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Recueil | ||||
des | ||||
Brochures et écrits | ||||
publiés |
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depuis 1839 jusqu'à ce jour (1880.) |
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Henry de Lur-Saluces. |
Dates. |
Titre. | Pages. | ||||||||||||||||||||
21 mars 1869 |
Circulaire |
223/243. |
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Adressée aux électeurs du canton de Bazas et de la Réole. |
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Messieurs, J’ai
attendu jusqu'à ce jour pour vous adresser le compte rendu suivant sur
les sessions du Conseil général, parce qu'il m'a semblé que
quelques-unes de mes observations avaient des rapports avec la question
électorale dont vous aurez à vous occuper avant peu ; et j'ai cru,
dans le cas où ces observations auraient de l'utilité, qu'il importait
qu'elles ne fussent pas présentées trop tôt, de manière à ce
qu'elles n'eussent pas le temps, d’être tout à fait oubliées au
moment de la lutte. Si difficiles à comprendre et si peu intéressants que soient dans leur forme actuelle les procès verbaux livrés à la publicité par la voie des journaux, quelques uns d'entre vous les auront néanmoins parcourus et auront pu remarquer la proposition faite dans la première session par plusieurs membres du Conseil général, tendant à modifier ces comptes rendus de manière mettre à l'avenir les électeurs en mesure de mieux juger les votes et les opinions de leurs mandataires, au sujet de cette proposition, M. le baron Jérôme David, Vice-président, déclara que non seulement il ne la soumettrait pas aux délibérations du Conseil général, mais même qu'il ne donnerait connaissance ni de son contenu ni du nom des signataires.
Toutefois,
à la suite d'observations aussi judicieuses qu’habilement et sagement
présentées par le duc Decazes, M. David modifia sa première appréciation.
La
proposition suivit son cours et donna lieu aux débats dont je vous
entretiendrai dans quelques moments. Mais,
au nombre des motifs allégués par M. le baron David pour repousser la
proposition, M. le Vice-président déclara que les membres qui
voulaient faire connaître et leurs actes et leurs votes aux électeurs,
avaient un moyen bien simple, qui était d'adresser à leurs commettants
un compte rendu. Ce
Conseil me sembla bon, et à défaut d'une publicité entière, immédiate
et telle qu'elle devrait exister dans un pays libre, il est le meilleur
parti à suivre. Me
voici donc à l'oeuvre. I Le
début de la première session fut marqué par un incident singulier :
M. le président David annonça qu'une proposition tendant à approuver
les nouvelles circonscriptions électorales lui avait été remise, mais
qu'il ne la soumettrait pas au Conseil général, parce qu'elle avait un
caractère politique. Là
dessus une discussion fort vive s'engagea. Pour moi, je me contentai de dire que la mesure avait aussi un caractère administratif ; que l'esprit de toute loi électorale devant être de faire connaître l’opinion des électeurs, si une mesure administrative divisait le territoire de manière à rendre difficile l'expression de cette opinion, il appartenait aux Conseillers généraux, mieux renseignés que qui que ce soit sur les rapports des cantons entre eux, de faire connaître à l'administration que telle oui telle division rendait ces rapports difficiles.
J'ajoutai
que si le président avait le droit de supprimer une proposition amie,
je demandais quel serait le sort réservé à d'autres ! Malgré
ces observations, malgré surtout les considérations exposées avec
chaleur par MM. Decazes et Amédée Larrieu, la proposition fut rejetée,
je devrais dire enterrée, enterrée est le mot propre sans même qu'il
ait été possible d'envoyer des lettres de condoléances, puisque les
auteurs ou l'auteur gardèrent le mutisme le plus complet. Si
bien que plusieurs d'entre nous n'ont pu s'empêcher de croire à une manœuvre
à l'intérieur (le
gouvernement venait de menacer et poursuivre un délit un peu vague
intitulé : manoeuvres à l'intérieur,) du
Conseil général, manœuvre non condamnée par la loi sans doute, mais
condamnée, croyons nous, par le bon sens ; manoeuvre, d’ailleurs, si
étrange, que beaucoup de personnes à l'extérieur du Conseil général
ne se sont pas donné la peine de la comprendre. De
telle sorte que je pense qu'il n'est pas inutile de chercher à vous la
faire bien saisir au moyen d'une comparaison. Supposons
par exemple, une caisse vide et des créanciers. La caisse vide, ici,
c'est l'administration, absolument dépourvue de toute bonne raison à
donner en faveur d'une division territoriale unique en son genre ; les
créanciers, ce sont nous tous, Messieurs les électeurs, désireux de réaliser
nos billets. Or,
qu'invente le caissier de la caisse vide ? Il détache un débiteur réel ou supposé ; il lui donne pour consigne de se présenter le premier, et avec un porte-voix, il lui crie d'aussi loin qu'il l'aperçoit : La caisse est fermée, on ne reçoit point ; la caisse est fermée, la caisse est fermée !...
Ce
qu’entendant, les créanciers, ceux-ci se disent : Puisque la caisse
est si bien fermée qu’elle ne peut s’ouvrir pour recevoir, il est
bien clair, que nous devons renoncer à la voir s'ouvrir pour donner… Les
créanciers sont-ils moins mécontents pour cela ? Hélas
! non, car le vide de la caisse leur paraît le même. Dès
lors, à quoi a servi cette grande combinaison ? Cherchez,
et vous ne trouverez point. Dans
tous les cas, elle n'a servi ni ne servira jamais à expliquer ni à atténuer
les mesures prises à l'égard des paisibles et honnêtes électeurs
girondins. Comment !
vous voulez consulter le corps électoral, et vous commencez par le
disloquer, le désorienter et l'ahurir ? Et cela, dans le but avoué
d’empêcher M. tel ou M. tel d'être nommé. Mais
ne voyez-vous donc pas que si par malheur votre manœuvre venait à
obtenir le succès que vous en attendez, votre victoire serait
d’avance, frappée de stérilité, puisque d’avance elle est condamnée
par ce sentiment d'équité qui est au fond de tous les esprits ! Où
irions nous, grand Dieu si l’Administration pouvait sans être condamnée
par l’opinion publique, remplir l’office d'un procureur retors et
faire servir la lettre de la loi à tuer l'esprit de la loi elle-même ?
Si peu versé qu'on soit, dans la science des jurisconsultes, on comprend sans peine que le législateur qui a élaboré avec soin, les divers articles d'une loi électorale n’a pu, par un dernier article, laisser, à l'administration le soin de tracer les circonscriptions que comme mesure d`ordre, mesure de simple police, et afin de faciliter l'expression des voeux des citoyens.
Dans
aucun cas, on ne saurait admettre que la pensée du législateur ait pu
être de réserver à l'administration la faculté, par une division de
toute fantaisie, de faire dire au corps électoral tout le contraire de
ce qu’il pense. Si
le législateur eût une pareille pensée, il aurait voulu à la fois créer
une loi et la rendre vaine. Cette
supposition est inadmissible, l’évidente intention de celui qui crée
étant toujours de donner force et vie à ce qui provient de lui. On
peut donc affirmer que si l’administration a pour elle la lettre de la
loi, elle a contre elle l'esprit qui a dicté les articles de la loi. Elle
commet donc un acte mauvais en donnant un pareil exemple. Ce
n’est pas respecter la loi que de la tourner. Et
pour quel résultat encore ? Pour
arriver, dans la Gironde, à séparer le Fronsadais de Libourne ; Monségur
et Sauveterre de La Réole, la chair de l'ongle, les doigts de la main. Non !
on a de la peine à comprendre une aberration pareille ! Et
si l’on croit que c’est ainsi que l’on sert bien le Pouvoir on se
trompe étrangement. Le
respect pour le Pouvoir est le premier des besoins sociaux ; il est la
base indispensable de la prospérité commune ; mais le Pouvoir, lui
aussi, doit respecter le sentiment public Eh
bien ! je le demande, dans la question spéciale qui nous occupe,
quel cas a-t-on fait du sentiment public ? Précisons,
car le vague, en politique, ne convient qu’à celui qui veut
dissimuler sa pensée. Ainsi, par exemple, il existe à Libourne, un homme honorable qui a fait le plus beau des héritages : il a hérité de la popularité de son père, popularité précieuse entre toutes, car celle-ci ne reposait pas sur le caprice du moment : elle était la suite de nombreux services rendus à tous et à chacun pendant une longue carrière.
La
population reconnaissante élève une statue au père ; et comme conséquence
sans doute, immédiatement vous proscrivez le fils ! est-ce assez
extraordinaire, et le mot aberration, que je traçais quelques lignes
plus haut, ne doit-il pas être répété ici ? Encore,
si vous étiez en présence d'un ennemi, on pourrait, tout en réprouvant
les moyens, comprendre la guerre. Mais
non, c'est simplement un homme de talent et de sens qui veut... Faut-il
tout dire ? Ne répondre amen qu'après avoir bien compris et approuvé
le verset de l'officiant ! Or,
voilà précisément les hommes dont on ne saurait vouloir, puisqu'il
parait qu'il n'y a d'harmonie possible qu'avec ceux dont la réponse
connue d'avance est sûre, infaillible, immuable comme les phases de la
lune ou les heures d'arrivée du soleil ! Eh
bien ! Je dis que c'est là une guerre déplorable, dans laquelle le
sentiment public ne saurait être avec l'administration. II Revenons,
maintenant, à la première proposition présentée au Conseil général
au sujet d'es procès verbaux. Cette proposition renferme dans son germe la décentralisation administrative ; bien mieux, elle doit être la base de cette liberté régulière reposant sur le respect des lois, à la possession de laquelle l'immense majorité de la nation aspire, et que l'Empereur a désignée par une expression heureuse, en l'appelant le couronnement de l'édifice.
Elle
a toute cette importance, car elle a pour but d'initier le plus humble
des citoyens à la connaissance des intérêts départementaux. Et cependant elle se borne à demander que le nom des opinants soit inscrit en tête des opinions émises. Mais
ses conséquences sont bien autres, et c'est sur elles que je vous prie
d'arrêter votre attention. Voici,
d'abord, ce que j'ai dit à ce sujet au Conseil général. Je
signalerai à la suite les autres motifs qui me paraissent devoir donner
à cette proposition une importance capitale : "Messieurs,
lorsque j'ai demandé, il y a quelques années, au Conseil général de
vouloir bien décider que les procès verbaux de nos délibérations
fussent envoyés a chaque commune, j'avais en vue d'atteindre le but que
poursuit la proposition qui vous est soumise. Je
pose d'abord en principe que tous les esprits sages doivent leur loyal
concours à l'administration, afin de l'aider à surmonter les difficultés
qu'elle rencontre. Mais,
selon moi, ces difficultés viennent surtout de ce que les populations
ne connaissent pas assez leurs affaires, ne connaissent pas assez ce que
disent, ce que pensent, ce que cherchent à faire dans l'intérêt du
pays les hommes qui prennent une part quelconque à l'administration. Voilà
pourquoi je considère comme très essentiel qu’elles soient mises en
mesure de mieux juger à l'avenir. Voilà
pourquoi je pense qu'il importe que nos procès verbaux où toutes les
affaires qui intéressent le département sont consignées à leur tour,
deviennent une lecture supportable et intelligible. Or,
tel est le but de la proposition qui vous est soumise. Aujourd'hui,
ces procès verbaux sont tellement obscurs, que nous mêmes, lorsque
nous voulons relire, à trois ou quatre ans d'intervalle, le récit de
ce que nous avons entendu ou dit, nous nous perdons dans ce labyrinthe. On
peut donc affirmer avec certitude que, dans toute reproduction de ce
genre, les noms propres sont comme la ponctuation, qui est
indispensable à la clarté du discours. Qu'on
se figure les discussions de nos assemblées politiques privées de cet
élément ! Qui oserait, dans cette hypothèse, aborder le Moniteur ?
En
outre, si nous étions mieux connus de nos commettants, ceux d'entre
vous dont la pensée toujours nette et substantielle éclaire nos
discussions, seraient bien vite appréciés à leur juste valeur, et nos
concitoyens, en lisant nos débats, laissant de côté les orateurs
longs et diffus, en supposant, comme on l'a prétendu, que la mesure que
nous réclamons les fit éclore, iraient demander à ceux d'entre vous
que nous écoutons toujours avec plaisir, le dernier mot, le sens vrai
de chaque affaire. Et
si, par impossible, les orateurs diffus que nous ne connaissons pas mais
dont on nous menace, n'avaient pas d'ami véritable et en mesure de les
engager à plus de modération, soyez bien convaincus que nos spirituels
Gascons ne s'y tromperaient pas. Lorsque
les électeurs de nos campagnes aurons dit en connaissance de cause:
c'est un bavard ! Tenez pour certain que la sentence sera sans appel et
le candidat dûment évincé, Voilà
donc, si je ne me trompe, l'objection principale absolument, détruite. Quant,
aux avantages de la mesure, ils sont sans nombre. D'abord,
les caractères indécis qui, à quelques années d'intervalle, varient
de l’affirmative à la négative sur les mêmes questions, seraient
connus des électeurs. Ceux
qui vont toujours droit le seraient de même. Enfin
cette mesure contribuerait à faire renaître l'esprit public, sans
lequel tout sentiment généreux ne peut vivre. Et
maintenant, si nous pensons à nous-mêmes, voyez quelle singulière
situation nous est faite. Lorsque
nous sommes dans l'arène électorale, les populations s’agitent bien
plus encore que pour toute autre élection. Elles
attachent à nous faire triompher ou à nous combattre une importance
telle, qu'il semble que leurs destinées vont être en nos mains. Puis
lorsque nous sommes nommés, elles n'entendent plus parler de nous ; de
sorte qu'il est bien naturel qu'elles trouvent le résultat mince par
rapport à l'ardeur qui les a animées, et elles nous rendent
responsables d'un mécompte auquel nous ne pouvons rien. Mais
c'est là le petit côté de la question ! Ce
qui me touche, c'est l'ignorance des populations au sujet de leurs
propres affaires ; c'est la conviction où je suis que les lois justes
qui nous régissent seront respectées en raison directe de la part que
le pays prendra à leur application. En résumé, le silence formera des sujets ! La publicité et la libre discussion formeront des citoyens !
D'un
autre côté je suis peu touché, je l'avoue, de cette objection, que le
corps législatif ne peut modifier une loi récente. M.
le baron David avait lui aussi, prononcé un veto absolu, et il s’est
rendu de bonne grâce aux raisons qui lui ont été présentées. Espérons
donc que le gouvernement de l'empereur, auquel notre département doit
la liberté de commerce vainement réclamée sous les autres
gouvernements, saura joindre à cette grande mesure, la mesure, grande
aussi par ses conséquences, que nous sollicitons. Nos
concitoyens pourront alors rendre, en parfaite connaissance de cause,
aux services importants de la plupart d'entre vous, au zèle et à la
bonne volonté de tous, la justice que chacun mérite. J'appuie
avec une conviction entière le voeu formulé." Maintenant,
ce qui fait qu'il importe au plus haut degré que les affaires du département
soient clairement exposées et dans le plus grand détail, aux yeux et
au jugement de tous le voici. C'est
parce que ces affaires sont, bien plus qu'on ne le pense peut être à
la portée de tous. Les
questions de routes, de ponts, d'impôts de bâtiments publics, de
marais, peuvent être comprises par le plus grand nombre, et c'est par
elles qu'il faut que le peuple arrive à la pratique sage du pouvoir
immense que le suffrage universel à mis en ses mains. Le
suffrage universel est venu avant son heure. Et
cependant il a eu cette fortune favorable d’obtenir l'adhésion, que
dis-je l'adhésion ? Les adulations de tous les partis. Dès
lors, qu'ont à faire les vrais patriotes, ceux qui, dans toute
circonstance, envisagent toujours avant tout et quand même l’avenir
et l'intérêt de la patrie ? Ils doivent travailler, autant qu'il est en est en eux à consolider la base sur laquelle reposent les institutions du pays ; ils doivent propager l'instruction ; ils doivent par tous les moyens que la raison approuve, contribuer à éclairer le peuple et à le mettre en mesure d'exercer le s droits politiques que la loi a consacrés.
Voilà
pourquoi il importe que tous sachent à fond les affaires du département,
et puissent juger sur pièces de la part qu’y prennent ceux qu'ils ont
commis à leur gestion. Le
temps viendra, et n'est pas loin, je l'espère, où la résistance opposée
à des voeux si légitimes sera sévèrement jugée. III Si,
sur ces deux questions principales, je n’ai pu être de l'avis de
l'administration, j'ai le malheur de ne l'être pas davantage sur
d'autres. Ainsi,
les finances du département sont conduites avec une prodigalité qui
doit vous être signalée. En
1865, le budget était de 2,300,000 francs ; aujourd'hui, il dépasse 4
millions. Telle
est la conséquence d'un système qui peut être caractérisé en deux
mots : horreur de l'économie. Exemples
: plusieurs d'entre vous ont entendu parler de l'origine de la fortune
du célèbre Jacques Laffite ! Une
épingle ramassée à propos, sous les yeux du banquier Pellaprat, en
fut le point de départ. Je
vais vous citer des paquets d'épingles répandus à profusion à tort
et à travers, dans le budget de la Gironde. Le
banquier Pellaprat remarqua l'épingle ramassée et devina Jacques
Laffitte. Vous conclurez ce que vous voudrez de la profusion. Lorsque
M. de Mentque quitta la Gironde, les bureaux de la préfecture étaient
organisés et fonctionnaient régulièrement. M. de Bouville, lui, arrivait accompagné d'un nouveau système.
Vous
m'arrêtez, et vous dites : Mais
le Préfet est souverain dans ses bureaux ; il les compose selon son bon
plaisir ; cela ne regarde ni le Conseil général, ni les administrés ;
portez ailleurs votre contrôle. D'accord,
si les expériences ne doivent pas être payées par nous ; mais si
elles doivent nous être onéreuses, je soutiens que nous avons dix fois
raison de nous plaindre. Or,
qu'est il arrivé ? M.
Le Préfet a intronisé un Ministre d'état qui, réunissant en ses
mains, ou peu s'en faut, le pouvoir et les attributions de quatre chefs
de division, concentre toute l'action administrative. L'administration
marche-t-elle mieux ainsi, et les affaires sont elles plus promptement
expédiées ? C'est
tout le contraire qui a lieu, et, à cet égard, il n'y a qu'un cri. Mais
en supposant que ce point pût être contesté, ce qui reste évident,
c'est qu'il faudrait, pour continuer le système, que chaque Préfet fut
suivi, en arrivant, d'un alter ego possédant toute sa confiance, ayant
de l'esprit comme quatre et de l'activité à proportion. Ce
genre de phénix étant rare, le successeur de M. de Bouville sera
contraint d'organiser à nouveau l'administration. Qui
paiera les suites et qui supportera les inconvénients de ces petites révolutions
intérieures ? Évidemment
les contribuables. Déjà, nous payons un fort à-compte, puisque trois chefs de division ont été mis à la retraite, alors qu'ils étaient mieux en mesure que jamais, par leur expérience, de rendre d'utiles services au département.
Je
demande pardon à MM. Viette, Philiparie et de Laville de ce que je
viens troubler leur solitude ; mais d'abord je n'ai que des éloges et
des regrets à leur adresser. Et, d'ailleurs, ces honorables citoyens
savent bien que ceux qui ont pris une part quelconque aux affaires
publiques appartiennent à la discussion. Eh
bien ! le département leur paie et leur paiera très longtemps,
espérons le, 6,363 fr. par an. L'un est né en 1816, l'autre en 1811,
tous les trois sont dispos de corps et d'esprit. Pense-t-on
qu'il y ait eu sagesse et économie à se priver de leurs services ? Autre
petit exemple : la préfecture a besoin d'un almanach, c'est évident ;
de plusieurs almanachs, je l'accorde ; mais des almanachs pour une somme
de 130 fr. et plus, c'est de la prodigalité, et la prodigalité en fait
d'almanachs me paraît un indice terrible, l'almanach en lui même
n'ayant rien d'entraînant ! Autre
grand exemple : le Roi de Portugal passe à Bordeaux. Le
budget du ministère des affaires étrangères aurait dû, ce semble,
pourvoir à la dépense ou bien encore le budget de la ville.. Mais
non. La
Chambre des députés, le Conseil municipal, ergotent de temps en temps
; le Conseil général, au contraire est plein de mansuétude : à lui
donc la préférence, Depuis
le commencement du monde, les plus dociles ont dû être les premiers
tondus. Après
tout, il faut toujours que quelqu'un paie, et le Conseil général est
assez riche pour payer sa bonne réputation. Toutefois,
la chose admise, un peu de forme et de régularité n'eussent pas été
de trop, et il me paraît que c'est ce dont on a tout à fait manqué à
son égard. En effet, les dépenses de ce genre sont faciles à régler.
Afin
de ne pas rester à la merci des fournisseurs, les prix doivent être
arrêtés d'avance, et la carte à payer aurait dû être prête huit
jours après le départ du Roi. Cependant,
lorsque le Conseil général c'est réuni deux mois après ce départ,
il ne lui a été présenté que des comptes provisoires, sur lesquels
on a fait espérer une réduction de 15 0/0. Ces
comptes, arrêtés cette fois, reparaîtront cette année ; ils
pourront, je pense, être soumis au public, et ils lui feront, j’ai
lieu de le croire, l'effet qu'ils m'ont produit à moi-même : celui d'être
de vrais modèles d'exagération. Le
Roi de Portugal n'avait avec lui qu'une suite peu nombreuse, et n'est
resté que deux jours à Bordeaux. Si, lorsque sa cour est au complet,
la dépense croît en proportion, et si les intendants de S. M. Très
fidèle n’y regardent pas de plus près que les agents de M. le Préfet
de la Gironde, les destinées du trésor du Roi de Portugal sont faciles
à deviner : ce trésor sera englouti sans miséricorde et disparaîtra
presque aussi vite que le fait une orange partagée entre un caporal et
une bonne d'enfants. Voilà ma prédiction. L'accroissement
énorme du budget départemental, que j'ai indiqué plus haut, montre
que ces exemples pourraient être multipliés à l'infini. Certes, je le répète, si le banquier Pellaprat, ressuscité , avait un oeil ouvert sur la préfecture de la Gironde, loin d'y découvrir une de ces aptitudes à l’épargne qui fixèrent son attention et son intérêt sur Jacques Laffitte, il hocherait tristement la tête, et s'éloignant avec désespoir, il tracerait sur la porte de la rue esprit des lois : ici, plus d'espérance !!!(d'économie.)
Toutefois,
espérons encore, car les habitudes d'épargne peuvent redevenir à la
mode. M. Le Préfet nous a même, cette année, sans intention, bien
entendu, mis sur la voie d'une économie future. M.
Le Préfet a proposé au Conseil général de supprimer l'indemnité de
8,000 fr. Accordée à MM. Les Chanoines et Grands Vicaires, tout en
laissant cette somme à la disposition de Mgr l'Archevêque, qui
l'emploierait en secours aux prêtres du diocèse. M.
Le Préfet, pour défendre sa proposition, a dit que MM. Les Chanoines
et Grands Vicaires, avaient bien moins besoin de cette somme que
certains prêtres infirmes ; en d'autres termes, MM. Les Chanoines et
Grands Vicaires, pouvaient s'en passer !!! Tout
le monde dans le département connaît l'inépuisable charité de M. le
cardinal ; bon pour tous, il accueille avec une constante indulgence et
les catholiques, et les protestants, et les israélites, et les
rationalistes ; par contre, tous sont portés de coeur vers lui, si bien
que les membres de la commission du Conseil général, ne voyant sans
doute dans la proposition de M. le Préfet qu'une occasion de témoigner
leur déférence vis-à-vis de M. le cardinal, avaient adopté ladite
proposition. Mais
le Conseil général crut y voir tout autre chose ; il la renvoya à
nouvel examen, et, finalement, le projet de M. le Préfet fut rejeté ;
MM. Les Chanoines et Grands Vicaires, maintenus au budget. De sorte que l'intervention de M. le Préfet n'a eu d'autre conséquence que de faire connaître au Conseil général que l'opinion de cet administrateur était que MM. Les Chanoines et Grands Vicaires pouvaient se passer du supplément que le Conseil leur alloue depuis quelques années.
Au
reste, M. le Préfet aurait pu citer à l'appui de son opinion le
passage d'un livre dont peut être il ne s'est pas préoccupé dans
cette circonstance, et qu'un heureux hasard a mis sous mes yeux ces
jours-ci. L’apôtre
saint Jean, chapitre III, paragraphe 14, évangile selon saint Luc, dit,
: contentez vous de votre paie. Ce Conseil n'est-il pas bon à répéter à une époque, où les habitudes de cumul ont pris des proportions formidables ? Quoi
qu'il en soit, ce qui est certain, c'est que les dépenses relatives au
culte devraient être supportées par le budget des cultes. Si
l'on raisonne autrement, et si, par suite de la cherté de toute chose
à Bordeaux, on croit devoir venir en aide au clergé avec les fonds du
département, il est incontestable que les magistrats, les officiers et
une foule d'autres fonctionnaires auraient les mêmes droits à la
sollicitude du Conseil général, et même plus de droits, puisque
plusieurs ont une famille à entretenir et à élever. Mais on ne
saurait songer à faire ainsi intervenir le département dans des dépenses
qui ne regardent que l'état. Il y a donc lieu d'espérer que M. le Préfet, toujours sans intention, quoique appuyé par l'apôtre saint Jean, aura mis le Conseil sur la voie d'économies futures !… IV Passant
de ces questions générales aux affaires du canton, je vous
entretiendrai d'abord du pont de La Salle. Vous
connaissez l'état déplorable de ce passage. Mon honorable collègue, M. Dupuy, m'a dit que depuis longtemps il avait renoncé à aller avec sa famille visiter son château, de Pringuey, pour ne pas passer en voiture sur ce pont menaçant.
Moi-même
cet hiver, j'ai vu quatre charretiers s’avancer de leur personne
jusqu’au milieu, revenir à leurs charrettes, faire demi tour sur une
chaussée étroite, plutôt que d’exposer leurs boeufs à un danger réel,
perdant ainsi tout on partie de leur journée ! J'avais
espéré, il y a six ans, que des travaux allaient être faits. Malheureusement
pour lui, ce pont n'est point un pont électoral comme celui de Libourne
sur l’Isle par exemple, de sorte qu'il a été absolument négligé. L’administration
des ponts et chaussées, reconnaissant son importance, avait bien mis
10,000 fr. à la disposition du département ; mais l'attention deM. le
Préfet était ailleurs. Cependant
après plusieurs années d’attente il fallait bien avoir l'air de
faire quelque chose. Un
projet est proposé ; mais le propriétaire du château de La Salle
s'oppose, non sans raison, à ce qu'on élève devant la porte de son
parc un remblai par trop considérable. Un
agent voyer pouvait en cinq minutes régler à l’amiable cette
difficulté ; mais l’administration voulait gagner du temps, et alors
il a été ouvert une enquête, qui, si elle avait pour avantage de
faire gagner à l'administration le temps désiré, avait
incontestablement, par son inutilité, l'inconvénient de le faire
perdre à tous les honorables citoyens qui y ont pris part. A la suite de ces délais superflus, l’affaire est venue au Conseil général le 1er septembre 1868, j'ai accusé l'administration d’incurie, le procès verbal me fait dire simplement une sorte d'incurie.
Hélas
non, c'était bien l’incurie tout entière que j’ai signalée J’ai
même dû répéter le mot à plusieurs reprises ce qui est facile à
admettre, car la bouche parle de l’abondance du cœur… M. le Préfet a répliqué en assurant que mes plaintes n'étaient
nullement fondées ; et pour prouver que l’enquête était
indispensable, il nous a dit que le propriétaire du château de La
Salle ne voulait pas être privé de la vue de la vallée de la Garonne. Certes,
vous le savez, la salle est un site charmant ; sa fraîcheur et ses
ombrages sont incomparables mais quant à sa vue, c’est une autre
affaire, et celle que doit avoir une fourmi descendue au fond d’un
entonnoir peut seule en donner une idée exacte ! Admettons,
à la rigueur, cependant, que lorsqu'il est question de la vallée de la
Garonne, on ne soit pas tenu à une précision mathématique ; mais le
Ciron, qui baigne les murs de La Salle n’est qu’un simple affluent
de notre rivière ; et si, à l’occasion. d'un lieu situé sur un
simple affluent, on se permet de tels accrocs à la vérité, où en
arrivera-t-on lorsqu’on parlera d’un point placé sur la Garonne
elle-même !!! Au
reste, ce n'est pas la première, fois que M. le Préfet répond un peu
vite et sans avoir présente à l'esprit la topographie des lieux en
question. Il y a quatre ans je renouvelais pour la cinquième fois mes doléances au sujet du port de Barsac, si longtemps négligé, m'appuyant sur une enquête déjà ancienne et sur les propositions des ponts et chaussées, base de cette enquête, M. le Préfet répondit qu'on était indécis sur le point où on placerait le pont de Podensac, et que c’était l'incertitude où l'on était à cet égard qui avait causé le retard des travaux du port de Barsac.
Or,
ces deux affaires n'avaient pas plus de rapport entre elles que n'en ont
le port de Langoiran et le pont de Cubzac. Le
port de Barsac avait été compris depuis très longtemps dans
l'ensemble des travaux proposés pour la rectification des rives de la
Garonne, les devis étudiés, arrêtés et soumis, comme je l'ai dit, à
l'enquête. Le
pont de Podensac, au contraire, n'est malheureusement encore, à l'heure
qu'il est, ni adopté en principe par ]'administration, ni étudié par
l'administration des ponts et chaussées. Cette
réponse n'était donc pas plus concluante au moment où elle a été
faite que ne l'a été cette année celle prise de la vue du château de
La Salle ! Toutefois,
si je n'avais pas répliqué avec l'obstination d'un homme convaincu,
les trois quarts des membres du Conseil général, qui ne connaissent ni
le pont de La Salle, ni exactement la rivière entre Barsac et Podensac,
seraient restés persuadés que l'administration ne méritait pas de
reproches. Cette
méthode peut donc réussir quelquefois et alors, elle s'appelle de
l'habileté. A
la longue, je la crois mauvaise. Maintenant,
pour résumer en quelques mots l'ensemble des affaires du canton, je
vous dirai que vous devez les travaux du port de Barsac et le bureau de
poste à l'influence bienfaisante de M. de Forcade, toujours disposé à
servir les intérêts girondins. Le
bureau d'enregistrement de Podensac, le bureau de poste de Landiras, la
recette buraliste d'Illats, etc., Vous les devez à de nombreuses démarches, que j'ai faites ; toutefois, je m'empresse d'ajouter que j'ai trouvé MM. Les chefs de service absolument convaincus de la légitimité de mes demandes ; de sorte que le canton aurait certainement, sans mon concours, obtenu ce qui lui était dû.
J'ai
seulement fait preuve de bonne volonté. V J'aurais
encore bien des observations à vous soumettre, mais je ne veux pas
donner plus d'étendue à cet écrit déjà long. Je
me bornerai, comme conclusion pratique, à vous faire remarquer combien
il est indispensable que toute administration soit soumise à un contrôle
sérieux, surveillé lui-même par une publicité sans entraves. Ceci
admis, vous reconnaîtrez la nécessité de choisir, pour exercer ce
contrôle, des hommes indépendants et par leur caractère et par leur
position. Nous
approchons d'un moment solennel, celui des élections. Ne
croyez point ceux qui disent: la France est incapable d'être libre sans
abuser de sa liberté, et si vous envoyez à la chambre des libéraux
indépendants, ils entreront en lutte avec le pouvoir. C'est
une erreur, et je vais essayer de le démontrer. Je
déclare d'abord, pour mon compte, que je n'ai voté pour le régime
actuel à aucune des phases de son établissement. Je
porte dans mon coeur le culte de la loi : le règne de la force m'est
antipathique.
Mais il serait puéril de méconnaître que la France n'ait pensé autrement. Elle est allée au devant de la dictature, et lorsqu'elle a été bâillonnée, les pieds et les poings liés, elle a, sans y être contrainte (car nul n'a été inquiété pour son vote), exprimé son adhésion par plus de sept millions de suffrages.
A
la suite de cet évènement, le Prince auquel elle s’était abandonnée
a exercé un pouvoir sans bornes, et le silence s'est fait autour de son
gouvernement. Plus
tard, qu'est-il arrivé ? Peu
à peu les baillons sont tombés, les mains ont été déliées, et
aujourd'hui on peut dire et écrire à peu près ce que l'on pense. Quelle
est la cause de ce changement ? La
force est-elle intervenue de nouveau ? Non.
Mais le prince qui gouverne possède un esprit méditatif ; il a prouvé
à plusieurs reprises que la philosophie de l'histoire lui était familière,
et il sait que la dictature ne se transmet guère héréditairement. D'autre
part, l'opposition avait fait entrer dans les Conseils du pays des représentants
qui n'ont cessé de réclamer les libertés disparues. C'est
pour cela sans doute que, malgré les Conseils opposés dont on assure
que le chef de l'Etat est entouré, il a dirigé la France dans la voie
où elle est aujourd'hui. Donc,
si les électeurs lui envoient une Chambre indépendante et libérale,
il entrera, d'accord avec elle dans cette route sûre où la nation
prenant une part directe à la chose publique, chacun sent que la
fortune de la France, la paix ou la guerre, ne dépendent plus
uniquement de la vie ou de la volonté d'un seul ! Et,
d'un autre côté, la responsabilité du chef de l'état, amoindrie et
partagée avec les représentants de la nation, fait que la nation
s'identifie à sa gloire dans les jours de triomphe, ou se serre autour
de lui pour faire face aux revers. Tout au contraire, si les électeurs envoient des hommes connus pour être toujours et quand même de l'avis du pouvoir la responsabilité de celui-ci devient terrible, l'inquiétude grandit ; car chacun sent que les résolutions les moins prévues peuvent surgir.
Cette
incertitude dont chacun se plaint et qui produit déjà tant de mal,
arrive à son comble, et une catastrophe est imminente ! écartons
la, Messieurs les électeurs. Le cri de tout homme sage doit être : faisons des réformes, évitons de nouvelles révolutions !
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Réalisée le 10 septembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le septembre 2005 Christian Flages