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Recueil | ||||
des | ||||
Brochures et écrits | ||||
publiés |
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depuis 1839 jusqu'à ce jour (1880.) |
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Henry de Lur-Saluces. |
Dates. |
Titre. | Pages. | ||||||||
3 août 1864 |
Circulaire |
214/222 |
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aux électeurs du canton de Podensac. |
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Messieurs, L'élection
du 18 juin dernier a été annulée par le Conseil de préfecture et la
nouvelle élection renvoyée, à la fin de l'année. En
acquiesçant à ce jugement, je ne puis m'empêcher de faire remarquer
que les irrégularités qui l'ont motivé ne sauraient m'être attribuées
sous aucun rapport puisqu'il est difficile d'être resté plus étranger
que moi à toute brigue électorale. Mon
abstention, qui n'est que la suite de mon entière déférence pour le
libre choix des électeurs, a même été interprétée en sens inverse
des sentiments qui m'animent. A
cette occasion, je crois devoir établir les principes qui m'ont guidé
depuis plus de vingt cinq ans dans les nombreuses luttes électorales
auxquelles je me suis trouvé mêlé. J'ai une foi entière dans l'excellence du régime représentatif ; ou pour rendre plus exactement ma pensée, je crois que les avantages de ce régime l'emportent de beaucoup sur ses inconvénients.
Or,
l'honnêteté et la sincérité des élections étant les bases
essentielles sur lesquelles il repose, les candidats doivent, selon moi,
se contenter de faire connaître aux électeurs leurs opinions et leurs
antécédents. C'est
à ceux-ci de juger ensuite. Pour
l'élu dont les fonctions viennent d'expirer, la réserve est plus
naturelle encore. Telle
devrait être la règle. Certes,
je sais que cette règle n'est guère suivie et qu'il serait puéril de
se poser en censeur de ce qui se pratique le plus souvent. Réformer
le genre humain est une prétention que je n'ai pas ! Mais
la certitude de n'être pas suivi dans la voie où mes convictions m'ont
toujours maintenu ne m’empêchera pas d'y rester. Je
ne nie point que dans la lutte électorale ce ne soit une cause certaine
d'infériorité ; néanmoins, j'accepte ces conditions inégales. Mes
amis seuls auraient le droit de se plaindre, s'ils ne savaient d'avance
à quoi s'en tenir : aux élections de 1839, de 1842, de 1846, de 1848,
de 1860 et de 1863, mon attitude a été la même. Je
ne mérite donc à cet égard nul reproche, et pour répondre à ceux
qui ont pu m'être adressés, je n'ai qu'à rappeler les faits. Maintenant,
je demande aux électeurs de Podensac d'examiner avec moi ce qui s'est
passé en matière d'élections depuis l'établissement du suffrage
universel : en France en général, dans le canton de Podensac en
particulier. Dans
l'espace de seize ans, les électeurs ont été appelés au scrutin un
grand nombre de fois ; mais toujours, selon l'expression consacrée, le
suffrage universel était dirigé. Dirigé pour le mieux, je l'accorde volontiers ; mais enfin dirigé.
Si
bien que le rôle des électeurs se bornait à recevoir un bulletin et
à aller le déposer dans l'urne. Aussi
les élections se passaient dans le plus grand ordre. Il n'est pas nécessaire
en effet de faire beaucoup de bruit pour aller mettre une lettre à la
poste !... Mais
depuis, qu'est il arrivé ? Le
gouvernement, affermi par de glorieuses victoires, par une situation prépondérante
en Europe, a voulu que le pays prit une part plus active à la
discussion de ses intérêts, et dans quelques localités il a laissé
aux électeurs le libre choix de leurs mandataires. La
France est donc entrée dans une ère nouvelle, où le suffrage
universel va être expérimenté sous un jour nouveau. J’espère,
Messieurs les électeurs, que vous n'avez pas oublié que le canton de
Podensac est un des premiers, si ce n'est le premier en France, où dès
1860 cette liberté a été accordée et pratiquée sans entraves. J'espère
encore que vous n'avez pas oublié que c'est à ma demande très
instante que cette autorisation, qui alors était un essai, fut donnée. Le
canton de Podensac a donc plus qu'un autre, puisqu'il a eu la liberté
des premiers, le devoir de conserver à l'élection ce caractère de
calme et de respect pour la loi sans lesquels la pratique de la vraie
liberté serait impossible. Il est bien évident, en effet, que si vous vous agitiez beaucoup pour le choix d'un conseiller général, dont le pouvoir est très minime, dont les fonctions sont très restreintes, vous vous exalteriez outre mesure lorsqu'il s'agirait de choisir un député, qui, lui, a une part de pouvoir vraiment importante ; et vous arriveriez à avoir le délire de la fièvre, si les Maires étaient à votre nomination, car leurs rapports avec leurs administrés sont incessants et leur autorité se fait sentir à toute heure.
Alors
on verrait naître d'un bout de la France à l'autre des divisions
intestines, d'autant plus opiniâtres que les causes premières seraient
souvent plus futiles ; et le pays fatigué n'aurait d'autre ressource
que de demander le repos au despotisme le plus absolu !!!... Evitons
ce malheur, le plus grand de tous, en pratiquant la loi comme des hommes
libres doivent le faire, c'est-à-dire en nous soumettant non seulement,
à la lettre, mais encore à l'esprit ; en repoussant tout ce qui peut
rappeler la corruption électorale qu'elle condamne, et en respectant
chez les autres la liberté du vote que nous entendons conserver pour
nous. Aussi,
je le déclare, toute manifestation bruyante, soit pour, soit contre le
résultat du scrutin me paraît une atteinte contre la liberté des
suffrages. Je
prie donc d'avance mes amis, quelle que soit l'issue de la lutte, de
conserver le calme le plus absolu. Il
ne doivent pas en effet perdre de vue les considérations suivantes : Si
le scrutin nous donne la victoire, il est de bon goût de se réjouir
sans éclats. S'il
nous est contraire, il faut en envisager les conséquences au point de
vue que voici : On dit généralement que nos adversaires ont fait des promesses sans nombre. Si ces bruits sont fondés, voici ce qui arrivera. Ou ces promesses se réaliseront, et alors dans l'intérêt du canton nous devrions tous nous réjouir, puisque le bien général en serait la conséquence ; ou ces promesses seront sans effet, et dans ce cas une prompte réaction parmi ceux-mêmes qui sont aujourd'hui le plus ardemment contre nous ne se ferait pas attendre, et l'opinion publique nous vengerait amplement des erreurs du scrutin.
Après
ces considérations générales, il me reste, Messieurs les électeurs,
à répondre quelques assertions dénuées de toute vérité, et qui ont
eu cours parmi vous. On
a dît que c'était ma faute si la route de Sore à Podensac n'était
pas classée comme route départementale. Mais le conseil général,
avant que j'en fisse partie, s'était interdit, par un vote des plus
explicites, la faculté de procéder à tout nouveau classement. Il
me semble que c'est là une réponse péremptoire. J'ai
fait, au contraire, dans l'intérêt des routes du canton, tout ce qu'il
était possible de faire. Je
ne pense pas que sur aucun autre point du département il ait été
obtenu un aussi grand nombre de chemins d'intérêt commun. Ces
chemins seront assimilés tôt ou tard aux routes départementales. Et
dans quelques années, lorsque le canton sera traversé en tous sens par
de bonnes routes, on se rappellera, je l'espère, les soins que je me
suis donnés. Quant
à la route de Barsac à Villandraut par Budos et la rive gauche du
Ciron, j'ai fait, et par écrit et de vive voix, de concert avec
l'honorable représentant de Villandraut, tout ce qu'il y avait à
faire. Le classement de ce chemin est certain, il ne saurait être
attendu longtemps. On a dit que j'avais fait augmenter les impositions de Landiras. Ceci est une invention tellement contraire au bon sens et à la vérité, que j'espère que les hommes de bonne foi qui ont pu l'admettre, se tiendront en garde à l'avenir lorsqu'ils auront reconnu avec moi l'erreur dans laquelle ils ont été entraînés.
Un
travail sur la péréquation de l'impôt, après, avoir donné lieu
pendant plus de dix ans à des discussions très étendues, fut adopté
par le conseil général dans la séance du 5 septembre 1860. Je
me suis opposé aussi vivement que je l'ai pu à l'adoption de ce
travail. 23 voix contre 13 en ont fait la base de l'impôt foncier dans
la Gironde. Depuis,
tous les ans, sans exception, j’ai présenté une proposition ayant
pour objet de demander une péréquation nouvelle. En
1861, le conseil général décida sur une de ces demandes qu'il serait
fait un relevé de toutes les ventes de 20,000 fr. et au-dessus opérées
depuis quinze ans dans la Gironde : l'impôt mis en regard. J'étais
convaincu que ce relevé prouverait que nos contrées étaient plus
imposées qu'elles ne devaient l'être. Et effectivement ayant additionné
la totalité des ventes opérées dans les communes de Castres, Portets,
Arbanats, Virelade, Landiras, Podensac, Illats, Cérons, Budos, Pujos,
Barsac, Sauternes, Bommes, Preignac, Langon, Roaillan, Saint Pierre de
Mons, je suis arrivé à un total de 4,009,398 fr., payant un impôt de
12,350 fr. J’ai décrit un grand cercle autour de ces communes ; et, additionnant les ventes faites dans Captieux, Escaudes , Giscos, Saint Symphorien, Hostens, Belin, Béliet, Le Barp, Saint Magne, Lugos, Audenge, Andernos, Arès, Biganos, Ordonnac, Braud (Canton de Saint Ciers Lalande) et Guitres, j'ai obtenu un second total de 4,013,439 fr., payant un total de 3,184 fr.
C'est-à-dire
quatre fois moins que les communes de la première catégorie. J'ai
soumis ces chiffres et d'autres encore au conseil général dans les
sessions de 1862 et 1863, et j'espère qu'ils ne seront pas inutiles
lorsqu'il sera procédé à une plus équitable, répartition de l'impôt. Quoi
qu'il en soit, ce qui est de toute évidence c'est que je ne suis
absolument pour rien dans la répartition actuelle, contre laquelle j'ai
toujours agi et voté. On
a dit encore que j'avais fait accorder à Barsac le bureau de poste que
devait avoir Landiras. Autre
erreur non moins manifeste. Un
bureau de poste était demandé pour Barsac depuis longtemps ; on avait
fait selon mon appréciation un passe droit à cette commune. Je
pris le parti d'écrire à M. de Forcade, alors ministre des finances,
pour lui exposer mes griefs. M. de Forcade accorda le bureau ;
Barsac attendrait probablement encore, si le ministre des finances n'eût
pas été girondin. Quant
au bureau de Landiras, M. le maire m'en a parlé trop tard l'année
dernière, puisque la session du conseil général était déjà commencée
et que le conseil d'arrondissement n'avait pas été saisi de la
question. Néanmoins, sur l'état de M. L'Inspecteur des postes, ce bureau a été placé dans un bon rang. M. le baron Travot, député de la Gironde, s'en est occupé avec une grande obligeance ; il m'a écrit à cet égard une lettre que j'ai communiquée il y a plusieurs mois à M. Le maire de Landiras, qui par parenthèse ne me l'a pas renvoyée, quoique je la lui aie demandée par écrit une première fois et fait demander de nouveau.
Vous
le voyez, Messieurs, cette affaire et celle du bureau de Barsac sont de
dates différentes ; je n'ai donc pas eu à choisir entre les deux
communes. Il
me reste à parler du port de Barsac. Ici
encore j'ai fait tout ce que je pouvais faire. Chaque
année, sur ma demande, le conseil général a exprimé le voeu que des
travaux fussent faits à ce port. De
plus, il y a trois ans, j'ai adressé une pétition à l'Empereur, qu'un
député de la Gironde a bien voulu se charger de remettre lui-même. Cette
pétition a été suivie d'un ordre du ministre tendant à faire préparer
un travail d'ensemble dont l’exécution n'a été différée que faute
de fonds. A
la dernière session j'ai renouvelé plus vivement encore les plaintes
que chaque année je fais entendre sur la situation vraiment déplorable
de ce port. M. Le président m'a répondu en me faisant remarquer que
Saint Macaire avait attendu longtemps et que son tour était arrivé ;
qu'il en serait de même pour Barsac. Je me suis associé à cette espérance,
tout en faisant remarquer que le port de Barsac n'avait que son bon
droit et point de protecteur puissant pour le faire triompher. En
attendant, j'ai obtenu, non sans peine et à la suite de diverses démarches,
que, M. L'Ingénieur autorisât quelques travaux provisoires de nature
à atténuer la difficulté des abords. Cette
lettre est déjà bien longue, Messieurs les électeurs ; elle serait
sans fin si je rappelais toutes les démarches que j'ai faites, tous les
soins que j'ai pris au sujet des divers intérêts du canton. Le n'ai point réussi autant que je l’eusse désiré , cependant, pour plusieurs questions, des jalons utiles sont posés ; mais il faut du temps en toute chose, et les affaires administratives ne marchent pas au galop.
Aussi,
je vous le dis bien sincèrement, Messieurs les électeurs, ceux d'entre
vous, qui pensent que j'ai rempli ma mission d'une manière insuffisante
ont raison de voter contre moi, attendu que je ne ferai pas mieux, par
le motif bien simple que j'ai fait de mon mieux. J’avais
d'abord eu l'intention de ne vous adresser cette lettre que quelques
jours avant les élections ; mais j'ai pensé qu'il était utile de
combattre des assertions tout à fait fausses, sur l'injustice
desquelles vous aurez le temps de réfléchir. Un
mot encore en finissant. Messieurs,
je vous supplie de croire que je ne suis ni de Preignac, ni de Barsac,
ni de Podensac, ni de Portets, ni d'Arbanats, ni de Virellade, je suis
du canton, et je déclare à mes amis comme à mes adversaires que ce
serait vraiment me faire injure que de me croire accessible à d'étroites
passions de localités. Toutes
les fois que j'aurai à exercer une part d'autorité quelconque, je
chercherai à être juste, sans m'inquiéter de savoir qui profitera de
ma décision ou qui pourra y perdre. Depuis
trente sept ans que je suis homme fait, je n'ai pas eu d'autre règle de
conduite, et je ne suis pas disposé à en changer. Enfin,
vous me trouverez toujours prêt à apaiser et à concilier jamais à
diviser, et j'espère que la civilisation et les lumières ont fait
assez de progrès parmi vous pour qui les divergences d'idées se
bornent à vous faire porter dans l'urne des bulletins différents. Dans cette urne doivent être enterrées toutes les misères électorales, et le lendemain du scrutin il ne saurait y avoir dans le canton ni vainqueurs ni vaincus !
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Réalisée le 10 septembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le septembre 2005 Christian Flages