Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : François 1er. |
Année : 1540 |
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Charles Quint en France. |
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Appelé
dans les Pays Bas par la révolte de Gand, cette turbulente cité qui,
constamment et sous tous ses maîtres, avait donné à la Flandre l'exemple
de l'insurrection, Charles Quint dut choisir entre trois voies également périlleuses
: il lui fallait remonter par mer jusqu'aux ports des Pays Bas, ou traverser
l'Allemagne ou la France. Ces
routes diverses lui présentaient toutes quelques dangers : par mer, il
avait à craindre la rencontre des vaisseaux anglais depuis que ses
relations amicales avaient été rompues avec Henri VIII, à la suite du
divorce du roi d'Angleterre et de Catherine d'Aragon, et, s'il leur échappait,
à peine pouvait-il espérer d'aborder les côtes de la Flandre armée
contre lui ; en Allemagne, la ligne des princes protestants devait considérablement
ralentir sa marche et donner aux rebelles le temps de se faire des alliés ;
enfin, en France, il craignait le ressentiment de François 1er
s'Il se risquait dans ce royaume auquel il avait fait une guerre si acharnée
et si longue ; il redoutait que son adversaire ne se laissât entraîner à
quelque retour de colère et ne lui fit payer de sa liberté ses anciens
outrages. La
paix, il est vrai, avait été signée entre les deux rivaux ; ils s'étaient
même rencontrés à Aigues Mortes, et dans cette entrevue François 1er,
avait montré sans réserve cette franchise d'accueil et, si on peut le
dire, cette loyauté bienveillante qui lui étaient habituelles. Le
premier il était allé visiter l'empereur d'Allemagne, il avait rompu
l'hostie avec lui et au moment de le quitter : "Mon frère, avait il dit à Charles Quint, qui déjà était son hôte, je veux et entends que, au pays où vous êtes, vous y ayez autant de puissance que si vous étiez en votre pays d'Espagne ou de Flandre, et qu'en ce que vous commanderez soyez obéi comme moi même ; et, en signe de ce, voilà ce que je vous donne." Et
il lui avait présenté un diamant d'un haut prix monté sur un anneau d'or,
avec ces paroles : Dilectionis testis et exemplum. Témoignage et preuve
d'amitié. Les
deux souverains avaient encore échangé leurs ordres. Pour
le remercier de la bague qu'il lui offrait, Charles Quint passa le collier
de la Toison d'Or au col de François 1er, en lui répondant
gracieusement : "Mon frère, je n'ai rien à présent pour me revenger de ce présent si ce n'est ceci." Le
roi de France accepta et remit à son frère l'ordre de Saint Michel. Cette
première rencontre avec son ancien ennemi eût dû peut être inspirer à
Charles Quint quelque confiance ; mais son âme, remplie de ruses et de détours,
ne pouvait croire que difficilement à la loyauté de ses adversaires. Cependant
il fallait qu'il se décidât ; les délais chaque jour augmentaient les périls
de l'insurrection de Gand. Enfin son orgueil, le désir de venger l'atteinte portée à son autorité, surmontèrent ses hésitations, et, tout à la fois pressé par la nécessité et comptant sur la générosité chevaleresque de François 1er, sur cette foi de gentilhomme dont le roi de France attestait ses engagements, sur son honneur supérieur même à ses intérêts apparents, Charles Quint demanda au roi le passage à travers la France pour se rendre dans les Pays-Bas, offrant de donner à l'un des fils de François 1er l'investiture du Milanais. Ces
propositions furent acceptées ; toutefois les souverains, sans se lier par
un traité, échangèrent simplement leur royale parole : pour preuve de sa
sincérité, François 1er, sollicité par les Gantois de leur
donner son appui, refusa de les soutenir et fit même connaître leurs
offres à Charles Quint. Tant
de témoignages rassurèrent complètement l'empereur : à la fin du mois de
décembre il entrait en France par Bayonne, où les deux fils du roi le
recevaient à son arrivée et se remettaient entre ses mains comme des
otages accordés à sa sûreté ; mais l'empereur ne voulut pas accepter
cette garantie. Lorsqu'on
lui présenta le dauphin et le duc d'Orléans "Je les accepte, dit il, non pour les envoyer en Espagne me servir d'otages, mais pour les retenir auprès de moi comme compagnons." Et
il poursuivit sa route ramenant les deux jeunes princes à leur père. Partout
on lui rendit les honneurs souverains
; il fut traité comme l'eût été le roi, à qui on n'eût pu rendre plus
d'hommages et de respects. A
Châtellerault, où il parvint au commencement du mois de janvier 1540,
l'empereur d'Allemagne fut reçu
avec, magnificence par le roi de France lui même. On
se dirigea ensuite vers Amboise, où, pour lui donner plus d'éclat, la réception
de Charles Quint se fit la nuit à la clarté des flambeaux ; la tour par
laquelle on entra au château était revêtue de riches tapisseries, de
fleurs et de feuillages ; toute cette cour élégante de François 1",
célèbre par tant de beauté, de grâces et d'esprit, se pressait depuis
les portes du château jusqu'aux riches appartements de l'hôte du roi. En
quittant Amboise, Charles Quint accompagné de François 1er, et
tous deux suivis d'un splendide cortège formé de la plus illustre noblesse
d'Espagne et de France, traversa successivement Blois, Orléans, et arriva
à Fontainebleau, où les fêtes les plus brillantes et les plus ingénieuses
furent offertes au noble voyageur. De
cette retraite, que les rois appelaient autrefois dans leurs lettres et
leurs ordonnances "
nos déserts de Fontainebleau," François
1er avait fait une magnifique résidence décorée par les
pinceaux de Primatice, du Rosso, ornée de toutes les recherches de
sculpture et d'architecture, de tout le luxe qui caractérisent la brillante
époque de la Renaissance. A
Fontainebleau, tous les plaisirs qui se peuvent inventer se succédèrent
pour Charles Quint ; les somptueux festins, les réunions charmantes, les
tournois, les chasses animées formèrent les nobles loisirs des deux
princes. C'est
à Fontainebleau que la belle duchesse d'Étampes fut présentée à
l'empereur par François 1er "Voyez vous cette belle dame
! elle me conseille de me point vous laisser partir d'ici que vous n'avez
avez révoqué le traité de Madrid," dit
le roi en souriant. "Eh
bien, si l'avis est bon, il le faut suivre," répliqua Charles en
conservant tout son calme. Mais
quelques jours après, pour se rendre favorable le conseiller dangereux, il
offrait à la maîtresse du roi de France un diamant magnifique, à
l'instant où celle ci, avant un repas, lui présentait, selon l'usage,
l'aiguière et la serviette pour se laver les mains. Cependant
Charles Quint n'était pas entièrement rassuré, il craignait que François
1er, cédant enfin aux avis qu'on lui donnait, ne mît sa liberté
au prix de la cession du Milanais. S'il
faut en croire les mémoires, ces appréhensions de l'empereur d'Allemagne
n'étaient pas absolument vaines ; si François 1er ne songea pas
à abuser de la confiance de Charles Quint, le dauphin, son fils, dit-on,
aurait concerté avec le roi de Navarre et le duc de Vendôme le projet
d'arrêter l'empereur à Chantilly, et de ne lui laisser poursuivre son
voyage qu'après la promesse formelle de l'investiture du Milanais. Les
remontrances du connétable de Montmorency ne le détournèrent même que
difficilement de ce dessein. Un
jour une plaisanterie laissa peut être deviner à Charles Quint cette secrète
résolution : à une chasse dans les bois de Fontainebleau, où le dauphin
l'accompagnait, ce jeune prince sauta avec agilité sur la croupe de son
cheval, et l'étreignant avec force : Votre Majesté impériale est mon
prisonnier !, s'écria t il en souriant. Mais
rien, dans l'accueil de François 1er, ne permit de suspecter sa
bonne foi ; partout les réceptions furent magnifiques, partout Charles
Quint tenait le premier rang et semblait maître en France autant qu'à
Madrid. A
Paris, l'empereur d'Allemagne fut reçu avec le même cérémonial que les
rois de France ; tous les grands corps de l'État, l'Université, le
parlement, la municipalité, les princes du sang, les cardinaux, le connétable
tenant l'épée nue devant lui, vinrent se joindre à son cortège et le
conduisirent au Louvre. Non
seulement Charles Quint obtint tous les honneurs dus à la royauté, mais il
en exerça encore les plus précieux privilèges : il visita les diverses
prisons et rendit leur liberté aux prisonniers. Durant
son séjour à Paris, il fit aussi avec François 1er, aux tombes
royales de Saint Denis cette visite célèbre, qui a inspiré à la peinture
moderne une de ses plus belles pages. Ce
fut une des solennelles circonstances du passage de Charles Quint : la cour
tout entière remplissait les galeries de la vieille basilique ; les plus célèbres
noms retentirent sous ces voûtes ; enfin lorsque, conduit par le roi de
France, Charles Quint quitta l'église haute et descendit dans ces
souterrains où repose la royauté, devant ces restes illustres, en présence
du vaincu de Pavie, qui le recevait en frère et qu'il allait bientôt
tromper, le souverain qui devait terminer au monastère de Saint Just son éclatante
carrière dut sentir dans son coeur une étrange émotion. De Paris, François 1er reconduisit Charles Quint à Valenciennes ; mais. une fois parvenu dans les Pays Bas, l'empereur nia ses promesses et laissa au roi de France tout l'honneur de cette lutte de la générosité chevaleresque et de la bonne foi contre la déloyauté. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages