Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Henri II. |
Année : 1558 |
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Prise de Calais. |
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Depuis
deux siècles, Calais appartenait aux Anglais ; on leur avait successivement
arraché morceau par morceau le territoire de la France, on les avait chassés
de la Normandie, de la Bretagne, de la Guienne, mais Calais était resté en
leur pouvoir et ils avaient toujours cette porte ouverte pour pénétrer en
France, cette communication directe et menaçante avec le continent. Au
temps de leurs échecs les plus funestes, ils avaient cependant réussi à
conserver cette forte position ; pour toujours l'étendard anglais semblait
devoir flotter sur le sol de la France, quand un mouvement hardi, une
heureuse expédition du libérateur de Metz, du grand duc de Guise, rendit
à la France sa pleine intégrité et effaça enfin cette tache qui
rappelait au pays de si longs troubles, de si cruelles défaites. La
fatale journée de Saint Quentin venait de renouveler pour la France les désastres
de Crécy et de Poitiers ; le connétable de Montmorency avait été fait
prisonnier, et avec lui l'élite de son armée ; quatre mille morts étaient
restés sur le champ de bataille ; les Anglais et les Espagnols réunis étaient
maîtres du nord de la France :
la résistance héroïque de la ville de Saint Quentin, dirigée par
l'amiral Coligny, avait seule arrêté une invasion, et Paris tremblait
encore à chaque heure de voir arriver sous ses murs les bandes étrangères.
Dans
ces circonstances périlleuses, Henri Il avait rappelé d'Italie le duc François
de Guise, l'avait nommé, lieutenant -général du royaume en lui confiant
la glorieuse mission de relever l'honneur de ses armes. A
son arrivée en Picardie, le prince de Lorraine trouva une armée pleine de
confiance en ses talents et disposée à le seconder courageusement. Alors,
dans un moment où l'État en péril paraissait ne devoir songer qu'à se défendre,
l'audacieux général résolut de prendre l'offensive ; et, profitant de la
rigueur même de la saison qui inspirait une entière sécurité à ses
adversaires, il conçut la pensée de racheter par une entreprise éclatante
l'échec que nos soldats venaient d'éprouver. Ayant
assemblé toutes les troupes dont il pouvait disposer, le duc de Guise, après
avoir fait sur l'Artois quelques démonstrations, changea subitement ses
dispositions ; et le 1er janvier 1558, à la tête de vingt mille
hommes, il investissait Calais, où deux siècles auparavant Édouard III
avait planté victorieusement le drapeau de l'Angleterre. C'était
une tentative hardie que d'essayer de ravir Calais par surprise, mais
toutefois ce ne fut pas une expédition aventureuse remise aux seuls hasards
de la fortune ; depuis longtemps déjà on, songeait à recouvrer cette
place importante, Henri Il en avait fait étudier les abords et la défense,
et Coligny avait tracé pour cette conquête un plan qui ne fut point
inutile au duc de Guise : cette
entreprise, pleine de dangers et d'incertitudes, il est vrai, avait été méditée
à l'avance. Calais,
située dans une plaine, est d'un côté gardée par la mer, de l'autre
garantie par les marais qui l'environnent ; différents forts en défendaient
en outre l'approche, et il ne fallait pas compter sur les lentes rigueurs
d'un siège pour réduire une ville qui en quelques jours pouvait être
secourue par l'Angleterre. Lorsque
le lieutenant général se présenta devant Calais, on était à l'époque
la plus difficile de l'hiver, la ville semblait presque inabordable ; et
bien que la guerre eût éclaté entre la France et l'Angleterre, la force
naturelle de cette place inspirait une telle confiance qu'elle n'avait que
huit cents hommes de garnison. Le
succès dépendait en partie de la rapidité de l'action, aussi le duc de
Guise surpassa-t-il encore dans cette circonstance l'ardeur et l'activité
habituelles de son caractère :
aucun effort, aucune fatigue ne lui coûta pour atteindre son but ; il
conduisit lui-même tous les travaux, les anima constamment de sa présence
et s'exposa au besoin comme le dernier de ses soldats. Le
duc de Guise et son armée investirent Calais le 1er Janvier
1558, et ce jour même les forts qui défendaient l'approche de la place et
dominaient la chaussée pratiquée au travers des marais cédèrent devant
la valeureuse ardeur de nos soldats et se rendirent aux Français. Le
second jour, pénétrant parmi les dunes, où il avait découvert un
sentier, le général s'empara d'une tour qui commandait l'entrée du port
; il commença à ouvrir la tranchée, et à former l'attaque de la
citadelle. Ce
côté demanda plus d'efforts :
il était entouré d'un fossé large et profond qu'il fallait franchir. Aussi, en même temps qu'on plaçait une batterie de quinze
gros canons et qu'on ouvrait la brèche, on pratiquait un canal de dérivation
pour détourner les eaux ; chacun, le corps à demi baigné par une eau glacée,
s'employait avec zèle, sans distinction de rangs, à ce pénible travail,
que le duc de Guise encourageait de sa parole et de son geste du haut de la
tranchée. Enfin,
le 4 Janvier, à l'heure de la marée basse, le duc de Guise donnant à ses
troupes le signal de l'assaut leur montra lui-même le chemin en entrant le
premier dans le fossé : on
n'avait pu entièrement le dessécher ; et pour atteindre la brèche, pour
arriver au pied des remparts de la citadelle, les bataillons français et le
chef qui les dirigeait s'avançaient courageusement sous le feu actif des
Anglais, ayant de l'eau jusqu'à la ceinture. Rien
cependant ne put arrêter les Français, ni les dangers du chemin qu'ils
s'ouvraient dans les fossés de la citadelle, ni la mitraille qu'on leur
envoyait, et, après un assaut vigoureux, ils obligèrent les Anglais à
abandonner le château et à se retirer dans Calais. Cependant,
à la nuit, tandis que les troupes demeurées dans la citadelle pour la
garder étaient séparées du camp par l'élévation de la mer, qui de
nouveau avait rempli tous les fossés, les Anglais essayèrent de reprendre
le fort d'où dépendait la possession de Calais ; mais cette tentative désespérée
fut inutile, à deux reprises ils furent repoussés et forcés de se
renfermer dans la ville. Enfin,
après un siège de huit jours, Calais, cette place qui, deux siècles
auparavant, avait durant onze mois résisté aux efforts du roi
d'Angleterre, capitula et se rendit au duc de Guise le 8 janvier 1558 ; le
jour même tous les postes, le port, les portes de la ville et du fort
furent remis aux Français. Tous
les habitants et la garnison obtinrent la permission de regagner
l'Angleterre, sauf cependant cinquante hommes et lord Wenvort, le gouverneur
anglais, qui demeurèrent prisonniers. Au
moment presque où Calais se rendait au duc de Guise, alors qu'on arborait
le drapeau français sur ces remparts d'où il avait depuis si longtemps
disparu, la mer se couvrit de voiles et la flotte anglaise parut à
l'horizon ; quelques heures plus tôt, ce secours sauvait Calais. Mais
il était trop tard, et les vaisseaux, quand ils virent nos enseignes
flotter de toutes parts sur les murailles, s'éloignèrent et allèrent
annoncer de l'autre côté du détroit que l'Angleterre, après tant de
conquêtes, ne possédait plus même une ville sur le continent. La
prise de Calais porta à l'orgueil anglais un coup cruel. Cette place,
qu'ils considéraient comme imprenable et tellement sûre qu'ils avaient mis
cette inscription sur l'une des portes
: "Les
Français reprendront Calais quand le plomb nagera sur l'eau comme le liége," appartenait
actuellement à la France ; tout souvenir de leurs funestes invasions avait
disparu, on venait de leur ravir le dernier trophée des victoires des
maisons de Lancastre et d'York. La
reine Marie Tudor, lorsqu'elle apprit la fatale nouvelle, fut saisie d'un
sombre désespoir ; il lui semblait perdre toute sa puissance, toute son
autorité ; l'honneur de la couronne lui parut compromis ; et à ceux qui
quelques mois plus tard l'entouraient sur son lit de mort elle disait
encore, dans l'amertume de sa douleur, que si l'on ouvrait son coeur on y
trouverait le mot , Calais , profondément gravé. A
leur retour en Angleterre, le gouverneur de Calais, lord Wenvort, et les
principaux officiers furent jugés sur l'accusation de haute trahison ;
triste satisfaction où les Anglais cherchaient pour ainsi dire une réparation,
une justification de leur défaite. La
prise de Calais si bien conduite fut suivie de la conquête de Guines, de
Ham et du comté d'Oye. En
France, la reprise de Calais excita un immense enthousiasme ; tous les désastres
de la journée de Saint Quentin furent oubliés, le duc de Guise, partout
applaudi, considéré comme un héros, devint l'homme le plus populaire de
France. S'il
dut en effet partager avec d'autres l'honneur d'avoir conçu cette heureuse
expédition, c'est à lui seul qu'appartint la gloire de l'exécuter et
d'ouvrir à la France les portes de cette ville que n'avait autrefois pu
sauver aucun courage ni aucun dévouement. Lorsque le duc de Guise revint à Paris, il y fut reçu avec acclamations ; l'immense service qu'il avait rendu à la France associa pour ainsi dire la maison de Lorraine aux destinées du pays, et lui ouvrit cette carrière brillante où son ambition osa un moment tant espérer. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages