Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XIII. |
Année : 1617 |
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Mort du Maréchal d'Ancre. |
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Le
meurtre du maréchal d'Ancre, le premier acte d'autorité par lequel le fils
de Henri IV annonça qu'il prétendait régner, donne l'exacte mesure
du caractère faible, irrésolu du successeur du Béarnais : toujours
livré aux caprices d'un favori, dominé sans qu'il s'abandonnât
volontairement ; sévère jusqu'à la rigueur sans avoir la fermeté de la
justice, Louis XIII eût fourni vraisemblablement une des plus déplorables
pages de notre histoire, si le pouvoir royal ne fût tombé sous la tutelle
inflexible et glorieuse de Richelieu. A
la mort de Henri IV, le Florentin Concini, protégé par la faveur de Marie
de Médicis, était rapidement arrive au premier rang ; nommé marquis
d'Ancre, investi du gouvernement d'Amiens, de Péronne, de Dieppe, il avait
encore réuni aux fonctions de premier ministre la dignité de maréchal de
France, et, malgré l'opposition des princes du sang et de la noblesse, il
dirigeait seul les affaires au nom de la régente. Si,
contraint par la situation du royaume d'abandonner au dehors les vastes
projets que Henri méditait, il se rapprocha forcément de l'Espagne et de
la maison d'Autriche, du moins à l'intérieur il comprit la véritable
politique de la royauté et s'appliqua à réprimer les révoltes des
seigneurs, à éteindre les vieux souvenirs de l'indépendance féodale
contre lesquels Richelieu lutta plus tard avec tant de vigueur. Mais
le maréchal d'Ancre n'avait pas pour combattre la noblesse encore
puissante, une énergie et une intelligence suffisantes ; porté à la
conciliation , il chercha plutôt à gagner qu'à réduire les partis et les
poursuivit seulement assez pour s'attirer d'implacables haines. Le
luxe insolent qu'il déployait, ses prodigalités, l'avidité avec laquelle
il puisait dans le trésor public que ses ennemis regardaient volontiers
comme leur bien propre, animèrent encore les ressentiments qu'il excitait. Deux
fois les seigneurs avaient pris les armes contre son autorité ; enfin en
1617 ils se liguèrent de nouveau "pour
sauver, disaient ils, la vie du roi en péril entre les mains d'un étranger",
et
cette fois le roi lui même s'unit secrètement à eux. Louis
XIII avait alors seize ans, jusqu'alors il était demeuré étranger aux
affaires de l'État ; entouré de quelques gentilshommes, de jeunes gens
dont il s'était fait une cour, sa vie se passait dans de puérils
amusements, dans de frivoles plaisirs sans convenance et sans dignité. C'est
au milieu de cette existence oisive, poursuivie déjà par l'ennui, que l'un
des favoris du prince, Charles d'Albert de Luynes, lui apprit qu'il était
roi, qu'il pouvait commander et que l'unique obstacle à sa royale volonté
était ce favori, cet Italien à qui sa mère avait remis le pouvoir. Ces
conseils ne restèrent pas inutiles. Louis
XIII n'aimait pas Concini, dès lors il lui devint odieux ; il s'imagina
qu'une fois le protégé de Marie de Médicis abattu il serait enfin le maître,
Luynes, à la fois poussé par sa jeune ambition et par la ligue de la
noblesse, avec laquelle il entretenait de secrètes relations, aigrit la
haine du roi, accrut ses méfiances, et la perte du maréchal d'Ancre fut décidée.
Après
tout, Louis XIII était le souverain de la France ; il était libre
d'accorder ou de refuser sa confiance au ministre choisi par sa mère , de
le changer à son gré : mais agir aussi résolument dépassait sa fermeté,
et, plutôt que de prononcer ouvertement une disgrâce, d'envoyer Concini
devant le parlement s'il le jugeait coupable, il préféra recourir à une
misérable intrigue d'antichambre ; il se persuada, sur l'avis de Luynes,
qu'un coup de violence lui rendrait le gouvernement de l'État, et conspira
avec ses compagnons de jeux l'assassinat du maréchal d'Ancre. Le
lundi 24 avril 1617, vers dix heures du matin, au moment où Concini se
rendait au Louvre pour visiter la reine régente et pénétrait dans le château
par la porte où se trouvaient les archers de garde, le marquis de Vitry,
capitaine des gardes du corps du roi, s'approcha du tout puissant favori et
lui dit : "Monsieur, le roi vous demande. "Moi
? répondit Concini. Oui, vous
", reprit
Vitry en dirigeant vers lui son bâton. A
ce geste les officiers qui formaient la suite du maréchal, pressentant
quelque tentative, contre sa personne, mettent la main à leur épée ;
mais, avant qu'ils aient pu s'en servir, les complices de Vitry tirent
plusieurs coups de pistolet sur Concini, et le maréchal tombe percé de
plusieurs balles sur le pont-levis du Louvre. Au
même instant le colonel d'Ornano, qui attendait dans la cour du château
l'issue de cette attaque, court
en annoncer le résultat au roi : "Je
suis roi maintenant, s'écria, Louis ; Dieu soit loué, mon ennemi est mort
!" Jusqu'au
dernier moment, il avait craint d'échouer dans son entreprise ; vingt
chevaux sellés et bridés
l'attendaient dans le jardin des Tuileries pour fuir à Meaux dans le cas où
Vitry aurait manqué l'arrestation du maréchal d'Ancre. Aussi,
lorsqu'il apprit la mort du Florentin, il se sentit animé d'une
ardeur inconnue, il crut qu'il allait régner ; les compagnons de ses
jeux l'entourent et
l'applaudissent ; la noblesse accourt féliciter le jeune souverain, et le
place comme en triomphe sur une table de billard pour saluer son avènement
; en même temps une déclaration adressée au peuple lui annonce que Louis
XIII a pris le gouvernement de l'État. Par
les ordres du roi Éléonore Concini, femme du ministre , fut arrêtée, et
des gardes tinrent la régente prisonnière dans son appartement. Malheur
à moi, Mon règne est fini ! dit
la reine mère quand elle connut l'attentat qu'on venait de commettre au nom
de son fils, et elle retomba sur son lit en pleurant et en soupirant comme
si déjà elle eût prévu les misères de l'exil. Cette
cruelle exécution avait paru suffisante au roi pour lui rendre son autorité
; mais les ennemis du maréchal d'Ancre voulurent une vengeance complète. Le
peuple, qui attribuait au malheureux Concini tous les malheurs du royaume,
excité par la noblesse dans son ressentiment, alla piller et dévaster l'hôtel
du maréchal ; tout y fut brisé ou volé : le jeune Concini, âgé de
treize ans, put à peine être sauvé des fureurs de la foule ; quand un écuyer
vint par l'ordre de la reine l'enlever à ce désastre, cet enfant, naguère
héritier d'une si grande fortune, n'avait eu à boire ni à manger depuis
le matin, il ne lui restait même pas un lit où dormir, et pour arriver au
Louvre il fut obligé de se cacher sous un manteau de laquais. Les
outrages envers le corps de Concini arrivèrent jusqu'à une horrible cruauté
; son corps, percé de balles, fut arraché de la tombe et traîné par les
rues au milieu d'imprécations et d'injures, dans lesquelles la reine sa
protectrice n'était pas épargnée. Le
cadavre fut ainsi amené jusqu'au Pont Neuf, où il y avait une potence
dressée à laquelle on le suspendit par les pieds ; enfin, comme la rage
aveugle de la populace s'augmentait par ses excès mêmes , les restes de
Concini furent déchirés en lambeaux, dispersés et jetés dans des bûchers
allumés sur les places publiques. Il
semblerait du moins que la maréchale d'Ancre eût assez payé sa haute
fortune perdue par la mort de son époux et la ruine de sa famille ; mais
les haines n'étaient pas satisfaites, cette malheureuse femme dut expier en
quelque sorte sa prospérité passée par le supplice. On
n'avait contre elle aucun grief légitime ; on lui fit un crime de la faveur
de Marie de Médicis, on l'accusa de l'avoir obtenue par des sortilèges. Lorsqu'on
lui demanda de quel charme elle avait usé pour séduire la reine, "d'aucun autre, répondit elle avec quelque fierté , que l'ascendant qu'un esprit supérieur a toujours sur un esprit faible." Le
parlement la condamna comme criminelle de lèse majesté divine et humaine,
sans qu'on pût fournir aucune preuve de sa culpabilité. Éléonore
Galigaï, marquise d'Ancre, monta avec courage sur l'échafaud ; elle
demanda humblement pardon à ceux qu'elle avait offensés, et. tandis
qu'elle se recommandait à la miséricorde de Dieu, le bourreau lui trancha
la tête et jeta son corps sur le bûcher. La
fermeté de ses derniers moments, l'incertitude des fautes qu'on lui
reprochait touchèrent la foule, qui, suivant son habituelle mobilité
d'impressions, déplora sa mort et maudit ses juges avec une passion égale
à celle qu'elle avait mise à l'outrager. "Enfin
je suis roi !" s'était
écrié Louis XIII à la mort du maréchal d'Ancre ; mais il n'y eut de
changé que le nom du ministre tout puissant, qui s'appela alors Charles
d'Albert de Luynes. Le
nouveau favori ne montra ni moins d'orgueil et d'insolence, ni moins
d'avidité que l'aventurier italien ; il pilla à son tour le trésor, il
s'attribua les plus hautes dignités, et ne sut pas comme celui-ci lutter
contre la noblesse, à laquelle il devait pour ainsi dire son élévation. Vitry obtint, pour récompense de son audace, la dignité de maréchal, déjà on avait payé du même prix à Thémines l'arrestation du prince de Condé ; aussi le maréchal duc de Bouillon disait-il, en voyant cet échange d'honneurs contre de honteux services : qu'il rougissait d'être maréchal depuis que cette dignité, était la récompense du métier de sergent et de celui d'assassin. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages