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Recueil | ||||
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Brochures et écrits | ||||
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depuis 1839 jusqu'à ce jour (1880.) |
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Henry de Lur-Saluces. |
Dates. |
Titre. | Pages. | ||||
18 avril 1869 |
Circulaire |
249/253. |
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Adressée aux électeurs de Bazas et de la Réole. |
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(Réponse au journal de Bordeaux). |
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Messieurs, Je
ne sais, après avoir lu votre article de ce jour, si je dois me
plaindre ou vous remercier. C'est
vers ce dernier parti que j'incline, tout en vous déclarant néanmoins
que votre article et la logique me paraissent deux choses absolument
différentes. Vous
dites que mes collègues du Conseil général font grand cas de mon
caractère, et comme conclusion vous ajoutez que je ne pourrais, si j'étais
député, que « flotter entre tous les partis ». Mais,
Monsieur, vous ne voyez donc pas que vous débutez par faire de moi, en
deux mots, un éloge complet ? Mon
ambition unique, l'ambition de toute ma vie, serait de mériter de mes
concitoyens l'opinion que vous assurez que mes collègues ont de moi. Mais
comment ne comprenez vous pas, en même temps, que cette opinion est
tout simplement le contraire de celle que l'on a d'un homme qui «
flotte entre tous les partis» ? Où
avez vous vu que les caractères indécis jouissaient de quelque estime
? Aussi, je vous déclare que votre assertion me paraît être la meilleure des recommandations qu'on puisse adresser pour moi aux électeurs.
Et,
en effet, le reproche le plus sanglant que l'on puisse faire à la
dictature prolongée que la France a subie, n'est-il pas d'avoir abaissé
les caractères à un niveau qui est encore pour les hommes de mon âge
un sujet de surprise et de stupeur ! Ces
fiers tribuns, que nous avons vus transformés en apôtres de
l'absolutisme sont navrants s’ils sont sincères ; ils mériteraient
toutes les flétrissures de l'opinion publique si, comme leur
intelligence le fait craindre, ils ne sont que des jongleurs ! Quant
à mon éclectisme, comme vous l'appelez, il ne reste pas dans le vague,
croyez le bien. En 1863, mon opinion précise était ce qu'elle est
encore aujourd'hui. Je disais: « Je
pense même que les fautes que le gouvernement a commises auraient été
évitées s'il avait trouvé, à côté, de lui, l'utile contre poids de
la discussion publique. Je
conclus, Messieurs les électeurs, et je dis : Il n'est pas de
puissance au monde qui puisse supprimer le passé. Nul
de nous ne saurait empêcher qu'il n'y ait eu depuis soixante treize
ans, en France, quatre gouvernements bien distincts l'ancienne
Monarchie, la
République, la
maison d'Orléans et l'empire. Ces
gouvernements ont été servis par des hommes intelligents, honnêtes,
illustres ; ils ont eu des adhérents sincères. Si
ces serviteurs dévoués, si ces partisans convaincus se faisaient une
loi, croyaient leur honneur engagé à repousser toute autre forme que
celle que leur coeur ou leur raison préfère, autant vaudrait proclamer
l’anarchie, autant vaudrait soutenir que la France ne peut trouver de
repos que sous le despotisme le plus absolu. Heureusement, Messieurs, il existe en France un nombre infini de bons citoyens qui placent au dessus de tout autre intérêt l'intérêt sacré de la patrie.
Ceux
là peuvent voir avec regret la nation française passer rapidement d'un
enthousiasme à un autre, relever ce qu'elle a renversé, et renverser
encore ce qu'elle vient de relever ; mais ils ne se découragent point
pour cela ; et la France mobile est toujours pour eux la France aimée ;
ils lui restent fidèles ; ils la servent sous des régimes divers, et
leur fixité consiste à réclamer, avec une constance que rien ne
lasse, l'application sincère des grands principes inaugurés en 1789
par l'assemblée nationale. »
Voilà
pour la théorie ; quant à la pratique, je m’y suis conformé. J’ai
offert, dites-vous, mes services au gouvernement de Juillet, à la République.
Offert mes services n'est pas exact ; adhéré comme tant
d'autres serait plus simple et plus vrai. J'ai
adhéré lorsque ces gouvernements étaient dirigés par des hommes qui
pratiquaient les principes qui font la gloire et la force de la Révolution
française ; j'ai adhéré comme je suis disposé à adhérer
encore, à l’Empire, le jour où l'Empire aura réellement couronné
l'édifice. Vous
prétendez que ce couronnement est fait, je soutiens le contraire ; voilà
la différence. Lorsque
nous aurons un gouvernement libre et lorsqu’un commissaire parlant au
nom du gouvernement aura dit comme M. de Bosredon, en 1864, au sujet de
la loi électorale « Le gouvernement a un double devoir à remplir,
savoir : de ne pas modifier légèrement les circonscriptions, afin que
les députés sortants se retrouvent devant les électeurs qui les ont
nommés, et aussi de tenir compte des affinités naturelles des
populations et des localités. Lorsqu'un gouvernement libre aura tenu un tel langage, on ne séparera pas Libourne, Fronsac, Coutras et Guîtres, dont toutes les relations commerciales, agricoles, judiciaires et administratives sont avec Libourne ;
On
ne séparera pas de La Réole, Monségur, Sauveterre, Pellegrue, dont
toutes les relations commerciales, agricoles, etc., sont avec La Réole
; Lorsque
nous aurons un gouvernement libre, on ne réduira pas l'arrondissement
de Bordeaux, qui en 1852 avait deux députés, et dont la population de
1852 à 1867 a augmenté de soixante dix huit mille habitants, on ne réduira
pas Bordeaux à trois tiers de député, ce qui veut dire zéro, car en
dépit de l'arithmétique trois tiers ici ne font pas un ; Lorsque
nous aurons un gouvernement libre, les grandes villes de France ne
seront pas privées de Conseils municipaux ; Lorsque
nous aurons un gouvernement libre, les magistrats obtiendront de
l'avancement en raison de leur science et pour une longue série d'arrêts
bien motivés, et non pour des arrêts politiques ; Lorsque nous aurons un gouvernement libre, les juges de paix
ne se chargeront pas d'influencer les maires en leur recommandant votre
journal, si intéressant qu'il puisse être, et en combinant avec M. le
Préfet une petite réduction de sept ou huit francs par abonnement,
supportée on ne sait par qui ; Lorsque
nous aurons un gouvernement libre, si vous soutenez une candidature dans
les termes où vous l'avez fait pour M. Pereire en 1863, vous passerez
pour inconséquent en l'abandonnant six ans plus tard, tandis
qu'aujourd'hui vous êtes dans la logique rigoureuse de celui qui obéit
à la consigne ; Lorsque nous aurons un gouvernement libre... Hélas ! Monsieur, je m'arrête : cette litanie serait interminable.
Ce
gouvernement libre, nous l'aurons cependant, car l’Empereur l'a
promis, et il y va de sa gloire de tenir sa promesse ! Un
mot encore. Vous dites que je suis éclectique. C’est
à merveille, et je ne le nie, point. Mais comme les électeurs ruraux
auxquels, vous et moi, nous nous adressons, n'ont pas eu, tous, le temps
de suivre un cours de philosophie il se pourrait qu'ils ne se rendissent
pas bien compte de la valeur du mot, et qu’ils me crussent affilié à
de ces sectes terribles qu'ont enfantées les révolutions ! Veuillez
donc avec moi leur dire : qu'un éclectique est tout simplement un homme
qui adopte dans chaque système ce que ce système lui parait avoir de
bon. Dans
la vie terre à terre, un éclectique, sur une récolte de vin rouge
prendra sans hésiter la cuve mieux réussie, et sur une récolte de vin
blanc il choisira la tête de préférence à la queue. Un
des éclectiques les plus célèbres est M. des Chalumeaux, auquel un
des convives offre de la volaille et lui demande quel est le morceau
qu'il désire. Ah ! mon Dieu ! celui que vous voudrez....l’aile
par exemple ! Dans un cas d'élection, qui est cas d'éclectisme par
excellence, un électeur. affilié à la secte choisira l’homme qui
lui offrira le plus de garanties...,etc., etc, En
voilà bien assez, je pense pour indiquer à tous que les éclectiques
ne sont pas des hommes dangereux !
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Réalisée le 10 septembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le septembre 2005 Christian Flages