Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : François 1er. |
Année : 1520 |
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François I et Léonard de Vinci. |
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La prise de Constantinople en 1454 avait éveillé ou plutôt développé en Italie le goût des arts et des lettres ; les guerres qui, à la fin du quinzième siècle et au commencement du seizième, conduisirent nos armées au delà des Alpes, transmirent à la France cette ardeur pour les chefs d'oeuvre de l'Antiquité, cette passion des beaux-arts qui illustraient alors Rome et Florence. Lorsque les Français pénétrèrent en Italie, ils trouvèrent
une civilisation brillante au sein de laquelle les agitations politiques s'étaient
calmées ; les vieilles républiques, autrefois si libres, si indépendantes,
oubliaient la liberté au milieu de cet enthousiasme intellectuel qui
produisait tant d'admirables travaux. Cette impression ne fut point perdue pour la patrie, et, au
retour de leurs expéditions, Charles VIII, Louis XII et François 1er,
ramenèrent en France le goût des belles choses, la passion des littératures
anciennes. Toutefois cette activité nouvelle des esprits, ce réveil
des intelligences qui s'annonça dès le règne de Louis XII, ne se
manifesta dans tout son éclat que sous son successeur. Les habitudes brillantes, les moeurs chevaleresques,
l'imagination exaltée de François 1er et jusqu'à son penchant
pour les plaisirs, les divertissements de cour, les fêtes secondèrent
merveilleusement le mouvement de la Renaissance. Ces vives prédilections pour les travaux de l'intelligence,
cette sincère admiration des oeuvres du génie font la véritable gloire de
François 1er, presque la seule qu'on ne puisse lui
contester. On lui a reproché, non pas sans raison, ses excessives
prodigalités, la dureté de son administration, la témérité et l'imprévoyance
de ses entreprises militaires, les rigueurs exercées contre les réformés
; mais on ne saurait lui disputer le mérite d'avoir protégé les lettres
et les sciences, d'avoir encouragé les beaux-arts. Il se plaisait à ces nobles occupations, et, dans
l'intervalle de ses guerres et de ses négociations politiques, il y
cherchait volontiers d'utiles loisirs. Autour de lui chacun s'empressait de suivre son exemple et celui de Marguerite de Valois, sa soeur, à qui revient une part légitime des éloges qu'on a adressés à François 1er. Avec Louis XII déjà les arts, protégés par le roi et par
Georges d'Amboise, son ministre, avaient commencé une existence nouvelle. L'architecture surtout avait tenté d'heureuses innovations,
et, unissant avec grâce le style gothique au style grec, elle avait
produit, sous les inspirations de Jean Giocondo, le château de Gaillon et
le palais de justice de Rouen. François 1er, vit ces efforts du goût s'étendre,
ces tentatives se multiplier, et il s'y associa complètement. Il appela à lui les grands artistes de l'Italie ; par ses
ordres s'élevèrent ou s'embellirent, sous la direction intelligente de
Primatice de Bologne, du Florentin. Rosso, les châteaux de Fontainebleau,
de Chambord, de Saint Germain en Laye, de Madrid : on commence alors le
Louvre, et partout la peinture et la sculpture rehaussent de leurs chefs
d'oeuvre les résidences royales. L'influence de ces hommes supérieurs, la volonté de ce
prince éclairé créent l'école française, qui va fournir à
l'architecture Philibert Delorme et Pierre Lescot ; à la sculpture Germain
Pilon, Jean Goujon, Pierre Bontemps. La peinture française compte un nom célèbre, celui de Jean
Cousin, que feront bientôt oublier ceux plus illustres du Poussin et de
Lesueur. Enfin la Renaissance, avec toutes ses magnificences, son
luxe, répand en France ses splendides ouvrages et ouvre à l'imagination
des espaces inattendus. Voilà quelle a été l'oeuvre principale de François 1er,
celle à laquelle il s'est consacré dès les premiers jours de son règne,
et qui, plus qu'il ne le pensait, a placé son nom parmi ceux des grands
rois qui ont gouverné la France. Au retour de son expédition dans le Milanais, que la
victoire de Marignan livra du premier coup à sa fortune, François 1er,
ramena avec lui Léonard de Vinci, l'un des grands maîtres de l'école
florentine. De la part du roi, c'était tout à la fois un hommage rendu
à la peinture italienne et le mouvement d'une généreuse bienveillance. A l'époque où le roi de France parcourait le nord de
l'Italie en vainqueur, Léonard de Vinci, presque sacrifié par Léon X à
la forte jeunesse de Michel Ange, n'habitait plus Rome qu'avec regret. C'est alors que le roi offrit à son génie l'hospitalité de
la France : le Vinci était vieux, on ne pouvait plus espérer de son talent
des travaux considérables ; mais c'était beaucoup d'avoir gagné à l'art
français cette habile direction. Au Louvre on admirait déjà la Joconde, et, lors de son séjour
à Milan, François 1er, voulut à tout prix s'emparer du tableau
de la Cène peint sur muraille dans un couvent de Dominicains ; pour
enrichir sa capitale de cette peinture, si noble par la pensée, si précieuse
par le travail, le roi de France était décidé à ne reculer devant aucune
dépense. L'impossibilité absolue de ravir à Milan ce magnifique
travail sans l'endommager put seule obliger François 1er à
renoncer à son dessein. Mais son admiration s'était encore accrue pour Léonard de
Vinci ; lorsqu'il le reçut à Amboise, il le traita avec un singulier
respect : comme s'il eût voulu mettre au même rang sa propre royauté et
celle qu'avait conquise le génie de l'illustre artiste. Pendant les cinq années que le Vinci vécut en France, il
fut environné d'honneurs, traité avec une générosité royale, accueilli
avec une haute distinction ; parfois on vit le peintre, appuyé sur le bras
du souverain, parcourir avec lui les galeries de Fontainebleau, donnant des
conseils aux artistes qui l'environnaient. Souvent encore, François 1er, presque sans suite,
accompagné, seulement de sa soeur, venait visiter Léonard de Vinci dans le
palais qu'il habitait à Amboise ; il pénétrait dans son atelier, et là
suivait attentivement cette main que l'âge n'avait pas glacée, qui
conduisait encore avec fermeté son pinceau : il aimait la conversation de
cet artiste supérieur, à qui toutes les parties de son art, toutes les
ressources étaient également familières. C'est sous la protection du roi, dans cet asile offert à sa
vieillesse, que Léonard passa paisiblement les dernières années de sa
vie. Vers la fin de 1520, François le visita un jour, selon son
habitude, l'illustre maître italien : Léonard de Vinci, épuisé par l'âge,
par le travail, était étendu mourant sur son lit, entouré d'un clergé
nombreux, environné de ses amis. Après avoir reçu les secours de la religion, le noble
vieillard attendait avec calme l'heure suprême, écoutant de pieux
enseignements. Lorsque François 1er, entra dans la chambre du
malade, celui ci se dressa sur son lit, afin de témoigner plus de respect
au roi de France ; mais cet effort dépassait ses forces et tout à coup il
fut pris d'une convulsion : le prince alors se leva et soutint la tête de Léonard
de Vinci afin d'alléger son mal : "Mais, dit le Vasari, le biographe des peintres
italiens, comme si ce divin artiste eût senti qu'il ne pouvait espérer un
plus grand honneur sur cette terre, il expira dans les bras du roi. Il avait alors soixante quinze ans." Léonard de Vinci n'était en quelque sorte venu en France
que pour y mourir dans les bras de François 1er, à peine avait-il
pu laisser tomber autour de lui quelques précieux conseils ; mais toutefois
sa présence ne fut point inutile. Le spectacle de ses derniers moments donna à l'art français
le juste sentiment de sa dignité ; il comprit mieux sans doute quel rang
lui appartenait en voyant un roi honorer ainsi un grand talent et recueillir
avec vénération le dernier soupir du célèbre Florentin. Léonard de Vinci fut enseveli à Amboise même, où il était
mort, dans l'église de Saint Florentin, avec une pompe digne de l'affection
que lui portait le roi de France. Après la mort de Léonard de Vinci, François 1er,
appela en France le Rosso, dont l'incontestable talent était méconnu en
Italie ; André del Sarte, à qui, lorsqu'il voulut absolument revoir
l'Italie, le roi confia la noble mission d'acheter des tableaux pour les
galeries françaises ; Benvenuto Cellini, cet habile ciseleur dont une énergique
volonté et une puissante imagination firent un grand sculpteur ; tous
furent accueillis par le protecteur de Léonard de Vinci avec une égale
bienveillance : jusqu'à sa mort le Rosso conserva la direction des travaux
de Fontainebleau, résidence préférée de François 1er. En même temps que le Rosso, Primatice vint à Paris ; et après
lui il continua les embellissements de Fontainebleau, où tous les grands maîtres
italiens semblaient devoir écrire leur nom. Ces artistes, que François 1er attira successivement auprès de lui, furent nos premiers maîtres, et c'est pour cela que nous avons voulu conserver le souvenir de leur séjour parmi nous : il n'est pas sans intérêt de voir l'origine de l'école française, qui devait jeter de si vifs éclats ; on se plaît à la trouver unie par des liens si intimes, par un enseignement si direct au beau siècle de la peinture italienne. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages