Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      François 1er.

Année :  1524

 Mort de Bayard.

A la retraite de Romagnano.

Bayard, le Chevalier sans peur et sans reproche, est la dernière de ces héroïques et belles figures du moyen âge qui nous apparaissent comme d'idéales personnifications de la foi, du dévouement et de l'honneur.

Parmi cette société corrompue et élégante du seizième siècle, qui, des souvenirs chevaleresques, n'avait recueilli que les brillantes folies, les témérités aveugles, les galanteries recherchées, les emprises aventureuses, Bayard fut le seul qui se rappela les pures et naïves vertus du passé : il les pratiqua dans toute leur sincérité ; et, s'il appartient par son intrépide courage à la chevalerie, il la rappelle aussi par sa vive piété, par la délicatesse de ses sentiments et par sa loyauté.

Tout concourut à fortifier en Bayard les heureuses dispositions de la nature : sa famille lui avait légué de nobles exemples à suivre, de grandes traditions de dévouement et de valeur à continuer.

 Pour, lui plus que pour tout autre était vraie cette parole, qui fut la devise des illustres maisons,"Noblesse oblige."

Mon enfant, lui disait souvent son oncle, Georges du Terrail, évêque de Grenoble, qui surveilla l'éducation de sa jeunesse, mon enfant, sois noble comme tes ancêtres : comme ton trisaïeul, tué à Poitiers aux pieds du roi Jean ; comme ton bisaïeul, mort à Azincourt ; comme ton aïeul, tué à Montlhéry ; comme ton père enfin, qui fut couvert d'honorables blessures en défendant la patrie.

Bayard ne démentit pas cette valeureuse origine ; sa vie, depuis le jour ou pour la première fois il tira son épée jusqu'à celui où il succomba en protégeant la retraite des soldats français, fut une suite d'actions à la fois éclatantes et modestes.

Aucune circonstance, quelque imprévue, quelque périlleuse qu'elle fût, ne surprit ni son courage ni sa vertu ; il savait unir à l'amour de la patrie l'amour de ses devoirs, et jamais, à aucun intérêt, à aucun profit, il ne consentit à sacrifier les droites impressions de sa conscience.

Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, né en 1476 au château de Bayard dans le Dauphiné, après avoir passé auprès de l'évêque de Grenoble ses premières années entra parmi les pages du duc de Savoie, alors l'allié de la France.

Dans une entrevue que le duc de Savoie eut à Lyon avec Charles VIII, le roi remarqua l'adresse, la fierté naturelle de Bayard et l'attacha à sa personne.

A partir de cette époque Bayard se dévoua tout entier au service de la France, rien ne put le détourner de cette voie ; successivement sous Charles VIII, sous Louis XII et sous François 1er, il combattit en Flandre, en Italie, avec le drapeau fleurdelisé.

Lorsqu'il eut atteint cette haute renommée qui a donné tant d'éclat à son nom, les adversaires de la France essayèrent d'obtenir l'appui de sa vaillante épée ; ils demandèrent au Chevalier sans peur et sans reproche de rompre ses serments et de passer dans les rangs étrangers.

"Je n'ai, répondit Bayard à ces offres injurieuses, qu'un maître au ciel, Dieu ; qu'un maître sur la terre, le roi de France : je n'en servirai jamais d'autres."

Il fut un des héros de ces grandes guerres d'Italie qui eurent sur les destinées de la France une si considérable influence.

A dix huit ans il prenait part à la glorieuse journée de Fornoue : c'était la première fois qu'il se trouvait à une grande bataille, et il s'y montra digne du nom qu'il portait ; il eut deux chevaux tués sous lui et enleva un étendard aux ennemis.

Depuis il assista aux victoires d'Agnadel, de Ravenne, de Marignan ; et chaque fois, entre tant de chefs illustres, à côté de La Trémouille, de La Palisse, de Longueville, de Chabannes, de Saint Pol, de Trivulce, il se distinguait par ce mélange de bravoure, de prudence et d'humanité qui le rendait si terrible dans l'action, si généreux après le combat.

Plus heureux que le connétable de Bourbon, Bayard termina sa carrière comme il l'avait commencée, avec gloire, avec honneur ; il mourut fidèle à la France, en protégeant de sa personne la vie de ses soldats et en défendant les intérêts de sa patrie et de son roi.

En 1523, une ligue s'était formée contre la France par l'habile politique de Charles Quint, et François 1er, avait à combattre au même moment le pape, le roi d'Angleterre, l'empereur d'Allemagne Charles Quint et les états italiens de Florence, de Venise et de Gênes réunis contre lui.

La trahison imprévue du connétable de Bourbon ajoutait encore aux embarras de la situation, et une lutte pleine de désavantages pour François 1ers'engagea entre l'Europe d'une part et la France de l'autre.

L'amiral Bonnivet, chef de l'armée d'Italie, après une tentative malheureuse sur Milan reculait devant le marquis de Pescaire et le duc de Bourbon, auxquels ses lenteurs avaient permis de se rejoindre ; blessé en essayant de réparer ses fautes, il chargea Bayard de diriger la difficile retraite de Romagnano et lui laissa le commandement de l'arrière garde.

Bayard avait eu, au début de la campagne, à subir les dédains de Bonnivet ; abandonné dans Rebec avec quelques compagnies, il avait failli succomber devant les Impériaux, et, lorsqu'il eut réussi à leur échapper, il adressa au général qui avait ainsi compromis ses soldats de légitimes reproches.

La hauteur avec laquelle Bonnivet les accueillit aigrit la discussion, et jeta entre lui et Bayard une froideur dont la modération de celui-ci put seule arrêter les suites.

Quand l'amiral eut recours à son courage, Bayard jugea que l'heure des querelles était passée ; il oublia ses ressentiments et accepta la périlleuse mission dont on le chargeait.

"Il est bien tard pour remédier au mal, répondit il au présomptueux général ; mais, n'importe, mon âme est à Dieu, ma vie à l'État : je vous promets de sauver l'armée aux dépens de mes jours."

Il tint parole toujours à l'arrière garde, il contenait la poursuite des Espagnols par la fierté de son attitude.

"Assuré comme s'il eût été en sa maison, raconte Loyal Serviteur son biographe, il faisoit marcher les gens d'armes et se retiroit toujours le visage droit aux ennemis et l'épée au poing, leur donnant plus de crainte qu'un cent d'autres."

Bayard marcha, ainsi sans désordre, maintenant les rangs de ses soldats malgré les coups des arquebusiers qui s'étaient jetés aux côtés du chemin qu'il suivait.

Il poursuivait sa retraite avec calme, avec une admirable fermeté, en face de l'armée espagnole, quand, le 30 avril 1524, vers dix heures du matin,

"comme Dieu le voulut permettre, continue Loyal Serviteur, fut tiré un coup de arquebuse dont la pierre le vint frapper au travers des reins, et lui rompit tout le gros os de l'échine."

Quand il sentit le coup, se prit à crier : Jésus !, et puis il dit : Hélas, mon Dieu.! je suis mort.

Et devint incontinent tout blême, comme failli des esprits, et pensa tomber. ; mais il eut encore le coeur de prendre l'arçon de sa selle, et demeura debout jusques à ce que un jeune gentilhomme, son maître d'hôtel, lui aida à descendre et le mit sous un arbre."

Étendu, sans force, au pied d'un arbre, entre ses soldats qui fuyaient et les ennemis qui s'avançaient, Bayard ne se troubla pas, il ne perdit pas sa fermeté : mais dès lors sa pensée ne s'arrêta plus que sur Dieu et sur le salut de ses gens.

N'ayant pas de croix, il baise pieusement celle que forme la poignée de son épée en murmurant : "Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon votre infinie miséricorde !,"

puis, dans la naïve expression de sa piété, il prend son écuyer pour écouter l'aveu de ses fautes.

Ces derniers devoirs accomplis, il console ceux qui l'entourent et leur ordonne de s'éloigner pour échapper à l'ennemi.

Alors le héros de cette époque, Bayard, le Chevalier sans peur, attend seul et avec calme que la mort abrège ses souffrances.

Le marquis de Pescaire, dès qu'il apprit que Bayard avait été blessé, accourut à son secours et voulut saluer une dernière fois ce glorieux adversaire ; le connétable de Bourbon, qui avait autrefois combattu en tant de brillantes affaires à côté du Chevalier sans peur et sans reproche, vint pour adresser un dernier adieu à son ancien compagnon d'armes.

Il le trouva encore appuyé à l'arbre sous lequel on l'avait placé, le visage tourné vers l'ennemi ; et comme il lui disait quelle pitié lui inspirait l'état d'un si vertueux chevalier :

"Monsieur, lui répondit Bayard, il n'y a point de pitié en moi, car je meurs en homme de bien ; mais j'ai pitié de vous, de vous voir servir contre votre prince, votre patrie, votre serment."

Bayard fut le dernier reflet du monde chevaleresque ; après lui disparaissent pour toujours ces vertus d'un ordre supérieur, cette foi vive, ce courage dévoué et modeste, cette pureté de coeur, qui jetèrent un si touchant éclat sur ces hommes aux croyances sincères, à l'ardeur invincible, qui plaçaient en Dieu et en leur épée leur confiance et leur force.

 

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages