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Recueil | ||||
des | ||||
Brochures et écrits | ||||
publiés |
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depuis 1839 jusqu'à ce jour (1880.) |
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Henry de Lur-Saluces. |
Dates. |
Titre. | Pages. | ||||||
14 sept. 1843 |
Rapport à l'assemblée générale |
114/120 |
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des délégués vinicoles des départements |
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sur la formation du Comité |
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de la Chambre des députés. |
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Messieurs, Les
efforts, tentés par l'Union vinicole ont reçu cette année une
sanction qui doit nous faire espérer un meilleur avenir. Je
veux parler d'un Comité formé au sein de la Chambre. Soumis
comme nous le sommes de fait et d'intention aux pouvoirs légaux, nous
appelions de tous nos voeux une manifestation pareille, qui prouve que
nos vrais et légitimes représentants sont décidés à nous faire
rendre justice. Placés
en seconde ligne, Messieurs, nous soutiendrons avec ardeur ceux qui défendent
notre cause, et autant que notre influence nous le permettra, nous
traiterons en adversaires ceux qui viendraient à la déserter. Ce Comité de députés a déjà pour nous un avantage, il peut être considéré comme une approbation tacite donnée à nos réunions passées.
En
effet, Messieurs, dans un pays où la liberté est le principe de toute
loi, lorsque des citoyens se réunissent, animés comme nous
d'intentions loyales, lorsque cette loyauté est évidente, ils restent,
quelle que soit la lettre de la loi, dans le cercle tracé par son véritable
esprit, car c'est surtout en politique que l'on peut dire « la
lettre tue et l'esprit vivifie », et le pouvoir qui approuve,
aujourd'hui nos assemblées n'en reste pas moins armé de la lettre de
la loi, pour disperser celles qui ne seraient pas animées du même
respect que les nôtres pour la constitution du pays. Cette
approbation tacite donnée par le pouvoir et par un grand nombre de députés,
l'approbation bien plus précise donnée par la présence de plusieurs
des membres de la Chambre au milieu de nous, répond d'ailleurs
victorieusement à ceux qui ne pouvant combattre la légitimité de nos
demandes, avaient calomnié nos vues. Déjà,
Messieurs, le Comité vinicole de la Chambre a cherché à arrêter la
fraude; s'il parvient à la réprimer, ce sera un grand service rendu à
la fois aux producteurs et aux consommateurs. Mais
Messieurs, ce n'est là que le commencement des efforts que nous sommes
en droit d'attendre de nos députés : et comme nous pensons que les vérités
les plus simples ont besoin d'être dites cent fois pour être admises,
nous répèterons ce que d'autres. ont écrit avant nous et mieux que
nous. Nous
dirons à nos députés : Qu'après avoir doté la France de voies de
communications nombreuses, qui ont mis ou vont mettre Londres à
quelques heures de Paris, et Bruxelles aux portes de la capitale, après
avoir ainsi aplani les difficultés naturelles, il est déraisonnable d'élever
de plus en plus chaque jour les barrières fiscales... Nous leur dirons encore qu'après avoir contribué à maintenir la paix du Monde, il n'est pas sage, de laisser les peuples se faire une guerre de douanes.
Vous
êtes animés, Messieurs, des plus nobles pensées de civilisation et de
progrès, et si vous avez des doutes, tout au moins ne repoussez vous
pas l'espoir de la confraternité des peuples... Eh bien ! alors
multipliez donc entre les nations les rapports et les échanges, et
lorsqu'une communauté d'intérêts aura été établie, vous aurez plus
fait pour la paix future que ne seront en état de faire jamais les plus
habiles diplomates. On
nous répond à cela, sans cesse : Vous voulez donc anéantir les privilèges
de l'industrie française ? Ici,
Messieurs, il s'agit de s'entendre : nous reconnaissons à la vérité
qu'un peuple peut avec raison établir des privilèges en faveur de
quelques uns, mais c'est à la condition essentielle que ces privilèges
sont utiles au bien général. Lorsque
cette utilité est contestée, les privilèges sont contestés. Lorsqu'elle
n'existe plus, ils doivent disparaître à leur tour. Ainsi
le veulent et le bon sens et la justice. Colbert pour créer
l'industrie, Napoléon pour la faire revivre et la perfectionner, ont dû
lui accorder des privilèges. Mais
aujourd'hui, Messieurs, les expériences sont faites ; les industries véritablement
nationales, c'est-à-dire celles qui reposent sur les productions
naturelles du sol ou sur l'habileté de nos ouvriers, celles-là n'ont
rien à craindre de la concurrence étrangère; nous avons même la
preuve qu'elles la soutiennent avec avantage dans certaines villes
libres de l'Allemagne. Ainsi
donc ce serait à des industries factices que nous sacrifierions la
source de richesses la plus réelle que nous possédions ! Car, Messieurs, ne nous lassons pas de le répéter, si les contrées qui produisent les vins propres à l’exportation ne sont pas fort étendues, tout le Midi de là France peut fournir des eaux de vie qui n'ont pas de rivales dans le monde, et que nous échangerions avec avantage contre les produits qui ne viennent qu'à grands frais ou qui manquent dans nos climats.
Après
ces considérations générales, qu'il nous soit permis de vous citer
des faits qui, malgré leur peu d'importance apparente, ont une
signification malheureusement trop réelle. Je
veux parler, entre autres, de la forme des annonces pour la vente des
propriétés. Vous
le savez, Messieurs, l'annonce a son habileté. Eh
bien ! toute l’habileté de l'annonce consiste aujourd'hui à
dissimuler les vignes. On
vous dit, en parlant, d'une propriété, qu'elle a très peu de vignes
ou qu'on peut les arracher et les transformer. Enfin, si par exception
elle n'en possède pas, on s'appuie sur cette considération, car on
sait que c'est la plus concluante de toutes. On
peut citer encore avec un caractère d'authenticité plus grave des
propriétés vendues par acte public à des prix bien inférieurs à
ceux auxquels ces mêmes propriétés avaient été précédemment cédées.
Enfin,
la Chambre des pairs, en consultant ses archives, peut voir si le
domaine de Cholet, qu'elle a possédé, administré et vendu, ne s'est
pas trouvé dans des conditions encore plus fâcheuses que les portions
les plus maltraitées du sol français. Ainsi
donc, Messieurs, nos plaintes ne sont point exagérées, car nos
souffrances sont évidentes ; et cependant elles ne nous rendent point
injustes, elles ne nous aveuglent pas. Oui, nous reconnaissons volontiers que grâce à l'établissement d'une constitution libérale, généralement dans le royaume les terres ont doublé de valeur, l'aisance a remplacé la misère, des ponts, des canaux, des routes ont été créés, et le crédit public est parvenu à un taux que nous ne connaissions pas.
Mais
si nous nous réjouissons comme Français de ces témoignages de la
prospérité publique, le retour sur notre propre situation en devient
plus triste encore, et en voyant le point où est parvenue la France
malgré les lois qui enchaînent son commerce, nous regrettons amèrement
que des lois plus sages ne lui aient pas permis de développer tous les
germes de puissance et de richesse qu'elle renferme. A
la fin du dernier siècle, Messieurs, un cri généreux partit du sein
des assemblées dauphinoises ; on dit : Cessons d'être Dauphinois,
Provençaux, Bretons, Lorrains, Languedociens... soyons Français ; ce
cri se propagea avec une rapidité électrique, il était la pensée du
pays, et bientôt l'Assemblée nationale posa les bases sur lesquelles
devait être fondée l'unité de la grande famille française... Mais,
Messieurs, s'il est vrai de dire que depuis cette époque, au point de
vue des lois civiles et politiques, une balance égale ait été tenue
entre tous, est-il vrai d'ajouter que les lois économiques ont eu le même
caractère de justice ? Non,
Messieurs, et l'élévation de la valeur des terres dans le Nord, leur dépréciation
ou tout au moins la progression de cette valeur moins rapide dans le
Midi, le prouvent d'une manière évidente. Mais
ne nous décourageons pas. Ainsi
que l'a dit à la Chambre l'honorable M. Mauguin : « Le temps des
vaines discussions théoriques est passé. » C'est vers les lois économiques
qu'il faut tourner nos regards. Déjà
le gouvernement, s'associant à cette pensée, a soumis aux Conseils généraux
plusieurs questions intéressantes ; l'une d'elles, entre autres, nous
semble pouvoir être résolue dans un sens favorable à la cause que
nous défendons. On a demandé quel était le moyen de ralentir la progression dans les prix des bois en France ?
Ce
moyen ne serait-il pas de cesser d'en brûler une aussi grande quantité
pour produire de mauvais fers ?... Il
suffira, nous l'espérons, que les questions économiques soient sérieusement
posées pour que nous voyions s'écrouler peu à peu, le système
prohibitif. En
attendant, Messieurs, que chacun de nous se fasse un devoir de
travailler à la propagande du système contraire; commençons par
ramener à nos idées les hommes qui nous entourent et qui n'ont pas
encore admis la similitude de nos intérêts ; disons à ceux qui ne
possèdent pas de vignes : Que les richesses apportées dans notre pays
par le commerce des vins donneraient immédiatement une valeur plus
grande à tous les immeubles ; ce qui se passe aujourd'hui dans les
landes qui nous entourent, et où le contre-coup de notre détresse
s'est fait promptement sentir, prouve assez combien nos voeux doivent être
communs. En
ramenant encore une fois la question au point de vue des considérations
générales, souvenez-vous que le commerce a toujours été la cause
principale de la richesse des États. Liguons-nous
donc contre le système prohibitif, son plus grand ennemi, et qu'il ne
reste de lui, dans quelques années, que le souvenir des maux qu'il nous
aura causés. Enfin, Messieurs, en remettant avec confiance nos intérêts entre les mains de nos députés, rappelons leur ce mot d'un de nos vieux historiens les plus estimés. Froissard, après avoir rendu compte des troubles du Midi, termine ainsi ses réflexions: « Ces peuples veulent être par la douceur menés. » Or, Messieurs, nous sommes bien les enfants de ceux dont parle Froissard... ; mais nous savons que, pour un peuple libre, être gouverné avec douceur, c'est être gouverné au nom des lois, et que les lois douces sont celles qui sont justes.
Ce
sont celles-là que nous demandons et que nous obtiendrons, par
l'influence de nos députés. En
conséquence, Messieurs, je propose à l'assemblée de voter des
remerciements à MM. les Députés qui composent le Comité vinicole, en
ajoutant que nous attendons de leur patriotisme et de leur persévérance
un système économique plus en rapport avec la civilisation et la
liberté que celui que nous subissons.
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Réalisée le 10 septembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le septembre 2005 Christian Flages