Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XII. |
Année : 1512 |
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Bataille de Ravenne. |
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Louis XII, en montant sur le trône, se jeta avec passion dans cette grande voie ouverte par Charles VIII vers l'Italie ; il rêva toute sa vie, avec une ardeur égale à celle du jeune fils de Louis XI, la conquête de cette terre privilégiée dont l'Europe se disputait la domination. Non
seulement Louis XII, ainsi que son prédécesseur, revendiqua la couronne de
Naples ; mais il réclama encore au nom de son aïeule, Valentine Visconti,
la souveraineté du duché de Milan, dont la possession était passée aux
Sforce : toutefois le droit du duc d'Orléans était contestable, car
l'empereur Venceslas, en conférant ce duché aux Visconti, en avait exclu
les femmes ; mais les entraînements de l'ambition, l'éclat de ces guerres,
troublaient trop l'imagination du roi de France, pour que son équité
naturelle n'en fût pas obscurcie. Louis
XII inaugura son règne par l'heureuse invasion de la Lombardie, et dès
lors, dans les plus dures extrémités, il ne put se résoudre à abandonner
ses prétentions, à repasser les Alpes. La
conquête de l'Italie fut le but de toute sa vie, le mobile de toute sa
politique ; elle décida de ses alliances et de ses inimitiés. C'est
au delà des monts que se répandit le plus noble sang de la France ; c'est
là que se forment nos grands généraux du seizième siècle et qu'ils vont
chercher leurs premiers triomphes. En
Italie, les destinées de Louis XII furent diverses, parfois heureuses,
souvent contraires. Maître
un instant de Milan et de Naples, il compromit ses succès par l'inhabileté
de sa politique, par les brusques changements de ses alliances, et surtout
par des exigences qui lui firent perdre le fruit de ses premières expéditions.
Ses qualités mêmes tournèrent contre lui : résolu à combattre, il ne voulait pas que ses sujets se ressentissent des charges de la guerre ; et cette économie mal entendue diminua ses avantages. Après
avoir conquis la Lombardie avec l'aide de Venise, Louis XII, redoutant
l'ambition de la république, l'avait subitement délaissée et avait réuni
tous ses ennemis contre elle, dans la ligue, de Cambray, formée en 1508. Quand
le pape Jules II, le plus ardent adversaire du roi de France, qui néanmoins
avait adhéré au traité de Cambray, eut repris sur le Lion de Saint Marc
les villes de la Romagne, il rejeta son apparente amitié, s'unit aux Vénitiens
contre le conquérant du Milanais, et, pour le chasser d'Italie, provoqua
entre le Saint Siége, le roi d'Aragon et Venise une union nouvelle qui prit
le nom de Sainte Ligue, et à laquelle accéda secrètement Henri
VIII, roi d'Angleterre. Par
sa faute, Louis XII se trouva dans une dangereuse situation ; il s'était
aliéné ses plus chers appuis : Venise, par la dernière guerre dirigée
contre elle ; les Suisses, en leur refusant une augmentation de subsides. La
France restait seule devant la moitié de l'Europe, la cause de Louis XII
semblait perdue de l'autre côté des Alpes, quand Gaston de Foix, ce héros
de vingt deux ans qui devait briller d'un si vif et si rapide éclat, releva
notre fortune militaire par son génie et son audace, et vint épouvanter la
Sainte Ligue d'une admirable suite de victoires. Gaston,
à qui Louis XII, son oncle, portait une profonde affection, avait été
nommé gouverneur du Milanais, et commandait l'armée française en
l'absence du roi retenu en France par ses souffrances. La
Ligue avait de toutes parts cerné Gaston de ses soldats ; d'un côté
s'avançaient les Vénitiens, tandis que d'un autre seize mille Suisses
marchaient sur Milan et qu'une armée espagnole assiégeait Bologne. Le
jeune prince ne s'effraie pas du nombre de ses ennemis ; il réunit ses
troupes et commence une campagne dont l'habile stratégie rappelle celle que
Bonaparte déploya sur le même théâtre deux siècles plus tard. Avec
treize cents lances et quatorze mille fantassins, Gaston court à ses
adversaires, les attaque séparément, triomphe successivement, par
d'actives manoeuvres et une audacieuse activité, des Suisses, qu'il force
à reculer, et des Espagnols, qui abandonnent Bologne à son approche ; il
enlève Brescia aux Vénitiens et vient enfin assiéger Ravenne afin
d'attirer vers lui les troupes de
la Sainte Ligue et de l'obliger à une affaire générale. Son
projet réussit selon ses désirs. Le 11 avril 1512, le jour de Pâques,
s'engageait, sous les murs de Ravenne, la célèbre bataille qui devait être
le triomphe du Foudre d'Italie, comme on nommait Gaston. La
défaite des armées italienne et espagnole combinées fut complète. Successivement
rompus par l'artillerie et chargés par la gendarmerie française, les
bataillons ennemis cèdent à l'impétuosité des soldats que commandent
Trivulce, La Palice et Gaston de Foix, qui, couvert de sa riche armure, le
visage fier et assuré, se porte intrépidement partout où éclate le
danger. Enfin,
après huit heures d'une lutte sanglante, la victoire demeure au jeune héros
de l'Italie. La
cavalerie pontificale s'enfuit en désordre ; le vice-roi de Naples, général
des alliés, abandonne le premier le champ de bataille, et bientôt il est
suivi de ses principaux officiers : les vieilles bandes espagnoles, ralliées
par le vaillant Pierre de Navarre, reculent seules en ordre et en protégeant
de leur fermeté la déroute de l'armée italienne. Gaston
était vainqueur, il avait conquis dans cette journée une renommée qui le
plaçait au premier rang des grands capitaines de son temps ; un glorieux
avenir lui paraissait réservé, lorsqu'un mouvement d'imprudente ardeur anéantit
tant d'espérances. Encore
au milieu du champ de bataille, tout couvert de sang et de sueur, il
abandonnait à regret la poursuite des Espagnols ; Bayard le vit alors : "Monseigneur,
lui dit-il, vous avez gagné la bataille et demeurez aujourd'hui le plus
honoré prince du monde ; mais ne tirez plus avant et rassemblez votre
gendarmerie en ce lieu. Le
capitaine Louis d'Ars et moi allons après ces fuyants ; et pour homme
vivant, monsieur, ne départez point d'ici que ledit capitaine et moi ne
vous venions querir. " Le prince se rendait à regret à cet avis, quand il aperçut une troupe d'Espagnols qui se retirait en conservant une ferme contenance ; à cette vue il ne peut résister aux instincts de son courage "Qui
m'aimera si me suive, je ne saurois souffrir cela !" s'écrie-t-il ; et, s'élançant contre cette terrible infanterie, à laquelle il ne veut même pas laisser le mérite d'une retraite honorable, il s'engage sur une étroite chaussée entre un canal profond et un fossé fangeux, et se jette sur les Espagnols, qui, à son approche, s'étaient retournés et lui présentaient le fer de leurs piques. Le malheureux prince ne sait pas reculer, à peine le peut-il d'ailleurs ; il charge avec fureur et le victorieux de Ravenne tombe percé de blessures au sein même de son triomphe. Dès que la nouvelle de cette mort se répandit dans le camp, nos soldats en furent à ce point troublés, disent les mémoires de cette époque, que, si l'ennemi se fût rallié, l'armée française, déjà maîtresse du champ de bataille, était défaite. La Palice prit le commandement de nos troupes, laissa sept à huit mille hommes dans la Romagne, et ramena le. corps du neveu de Louis XIl à Milan, où un triomphe funèbre fut décerné à ces restes héroïques. Dix mille soldats la pique baissée en signe de deuil, le marquis de Pescaire, l'intrépide Pierre de Navarre et avec eux tous les prisonniers faits à Ravenne suivaient le cercueil, devant lequel on portait quarante enseignes et guidons enlevés à l'ennemi. On déposa sous le dôme de la cathédrale de Milan le corps de Gaston, à qui on dressa un glorieux trophée des armes et des drapeaux des vaincus. Cette tombe, que protégeait une si haute renommée, fut lâchement violée quand les revers qui suivirent la mort de Gaston chassèrent les Français de Milan ; le cardinal de Sion fit arracher de son asile sacré le corps du héros, qui fut secrètement transporté dans un couvent. En
1515, François1er vainqueur à Marignan répara cet outrage et consacra à la mémoire
du Foudre d'Italie un magnifique monument. La
douleur de la France lorsqu'elle apprit la mort de Gaston de Foix égala
celle de l'armée d'Italie: la Sainte Ligue était vaincue, ses meilleurs généraux
demeuraient prisonniers, un immense butin et une formidable artillerie
restaient entre nos mains, mais ces avantages étaient encore trop chèrement
achetés : on regretta comme une défaite la victoire de Ravenne, où nos
adversaires avaient perdu, avec douze mille hommes de leurs meilleurs
troupes, leurs bagages et leurs canons. Louis
XII fut longtemps affligé du revers soudain qui avait attristé la journée
de Ravenne : "Dieu nous garde de pareilles victoires ! s'écria-t-il en lisant la lettre de La Palice qui lui annonçait le double résultat de la bataille ; je ne l'ai point gagnée, mais bien perdue." Il
appréciait justement son malheur autant comme roi que comme parent la mort
de Gaston de Foix ramena la fortune du côté de la Sainte Ligue. Bientôt
la défaite de Novarre obligea les Français de repasser les Alpes ; le
Milanais, tant de fois conquis, tant de fois perdu, échappa à Louis XII,
et ce furent les frontières mêmes du royaume qu'il fallut sauver d'une
invasion européenne. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages