Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Henri IV. |
Année : 1590 |
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Bataille d'Ivry. |
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Depuis
que la mort du dernier des Valois, de Henri III, avait transmis la couronne
de France au roi de Navarre, son existence, éprouvée déjà par les
agitations de la guerre civile, était. devenue une lutte de tous les
instants, remplie de périls et de privations. Souvent,
après une journée, passée à combattre en s'exposant comme le dernier de
ses soldats, à peine Henri trouvait-il un refuge pour se reposer ; et
parfois, au milieu de la nuit, le roi de France s'estimait heureux de
rencontrer une misérable chaumière pour y dormir quelques heures. Mais
le Béarnais était courageux :
dès son enfance il avait appris la rude vie des camps, il savait supporter
la pauvreté et suffisait à toutes les difficultés de sa position par sa
patience, son énergie et les ressources infinies de son esprit. La
Ligue reconnut bientôt qu'elle allait avoir un adversaire plus dangereux
que Henri III. A
la mollesse, à l'indolence, à l'irrésolution de celui ci, avaient succédé
l'activité, la promptitude, la résolution. A
la tête de sa petite armée Henri IV parcourait la Normandie, inquiétait
l'armée du duc de Mayenne, et menaçait constamment Paris, dont un jour il
surprit les faubourgs. A
Arques, Henri IV avait montré que le roi de France conservait toute la
valeur du roi de Navarre, du vainqueur de Coutras : quelques mois après il
prouva de nouveau, à Ivry, que le sort des combats décidait en faveur de
ses droits. Après
la journée d'Arques, Henri IV, poursuivant le cours de ses succès, s'était
successivement emparé de Vendôme, du Mans, de Falaise
: enfin, il assiégeait Dreux ; et tous ses efforts tendaient à
s'ouvrir la route de Paris, où seulement il pouvait espérer vaincre définitivement
ses ennemis. Les
progrès que faisait la cause royaliste obligèrent le duc de Mayenne, le
chef militaire de la Ligue, à sortir de son inaction, et
à venir s'opposer à la marche victorieuse du roi de France. A
son arrivée, Henri IV dut lever le siége de Dreux ; mais cependant, malgré
l'infériorité de ses forces, il ne voulut pas fuir devant les soldats de
l'union catholique. Point
d'autre retraite que le champ de bataille !,
répondit-il
à ceux qui lui conseillaient de se retirer en Normandie ; et il attendit
ses ennemis dans la plaine d'Ivry, sur les bords de l'Eure. En
se décidant à combattre, il ne cédait pas toutefois aux seules
inspirations de son courage ; de puissantes raisons l'engageaient à ne pas
reculer. Il
avait épuisé ses finances :
il fallait, ou qu'une victoire lui donnât de nouvelles ressources, ou qu'il
ramenât ses troupes en Normandie, et son séjour dans cette province
exigeait de nouveaux sacrifices qu'il ne lui voulait pas demander ; il préféra
se confier encore une fois à son épée. L'armée
du duc de Mayenne était, il est vrai, supérieure à la sienne, mais les
troupes que Henri conduisait étaient remplies d'ardeur. Le
14 mars 1590, ayant attiré, en feignant de fuir devant elle, l'armée du
duc de Mayenne sur le champ de bataille qu'il avait choisi, Henri, levant
les mains au ciel, avant de donner le signal de l'engagement demanda à
Dieu, en présence des deux armées, d'être reconnu comme légitime
souverain : "Mais, mon Dieu ! ajouta t il, s'il t'a plu d'en disposer autrement ou que tu voies que je dusse être du nombre de ces rois que tu donnes en ta colère, ôte-moi la vie avec la couronne." Puis
il parcourut les rangs de ses soldats, et, unissant leur cause à la sienne,
leur adressa ces mots pleins de confiance et d'énergie, que l'histoire a
conservés : "Mes compagnons ! si vous courez aujourd'hui ma fortune, je cours aussi la vôtre ; je veux vaincre ou mourir avec vous. Si la chaleur du Combat vous fait quitter vos rangs, pensez aussitôt au ralliement ; c'est le gain de la bataille : et si vous perdez vos enseignes et guidon, ne perdez point de vue mon panache blanc ; vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur et du devoir." Et,
baissant la visière de son casque surmonté de plumes blanches, il s'élança
contre ses ennemis. La
brillante valeur du roi, les manoeuvres habiles de Biron assurèrent en
moins de deux heures le succès de la bataille. Le
Béarnais montra à Ivry ce courage audacieux qui lui était habituel. Un
moment ses troupes hésitèrent ; elles restaient suspendue entre la défense
et la fuite, quand Henri IV, se jetant au milieu d'elles, leur cria "Tournez le visage, afin que, si vous ne voulez combattre, vous me voyiez du moins mourir." Et
aussitôt on le suit au milieu de là mêlée. Pendant
qu'il poursuivait les troupes du duc de Mayenne qui s'enfuyaient en déroute,
le roi tomba au milieu d'un escadron de Wallons
: un moment on le crut perdu ; mais bientôt les plumes blanches de
son casque s'agitèrent au dessus des ennemis abattus. Le
maréchal de Biron, qui, durant l'action, s'était tenu à la tête de la réserve,
d'où il avait dirigé les opérations de l'armée royale, abordant le roi
après l'affaire, ne put s'empêcher de lui témoigner son admiration : "Ah, sire ! dit il, cela n'est pas Juste ; vous avez fait aujourd'hui ce que Biron devait faire, et il a fait ce que devait faire le roi." Les
plus fidèles compagnons du roi se trouvèrent à la journée d'Ivry. Sully
y eut deux chevaux tués sous lui :
d'Aumont, Crillon, qui n'avait pu prendre part à la victoire d'Arques ; de
Mornay, d'Aubigné combattirent aux côtés de Henri et le suivirent aux
plus périlleux endroits. La
victoire d'Ivry, la plus brillante de toutes celles remportées
pendant la durée des guerres civiles
; si elle ne rendit pas au roi de France le plein exercice de son
autorité, jeta du moins sur lui un vif éclat. Jusqu'alors,
malgré ses droits, malgré son titre, il avait plutôt fait la guerre en
partisan, en aventurier, héroïque
aventurier, il est vrai, qu'en
roi ; dès lors il obtint, même de ses adversaires, la considération due
à un général constamment victorieux, et sa gloire militaire rendit plus
assurées les chances favorables de sa fortune. L'armée
catholique avait perdu six mille hommes, les Suisses s'étaient rendus
presque sans combattre et étaient passés sous les drapeaux du Béarnais ;
les compagnies allemandes, poursuivies sans pitié, avaient laissé leurs
meilleurs soldats sur le champ de bataille. Cependant
Henri, au milieu de ces deux armées composées de mercenaires étrangers,
n'avait pas oublié qu'il y avait des Français sous les étendards de la
Ligue, et la dernière parole dont il fit retentir la plaine d'Ivry fut : " Main basse sur l'étranger, sauvez les Français." Mayenne,
humilié, livra le chemin de Paris au roi de France, qui, le 8 mai 1590,
investit la capitale avec une armée de 15.000 hommes. Paris,
dont la Ligne avait augmenté l'influence sur la France ; Paris, qui
renfermait le parlement, la Sorbonne, la cour des comptes, était le centre
de la puissance de l'union catholique ;
tant qu'il n'y serait pas entré, Henri IV ne pouvait croire sa cause gagnée.
C'est
de là que venaient les coups les plus funestes au parti royal
: c'est là que l'Espagne et la cour de Rome, soutenues par les
Seize, formaient leurs intrigues ; c'est de Paris, enfin, que partaient ces
pamphlets, ces outrages, ces sermons à la fois odieux et ridicules qui
entretenaient le désordre dans le pays et avilissaient la royauté à ses
yeux. Henri
IV résolut donc d'en terminer à tout prix par la réduction de Paris
: il garda toutes les routes, s'empara du cours des rivières et réussit
à intercepter tous les convois destinés à l'approvisionnement des
Parisiens ; durant trois mois il maintint ce blocus avec rigueur. La
famine devint horrible, la population succombait aux maladies, les morts
encombraient les places, on se disputait les plus misérables aliments ; on
mangea l'herbe qui croissait dans les rues désertes, on dévora les animaux
même les plus vils, on fit de la farine avec des ossements : une femme même,
égarée par le désespoir, mangea, dit-on, son enfant. La
situation des Parisiens était affreuse, et cependant ce peuple have et décharné,
épuisé par la souffrance, préféra encore supporter toutes les misères
et tous les maux de la famine plutôt que de sacrifier ses croyances et
d'accepter un roi protestant. Toutefois,
s'il eût persisté et poussé la ville aux dernières extrémités, le roi
y aurait pénétré avant que le duc de Parme eût pu venir la délivrer ;
mais Henri se souvint que ces malheureux étaient ses sujets. Le
coeur du Béarnais s'émut, et il permit, contre tous les droits de la
guerre, qu'on laissât entrer des vivres dans Paris
: sous ses yeux des voitures chargées de farine traversèrent son
camp et ranimèrent l'opiniâtre résistance des Parisiens. Cet acte d'humanité fit perdre à Henri IV les résultats d'un siége de quatre mois ; le duc de Parme eut le temps d'arriver au secours de la capitale, que l'armée royaliste fut obligée d'abandonner le 30 août 1590, pour rentrer en Normandie. Mais,
comme l'avait dit le roi de France quand il autorisa l'entrée des
approvisionnements, il aimait mieux "n'avoir point de Paris que de l'avoir déchiré en lambeaux." |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages