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Recueil | ||||
des | ||||
Brochures et écrits | ||||
publiés |
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depuis 1839 jusqu'à ce jour (1880.) |
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Henry de Lur-Saluces. |
Dates. |
Titre. | Pages. | |||
22 nov. 1842 |
Lettre |
110/113 |
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Lettre à M. le Président de l'assemblée des Propriétaires |
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tenue à Preignac le 20 novembre 1842. |
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Monsieur, J'étais
absent et je n'ai pu assister â la réunion qui a eu lieu à la Mairie
dimanche dernier. Vous
m'apprenez aujourd'hui que les propriétaires de vignes m'ont fait
l'honneur de me choisir pour Président du Comité de Preignac. En
acceptant de mes concitoyens cette marque de confiance, je dois leur
faire connaître mon opinion sur la question vinicole, envisagée au
point où elle est arrivée aujourd'hui. Pour
se rendre compte des causes qui ont produit l'état désastreux où se
trouvent réduits les propriétaires de vignes, il faut remonter à l'établissement
du système prohibitif. Napoléon,
dans une pensée toute patriotique, dont le but était l'abaissement de
la puissance anglaise, favorisa outre mesure quelques industries
factices du Nord de la France au détriment de la liberté de commerce nécessaire
au Midi ; un des résultats immédiats de cette mesure fut la ruine de
nos contrées et celle des départements voisins. Aussi la plupart des habitants du Midi, ne voyant dans la chute de l'empire que celle du système qui les avait ruinés, accueillirent-ils avec enthousiasme la Restauration.
Les
départements du Nord, au contraire, ne l'acceptèrent qu'avec froideur.
De
là, pour les ministres de la Restauration, la nécessité de ménager
ces mêmes départements, en persévérant dans la voie prohibitive à
laquelle la paix de l'Europe aurait dû les faire renoncer. Sans
doute un grand nombre d'autres causes ont influé sur les évènements
politiques de 1814 et de 1815; mais voilà, ce me semble, la part qu'y
ont prise les intérêts matériels. Par
la suite, sous la Restauration, les mesures les plus opposées à nos
intérêts furent adoptées, et si quelques années de prospérité ont
pu nous éblouir, cette prospérité nous l'avons due au
retour de la paix générale, à l'établissement d'une sage
constitution, enfin à la division de la propriété, qui sera toujours
pour le reste de la France une cause d'aisance publique. Mais
le système prohibitif, nous le devons à l'Empire et à la
Restauration. Il
est donc souverainement injuste, et c'est où je voulais en venir, de
reprocher au gouvernement actuel les conséquences inévitables de ce
système ; le gouvernement, dominé d'ailleurs par les industriels et
les propriétaires du Nord, n'est pas libre de nous rendre une complète
justice. Il
faut donc venir à son aide, et non l'attaquer. Il faut que la liberté de commerce soit vivement réclamée non par quelques communes isolées du département de la Gironde, non par le département de la Gironde en entier, mais par trente départements du Midi ; il faut que ces trente départements comprennent qu'ils possèdent une mine féconde qui ne demande qu'à être exploitée. Il faut qu'ils voient que Bordeaux n'est pas seul intéressé à l'exportation, et que leurs produits en eau de vie, qui peuvent être décuplés, doivent remplacer un jour dans le nord de l'Europe et dans le monde entier des eaux de vie factices, nuisibles à la santé et mauvaises au goût.
Il
faut que dans ces trente départements les propriétaires qui n'ont pas
de produits destinés à l'exportation, comprennent aussi que la fortune
de leurs concitoyens sera nécessairement partagée avec eux… car la
richesse, comme la misère, se propage avec rapidité. Il
faut, en un mot, que tous ceux qui n'ont pas un intérêt exceptionnel,
un intérêt contraire aux productions naturelles du sol, comprennent ce
premier principe d'économie politique, savoir que chaque pays renferme,
soit en raison du climat, soit par toute autre cause, un produit qui lui
est propre, et que ce produit qui s'obtient à peu de frais dans ce lieu
ne s'obtient ailleurs qu'à chers deniers; d'où il suit que le meilleur
moyen de faire régner l'abondance consiste à faciliter les échanges,
à détruire les entraves qui les arrêtent. Et
si l'application absolue de ce principe n’est pas possible
aujourd’hui; au moins faudrait-il s'en approcher peu à peu, au lieu
de s'en éloigner chaque jour davantage. Maintenant,
pour propager nos principes, pour faire triompher nos intérêts, nous
devons continuer à mettre en usage les moyens employés par le Comité
central établi à Bordeaux, en leur donnant une activité nouvelle, en
soutenant par notre adhésion, en aidant ce Comité. La
presse surtout doit être notre auxiliaire le plus puissant... Nous
avons le droit et la raison pour nous, tôt ou tard l’opinion du Midi
tout entière viendra nous soutenir... Et
alors, si le gouvernement ne peut, sans nuire aux intérêts du Nord
protéger les nôtres, nous lui demanderons avec les pétitionnaires de
1834, au nombre desquels se trouvait Henri Fonfrède, de patriotique et
glorieuse mémoire, nous lui demanderons d'établir entre le Nord et
nous une ligne de douanes. Au Nord le système prohibitif, au Midi la liberté de commerce...
Quant à la question qui préoccupe dans ce moment nos contrées, je m’expliquerai sans réserve : Je me suis opposé dans le Comité vinicole à la pétition collective adressée à M. le Préfet de la Gironde, et j'ai refusé de la signer, parce que tous les signataires ne pouvant se trouver à la fois dans une position identique, elle avait dès lors un caractère de coalition que nous devions éviter. Au sujet du refus de l'impôt en lui-même, je pense que les propriétaires qui sont dans l'impossibilité absolue de payer, ont seuls raison d'offrir leurs denrées au fisc. Leur nombre est malheureusement assez grand pour prouver à lui seul le fâcheux état du pays. Je pense enfin que nous, vinicoles, nous sommes à la fois propriétaires et industriels, et que nous avons doublement besoin d'ordre et de tranquillité... et que par suite, dans les incidents que nos réclamations peuvent soulever entre le gouvernement et nous, nous ne devons rien faire qui puisse déconsidérer les agents du pouvoir eux yeux des populations ; ce résultat étant le plus triste que puisse obtenir aujourd'hui tout citoyen ayant un intérêt social sérieux. Vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire, Monsieur, que ma réponse serait insérée
au procès verbal; j'ai voulu, à cause de cela, qu'elle fût explicite,
et si les actes de la réunion de dimanche sont livrés à la publicité,
je désire que ma lettre le
soit aussi ; car en prenant part à une lutte qui peut durer des années
entières, il est utile de s'expliquer clairement en commençant sur le
but que l'on veut atteindre. |
Réalisée le 10 septembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le septembre 2005 Christian Flages