Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France.

L. Michelant. 

Souverain :    Philippe VI

Année :   1347

 Dévouement des Citoyens de Calais.

La fortune de la France venait d'être abattue à la fatale journée de Crécv : la noblesse française après avoir vaillamment lutté avait été vaincue par les archers anglais, et tandis que Philippe de Valois regagnait Amiens en toute hâte, accompagné seulement de cinq chevaliers, lui qui commandait naguère à cent mille hommes, Edouard III triomphant allait assiéger Calais.

Un double intérêt l'y poussait,  maîtresse de ce point important, l'Angleterre pouvait à toute heure jeter ses soldats sur la France ; elle pouvait audacieusement pénétrer au coeur même du pays, certaine en cas d'échec d'une retraite assurée.

Puis la rivalité maritime, qui a si souvent armé l'Angleterre, l'irritait encore : les vaisseaux de Calais avaient fréquemment surpris sa marine ; ils avaient causé des dommages infinis à son commerce.

La prospérité et l'orgueil britanniques exigeaient également une réparation.

Aussi l'empressement fut-il unanime pour seconder les projets d'Edouard : toutes les villes maritimes contribuèrent à l'armement d'une  flotte qui barra l'entrée du port de Calais ; et l'armée anglaise ayant investi la place Edouard l'enveloppa, l'emprisonna véritablement dans une autre ville qu'il fit élever autour des murs de Calais.

Ce n'était plus un camp, c'était une cité anglaise avec ses rues ses halles, ses édifices, ses maisons, ses fêtes et ses marchés à jour fixe.

 Le roi d'Angleterre était résolu d'attendre patiemment que la faim obligeât les habitants à se rendre ; rien ne le pressait, rien ne put le décider à s'éloigner : ni une guerre avec les Écossais, ni les préparatifs que faisait le roi de France pour réparer le désastre de Crécy.

De leur côté les habitants de Calais ne montrèrent ni moins de constance, ni moins de fermeté; ils n'ignoraient pas que Philippe, épuisant toutes ses ressources, réunissait une armée pour venir à leur aide, et, pendant une année, ils supportèrent avec un inébranlable courage toutes les rigueurs de ce siège.

Enfin, au delà du camp anglais, on vit reluire les lances des soldats français; on aperçut l'étendard royal, sur lequel étincelaient les fleurs de lys d'or : tous les yeux, depuis si longtemps fatigués de la vue des bannières anglaises, regardaient avidement le drapeau de la France; l'oreille essayait de saisir au loin les fanfares de l'armée de Philippe : pour Calais, cet éclat retentissant du clairon était le signal de la délivrance; du moins on le croyait : mais Édouard avait habilement pris ses mesures ; tous les passages étaient interceptés; sept cent trente huit navires gardaient la mer; les marais formaient d'une part une infranchissable barrière, de l'autre les dunes étaient sous le feu des bombardes anglaises.

Le roi de France voulut d'abord combattre, Édouard évita tout engagement ; Philippe essaya de négocier, on s'y refusa.

Les Calaisiens, qui attendaient avec impatience les résultats de l'arrivée du roi, virent un jour avec un inexprimable désespoir ces bannières, toute cette armée s'éloigner et les abandonner.

Cependant la situation était désespérée : tout manquait dans la ville; on s'était vu forcé de renvoyer cinq cents personnes, femmes, enfants et vieillards, faute de vivres.

Peu de temps auparavant, Jean de Vienne, gouverneur de la ville, avait écrit cette lettre énergique au roi :

"Nous avons pris accord entre nous que, si n'avons bientôt secours, nous sortirons de la ville pour combattre, pour vivre ou pour mourir; car nous aimons mieux mourir honorablement en pleine campagne, que nous manger l'un l'autre."

La détresse était arrivée au dernier point, et tout espoir s'évanouissait; les Calaisiens ne pouvaient même pas mourir l'épée à la main, Edouard, sûr de sa conquête, refusait l'honneur d'une facile victoire, il lui suffisait d'avoir de la patience pour que Calais se rendît.

Enfin, réduits aux dernières extrémités, sans ressources, sans espérances, il fallut que les Calaisiens s'en remissent à la clémence du vainqueur.

Ils proposèrent donc de se rendre moyennant la vie sauve; mais Édouard, irrité de tant de délais, de l'énergie de leur défense, exigea qu'ils se soumissent sans condition, se réservant de disposer de leur vie et de leurs biens à son gré.

Cependant, sur les instances de ses chevaliers, il consentit à pardonner aux Calaisiens pourvu que six  des plus notables d'entre eux vinssent, selon le vieil usage, la tête nue, la corde au cou, lui apporter les clefs de Calais et se remettre à sa discrétion.

Jean de Vienne, qui s'était chargé de cette négociation, aussitôt qu'il en connut la triste issue fit sonner la cloche de la ville, et bientôt toute la population de Calais remplit la place des Halles.

Quand le gouverneur lui eut transmis la rigoureuse décision d'Édouard, une profonde douleur éclata parmi cette foule :

"et tous commencèrent, dit Froissard, l'éloquent historien de ce grand acte de dévouement, à pleurer tellement et si amèrement, qu'il n'est si dur coeur au monde, s'il les eût vus se désoler, qui n'en eût pris pitié."

Tout à coup, du sein de cette agitation, et dominant les sanglots et les cris de désespoir, s'élève une voix : c'était celle d'Eustache de Saint Pierre, le plus riche bourgeois de la cité.

"Grande pitié et grand meschief seroit de laisser mourir un tel peuple, dit le courageux citoyen.

J'ai si grande espérance d'avoir grâce et pardon envers notre Seigneur si je meurs pour sauver ce peuple, que je veux être le premier et me mettrai volontiers en la merci du roi d'Angleterre."

Quand sire Eustache eut dit cette parole, chacun l'alla adorer de pitié et plusieurs hommes et femmes se jetaient à ses pieds, pleurant tendrement.

Le noble exemple qu'il donnait trouva des imitateurs : sire Jean d'Aïre, les deux frères de Wissant, et deux autres citoyens dont les noms sont restés inconnus, mais auxquels la France ne doit pas moins d'admiration, déclarèrent qu'ils voulaient se joindre à sire Eustache, et qu'ils réclamaient comme lui l'honneur de mourir pour sauver Calais.

Quelques heures après, six hommes, couverts seulement d'une grossière chemise, le cou entouré d'une corde, tenant les clefs de la ville et du château franchissaient les murs de Calais, et se dirigeaient vers la tente ou plutôt le palais d'Édouard III. 

Dès qu'on eut annoncé leur arrivée au roi, il sortit pour satisfaire son orgueil de la vue de cette suppliante ambassade.

Les victimes expiatoires présentèrent au vainqueur les clefs de la ville. 

"Alors , continue Froissart , le roi les regarda très ireusement : car il avoit le coeur si dur et si épris de grand courroux, qu'il ne put parler; et, quand il parla, il commanda qu'on leur coupât tantôt les têtes."

Toute la noblesse qui entourait l'inflexible monarque était singulièrement émue à la vue de cette noble misère, de cette ferme résignation.

Gauthier de Mauny tenta même d'intercéder pour les malheureux Calaisiens; Édouard III seul restait insensible.

Messire Gauthier, répondit-il en grinçant les dents, taisez vous, il n'en sera pas autrement; mais, qu'on fasse venir le bourreau.

 Tout effort était inutile; les chevaliers gardèrent le silence, tandis qu'Eustache de Saint Pierre et ses compagnons attendaient leur sort avec calme.

Édouard III se souvenait du temps perdu à vaincre l'obstination de ces bourgeois, des sommes énormes dépensées pour ce siége; il lui fallait une vengeance, tout retour de clémence semblait impossible, quand la douce tendresse d'une femme, de la reine d'Angleterre, vint sauver les Calaisiens de la mort, et l'honneur de son époux d'une inutile cruauté.

Elle arrivait d'Angleterre, du champ de bataille de Newill Cross, où sa présence avait décidé la victoire en faveur des armes d'Édouard; lorsqu'elle apprit la résolution du roi, elle se rendit aussitôt vers lui, tellement troublée qu'à peine pouvait-elle se soutenir, et, tombant à ses genoux :

"Ah! gentil sire, depuis que je repassai la mer en grand péril, je ne vous ai rien requis ni demandé ; or, vous prié-je humblement et requiers que, pour le fils de sainte Marie et l'amour de moi, vouliez avoir de ces six hommes merci."

Le roi attendit un peu à parler, regarda la bonne dame sa femme, qui pleuroit tendrement , et dit :

"Ha, dame ! j'aimasse trop mieux que vous fussiez autre part que cy.

Vous me priez si acertes, que je ne vous le ose refuser.

Et bien que je le fasse à regret, tenez , je vous les donne, si en faites à votre plaisir."

Alors la reine se leva , fit lever les six bourgeois et leur ôta les liens d'entour du cou, les fit revêtir et donner à dîner, et conduire hors du camp en sûreté.

Toutefois, le pardon d'Édouard ne fut pas sans réserve; il chassa de Calais tous les habitants, distribua leurs biens à ses chevaliers, et fit de cette loyale cité, qu'il appelait la clef de la France, une ville Anglaise.

Ce n'est que deux siècles après, en 1558, que se dénoua glorieusement, par la reprise de Calais, cette histoire dramatique, qui relève le grand caractère de la France , au commencement de cette lutte durant laquelle elle devait voir son épée brisée à trois reprises différentes, à Crécy, à Poitiers et à Azincourt.

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages