Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Charles V. |
Année : 1370 |
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Charles V Remet à du Guesclin l'épée de Connétable. |
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A
la mort du roi Jean, arrivée presque subitement à Londres en 1364, son
fils avait recueilli avec sa couronne le lourd héritage de ses fautes. Lorsque
Charles V monta sur le trône, les conséquences désastreuses de la
bataille de Poitiers, perdue dix années auparavant, pesaient encore de
tout leur poids sur la France ; le traité de Brétigny, l'un des plus désastreux
que le pays ait été forcé de conclure, avait livré à l'Angleterre en
pleine souveraineté, pour les tenir perpétuellement et à toujours, les
principales provinces du midi et du nord, qui formaient avec l'ancienne
Aquitaine un véritable royaume au prince de Galles, fils d'Édouard III,
surnommé le prince Noir. A
l'intérieur, les troubles survenus durant la captivité du roi et la
minorité de son fils n'étaient pas encore calmés
; la Jacquerie, cette terrible révolte du peuple des campagnes,
des paysans contre la féodalité, des opprimés contre les oppresseurs,
était à peine réprimée ;
à Paris la bourgeoisie se rappelait encore le temps où avec Marcel elle
était maîtresse du royaume ; enfin le roi de Navarre, Charles le
Mauvais, ne discontinuait pas ses intrigues et poursuivait le roi Charles
V des attaques qu'il avait dirigées contre le régent de France Charles. Au
moment même ou Jean mourait à Londres, vingt huit bourgeois de Paris étaient
décapités "
pour fait de conspiration, pour la liberté et le roi de Navarre."
Le
roi de France ne s'effraya pas cependant de tant de périls, il accepta la
lutte ; et, dans la situation Ia plus mauvaise où se fût peut être
jamais trouvée la royauté, il conserva tout son sang froid et toute sa
présence d'esprit. Du
fond de l'hôtel Saint Paul, qu'il ne quitta guère, il sut diriger les événements
et recouvrer lentement, à force de persévérance et d'habileté, tout ce
que la guerre lui avait fait perdre. Au
milieu des habitudes guerrières de ce temps, en présence des armées
anglaises qui si souvent poussent leurs invasions jusque sous les murs de
Paris, c'est un spectacle intéressant de cette époque de voir le
successeur du prince impétueux et irréfléchi qui avait succombé si
vaillamment à Poitiers regagner par l'adresse de ses négociations, par
sa patience, ce que son père avait livré par sa témérité. Le
peuple de France, tout en considérant avec quelque mépris la prudente réserve
de Charles V, à laquelle ses rois l'ont si peu accoutumé, demeure
surpris de trouver à la fin sa politique supérieure au courage
entreprenant de ces chefs hardis contre lesquels avait échoué
l'audacieuse valeur de Jean. Toutefois
il ne suffit pas de négocier :
avant de s'éloigner, les Anglais obligèrent Charles V de combattre malgré
ses pacifiques inclinations ; mais, pour la première fois, le roi de
France ne parut pas sur le champ de bataille, et remit à des mains étrangères
l'épée royale. Ce
fut un obscur chevalier breton , un aventurier presque, qui fut choisi
pour servir de son bras l'active pensée qui conduisait les affaires de la
France. Bertrand
Du Guesclin exécuta constamment avec une fidélité et un dévouement
admirables, surtout dans un temps où le gain décidait seul de la foi
militaire, les plans que méditait le roi. La
victoire de Cocherel, remportée sur le captal de Buch, qui commandait les
troupes du roi de Navarre, inaugura heureusement le règne de Charles V. En
se jetant parmi les bataillons ennemi : "Or,
avant, mes amis, s'écria le valeureux Breton, la journée est à nous ;
pour Dieu, vous souvienne que nous avons un nouveau roi en France
: qu'aujourd'hui sa renommée soit étrennée par nous."
Il
tint parole ; et, le jour même de son sacre, Charles V recevait la
nouvelle de ce succès, le premier qui signala les armes de la France
depuis la funeste journée de Poitiers. Le
brillant succès de Cocherel avait affermi la couronne de France sur la tête
du roi ; Du Guesclin entreprit alors de rendre quelque calme au royaume en
le délivrant de ces routiers, de ces Grandes
Compagnies, bandes indisciplinées et avides, que de si longues
guerres y avaient attirées et qui, à défaut de combats, vivaient au
milieu des campagnes de brigandages et de violences. Il
se rendit vers elles et les décida à l'accompagner en Espagne, où il
allait défendre la cause de Henri de Transtamare contre son frère Pierre
le Cruel, roi de Castille. Après
avoir d'abord réussi dans ses desseins, Du Guesclin échoua à la
bataille de Najara devant la fortune du prince Noir
; les Castillans qu'il commandait furent mis en pleine déroute,
lui-même resta prisonnier entre les mains de son heureux adversaire. Rendu
à la liberté au prix d'une rançon que Charles V paya en partie, Du
Guesclin effaça en 1369 le souvenir de sa défaite par la victoire de
Montiel, où don Pedro fut vaincu, et qui plaça sur le trône de Castille
Henri de Transtamare, l'allié du roi de France. Tandis
qu'au midi Du Guesclin assurait l'influence de la France, combattait si
vaillamment pour le protégé de Charles V, éloignait les pillards qui
ruinaient le royaume ; les Anglais pénétraient dans le nord, s'étendaient
jusqu'à Reims et revenaient effrayer Paris de leur présence. Des
hautes tours de Sainte Geneviève, des fenêtres de l'hôtel Saint Paul,
on pouvait apercevoir les flammes et les fumées des villages qu'ils
incendiaient. Trois
armées commandées par les frères du roi tenaient la campagne ; mais
Charles V avait défendu de livrer bataille : il ne voulait plus remettre
les destinées de la couronne aux hasards d'une journée décisive ; il préférait
des attaques partielles, une guerre d'escarmouches, de siéges,
d'embuscades, dans laquelle l'Anglais s'épuisât lentement. Quelque
douleur que lui causât la hardiesse des Anglais, bien qu'il ne les vît
pas sans une haine profonde s'aventurer impunément jusque sous les murs
de la capitale, il attendait, contenant de son impassible main la fougue
de ses chevaliers, leur répétant. "Laissez
les aller et se fouler, ils ne pourront tollir (enlever) mon héritage par
fumières." Enfin, quand il vit les Anglais abattus, épuisés, dispersés, il appela à lui Du Guesclin pour terminer cette guerre ; mais, avant de l'envoyer combattre, il récompensa ses services passés et ses futurs efforts par la remise de l'épée de connétable, "comme
au plus vertueux et fortuné en ses besognes," rapporte
Froissard, qui en ce temps s'armât pour la couronne de France. Le
vaillant capitaine fut reçu à Paris en libérateur ; sur son passage les
rues étaient remplies d'habitants, à toutes les fenêtres on se pressait
pour voir le Chef célèbre, dont la renommée effaçait presque celle du
prince Noir, si longtemps victorieux. Son
nom retentissait bien plus que celui du roi ; on était avide d'applaudir
l'homme dont les succès avaient
rétabli la fortune de la France, le chevalier dont les hardiesses avaient
si souvent étonné l'ennemi. On
racontait des histoires merveilleuses sur Du Guesclin ; on disait qu'à
ses premières années, lorsque sa mère, effrayée du caractère violent
du jeune Breton, de ce "mauvais
garçon, toujours blessé, ou battant ou battu," désespérait d'en faire jamais un chevalier, une pieuse femme lui avait prédit la haute fortune de cet enfant ; on prétendait qu'il descendait d'un roi maure autrefois retiré en Bretagne, qui, chassé de ce pays par Charlemagne, y aurait laissé un fils que celui-ci fit baptiser, et qui devint le chef de cette famille où la France devait trouver un sauveur. Charles
V, environné, de sa cour, attendait Du Guesclin à l'hôtel Saint Paul. Dès
que le vainqueur de Montiel fut en présence du roi, il fléchit le genou
devant son souverain :
celui-ci ne le voulut pas souffrir, et, le relevant aussitôt, il lui dit
qu'il le désirait avec impatience, ayant à la fois besoin de sa tête et
de son épée pour repousser les Anglais, qui faisaient d'étranges
ravages dans tout le royaume ; puis il ajouta que, pour lui donner plus de
courage à se bien acquitter de cette mission, il avait résolu de lui
remettre l'épée de connétable. D'abord
Du Guesclin refusa, "disant qu'il étoit un pauvre homme et de basse venue , qu'il n'oseroit commander aux frères, neveux et cousins du roi." Mais
Charles V. insista avec une fermeté qui ne permettait pas de résister
plus longtemps. En
présence de ses frères, des plus illustres seigneurs de France, le roi
présenta l'épée de connétable à Bertrand Du Guesclin. Le
héros breton reçut avec respect cette distinction, la plus éminente que
pût conférer la royauté ; mais cependant il demanda hardiment au
prince, avant de le quitter : "« que si aucun traître, en son absence, par trahison rapportoit aucun mal de lui, il ne croiroit point le rapport ; ne jà ne lui en feroit pis, jusqu'à ce que les paroles fussent relatées en sa presence." A
cette condition il accepta, puis il partit afin d'aller mériter, mieux
encore qu'il ne l'avait fait, la haute dignité qu'on venait de lui
remettre. Pied à pied il disputa la France aux Anglais, il les repoussa jusqu'à la côte, les obligea de repasser le détroit, et, vers les dernières années du règne de Charles V, ils ne possédaient plus de places importantes dans ce pays, dont ils avaient été les maîtres un instant, que Bayonne, Bordeaux et Calais. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages