Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis VI |
Année :1110 |
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Affranchissement des communes.
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L'affranchissement
ou, pour parler plus exactement la formation des communes est la première
protestation du moyen âge contre la dure constitution féodale. Bien des révolutions
différentes, les unes au profit du pouvoir absolu, les autres en faveur
de la liberté, devaient encore s'accomplir avant qu'on atteignit à l'égalité
politique et civile ; mais néanmoins ce fut là le réveil de l'esprit
d'indépendance dans les classes inférieures: ces mouvements tumultueux
indiquent un progrès, annoncent un développement moral et matériel qui
allait se poursuivre durant des siècles. Toutefois on se
tromperait sur le caractère de ces insurrections locales, de ces
affranchissements particuliers de quelques villes, si on les attribuait à
une volonté réfléchie, à une pensée bien nette ; elles naissent un
peu au hasard: le malaise de la servitude, la tyrannie exagérée de
l'autorité féodale les engendrent plutôt que le sentiment d'un droitlégitime.
Le principe
des communes du moyen âge. dit M. Augustin Thierry dans ses
Lettres sur l'histoire de France, l'enthousiasme qui fit braver à leurs
fondateurs tous les dangers et toutes les misères, c'était bien celui de
la liberté mais d'une liberté toute matérielle, sil'on peut s'exprimer
ainsi, la liberté d'aller et de venir, de vendre et d'acheter, d'être maître
chez soi, de laisser son bien à ses enfants. Dans ce premier
besoin d'indépendance qui agitait les hommes au sortir du chaos où le
monde romain avait été comme englouti depuis l'invasion des barbares, c'était
la sûreté personnelle, la sécurité de tous les jours,. la faculté
d'acquérir et de conserver qui étaient le dernier but des efforts et des
voeux. Les effets de
cette cause principale se modifièrent d'après les traditions, les
souvenirs laissés par les divers conquérants sur la vaste étendue de la
Gaule. Ainsi, dans les
états méridionaux, en Provence, en Languedoc, où l'administration
romaine avait laissé de plus profondes traces, que partout ailleurs, les
communes se forment ou plutôt elles se continuent obscurément durant les
invasions et reparaissent fortes et organisées au premier instant de
repos. A peine
l'intervention du pouvoir souverain, des seigneurs apparaît-elle dans la
libre constitution des villes de la Provence, du Languedoc, de l'Aquitaine
; elles ont tout d'abord l'aspect, les moeurs et l'orgueil des républiques
italiennes. Plus tard,
quand ces vastes provinces se soumettent à la royauté française, elles réservent
leurs droits et forcent les conquérants à les respecter. Au nord le
mouvement est plus violent, moins régulier ; les villes conquièrent véritablement
les droits communaux, n'en jouissent que d'une façon incertaine et les
perdent dès que le pouvoir royal se sent assez fort pour les leur
enlever. Cependant les
luttes pour la liberté qui s'accomplissent dans cette France du douzième
siècle, encore si resserrée, fermée de toutes parts par les grands
fiefs féodaux, excitent mieux peut être notre intérêt que les
paisibles établissements du midi. L'influence de
la royauté, ses rapports avec le peuple, dont elle devait faire triompher
la cause, apparaissent pour la première fois dans les insurrections des
villes de Laon, Cambrai, Noyon, Saint Quentin, Soissons, Amiens, Beauvais,
qui tour à tour réclament avec
la charte d'affranchissement ces droits communaux qui, d'après un
chroniqueur contemporain, consistaient seulement à ne payer qu'une fois
l'année au maître les dettes ordinaires de la servitude, à racheter les
délits par une amende, et à demeurer entièrement exempts de toutes
charges et redevances qu'on a coutume d'imposer aux serfs, Pour obtenir
ces biens, qui nous semblent si incontestables aujourd'hui, les habitants trop longtemps
opprimés d'une ville se réunissent dans une église ou sur la place
publique, et font le serment sur les choses saintes de se donner les uns
aux autres foi, force et aide. La Commune est
établie, les conjurés se forment en milice et doivent au premier signal
du beffroi, se rendre en armes sur la place pour la défense de la
commune. Le plus souvent
on achetait au seigneur féodal à prix d'argent la confirmation de
l'association communale, parfois aussi on l'arrachait hardiment les armes
à la main ; successivement les villes recourent à ces deux moyens selon
qu'elles sont ou plus fortes ou plus riches. Alors, et pour
assurer la durée de leur concession, les communes sollicitaient du roi du
souverain, la ratification de la charte accordée par le baron ; mais
cette royale intervention n'avait pas le caractère bienveillant et libéral
qu'on lui à souvent attribué: c'était un acte nécessaire de politique
plus qu'une concession. Le chef à
peine écouté de la France aimait à voir sa protection réclamée contre
la féodalité ; il soutenait volontiers les institutions communales
contre ses vassaux trop puissants. Mais dans les
domaines royaux, où l'autorité du roi s'exerçait directement, les
concessions communales furent rares et accordées seulement aux cités
d'un ordre inférieur. Partout dans le
nord les vicissitudes de ces mouvements populaires furent semblables. Aussi nous
suffira-t-il d'en indiquer l'aspect général en reproduisant, d`après un
chroniqueur, l'insurrection communale de la ville de Laon, une des plus célèbres
conjuration du nord. "En 1110,
le clergé et les grands de la ville offrirent de lui accorder, pour une
somme convenable, de former une commune : nom nouveau et exécrable."
ajoute
l'historien. Le peuple de
Laon, accablé des vexations féodales, accepta le marché qu'on lui
proposait : en l'absence de l'évêque, qui exerçait sur la cité
l'autorité temporelle en même temps que le pouvoir spirituel, ses délégués
accordèrent l'établissement d'une commune semblable celle de Noyon. A son retour l'évêque,
après quelques hésitations, confirma la concession, qui fut encore
ratifiée par le roi Louis VI en retour de riches présents et d'une rente
annuelle que lui offrirent les habitants de Laon. Après avoir
laissé durant trois années une existence paisible à la commune, l'évêque
de Laon, qui avait dissipé les sommes dont elle avait été le prix, et
qui d'ailleurs préférait à l'impôt régulier qu'on lui payait ces
redevances qu'il exigeait selon ses caprices, demanda au roi de détruire
la commune, en lui promettant de payer sept cents livres. Louis VI
accepta, vint à Laon au mois d'avril 1112, révoqua la charte royale et
quitta précipitamment la cité le jeudi saint, prévoyant les troubles
qui allaient éclater. En effet les
bourgeois, accablés de vexations nouvelles malgré les sacrifices qu'ils
avaient faits pour s'en affranchir résolurent de recouvrer leur indépendance
communale. Un parti se
forma, on tint des assemblées secrètes, et quarante personnes jurèrent
de tuer l'évêque et tous ceux des nobles qui avaient avec lui travaillé
à la ruine de la commune. L'évêque fut averti, mais il répondit avec dédain : "Fi donc !moi mourir de la main de pareilles gens !" et il poursuivit ses projets cependant : il n'osa pas se rendre à l'église. Mais le jour de
Pâques, à l'heure de la procession,. craignant d'être accusé de lâcheté,
il se mit en marche accompagné de son clergé, suivi de ses domestiques
et de quelques chevaliers armés sous leurs vêtements. Pendant que le cortège défilait, il s'éleva quelque tumulte du milieu de la foule ; l'un des quarante conjurés, croyant l'instant favorable pour commettre le meurtre, sortit tout à coup de dessous une voûte en s'écriant à plusieurs reprises : Commune, commune ! Le peuple
s'agita, mais ce mouvement mal concerté fut aisément réprimé.
Cependant, loin de se calmer, l'effervescence populaire s'était accrue,
et le jeudi qui suivit Pâques elle éclata dans toute sa violence. Les bourgeois se soulèvent aux cris de commune, commune ! Au moment où
le prélat en pleine sécurité discutait avec un de ses archidiacres sur
de nouvelles mesures, une foule furieuse le vient assiéger dans le palais
épiscopal, s'en empare ainsi que de l'église, massacre l'évêque,
insulte à ses restes, brûle les hôtels de la noblesse et proclame la
commune au milieu des désordres et des excès. Après avoir
satisfait leur vengeance, les bourgeois, saisis de terreur, abandonnèrent
la ville et cherchèrent un refuge clans les châteaux de Thomas de MarIe,
sire de Coucy. Thomas de Marle
et ses protégés furent excommuniés ; et Louis VI s'étant emparé du château
du baron de Marle, fit pendre les conspirateurs, et vint rétablir l'ordre
à Laon. Toutefois les bourgeois ne se découragèrent pas entièrement ; seize ans après cette malheureuse tentative ils obtinrent par la constance de leurs efforts le rétablissement de la commune, mais sous le nom d'institution de paix parce que celui "de commune fut toujours abominable." La commune de
Laon subit encore de nombreuses révolutions et fut définitivement abolie
en1331. Sa destinée
fut celle de la plupart des communes du nord : à peine peut-on regretter
que ces essais prématurés d'indépendance aient échoué, si l'on réfléchit
que leur mauvais succès a sauvé la France d'un morcellement semblable à
celui de l'Italie du moyen âge et qu'il a secondé l'établissement de
notre forte nationalité. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005 André Cochet Mise sur le Web lenovembre2005 Christian Flages