Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XI. |
Année : 1477 |
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Mort de Charles le Téméraire. |
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Il n'est guère de destinées qui soient marquées par de plus éclatants retours, par de plus merveilleux contrastes que celle de Charles le Téméraire. Maître
de ce beau duché de Bourgogne, dont la richesse et la puissance étaient
proverbiales en Europe, roi par l'étendue de son autorité ainsi que par
son influence, sinon par son titre, on peut dire que Charles gâta à
plaisir sa fortune et compromit volontairement, par les excès de son
orgueil, les glorieuses espérances qu'il avait pu concevoir. En
quelques mois, vaincu à la fois par son obstination et par la politique
adroite de Louis XI, il vit s'écrouler le vaste établissement qu'il
avait fondé ; et ce prince, qui s'était égalé aux plus grands de
l'Europe, après avoir à deux reprises échoué contre le rude
patriotisme des paysans suisses, vient mourir misérablement dans un
marais à quelques pas de Nancy, tandis que le duc de Lorraine, cet
adversaire dont Charles le Téméraire avait dédaigné si fort la
jeunesse, entrait en triomphe dans la fidèle cité. Complètement
défait à Granson, où il laissa la plus grande partie de ses trésors,
les étendards bourguignons et un immense matériel au pouvoir de ces
Suisses qu'il trouvait à peine dignes de sa colère, le duc de Bourgogne
persista dans cette guerre et se fit battre de nouveau trois mois plus
tard à Morat. Cette
constance dans les revers n'abattit pas son orgueil, mais l'irrita jusqu'à
le plonger dans un accablement profond qui, pendant près d'un mois, lui
enleva son activité et son énergie habituelle. Il
laissa croître ses cheveux et sa barbe, et se refusa à tous les soins et
à toutes les consolations ; se renfermant dans la solitude et le silence,
pour s'abandonner à la douleur sans qu'aucun témoin vînt blesser sa
fierté. La
nouvelle des succès du duc de Lorraine, qui successivement avait repris
les villes les plus importantes de son duché et qui venait enfin de
chasser les Bourguignons de Nancy, rappela Charles à lui-même ; il
sortit de son isolement, et vint au mois d'octobre 1476 assiéger Nancy
avec six mille hommes. Le
duc René, à son approche, était allé chercher des alliés ; il avait
promis aux Nancéiens d'être bientôt de retour, et ceux-ci, dévoués à
leur légitime souverain, connaissant d'ailleurs les vengeances
implacables du duc de Bourgogne, sa dureté envers ses ennemis vaincus,
opposèrent à Charles une résistance désespérée, et durant deux mois
il s'épuisa en assauts inutiles. Enfin
le duc René arriva devant Nancy dans les premiers jours du mois de
janvier 1477, amenant avec lui une armée de vingt mille hommes en partie
composée des vaillants soldats de Morat et de Granson, avec lesquels René
avait naguère combattu pour l'indépendance de la Suisse, et qui venaient
à leur tour prêter à la Lorraine le secours de leur épée. Tandis
que les troupes du duc de Lorraine arrivaient remplies d'ardeur, pourvues
d'armes et de vivres, les soldats du duc de Bourgogne , fatigués d'un siège
sans résultats, manquant de tout, campés sur une terre glacée, couverte
de neige, n'étaient plus arrêtés dans la désertion que par la volonté
impitoyable de Charles. Lui
seul, insensible aux rudes atteintes de l'hiver, demeurait inébranlable ;
son orgueil ne souffrait aucun conseil et l'aveuglait plus que jamais :
quelque inégales que fussent les conditions d'une bataille, il ne pouvait
supporter la pensée de reculer devant un enfant, devant René de
Vaudemont, qui, au lieu de se montrer digne chevalier, venait à la tête
de cette canaille, disait-il en désignant les Suisses. Aux
avis de ses capitaines qui lui représentaient l'épuisement de son camp,
le découragement de l'armée, l'infériorité de ses forces, la dernière
réponse du duc de Bourgogne fut "Ce
soir nous allons donner l'assaut à la ville, et demain nous aurons la
bataille." L'assaut
ne fut pas plus heureux que les précédents : un immense bûcher enflammé
sur le haut du clocher de Saint Nicolas, à peu de distance de Nancy,
avait annoncé à la courageuse cité la présence du duc de Lorraine, et
les citoyens, certains d'une prochaine délivrance, se défendirent
vigoureusement ; ils firent une sortie, repoussèrent les assaillants et
incendièrent une partie du camp. Il
ne restait plus au duc de Bourgogne que la ressource d'une bataille, et,
quelque désavantageuse que fût sa situation, il s'y résolut et donna
l'ordre d'attaquer. Mais
il agissait plutôt avec la sombre fermeté du désespoir qu'avec la
hardiesse qu'inspire l'espoir du succès. Tout
semblait lui présager une défaite ; ses troupes ne marchaient plus au
combat que par la frayeur des châtiments dont il les menaçait. La
lâche défection du comte de Campo-Basso, qui, à la veille de la
bataille, avait quitté le camp bourguignon pour passer à l'ennemi,
l'avertissait du peu de confiance qu'il pouvait avoir dans le dévouement
de son armée. Charles,
sans renoncer à son dessein, se sentit pénétré de tristes
pressentiments ; son âme, si longtemps habituée aux succès, était
troublée, et, pour la première fois peut-être, il doutait de sa
fortune. Le
matin même de la bataille de Nancy, lorsqu'il voulut mettre son casque,
le lion doré qui en formait le cimier se détacha et tomba : "Hoc
est magnum signum Dei. C'est un grand avertissement de Dieu." ,
dit tristement le prince ; et néanmoins il alla ranger son armée. On
était au 5 janvier 1477 ; le froid était rude ; la neige, qui descendait
lentement en flocons épais, obscurcissait le jour ; à peine les deux armées
pouvaient-elles se voir. Une
décharge de l'artillerie des Bourguignons engagea l'action ; les Suisses,
avant d'y répondre, s'agenouillèrent pour entendre la prière d'un vieux
prêtre de leur pays, qui termina par ces paroles : "Dieu
combattra pour vous ; le Dieu de David, le Dieu des batailles." Après
lui, le duc René, revêtu par-dessus son armure d'un vêtement aux
couleurs de Lorraine, adressa quelques mots à ses soldats : "Mes
enfants, dit-il, puisque l'ennemi est assez téméraire pour nous attendre
et accepter la bataille, il nous en faut tirer une mémorable vengeance." En
quelques heures l'armée du duc de Bourgogne fut mise en pleine déroute :
en vain, entouré de ses meilleurs officiers, de Contai, de Galeotto, de
Chimai , de Rubempré, il fit une héroïque résistance ; il fallut céder
au nombre. La
mort de Galeotto, chef des mercenaires italiens, commença la défaite ; les
lignes furent enfoncées. Tandis
que les Suisses et René à la tête de sa cavalerie chargeaient d'un côté
les Bourguignons, la garnison de Nancy fit une sortie qui acheva de jeter le
désordre dans leurs rangs. Toute
l'armée fut en peu d'instants dispersée. La
poursuite fut terrible ; Lorrains, Allemands, Suisses, tous couraient aux
fuyards et les tuaient sans pitié. Les
uns essayèrent de traverser la Meurthe, les autres s'enfoncèrent dans les
bois ; mais bien peu réussirent à échapper à la mort. Ce
jour même le duc René entra dans Nancy, qui partout était illuminée sur
son passage, et alla dans l'église Saint Georges remercier Dieu de sa
protection. Pendant
qu'il reprenait possession du duché de Lorraine on envoyait de tous côtés
pour savoir ce qu'était devenu le duc de Bourgogne. On
l'avait vu combattre jusqu'à la dernière extrémité ; puis, dans le
tumulte du combat, il avait disparu : était-il fugitif comme à Granson, à
Morat ; était-il mort, on l'ignorait. Enfin,
après deux jours de vaines recherches, on découvrit le corps de Charles le
Téméraire dans le marais Saint Jean, situé à quelque distance de Nancy. Une
pauvre blanchisseuse, en parcourant ce lieu, aperçut au doigt d'un corps
entièrement dépouillé un anneau où brillait une pierre ; elle s'avança
vers ce cadavre, et, le retournant, elle s'écria "Ah, mon prince
!" Ce
cadavre mutilé, perdu sous la glace, c'était le puissant duc de Bourgogne.
On
le reconnut à une cicatrice qu'il avait reçue à Montlhéry, à la
longueur de ses ongles, à l'anneau qu'il portait. Le
corps du duc de Bourgogne, soigneusement lavé, fut porté à Nancy par
quatre gentilshommes. On
le revêtit d'une robe de satin blanc, d'un manteau de satin cramoisi ; sur
son front on posa la couronne ducale, et il fut exposé solennellement dans
l'église Saint Georges. Le
duc René, en venant le saluer, lui prit la main et, les larmes aux yeux, il
dit : "Ah. Cher cousin ! Dieu veuille avoir votre âme ! vous nous avez fait bien des maux et des douleurs !" Puis
il baisa la main qu'il tenait et resta un quart d'heure en prières. La
défaite de Charles le Téméraire ne fut pas un triomphe seulement pour le
duc de Lorraine ; ce fut surtout une victoire pour le roi de France, pour
Louis XI : il l'avait préparée de tous ses efforts, il avait excité les
Suisses contre son redoutable adversaire, il avait aidé le duc René à le
vaincre ; et sa politique, aussi bien que la cause de la Lorraine, l'emporta
sur le champ de bataille de Nancy. La
féodalité en effet avait perdu son chef le plus puissant, le seul qui pût
relever son influence : la royauté absolue restait maîtresse en France. "Oncques puis ne trouva, a dit Comines, le roi de France homme qui osât lever la tête contre lui, ni contredire à son pouvoir."
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Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages