Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Philippe le Bel |
Année : 1303 |
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Querelle de Boniface VIII et de Philippe le Bel. |
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Le besoin d'argent, qui
augmentait à mesure que grandissait l'action du pouvoir royal et que s'étendait
sa dispendieuse administration, fut, sinon l'unique, du moins le
principal mobile de la politique de Philippe le Bel. Cette nécessité pressante,
qui devait décider l'abolition de l'ordre des Templiers, qui cherchait
des ressources dans les impôts nouveaux, dans l'altération des monnaies,
dans l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens, amena la
lutte la plus importante de la fin du treizième siècle, celle dans
laquelle la papauté, jusqu'alors supérieure à toutes les puissances, reçut
une première et violente atteinte. La querelle de Philippe le Bel
contre Boniface VIII, cette réaction énergique du pouvoir temporel contre
l'autorité spirituelle, à laquelle s'intéressent non seulement la
France et l'Italie, mais l'Europe entière, qui en attend I'issue avec une
inquiète impatience, commença par une question d'argent. Philippe le Bel pour continuer
la guerre contre l'Angleterre, voulut soumettre le clergé de France aux
redevances générales ; il
lui demanda de payer I'impôt. Le pape, qui prétendait que
le clergé relevait de sa seule autorité, ordonna de résister aux ordres
du roi de France ; et par une première bulle, "il excommunia tout clerc qui consentirait à payer un impôt
sans l'ordre du saint siége, et tous ceux qui établiraient un pareil impôt,
quels qu'ils fussent. Ce fut l'origine de ce débat,
dont les proportions s'agrandirent bientôt et qu'envenima rapidement le
caractère des deux adversaires. Philippe et Boniface étaient
également hautains, opiniâtres ; le roi de France, fier de son autorité,
prétendait l'exercer sans contrôle
; le pape, énergique et habile, ne voulait pas de son côté
laisser déchoir les privilèges et la suprématie du saint siége. Toutefois, uni par d'ancien
liens à la France, dont l'influence lui avait donné le trône pontifical,
se rappelant avec quelle fidélité la royauté avait défendu en toute
circonstance la cause de l'Église, Boniface VIII essaya d'abord d'obtenir
par la modération et la douceur la réconciliation de Philippe ; mais
celui-ci était offensé trop profondément pour se soumettre. A la bulle pontificale qui défendait
au clergé de consentir à aucune dîme sans l'autorisation du pape,
Philippe répondit en prohibant la sortie hors de son royaume de l'or, de
l'argent, des vivres et des chevaux. C'était frapper indirectement
Rome, qui tirait ses ressources des divers impôts levés sur le clergé
européen ; Boniface VIII
adressa au roi une bulle nouvelle qui se terminait par ces paroles sévères ; "Nous exhortons donc ta sérénité
royale à recevoir avec respect les remèdes que t'offre la main
paternelle et à corriger ton erreur, Conserve notre bienveillance
et celle da saint siége, et ne nous force pas à recourir à des moyens
inusités que nous n'emploierions que malgré nous alors que nous y
serions réduit par la justice." Ce mélange de menaces et d'exhortations amicales ne ramena point Philippe le Bel. Entre les deux souverains les
témoignages d'hostilité se multiplièrent
; les avertissements du pontife devinrent constamment plus sévères,
tandis que le roi de France se maintenait dans ses usurpations. Enfin Boniface envoya à la
cour de France, comme légat, Bernard Saissetti, évêque du diocèse de
Pamiers, formé dans le midi contre la volonté du roi ; c'était mal choisir l'intermédiaire d'une réconciliation.
Saissetti, à la fois par sa
position et par la hauteur inopportune de ses reproches. excita plus
encore la colère de Philippe, qui le fit arrêter et juger par son
conseil. Cet acte décida l'éclat inévitable,
la rupture violente qui se préparait depuis cinq ans entre les cours de
Rome et de France. Le pape adressa à Philippe le
Bel une bulle demeurée célèbre, et qui commence ainsi
; "Ecoute, mon fils, les conseils
d'un père,"
et dans laquelle il expose et incrimine sans ménagement, avec amertume,
l'administration du prince. Le roi, transporté de fureur,
fit brûler l'audacieuse réprimande, fit répandre au lieu de la longue
et éloquente huile, une pièce falsifiée d'une insolence brièvement
injurieuse et une réponse remplie de grossièreté. Cependant la position de
Philippe le Bel devenait difficile ;
le respect pour la papauté se réveillait, on n'était pas habitué à la
voir aussi violemment attaquée, et, sans juger la question, on condamnait
le roi. Alors il rechercha l'appui de la nation et convoqua une assemblée, où les trois ordres de l'État étaient réunis ; ce fut la première réunion des États Généraux. Les
trois ordres s'associèrent à la cause royale, la noblesse et les députés
des villes avec véhémence, le clergé avec une certaine réserve. Le pape de son côté,
assembla un concile à Rome, y exposa ses doctrines, prétendit qu'en
vertu de sa puissance spirituelle il avait droit de veiller sur la
conduite des rois dans l'exercice de leur pouvoir, et fulmina
l'excommunication du roi de France, du petit fils de saint Louis. Celui-ci en appela à un
concile général, pour lequel les barons, les prélats, les villes et les
communautés religieuses lui envoyèrent sept cents adhésions ;
l'Université, toujours traitée avec faveur par la royauté, se déclara
pour elle, et le pape fut publiquement accusé devant les États Généraux
de simonie, d'hérésie et de vices infâmes. A cette attaque Boniface,
renonçant à tout accommodement, laissa tomber sur le roi de France cet
avertissement solennel ; "Que tout le monde le sache,
c'est pour avoir voulu panser la plaie de ses péchés et lui imposer
l'amertume d'une pénitence, qu'il regimbe contre nous et nous charge
d'injures atroces, Si l'on ouvre ce chemin aux princes, la papauté est avilie, Dieu nous garde de donner l'exemple d'une telle lâcheté! Je trancherai le mal dans sa racine." Et le pape prépara contre Philippe le Bel une bulle de déposition qui transférait la couronne à Albert d'Autriche. Le roi fut averti à l'avance,
et il résolut de détourner ce coup en faisant signifier à Boniface son
appel de ses sentences à un concile général. Nogaret, qui dirigeait depuis
la mort du chancelier Flotte le gouvernement du royaume, et Sciarra
Colonna, l'ennemi personnel de Boniface, qui l'avait chassé d'Italie,
furent chargés de cette mission dont on pouvait déjà prévoir l'issue
violente. Boniface, redoutant quelque entreprise de ses ennemis, se tenait renfermé à Agnani, sa ville natale et son séjour habituel, lorsque les envoyés de Philippe le Bel arrivèrent en Italie. Nogaret réunit alors une troupe d'aventuriers de condottieri,
achète des magistrats d'Agnani l'entrée de la ville, et, la veille du
jour où devait être lancée la bulle de déposition, Nogaret, Colonna,
les condottieri qu'ils conduisaient pénètrent dans la résidence de
Boniface aux cris de Meure le pape, vive le roi de France. Et ils marchent sur le palais
pontifical, dont ils brisent les portes. Dans cette extrémité,
Boniface VIII revêt les habits pontificaux, se couvre du manteau de saint
Pierre, se couronne de la tiare, prend les clefs et la crosse, s'assied
dans la chaire apostolique près de l'autel, et, plein de calme et de
fermeté, ce vieillard de quatre vingt six ans attend ses ennemis. Bientôt ils l'entourent,
l'accablent d'outrages, le menacent de leurs armes sans respect ni pour
son âge ni pour sa suprême dignité. "Fils de Satan, lui crie
Colonna avec fureur, cède la tiare que tu as usurpée ! Voilà mon cou,
voilà ma tête, répond le pape ; mais trahi comme Jésus Christ et prêt
à mourir, du moins je mourrai pape." A ces mots Colonna s'approche
du pontife, du chef de la chrétienté ; sa main se lève, et, de son
gantelet de fer, il frappe à la joue le malheureux vieillard. Durant trois jours,. livré à
cette troupe furieuse, le successeur de saint Pierre subit tous les
outrages. Sans la prudence de Nogaret.
Colonna l'eût tué ; mais du moins il humilia profondément son ennemi,
il I'accabla de traitements odieux et la majesté pontificale fut exposée
aux injures publiques. Boniface, couvert de la
pourpre pontificale, monté sur un cheval sans frein fut lâchement traîné,
dit on, par les rues d'Agnani et livré aux railleries de ses ennemis. Enfin le peuple d'Agnani,
revenu de sa stupeur, se soulève, prend les armes et chasse les Français.
Boniface était libre ; mais,
brisé par la douleur, il perdit la raison, et quelques jours après
l'attentat de Nogaret on le trouva tout sanglant mort dans son lit. Le pape, martyr de la toute
puissance pontificale. s'était brisé la tête contre la muraille dans un
transport de délire. L'expédition impie de Nogaret
remplit d'horreur le monde chrétien ; mais personne ne s'arma pour la défense
du saint siége. Bien qu'on en frémit, c'était
une victoire pour tous les souverains de l'Europe, pour tous les chefs
temporels que l'humiliation profonde qu'avait éprouvée le saint siége. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages