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Recueil      
  des      
    Brochures et écrits 
     

publiés

 
   

depuis 1839 jusqu'à ce jour  (1880.)

   

Henry de Lur-Saluces.

Dates.

Titre. Pages.

17 mai 1869

Circulaire 

254/257.

Adressée aux électeurs de Bazas et de la Réole.

 

 

Voici encore quelques réflexions, pour cette période électorale qu'on a appelée de recueillement et dans laquelle nous entrons demain matin.

Aussi bien le recueillement est toujours utile. Suivons donc les conseils de l'Administration, et recueillons nous.

A cet effet, je vous propose de méditer sur les vertus suivantes :

L’économie d'abord, comme étant la vertu à laquelle nous avons le plus absolument tourné le dos.

Nous avons dépensé, depuis quatorze ans trois milliards cinq cents millions en dehors de nos revenus ordinaires.

Et il est à remarquer que plusieurs fois, durant cette période, les rapports de MM. les ministres des finances nous ont présenté l'avenir sous les aspects les plus favorables.

Seulement, lorsque l'avenir devenait le présent, ces aspects favorables se changeaient invariablement en déficits, et un nouvel emprunt venait couronner le tableau.

C'est ainsi que pendant que l'Angleterre diminuait ses impôts tout en éteignant une partie de ses dettes, nous, nous augmentions nos dettes tout en accroissant parallèlement nos impôts.

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Mais il ne pouvait en être autrement, car le gouvernement n’est pas seulement prodigue en suivant son penchant naturel ; il professe la prodigalité ; il excite les départements, les villes, les communes, les fonctionnaires à la dépense. il a fait plus : il a atteint le mieux du mieux dans le genre : il a inventé l'Ecole dépensière !

On disait autrefois : Qui paie ses dettes s'enrichit ; aujourd'hui l'école a mis à l'envers le proverbe, et de ce pauvre proverbe ainsi retourné, elle s’est fait une devise !

Et en avant ! A toi contribuable, réplique si tu sais ; mais paie quand même.

Je soutiens qu'un père de famille qui administrerait sa fortune d'après de tels errements mériterait d'être interdit.

Pour nous, nous nous contenterons de conseiller aux électeurs de placer à côté du pouvoir une assemblée de contrôleurs indépendants, ayant pour l’économie autant de respect que l'école nouvelle lui a témoigné de mépris !

Ainsi, sur cinq jours passons en au moins trois à méditer sur l'économie ; ce temps sera bien employé.

Méditons ensuite sur la Fraternité.

Ce n'est pas une des moindres gloires de la révolution française que celle d'avoir proclamé la fraternité des peuples.

Mais la fraternité armée jusqu'aux dents est-elle la vraie ?

Non sans doute.

D’ailleurs ce surcroît d'armements est inutile, puisque l’Empereur, très heureux et très habile sur ce point, a anéanti la vieille coalition.

Il a vaincu en Crimée le colosse du Nord, le grand pourfendeur des idées libérales en Europe, l’Empereur Nicolas.

Il a chassé les Autrichiens de l'Italie. Le principe de la souveraineté du peuple et le suffrage universel ont été proclamés dans l’Allemagne du Nord.

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D'où pourrait donc venir la guerre ?

Le jour où nous cesserons d'alarmer nos voisins, par nos préparatifs le roi Guillaume se trouvera en face de la démocratie allemande, qui le priera d'interpréter les principes proclamés d'une façon différente sans doute de celle dont pourrait se contenter un caporal prussien.

Le roi Guillaume, dans ce cas, sera assez occupé chez lui, pour ne point s'occuper des autres.

Dès lors, pourquoi changer notre organisation militaire qui était bonne et l'avait prouvé ?

Pourquoi dépenser inutilement tant d'argent en portant la désolation dans les familles ?

Méditons sur ces choses.

Méditons encore sur honnêteté.

Il me semble que le gouvernement en manque lorsqu'il fait distribuer par les candidats officiels des largesses qui seront reprises bientôt, avec usure, par le Fisc.

N'est-il pas clair comme le jour, en effet, que le gouvernement n'a point d'argent en réserve, puisqu'il emprunte sans cesse ?

Donc l'argent qu'il donne se trouvera faire partie des dépenses qui rendront nécessaire un nouvel emprunt.

Qui paiera cet emprunt ? Le contribuable, donc, etc.

Je m'étonne, je l'avoue, que le bon sens public ne se révolte pas contre un abus qui prend chaque jour des proportions de plus en plus désordonnées.

Comment se fait-il aussi que ce soit toujours au moment des élections que l'on fasse faire des travaux préparatoires, soit pour des ponts, soit pour des tracés de chemins de fer ?

Dans la 6ème circonscription, par exemple, on nous promet deux ponts sur la Garonne et deux chemins de fer dans les landes.

Est-ce de la corruption électorale, oui ou non ?

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Et s'il est défendu d'acheter des votes avec ses propres deniers, serait-il permis d'en acheter en promettant l'argent de tous ?

Électeurs, écoutez moi bien :

Si après avoir mis de côté, comme chose vaine, toute grande pensée politique, vous trouvez simple d'échanger votre vote contre la promesse d'un avantage matériel, vous devez trouver simple que votre représentant échange à son tour son vote contre une faveur quelconque.

Si vous en êtes là, ou si vous en venez jamais là, vous ne mériterez plus d'être libres !

Songez-y, vous êtes au bord du fossé !

Un avis encore pour le jour de l'élection.

Vous le savez, le suffrage universel a été pratiqué, à ses débuts, d'une façon singulière, et l'urne électorale a été quelquefois la boîte aux surprises.

Un brave curé de vos campagnes m'écrivait en 1863:

« Le maire a emporté dans sa chambre la caisse où sont déposés les bulletins, et je vous avoue que j'ai les plus grandes inquiétudes pour la virginité de cette épouse de bois ! »

Certes, je n'ai point partagé ces inquiétudes. Je crois à la vertu des maires et à leur respect pour la loi.

Toutefois, cette promenade nocturne, dans les appartements secrets de M. le maire, ne me paraît pas fort convenable.

Je crois donc que vous ferez bien de veiller sur la conduite des urnes dans la nuit du dimanche au lundi ; vous éviterez ainsi les angoisses qui assaillirent, mon honorable correspondant.

Je termine, Messieurs, en vous répétant ce qui sera, si vous le voulez, notre mot d'ordre

Faisons des réformes, évitons de nouvelles révolutions.

   

 

 

Table des matières.

Réalisée le 10 septembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  septembre  2005

Christian Flages