Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Philippe 1er |
Année : 1095 |
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Prédication de la première croisade. A Clermont en Auvergne. |
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Depuis
longtemps déjà la papauté jetait vers l'Orient des regards d'amertume ;
Jérusalem, la cité sainte, le berceau du christianisme était chaque
jour insultée par quelque nouvel outrage des musulmans ; les pèlerins y
allaient vainement chercher l'expiation de leurs fautes, on leur refusait
l'approche du Saint Sépulcre ou, s'il leur était permis de s'agenouiller
devant la tombe du Christ, il leur fallait acheter cette faveur par la
plus humble soumission. Les pontifes de
Rome s'étaient inutilement adressés au dévouement des princes de la
terre pour obtenir la délivrance des lieux saints ; Grégoire VII avait
écrit à l'empereur d'Allemagne ; après lui Victor III avait inutilement
appelé les chrétiens en Orient ; on plaignait la misère des pèlerins,
on déplorait la servitude de Jérusalem, et là s'arrêtait le zèle
religieux. Enfin, en 1094,
la voix éloquente d'un moine obscur, qui, à travers tous les périls
d'un voyage en Palestine. était allé prier à Jérusalem, décida ce
grand mouvement religieux qui devait, pendant deux siècles, remuer toute
I'Europe. C'était un
pauvre chevalier, nommé Pierre, et d'origine picarde, croit-on, car sa
famille, sa naissance, sont à peine connues. Dégoûté du
monde et des hommes, après avoir vainement essayé d'occuper l'activité
de son esprit tour à tour par l'étude des lettres, et les fatigues de la
guerre, il s'était renfermé dans la plus austère solitude pour se
livrer tout entier à la prière et à la méditation, Arraché à sa
retraite par le bruit des pèlerinages en Orient, emporté peut être par
une force secrète, supérieure à sa volonté même, il était allé en
Palestine ; il avait vu l'abaissement de Jérusalem, les souffrances des
chrétiens, la cruauté des Infidèles, et son coeur s'était profondément
ému des malheurs de la Terre sainte : il avait versé des larmes sur
cette désolation pour laquelle l'Europe semblait sans pitié. A son retour
Pierre l'Ermite se rendit à Rome auprès d'Urbain II, qui occupait le trône
pontifical ; il lui peignit avec toute la vivacité de sa douleur l'état
d'abandon de Jérusalem, et, entre lui et le pape, il fut résolu qu'un
concile serait assemblé pour y faire un appel à la piété et au courage
des chrétiens. Ce fut à la
suite de cette solennelle entrevue que Pierre parcourut l`Italie et la
France, proclamant partout la misérable situation de la Palestine et
appelant chacun à la délivrer. Monté sur une mule, un crucifix à la main, la tête découverte, les pieds nus, ceint d'une corde et couvert d'un manteau de bure, il racontait avec une émotion pénétrante le spectacle douloureux dont il avait été témoin ; le peuple se pressait autour de lui pour entendre cette parole, d'une si puissante éloquence qu'il semblait, dit un historien des croisades, " qu il y eût eu lui quelque chose de divin. " Tandis que
Pierre l'Ermite excitait ainsi le zèle du peuple, Urbain II avait réuni
un concile à Plaisance ; mais les Italiens perdus dans les agitations de
leurs républiques naissantes, avaient à peine répondu à son appel. Le pape résolut
alors d'invoquer le dévouement de la France, cette nation, à la fois chrétienne
et guerrière, à laquelle à toujours été réservée l'initiative des
grandes entreprises ; et il convoqua, à Clermont en Auvergne, un nouveau
concile, qui fut ouvert le 18 novembre 1095. Cette fois, ses espérances ne furent pas déçues : les prédications de Pierre l'Ermite avaient ému tous les coeurs, ranimé partout le zèle de la religion ; de toutes parts on arrivait à Clermont ; les hommes renommés par leur sainteté et leur science, les prélats, les plus nobles seigneurs de la France s'y étaient rendus ; les princes y avaient envoyé des ambassadeurs : "
de sorte., rapporte un chroniqueur, que vers le milieu de
novembre les villes et villages des environs se trouvèrent remplis de
peuple et furent plusieurs contraints de faire dresser leurs tentes et
pavillons au milieu des champs et des prairies, encore que la saison et le
pays fussent pleins d'extrême froidure." La foule était
telle que l'église ne la pouvait contenir, et la prédication de la première
croisade dut se faire en plein air sur la place spacieuse qui s'ouvrait
devant le parvis de la cathédrale ; un peuple immense la remplissait,
avide d'entendre de la bouche même du chef de l'Église l'ordre d'aller défendre
la foi en Orient : le pape ayant pris place avec ses cardinaux sur
l'estrade qu'on avait élevée pour cette séance du concile, Pierre
l'Ermite parla le premier des misères de l'Orient avec sa passion et son
enthousiasme habituels. Urbain II, se
levant ensuite, adressa aux chrétiens réunis à ses pieds un discours
entrecoupé de pleurs et de sanglots : "C'est du
sang chrétien dit il, racheté par le sang du Christ . qui se verse en
Asie ; c'est de la chair chrétienne de même nature que la chair du
Christ qui est livrée aux bourreaux. Et vous, hommes
de France, nation chérie de Dieu, que vos âmes s'émeuvent au souvenir
de vos ancêtres ! rappelez à votre esprit leurs dangers et leur gloire ;
ils ont sauvé l'Occident de la servitude ! Vous aussi, vous délivrerez
l'Europe et l'Asie. " Alors le pape
retraça en traits énergiques les supplices qu'enduraient les chrétiens
d'Orient, les injures dont on les abreuvait, les persécutions qu'ils
avaient à subir : "Enfin,
ajouta- t- il en terminant, éteignez toute haine, que les querelles se
taisent, que les guerres s'apaisent. Prenez la route
du Saint Sépulcre, arrachez Jérusalem à ses ennemis ; cette cité
royale. située au milieu du monde, vous demande et souhaite sa délivrance.
Prenez donc
cette route en rémission de vos péchés. et partez assurés de la gloire
impérissable qui vous attend." Ce tableau animé
des malheurs de la Terre Sainte, ces accents passionnés excitèrent un
enthousiasme indicible ; des cris de vengeance, de bruyantes acclamations
éclatèrent dans cette foule émue, et, d'une seule voix, l'assemblée s'écria
: Dieu le veut ! Dieu le veut ! Chevaliers, prêtres,
nobles, peuple, femmes, enfants, tous se pressaient aux pieds du pape,
tous demandaient la croix, tous voulaient à l'heure même partir pour Jérusalem. Bientôt
cette ardeur se propagea dans toute l'Europe sur toutes les épaules on
voyait briller la marque du pieux engagement : les hauts barons, les
chevaliers allaient demander aux évêques la bénédiction de leurs armes
et de leurs drapeaux, ils recevaient leur épée humblement agenouillés
devant les prélats, qui leur rappelaient, en la leur remettant, le but de
la sainte expédition : Recevez cette épée, disaient ils, au nom du Père,
du Fils et du Saint Esprit. Servez vous-en
pour le triomphe de la foi ; mais quelle ne répande jamais le sang
innocent. Les seigneurs
engageaient leurs biens ; les pauvres vendaient le peu qu'ils possédaient
pour prendre la croix. Ce fut le signe
de ralliement d'armées saintes, comme cette parole du concile de Clermont
: Dieu le veut ! Devint leur cri de guerre. Les croisades,
ces lointaines expéditions, auxquelles devaient prendre part les plus
illustres princes de l'Europe, étaient commencées ; et si elles ont
apporté quelque gloire au monde du moyen âge, la France en peut fièrement
revendiquer sa part car la première croisade fut prêchée par un moine
français, ouverte en France par un pape français, et le premier
chevalier qui mit le pied sur les remparts de Jérusalem fut un chevalier
de France, Godefroi de Bouillon. Enfin ce fut la
France qui, par son ardeur, son dévouement, donna l'exemple des croisades
et montra le chemin de Jérusalem à toute l'Europe, "si bien, comme le remarque Michaud dans son Histoire des croisades,
qu'on eût dit que les Français n'avaient plus d'autre patrie que la
Terre Sainte, et qu'ils lui devaient le sacrifice de leur repos, de leurs
biens et de leur vie. La première
armée de croisés, multitude confuse où se confondaient tous les âges,
aussi irréfléchie qu'enthousiaste, partit vers le milieu de 1096, sans
attendre que les immenses préparatifs qui se faisaient en France fussent
terminés. Croyant, à
chaque ville forte, à chaque village, apercevoir la cité vers laquelle
ils couraient, et s'écriant, à tous les hameaux: Est-ce là, Jérusalem
? ils traversèrent l'Allemagne dans les transports d'un enthousiasme qui
cependant ne put les sauver d'une ruine complète. Après s'être
attiré, par leur indiscipline, leurs fureurs aveugles, de nombreux échecs
au milieu même de l'Europe chrétienne, les soldats de Pierre l'Ermite,
attaqués à l'improviste dans l'Asie Mineure, sous les murs de Nicée, périrent
presque tous, malgré une vaillante défense, dans leur première bataille
contre les infidèles. Mais, derrière
ces bandes en désordre, l'élite du monde chrétien s'armait, et bientôt
toute la chevalerie de France allait demander compte aux musulmans, sous
les murs même de Jérusalem, des insultes qui depuis si long temps
outrageaient le tombeau du Sauveur du monde. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre 2005 André Cochet Mise sur le Web le novembre 2005 Christian Flages