Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XII. |
Année : 1506 |
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Louis XII proclamé père du peuple. Par les Etats Généraux |
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Quoique
Louis XII se soit laissé entraîner avec passion aux guerres d'Italie,
qu'il ait sacrifié tant d'hommes et dépensé tant d'argent à cette conquête
impossible, où vint se heurter pendant plus d'un demi-siècle la fortune
des rois de France, néanmoins la générosité de son caractère, son
affabilité, ses louables intentions, l'impartialité, et la justice de soit
administration lui valurent, malgré les erreurs de sa politique, la sincère
et constante affection de ses sujets. On
aimait le bon roi, et on oubliait volontiers les fautes graves de son
gouvernement pour ne s'attacher qu'à cet heureux naturel qui se sentait si
fort disposé au bien, à la clémence ; on se rappelait cette noble parole
qui inaugura si favorablement le règne de Louis XII : "Ce
n'est pas au roi de France à venger les injures, du duc d'Orléans." Jamais cette généreuse assurance ne s'était démentie ; La Trémouille, qui sous le règne de Charles VIII avait fidèlement et énergiquement combattu l'opposition du duc d'Orléans, fut conservé dans tous ses honneurs et dignités par Louis XII, qui le pria "de
lui être aussi loyal qu'à son prédécesseur." Tous les ministres vieillis au service de Louis XI et de Charles VIII demeurèrent les conseillers du nouveau roi, dont aucun souvenir de haine, de ressentiment, même légitime, ne troubla jamais l'administration. Aussi
Louis XII fut-il toujours regardé comme un excellent roi, par le peuple ;
et le gouvernement intérieur de la France justifia pleinement cette
popularité, que n'altérèrent ni les revers ni les erreurs de sa politique
extérieure. Il
régla la distribution de la justice, exigea des juges une complète Indépendance,
le respect le plus absolu de la loi ; il disciplina les compagnies
militaires, les hommes d'armes ; s'efforça de ne point augmenter les impôts
et protégea avec sollicitude les paysans et l'agriculture. Les
défaites d'au delà les monts, les alliances avec les Borgia, l'imprévoyance
dans les conquêtes, les traités désastreux échappaient au jugement de la
foule, qui ne voyait que les bienfaits assurés directement par la sage
direction des affaires ; on disait ;
"Ce
bon roi maintient la justice et nous fait vivre en paix, il a ôté la
pillerie des gens d'armes et gouverne mieux qu'aucun roi ne fit ; prions
Dieu qu'il lui donne bonne vie et longue." Bientôt
après, sous le règne brillant mais si pesant de François 1er
on se souvint de Louis XII, et on s'écriait en subissant les surcharges
d'impôts et de tailles : "qu'on
nous règle et remette seulement sous le règne de ce bon roi Louis XII." Les
Etats Généraux avaient été réunis à Tours, au commencement du mois de
mai 1506, pour décider sur la validité du traité de Blois, conclu deux
ans auparavant entre la France et l'Autriche, par lequel un projet de
mariage avait été formé entre, Claude, fille aînée de France, et
l'archiduc d'Autriche. La fille de Louis XII devait apporter en dot, seulement après la mort du roi, les duchés de Milan, de Bretagne, Gênes, Asti, Blois et enfin la Bourgogne, si Louis XII mourait sans enfants mâles. C'était,
on le voit, un véritable démembrement du royaume, et cependant ce funeste
traité avait été signé par Louis XII, par François de Valois, héritier
présomptif de la couronne, par plusieurs princes du sang ; mais le roi
reconnût bientôt sa faute, et pour dégager sa parole il en appela à la
nation. Les
États Généraux s'assemblèrent afin de prononcer sur cette imprudente négociation
; mais au moment même où ils refusaient leur consentement au traité de
Blois, ils voulurent racheter pour
ainsi dire leur blâme et témoigner dignement de l'amour du peuple pour
Louis XII en lui décernant le beau titre de Père du peuple. Le
14 mal, le roi, placé, au fond de la salle des États sur un trône,
ouvrait cette solennelle assemblée qu'il appelait à prononcer sur de si
grands intérêts. D'un
côté se tenaient les principaux ministres de Louis XII, le cardinal
d'Amboise, le, cardinal de Narbonne, le chancelier Guy de Rochefort, et auprès
d'eux les évêques et archevêques du royaume ; en face de ceux-ci siégeaient
à la suite du comte d'Angoulême, duc de Valois, héritier direct de la
couronne, les princes du sang, les seigneurs et barons, le premier président
du parlement ; enfin au fond de la vaste enceinte étaient placés les députes
des bonnes villes, qui s'étaient rendus en grand nombre à l'appel
de la royauté. Les
États réunis avaient choisi pour orateur Thomas Bricot, chanoine de Notre
Dame, premier député de Paris, célèbre par son éloquence ; il fut chargé
d'offrir au roi le titre que lui accordait la nation. Lorsqu'il
eut obtenu la parole il commença par un pompeux éloge du roi, il rappela
les bienfaits de son administration "Il
a soulagé, le peuple, dit-il, et diminué d'un tiers les tailles ; les abus
Introduits dans le sanctuaire de la justice ont été supprimés, le
laboureur n'a plus tremblé, a l'aspect du guerrier. Quelles actions de grâces
pouvaient lui rendre des sujets qu'il avait protégés, comment
s'acquitteraient-ils de leurs obligations ? Daignez,
sire, poursuivit l'orateur, accepter le titre de Père du peuple que vos
sujets vous défèrent par ma voix." A
ces mots un mouvement d'attendrissement agite l'assemblée, et bientôt éclatent
les applaudissements et les témoignages de joie. Lorsque
Thomas Bricot put reprendre la parole, après avoir rappelé par quelques
mots touchants la maladie à laquelle le roi avait failli succomber, après
avoir présenté les craintes qui troublèrent alors
la France, il termina en disant : "Puisse,
sire, le suprême Arbitre des destinées prolonger la durée de votre règne
! puisse-t-il, propice à nos voeux, vous donner pour successeur un fils qui
vous ressemble ! Mais,
si ses décrets éternels s'opposent à nos voeux, s'il ne nous juge pas
dignes d'une si grande faveur, adorons sa justice et ne songeons qu'à faire
usage des dons qu'il nous a faits. Sire,
vous voyez devant vous un précieux rejeton du sang des Valois ; formé par
vos conseils et par votre exemple, il promet d'égaler vos aïeux : qu'il
soit l'heureux époux de votre fille, et puisse-t-il retracer à nos yeux
l'image de votre règne !" Ces derniers mots rappelaient l'intérêt important qui avait décidé, la réunion des États Généraux à Tours, la révocation du traité de Blois, et répondaient aux secrètes intentions de Louis XII, qui avait désiré qu'une grande manifestation justifiât la rupture de sa négociation. Toutefois
il ne répondit immédiatement qu'à la première partie du discours de
Thomas Bricot, il n'avait pas entendu sans une profonde émotion l'orateur
des États lui faire un si touchant hommage au nom de la reconnaissance
nationale ; des larmes avaient coulé de ses yeux, et, après un instant de
délibération entre les cardinaux d'Amboise et de Narbonne, le chancelier
se leva par l'ordre du roi et dit à l'assemblée "Messieurs des États, le roi, notre souverain et naturel seigneur, voit avec la plus vive satisfaction à quel point la patrie vous est chère ; il accepte le titre de Père du peuple que vous lui déférez, vous ne pouviez lui faire un don qui lui fût plus agréable." Quant
à la résolution relative au traité de Blois, elle fut ajournée ; mais
elle n'était pas douteuse : dans un conseil extraordinaire, convoqué par
Louis XII et auquel assistaient les principaux chefs du royaume, des
seigneurs, des prélats. les premiers présidents des parlements de Paris de
Rouen, de Bordeaux, on décida que le serment du roi, à son sacre, que le
voeu de la nation liaient invinciblement Louis XII, qu'il pouvait et devait
en toute sûreté de conscience et d'honneur manquer de foi à
l'Autriche ; que tout à la fois l'intérêt et les lois de l'État le
commandaient. Le
19 mai, le roi vient de nouveau à l'assemblée des États ; le chancelier
de France déclare, en son nom, que tous les princes du sang, les barons et
les principaux conseillers du royaume sont d'avis du mariage de madame
Claude de France avec M. le duc de Valois : il invite les députés à
assister, le 21 mal, à la cérémonie des fiançailles. Cette solennité,
en rompant une négociation fatale à la France, termina la session des États
Généraux de 1506. Cette assemblée ne ressembla, dit un historien, à aucune de celles qu'on avait eues jusqu'alors en France : l'orateur était ordinairement chargé de porter au roi les griefs de la nation, d'exposer à ses regards la misère publique ; Bricot, au contraire, ne retrace au monarque que ses bienfaits, et lui paye un tribut excessif de louanges. Le titre de Père du peuple, le plus précieux de tous ceux qu'on ait accordés à un roi, fut confirmé à la fois par toute la nation et demeura à Louis XII jusqu'au dernier jour. Lorsqu'à sa mort on transporta son corps du palais des Tournelles à l'église Notre Dame, le cortège funèbre était précédé d'hommes qui s'écriaient : "le bon roi, Père du peuple, est mort !" et les larmes de la foule répondaient silencieusement à cette douloureuse parole. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages