Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Henri IV. |
Année : 1610 |
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Mort de Henri IV. |
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Depuis
seize ans Henri IV régnait sur la France, et il prouvait qu'il était roi
non seulement et par droit de conquête et par droit de naissance, mais
encore par le droit du génie. Après
vingt cinq ans de guerres civiles, il avait réussi à ramener l'ordre et la
prospérité dans l'État. aidé de Sully, ce ministre ferme, actif,
infatigable, qui partagea, constamment la bonne et la mauvaise fortune du Béarnais
sans jamais en désespérer, avait rétabli les finances, régularisé
l'administration ; et la France, avec moins d'éclat que sous le règne de
François 1er se trouvait réellement plus forte. A
l'extérieur le traité de Vervins, signé en 1598, avait replace le pays à
son rang et consolidé le trône de Henri, en même temps qu'à l'intérieur
l'édit de Nantes fermait la longue suite des guerres civiles et transigeait
pour ainsi dire avec les passions religieuses. Obéi
au dedans, respecté au dehors, le roi de France avait résolu l'abaissement
politique de l'Espagne, cet agent intéressé de nos discordes ; il songeait
à une nouvelle, organisation de l'Europe, projet immense, d'une réalisation
difficile sans doute mais non pas impraticable, qui devance de beaucoup les
idées politiques de son temps. Depuis
douze ans il méditait ces plans d'un esprit supérieur, dont la ruine de la
maison d'Autriche était le but principal et, on peut le dire, pratique,
quand un attentat, excité par les ressentiments à peine étouffés de la
Ligue, arrêta brusquement la marche du chef de la maison de Bourbon et
transmit la couronne à un enfant de cinq ans. Le
roi hâtait les préparatifs de la guerre qu'il venait de déclarer à
l'Empire ; trois armées marchaient vers la frontière : la première, que
Henri devait commander lui même, se dirigeait par la Champagne sur les duchés
de Clèves et de Juliers, dont la possession était le motif des hostilités
; une autre allait se joindre au duc de Savoie, et la troisième était réservée
à la garde des Pyrénées. Jamais
l'Europe n'avait vu de si considérables forces en mouvement, et elle
attendait avec anxiété l'issue de la lutte qui se préparait. Au
milieu de ces vastes desseins, le roi se sentait agité de tristes
pressentiments ; il était impatient de quitter Paris, il lui semblait que
chaque jour de retard compromettait le succès de ses projets et accroissait
les périls inconnus qu'il redoutait. ; plusieurs fois, il répéta plein
d'appréhensions "Je
ne sortirai jamais de cette ville, ils me tueront ; leur dernière ressource
est dans ma mort. " Enfin
le couronnement de Marie de Médicis, à qui le roi avait remis la régence
du royaume durant son absence, avait eu lieu à Saint Denis le 13 mai 1610 :
c'était la seule cause des ajournements qu'éprouvait le départ de Henri ;
il était libre, deux jours encore et il s'éloignait de Paris. Mais
les heures de sa vie étaient comptées, et cette grande entreprise, si
ardemment poursuivie, devait lui échapper ; ces dangers dont son
imagination était frappée devaient se réaliser. Le
14 mai 1610, le roi, inquiet et rêveur, avait essayé de reposer quelques
instants, il s'était jeté à diverses reprises sur son lit mais sans
pouvoir dormir ; enfin, pour échapper à ses sombres préoccupations, vers
quatre heures de l'après midi il monta dans son carrosse, accompagné des
ducs de Montluçon et d'Épernon, du maréchal de Lavardin, de MM. de La
Force, de Mirebeau et de Liancourt : cette voiture, dont Henri IV occupait
le fond avec le duc d'Épernon, était ouverte des deux côtés et il était
facile d'y atteindre. En
quittant le Louvre elle prit la rue Saint Honoré et se dirigea vers
l'Arsenal, ou le roi voulait rendre visite au duc de Sully, qu'une
indisposition empêchait de sortir. Arrivé
dans la rue de la Ferronnerie, alors fort étroite, le carrosse royal fut
arrêté par chariot chargé, de foin, et cette circonstance frivole décida
de la destinée du roi de France : les valets de pied qui gardaient les
portières passèrent par le cimetière des Innocents pour devancer le roi ;
à ce moment un homme de moyenne taille, s'élançant vers la voiture, monte
sur une roue et frappe Henri IV de deux coups de poignard. Le
malheureux roi n'eut que la force de s'écrier "Ah
! je suis blessé !, et il expira aussitôt.": il
avait été atteint au coeur. et l'assassin avait agi avec tant de
promptitude qu'aucun des seigneurs ne l'avait vu. Il
aurait pu même s'échapper, mais Ravaillac, fier de son crime et de son
fanatisme, demeura immobile, le poignard à la main. Tandis
qu'on s'emparait de lui et qu'on le conduisait à la prison de la
Conciergerie, les portes du Louvre s'ouvraient devant le corps inanimé de
ce prince naguère rempli de tant d'espérances et le plus ferme appui du
royaume. La
mort de Henri IV jeta dans Paris une consternation profonde ; non pas que le
roi eût toute la popularité qu'on lui a faite depuis, mais comme il le prévoyait
quand le jour même de sa mort il disait tristement à Bassompierre : "Vous ne me connaissez pas maintenant, vous autres : mais je mourrai un de ces jours, et, quand vous m'aurez perdu, vous connaîtrez tout ce que je valais et la différence qu'il y a de moi aux autres hommes" : Henri
fut regretté dès qu'il n'exista plus. On
comprit alors que sa vie était la garantie de l'ordre et de la puissance
nationales : si près des guerres civiles, on, s'inquiéta lorsqu'au lieu
d'un souverain ferme, éclairé, qui savait être le maître entre la
noblesse ambitieuse de la Ligue et les chefs indépendants de la réforme ;
que redoutait l'Europe, qui connaissait sa valeur et son expérience, on eut
pour roi un enfant, pour régente une étrangère, et pour ministres, à la
place du sévère et actif Sully, d'avides favoris. Enfin,
quoiqu'il fût prodigue pour ses plaisirs, parfois assez oublieux des
services qu'on lui rendait ; cependant il avait une grâce si naturelle, une
parole si franche, tant d'abandon autour de lui, qu'il avait rallié bien
des coeurs à sa cause, En
même temps que Marie de Médicis se faisait remettre solennellement la régence
par le parlement pour tout le temps de la minorité du roi son fils, la
foule se pressait dans la salle du Louvre où on avait placé le corps du
roi. Henri
IV était étendu sur son lit, la face découverte, vêtu d'un pourpoint de
satin blanc. Autour
de lui, des religieux et des prêtres des différents monastères de Paris
priaient constamment pour le monarque défunt, Le
parlement, les princes, tous ces seigneurs anciens compagnons du Béarnais,
lui vinrent adresser un dernier adieu ; devant ce lit de mort coulèrent des
larmes sincères, éclatèrent de vifs regrets : on sait que
ce funeste événement avait été annoncé par des signes certains : on
rapportait que le premier jour de mai l'arbre planté, selon une vieille
coutume, dans la cour du Louvre en l'honneur du roi tomba tout d'un coup
sans être agité ni par le vent ni par aucune cause apparente : on se
rappelait surtout avec amertume les pressentiments du roi, qui avaient été
si cruellement justifiés. Plusieurs jours avant le 14 mal, en causant familièrement avec Bassompierre, il lui avait dit ; "Je
ne sais ce que c'est Bassompierre, mais je ne puis me persuader que j'aille
en Allemagne." Et
souvent on l'entendit dire : "Je
crois mourir bientôt." Enfin
on apprit, non pas sans une sorte de terreur, que sa mort avait été connue
dans quelques villes d'Allemagne et dans les Pays Bas le jour où Ravaillac
l'assassinait à Paris ; on prétendait même qu'à l'armée impériale elle
fut annoncée à l'avance. Ces
bruits ajoutaient en quelque sorte à la tristesse de Paris : on croyait à
un immense complot contre Henri ; on supposait au meurtrier de puissants
complices, et les noms les plus élevés ne furent pas à l'abri du soupçon
. on accusa surtout la maison d'Autriche, que cet événement sauvait ;
l'ordre des Jésuites, qui, malgré l'abjuration du roi de France, lui
portait, dit-on, une haine profonde : mais rien ne fut prouvé ; malgré les
rigueurs de la torture, Ravaillac ne nomma personne. Le
jeudi 27 mai 1610, l'assassin fut exécuté sur la place de l'Hôtel de
Ville ; durant le trajet la foule l'accabla de malédictions, et ce ne fut
pas sans peine que les gardes et les archers le purent conserver à l'échafaud
dressé pour lui. Le
peuple l'environnait avec fureur, il éclatait contre lui en imprécations :
de toutes parts on l'appelait traître, assassin, et on voulait le tuer
avant même qu'il eût atteint la Grève. Le
supplice fut horrible et long, mais Ravaillac n'avoua aucun fait nouveau ;
il nia constamment qu'il eût des complices, et sa dernière parole fut . "Je
vous l'ai déjà dit et vous le dis encore, il n'y a que moi qui l'ai
fait." Néanmoins,
malgré ces protestations, les doutes ne furent pas dissipés, et la mort de
Henri IV resta enveloppée d'un mystère étrange. Henri IV avait cinquante sept ans lorsqu'il fut frappé par Ravaillac ; il avait mis fin aux guerres de religion, rétabli la puissance de la France qu'il apprêtait â élever encore au moment ou il tomba si subitement : ce sont là de solides titres de gloire, et le Béarnais inaugurait dignement l'avènement de la maison de Bourbon au trône de France. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages