Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Jean |
Année : 1358 |
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Le Prévôt des marchand et le Dauphin. |
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Les États Généraux
de 1357 poursuivirent hardiment l'oeuvre de réformation commencée en
1355 et 1356. Une
ordonnance rendue par le dauphin avait reconnu la légitimité de leurs
demandes, et bientôt, encouragés par ce succès, ils avancèrent encore
dans la voie où ils étaient entrés. Un conseil
de trente six membres fut institué et gouverna la France sous les
inspirations du prévôt des marchands, Étienne Marcel. Paris, dans
ce mouvement, était devenu une véritable république, dont Marcel était
le chef réel, et dans laquelle le dauphin n'avait plus d'autre privilège
que de promulguer les ordonnances rendues par les États ; afin même
qu'on ne pût se méprendre sur l'origine de ces actes d'administration,
ils étaient précédés de cette formule : "De l'avis de notre grand conseil des États
et des hommes des bonnes villes." Cependant le
jeune prince ne se résignait que difficilement à cette sorte
d'abdication ; il disputait son autorité aux États et cherchait, par
tous les moyens que lui suggérait un esprit adroit et prudent presque
jusqu'à la perfidie, à ressaisir les droits de la royauté. Il
s'entourait d'hommes dévoués, rappelait les anciens ministres qu'on
l'avait obligé de renvoyer en 1356, demandait à son père des
ordonnances qui abolissent celles que lui arrachait la commune de Paris et
excitait secrètement les résistances aux mesures qu'elle ordonnait. Un moment il
se vit assez fort pour congédier les États et dissoudre le conseil des
trente six. Alors il déclara
à Marcel qu'il ne voulait plus de tuteurs et qu'il prétendait gouverner
seul ; mais bientôt il fut contraint de subir de nouveau le gouvernement
populaire. Marcel
reprit son influence, rétablit le conseil, rappela l'assemblée des États,
et, pour donner un chef qui pût imposer au peuple par sa naissance, tira
le roi de Navarre de la prison où Jean l'avait renfermé ; c'était un
acte d'hostilité ouverte contre le dauphin : Charles le Mauvais avait des
prétentions au trône et était l'ennemi déclaré de la royauté. Le jeune
dauphin essaya de défendre l'entrée de Paris au roi de Navarre ; mais le
prévôt des marchands s'emporta et lui dit durement "Faites
amiablement ce qu'on vous requiert, ou il sera fait, que vous vouliez ou
non."
Charles de
Navarre entra triomphant dans la capitale du royaume et harangua aux
Halles la bourgeoisie, dont il reçut les applaudissements ; le dauphin
voulut parler aussi, mais on l'écouta froidement. Dès lors la
lutte recommença entre lui et Étienne Marcel : il parut fréquemment aux
assemblées populaires qui se tenaient chaque jour aux Halles et au Pré
aux Clercs ; il réunit des hommes d'armes, et en même temps chercha à
se faire un parti dans la bourgeoisie. Plus le
dauphin se liait intimement aux hommes qu'il avait tout d'abord soutenus,
aux conseillers qu'il avait choisis, et qu'il protégeait, plus Marcel
s'appuyait sur le peuple. Il lui avait
ouvert en quelque sorte les assemblées publiques, il l'arma ; et, pour
distinguer ses partisans, il leur fit porter des "chaperons ou bonnets my partiz de drap rouge
et pers (bleu), avec cette inscription : A bonne fin, en signe d'alliance
de vivre et morir avec ledit prévost contre toutes personnes." Paris était
rempli d'agitation. Les réunions
tumultueuses, les harangues séditieuses se multipliaient ; la commune,
les échevins de la ville exigeaient toujours davantage, tandis que le
dauphin résistait de tout son pouvoir. Une
collision était imminente ; elle éclata par un incident de médiocre
importance. Un partisan
de Marcel, un changeur appelé Perrin Macé, à qui le dauphin devait le
prix de deux chevaux, tue dans une dispute le trésorier des finances,
Jean Baillet, et se réfugie dans l'église Saint Jacques la Boucherie, en
réclamant le droit d'asile. Sur l'ordre
du dauphin le maréchal de Clermont arrache le coupable de l'église, lui
fait couper le poing et l'envoie au gibet. Le lendemain
Marcel suivait le cercueil de Macé, et le dauphin assistait aux obsèques
de Baillet. Cependant cette violation du privilège de l'Église avait ému
la foule et le clergé : une excommunication est lancée contre les hommes
du dauphin ; le peuple s'anime, se réunit, et, sous les ordres du prévôt,
force l'hôtel royal et pénètre jusqu'à la chambre du prince. Le dauphin,
qui avait à ses côtés ses conseillers habituels, les Maréchaux de
Champagne et de Normandie, reçut les séditieux avec une fermeté
inaccoutumée. Marcel lui
adressa de dures remontrances : "et lui requit moult aigrement, rapporte Froissart, que il voulût entreprendre la paix des besognes du royaume et y mettre conseil, afin que le royaume qui lui devoit parvenir fût si bien gardé, que telles manières de compagnies qui régnoient n'allassent gâtant ni pillant le pays." A ces
reproches injustes, dans un moment où on lui ravissait toute autorité,
le prince répondit hardiment : "Je le ferois volontiers si j'avois de quoi le faire ; mais c'est à celui qui a les droits et profits à avoir aussi la garde du royaume." La discussion ainsi commencée s'aigrit aisément. Le prévôt
éclata : "Monseigneur, dit il, ne vous étonnez de rien
de ce que vous allez voir, il faut qu'il en soit ainsi. Et vous, continua-t-il en s'adressant aux hommes
qui l'avaient accompagnaient, faites vite ce pourquoi vous êtes
venus." A ces mots
des hommes armés se jetèrent sur le maréchal de Champagne et le tuèrent
; puis, poursuivant le maréchal de Normandie dans un cabinet où il s'était
réfugié, ils le massacrèrent également. Le sang de
ses officiers avait rejailli jusque sur les vêtements du dauphin épouvanté.
Se croyant
aussi menacé, il demande à Marcel de le sauver ; celui ci le rassure,
et, pour sauvegarde, lui donne son chaperon aux couleurs populaires et
prend celui du prince. Lui montrant
alors les corps des maréchaux précipités dans la cour du palais : "Ne vous effrayez pas, monseigneur, dit le prévôt au dauphin pénétré d'une douleur et d'un effroi profonds à la vue de ce sanglant spectacle, ce qui s'est fait s'est fait pour éviter de plus grands périls et de la volonté dit peuple." Étienne Marcel resta maître dans Paris ; mais
cette violence, qui gâta sa cause, lui devint fatale et fut sa dernière
victoire. Le dauphin réussit à sortir de la ville rebelle ; il assembla des États Généraux à Compiègne, et affaiblit, en la divisant, l'influence encore incertaine de la représentation nationale. Les paysans
s'étaient, eux aussi, révoltés : la Jacquerie, cette grande sédition
du peuple des campagnes, menaçait à son tour la bourgeoisie. Marcel, pour
dominer Paris, dont les habitants étaient las de se gouverner, rechercha
l'appui des serfs ; mais ils furent ramenés à la soumission, et le prévôt
des marchands vit l'autorité décidément lui échapper : il était
suspect à la bourgeoisie et menacé des violences dont il avait donné
l'exemple. Enfin il
manquait à la fois d'argent, de vivres et de soldats ; lui, autrefois si
populaire, était accusé de tous les revers. Dans cette
extrémité il ne songea plus qu'à sa sûreté : Charles de Navarre avait
été chassé de Paris, Marcel voulut l'y faire rentrer et lui donner le
commandement général. Un traité
fut conclu entre eux ; le prévôt des marchands promit de livrer à
Charles le Mauvais la Porte Saint Denis et la Bastille Saint Antoine dans
la nuit du 31 juillet au 1er août. A l'heure convenue, Marcel se trouvait à la Porte
Saint Denis ; mais il n'y était pas seul. Un échevin, Jean Maillart, qui s'était rallié au
parti du dauphin, soit hasard, soit qu'il eût deviné le dessein du prévôt,
l'attendait avec quelques hommes au rendez-vous de trahison. Dès qu'il l'aperçut : Étienne,
Étienne, dit il, que faites vous ici à cette heure ? "Jean, à vous qu'importe de le savoir ! répond celui-ci, je suis ci pour prendre garde de la ville dont j'ai le gouvernement. Pardieu, reprit Maillart, vous n'êtes ci à cette heure pour nul bien, pour trahir la ville." Marcel
s'avance et dit : "
Vous mentez. Pardieu, traître,
interrompt Maillart, mais vous, vous mentez ;" et, se tournant vers ses gens : "A
mort, crie-t-il, à mort tout homme de son côté, car ils sont traîtres
!" et, avant que le prévôt pût se défendre, il
tombait frappé à mort. Alors les partisans du dauphin parcoururent la
ville, criant : Montjoie Saint Denis
! au roi, au duc !, On était fatigué de troubles, de désordres ;
personne ne défendit la cause de la commune de Paris. Trois jours après cet événement, en même temps
que le roi de Navarre, trompé dans ses espérances, se retirait vers le
midi, le fils du roi Jean, le lieutenant général du royaume, rentrait
dans Paris, et la royauté recouvrait son action pour sauver la France. La mort du
prévôt des marchands fut le dénouement du drame populaire commencé après
la bataille de Poitiers. Étienne
Marcel avait été le défenseur le plus ardent de cette révolution prématurée
entreprise pour la liberté ; c'est lui surtout qui l'avait dirigée : et
quoique'il faille lui reprocher les coupables violences, les excès
auxquels il entraîna son parti ; par les grandes qualités d'esprit, par
l'intelligence, par l'énergie remarquable qu'il déploya en de difficiles
circonstances, Marcel, ce tribun du quatorzième siècle, mérite dans
notre histoire une place importante. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages