Faits mémorables |
||
|
de l'histoire de |
|
France. |
||
L. Michelant. |
Souverain : Louis XI. |
Année : 1468 |
|
||
Entrevue de Péronne. |
||
Quelque jugement que l'on porte sur la politique de Louis XI,
qu'on en blâme les ruses et les détours, qu'on en condamne sévèrement
les inutiles cruautés ; cependant on doit reconnaître les vues élevées
qu'elle renferme, les convictions qui l'animent, et surtout le dévouement
courageux avec lequel, au péril même de sa vie, le roi de France en
poursuivit les résultats. En toute occasion, lorsqu'il le crut utile, il s'engagea de
sa personne, et ce prince dont les méfiances sont devenues célèbres,
qu'on voit habituellement renfermé avec tant de soin au Plessis lès
Tours, s'environnant de gardes, de défenses, se risqua parfois avec une témérité
qui forme un singulier contraste à côté de ses réserves ordinaires. Il semble, il faut le dire, que lorsque le devoir de sa royauté le pousse, quand le succès dépend de son audace, il oublie sa sûreté personnelle : à Montlhéry nous le voyons combattre en soldat, s'exposer sans ménagement ; peu après, à l'entrevue de Péronne, il se livre hardiment à son ennemi, il va seul trouver Charles le Téméraire en se contentant d'une parole pour toute sûreté. Cette visite est sans contredit une des plus importantes époques
de la vie de Louis XI ; il s'y montre avec toutes ses qualités et tous
ses défauts, avec ce courage inébranlable qu'il gardait dans les plus
difficiles situations, cette résolution, cette fermeté qui ne désespéraient
jamais, et aussi avec cette finesse poussée jusqu'à la duplicité, cette
déloyauté, cet abandon de ses engagements qui lui coûtaient si peu. A l'avènement, de Charles le Téméraire au duché de
Bourgogne, la ligue des grands vassaux contre l'autorité royale s'était
reformée en France ; moins redoutable qu'en 1465, mais encore menaçante.
Toutefois Charles, occupé de réprimer le soulèvement des
Flandres et surtout celui de la turbulente cité de Liége, ne put d'abord
donner son appui à l'union des seigneurs, et Louis XI profita
heureusement de ces délais pour la dissoudre soit par la force, soit par
l'adresse de sa politique ; il conclut une trêve avec le duc de Bretagne
et enleva au duc de Berri, son frère, le duché de Normandie, qu'il avait
été obligé de lui céder par le traité de Conflans. De tous ses adversaires il ne lui restait plus que le duc de
Bourgogne, qui, libre enfin, réunissait des troupes à Péronne pour
entrer en France ; mais il n'était plus à craindre, privé des alliés
que l'activité du roi de France lui avait enlevés. Cependant Louis XI, maître d'une belle et forte armée, ne
voulut pas combattre quand il le pouvait avec tant de chances ; entraîné
par les habitudes de son caractère, il aima mieux obtenir par les négociations
ce qu'il pouvait exiger les armes à la main. Confiant dans les ressources de son esprit, dans le charme de
sa conversation toujours caressante et enjouée, il se plaisait à faire
l'épreuve de ces séductions et à remporter des succès par l'insinuante
adresse de son intelligence plutôt que par la force. Sûr donc de lui-même, mécontent de ses négociateurs, il résolut
d'aller traiter en personne d'un accommodement, et sur une lettre du duc
de Bourgogne, malgré les représentations de ses conseillers, il partit
sans escorte et vint trouver son plus ardent ennemi dans ses propres États,
au milieu d'une armée considérable, qui se grossissait de tous les mécontents
français ; il se livra enfin absolument à son adversaire, s'entoura de
ses archers, alla loger dans le château même de Péronne, et ne conserva
avec lui que quelques personnages de distinction. Le duc Charles avait accueilli avec respect son suzerain, les
pourparlers étaient entamés entre lui et le roi, quand on apprit à Péronne
le soulèvement de Liége ; l'évêque prince de Liége, parent du duc de
Bourgogne, était prisonnier, et plusieurs de ses chanoines et de ses gens
avaient été massacrés. A ces fâcheuses nouvelles, la colère de Charles éclata
avec fureur ; tout d'abord il accusa Louis XI de cette révolte. "C'est le roi, dit il, qui a excité ces mauvaises
gens de Liége, mais il aura sujet de s'en repentir. Aussitôt les
portes du château de Péronne furent fermées ; on sépara Louis XI des
siens et on le renferma dans la tour du château, dont la sinistre renommée
ajoutait aux inquiétudes du prisonnier. Six siècles auparavant, en 924, un comte de Vermandois avait
par trahison arrêté le roi Charles le Simple et l'avait retenu jusqu'à
sa mort au château de Péronne ; c'était un fatal exemple, que Charles
pouvait imiter, et, comme si l'on eût voulu avertir Louis XI du sort qui
l'attendait, souvent on lui répétait en lui montrant la prison de
Charles le Simple ; C'est ici qu'est mort un roi de France. Dans les premiers transports de son ressentiment, le duc de
Bourgogne prenait les résolutions les plus extrêmes ; il songea tour à
tour à tuer le roi de France et à le retenir prisonnier. Son esprit ardent, impétueux l'entraînait aux violences ;
et, s'il ne s'y abandonna pas, il le dut aux prudents conseils de Comines,
qui réussit à modérer sa colère. Louis XI était captif, isolé de tout appui, au pouvoir d'un
ennemi offensé ; cependant il ne fut pas découragé : c'est alors qu'il
retrouva pour ainsi dire toute sa prudence, toute son habileté, afin d'échapper
au danger qu'il avait si inutilement cherché. De sa prison, il parvint par ses promesses et ses corruptions
à gagner plusieurs conseillers du duc ; par sa douceur, par son apparente
tranquillité, il calma l'irritation de Charles, et fut rendu à la liberté
en renouvelant le traité de Conflans. Les conséquences de ses succès récents lui étaient
ravies, mais c'était beaucoup de n'avoir plus à craindre pour sa vie ou
pour sa couronne : toutefois il ne put rentrer en France sans s'être
soumis à l'humiliante condition d'aider le duc de Bourgogne à réduire
Liége ; Louis XI y consentit, et, lui qui avait suscité ces
troubles, encouragé les Flamands, marcha contre eux de concert avec leur
maître, aussi calme que s'il eût été étranger à cette révolte. L'armée bourguignonne se dirigea vers Liége ; et le roi s'y
rendit avec le duc de Bourgogne, portant comme lui sur sa poitrine la
croix de Saint André et criant "Vive Bourgogne ! " Les Liégeois furent épouvantés de cette audacieuse défection
; mais Louis XI ne fut pas troublé par leurs malédictions : sa liberté
était au prix de cette trahison ; il n'hésita pas. Le duc de Bourgogne l'observait avec une méfiance profonde,
c'était en quelque sorte à regret qu'il renonçait à se venger, il ne
demandait qu'une occasion de rompre de nouveau avec Louis. Celui- ci soutint son caractère jusqu'au bout, il combattit
sans pitié les rebelles, dirigea les attaques sur quelques points, et
quand Liége, après une résistance pleine de désespoir, subit la
vengeance du duc de Bourgogne, plus horrible dans ses excès que ne
l'avait été l'insurrection, le roi, toujours calme, impassible, cachant
sous un extérieur serein les secrètes agitations de son âme, trouvait
encore la force de féliciter son "bon frère". On reste étonné de cette fermeté d'esprit si lâche en
face du massacre de Liége, si réellement courageuse dans la prison de Péronne
; et, bien qu'on doive énergiquement flétrir cette conduite perfide,
cette conscience facile à se jouer de ses serments, on ne peut véritablement
refuser une certaine admiration à ce génie profond, maître toujours de
lui-même, qui demeure constamment supérieur à sa mauvaise fortune. Louis XI, reconduit jusqu'à la frontière de France par deux
seigneurs bourguignons, rentra dans son royaume lié par un traité : il
s'était engagé à rendre à son frère un apanage, et avait promis de
lui livrer la Champagne. Mais avant de quitter le duc de Bourgogne : "Si d'aventure mon frère qui est en Bretagne, lui avait-il
dit, ne se contentait du partage que je lui baille pour l'amour de vous,
que voudriez vous que je fisse ? S'il ne le veut prendre, répondit brusquement et sans réflexion
le duc de Bourgogne, mais que vous fassiez qu'il soit content, je m'en
rapporte à vous deux." Le roi de France sut profiter de cette ouverture : il réussit
tellement à surprendre les volontés du duc de Berri, qu'en échange de
la Champagne, qui ouvraient la frontière de France à la Bourgogne, il
lui fit accepter la Guienne, où son isolement le laissait sans influence. Dans l'entrevue de Péronne, le caractère de Louis XI se
produit sous ses bons et ses mauvais aspects ; on sait mieux après cela
quelle part d'éloges ou de blâme revient au prince le plus intelligent
certainement de la race des Valois. Il ne faut pas dissimuler les vices de cette nature, non plus
que ses excès ; mais, pour demeurer impartial, on doit se rappeler l'époque
dans laquelle vivait Louis XI, les luttes qu'il dut soutenir ; s'il paraît
plus habile que les princes qui l'entourent, on ne le trouve ni plus cruel
ni plus perfide qu'eux. Les trahisons le rendirent soupçonneux, impitoyable ; ne
pouvant directement arriver au but qu'il se proposait, il employa les voies détournées, les ruses
coupables : mais n'oublions pas que ce but, qu'il poursuivait si
ardemment, et qu'il atteignit, c'était la grandeur et l'unité de la
France. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages