Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Charles VI. |
Année : 1419 |
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Entrevue
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Après douze
années de luttes et d'efforts, le duc de Bourgogne était le maître à
Paris ; le duc d'Orléans onze années auparavant avait succombé sous ses
coups, le comte d'Armagnac venait d'être assassiné : Jean Sans Peur
n'avait plus d'adversaire que le dauphin ; il commandait en France, mais
c'était un triste pouvoir que le sien. Sur son
passage on criait, Vive Bourgogne
!, et il était obligé d'assister passivement aux excès des bouchers de
Paris ; il avait accusé les Armagnacs du désastre d'Azincourt et lui-même
n'osait tirer l'épée contre les Anglais, ils s'emparaient de la
Normandie, ils prenaient Rouen, et le duc de Bourgogne se voyait. obligé
de rester paisible spectateur de leurs triomphes. D'abord ils
avaient demandé son appui, maintenant ils l'exigeaient ; et ils lui
faisaient pressentir avec une hauteur insultante qu'au besoin on saurait
traiter sans lui et malgré lui. Dans une
conférence qu'il eut le 5 juin 1419 avec le roi d'Angleterre, Henri V se
montra exigeant et orgueilleux jusqu'à dire au duc de Bourgogne : "Mon cousin, nous voulons que vous sachiez,
que nous aurons la fille de votre roi et tout ce que nous avons demandé
avec elle ; sinon nous le débouterons de son royaume et vous aussi. Sire, répondit
Jean Sans Peur, vous en parlez selon
votre plaisir ; mais avant d'avoir débouté monseigneur et moi hors du
royaume, vous aurez de quoi vous lasser, nous n'en faisons nul doute, et
vous aurez assez à faire de vous garder dans votre île." La réplique
était fière ; mais le duc de Bourgogne comprit dès lors que son propre
salut était lié à celui du royaume, et qu'un rapprochement avec le
dauphin devenait nécessaire : maître pour maître, suzerain pour
suzerain, il préférait encore au roi d'Angleterre le fils de Charles VI. Jean Sans
Peur menacé par l'ambition croissante de Henri V, le dauphin désavoué
par Isabeau de Bavière, sa mère, et abandonné de Paris, du parlement,
de l'université, avait eut également besoin l'un de l'autre : le premier
pour se soustraire à la lourde alliance de l'Angleterre, le second pour
recouvrer son royaume. Des négociations
s'ouvrirent donc entre Charles et l'ancien adversaire des Armagnacs ; mais
la nécessité n'était pas encore assez puissante pour faire taire toutes
les haines et toutes les ambitions. Le duc de
Bourgogne mettait ses secours à haut prix ; les Armagnacs se rappelaient
le meurtre du duc d'Orléans, du chef de leur parti, et redoutaient en même
temps une paix qui devait leur enlever une portion de leur influence. Une première
entrevue eut cependant lieu entre le fils de Charles VI et le duc de
Bourgogne ; le 8 juillet 1419, ils se rencontrèrent à une lieue de
Melun, du côté de Corbeil, sur un ponceau en pierre de la chaussée des
étangs de Vert. Là on avait
dressé un pavillon de feuillage et de branches garni de draperies, d'étoffes
de soie : à chaque extrémité de la chaussée s'élevaient des tentes
pour la suite des princes. Après être
restés ensemble jusqu'à onze heures du soir, ils se retirèrent tous
deux mécontents ; surtout le dauphin, qui n'avait rien pu gagner sur
l'esprit altier du duc de Bourgogne. Deux jours
plus tard ils se revirent au même lieu. Le duc de
Bourgogne, dès qu'il aperçut le dauphin, s'inclina humblement ; celui-ci
lui prit la main et le voulut relever, mais Jean Sans Peur s'y refusa un
instant : "Monseigneur,
dit-il,
je sais comment, je dois vous parler," Ils causèrent
durant quelque temps avec confiance, et cette fois un traité fut signé
entre eux. Cependant,
à mesure que l'accommodement avançait, les partisans du dauphin s'en
irritaient davantage, ils essayaient de ranimer les dissentiments entre
les partis, et la conduite du duc de Bourgogne ne secondait que trop ces méfiances
; bien qu'il eût conclu la paix avec le fils du roi de France, il ne lui
venait guère en aide ; les vassaux de Bourgogne, qui devaient avec les
Armagnacs repousser les Anglais, n'arrivaient point. L'Ile-Adam,
chargé de toute la confiance du duc Jean, s'était laissé enlever, par
un coup de main qui ressemblait à une trahison, la ville de Pontoise
confiée à sa garde. Néanmoins
le dauphin et le duc s'écrivaient avec amitié, et une nouvelle entrevue
fut convenue entre eux ; mais l'heureux accord, la sincérité
d'intentions de leur dernière conférence étaient diminués, les
Armagnacs avaient repris tout leur ascendant sur le dauphin, et la réunion
du pont de Montereau fut précédée d'une vague inquiétude, de secrets
avertissements qui semblaient présager une catastrophe. Toutefois,
malgré les soupçons qu'on voulait lui inspirer, Jean Sans Peur se décida
à aller trouver le dauphin. Tanneguy Duchâtel avait réglé avec le duc tous les détails de l'entrevue ; au milieu du pont de Montereau on avait construit un grand pavillon en charpente, qui n'était point, selon la coutume, divisé par une barrière : on en avait mis seulement aux deux extrémités du pont. Les princes
devaient être accompagnés chacun de dix hommes d'armes, dont ils se
communiquèrent réciproquement les noms ; on se donna des sûretés et on
convint de jurer, par parole de prince, de ne se porter mutuellement ni
mal ni dommage. Tandis qu'on
discutait ces garanties, le valet de chambre du duc vint le trouver en
toute hâte en s'écriant : . "Monseigneur,
avisez à vous-même
sans faute ! vous serez trahi ! pour Dieu, songez-y
! Le lendemain, 10 septembre, au moment où Jean se rendait au pont de Montereau, un de ses serviteurs le supplia encore de prendre garde, lui disant qu'on voyait nombre de gens armés dans les maisons de la ville qui touchaient au pont. Un instant
le duc hésita, il envoya même le sire de Giac examiner les lieux ;
celui‑ci rapporta qu'il n'avait trouvé personne : enfin, entraîné
par le désir de la paix, poussé d'ailleurs par ceux en qui il avait le
plus de confiance, il franchit la barrière. Le sire de Beauveau et Tanneguy Duchatel l'attendaient à l'entrée du pont : Venez
vers monseigneur, il vous attend !, dit Tanneguy. Le duc prêta
son serment, et ajouta en saluant les envoyés du dauphin. "Messieurs, vous voyez comme je viens !" il montra
que lui et ses gens ne portaient qu'une épée et une cotte d'armes ; puis
frappant sur l'épaule de Tanneguy Voici en qui je me fie !,
dit-il, et
aussitôt il pénétra dans le pavillon où le dauphin l'attendait ; la
foule, agitée d'un pressentiment fatal, suivait des deux extrémités du
pont les mouvements des princes, dont les paroles ne pouvaient arriver
jusqu'à elle. On vit Jean
Sans Peur, dès qu'il fut en présence du fils de Charles VI, ôter son
chaperon de velours noir, et s'agenouiller lentement devant le dauphin,
qui lui tendit une main amicale. A peine le
duc de Bourgogne était-il relevé, qu’on aperçut un grand mouvement
dans le pavillon ; on entendit des cris, Alarme, alarme ! tue, tue ! Les
Armagnacs s'étaient précipités sur Jean et le frappaient de leurs
haches et de leurs épées, tandis que Tanneguy Duchâtel, prenant le
jeune dauphin dans ses bras, l'emportait rapidement vers la ville, que les
Armagnacs occupaient ; en même temps les gens du dauphin franchirent la
barrière, traversèrent le pont et tombèrent à l'improviste sur les
Bourguignons, qui s'enfuirent. Peu après
le lieu de l'entrevue était désert, et sur le pont de Montereau il ne
restait que le corps sanglant et inanimé du duc de Bourgogne. Ainsi, dit
M. de Barante dans son Histoire des
dites de Bourgogne, fut vengé
par un crime le crime que douze ans auparavant avait commis le duc de
Bourgogne. Depuis lors
il n'avait pas eu un moment de repos, sa vie avait été livrée à de
continuelles traverses ; son honneur avait reçu sans cesse de nouveaux
affronts, il n'avait connu que méfiance, crainte, irrésolution : le
meurtre qu'il avait commis avait livré le royaume à douze années de désordres
et de guerres civiles, le meurtre commis sur lui donnait la France aux
Anglais. Tant les
crimes des princes devaient causer de maux aux peuples ! L'assassinat
de Jean Sans Peur fut diversement expliqué : d'après les Bourguignons ce
serait une trahison longuement méditée et à laquelle le dauphin
s'associa. Selon un récit
plus favorable à l'honneur du prince, les Bourguignons auraient donné le
signal de la violence : Jean Sans Peur, arrivé en présence du dauphin,
aurait dit qu'on ne pouvait traiter qu'auprès du roi et que tous deux
devaient s'y rendre. Le jeune
Charles reprit doucement "j'irai
à ma volonté et non à la vôtre." Le sire de
Navailles, avec une violence toute méridionale, mettant une main sur son
épée et de l'autre saisissant le dauphin, s'écria : "Que vous le vouliez ou non, vous y viendrez,
monseigneur !" Alors les
Armagnacs, pour défendre le dauphin, auraient frappé le duc, et ses
gens. Quelle que soit la vérité, cet événement causa au dauphin un tort longtemps irréparable : le parti bourguignon se ranima afin de venger son chef, il y eut explosion de haine contre l'héritier de la couronne ; Paris l'abandonna entièrement, et, loin d'être calmée par le meurtre de Jean, la guerre civile se poursuivit avec plus d'ardeur qu'auparavant. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages