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Recueil | ||||
des | ||||
Brochures et écrits | ||||
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depuis 1839 jusqu'à ce jour (1880.) |
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Henry de Lur-Saluces. |
Dates. |
Titre. | Pages. | |||||
21 avril 1863 |
Circulaire |
193/198. |
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Adressée aux électeurs de la Réole et de Bazas. |
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Messieurs les Electeurs, Voici
la cinquième fois que je me présente aux suffrages de MM. les électeurs
de La Réole. Si
fa persistance est un mérite, j'ai celui-là. Aujourd'hui,
je voudrais établir que le but que j'ai poursuivi lors de ces élections
diverses, et que je poursuis encore, est toujours le même, et consiste
à apporter mon grain de sable à la fondation de ce gouvernement fort,
mais libre aussi, que nous voulons tous pour notre commune
patrie, et qui doit clore l'ère déjà trop prolongée de nos révolutions.
Quelques-uns
d'entre vous ont peut être conservé les brochures que je leur ai
adressées les 22 février 1839, 18 novembre 1841, 30 juin 1842, 15 juin
1846, 17 mars 1848, etc. Dans tous les cas, ces écrits existent ; le premier et le dernier notamment ont été insérés en entier dans le Mémorial bordelais. Je crois pouvoir affirmer que, quant aux opinions et aux tendances, ils sont 1iés entre eux par une incontestable unité. Il me reste à parler de la révolution dernière et du gouvernement actuel.
Ici
encore j'aurai recours à une lettre, qui, il est vrai, n'a point été
imprimée, mais qui a été lue devant un grand nombre d'honorables et
irrécusables témoins. Il
me semble, en effet, qu'à une époque comme la nôtre, où quelques
hommes ont beaucoup varié, une profession de foi acquiert une valeur
toute particulière de la date même à laquelle elle a été signée. Le
24 septembre 1852, quelques jours avant l'arrivée à bordeaux du Prince
Président, M. Thévenard, ancien capitaine d'artillerie de la garde
nationale, m'écrivit pour m'annoncer que les artilleurs avaient été
convoqués, dans la cour de la mairie, qu'ils avaient réclamé mon
concours et avaient remis leur prochaine réunion au lundi suivant, afin
de connaître ma réponse. Cette
réponse, la voici : Malle, 25 septembre 1852. Mon
cher Monsieur, Je
viens de recevoir la lettre dans laquelle vous m'engagez à vous écrire,
ou bien à assister à une réunion d'anciens artilleurs qui doit avoir
lieu dans le but de s'entendre pour réorganiser l'escadron, et vous me
dites que ces Messieurs désirent m’honorer encore du commandement. Vous
avez eu personnellement, mon cher Thévenard plus d'une occasion de
reconnaître quel prix j'attachais aux diverses marques de sympathie que
j'ai reçues de ces Messieurs depuis quelques années ; vous comprendrez
donc combien me coûte la résolution que je crois devoir prendre. Au
reste, la loyauté de ma déclaration prouvera, je l'espère, à ces
Messieurs qu’ils avaient eu raison d'avoir confiance en moi. Mes
antécédents politiques ont peu d'importance ; ils sont ignorés ou
oubliés par la plupart d'entre vous ; moi seul, à ce sujet, je n'ai
pas le droit de manquer de mémoire. J'ai
fait, en 1839, une profession de foi dont je ne me départirai jamais,
parce que j'avais réfléchi avant de la faire. Attaché, comme bien d'autres en France aux principes de la souveraineté nationale et de la liberté réglée par les lois, je croyais ces principes en sûreté sous l'égide patriotique des princes d’0rléans.
Depuis,
une assemblée souveraine ayant proclamé la république, j'ai adhéré
sans arrière pensée à cette nouvelle forme de gouvernement. Mais
les intrigues les violences des partis ont rendu cet essai de république
impossible, et, il faut bien le reconnaître, la dernière révolution
était en quelque sorte devenue fatalement nécessaire. La
souveraineté nationale l'a, il est vrai, consacrée; mais la liberté réglée
par les lois a disparu. Dans
ces circonstances, j'ai dû, avec huit millions de français, accepter
une dictature que nos folies avaient rendue inévitable ; mais, de là
à l'enthousiasme qui me porterait à me mettre à la tête d'un corps
de volontaires, qui sera remarqué à plusieurs titres, la distance est
grande, et c'est cette distance que je ne puis franchir. Si
l'on avait, comme autrefois la liberté d'attaquer le gouvernement, la
pente de mes idées, la conviction où je suis que le gouvernement de
notre pays est chose fort difficile, le désir d'éviter les révolutions
qui ne profitent qu'aux intrigants, me porteraient naturellement à le défendre. Mais
aujourd'hui on n'a qu'à se soumettre et à se taire où à approuver. Lorsqu'on
n'approuve pas en tous points il faut se taire et se soumettre. Veuillez
donc, mon cher Thévenard, être auprès de ces Messieurs l'interprète
de mes vifs regrets. Je
vous renouvelle, mon cher Thévenard, l'assurance des sentiments
d'estime et d'affection que je vous ai voués depuis longtemps.
Henry de Lur Saluces. Mais,
depuis 1857, la tribune française à repris une partie de ses droits ;
diverses espérances ont été données, et tout dernièrement encore,
M. le sénateur administrateur de la Gironde annonçait dans sa
proclamation que la liberté devait couronner l'édifice impérial. C'est à ce couronnement que nous voulons tous assister et applaudir !
Jamais
pouvoir fût-îl en effet, plus en mesure d'accepter la discussion ? Six
millions de suffrages l'ont fondé, alors que l'administration du pays
était dans les mains de ses adversaires. Et, sous une autre forme, huit
millions de suffrages l’ont consacré. Voilà pour l'élection. Quant
à la gloire militaire, si justement chère à la France, elle
l'environne dans toute sa splendeur. D'une
part, l'héroïque campagne de Crimée a prouvé que notre armée savait
unir aux qualités guerrières qui lui sont propres la patience et la
persévérance qui autrefois lui ont souvent manqué. Et,
comme contraste, la campagne d'Italie a été une vraie campagne française,
rapide comme l'éclair, éblouissante comme lui ! Enfin,
et pour clore l'ère de ces grands faits, au moment où la Prusse et
l'Allemagne, trompées et perfidement excitées contre nous, vont
changer le caractère de la guerre et transformer nos soldats libérateurs
de l'Italie en oppresseurs des nations germaniques, le vainqueur s'arrête
et, avec autant de prudence que de modération, signe la paix ! Si
un gouvernement qui repose sur de pareilles bases ne pouvait sans danger
étendre le cercle de nos libertés, nous devrions le déplorer amèrement,
rentrer en nous-mêmes, nous humilier, et ne plus dire que nous portons
dans nos mains le flambeau de la civilisation moderne ! Quant à moi, je crois fermement à la vérité de la proposition contraire ; je pense même que les fautes que le gouvernement a commises auraient été évitées s'il avait trouvé, à côté, de lui, l'utile contre poids de la discussion publique.
Je conclus, Messieurs les électeurs, et je dis : Il
n'est pas de puissance au monde qui puisse supprimer le passé. Nul de nous ne saurait empêcher qu'il n'y ait eu depuis
soixante treize ans, en France, quatre gouvernements bien distincts l'ancienne
Monarchie, la
République, la
maison d'Orléans et l'empire. Ces
gouvernements ont été servis par des hommes intelligents, honnêtes,
illustres ; ils ont eu des adhérents sincères. Si
ces serviteurs dévoués, si ces partisans convaincus se faisaient une
loi, croyaient leur honneur engagé à repousser toute autre forme que
celle que leur coeur ou leur raison préfère, autant vaudrait proclamer
l’anarchie, autant vaudrait soutenir que la France ne peut trouver de
repos que sous le despotisme le plus absolu. Heureusement,
Messieurs, il existe en France un nombre infini de bons citoyens qui
placent au dessus de tout autre intérêt l'intérêt sacré de la
patrie. Ceux
là peuvent voir avec regret la nation française passer rapidement d'un
enthousiasme à un autre, relever ce qu'elle a renversé, et renverser
encore ce qu'elle vient de relever ; mais ils ne se découragent point
pour cela ; et la France mobile est toujours pour eux la France aimée ;
ils lui restent fidèles ; ils la servent sous des régimes divers, et
leur fixité consiste à réclamer, avec une constance que rien ne
lasse, l'application sincère des grands principes inaugurés en 1789
par l'assemblée nationale. Je vous le répète, Messieurs les électeurs, ceux d'entre vous qui voudront parcourir mes précédents écrits y trouveront cette fixité dont je parle ; ils y trouveront aussi de nombreuses preuves de mon respect pour l'autorité, unie à une ferme indépendance, et vis à vis les partis et vis à vis du pouvoir.
C'est
cette réunion d'idées qu'il importe de propager dans ce pays, ou bien
nous passerions sans cesse d'une soumission servile à une opposition
factieuse. Mais
je n'ai pas cette crainte ; aussi, dans cette circonstance comme pour
les précédentes élections, je m’adresse aux opinions et non aux intérêts.
J'ai
une foi profonde dans l'avenir de la France : je ne la vois pas à
l'apogée de sa grandeur et rapprochée du point où commence la décadence
; je la vois au contraire marchant à la tête de l'humanité ; je parle
à mes compatriotes le langage qui me paraît devoir être parlé à des
hommes libres ; les immenses progrès faits dans nos campagnes, depuis
trente ans me font espérer que je serai entendu. Dans
tous les cas, je crois faire acte de civisme en mettant de côté les
susceptibilités d'amour propre qui pourraient me faire redouter un
nouvel échec électoral, pour dire aux électeurs que le choix de leur
mandataire est une chose trop importante pour lui laisser prendre des
proportions d'un simple enregistrement, et pour dire à mes amis que,
tant que j'aurai force et santé, je serai toujours prêt à répondre
à leur appel, s'ils croient pouvoir utiliser ma bonne volonté au
service de la patrie.
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Réalisée le 10 septembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le septembre 2005 Christian Flages