Faits mémorables

 

de l'histoire de

 France.

L. Michelant. 

Souverain :     Louis IX

Année :      1270

Mort de Saint Louis.

 

Vainement, pendant l'espace de deux siècles l'Europe s'était pour ainsi dire précipitée vers la Terre Sainte afin de l'affranchir du joug des infidèles, elle n'avait pu réussir à faire prévaloir sa domination.

Le nombre de villes où flottait l'étendard de la foi diminuait constamment ; et après tant d'efforts on pouvait prévoir l'époque où de ces glorieuses expéditions il ne resterait presque qu'un souvenir, qui lui même s'effacerait sous l'autorité inflexible et fatale des disciples de Mahomet.

Pour sauver la Terre Sainte, il aurait fallu l'enthousiasme qui enflammait les soldats de Godefroid de Bouillon ; mais l'ardeur religieuse se perdait en Europe, et les souverains s'inquiétaient déjà plus d'assurer leur supériorité politique que d écarter les dangers qui menaçaient les chrétiens dans l'Orient.

Un prince cependant avait conservé dans son coeur tout le dévouement, toute la ferveur des premiers temps des croisades ; au milieu de l'indifférence générale, il rêvait encore la délivrance des lieux saints ; la captivité de Mansourah n'avait pas attiédi la foi de Saint Louis, et ses vœux les plus chers l'attiraient incessamment vers Jérusalem.

Aussi lorsqu un jour l'Europe apprit que les dernières villes possédées en Orient par les chrétiens venaient d'être enlevée par Bibars, sultan d'Égypte ; quand on sut qu'Antioche avait été emportée d'assaut par les mamelucks, que dix sept mille chrétiens avaient été massacrés et cent mille envoyés en esclavage, le roi se prépara à une nouvelle croisade, quelque difficile que pût être cette entreprise.

Le 25 mai 1267, jour de l'Ascension, ayant convoqué dans la grande salle du Louvre tous les seigneurs de sa cour, saint Louis paraît au milieu d'eux portant en ses mains la couronne d'épines ; après avoir exposé les nouvelles désastreuses arrivées d'Orient . il annonce la résolution qu'il a prise d'aller venger ces injures et proclame la croisade nouvelle autorisée par le pape.

Vrais serviteurs du Roi des rois, dit il, suivez moi pour laver les affronts qu'endure depuis si longtemps le Sauveur du monde.

Puis aussitôt, le cardinal Raoul de Grosparmy lui remet la croix.

L'entraînement fut général:chacun s'empressa de suivre l'exemple de Louis IX, et un moment on sembla revenu à l'enthousiasme fervent des premières croisades.

Le roi consacra plus de deux années aux préparatifs de son expédition, et durant cet intervalle il réussit à rallier à cette noble cause les princes les plus puissants de l'Europe.

Alphonse de Poitiers et Charles d'Anjou, roi de Sicile, frères du roi; ses trois fils, Philippe, qui devait lui succéder, Jean Tristan,. comte de Nevers, et Pierre, comte d'Alençon; le roi de Navarre; les comtes d'Artois et de Flandre ; Édouard, fils du roi d'Angleterre ; les rois d'Aragon, de Castille et de Portugal, marchaient dans les rangs des croisés conduits par le roi de France.

Avant de quitter Paris, saint Louis avait fait son testament et nommé régents, durant son absence, Matthieu de Vendôme, abbé de Saint Denis, et Simon, comte de Nesle .

Ayant enfin tout réglé à l'intérieur, pourvu autant qu'il l'avait pu au repos et à la sûreté de l'État, le 14 mars1270, saint Louis se rend à l'église de Saint Denis, et. après avoir invoqué l'aide de Dieu, il prend l'oriflamme, le glorieux étendard des rois de France, et reçoit des mains du légat le bourdon, I'écharpe et l'escarcelle, symboles, touchants du pieux pèlerinage.

Le 1er juillet 1270 il s'embarquait à Aigues-Mortes, avec son armée, sur les vaisseaux fournis par l'État de Gênes, et le 18 du même mois il abordait à la plage africaine en face de Tunis.

Saint Louis touchait enfin au but de ses désirs : mais hélas ! Tout d'abord ses pieuses espérances furent déçues. 

Le soudan de Tunis qui lui avait promis un concours actif et lui avait même laissé croire qu'il était disposé à recevoir le baptême manifesta dès son arrivée des intentions bien différentes.

Tous les chrétiens qui résidaient à Tunis furent emprisonnés : et quand on lui rappela ses engagements, le soudan répondit fièrement qu'il viendrait chercher le baptême à la tête de cent mille hommes.

Bientôt un horrible fléau, excité par le manque d'eau et surtout par les mortelles chaleurs de cette saison et les fétides exhalaisons des marais, vint ajouter aux périls qui menaçaient les croisés ; la peste se déclara parmi eux, et s'attaqua sans pitié aux plus humbles soldats comme aux chefs les plus illustres.

Les comtes de Vendôme, de la Marche, de Viane, les sires de Montmorency, de Brissac, de Piennes, d'Apremont, le légat du pape, enfin le plus jeune des fils du roi, Jean, comte de Nevers, succombèrent en quelques jours à cette fatale contagion. 

Mais la constance du roi restait supérieure à ces désastres ; on eût dit presque que cette terrible épreuve avait été envoyée pour faire briller d'un plus vif éclat encore ses grandes qualités et sa foi inébranlable.

Il montrait tout à la fois pour ses soldats, la sollicitude d'un père et la prévoyance du général ; il visitait chaque tente prodiguait ses consolations aux malades, et revenait prier pour eux.

Jusqu'alors il avait déployé des vertus toutes royales, bientôt il donna aux croisés l'exemple de toutes les vertus du martyr.

La peste qui avait fait tant de victimes ne respecta pas la tête du roi de France ; saint Louis fut frappé du mal général ; sa santé languissante fut aisément abattue ;et il vit la mort s'approcher, sans toutefois que sa grande âme fût un moment ébranlée. 

Consoler sa famille, qui entourait son lit de douleur : donner à son fils Philippe de suprêmes recommandations pour le gouvernement du royaume, et prier Dieu, furent les derniers soins du roi de France : quant à son mal, à peine semblait il y songer.

Le 25 août 1270, dès l'approche du jour, les croisés virent abattre les pans du pavillon royal ; et le roi, soutenu par ses chevaliers, pressant une croix sûr son coeur, fut déposé en présence du camp sur un lit couvert de cendres.

La veille déjà on s'était agenouillé devant un cortège solennel composé de prélats, de chapelains en habits sacerdotaux, se dirigeait vers la tente du roi, auquel on portait l'hostie sainte.

Désormais il ne restait plus d'espoir. et la douleur éclatait sur tous les visages ; saint Louis seul conservait in front serein.

Environné de ses filles, de la reine de Navarre, d'Isabelle d'Aragon, de la comtesse de Poitiers de leurs nobles époux, de chevaliers, d'aumôniers, qui tous versaient des larmes abondantes, il se préoccupait encore du salut de son peuple et du sort de cette armée abandonnée sur une terre lointaine. 

"Beau sire Dieu, murmurait-il, aye merci de ce peuple qui ici demeure et m'a suivi sur ce rivage ; oh ! conduis-le en son pays, afin qu'il ne tombe aux mains de ses ennemis et ne soit contraint de renier ton saint nom."

Après ses adieux à sa famille, il avait cédé à un pénible sommeil, avant-coureur du trépas, quand tout d'un coup, à midi, il se réveille en sursaut, s'écriant avec enthousiasme :Jérusalem ! Jérusalem ! nous irons à Jérusalem !

A l'heure de l'éternelle séparation, sa dernière pensée était consacrée à cette ville sainte, dont la délivrance avait été le vœu le plus cher de sa vie. 

Enfin, à trois heures de l'après-midi, au moment où s'échappaient de ses lèvres mourantes ces paroles du psaume : "J'entrerai dans votre maison, Seigneur, et je vous adorerai dans votre saint temple." , saint Louis expira, laissant à la France un nom, glorieux et révéré qui rappelle toutes les vertus des grands rois.

A peine venait‑il de rendre le dernier soupir, que la mer se couvre au loin de mâts, de voiles blanches qui étincellent au soleil, d'étendards fleurdelisés, de banderoles éclatantes; l'air retentit d'une joyeuse musique, le son des clairons, des hautbois, des cors, les brillantes fanfares troublent le deuil des croisés : c'était le roi de Sicile, Charles d'Anjou qui arrivait. 

Surpris du silence profond qui règne dans le camp, il s'élance des premiers sur le rivage, rempli d'inquiétudes : "Comment se porte mon frère ? s'écrie-t-il."

"Jamais vif ne le verrez, " lui répond avec tristesse un homme d'armes. 

A ces mots Charles court à la tente royale, se précipite sur le corps inanimé du roi, l'embrasse à plusieurs reprises, baise ses pieds, ses mains, les inonde de ses larmes, et demeure absorbé dans une religieuse et muette douleur. 

Puis, après ce premier instant consacré aux regrets, il se relève, et reprend avec fermeté : Songeons à l'avenir !

Sous les ordres du roi de Sicile, les croisés obtinrent un avantage décisif, qui rendit plus facile leur retour en Europe. 

Quelque temps après ce cruel événement, la flotte des croisés regagnait les côtes de, France, portant le coeur et les ossements du roi enveloppés d'une fine toile imprégnée de parfums et renfermés dans un coffre précieux. 

Philippe le Hardi, suivi d'un funèbre cortège, accompagna jusqu'à l'église de Saint-Denis ces saintes reliques, que saluait partout sur leur passage la douleur du peuple. 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages