Faits mémorables |
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de l'histoire de |
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France. |
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L. Michelant. |
Souverain : Louis XIV. |
Année : 1643 |
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Corneille. |
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La
victoire de Rocroy fut pour la France un de ces grands événements
nationaux, aussi importants par l'influence morale qu'ils exercent que par
leurs résultats matériels. Louis
XIII venait de suivre au tombeau son ministre, le cardinal de Richelieu,
laissant après lui un roi de cinq ans, et pour régente une princesse, Anne
d'Autriche, d'un esprit plutôt irascible que ferme, d'un caractère
indolent, mais assez éprise cependant du pouvoir pour trouver au besoin de
l'énergie et de la constance, afin de le conserver intact à son fils. Richelieu
enfin avait remis à Mazarin le soin de continuer au dehors l'oeuvre qu'il
avait poursuivie avec tant d'ardeur, l'abaissement de la maison d'Autriche ;
et le nouveau ministre continuait cette grande politique, qui devait aboutir
au traité de Westphalie et assurer la supériorité de la France sur son
ancienne rivale. Cette
situation était difficile, les incertitudes inséparables des premiers
jours d'une régence, les mécontentements et la haine de la noblesse contre
l'autorité de Mazarin, les embarras financiers, l'agitation qu'un
changement de règne avait jetée dans les esprits ; au dehors enfin les
derniers mouvements de cette célèbre
guerre de Trente Ans, qui agita toute l'Europe et dont tous les efforts étaient
alors portés vers la France, présentaient à l'administration de nombreux
périls, et, pour en triompher, il fallut toute l'habileté, toute la
finesse, toutes les ressources d'esprit de Mazarin. Toutefois,
dès les premiers jours de son administration, il fut secondé par le génie
militaire et par le courage d'un prince qui devait plus tard, durant la
Fronde, devenir son adversaire, le duc d'Enghien à Rocroy gagna la cause de
la régence, autant que l'intelligence et l'activité du cardinal ministre
purent le faire à Paris. Richelieu,
dans les dernières années de sa vie, avait assuré à sa politique l'appui
de cette illustre maison de Condé, qui, depuis son origine, comptait tant
d'hommes éminents, en unissant l'héritier de cette grande race, celui qui
devait être un jour le grand Condé, à sa nièce, mademoiselle de Maillé
Brézé. Mazarin
s'était également efforcé d'attacher le duc d'Enghien à la cause royale
; et malgré sa jeunesse, il n'avait encore que vingt deux ans, il lui
confia le commandement de l'armée de Flandres, en lui donnant pour
lieutenant, afin de contenir l'ardeur de son âge, le vieux maréchal de
L'Hospital. D'Enghien,
qui déjà avait fait ses preuves dans les dernières campagnes du règne de
Louis XIII, partit pour les Ardennes, et bientôt se trouva en présence de
l'ennemi. Les
Espagnols, soutenant la cause de la maison d'Autriche, avaient attaqué la
France ; profitant des embarras de la reine régente, ils avaient franchi la
frontière et mis, avec vingt cinq mille hommes, le siège devant Rocroy,
seule ville qui couvrît la route de Paris par la Champagne. Cependant,
malgré les dangers d'une invasion, malgré les menaces de cette armée qui
pénétrait en France, Mazarin avait recommandé la prudence et la modération
au duc d'Enghien, et l'avait engagé à éviter le combat autant qu'il le
pourrait. Mais
le jeune général avait trop de hâte de signaler son courage pour se
rendre à ces conseils ; n'écoutant que les inspirations de son audace, il
résolut d'attaquer les Espagnols et de dégager Rocroy. Depuis
six semaines ceux-ci assiégeaient la place, ils étaient maîtres de toutes
les positions ; et, pour les combattre avec quelque avantage, pour les
rejoindre dans la plaine où ils s'étaient établis, sous les murs de
Rocroy, il ne restait qu'une route ouverte aux Français, c'était un étroit
défilé à travers les marais et les bois qui environnaient la plaine où
campaient les Espagnols. Le
duc d'Enghien se décida à franchir cette voie périlleuse : sa jeune
hardiesse l'emporta sur la vieille expérience du général espagnol François
de Mello ; et, le 18 niai 1643, l'armée française, après avoir passé à
travers les marais et les bois qui environnent Rocroy, se déployait dans la
plaine et prenait position en face des Espagnols. Bientôt
des deux côtés on se prépara à combattre : le 18 même le duc d'Enghien
eût donné le signal de l'engagement, si un mouvement fâcheux de La Ferté
n'eût un instant porté le désordre parmi ses troupes ; avant qu'elles ne
fussent rétablies dans leurs postes la nuit était venue, et il fallut
remettre au lendemain la bataille que chaque parti désirait. Cette
nuit, qui précéda la journée de Rocroy, se passa dans un calme profond ;
les soldats avaient allumé de toutes parts des feux qui éclairaient la
plaine au loin et laissaient apercevoir Rocroy, dont la destinée allait se
décider le lendemain. Nulle
alarme ne troubla ce solennel repos ; le bruit lointain du canon qu'on
tirait à Rocroy éveillait seul par moments les échos des forêts
voisines. En
face de cette armée ennemie, le duc d'Enghien reposa avec une parfaite
tranquillité, comme s'il était assuré de la victoire ; et son sommeil fut
si profond à la veille de cette bataille, où pour la première fois il
commandait en chef, qu'il fallut le réveiller. Bientôt
il fut à cheval, et l'armée se mit en mouvement. Le jeune général parcourut les rangs en adressant, au milieu des cris de : Vive le roi ! vive d'Enghien quelques
paroles à ses soldats ; puis les trompettes sonnèrent la charge, et le
prince, à la tête de la cavalerie de l'aile droite, s'élança contre les
lignes espagnoles. La
victoire fut vivement disputée, et la France la dut tout entière à
l'activité, à la présence d'esprit, au courage ardent du duc d'Enghien. Tandis
qu'à l'aile droite il triomphait de la résistance des Espagnols, à l'aile
gauche le maréchal de L'Hospital se laissait surprendre ; et déjà il
reculait, lorsque le prince, qui aperçoit le désordre, traverse, suivi de
sa cavalerie, le champ de bataille d'une aile à l'autre et vient ranimer le
courage de ses soldats. La
plupart des corps espagnols étaient en déroute, mais il restait encore un
carré formidable formé de cette vieille infanterie espagnole réputée la
meilleure de l'Europe depuis les campagnes d'Italie du seizième siècle,
redoutable tout à la fois par son courage, sa discipline et sa férocité,
qui luttait obstinément. Elle
était commandée par le comte de Fuentès, âgé de quatre vingt deux ans,
qui avait fait ses premières armes sous Philippe II et qui, malgré son âge
et ses infirmités, porté sur un brancard parmi ses soldats les
encourageait de son glorieux exemple. Trois
fois le duc d'Enghien se précipite sur ces masses inébranlables, trois
fois il est repoussé ; les rangs espagnols ne s'ouvrent que pour laisser
partir les décharges de l'artillerie dont la mitraille brise incessamment
nos lignes. Enfin
le corps de réserve de l'armée française, que le duc avait appelé, étant
arrivé, l'infanterie espagnole est obligée de se rendre ; quelques
officiers s'avancent, et demandent la fin du combat. Les
Espagnols avaient perdu quinze mille hommes tués ou prisonniers, leurs
canons, leurs bagages, et surtout cette ancienne renommée que leur avait
value tant de victoires. L'infanterie
française s'empara, pour ne plus la perdre, de cette glorieuse réputation,
et ce ne fut pas le moindre profit de la journée de Rocroy. Parmi
les morts on trouva, auprès de son brancard brisé, le corps du comte de
Fuentès, qui était tombé au milieu de ces valeureuses troupes qu'il avait
si bien commandées. En
apprenant ce noble trépas "Ah
! s'écria le duc d'Enghien, je voudrais être mort comme lui, si je n'avais
pas vaincu." Après
sa victoire le duc d'Enghien remercia Dieu de son appui : "Le
prince, a dit Bossuet le jour où sous les voûtes de Saint Denis il rendit
un hommage suprême au grand Condé, le prince fléchit le genoux, et dans
le champ de bataille il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui
envoyait." Là
on célébra Rocroy délivrée, les menaces d'un redoutable ennemi tournées
à sa honte, la régence affermie, la France en repos, et un règne qui
devait être si beau commencé par un si heureux présage. La
victoire de Rocroy était l'heureux présage du règne qui commençait :
Louis XIII était mort le 14 mai, et depuis cinq jours le roi de France se
nommait Louis XIV ; en même temps elle affermit les premiers jours de la régence
d'Anne d'Autriche, rendit Mazarin maître de l'administration et surtout
assura à l'extérieur le succès de ses négociations. Enfin
cette glorieuse journée jeta un immense éclat sur les armes françaises :
depuis la défaite de Pavie, la France n'avait pas remporté de succès
importants sur les étrangers ; elle avait recouvré Calais, glorieusement défendu
Metz, mais elle ne s'était signalée en Europe sur aucun champ de bataille,
et son courage n'avait éclaté que dans les combats des guerres civiles. Ce
grand succès, où elle avait triomphé des meilleurs soldats de l'Europe,
établit d'une façon durable la renommée militaire de la France, nos
soldats héritèrent de l'ancienne réputation de l'infanterie espagnole. Bientôt les victoires de Fribourg, de Nordlingen, la prise de Thionville complétèrent les avantages de cette campagne ; partout l'héritier de la maison de Condé montra une ardeur toujours heureuse, un courage inébranlable, d'admirables inspirations dans le péril, et désormais à ses gloires militaires la France put ajouter une gloire nouvelle. |
Table chronologique des faits mémorables.....
Réalisée le 20 novembre2005
André Cochet
Mise sur le Web lenovembre2005
Christian Flages