Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Jean |
Année : 1356 |
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Etats Généraux de 1356. |
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La liberté est d'origine ancienne en France, dès les
premiers temps de notre histoire la nation prend plus ou moins directement
par aux affaires ; si son
intervention s'efface sous les premiers rois de la troisième dynastie,
elle reparaît bientôt avec la convocation des Etats Généraux. Les Mérovingiens avaient eu les grandes réunions militaires
du Champ de Mars ; Charlemagne y avait substitué les assemblées du Champ
de Mai, quand il rétablit les assemblées nationales oubliées durant les
désordres et les guerres qui troublent le règne des derniers Mérovingiens
: les descendants de Hugues Capet renouvelèrent cette tradition en
appelant à eux, dans les circonstances importantes, les États Généraux,
composés des trois ordres de la nation. Philippe le Bel semble le premier avoir cherché un appui
dans la réunion des Etats Généraux à l'occasion de ses débats avec le
pape Boniface VIII, il leur demanda de soutenir la royauté contre la cour
de Rome, de la défendre contre les prétentions de la papauté ; et non
seulement il convoqua la noblesse et le clergé, mais aussi la bourgeoisie
sous le titre de députés des villes. Alors le peuple prend définitivement place dans l'histoire. Mais il faudra encore bien des luttes, bien des combats,
avant qu'il obtienne sa complète émancipation de la dure tutelle qui
l'opprime ; c'est seulement après quatre siècles d'efforts qu'il
arrivera, à la liberté, qu'on proclamera cette parole nouvelle et hardie : Le tiers-état est tout. Les États Généraux, réunis par Philippe le Bel s'assemblèrent
le 10 avril 1302 dans l'église Notre Dame de Paris en présence du roi. Le chancelier Pierre Flotte exposa les entreprises de la cour
de Rome, ses exigences, et demanda au nom du roi que chaque ordre adressât
au saint siège une lettre dans laquelle fût exprimée l'opinion des États.
Philippe le Bel proposa ensuite la guerre contre les
Flandres, réclama de nouveaux impôts, et congédia les États Généraux
après les avoir pour ainsi dire associés à sa cause et s'être affermi
contre Boniface VIII de la grande voix du peuple. Depuis, les Etats Généraux, plus ou moins complets, sont fréquemment
convoqués par les Valois ; Philippe V et Philippe VI leur font consacrer
la légitimité de leurs droits de succession au trône. C'est en 1317 et 1328 que cette représentation nationale,
encore imparfaite sans doute, proclame comme loi fondamentale de l'État
le principe de la loi salique, fondé sur un article du code des anciens
Francs Saliens, ainsi conçu "De la terre salique que nulle portion d'héritage ne
vienne à la femme, mais que l'héritage de toute la terre parvienne au
sexe viril ;" article dont on forçait singulièrement les conséquences pour en conclure l'exclusion des femmes du trône de France. En 1355 le roi Jean réunit les États Généraux et leur fit
d'importantes concessions :
il leur accorda le vote des impôts et la vérification de leur emploi ;
le droit de prise, par lequel on levait des réquisitions forcées de
vivres, de meubles et de charrois pour le service du roi, fut supprimé ;
nul ne devait plus être distrait de ses juges naturels ; toutes entraves
au commerce et à l'agriculture , tous privilèges attribués à certains
officiers de cour furent abolis. Enfin, ces réformes, si elles eussent été durables,
accomplissaient dès le quatorzième siècle l'organisation
constitutionnelle que nous a transmise la révolution. Les États de 1355 et ceux qui suivirent, dit M. de
Chateaubriand, eurent des idées beaucoup plus nettes des droits d'une
nation que le parlement britannique n'en avait alors ; on ne sait où des
bourgeois à peine émancipés, où des prélats et des seigneurs féodaux
avaient pu puiser des notions si claires du gouvernement représentatif au
milieu des préjugés du temps, de, l'obscurité et du chaos des lois
: la promptitude de l'esprit français supplée à l'expérience
des siècles. Les États Généraux de 1355 s'étaient ajournés au mois de
novembre 1356 ; dans l'intervalle des deux réunions, de la session,
pourrait-on dire, les événements augmentèrent encore l'importance de
cette assemblée, qui avait déjà pris si hardiment sa part du pouvoir. Le 19 septembre 1356 le roi Jean avait perdu la funeste
bataille de Poitiers et était demeuré prisonnier aux mains de ses
ennemis ; le jeune dauphin Charles, qui avait quitté le champ du combat
avec une précipitation qui ressemblait à de la lâcheté, accourut à
Paris et convoqua, en qualité de lieutenant-général du royaume, les États
Généraux pour le 17 octobre. La noblesse, entièrement abattue à Poitiers, accablée sous
la honte de cette récente défaite, se tenait à l'écart, et d'ailleurs "il restait en France peu de nobles à qui on pût avoir recours. " On s'adressa au peuple, on demanda à ses représentants de
venir en aide au pays et à la royauté, dont la sûreté et l'indépendance
étaient en péril. Les États Généraux de 1356 réunirent huit cents députés, dont quatre cents étaient envoyés par les villes ; les évêques, les princes du sang, les pairs, assistaient aux séances : ce fut une véritable représentation nationale, qui ne manquait ni de talent, ni d'intelligence, ni d'énergie. Mais, l'heure n'était pas encore arrivée d'une entière révolution
politique, l'unité nationale n'était ni assez forte ni assez profondément
sentie pour que le royaume pût subir sans danger l'épreuve d'une
organisation nouvelle, et on ne peut regretter que l'influence de la
bourgeoisie si puissante un moment se soit perdue dans les mouvements et
les agitations de la commune de Paris. Cependant la bourgeoisie sentait trop bien la force que lui
donnaient les circonstances pour n'en pas profiter, et, conduite par un
homme d'une ferme volonté, d'une grande hardiesse, par Étienne Marcel,
prévôt des marchands de Paris, elle s'empara tout d'abord de la
direction des affaires et usurpa l'autorité royale. Le 17 octobre 1356, le dauphin, lieutenant-général du
royaume, accompagné du chancelier de France, Pierre Laforest, fit
l'ouverture des États Généraux. Le chancelier parla le premier, et, ayant exposé le courage
avec lequel avait combattu le roi, la triste issue de la journée de
Poitiers, il réclama des députés aide et conseil pour la défense et le
gouvernement du royaume ainsi que pour la délivrance du roi. Jean de Craon, archevêque de Reims, au nom du clergé, le
duc d'Orléans, frère du roi, au nom de la noblesse, et Étienne Marcel
pour la bourgeoisie, demandèrent qu'on accordât aux États le temps de délibérer,
et chaque ordre s'assembla séparément pour discuter sur la situation du
pays : puis, afin de donner
de l'unité à leurs opérations, les trois ordres créèrent un comité
de quatre vingts membres, "pour savoir et ordonner comment le royaume de France seroit gouverné, jusques à donc que le roi seroit délivré, et encore plus avant ce que le grand trésor qu'on avoit levé au royaume étoit devenu." Ces paroles de Froissard nous montrent suffisamment quelle était
la puissance de cette commission. Elle refusa d'admettre à ses séances
les conseillers royaux, examina sévèrement tous les comptes, toutes les
dépenses, s'assura des prodigalités de la cour et fit approuver ses décisions
par les États. Jusque là les mandataires de la nation usaient des privilèges
de leur réunion ; mais ils les outrepassèrent bientôt. Ils adressèrent au dauphin d'amères censures au sujet de sa
conduite à la bataille de Poitiers, puis ils exigèrent la destitution de
vingt deux officiers et conseillers du prince. En tête de la liste de proscription se trouvaient les noms
du chancelier de France et du premier président du parlement, Pierre de
Bucy ; les autres appartenaient à des magistrats, à des gens de finance,
à des officiers de la maison royale. Le dauphin promit d'examiner, mais il n'était pas assez fort pour lutter contre ce mouvement : il essaya d'ajourner les décisions ; il quitta même Paris pour aller solliciter l'appui de l'empereur d'Allemagne, Charles IV. Ces détours ne réussirent pas. Les États, redoutant le mauvais vouloir du prince, s'emparèrent
complètement de l'autorité, et, jusqu'à la mort d'Étienne Marcel, qui
était le grand agitateur de ce temps, on peut dire que ce fut véritablement
lui et la commune de Paris qui gouvernèrent la France. Malheureusement, trop préoccupés de réformes politiques à
un moment où le salut de l'État devait dominer tous les autres intérêts,
discutant des théories d'administration quand le prince de Galles, le
fils d'Édouard III, envahissait la
France, les États Généraux ne surent pas accomplir la tâche dont
ils avaient voulu se charger. La royauté, avec ses formes absolues, son unité d'action, était encore nécessaire à la France ; et c'est elle, sous l'habile administration de Charles V, que nous verrons réparer les fautes d'une assemblée qui, malgré ses lumières, son énergie et des intentions libérales, compromit l'indépendance nationale. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages