Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :      Louis XIV.

Année :  1648

 Matthieu Molé.

S'il est une sorte de courage supérieur à cette ardeur qui nous pousse sur les champs de bataille, c'est sans contredit le courage civil ; ni les excitations du combat, ni les enivrements de la victoire ne soutiennent le citoyen dans ses efforts ; dirigé par le sentiment du devoir, il y sacrifie obscurément sa vie, soit qu'il résiste aux tyrannies du pouvoir, soit qu'il s'oppose aux excès de la foule.

L'histoire de la France, illustrée par la gloire militaire, compte, en face des passions politiques, de nobles actes de fermeté et d'indépendance, qui méritent également notre attention et nos respects.

La vie tout entière de Matthieu Molé nous offre d'admirables exemples du courage civil.

Premier président du parlement de Paris, Matthieu Molé domine toute cette époque par son calme et sa vertu ; sa fière et belle figure apparaît constamment pure et inaltérable parmi les passions et les intrigues de ce temps, soit qu'il oppose à la reine et à Mazarin l'inflexibilité de la loi, soit qu'il commande par son inébranlable fermeté aux fureurs d'un peuple révolté.

Il demeure supérieur à tous les entraînements des mauvais jours, son caractère ne se dément pas un moment et reste égal aux plus beaux de l'antiquité.

"Matthieu Molé, a dit M. le comte Molé en écrivant la vie de son illustre aïeul, Matthieu Molé, fut le héros par excellence de l'amour de l'ordre et du devoir.

C'est au maintien de l'ordre, au parfait accomplissement de ses devoirs, qu'il dévoue modestement sa vie.

On y voit ces vertus dédaignées du vulgaire le conduire presque à son insu à une renommée éclatante, et valoir, à celui qui ne croyait être que juste et sage, d'être comparé par ses ennemis aux hommes les plus brillants de son siècle".

Matthieu Molé montra constamment une parfaite indépendance et une absolue soumission à la voix de la conscience; mais dans les deux journées les plus périlleuses de la Fronde, placé entre la reine qui persistait dans les excès de son autorité, et les Parisiens qui protestaient contre la puissance de Mazarin avec toute la violence de l'émeute, le premier président du parlement de Paris déploya surtout cette intrépidité inébranlable et sûre de son droit, dont notre histoire a conservé précieusement le souvenir.

Dans ces deux circonstances difficiles, seul en face du danger, il s'éleva jusqu'à l'héroïsme, et prouva toute la force qu'on puise dans les saines inspirations du devoir.

On était au 27 août 1648, à ce jour où l'arrestation imprévue des conseillers Broussel, de Blancmesnil et Charton fit éclater la révolte de la Fronde.

Paris était hérissé de barricades ; le peuple, excité par les chefs du parti, tenait prisonniers au Palais Royal la reine, son fils Louis XIV, alors enfant, et le cardinal Mazarin ; en même temps il environnait le parlement, auquel il demandait la liberté des conseillers envoyés la veille à Vincennes.

Le premier président était sur son siége et présidait l'assemblée avec son calme ordinaire ; espérant diriger le mouvement en s'y prêtant, blâmant d'ailleurs cette injuste détention, il consent à se rendre au Palais Royal pour réclamer la délivrance des trois conseillers, et, traversant Paris à la tête du parlement, il se dirige vers le palais d'Anne d'Autriche.

Ce fut un grand spectacle de voir, au milieu de cette foule animée par sa révolte même, l'illustre compagnie, en bon ordre, revêtue de la longue robe des magistrats, conduite par son président, marcher lentement vers le Palais Royal.

Devant elle, les barricades élevées pendant la nuit s'ouvraient, et le peuple suivait avec respect ces nobles interprètes de la justice et du bon droit, qui allaient défendre sa cause.

L'entrevue avec la reine fut remplie de vivacité et d'amertume ; Anne d'Autriche, la petite fille de Philippe II habituée aux formes absolues du pouvoir en Espagne, ne pouvait se résoudre à céder : 

"Je sais, répondit-elle d'abord, qu'il y a du bruit dans la ville ; mais vous m'en répondrez tous, messieurs du parlement, vous, vos femmes et vos enfants."

Cependant, par l'entremise de Mazarin, on arriva à un arrangement, et la liberté de Broussel, pour la délivrance de qui les Parisiens avaient pris les armes, fut accordée.

Tout semblait terminé quand le peuple, qui ne voulait pas se satisfaire d'une promesse, laissa de nouveau éclater son mécontentement.

Le parlement avait repris le chemin du Palais de justice, Molé marchait encore au premier rang ; mais cette fois, au lieu du respect, des acclamations ; un morne silence et bientôt des murmures, des reproches accueillent le cortège.

Néanmoins les premières barricades sont franchies aisément ; mais à la troisième le ressentiment populaire ne se contient plus, le parlement est arrêté : de toutes parts on entend des menaces, des cris de mort ; les épées, les hallebardes brillent ; les magistrats sont sur le point d'être massacrés, tous se troublent. quelques uns même jettent au loin leurs insignes et essaient de se perdre dans la foule ; un seul demeure impassible : c'est le premier président, Matthieu Molé.

Un homme, en ce moment, le menace d'un pistolet en s'écriant :

"Tourne, traître, et, si tu ne veux pas être massacré toi-même, ramène nous Broussel ou livre le Mazarin et le chancelier en otages."

Rien ne peut altérer le calme du noble magistrat, son visage ne témoigne aucune émotion.

Le premier président,

"le plus intrépide homme, à mon sens, qui ait paru dans ce siècle,"

a écrit le cardinal de Retz, son adversaire, demeura ferme et inébranlable ; il se donna le temps de rallier ce qu'il put de la compagnie.

Au milieu des menaces, des injures et des exécrations, Matthieu Mole revint au Palais Royal, où il obtint enfin les lettres de cachet qui assuraient la délivrance de Broussel.

 Au 27 août, Molé avait combattu pour les droits du peuple et ne les avait pas abandonnés malgré tous les périls ; l'année suivante, au mois de mars 1649, il ne déploya pas une moindre fermeté pour ramener en France la paix et la tranquillité, pour la sauver de l'intervention de l'Espagne, qu'avaient sollicitée les seigneurs soulevés contre l'autorité du premier ministre et de la régente.

Chargé par le parti des frondeurs, de négocier avec la cour, il avait signé un traité qui annulait les actes du parlement durant la Fronde, abolissait ses assemblées extraordinaires et en même temps donnait une amnistie complète et rendait aux seigneurs leurs biens et leurs dignités.

La guerre civile était terminée, mais ce n'était pas le désir des chefs de l'opposition, des ambitieux qui agitaient le pays à leur profit ; et le peuple, habilement excité, environna le Palais de Justice, en demandant la révocation du traité apporté par Matthieu Molé à l'enregistrement du parlement.

Les frondeurs, les collègues eux-mêmes du premier président s'étaient réunis contre lui ; en arrivant au lieu de l'assemblée des chambres, il avait à peine pu traverser la foule pressée aux abords du palais.

Quand il entra en séance pour rendre compte de ses négociations, il se fit un silence solennel ; et lorsqu'on apprit que Mazarin avait signé le traité, la fureur et la consternation se peignirent sur tous les visages, un cri général fit retentir la salle et fut longuement répété dans toute l'étendue du palais.

Les frondeurs accablent Matthieu Molé de reproches et d'injures, un bruit horrible éclate, et l'on. vient annoncer que les Parisiens menacent de briser les portes de la Grand'Chambre, où l'on était réuni, si sur l'heure on ne leur livre le premier président.

Environné d'ennemis, Matthieu Molé témoigne une intrépidité extraordinaire ; il recueille les votes avec la même liberté qu'il l'eût fait dans une audience ordinaire, et rend d'une voix tranquille l'arrêt qui prononce sur le traité qu'il a conclu.

Cependant au dehors le tumulte s'était encore accru, les cris de mort et de vengeance ne cessaient de retentir, et l'on réclamait avec emportement la présence de Matthieu Molé.

Dans cette extrémité, on lui proposa, pour sauver ses jours, de se retirer par les greffes, d'où il pourrait gagner son hôtel sans être vu :

"La cour ne se cache jamais répondit fièrement le chef du parlement ; si j'étais assuré de périr, je ne commettrais pas cette lâcheté, qui de plus ne servirait qu'à donner de la hardiesse aux séditieux."

Et, appuyé sur le bras du cardinal de Retz,. il descendit par le grand escalier et se dirigea paisiblement vers la foule. Il avait l'air si calme, sa démarche était si lente, qu'on eût dit qu'il se promenait avec le coadjuteur : un bourgeois posa le bout de son mousqueton sur sa poitrine en disant qu'il allait le tuer :

"Quand vous m'aurez  tué, il ne me faudra que six pieds de terre,"

répondit Molé sans écarter cette arme, sans détourner la tête.

Toujours fidèle à son devoir, toujours dévoué au bon droit et à la raison, Matthieu Molé traversa la Fronde sans prendre part à aucune intrigue, conservant son indépendance et ne cherchant toujours que le bien de l'État.

Élevé aux fonctions de garde des sceaux lorsque le calme fut rétabli, il les conserva jusqu'au dernier jour, et, après une vie dévouée au bien public, exempt d'infirmités, de mélancolie, comme un ouvrier robuste, vers la fin de sa tâche, il s'endormit.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages