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Recueil | ||||
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Brochures et écrits | ||||
publiés |
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depuis 1839 jusqu'à ce jour (1880.) |
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Henry de Lur-Saluces. |
Dates. |
Titre. | Pages. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||
1880 |
Introduction |
1/35 |
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Étude
sur la situation politique actuelle. |
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Ceci
n'est point un livre, c'est un simple recueil. Cependant,
en le publiant, ma prétention est grande, puisque j'entends prouver
que, depuis un demi siècle et aux époques les plus troublées, j'ai
jugé sainement la situation de mon pays, et que mon but, mes opinions
et mes sentiments ont constamment été les mêmes. Dès
1830 en effet, ce que je savais du XVIII ème siècle, ce que
j'avais lu, ce que j'avais recueilli de la bouche des survivants du passé,
m'avait pénétré de la vérité de cette pensée, exprimée depuis par
le duc d'Orléans dans son testament, à savoir : que la cause de la Révolution
était la plus belle qu'il pût être donné de soutenir devant le
tribunal du genre humain; et mon étonnement encore aujourd'hui 5
octobre 1880, est de voir quelques-uns de ceux qui l'ont défendue avec
tant de talent, unis d'une ardeur sans égale à ses plus perfides, à
ses plus irréconciliables ennemis. Depuis
1830, j'ai souvent exprimé mon avis aussi clairement que j'ai pu et que
j'ai su le faire; je veux ajouter à ces écrits antérieurs mon opinion
sur la situation présente.
Il
ne s'agit point toutefois de nier ou de pallier les crimes de la Révolution.
il ne s'agit point de ses excès, il s'agit de ses principes. L'histoire,
hélas ! prouve surabondamment, que les partis, à toutes les époques,
lorsqu'ils ont été livres aux horreurs de la
guerre civile, n'ont connu aucun frein. Et
justement l'incomparable mérite de la
philosophie du XVIII ème siècle et de la Révolution
qui en est le fruit, est d'avoir établi d'une manière précise les
droits de l’humanité de les avoir codifiés en quelque sorte et
d'avoir ainsi préparé l'avenir, qui doit être le règne absolu de la
justice. Mais,
objectera-t-on, si les principes sont parfaits, d'où viennent les
crises répétées et les agitations dont nous avons été, dont nous
sommes à la fois les témoins, les acteurs et les victimes ? La
réponse est facile, et elle est simplement dans ce fait : qu'un ordre
de choses qui a duré plusieurs siècles et qui est arrivé à sa fin,
ne meurt cependant pas sans de longues convulsions. Les
premières ont été terribles; celles qui nous menacent encore sont
heureusement d’un caractère moins grave et me semblent pouvoir me
semblent pouvoir être comparées aux attaques de nerfs des femmes
capricieuses qui passent vite dès que l'on n'y fait pas une grande
attention. On
peut même arriver à un rapprochement tout particulier, puisque les
difficultés politiques du jour sont soulevées par les moines et des
magistrats, des hommes de robe comme on disait anciennement.
Mais
ce qu’il importe de signaler aux esprits libéraux qui ont pris le
change sur cette question, c'est son point de départ. On
oublie vite dans notre pays, et il semble déjà en effet que l’on ait
perdu de vue le vrai caractère de la Révolution française, laquelle
ne fut pas seulement une révolution politique substituant le principe
de la souveraineté du peuple à celui de la souveraineté royale, une révolution
sociale proclamant l'égalité chrétienne des hommes entre eux et
devant la loi ; mais qui fut aussi et surtout une révolution
philosophique, consacrant à tout jamais le principe absolu de la liberté
de conscience et laissant chacun adorer Dieu à sa manière. Sur
les deux premiers points la lutte a été longue. La
plupart des amis de la Révolution avaient accepté diverses chartes
avec lesquelles le progrès était assuré; mais ses adversaires, fidèles
à leur devise : Tout ou rien, les ont successivement combattues, et
aujourd'hui ils sont parvenus à rendre réelle une partie de leur
devise : Nul
monarque légitime, quasi légitime ou improvisé, nulle hiérarchie ou
de naissance ou de fortune. Rien !!! Rien !!! Cette
victoire au rebours aurait fait réfléchir des hommes sages; il paraît
que ce n'était, pas le cas puisque
sur le troisième point, à l'égard duquel une paix relative s'était
établie, grâce sans doute à la similitude des vrais principes chrétiens
et de ceux de la Révolution, on a entrevu la possibilité de continuer
la guerre, et, alors des hommes connus pour leur indifférence en matière
de religion et dont la vie
entière proteste contre ses préceptes, se sont épris tout à coup
d'un zèle immense pour elle, et, n’ayant que ce moyen d'être désagréables
à la Révolution, se sont faits dévots à dire d'experts… !!!
Si
bien que les représentants de la chevalerie française ont pris
aujourd'hui sous leur patronage les fils d'Ignace, d'Escobar et de
Loriquet… !!! Certes,
il était difficile à l'esprit de parti d'obtenir une plus complète
victoire. On
peut, en effet porter des jugements divers sur le rôle joué par la
noblesse depuis plus d'un siècle. Nous sommes trop près des évènements
pour être, impartiaux. Plus tard sans doute on aura à la louer ou a la
blâmer selon le point de vue oit l'on se placera. Mais
on ne pourra, sans injustice, méconnaître la loyauté et la franchise
dont toujours elle fit preuve. A ses yeux le mensonge n'a jamais cessé
d'être le plus bas et le plus odieux des vices, et l'appellation de
chevalier français restera, tout aussi longtemps que notre langue sera
parlée, le synonyme de droiture et d'honneur ! Il
faut donc que l'esprit de parti ait au suprême degré le pouvoir
d'embrouiller les notions claires, pour avoir produit cet étrange
spectacle, de nous montrer les descendants des preux couvrir de leur
honorabilité des hommes dont la célébrité
vient, surtout, de ce qu’il ont élevé l’art de dissimuler
à la hauteur d’un principe, et auxquels la langue française doit un
verbe et un substantif, escobarder
et escobarderie, dont on ne saura certes jamais se servir
utilement, lorsqu'on voudra parler d'un galant homme.
Telle
ne fut pas la manière de penser de leurs pères, puisque, lorsque les jésuites,
le duc d'Aiguillon et Madame Du Barry, ligués ensemble, furent parvenus
à renverser M. de Choiseul, la plupart des grands seigneurs se firent
un devoir d'aller en équipage se placer sur la route de l'exilé, et le
voyage à Chanteloup devint à la mode, absolument comme le sont de nos
jours tels on tels pèlerinages, telles on telles façons de dire,
d'agir ou de penser ! Certes,
la mode est une puissance, en France surtout et plus que partout ; mais
enfin la mode change, comme on le voit, tandis que le bon sens, la
logique et la raison sont de durée. Or,
s'il m'était donné de pouvoir être entendu d’un certain nombre de
conservateurs instruits et de sang froid, je les prierais de répondre
aux objections que voici. Vous
vous plaignez des évolutions ou des révolutions fréquentes dont notre
pays est le théâtre. C'est très bien, et le vous approuve, mais à
qui la faute, s'il vous plaît ? En
ne parlant que de celles dont les hommes de mon âge ont été, les témoins,
je remarque : que la Charte de 1814
n'a pas eu d'adversaires plus prononcés, que les ultra
conservateurs d'alors, lesquels après quinze ans de lutte parvinrent
enfin à obtenir un ministère dont le chef notoirement hostile à la
Constitution, provoqua la révolution de 1830.
Sous
la charte nouvelle, le gouvernement de Louis-Philippe à peine reconnu,
la Gazette de France inventa le suffrage universel, et le parti
royaliste à sa suite le réclama avec une telle chaleur, que plusieurs
des membres de ce parti finiront par se persuader à eux-mêmes qu'ils
en étaient les sincères partisans !
Le
suffrage Universel, vainqueur, proclame la Constitution de 1848; que
firent aussitôt les mêmes prétendus conservateurs ? Naturellement
ils se mirent à l'oeuvre pour la renverser; et pour y parvenir plus sûrement,
ils la placèrent sous la garde du prince Louis Napoléon. Enfin,
aujourd'hui la constitution républicaine de 1875 n'a pas d'adversaires
plus acharnés qu'eux et leurs récents alliés. Mais,
dira-t-on, cela est, fort simple. Les conservateurs ont un gouvernement
tout prêt qui vaut cent fois ceux qu'ils ont contribué à renverser.
Très bien ! quant à la théorie... Toutefois, quant à la
pratique, les résultats parlent autrement, puisque chaque révolution
nouvelle a fait faire aux idées contraires aux leurs des progrès
immenses. Si
bien que sans être grand prophète, on peut prédire à coup sûr que
s'ils parvenaient à détruire la Constitution de 1815, celle qui la
remplacerait supprimerait le Sénat, ou tout au moins la loi
oligarchique sur laquelle il repose, et supprimerait le budget des
cultes dont une partie alimente les deux, on trois cents feuilles
religieuses qui, d'un bout de la France à l’autre, injurient chaque
jour et la République et les républicains. Est-ce
là le but, qu’ils désirent atteindre ? On
le dirait vraiment, tant ils y travaillent
de grand coeur.
Ah !
combien il serait et plus patriotique et plus sage, après avoir reconnu
les immenses difficulté, que présente le gouvernement de notre pays,
de venir en aide à celui que le suffrage Universel à régulièrement
constitué. C'est
alors que l’on mériterait véritablement le titre de conservateur.
Car on ne saurait s'y tromper, la conservation ne consiste pas à
vouloir relever un édifice dont les éléments vermoulus ont amené la
ruine ; elle consiste au contraire à le remplacer, en faisant servir à
la construction nouvelle les matériaux qui ont encore de la valeur. Et
c'est ainsi que dans l’ordre purement matériel, l'un des ponts les
plus solides de Paris, le pont de la Concorde, a été bâti avec les
pierres provenant des démolitions de la Bastille ! Il
n'est en politique rien d'absolu. A chaque époque de la vie d'un
peuple, la base sur laquelle un gouvernement raisonnable doit s'appuyer,
a besoin d'être clairement perçue par le pouvoir exécutif. A ce prix,
les catastrophes sont évitées. Dans
le moment présent, il me paraît certain que cette base est la suivante : De
la lutte des partis a surgi la crise du 16 Mai. Dans
cette circonstance 363 députés, appuyés énergiquement par un grand
nombre de sénateurs, ont affirmé leur volonté de maintenir la République. Les
électeurs en grande majorité ont approuvé leurs représentants. Le
gouvernement a donc derrière lui un groupe composé d'environ 500 sénateurs
ou députés consacrés par le vœu de la nation. Le problème à résoudre
pour le gouvernement était par conséquent celui-ci : chercher la résultante
des opinions de ce groupe et prendre cette résultante pour unique
boussole.
Or
! c’est justement ce qu’a fait le gouvernement. Il est, lui, par
conséquent dans la voie droite. Et
si, les sénateurs et les députés qui ont contribué à fonder la république
croient qu'elle est aujourd’hui assez forte pour qu’il leur soit
loisible de rompre le faisceau, ce sont eux qui se trompent étrangement. Pour
mon compte, je n'ai nul effort à faire pour rester uni à la majorité
de la Chambre des députés, dont
je partage les opinions; mais s'il en était autrement, je déclare que
je me ferais un devoir de remettre mes dissentiments aux années
suivantes. On
ne fonde rien avec la division et la subdivision des partis. La
patrie a besoin que nous restions unis, nous devons avant tout répondre
à son appel, et prouver
ainsi qu'elle a bien fait de nous confier ses destinées. Quand
à ceux qui blâment le ministère d’avoir soulevé la question
religieuse, j'avoue qu'ils m'étonnent grandement. C'est sans doute
parce qu'ils ne voient pas que depuis longtemps la bataille était
imminente. Fallait-il
attendre que la France fut couverte de couvents pour faire comprendre à
tous la nécessité de mettre des bornes à ces fondations parasites ! Il
y a aujourd'hui, sans exagération, dix fois plus d'établissements de
ce genre que sous la Restauration. Est
ce assez, je le demande ? C'est
beaucoup trop, répond le bon sens. La
famille est en effet, et restera éternellement la base de la société.
Ceux qui font voeu de vivre en dehors d'elle, sont en révolte contre la
loi générale.
S'ils
sont peu nombreux, le mal passe inaperçu; mais s'ils se multiplient à
l’infini, le mal s’aggrave ;
et si, comme dans les circonstances actuelles, ils se mettent
sous la direction d'une compagnie, ambitieuse et hostile, ils deviennent
un danger pour l'État. Les
personnes, qui ont de la mémoire se souviendront que le parti libéral
sous la Restauration ne faisait pas la guerre aux frères ignorantins ni
aux soeurs de charité... Ces
congrégations, utiles à certains égards, étaient restées en dehors
de la politique. Mais depuis cette époque les jésuites ont grandi en
puissance et en richesse, et ayant accaparé la direction des ordres
religieux, ils ont naturellement compromis
même les plus inoffensifs. Les
jésuites sont donc les véritables auteurs de la crise actuelle. J'essaierai
de le prouver dans un instant en remontant aux origines. Au
reste, l'Espagne, l'Italie, le Mexique sont une preuve vivante des
ruines que le parti monacal, pris d'une manière générale, amoncelle
autour de lui et aussi des vices de tout genre dont il est la cause
première. Ces
grands pays, si favorisés de la nature, ne sont en voie de revenir à
la vie que depuis que le souffle libérateur du XVIII ème siècle
est parvenu jusqu’à eux. Mais
en attendant, ils serviront a prouver aux générations futures
l'inaptitude de la théocratie au gouvernement des sociétés. Ainsi,
pendant plus de dix siècles Rome a été soumise au pouvoir pontifical.
Eh bien ! cette partie de l’Italie est restée la plus pauvre et la
plus mal administrée de la Péninsule.
Les
déprédateurs de toute sorte et les mendiants de tous les pays y
avaient élu domicile. Et
pour couronner l’œuvre, sous le pontificat de Pie IX, animé
cependant, quant à lui, d’intentions patriotiques, le vice des
institutions s'est trouvé tel, que nous avons vu le cardinal Antonelli,
premier ministre, employer le denier de Saint Pierre, a entretenir des
femmes, des enfants et des entremetteuses dont les tribunaux romains ont
eu dernièrement à trancher les démêlés. Le
tout au grand scandale des dévotes, qui n'avaient pas cru, en apportant
leur obole, qu'un argent pieusement offert pût jamais avoir à subir un
sort aussi lamentable ! ... Quant
à l'Espagne, n'est-elle pas de tous les pays de l'Europe celui qui est
le mieux en mesure de montrer une collection complète de voleurs de
grands chemins ? De plus, il n'est pas rare que ces voleurs soient
porteurs de scapulaires et de chapelets ; enfin, il est arrivé
quelquefois qu'ils ont eu pour chef des moines défroqués. Reste
à parler du Mexique. Or,
si l'on interroge ceux qui connaissent bien ce pays, on apprend : que
les cures s'y transmettent par voie d'hérédité et que les nombreux
enfants de chœur élevés dans
les presbytères facilitent singulièrement ce mode transmission... En
résumé, on peut affirmer, sans vouloir blesser des peuples qui
travaillent aujourd'hui à leur régénération, qu'il n'est pas de pays
en Europe où l'ensemble des mœurs laisse autant a désirer que chez
ceux qui ont été longtemps soumis à la domination cléricale.
De
telle sorte qu'il est difficile, de comprendre que de très honnêtes pères
de famille soient engoués au point où ils le sont et des moines et des
couvents, soutiens ordinaires de cette domination. Il
est d'ailleurs parfaitement faux que le gouvernement veuille détruire
la religion. Le gouvernement veut, et il a raison de vouloir, que les
membres du clergé soient soumis aux lois civiles. Les
prêtres sont des fonctionnaires comme les autres, et leur prétention
de traiter avec l'État de puissance à puissance est insoutenable. Il
ne peut d'ailleurs entrer dans la tête de nul homme sensé de vouloir
porter obstacle au libre exercice du culte; mais il est très
raisonnable d'empêcher que l'on ne se serve du masque de la religion
pour exploiter une foule de braves gens plus zélés qu'éclairés. Et
si l'on argue de ce principe de liberté absolue, qui veut que chacun
puisse être dupé, si tel est son bon plaisir, nous répondons : Mais
alors n'exigez pas que nous, qui pensons que l'on rend un mauvais
service aux jeunes gens en les exaltant an point de les décider à
s'enterrer vivants dans les couvents, nous contribuions à payer les
cinquante millions qui servent à entretenir un clergé parmi lequel se
trouvent, au milieu d'un grand nombre de prêtres honnêtes et vertueux,
un très grand nombre aussi de prédicants fanatiques qui ont su découvrir
dans la religion chrétienne des recettes particulières pour pousser
les uns à quitter leur famille et les autres à mieux haïr leur
prochain.
Exagération
et violence, violence et exagération
de tous côtés !! Arrivons
à la vérité , qui sera prêchée par un gallican et patriote, vivant
en dehors des passions politiques, dans les régions sereines de la
philosophie fraternelle du Christ ! Mais
alors, plus de discussions dogmatiques, plus d'universités catholiques,
foyers permanents de ces discussions. Comment,
en effet, ne remarque-t-on pas, en ne parlant que de notre époque, que
les hommes supérieurs qui se sont signalés dans ces luttes : MM. de
Lamennais, Lacordaire, Ventura,
Loyson, Didon, etc., ou sont tombés dans l'hérésie ou l'ont approchée
de bien près ? Et
pour ne prendre qu'un exemple dans le passé, consultons saint Augustin
: que nous apprend-il ? Après
avoir examiné les dogmes, il s'écrie, credo quia absurdum Je
crois, parce que cela n'a pas le sens commun ! Exclamation
admirable , puisque c'est un grand saint qui l'a prononcée. Mais
exclamation dont la logique serait très contestable si elle provenait
d’un simple particulier ! Dès
lors, ne voit-on pas le danger que l'on court en incitant nos jeunes
bacheliers à devenir des docteurs en théologie ? Ceux d'entre eux qui
ne seront pas spécialement favorisés de l’Esprit Saint pourront très
bien, au lieu de s'écrier avec saint Augustin : credo quia absurdum,
dire tout uniment ; Neqo quia absurdum
et voilà des gens entêtés dans l'erreur pour le reste de leur
vie !
Résultat
qui sera dû à la fureur de ceux qui, par excès de zèle ou pour en
tirer profit, ont transporté la religion sur le terrain des discussions
positives, au lieu de la laisser dans les régions éthérées du
sentiment, son vrai domaine. Les
mesures prises par le ministère contre les congrégations sont
conformes aux lois existantes. Telle est l'opinion de plusieurs
jurisconsultes. Nous laisserons les hommes spéciaux débattre
l’interprétation de ces lois. Mais
ce que nous avons pu constater, et depuis longtemps déjà, c’est
l’ardeur, la passion devrais-je dire, qu'amis ou adversaires des congrégations
apportent dans ces débats. Ce fait est à lui seul un flambeau; il nous
permet de mesurer les progrès accomplis par l'intolérance religieuse
et nous montre combien nous sommes déjà loin de la sage modération,
sur cette question, de la génération qui nous a précédés. Le
mal étant certain, nous devons rechercher les causes. La
principale, la seule peut-être, n'est elle pas dans les progrès
rapides accomplis en France par une société célèbre qui, depuis un
quart de siècle, a comme une marée montante envahi par elle-même, ou
par ceux qui obéissent à son impulsion, toutes les branches de
l'instruction publique ?
Dans
ce cas n'est-il pas clans l'ordre que ceux qui croient que les principes
de cette société sont diamétralement contraires à ceux sur lesquels
repose la constitution de notre pays, aient conçus de vives appréhensions ? Et
n'est-il pas dans l'ordre que 1e Gouvernement, qui a la garde de la
Constitution, ait pris des mesures qui doivent la sauvegarder, non
seulement dans le présent, mais bien plus encore dans l’avenir ? Donc,
il ne s'agit point de discuter sur le plus ou moins de portée de tel
article de loi ; il
s'agit de savoir si nous trouvons oui ou non l'existence des jésuites
compatible avec la paix et le repos du pays, car les jésuites sont les
chefs de cette. ligue nouvelle de l’intolérance. Or,
je soutiens que, posée ainsi, la question a été résolue
successivement depuis trois cents ans par tous les États de l'Europe. Ces
États ont fait l'expérience qu'avec ]es jésuites il faut, ou subir
leur joug, ou se priver totalement de leurs services !! Ainsi
ils ont été chassés : de, France, en 1594, 1762, 1828; d'Angleterre,
en 1581 et 1601; de Portugal, en 1598 et 1759; de Hollande, en 1685;
d'Espagne et de Sicile, en 1767 et 1820; de Russie, en 1717, et 1817, de Suisse, en 1847; par le roi de Naples, le duc de Parme, le
grand-maître de Malte, (grand-maître de Malte, remarquons le), en
1768; enfin de Rome, en
1773, par Clément XIV, qui crut travailler
à la paix de l’Eglise en abolissant cet ordre fameux.
Si
les jésuites étaient des religieux comme les bénédictins, les
chartreux, les trappistes, les carmes, les capucins et autres, adonnés
à la vie contemplative ; s'ils étaient encore des instituteurs de
la jeunesse, comme le furent autrefois avec éclat, leurs ennemis les
oratoriens, ou comme le sont aujourd'hui les maristes, on aurait point
à se préoccuper outre mesure de leurs agissements, car les ordres
religieux que je viens de nommer restèrent le plus souvent étrangers
à la politique. Pour
les jésuites, il en fut tout le contraire, et leur passé prouve
surabondamment que leurs persistants efforts tendent à dominer partout
où ils se trouvent. S'ils
élèvent la jeunesse et s'ils s'enrichissent rapidement, ce n'est point
la soif de l'or qui les anime; s'ils cherchent à diriger la conscience
des hommes puissants et celle des femmes qui ont de l'influence, ce
n'est point par pur zèle religieux : c'est pour s'emparer de l'esprit,
des uns et des autres, de manière à pouvoir, avec l'appui de ceux-ci,
dominer la société tout entière. Et,
en effet, les jésuites ne sont pas de simples religieux; ce qu'ils sont
surtout et avant tout : Ils sont des hommes politiques. Ils
sont à eux seuls un gouvernement. Et
ce gouvernement est : la quintessence de l'absolutisme ! Leur
naissance au XVI ème siècle arrive immédiatement après
celle du libre examen; ils en sont la contrepartie. Ils
ont une constitution trois fois séculaire, immuable. Ils
ont un pouvoir exécutif respecté et obéi jusque aux plus extrêmes
limites de l'obéissance passive.
Les
agents de ce pouvoir, animés d'un même souffle, ayant mis sous les
pieds la plupart des passions qui troublent les autres hommes, concentre
toute leur activité, toutes les aspirations de leur âme, vers un but
et un but unique : la suprématie de leur ordre. Et
si par hasard la papauté, dont ils se prétendent les plus fermes
soutiens, émue des plaintes que les autres ordres religieux, le clergé
de France, d'Espagne, de Portugal, les rois de ces royaumes élèvent
contre eux; si, dis-je, la papauté veut modifier leurs constitutions ou
leur donner quelques règles nouvelles, ils se redressent, fièrement et
répondent : Nous resterons ce que nous sommes, ou nous ne serons pas ! Sint
ut sunt aut non sint !!! Et
voilà les hommes qui, déguisés pour le moment en simples
instituteurs, seraient imposés à notre jeune République, sous prétexte
que cette République, placée sous l'invocation de la liberté, ne peut
et n'a le droit d'élever aucune barrière, même contre ses adversaires
déclarés. Le
simple bon sens proteste ! Et
vraiment cette prétention paraît d'autant plus surprenante, qu'elle
est formulée par ceux-là mêmes qui n’ont pas hésité il y a
quelques années, et qui
ont bien fait de ne pas hésiter, a dissoudre une autre association
dangereuse, laquelle, formée en apparence pour venir en aide aux
travailleurs, avait pour but de fonder un
gouvernement à côté de celui choisi par la nation elle même.
L'Internationale
a paru menaçante on a bien
fait de la dissoudre. Cependant, elle était de création nouvelle et
l'on pouvait avoir des doutes sur sa force et sur son but véritable.
Les jésuites au contraire ont multiplié leurs preuves, et tous les
gouvernements de l'Europe ont dû les renvoyer. Les
Suisses eux-mêmes, ces sages Suisses, qui, après avoir conquis leur
liberté, avaient su en faire depuis des siècles un si salutaire usage,
ont eu un jour le tort de recevoir les jésuites chez eux. Peut-être
l’appât de l’or, pour lequel nos voisins passent pour n'avoir
jamais eu tout le mépris que la philosophie conseille, les a-t-il séduits ?
Je
l’ignore. Dans tous les cas , si Fribourg a gagné quelque
argent, cet argent hélas ! a été chèrement acquis ; car,
en 1847, au moment même où l’Europe jouissait d’une paix profonde,
les Jésuites étaient parvenus à fomenter la guerre civile en Suisse,
et le Sunderbund mettait aux prises les plus honnêtes populations du
continent. Ce
n'est pas tout, si nos voisins de l'Est nous fournissent cet exemple,
que nous disent, depuis longtemps déjà, nos voisins du Nord, ces
actifs, industrieux et riches habitants de la Belgique ? Ils
seraient depuis 1830 dans la période la plus heureuse de leur histoire
entière; car leur passé, tout autre, ne se compose que d’une série
de révoltes et de séditions : contre les comtes de Flandre,
contre les rois de France, contre les Espagnols, contre les Autrichiens
et enfin contre le roi de Hollande.
Cette
dernière révolte toutefois, réussit grâce a concours du roi Louis-Philippe, qui de plus fit
à la nation belge le plus précieux des présents,
en lui donnant une princesse adorée de tous, et qui fut la mère d'un
prince devenu le modèle des rois constitutionnels. Mieux
encore ces peuples, pour que rien ne leur manque, ont cet avantage de
savoir qu'ils n'ont pas cessé de s'appartenir. Car leurs rois ne leur
ont pas laissé ignorer qu'ils étaient sur le trône pour leur être
utiles, et que le jour ou ils croiraient pouvoir se passer d'eux, il
suffirait qu'on voulût bien les prévenir. Une
prospérité continue, un bonheur sans nuages serait donc depuis
cinquante ans la part de ces braves Belges, si un ferment de discorde n'était
pas au milieu d'eux. Ce
ferment, vous l'avez nommé,
ce sont les jésuites. Plus de paix ni de trêve, là où ils ont pris
racine. Et si par un effort de raison et agissant d'un commun accord les
Belges ne parviennent pas a se débarrasser d'eux, la guerre civile,
suivie de la dislocation de ce petit État, paraît inévitable. Mais laissons nos voisins, rentrons en France, et voyons quelle est la part qui doit, être attribuée aux jésuites dans nos dissensions intérieures.
A
peine la dernière Assemblée nationale, entraînée, par le courant de
l'opinion publique, avait-elle rendu justice à M. Thiers en proclamant
pour la deuxième fois qu'il avait bien mérité de la patrie, que le
parti clérical, se rendant compte qu'il n'avait rien à attendre de cet
homme d’État, n'hésita pas un moment, et dirigé par les Jésuites,
depuis longtemps ses chefs, il réunit dans une coalition incompréhensible,
puisqu'elle se composait d'éléments résolument hostiles entre eux,
un parti qui s'appela lui même l’ordre moral et qui restera,
si je ne me trompe, dans l’histoire comme un type inconnu jusqu'ici de
la contradiction élevée à sa plus haute puissance. En
veut-on des preuves ? Les voici : Ce
parti commença d'abord par remporter une victoire facile ; il
renversa un homme qui ne voulait pas se défendre; car il voulait, lui,
exercer le pouvoir au profit et avec l'assentiment de la France, et non
obéir à des factions qui n'avaient que des aspirations mal définies
et dans tous les cas contraires les unes aux autres. Ce
premier résultat obtenu, l'ordre moral essaya une combinaison
monarchique qui, soumise au prince droit et sincère qui devait en être le pivot, reçut de lui une réponse très claire et un
refus très net. Cette
affirmation loyale, en tout conforme à la conduite antérieure et à la
noble attitude du prince exilé, eut le double avantage, d'abord,
d’augmenter le respect que lui portent ceux qui jugent sans passion
les événements contemporains ; ensuite, de diminuer le chaos que
l'ordre moral avait porté à son comble.
La
situation ainsi simplifiée, l’ordre moral à bout de voie, se résigna
non sans effort, à accepter la Constitution qui nous régit et il
laquelle il avait travaillé. Et
c'est même à partir de ce moment que nous allons voir les
contradictions s'accumuler et grandir sans mesure. Ainsi
l'ordre moral, ayant a faire préparer la salle qui doit recevoir les députés,
a fait mettre à la place d'honneur un immense tableau représentant les
États Généraux ; les États Généraux ! ... au moment même où ils
allaient faire la Révolution française; les États Généraux, qui
sont la personnification imagée de 1789 ; en un mot, un tableau, qui,
d'après M. l'évêque d'Angers, représente la négation audacieuse du
péché originel ! Et
c'est l'ordre moral qui de lui même et sans y être contraint a commis
une telle inadvertance. De
plus, et ici la faute est bien plus grave encore, il a placé, lui, le
protecteur ou le protégé des jésuites, il a placé en face de la
porte d'honneur la statue de Montesquieu, du grand Montesquieu ! ... Oh
! certes, il a bien fait. Mais
s'est-il douté des conseils que cette noble et grande figure donne à
ceux qui passent devant elle ? Assurément
non, on doit le croire. Car
Montesquieu. est le précurseur de Voltaire. Voltaire a dit de lui :
Je le prends pour mon guide. Lorsque
l’Esprit des Lois parut, un homme d'État déclara que ce livre
ferait une révolution dans les esprits. Et
quant aux jésuites., Montesquieu a écrit Lorsque
les Anglais veulent parler d’un mensonge plus noir que les autres, ils
disent : Ceci est jésuitiquement faux.
Enfin l'on sait que les jésuites sont les zélés propagateurs de cette dévotion étroite où les pratiques minutieuses abondent, et c'est sans doute de celle-là que voulait parler Montesquieu, lorsqu'il a écrit : La dévotion est une opinion d’après laquelle on croit
que l’on vaut mieux que les autres. Puis,
lorsque Montesquieu parle de la République, voici comment il s'exprime
: "La douceur du gouvernement contribue puissamment à la prospérité d'un pays. Toutes les républiques en sont une preuve constante, et, plus que toutes, la Suisse et la Hollande, qui sont les deux plus mauvais pays de l'Europe, si on considère la nature du terrain, et qui sont cependant les plus peuplés, etc. Rien n'attire plus les étrangers que la liberté et l'opulence qui la suit toujours. L'égalité même des citoyens, qui produit à la longue l'égalité dans les fortunes, porte l'abondance et la vie dans toutes les parties du corps politique et la répand partout. Il n'en est pas de même dans les pays, soumis au pouvoir arbitraire : le prince, les courtisans et quelques particuliers possèdent toutes les richesses, etc."
Aussi
les écrivains religieux du temps ne l’épargnèrent point: un certain
abbé Gautier le traite de pourceau d’Epicure, d’âne de boue. Un
autre, l'abbé Bonnaire,
l'appelle : homme à chimère, qui se joue de la raison, des mœurs et
de la religion, l'appelle encore rhéteur, sophiste, etc., etc. On
le voit donc, lorsqu'on élève des statues à Montesquieu, il n'est pas
prudent, il est encore moins logique de livrer en même temps l'éducation
de la jeunesse aux jésuites, car, avant trente ans, les Français, élevés
par eux, n'auraient rien de plus pressé que d'aller jeter à bas les
statues de ce grand homme. Mais
l'ordre moral a fait bien mieux encore, il ne s'est pas contenté de
placer des tableaux, d'ériger des statues ; il est venu à la tribune
proclamer par la voix du ministre de l'intérieur : qu'il était le représentant
des principes de 89. Voilà
une prétention singulière ! Que
sont donc en effet les principes de 89 ? Il
serait vraiment utile de s'entendre à ce sujet, au moment surtout où
la lutte des opinions est si vive. Eh
bien ! il me paraît difficile de nier que ce qu'on doit entendre par
les principes de 89, ce ne soit, d'abord la résultante des opinions émises
par les grands écrivains du XVIII ème siècle, résultante
qui se trouve admirablement représentée dans les États Généraux,
composés des hommes les plus instruits, les plus éloquents, les plus
éclairés et les mieux intentionnés qui se soient jamais réunis en
assemblée délibérante et constituante. Donc,
ce sont vraiment eux qui représentent 89; donc c'est à eux qu'il faut
demander ce que sont les principes de 89.
Or,
par rapport à la question qui nous occupe aujourd'hui, que fait
l'Assemblée nationale ? Elle
abolit tous les couvents, elle déclare que tous les biens du clergé
appartiennent à l'État, elle établi a l'égard de ce même clergé la
constitution civile et veut que les prêtres deviennent de simples
fonctionnaires. Enfin elle porte en grande pompe au Panthéon les
cendres de Voltaire et de Mirabeau. Voyez
vous d'ici l'ordre moral obligé d'approuver toutes ces choses ! Évidemment
elles lui font horreur. Donc
il s'est singulièrement fourvoyé, le jour. où il a dit qu'il représentait
89. Maintenant,
à côté de lui, se trouve au contraire un parti qui a toujours défendu
et pratiqué la liberté, et qui a pendant dix huit ans donné à notre
pays un gouvernement honnête et respectueux
de la loi. Et
si l’on veut savoir quelles sont les opinions de ce parti, comment
pourrait-on mieux faire que de les demander à ceux qui furent ses chefs
? Eh
bien ! si, clans ce cas, je me permet d'interroger le roi Louis Philippe
celui ci me répond sans hésiter en entonnant la Marseillaise, non
point au moment des effervescences de 1830 ou 1831, mais bien dix ans
plus lard, à la distribution des prix du lycée de Versailles ! Quant
à son fils, le regrettable et regretté duc d'Orléans, il nous a laissé
toute sa pensée dans un testament qu'on ne saurait trop relire, et dans
lequel il recommande à M. le comte de Paris d'être toujours un
serviteur passionné de la France et de la
Révolution ; puis il a écrit, ainsi que je l'ai dit plus haut,
que cette Révolution était la plus grande cause qu'il soit donné de
plaider devant le tribunal du genre humain.
Certes,
il n'est pas nécessaire d’en dire davantage pour prouver à quel
point est étrange l'alliance momentanée, des orléanistes et des jésuites !!! Mais
dans une question de ce genre, et au début d'une lutte qui pourra durer
quelque temps, il est utile, il est même indispensable d'examiner la
part prise par la Célèbre Compagnie dans nos anciennes guerres
civiles. On
ne saurait trop, en effet, rappeler aux honnêtes gens, qui ont le tort
de vouloir mêler la religion à la politique, les crimes odieux commis
par les sectaires élevés et fanatisés dans les couvents. Le
premier des rois de France tombant sous le fer d'un assassin fut Henri
III, frappé par le moine Jacques Clément. Après lui vint le tour de
Henri IV, du sage et habile Henri IV, comme l'a appelé à si juste
titre M. Spuller, dans un rapport bien connu. Henri IV fut frappé par
Jean Châtel, qui ne parvint cependant qu'à le blesser. Ce
misérable avait été élevé par les jésuites et excité au régicide
par eux. On
nous apprend qu'il avait été enfermé dans la chambre des méditations
où l'enfer était représenté avec plusieurs figures épouvantables
éclairées d'une lueur sombre.
Le
Parlement de Paris instruisit ce procès, condamna au dernier supplice
Jean Châtel, condamna en outre le P. Guignard, plus compromis que les
autres jésuites, à être pendu et ordonna que dans trois jours ces
religieux videraient le collège et dans quinze jours le royaume. Voilà
ce qui se trouve dans la plupart des histoires de France, parce que ces
faits se sont passés a Paris. Mais
il serait utile que l'on connut aussi ce qui se passa à la même époque
en province, afin que le fanatisme religieux devînt de plus en plus
pour tous un sujet d'horreur. Veut-on
permettre, en conséquence, que je rappelle en peu de mots quelques uns
des événements qui eurent lieu à Bordeaux avant le crime dont je
viens de parler ? Je
laisse la parole à Dom Devienne, savant bénédictin qui écrivait vers
le milieu du siècle dernier. En
parlant de la Saint Barthélemy il dit: "Cependant les nouvelles qui arrivèrent des massacres de Paris, ne produisirent leur effet qu'après que les prédicateurs fanatiques en eurent fait usage pour soulever le peuple. Edmond
Augier, jésuite, fut un de ceux qui se
signalèrent le plus. Prêchant
le jour de Saint Michel, il
parla des anges qui sont les dispensateurs des
grâces de Dieu et les exécuteurs de ses vengeances. Il
assura que les massacres de Paris, d'Orléans et des
autres villes avaient été faits par le ministère d'un
ange."
Suit
le récit des terribles scènes qui eurent lien à Bordeaux comme sur
d'autres points.
Puis
l’historien raconte l'avènement de Henri IV, qui envoya le maréchal
de Matignon pour commander dans la province, et il ajoute : (Peu
après l'arrivée du maréchal de Matignon à
Bordeaux, un soulèvement provoqué par les ligueurs
eut lieu, les jésuites furent impliqués dans celle affaire,
etc., etc... Le
Parlement s'assembla il
ordonna qu'ils fermeraient
leurs écoles et videraient la ville; ce qui fut exécuté. Quelque
temps après, le Maréchal fit arrêter deux religieux d'un autre ordre,
dont l'un avait dit: "Que la cour de Rome pourrait seule donner la couronne à Henri et qu’elle n'avait plus même alors ce pouvoir puisque le Roi étant retombé dans l'hérésie après l'avoir abjurée, on ne pouvait jamais être assuré que sa conversion fût sincère. Le
maréchal fit venir celui qui avait tenu ce
propos et lui parla avec bonté. Ce religieux soutint
qu'il n'avait dit que la vérité. Le maréchal, échauffé
par ses propos, le menaça de le faire punir avec
sévérité. Je
ne vous crains pas, lui dit alors celui ci.
Je suis ecclésiastique, et je ne reconnais que le pape
pour mon souverain. Le Parlement lui fit son
procès et il fut pendu." 0n
le voit, si les fanatiques font des victimes, ils le sont, eux-mêmes
parfois. Fermons donc définitivement et dans l’intérêt de tous,
des écoles dirigées par les plus habiles professeurs de fanatisme qui
aient jamais existé. Mais il est une accusation capitale qui n'a pas encore été nettement formulée contre les jésuite et que je tiens à mentionner ici.
On
sait que l'horreur que les Anglais éprouvaient déjà depuis longtemps
pour le papisme a eu une part très grande à la révolution de 1688.
Les jésuites que l’on disait avoir de l'influence sur Jacques II
étaient, aux yeux de ceux qui voulaient rendre l'Angleterre
libre, les plus dangereux de leurs ennemis ; car les Anglais savent bien
que le jésuite est l'incarnation vivante du despotisme. Aussi,
lorsqu'ils furent persuadés que le roi était absolument dirigé par
ceux-ci, ils n'hésitèrent point, détrônèrent Jacques II et répandirent
le bruit qu'il s'était réfugié dans le couvent des jésuites de
France, sachant bien qu'il n'était pas de meilleur moyen de rendre ce
prince odieux à l'Angleterre. Eh
bien ! si les jésuites ont été, pour beaucoup dans la chute des
Stuarts, je les accuse d'avoir eu une part bien plus grande encore dans
la rupture survenue entre la nation française et la maison de Bourbon. Je
vais essayer de démontrer la vérité de cette accusation. Ainsi,
au moment où le fanatisme religieux a frappé Henri IV, ce prince,
alors âgé de cinquante sept ans, était, en pleine possession de son
autorité ; il avait dompté les factions, il avait pacifié les
querelles religieuses et promulgué l'édit de Nantes, il avait empli
les caisses du trésor public, et il allait donner à la France toute la
grandeur qu'elle était en droit d'attendre d'un chef expérimenté et
la venger de ses ennemis, lorsqu'un fanatique qui avait été frère
convers chez les feuillants de Paris plongea le poignard, dans le cœur
de la patrie elle-même en tuant ce grand roi
Après
lui, sous le règne suivant et pendant la première moitié du règne de
Louis XIV, les jésuites furent tenus en respect. Mais
lorsque le roi fut parvenu l’âge
mûr et lorsque Mme de Maintenon, qui avait été pauvre et qui était
veuve d'un vieillard, se fut servie de la double expérience acquise et
des charmes de son esprit pour captiver le roi et eut su, en outre, se
faire habilement seconder par le père Lachaise, qui rassura la
conscience du prince en conseillant le mariage secret qui eut lieu en
1681; alors, dis-je, la situation change. Le père Lachaise et les jésuites
avec lui deviennent tout puissants. Aussi
les conséquences ne se font, pas attendre, et dès l'année suivante l'édit
de Nantes est révoqué. Voilà
donc un prince d'un esprit droit, dont l’âme était haute et qui
n'avait en lui rien d'un tyran, qui entre dans une voie qui doit
fatalement le conduire à la plus odieuse des tyrannies. E't
en effet, dans toute notre histoire, rien ne ressemble aux dragonnades.
Les persécutions antérieures avaient revêtu le caractère général
des guerre civiles ; de part et d'autre se trouvaient des combattants.
Ici au contraire, c'est un gouvernement, fort et redouté qui pendant
plus de vingt cinq ans persécute des populations entières presque
toujours désarmées. Aussi
ne nous étonnons pas, après deux siècles, nous trouvons encore dans
les Cévennes, dans le Vivarais, dans le Languedoc et sur d'autres
points, des haines vivaces que le temps n'a pu calmer.
On
peut, le dire sans hésiter : si la fin de ce grand règne a terni la
gloire du commencement, c’est à l’influence néfaste des jésuites
qu'il faut l'attribuer; c'est à leur fureur constante d'imposer
l'apparence de la dévotion partout, de manière à se servir de ceux
qui ont été captés de bonne foi, pour en faire des agents
inconscients de leur propre domination. Aussi voyez ce qui arrive à la mort du roi une : une réaction sans mesure se produit; ses obsèques deviennent un scandale; et à un gouvernement d'hypocrisie religieuse succède celui d'un prince spirituel et bon, mais peu respectueux de sa propre dignité, et qui d’un homme taré dont le langage et les habitudes ne seraient pas tolérés aujourd'hui chez le plus mince des fonctionnaires, fait en peu de jours un archevêque, un cardinal et un premier ministre ; et qui enfin, lorsque ce premier ministre meurt, écrit à l'un de ceux que le cardinal avait exilés : Reviens, mon cher Nocé, morte la bête,
mort le venin ! Que
ces exagérations nous servent ; séparons les prêtres de la politique.
Enfermés dans leurs églises, ils prêcheront et pratiqueront la vertu,
et les populations les entoureront de leurs respects. Mais
continuons à suivre les jésuites sous le règne de Louis XV. Nous
voyons d'abord la reine Marie Leczinska dominée par son
confesseur, lequel, assure-t-on, eut une grande part dans les causes qui
amenèrent la mésintelligence du royal ménage. Puis
eu 1762, lorsque par l'influence de Madame de Pompadour, des encyclopédistes,
des Parlements et du duc de Choiseul, leur renvoi est obtenu, nous les
voyons néanmoins conserver à la cour de puissants protecteurs.
Déjà,
dès 1760, monseigneur le Dauphin, soutenant leur cause contre le
premier ministre, le fait avec une telle chaleur, que M. de Choiseul lui
dit : Ah ! fi,
Monsieur, un Dauphin peut-il être aussi ardent ; pour des moines ? ...
(Mémoires de Bezenval) Quelque
temps après, le même prince remit au roi un mémoire, dans lequel M.
de Choiseul était accusé d'avoir tramé une intrigue avec les
Parlements et de s'être, à cette occasion, exprimé sur le compte du
roi avec très peu de mesure. Ce
mémoire produisit son effet ; M. de Choiseul s'aperçu bientôt de la
froideur de Louis XV, et en ayant appris la cause, il dit à ce prince,
avec sa francise ordinaire, que puisqu'il avait perdu sa confiance il le
priait d'accepter sa démission. Le
roi refusa en accompagnant son refus de paroles obligeantes, auxquelles
le ministre céda, à la condition cependant que, devant le conseil, il
lui serait permis d'établir la fausseté des faits allégués dans le mémoire;
ce qui eut lieu d'une façon tellement évidente, que le roi s'exprima
en termes sévères sur ceux qui l'avaient trompé. M. de Choiseul alla ensuite chez le prince. L’explication fut vive, et le ministre la termina en disant : Peut-être, Monsieur, serais-je assez malheureux pour être un jour votre sujet, mais certainement je ne serai jamais à votre service.
Propos qui irrita le prince, à tel point qu’il s'en plaignit au roi, qui lui répondit : Mon fils,
vous avez tellement blessé
M. de Choiseul, qu’il faut lui tout passer. Quelque
temps après, le Dauphin mourut, laissant l'éducation des princes, ses
fils, sous la direction du duc de
La Vauguyon, affilié et partisan outré des Jésuites. Ce
n'est pas tout, encore, lorsque huit ans plus tard Madame du Barry, les
ducs d’Aiguillon, de La Vauguyon et quelques autres eurent renversé
le ministre, on nomma
l’abbé de La Ville, ex jésuite et l'âme de l’intrigue, lecteur du
jeune Dauphin depuis Louis XVI, chargé
par conséquent de lui donner les premières notions de
politique. Eh
bien! je le demande, n'est-ce point un malheur sans égal que cette
fatalité qui met entre les mains des adversaires des principes du XVIII
ème siècle l’éducation du jeune prince qui va être
appelé à diriger la réforme qui est en germe dans tous les esprits ? Aussi
cette réforme, au lieu d'être ce qu'il était à désirer qu'elle fût,
une transformation pacifique, a été la grande, la terrible Révolution
française dont nous ressentons encore aujourd'hui les dernières
commotions, et dont, nous verrons, espérons-le, la clôture, mais à
une condition, c'est que nous écarterons d'une main ferme ses irréconciliables
ennemis. Car,
remarquons-le bien, les réformateurs de 1789 avaient devant eux deux
classes privilégiées : la noblesse et le Clergé.
Les
ardeurs de la lutte ont fait perdre de vue les débuts de la Révolution,
et les colères sont encore trop vives pour qu'on puisse les juger en
toute équité. Il est utile cependant, pour bien comprendre le moment
présent, de rappeler ces débuts, et de montrer la différence qui
existe entre la manière dont se conduisent les deux ordres privilégiés. Ainsi,
dès les premiers jours, les membres de la minorité de la noblesse
ayant à leur tête MM. de Montmorency, Clermont Tonnerre, de Mailles,
etc., se réunissent au Tiers État et composent l'assemblée qui prend
elle-même le nom d'Assemblée nationale. Le
but, la pensée entière de la Révolution, se résume dans ce fait qui
devait produire à lui seul et constituer la grande unité de la famille
française. De
plus, à la suite du 4 août, où tous les privilèges avaient été
abolis, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt demanda qu'il fût frappé
une médaille commémorative de cette résolution. Il renvoya au roi son
cordon bleu qui liait par un serment particulier, afin de reprendre sa
liberté entière. Au
reste, pour donner une idée très exacte des faits dont je cherche à
rendre compte, je m'adresse à l'historien Michelet, admirateur
enthousiaste de la Révolution. Michelet dit : La Révolution trouva les nobles dispersés, isolés et faibles de leur isolement. Une cause aussi de leur faiblesse très honorable pour eux, c'est que beaucoup d'entre eux étaient de coeur contre eux-mêmes, contre la vieille tyrannie féodale, qu'ils en étaient à la fois les héritiers et les ennemis; élevés dans les idées généreuses de la philosophie du temps, ils applaudissaient à cette merveilleuse résurrection du genre humain et faisaient des vœux pour elle, dût-il leur en coûter leur ruine.
Et
Plus, loin : Ces
hommes qui mettaient tant de temps, tant de pesanteur à discuter la Déclaration
des Droits, à compter,
peser les syllabes, dès qu'on fit appel à leur désintéressement, répondirent
sans hésitation: ils mirent
l'argent sous les pieds, les droits honorifiques
même qu'ils aimaient plus que l'argent... Grand
exemple que la noblesse expirante a légué à notre aristocratie
bourgeoise, etc... Ce
jugement restera, car il est vrai, Telle
fut au début l’attitude de la noblesse. Quant
au clergé, au contraire, ses résistances aux innovations furent
constantes. Et même en admettant que Louis XVI eût compris, eût voulu
et eût été capable de diriger la Révolution, les scrupules religieux
de ce prince ne lui eussent pas permis d'exiger du clergé les
concessions nécessaires. On
peut donc croire que l'éducation qu'il avait reçue a été en partie
cause de ses malheurs et des nôtres. Mais
si l’on peut avoir des doutes à cet égard, ce qui est bien certain,
c'est que si Charles X a perdu la couronne, c'est aux jésuites qu'en
incombe la responsabilité.
En
1828, en effet, lorsqu'ils furent renvoyés, il y eut comme un cri de
soulagement dans la France entière ! On put croire un moment
à la réconciliation de l'ancien et du nouveau régime, et le
voyage du roi dans les départements
de l'Est fut une marche triomphale ! Mais
depuis longtemps déjà Charles X ne s'appartenait plus, et les jésuites
chassés de leurs collèges étaient par le fait les maîtres dans son
palais. Ils le prouvèrent bien en obtenant, le 9 août 1829, le ministère
qu'ils appelaient de leurs voeux depuis longtemps. On
sait le reste, et, je l'ai rappelé ci dessus, le prince de Polignac
qui, le 9 octobre 1815, avait, au Luxembourg, refusé solennellement de
prêter serment a la Charte, fut conséquent avec lui-même en la
renversant ; mais la maison de Bourbon fut ensevelie sous les ruines, et
la révolution de Juillet se fit à ce cri qui dominait tous les autres:
A bas les jésuites !!! ... Aujourd'hui,
après des essais multiples et des naufrages répétés, la France a
pris le parti de se gouverner elle même. Elle s'est mise a l'abri dans
le vaste port et sous l’égide de la souveraineté nationale; c'est
aux pouvoirs publics qu'elle a commis le soin de veiller à son repos;
ces pouvoirs ne sauraient tolérer qu'on sème dans ce port des écueils
sans nombre !! Je
conclus et je dis : La
partie du clergé séculier qui est dans ce moment hostile à la
République, obéit à l'influence et aux excitations des jésuites;
si, par suite de scrupules que je respecte, sans les comprendre ni les
approuver, on laisse ceux-ci continuer leur oeuvre souterraine, la paix
qu'on obtiendra sera de courte durée, et avant dix ans, au lieu d’une
lutte ordinaire, on se trouvera en face d’une révolution !!!
Les
jésuites constituent à eux seuls un gouvernement. Depuis
plus de trois cents ans leur chef élu réside à l'étranger, depuis
plus de trois cents ans pas un de ceux qui ont été choisis n'est ni ne
fut Français. Nous,
nous avons un gouvernement qui s'appuie sur la souveraineté nationale,
dont il émane. Celui
là est le vrai ! En
se défendant, il défend nos droits. J'approuve
la pensée qui a dicté les décrets !!
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Réalisée le 10 septembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le septembre 2005 Christian Flages