, ni de draps, ni même de la moindre serviette de table... Est-ce que Jeanne MARSAU a réellement laissé partir sa fille sans rien lui donner ? ou bien est-ce que ces dotations traditionnelles figurent comme bien propre dans un inventaire qui ne nous serait pas parvenu ? La question reste pendante, mais les archives du Notaire de la famille sont très complètes et l'on n'y trouve absolument aucune trace d'un tel document. Mais nous ne sommes pas au bout des singularités. La très grande majorité des mariages ruraux se célébrait en fin d'hiver, entre la mi-Janvier et le début du mois de Mars, ou encore, quelquefois, au cours du mois de Novembre, deux périodes de faible activité agricole offrant les loisirs convenables aux festivités des mariages. La signature du contrat de mariage un 17 Février s'inscrivait bien dans cette tradition. Mais alors pourquoi avoir attendu le 14 Juin suivant pour célébrer ce mariage à BALIZAC ? Un mois de Juin au cours duquel les deux familles et leurs invités avaient certainement bien d'autres choses à faire que de festoyer à l'occasion d'une fête de famille. Ici encore, nous resterons sans réponse. Nous ne pourrons que constater que ce mariage offre des aspects bien singuliers. Il s'en fallait de deux mois que la jeune épouse ait atteint ses 17 ans. A la différence de son mari Pierre et de son beau-frère Guillaume, elle ne savait pas écrire. Les choses progressaient néanmoins. C'était la première fois dans l'histoire des DARTIGOLLES que deux frères savaient écrire. On avait déjà rencontré le cas, dans les générations précédentes où l'un des garçons avait appris (jamais les filles), mais il restait le seul écrivain de la famille. L'évolution de cette société est lente, mais elle est incontestable. A partir de ce moment là, la connaissance de l'écriture va se généraliser chez les hommes et la plupart des témoins des contrats sauront au moins signer de leur nom. |
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Familles Dartigolles et Ferrand. Clic sur l'image pour l'agrandir.. |
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Les
Dartigolles à Triscos.
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Le 15 Avril 1812, à 5 h. du matin, naissait Guillaume DARTIGOLLES, l'Aîné du jeune couple. Sa Mère Jeanne venait tout juste d'avoir 18 ans. Ils étaient nombreux à vivre, en 1812, sous le même toit de la maison de TRISCOS. Il y avait là, Catherine FAURENS, Veuve de Pierre DARTIGOLLES depuis 1795, Guillaume, son fils Aîné, sa femme Jeanne FOURTENS et Catherine et Jean, les deux premiers de leurs enfants qui étaient déjà nés. Le jeune ménage de Pierre y apportait trois unités supplémentaires, sans oublier Jeanne DARTIGOLLES, la soeur de Guillaume et de Pierre. Ils étaient donc neuf DARTIGOLLES. Pas pour longtemps car Jeanne, la soeur, devait mourir le 22 Octobre suivant, à l'âge de 22 ans. Son acte de décès ne permet d'avancer aucune hypothèse sur la cause de sa disparition. Mais la vie continue, et le 2 Février 1814 naîtra chez Pierre une petite Catherine, après quoi, le développement de la famille marquera un temps d'arrêt pour connaître un nouvel essor que nous retrouverons, en 1821. |
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Le mariage de la seconde fille de
Ferrand.
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Jeanne MARSAU, de son côté, vit désormais seule avec sa seconde fille, et le temps passe vite. Au début de 1818, cette seconde Jeanne vient d'avoir 20 ans. Elle vient de trouver parti de mariage à BUDOS dans une vieille famille locale en la personne de Jean BRUN, fils d'un autre Jean BRUN et de Jeanne LACASSAIGNE, elle-même issue d'une très ancienne souche Budossaise. Cette fois-ci, ce mariage sera tout à fait conventionnel et, tout à la différence du mariage de l'Aînée, parfaitement conforme aux usages les plus éprouvés. Le contrat en est passé le 10 Janvier 1818, dans la maison de Jeanne MARSAU au quartier de TRISCOS, devant Me LABARTHE MONGIE, Notaire à St SYMPHORIEN qui est venu là en voisin. Les futurs époux ont choisi : " le régime dotal auquel ils se soumettent, la faculté (étant) néanmoins réservée à la dite future épouse de pouvoir vendre ses biens et droits présents et à venir à la charge pour elle d'en colloquer le prix provenant des immeubles ou privilège sur des immeubles." Retenons bien cette réserve, elle est tout à fait inhabituelle, mais n'est pas pour autant une clause de style. Elle trouvera une première application sept ans plus tard, en 1825, et une seconde en 1830. Il faudra alors nous souvenir que les évènements que nous découvrirons n'avaient rien de fortuit, mais qu'ils avaient bel et bien été imaginés dés la conclusion de ce mariage. Les BRUN et les MARSAU entretenaient des perspectives à long terme... Jeanne se constituait en dot la part d'héritage qui lui revenait sur la succession de feu Bernard son Père, mais ne pouvait en disposer tout de suite puisque sa Mère en avait encore l'usufruit. Sa Mère, de son côté, lui constituait la dotation personnelle d'un lit à l'ange entièrement garni de "cotonade à flamme" dans son ciel, ses pentes et ses rideaux, lit composé : " d'une coite et coussin en coutil suffisamment rempli de plume, d'un matelas en toile à carreaux rempli de laine, d'une couverte de laine blanche et d'une courtepointe en cotonade bleue doublée en toile..." Elle y ajoute : "soixante quinze Francs pour lui tenir lieu d'armoire..." Une armoire que l'on n'avait pas eu le temps de faire fabriquer sans doute et que Jeanne fera faire à son gré. N'oublions pas la dotation en linge : "huit linceuls (ce sont les draps) dont quatre en brin et quatre d'entremêlé, deux douzaines de serviettes unies, une nappe unie et une autre à ouvrage, et ses habits et nippes ordinaires." Enfin, Jeanne MARSAU promet : " la somme de mille Francs en avancement d'hoiries qu'elle... s'oblige de lui payer soit à elle soit audit Jean BRUN son futur Beau-Père dans le délai de trois ans à compter de ce jour en espèces métalliques du cours, sans intérêt jusqu'alors." De leur côté, les Parents BRUN promettent à leur fils l'avantage d'un tiers de tous les biens qu'ils laisseront à leur décès avant qu'il soit procédé au partage de leur succession. Les acquêts du ménage seront partagés par moitié et la jouissance de tous les biens appartiendra au survivant des époux. Tout ceci est, on ne peut plus classique. On notera simplement quelques détails. La dotation de huit draps dans une famille où il y avait eu trois femmes au travail est un peu faible au regard des usages; toutes les serviettes sont "unies", aucune d'elles n'est "ouvrée", ce qui est un peu surprenant, enfin, et cela l'est plus encore, aucun habit de noces n'est prévu pour la mariée... Reste que ce contrat est bien différent de celui que la Soeur Aînée avait passé avec les DARTIGOLLES. Son classicisme même souligne, si besoin était, le caractère hautement insolite de l'autre. Le mariage lui-même devait suivre sans tarder, quinze jours plus tard, le Samedi 24 Janvier 1818. Ici encore tout était redevenu conforme aux meilleures traditions. |
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Et pendant ce temps, chez les Dartigolles
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La famille des DARTIGOLLES est toujours animée par les deux frères Guillaume et Pierre. Leur Mère, Catherine FAURENS vit toujours et vivra encore pendant plus de dix ans, mais elle n'appairait nulle part, du moins dans les actes officiels . Guillaume n'a pas encore la quarantaine et Pierre a trois ans de moins que lui. Ils s'entendent toujours aussi bien sans que l'on puisse exactement démêler leur mode de gestion. D'un côté, ils gèrent en commun le patrimoine que leur a légué leur Père, aussi bien dans les grandes affaires que dans les plus petites, et de l'autre, ils disposent chacun, en toute indépendance de sommes d'argent tout à fait considérables. La règle du jeu, car il doit bien y en avoir une, n'est pas facile définir. Pour fixer les idées et sans entrer dans trop de détails qui n'auraient pas leur place ici, disons par exemple qu'on les voit acheter en commun la pièce du MARTINET, contiguë au GUIGNET. à St LEGER, en 1835, pour 20.500 Francs, ce qui est une très grosse affaire, mais qu'ils estimeront tout aussi nécessaire d'apparaître tous deux dans un modeste contrat de "gazaille" pour deux vaches et une "velle" passé à BALIZAC en 1819. Et par ailleurs, nous les voyons mener chacun de leur côté, des opérations importantes pour lesquelles il leur faut dégager des ressources financières non négligeables. La suite de notre récit va, dans l'instant, nous en fournir un exemple en ce qui concerne Pierre, mais il y en a bien d'autres. |
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Le moulin de Triscos
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Jeanne MARSAU a toujours des ennuis avec son moulin de TRISCOS. Les réparations succèdent au réparations sur une installation qui n'a même pas trente ans d'âge. Il y a là une situation manifestement anormale, elle n'en est pas moins indiscutable. Et pour trouver cet argent qui lui fait défaut, du moins dans l'immédiat, Jeanne va se tourner vers son Gendre Pierre qui va effectivement le lui prêter. Le Notaire LABARTHE MONGIE fait une fois encore le voyage de TRISCOS et, le 26 Mars 1820, se rend au domicile des FERRAND où il rédige le contrat d'obligation. Jeanne MARSAU reconnaît devoir à Pierre DARTIGOLLES : "la somme de 3.206 Francs, 45 centimes provenant de prêt de pareille somme (qu'il) lui a fait avant ces présentes... en diverses reprises... déclarant avoir employé cette somme aux réparations qu'elle a fait à un moulin qu'elle possède dans la Commune de BALIZAC. Elle s'oblige à rembourser cet emprunt dans un an et d'en payer l'intérêt au taux de 5%. En garantie, elle offre une hypothèque sur le moulin et les terres qui en dépendent. Guillaume n'apparaît absolument. pas dans ce contrat, c'est une affaire qui ne concerne que Pierre et sa Belle-Mère. Il fallait donc qu'il ait une autonomie financière suffisante pour disposer de plus de 3.000 Francs à titre personnel. Cela ne modifie d'ailleurs en rien le jeu de la société d'indivision établie entre les deux frères car cette même année 1820, on les voit acheter en commun toute une série de parcelles dans BALIZAC, à CALEBIN, à PEYLAMIC, à la BOUDIGUE, à l'ARGILEYRE, etc... pour un total de 800 Francs. Quelles que soient les difficultés qu'elle peut rencontrer, Jeanne MARSAU fait face à la situation. Souvenons-nous qu'elle avait promis une dot de 1.000 Francs à sa seconde fille, payable à échéance de trois ans. C'était le 10 Janvier 1818. Dès le 23 Décembre 1820, elle convoque le Notaire et Jean BRUN, le Père, dit COUCHIRE, en sa maison de TRISCOS, et là, elle compte les 1.000 Francs en pièces d'or et d'argent. Une telle ponctualité mérite bien d'être soulignée au passage dans un temps où elle n'était pas tellement commune. Le jeune ménage est bien présent, mais il ne touche pas à cet argent qui est pourtant le sien, seul le Beau-Père le recompte et en donne quittance. Toutefois, dans le même acte, il consent à sa Belle-Fille une hypothèque sur l'ensemble de ses biens de BUDOS en garantie de la conservation de la somme. |
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La famille Dartigolles s'enrichit d'enfants
tardifs.
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L'année 1821 devait connaître, coup sur coup un certain nombre d'évènements familiaux. Le premier fut la naissance de Jean DARTIGOLLES au foyer de Pierre et de Jeanne FERRAND. Leur dernière née, Catherine avait déjà sept ans. Au bout d'un aussi long intervalle, c'était une naissance un peu inattendue; et pourtant naissance fort importante car ce Jean n'est autre que notre Arrière Grand-Père. Un mois et demi plus tard, nouvelles naissances, Jean et Jeanne, deux jumeaux chez Guillaume et Jeanne FOURTENS. Chez eux, l'intervalle avait été encore plus grand puisque leur dernier né remontait à 1808, il y avait treize ans de cela... La petite Jeanne ne devait pas survivre, elle mourut 17 jours plus tard, mais Jean devait être à l'origine de la branche des DARTIGOLLES qui devaient ultérieurement s'installer autour de St ANDRÉ du BOIS. Au printempsde 1824, à l'âge de 41 ans, Guillaume devint Maire de BALIZAC. Le 20 Avril, il signait son premier acte officiel. Son écriture fine et assurée, surmontant ses "t" de barres démesurées donne l'image d'une personnalité très affirmée. |
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Jeanne Marsau, veuve Ferrand,
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Le 24 Janvier 1825, Jeanne MARSAU convoqua en sa maison de TRISCOS le Notaire LABARTHE MONGIE, ses deux filles Jeanne et Jeanne, et leurs époux respectifs, et là, par donation entre vifs : "voulant donner des preuves d'attachement (à ses filles)" elle leur remit la propriété de tous les acquêts réalisés : "soit par elle soit par feu Bernard FERRAND, son mari, pendant tout le cours de leur société conjugalle..." Elle complète cette donation en leur remettant en outre une prairie située sur la Commune de BALIZAC appelée de TOUTSENS (qu'elle) possède en toute propriété ... "comme lui provenant de l'hérédité de son Père..." On ne saisit pas très bien ce que vient faire ici cette prairie. Pourquoi ce don spécifique de modeste valeur (elle est évaluée à 100 Francs...) alors que Jeanne disposait de quinze ou peut-être vingt parcelles identiques... Il devait bien y avoir une raison à cela, mais elle n'apparaît nulle part. Quoi qu'il en soit, ses filles acceptent ces deux donations et : "la remercient et lui renouvellent l'expression de leur respectueuse reconnaissance." Mais le Notaire ne range pas son écritoire, on a encore besoin de lui. Dans l'instant même, c'est Jeanne, épouse BRUN, avec l'accord de sa Belle Famille, et en particulier de son Beau-Père, personnage incontournable, qui prend la parole et déclare qu'elle fait vente à sa Soeur et à son Beau Frère Pierre DARTIGOLLES : "..de tous les biens mobiliers et immobiliers ...(auxquels) elle a droit de prétendre... pour sa portion dans la succession ouverte de feu Bernard FERRAND, leur Père commun..." Et pour faire bonne mesure, elle inclut dans cette vente les acquêts et sa moitié de la prairie de TOUTSENS dont sa Mère vient de lui faire don. Cette vente est consentie pour la somme de 1.500 Francs dont on apprend que les DARTIGOLLES en ont déjà versé 1.000 entre les mains du Père BRUN. Le solde est remis à Jeanne, comptant, en monnaie d'or et d'argent. Elle ne le conserve que quelques instants par devers elle et le remet tout aussitôt, à la vue du Notaire, à son Beau Père BRUN. Il n'est pas prudent de laisser tant d'argent entre les mains d'une faible femme... C'est ainsi que s'éclaire la clause un peu sibylline que nous avions notée dans le contrat de mariage de Jeanne FERRAND épouse BRUN, lorsqu'elle s'était expressément réservé : "la faculté.... de pouvoir vendre ses biens et droits..." à charge pour elle de les convertir en immeubles. Cette opération était donc convenue de longue date. Les BRUN n'auraient su trop que faire de propriétés dispersées dans BALIZAC, et qui plus est, dans la partie de BALIZAC située tout à l'opposé de BUDOS. Passe encore si ces biens, très parcellisés, s'étaient rationnellement organisés autour d'une métairie. Ils auraient pu les donner en métayage. Mais ce n'était pas le cas. Chez les MARSAU, qui avaient toujours travaillé en faire valoir direct, il y avait une maison de maître, et pas d'autre bâtiment à offrir. Un métayage ne pouvait donc être envisagé. Les BRUN préféraient donc recevoir de l'argent et le réinvestir dans des fonds à BUDOS au plus près de leur propre exploitation. Et manifestement, cette idée, ils l'avaient eue dés la négociation du contrat de mariage de leur Belle-Fille. Ils étaient même fort pressés de la réaliser puisqu'un premier versement avait été effectué avant même que cette vente fut réalisée. Encore fallait-il que les DARTIGOLLES aient de l'argent disponible pour faire face à cette situation. Or, ils en avaient, et même suffisamment pour que ce règlement ne leur pose aucun problème et ils allaient le prouver sans plus tarder. |
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Les
Dartigolles mécènes à Villandraut.
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Guillaume et Pierre DARTIGOLLES gardent toujours un oeil intéressé sur VILLANDRAUT. Il y a bien trente ans qu'ils n'y habitent plus, mais ils y possèdent encore la maison de leur Père, et ils y sont bien connus. Or, en ce moment, le Village est en ébullition... De temps immémoriaux, VILLANDRAUT avait vécu de ses foires et marchés et des activités annexes qui s'y greffaient. Dans le Bourg, on trouvait deux places : - Celle dite de "l'Ormée", la plus proche du CIRON, auprès de laquelle se dressait l'antique halle seigneuriale. Le terrain en appartenait au Marquis de PONS. Il lui avait été confisqué au début de la Révolution, mais comme il avait échappé à la vente au titre des Biens Nationaux, il lui avait été restitué sous le Consulat. En vertu de son droit de propriété, le Marquis exerçait un droit de plaçage sur toutes les activités commerciales qui s'y exerçaient lors des foires et des marchés. - L'autre Place était dite "Place Publique", c'était celle où se trouvait (et où se trouve d'ailleurs encore) la Mairie; il ne s'y exerçait aucune activité commerciale. La Municipalité arrivée aux affaires en l'An VIII, sous la direction du Sieur PORTEPAIN, décida, pour affranchir la Commune de sa dépendance vis-à-vis du Marquis de PONS, de transférer les foires et marchés sur la Place Publique, au grand dam des riverains de la Place de l'Ormée, et les DARTIGOLLES étaient du nombre. L'affaire fit grand bruit et devait déclencher une guérilla municipale qui devait durer 25 ans. A un moment, même, en 1804, elle monta jusque sur le bureau du Ministre de l'Intérieur en personne... Bref, VILLANDRAUT était partagé en deux clans. Vint le moment où le Marquis, lassé de n'avoir pas réussi à ramener sur sa place les foires et marchés, entreprit de faire clôturer son bien, en plein coeur du Bourg ! C'en était trop. Le 25 Février 1825, un groupe de dix citoyens se forma pour acheter au Marquis le terrain de sa place, en y ajoutant une parcelle annexe appartenant à un certain BATUDE. Les deux frères DARTIGOLLES entrèrent aussitôt dans cette association et s'inscrivirent chacun pour 150 Francs envers le Marquis et 100 Francs envers BATUDE. Après quoi, ces acquéreurs mécènes offrirent ce terrain à la Commune : "ayant fait ce sacrifice considérable en vue de l'utilité et salubrité publiques, de l'aisance du Bourg, de l'agrément de leurs maisons et de l'accroissement de leur valeur et revenu," mais en fixant pour condition : "expresse et absolue que cet objet acquis ne serait destiné et employé qu'en place publique, espace vide et libre pour l'usage du commerce sans que jamais il puisse y être construit des bâtiments d'aucun genre...." La crainte des promoteurs se profilait déjà à l'horizon... Or, si l'on rapproche les dates, on s'aperçoit que cette opération se situe tout juste un mois après que Pierre et sa femme Jeanne aient racheté aux BRUN leur part d'héritage FERRAND. Pierre DARTIGOLLES a donc été capable de verser 1.000, puis 500 Francs comptants le 24 Janvier et d'en trouver encore 250 le 25 Janvier suivant pour apporter sa part à la société des propriétaires de VILLANDRAUT, tandis que son frère Guillaume, de son côté, en versait 250 autres. Et cela ne parait pas lui avoir posé de problème puisque ces versements n'entravent pas d'autres achats que Pierre effectuera un peu plus tard à BALIZAC, au PAJOT, à MATHON et au RIQUOT, pour un montant total de 200 Francs. Incontestablement, la situation financière des DARTIGOLLES était confortable. Mais voilà que survient un évènement insolite. Insolite non point en lui-même certes, mais bien plutôt du fait des circonstances qui l'accompagnent. |
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Le mystérieux testament
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Jeanne MARSAU, Veuve FERRAND va faire son testament. La belle affaire ! elle a 70 ans passés qu'y a-t-il donc là d'insolite ? Oui, mais... Nous avons vu avec quelle fidélité elle s'est toujours adressé à son Notaire, Me LABARTHE MONGIE à St SYMPHORIEN. Elle l'a convoqué en sa maison de TRISCOS chaque fois qu'elle a eu besoin de ses services. Elle n'a dérogé à ces deux règles qu'à l'occasion du mariage de sa fille aînée avec Pierre DARTIGOLLES dont le contrat a été inexplicablement dressé à NOAILLAN chez des inconnus et devant un autre Notaire. Cette fois-ci, contre son habitude, elle se déplace et, le 6 Octobre 1827, prend le chemin de LANDIRAS où elle va trouver Me DUPIN, un Notaire local à qui personne, dans la famille, n'avait jamais eu recours. Et là, devant quatre témoins inconnus, tous de LANDIRAS, elle explique au Notaire qu'elle est en bonne santé et qu'elle veut lui dicter son testament. Il règne autour de cette démarche une sorte de parfum de mystère. Rien ne cadre en tous cas avec les usages familiaux. Après avoir exposé qu'elle est veuve de Bernard FERRAND et mère de deux filles, elle en vient aux dispositions quelle a arrêtées : " Voulant donner des marques de mon amitié à Jeanne FERRAND, ma fille puinée épouse de Jean BRUN Fils, demeurant à BUDOS, et la récompenser des soins affectueux qu'elle me rend journellement, je lui donne et lègue par mon présent testament le tiers de tous les biens meubles et immeubles, propres et acquêts quelle que soit leur nature, origine et situation qui pourront m'appartenir à l'époque de mon décès pour..(qu'elle puisse).. en jouir et disposer en toute propriété... Je lui fais ce legs par préciput et hors part avec dispense de rapport. Et le restant de ma succession se partagera, ainsi que je le veux, entre mes deux filles susnommées... Je nomme ma dite fille Jeanne FERRAND, épouse BRUN, mon exécutrice testamentaire..." Les choses sont parfaitement claires. La succession FERRAND étant liquidée depuis 1825, il s'agit ici de la succession de la Famille MARSAU (moins la prairie de TOUTSENS déjà donnée et partagée par moitié). En donnant un tiers, hors part, à Jeanne BRUN et en partageant le reste, Jeanne BRUN aura les deux tiers du patrimoine familial et Jeanne DARTIGOLLES un seul. Que Jeanne MARSAU ait voulu marquer une préférence entre ses deux filles, c'est l'évidence, mais la motivation avancée laisse un peu perplexe. Comment Jeanne, la Cadette, aurait-elle pu prodiguer à sa Mère ces : "soins affectueux qu'elle (lui) rend journellement.." alors qu'elle vit à BUDOS et sa Mère à TRISCOS ? Ce n'était pas un temps où l'on se déplaçait si facilement que l'on puisse se rendre aussi souvent de l'une chez l'autre. Par ailleurs, chaque fois que Jeanne MARSAU a eu besoin d'un service pour son moulin, c'est bien à la porte de son gendre DARTIGOLLES qu'elle est allé frapper, et non point chez les BRUN. C'était au demeurant bien naturel puisque les uns étaient sur place et les autres au loin. De même chaque fois, et les occasions en ont été diverses, qu'elle a eu besoin d'argent, c'est bien chez son Gendre Pierre qu'elle l'a trouvé. On peut donc se poser bien des questions. On peut se demander en particulier si Jeanne MARSAU, ayant perçu la différence de situation financière entre les deux belles-familles n'a pas cherché, par ce biais à rétablir un certain équilibre entre les positions respectives de chacune de ses filles. Car Jeanne MARSAU ne peut pas ignorer qu'elle n'attribue pas là un patrimoine foncier à sa Cadette, mais bel et bien de l'argent. La clause du contrat de mariage de l'Aînée est aussi valable pour la succession MARSAU qu'elle l'a été pour la succession FERRAND, et par ailleurs, le problème des BRUN reste le même, c'est de l'argent qu'il leur faut pour se développer à BUDOS, et non des terres à BALIZAC. Jeanne MARSAU ne peut l'ignorer, et elle ne se trompe pas, la suite des évènements le montrera. Mais on peut aussi partir sur de toutes autres bases. Nous savons que le moulin de TRISCOS n'était compris ni dans les acquêts objets de la donation de Janvier 1825, ni dans la succession FERRAND. Il restait donc une propriété MARSAU. Alors comment se fait-il que Pierre DARTIGOLLES s'en retrouve propriétaire en 1828 comme nous allons le voir dans un instant. N'y aurait-il pas eu quelque part une donation entre vifs portant sur le moulin au bénéfice de Jeanne l'Aînée que l'avantage successoral accordé à la Cadette serait venu rééquilibrer ? C'est une pure hypothèse car aucune trace de cette donation n'a jamais pu être retrouvée. Quoi qu'il en soit, les circonstances insolites qui ont entouré la rédaction de ce testament donnent à penser qu'elles couvraient une situation peu claire. On pourrait même, à la limite, se demander si les DARTIGOLLES ont été tenus au courant de cette démarche... |
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Nouveau fermage sur le moulin de Triscos,
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Six mois passent, nous arrivons au 28 Mars 1828. Pierre DARTIGOLLES concède le bail du moulin de TRISCOS pour 5 ans à Raymond POMIES et Marie GARRANS, sa femme. Pierre apparaît dans ce contrat, nous l'avons dit, comme le seul bailleur, et il n'est absolument plus question ici de Jeanne MARSAU. Par ailleurs, et c'est la première fois, mais ce ne sera pas la dernière, le bail est expressément rédigé au nom des mari et femme. Il porte sur : "un moulin à eau moulant à deux meules, assis et situé sur le ruisseau de BALIZAC, appelé le Moulin de TRISCOS, situé dans la Commune de BALIZAC, ensemble les ayriaux, jardin et padouens dudit moulin, avec la maison, écurie et grange qui en dépendent. Dans le présent bail à ferme, demeurent également compris les prairies qui en dépendent. La première appelée du COURRAOU, la seconde de l'ARRIOU, la troisième de TOUTSENS et la quatrième de GARRE, toutes les quatre situées dans la Commune de BALIZAC..." Ce bail est conclu pour le prix annuel de 180 Francs. Ce prix est en large retrait par rapport aux précédentes concessions. La première, évaluée en grains représentait à peu près 500 Francs, la seconde, celle de Jean FERRAND avait été conclue pour 460 Francs et encore ne comportait-elle que deux prairies, alors qu'ici on en ajoute deux autres, celles du COURRAOU et de l'ARRIOU, particulièrement bien situées pour le meunier puisqu'elles se trouvent tout à côté du moulin alors que les deux autres étaient au diable vauvert. Pierre DARTIGOLLES a donc eu ici une vue beaucoup plus réaliste de la valeur réelle de ce moulin. Les expériences malheureuses précédentes l'avaient instruit. Les autres conditions sont assez classiques avec cependant quelques particularités. Ainsi, par exemple, le fermier s'oblige à : "fumer les prairies en temps et saisons convenables ; à cet effet le bailleur s'oblige de fournir aux preneurs la bruyère nécessaire, à la charge, par ces derniers de se la faire couper et transporter." Par ailleurs dans l'énumération des meubles et outils confiés au fermier, figure un cheval d'une valeur de 84 Francs. Il est aussi précisé que les impôts fonciers restent à la charge du bailleur, et enfin on notera qu'il n'est plus nulle part question des redevances habituelles en volailles et en oeufs. De plus : "il demeure convenu que les preneurs auront seuls le droit de pêcher et prendre du poisson dans le bassin dudit moulin, dans toute son étendue, tant que dans le reste de l'eau." On pourra ainsi constater que ce contrat est nettement plus avantageux pour le fermier que les précédents, non seulement quant à son prix, mais aussi quant à ses conditions annexes. |
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Pierre Dartigolles, époux de Jeanne Ferrand
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Poursuivant sa politique d'investissements fonciers, Pierre DARTIGOLLES continue ses achats de terrains, toujours dans BALIZAC. A la fin de la même année 1828, le 21 Novembre, il se porte acquéreur d'une douzaine de parcelles réparties en divers endroits de la Commune, appartenant à une certaine Madeleine MARSAU, épouse BATAILLEY et son Fils, qui habitent à ORIGNE. Tous ces biens sont hypothéqués, et leurs propriétaires ne savent manifestement plus trop où ils en sont. Pierre va leur racheter l'ensemble de ces parcelles pour le prix de 1.325 Francs et se transformer en banquier vis-à-vis des différents créanciers au fur et à mesure qu'ils se présenteront. L'affaire durera deux ans et demi jusqu'à épuisement du capital et des intérêts subséquents que Pierre y rajoutera scrupuleusement sur les sommes disponibles qu'il n'aura pas encore réglées. Dans ces achats, on trouve un peu de tout : une maison à TRISCOS avec son padouen, son jardin, son "toit à cochons" et le "droit de chauffage au four qui est sous l'auvent d'Anne BATAILLEY ainsi que le puisage et abreuvage au puits dit de CUROOU, le tout au quartier de TRISCOS". Mais on trouve aussi de la terre à PEYLAMIC de HAUT, une prairie et sa "raste" (sa haie) à MARCOTTE, quelques gros chênes encore à PEYLAMIC, de la terre à LA COUDANNE, une pièce de pins à PEYLEBE, etc ... etc ... La multiplication de ces petits fonds très dispersés venant s'ajouter aux biens déjà très parcellisés venant des MARSAU explique pour une bonne part, 150 ans plus tard le morcellement des propriétés de la Famille dans BALIZAC, à quelques branches qu'elles appartiennent désormais. |
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Le
décès et la succession
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Jeanne MARSAU, Veuve de Bernard FERRAND dit BERNACHON devait mourir le ler Août 1829, à l'heure de midi. Elle était née le 30 Janvier 1757, sous LOUIS XV et avait donc 72 ans . Elle était le dernier témoin d'une génération. Elle avait bien connu son Beau-Père Etienne FERRAND l'Aîné décédé à La FERRIERE en 1787, mais elle avait bien connu aussi ses petits enfants dont le dernier, Jean DARTIGOLLES, notre Arrière Grand Père, avait déjà 8 ans au moment de son décès. De la lignée de BERNACHON, il ne restait donc plus désormais que les deux Jeanne FERRAND, épouses DARTIGOLLES et BRUN, entre lesquelles il restait à liquider la succession des MARSAU selon les dispositions arrêtées, dans les conditions que l'on sait, par Jeanne MARSAU en 1827. Ce partage ne se fit pas tout de suite. Il attendit jusqu'au 5 Février 1830. Ce jour-là, les deux ménages DARTIGOLLES et BRUN se retrouvèrent à TRISCOS devant le Notaire LABARTHE MONGIE, non point dans une maison de la Famille comme on aurait pu le croire, mais, en terrain neutre, chez une voisine. Jean BRUN le Père n'est plus là et Jean BRUN, son Fils va enfin pouvoir, pour la première fois s'occuper des affaires de sa Famille. Jeanne FERRAND, épouse BRUN, conservera en dehors de tout partage le mobilier et les 1.000 Francs que sa Mère lui avait donnés en dot au moment de son mariage. C'est ici qu'il apparaît clairement que Jeanne, épouse DARTIGOLLES n'a rien reçu dans la même circonstance. Nous nous étions interrogés à ce moment-là sur l'éventualité d'un don manuel qu'elle aurait pu recevoir de sa Mère sans qu'il paraisse dans son contrat, du fait de son expresse renonciation au régime dotal. Il nous a fallu attendre la réponse jusqu'ici, mais elle est indiscutable. Si Jeanne l'Aînée avait reçu ne serait-ce que quelques meubles, il faudrait les voir reparaître ici pour les exclure également du partage. Il n'en est rien. Ensuite, le partage va se faire à raison des 2/3 pour la Cadette et de 1/3 pour l'Aînée. Mais, une fois encore, les BRUN ne veulent pas de propriétés foncières, ils veulent de l'argent. Jeanne BRUN va donc vendre sa part à sa soeur Aînée, une part évaluée à 5.840 Francs. Par une simple règle de trois, cette évaluation nous permet de connaître l'estimation du patrimoine des MARSAU, dits LA BESOUE, à l'exclusion de tout ce qui avait pu venir des FERRAND. Il était de 8760 Francs. Dans une autre échelle de valeur, et pour fixer les idées, cela représentait à l'époque un troupeau d'environ 175 vaches ou d'une centaine de chevaux communs. Cette fois-ci, le morceau est un peu trop gros, et Pierre DARTIGOLLES ne peut payer cet achat comptant. Il est donc convenu qu'il réglera cette somme au Sieur Jean BRUN : " dans le délai de deux ans à compter de ce jour et de lui en payer l'intérêt jusqu'alors au taux de trois et demi pour cent.... mais, ce délai passé.... l'intérêt de la dite somme courra... au taux de cinq pour cent sans qu'il soit besoin d'acte ni de sommation à cet effet." Ce ne fut pas nécessaire, et même, trois ans après l'échéance, les deux frères DARTIGOLLES, cette fois-ci réunis, avaient déjà réussi à rassembler 20.500 Francs pour acheter comptant, à St LEGER, au Comte du BOIS de la MOTHE, la propriété dite du MARTINET.... Et cela, c'était tout de même autre chose. Il est vrai que nous étions là sous la Monarchie de Juillet dont la règle d'or était le " Enrichissez-vous !" demeuré célèbre dans tous les manuels d'Histoire. Ce contrat était enfin assorti d'une clause stipulant que les BRUN s'engageaient formellement à convertir le prix de leur vente en immeubles. C'était l'application pure et simple de leur contrat de mariage de 1818. Jeanne MARSAU avait bien consenti que le patrimoine familial qu'elle transmettait à sa fille soit converti en argent, mais à la condition de le voir aussitôt réinvesti dans de bons et solides immeubles. |
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La fin des Ferrand.
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Jeanne FERRAND, épouse DARTIGOLLES vécut au quartier de TRISCOS, Commune de BALIZAC, en élevant ses trois enfants. Elle perdit prématurément l'Aîné, Guillaume, en 1840, à l'âge de 28 ans. Elle vécut assez longtemps pour voir célébrer le mariage de sa fille Catherine avec Charles PERIE en 1836, et de son second fils, Jean avec Léontine ROUMEGOUX en 1847. Elle connut même ses petits enfants issus de ce second mariage, le dernier, Alexandre, avait en effet déjà 2 ans ½ lors de son décès. Elle mourut à TRISCOS le 15 Mars 1854. Sa soeur cadette, épouse BRUN, vécut à BUDOS où elle éleva ses six enfants. Elle devait mourir le 13 Juillet 1863. Ainsi s'achève la fusion de cette branche de la famille FERRAND, une fusion si parfaite, côté DARTIGOLLES que l'on finit par en oublier jusqu'au nom. On pourra toujours s'interroger sur les motifs de cette discrétion qui, dès l'origine, nous a si fort intrigués. De LOUIS XIII à la Seconde République, nous avons vu se dérouler les aventures plus ou moins picaresques de cette turbulente famille de meuniers. Elle a parfois connu de bons moments et a rencontré quelques heureuses occasions ; mais elle les a le plus souvent gaspillées en de stériles querelles qui lui ont parfois coûté très cher, jusqu'à remettre sa situation en question dans une incroyable cascade de procès hasardeux. Tout cela était évidemment bien loin des traditions des MARSAU, et tout autant des DARTIGOLLES. Les uns et les autres ont pourtant fini par se rencontrer et par se fondre pour essaimer en de nouvelles branches. Ils sont nombreux les hasards qui président à la constitution de nos Familles. |
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Jean Dartigolles. |
Réalisée le 30 août 2009 |
André Cochet |
Mise sur le Web le août 2009 |
Christian Flages. |